Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\QuartLivre

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titre de l’édition originale

LE QUART LIVRE
des faits et dits héroïques du noble Pantagruel,
composé par M. François Rabelais,
docteur en médecine.

COMMENT PANTAGRUEL MONTA SUR MER POUR VISITER L’ORACLE DE LA DIVE BACBUC.


On[1] mois de juin, au jour des fêtes Vestales, celui propre onquel Brutus conquêta Espagne et subjugua les Espagnols, onquel aussi Crassus l’avaricieux fut vaincu et défait par les Parthes, Pantagruel, prenant congé du bon Gargantua, son père, icelui bien priant (comme en l’Église primitive était louable coutume entre les saints christians) pour le prospère navigage[2] de son fils et toute sa compagnie, monta sur mer au port de Thalasse, accompagné de Panurge, frère Jean des Entommeures, Épistémon, Gymnaste, Eusthènes, Rhizotome, Carpalim et autres siens serviteurs et domestiques anciens, ensemble de Xénomanes, le grand voyageur et traverseur des voies périlleuses, lequel, certains jours paravant, était arrivé au mandement de Panurge. Icelui, pour certaines et bonnes causes, avait à Gargantua laissé et signé, en sa grande et universelle hydrographie, la route qu’ils tiendraient visitant l’oracle de la dive bouteille Bacbuc.

Le nombre des navires fut tel que vous ai exposé on tiers livre, en conserve[3] de trirèmes, ramberges[4], galions et liburniques[5] nombre pareil, bien équipées, bien calfatées, bien munies, avec abondance de Pantagruélion[6]. L’assemblée de tous officiers, truchements[7], pilotes, capitaines, nochers, fadrins[8], hespalliers[9] et matelots fut en la thalamège. Ainsi était nommée la grande et maîtresse nef de Pantagruel ayant en poupe pour enseigne une grande et ample bouteille, à moitié d’argent bien lisse et poli ; l’autre moitié était d’or émaillé de couleur incarnat. En quoi facile était de juger que blanc et clairet étaient les couleurs des nobles voyagers, et qu’ils allaient pour avoir le mot de la Bouteille.

Sur la poupe de la seconde était haut enlevée une lanterne antiquaire, faite industrie usement de pierre sphengitide et spéculaire[10], dénotant qu’ils passeraient par Lanternois.

La tierce pour devise avait un beau et profond hanap de porcelaine. La quarte, un potet d’or à deux anses, comme si fût une urne antique. La quinte, un broc insigne de sperme d’émeraude. La sixième, un bourrabaquin[11] monacal, fait de quatre métaux ensemble. La septième, un entonnoir d’ébène, tout requamé[12] d’or, à ouvrage de tauchie[13]. La huitième, un gobelet de lierre bien précieux, battu d’or à la damasquine. La neuvième, une brinde[14] de fin or obrisé[15]. La dixième, une breusse[16] d’odorant agaloche (vous l’appelez bois d’aloës), porfilée[17] d’or de Chypre, à ouvrage d’azemine[18]. L’onzième, une portoire[19] d’or faite à la mosaïque. La douzième, un barrau[20] d’or terni, couvert d’une vignette de grosses perles indiques[21], en ouvrage topiaire[22]. De mode que personne n’était, tant triste, fâché, rechigné ou mélancolique fût, voire y fût Héraclitus, le pleurard, qui n’entrât en joie nouvelle, et de bonne rate ne sourit, voyant ce noble convoi de navires en leurs devises, ne dît que les voyagiers étaient tous buveurs gens de bien, et ne jugeât en pronostic assuré que le voyage, tant de l’aller que du retour, serait en allégresse et santé parfaite.

En la thalamège donc fut l’assemblée de tous. Là Pantagruel leur fit une brève et sainte exhortation, toute autorisée de propos extraits de la sainte Écriture sur l’argument de navigation. Laquelle finie, fut haut et clair faite prière à Dieu, oyants et entendants tous les bourgeois et citadins de Thalasse, qui étaient sur le môle accourus pour voir l’embarquement.

Après l’oraison, fut mélodieusement chanté le psaume du saint roi David, lequel commence Quand Israël hors d’Égypte sortit. Le psaume parachevé, furent sur le tillac les tables dressées, et viandes[23] promptement apportées. Les Thalassiens, qui pareillement avaient le psaume susdit chanté, firent de leurs maisons force vivres et vinage[24] apporter. Tous burent à eux. Ils burent à tous. Ce fut la cause pourquoi personne de l’assemblée onques par la marine[25] ne rendit sa gorge et n’eut perturbation d’estomac ni de tête. Auxquels inconvénients n’eussent tant commodément obvié, buvants par quelques jours paravant de l’eau marine, ou pure ou mixtionnée avec le vin, usants de chair de coings, d’écorce de citron, de jus de grenades aigres-douces, ou tenants longue diète, ou se couvrants l’estomac de papier, ou autrement faisants ce que les fols médecins ordonnent à ceux qui montent sur mer.

Leurs buvettes souvent réitérées, chacun se retira en sa nef, et en bonne heure firent voile au vent grec levant, selon lequel le pilote principal, nommé Jamet Brayer, avait désigné la route et dressé la calamité[26] de toutes les boussoles. Car l’avis sien, et de Xénomanes aussi, fut, vu que l’oracle de la dive Bacbuc était près le Catay en Indie[27] supérieure, ne prendre la route ordinaire des Portugalais, lesquels, passants la ceinture ardente[28] et le cap de Bona Speranza sur la pointe méridionale d’Afrique, outre[29] l’équinoxial, et perdant la vue et guide de l’aisseuil[30] septentrional, font navigation énorme, ains[31] suivre au plus près le parallèle de ladite Indie et girer[32] autour d’icelui pôle par occident, de manière que, tournoyants sous septentrion, l’eussent en pareille élévation comme il est au port d’Olonne, sans plus en approcher, de peur d’entrer et d’être retenus en la mer Glaciale, et suivant ce canonique[33] détour par même parallèle, l’eussent à dextre, vers le levant, qui au département[34] leur était à senestre.

Ce que leur vint à profit incroyable, car sans naufrage, sans danger, sans perte de leurs gens, en grande sérénité (excepté un jour près l’île des Macréons) firent le voyage d’Indie supérieure en moins de quatre mois, lequel à peine feraient les Portugalais en trois ans, avec mille fâcheries et dangers innombrables. Et suis en cette opinion, sauf meilleur jugement, que telle route de fortune fut suivie par ces Indiens qui naviguèrent en Germanie et furent honorablement traités par le roi des Suèdes, on[35] temps que Q. Metellus Celer était proconsul en Gaule, comme décrivent Cor. Nepos, Pomp. Mela et Pline après eux.


COMMENT PANTAGRUEL, EN L’ÎLE DE MÉDAMOTHI, ACHETA PLUSIEURS BELLES CHOSES.

Cetui jour et les deux subséquents, ne leur apparut terre ni chose autre nouvelle, car autrefois avaient aré[36] cette route. Au quatrième découvrirent Une île nommée Médamothi, belle à l’œil et plaisante, à cause du grand nombre des phares et hautes tours marbrines[37] desquelles tout le circuit[38] était orné, qui n’était moins grand que de Canada.

Pantagruel, s’enquérant qui en était dominateur, entendit que c’était le roi Philophanes, lors absent pour le mariage de son frère Philothéamon avec l’infante du royaume d’Engys. Adonc descendit on[39] havre, contemplant, cependant que les chourmes[40] des nefs faisaient aignade[41], divers tableaux, diverses tapisseries, divers animaux, poissons, oiseaux et autres marchandises exotiques et pérégrines[42], qui étaient en l’allée du môle et par les halles du port, car c’était le tiers jour des grandes et solennes[43] foires du lieu, esquelles annuellement convenaient[44] tous les plus riches et fameux marchands d’Afrique et Asie. D’entre lesquelles frère Jean acheta deux rares et précieux tableaux, en l’un desquels était au vif peint le visage d’un appelant, en l’autre était le portrait d’un valet qui cherche maître, en toutes qualités requises, gestes, maintien, minois, allures, physionomie et affections[45], peint et inventé par maître Charles Charmois, peintre du roi Mégiste, et les paya en monnaie de singe.

Panurge acheta un grand tableau peint et transsumpt[46] de l’ouvrage jadis fait à l’aiguille par Philoméla, exposante et représentante à sa sœur Progné comment son beau-frère Téreus l’avait dépucelée et sa langue coupée, afin que tel crime ne décelât. Je vous jure, par le manche de ce falot, que c’était une peinture galante et mirifique. Ne pensez, je vous prie, que ce fut le portrait d’un homme couplé sur une fille. Cela est trop sot et trop lourd. La peinture était bien autre et plus intelligible. Vous la pourrez voir en Thélème, à main gauche, entrants en la haute galerie.

Épistémon en acheta un autre, onquel étaient au vif peintes les idées de Platon et les atomes d’Épicurus. Rhizotome en acheta un autre onquel était Écho selon le naturel représentée.

Pantagruel par Gymnaste fit acheter la vie et gestes d’Achilles, en soixante et dix-huit pièces de tapisserie à hautes lisses, longues de quatre, larges de trois toises, toutes de soie phrygienne, recamée[47] d’or et d’argent. Et commençait la tapisserie aux noces de Péleus et Thétis, continuant la nativité d’Achilles, sa jeunesse décrite par Stace Papinie, ses gestes et faits d’armes célébrés par Homère, et exèques[48] décrits par Ovide et Quinte Calabrais, finissant en l’apparition de son ombre, et sacrifice de Polyxène décrit par Euripides.

Fit aussi acheter trois beaux et jeunes unicornes[49] : un mâle, de poil alezan tostade[50], et deux femelles de poil gris pommelé. Ensemble un tarande, que lui vendit un Scythien de la contrée des Gélones.

Tarande est un animal grand comme un jeune taureau, portant tête comme est d’un cerf, peu plus grande, avec cornes insignes largement ramées, les pieds fourchus, le poil long comme d’un grand ours, la peau peu moins dure qu’un corps de cuirasse. Et disait le Gélon peu en être trouvé parmi la Scythie, parce qu’il change de couleur selon la variété des lieux esquels il paît et demeure, et représente la couleur des herbes arbres, arbrisseaux, fleurs, lieux, pâtis, rochers, généralement de toutes choses qu’il approche.

Cela lui est commun avec le poulpe marin, c’est le polype, avec les thoës[51], avec les lycaons d’Inde, avec le caméléon, qui est une espèce de lézard tant admirable que Démocritus a fait un livre entier de sa figure, anatomie, vertus et propriété en magie. Si est ce que je l’ai vu couleur changer, non à l’approche seulement des choses colorées, mais de soi-même, selon la peur et affections[52] qu’il avait. Comme sur un tapis vert, je l’ai vu certainement verdoyer, mais y restant quelque espace de temps, devenir jaune, bleu, tanné, violet par succès[53], en la façon que voyez la crête des coqs d’Inde couleur selon leurs passions changer. Ce que surtout trouvâmes en cetui tarande admirable est que, non seulement sa face et peau, mais aussi tout son poil telle couleur prenait qu’elle était ès choses voisines. Près de Panurge vêtu de sa toge bure, le poil lui devenait gris ; près de Pantagruel vêtu de sa mante d’écarlate, le poil lui rougissait ; près du pilote, vêtu à la mode des Isiaces[54] d’Anubis en Égypte, son poil apparut tout blanc, lesquelles deux dernières couleurs sont au caméléon dépiées[55]. Quand hors toute peur et affections[56] il était en son naturel, la couleur de son poil était telle que voyez ès ânes de Meung.


COMMENT PANTAGRUEL REÇUT LETTRES DE SON PÈRE GARGANTUA, ET DE L’ÉTRANGE MANIÈRE DE SAVOIR NOUVELLES BIEN SOUDAIN DES PAYS ÉTRANGERS ET LOINTAINS.

Pantagruel occupé en l’achat de ces animaux pérégrins[57], furent ouïs du môle dix coups de verses[58] et fauconneaux, ensemble grande et joyeuse acclamation de toutes les nefs. Pantagruel se tourne vers le havre, et voit que c’était une des céloces[59] de son père Gargantua, nommé la Chélidoine[60], pour ce que, sur la poupe, était en sculpture d’airain corinthien une hirondelle de mer élevée. C’est un poisson grand comme un dard de Loire, tout charnu, sans esquames[61], ayant ailes cartilagineuses qu’elles[62] sont ès souris chauves, fort longues et larges, moyennant lesquelles je l’ai souvent vu voler une toise au-dessus l’eau, plus d’un trait d’arc. À Marseille, on le nomme lendole. Ainsi était ce vaisseau léger comme une hirondelle, de sorte que plutôt semblait sur mer voler que voguer. En icelui était Malicorne, écuyer tranchant de Gargantua, envoyé expressément de par lui entendre l’état et portement[63] de son fils le bon Pantagruel, et lui porter lettres de créance. Pantagruel, après la petite accolade et barretade[64] gracieuse, avant ouvrir les lettres ni autres propos tenir à Malicorne, lui demanda :

« Avez-vous ici le gozal[65], céleste messager ?

— Oui, répondit-il, il est en ce panier emmailloté. » C’était un pigeon pris on colombier de Gargantua, éclouant[66] ses petits sur l’instant que le susdit céloce départait. Si fortune adverse fût à Pantagruel advenue, il y eût des jets[67] noirs attachés ès pieds ; mais pour ce que tout lui était venu à bien et prospérité, l’ayant fait démailloter, lui attacha ès pieds une bandelette de taffetas blanc, et, sans plus différer, sur l’heure le laissa en pleine liberté de l’air. Le pigeon soudain s’envole, hachant en incroyable hâtiveté, comme vous savez qu’il n’est vol que de pigeon quand il a œufs ou petits, pour l’obstinée sollicitude en lui par nature posée de recourir et secourir ses pigeonneaux. De mode qu’en moins de deux heures il franchit par l’air le long chemin qu’avait le céloce en extrême diligence par trois jours et trois nuits parfait, voguant à rames et à voiles et lui continuant vent en poupe. Et fut vu entrant dedans le colombier on[68] propre nid de ses petits. Adonc entendant le preux Gargantua qu’il portait la bandelette blanche, resta en joie et sûreté du bon portement de son fils.

Telle était l’usance des nobles Gargantua et Pantagruel, quand savoir promptement nouvelles de quelque chose fort affectée[69] et véhémentement désirée, comme l’issue de quelque bataille, tant par mer comme par terre, la prise ou défense de quelque place forte, l’appointement[70] de quelques différends d’importance, l’accouchement heureux ou infortuné de quelque reine ou grande dame, la mort ou convalescence de leurs amis et alliés malades, et ainsi des autres. Ils prenaient le gozal, et par les postes le faisaient de main en main jusques sur les lieux porter dont ils affectaient[71] les nouvelles. Le gozal, portant bandelette noire ou blanche selon les occurences et accidents, les ôtait de pensement[72] à son retour, faisant en une heure plus de chemin par l’air que n’avaient fait par terre trente postes en un jour naturel. Cela était racheter et gagner temps. Et croyez comme chose vraisemblable que, par les colombiers de leurs cassines[73], on trouvait sur œufs ou petits, tous les mois et saisons de l’an, les pigeons à foison, ce qu’est facile en ménagerie[74], moyennant le salpêtre en roche et la sacrée herbe verveine.

Le gozal lâché, Pantagruel lut les missives de son père Gargantua, desquelles la teneur ensuit :


« Fils très cher, l’affection que naturellement porte le père à son fils bien-aimé est en mon endroit tant accrue par l’égard et révérence des grâces particulières en toi par élection divine posées que, depuis ton partement[75], m’a non une fois tollu[76] tout autre pensement, me délaissant en cœur cette unique et soigneuse[77] peur que votre embarquement ait été de quelque meshaing[78] ou fâcherie accompagné ; comme tu sais qu’à la bonne et sincère amour est crainte perpétuellement annexée. Et pour ce que, selon le dit[79] d’Hésiode, d’une chacune chose le commencement est la moitié du tout, et, selon le proverbe commun, à l’enfourner on fait les pains cornus, j’ai, pour de telle anxiété vider mon entendement, expressément dépêché[80] Malicorne, à ce que de par lui je sois acertainé[81] de ton portement[82] sur les premiers jours de ton voyage, car, s’il est prospère et tel que je le souhaite, facile me sera prévoir, pronostiquer et juger du reste. J’ai recouvert[83] quelques livres joyeux, lesquels te seront par le présent porteur rendus[84]. Tu les liras, quand te voudras rafraîchir[85] de tes meilleures études. Ledit porteur te dira plus amplement toutes nouvelles de cette cour. La paix de l’Éternel soit avec toi. Salue Panurge, frère Jean, Épistémon, Xénomanes, Gymnaste, et autres tes domestiques, mes bons amis. De ta maison paternelle, ce treizième de juin.

« Ton père et ami,

« Gargantua. »

COMMENT PANTAGRUEL ÉCRIT À SON PÈRE GARGANTUA ET LUI ENVOIE PLUSIEURS BELLES ET RARES CHOSES.

Après la lecture des lettres susdites, Pantagruel tint plusieurs propos avec l’écuyer Malicorne, et fut avec lui si longtemps que Panurge, interrompant, lui dit : « Et quand boirez-vous ? Quand boirons-nous ? Quand boira monsieur l’écuyer ? N’est-ce assez sermonné pour boire ?

— C’est bien dit, répondit Pantagruel. Faites dresser la collation en cette prochaine hôtellerie, en laquelle pend pour enseigne l’image d’un satyre à cheval. Cependant pour la dépêche[86] de l’écuyer, il écrivit à Gargantua comme s’ensuit :


« Père très débonnaire, comme à tous accidents en cette vie transitoire non doutés[87] ni soupçonnés, nos sens et nos facultés animales pâtissent[88] plus énormes et impotentes[89] perturbations (voire jusques à en être souvent l’âme désemparée[90] du corps, quoique telles subites nouvelles fussent à contentement et souhait) que si eussent auparavant été propensées[91] et prévues, ainsi m’a grandement ému et perturbé l’inopinée venue de votre écuyer Malicorne, car je n’espérais aucun voir de vos domestiques, ni de vos nouvelles ouïr, avant la fin de cetui notre voyage, et facilement acquiesçais[92] en la douce recordation[93] de votre auguste majesté, écrite, voire certes insculpée et engravée[94] on postérieur ventricule de mon cerveau, souvent au vif me la représentant en sa propre et naïve[95] figure.

« Mais, puisque m’avez prévenu par le bénéfice de vos gracieuses lettres, et par la créance[96] de votre écuyer mes esprits recréé en nouvelles de votre prospérité et santé, ensemble[97] de toute votre royale maison, force m’est, ce que par le passé m’était volontaire, premièrement louer le benoît Servateur, lequel, par sa divine bonté, vous conserve en ce long teneur[98] de santé parfaite ; secondement, vous remercier sempiternellement de cette fervente et invétérée affection qu’à moi portez, votre très humble fils et serviteur inutile. Jadis un Romain, nommé Furnius, dit à César Auguste, recevant à grâce et pardon son père lequel avait suivi la faction d’Antonius : « Aujourd’hui me faisant ce bien, tu m’as réduit en telle ignominie que force me sera, vivant, mourant, être ingrat réputé par impotence[99] de gratuité[100]. » Ainsi pourrai-je dire que l’excès de votre paternelle affection me range en cette angustie[101] et nécessité qu’il me conviendra vivre et mourir ingrat, sinon que[102] de tel crime sois relevé par la sentence des Stoïciens, lesquels disaient trois parties être en bénéfice[103], l’une du donnant, l’autre du recevant, la tierce du récompensant, et le recevant très bien récompenser le donnant quand il accepte volontiers le bienfait et le retient en souvenance perpétuelle, comme, au rebours, le recevant être le plus ingrat du monde, qui mépriserait et oublierait le bénéfice.

« Étant donc opprimé d’obligations infinies, toutes procréées de votre immense bénignité, et impotent à la minime partie de récompense, je me sauverai pour le moins de calomnie en ce que de mes esprits n’en sera à jamais la mémoire abolie et ma langue ne cessera confesser et protester que vous rendre grâces condignes[104] est chose transcendante ma faculté et puissance.

« Au reste, j’ai cette confiance en la commisération de Notre-Seigneur, que, de cette notre pérégrination, la fin correspondra au commencement, et sera le totage[105] en allégresse et santé parfait. Je ne faudrai[106] à réduire en commentaires et éphémérides tout le discours de notre navigage[107], afin qu’à notre retour vous en ayez lecture véridique.

« J’ai trouvé ici un tarande de Scythie, animal étrange et merveilleux à cause des variations de couleur en sa peau et poil, selon la distinction des choses prochaines[108]. Vous le prendrez en gré. Il est autant maniable et facile à nourrir qu’un agneau. Je vous envoie pareillement trois jeunes unicornes[109], plus domestiques et apprivoisées que ne seraient petits chatons. J’ai conféré avec l’écuyer et dit la manière de les traiter. Elles ne pâturent en terre, obstant[110] leur longue corne on[111] front. Force est que pâture elles prennent es arbres fruitiers ou en râteliers idoines[112], ou en main, leur offrant herbes, gerbes, pommes, poires, orge, touzelle[113], bref toutes espèces de fruits et légumages[114]. Je m’ébahis comment nos écrivains antiques les disent tant farouches, féroces et dangereuses, et onques vives[115] n’avoir été vues. Si bon vous semble ferez épreuve du contraire et trouverez qu’en elles consiste une mignotise[116] la plus grande du monde, pourvu que malicieusement on ne les offense.

« Pareillement vous envoie la vie et gestes d’Achilles en tapisserie bien belle et industrieuse, vous assurant que les nouveautés d’animaux, de plantes, d’oiseaux, de pierreries, que trouver pourrai et recouvrer en toute notre pérégrination, toutes je vous porterai, aidant Dieu notre Seigneur, lequel je prie en sa sainte grâce vous conserver.

« De Medamothi, ce quinzième de juin, Panurge, frère Jean, Épistémon, Xénomanes, Gymnaste, Eusthènes, Rhizotome, Carpalim, après le dévot baisemain, vous resaluent en usure centuple.

« Votre humble fils et serviteur,

« Pantagruel. »

Pendant que Pantagruel écrivait les lettres susdites, Malicorne fut de tous festoyé, salué et accollé à double rebras[117]. Dieu sait comment tout allait et comment recommandations de toutes parts trottaient en place ! Pantagruel, avoir[118] parachevé ses lettres, banqueta avec l’écuyer et lui donna une grosse chaîne d’or, pesante huit cents écus, en laquelle, par les chaînons septénaires, étaient gros diamants, rubis, émeraudes, turquoises, unions[119], alternativement enchâssés. À un chacun de ses nochers[120] fit donner cinq cents écus au soleil. À Gargantua son père envoya le tarande couvert d’une housse de satin broché d’or, avec la tapisserie contenant la vie et gestes d’Achilles et les trois unicomes caparaçonnées de drap d’or frisé. Ainsi départirent[121] de Médamothi, Malicorne pour retourner vers Gargantua, Pantagruel pour continuer son navigage[122]. Lequel en haute mer, fit lire par Épistémon les livres apportés par l’écuyer, desquels, pour ce qu’il les trouva joyeux et plaisants, le transsumpt[123] volontiers vous donnerai, si dévotement le requérez.


COMMENT PANTAGRUEL RENCONTRA UNE NEF DE VOYAGERS RETOURNANTS DU PAYS LANTERNOIS.

Au cinquième jour, jà[124] commençants tournoyer le pôle peu à peu, nous éloignants de l’équinoxial, découvrîmes un navire marchand faisant voile à horche[125] vers nous. La joie ne fut petite, tant de nous comme des marchands ; de nous, entendants nouvelle de la marine[126] ; d’eux, entendants nouvelles de terre ferme. Nous ralliants avec eux, connûmes qu’ils étaient Français Saintongeais. Devisant et raisonnant ensemble, Pantagruel entendit qu’ils venaient de Lanternois, dont eut nouveau accroissement d’allégresse. Aussi eut toute l’assemblée, mêmement nous enquêtants de l’état du pays et mceurs du peuple lanternier, et ayants avertissement que, snr la fin de juillet subséquent, était l’assignation du chapitre général des Lanternes, et que, si lors y arrivions, comme facile nous était, verrions belle, honorable et joyeuse compagnie des Lanternes, et que l’on y faisait grands apprêts, comme si l’on y dût profondément lanterner. Nous fut aussi dit que, passants le grand royaume de Gébarim, nous serions honorifiquement reçus et traités par le roi Ohabé, dominateur d’icelle terre, lequel et tous ses sujets pareillement parlent langage français tourangeau.

Cependant que nous entendions ces nouvelles, Panurge prend débat avec un marchand de Taillebourg, nommé Dindenault. L’occasion du débat fut telle. Ce Dindenault, voyant Panurge sans braguette, avec ses lunettes attachées au bonnet, dit de lui à ses compagnons : « Voyez là une belle médaille de cocu ! » Panurge, à cause de ses lunettes, oyait des oreilles beaucoup plus clair que de coutume. Donc, entendant ce propos, demanda au marchand : « Comment diable serais-je cocu, qui ne suis encore marié, comme tu es, selon que juger je peux à ta trogne mal gracieuse ?

— Oui vraiment, répondit le marchand, je le suis, et ne voudrais ne l’être pour toutes les lunettes d’Europe, non pour toutes les besicles d’Afrique, car j’ai une des plus belles, plus avenantes, plus honnêtes, plus prudes femmes en mariage, qui soit en tout le pays de Saintonge, et n’en déplaise aux autres. Je lui porte de mon voyage une belle et de onze poucées[127] longue branche de corail rouge pour ses étrennes. Qu’en as-tu à faire ? De quoi te mêles-tu ? Qui es-tu ? Dont es-tu ? Ô lunetier de l’antéchrist, réponds si tu es de Dieu.

— Je te demande, dit Panurge, si, par consentement et convenance de tous les éléments, j’avais sacsacbésevésinemassé[128] ta tant belle, tant avenante, tant honnête, tant prude femme ; de mode que le raide dieu des jardins Priapus, lequel ici habite en liberté, sujétion forcluse[129] de braguettes attachées, lui fût on corps demeuré, en tel désastre que jamais n’en sortirait, éternellement y resterait sinon que tu le tirasses avec les dents, que ferais-tu ? Le laisserais-tu là sempiternellement, ou bien le tirerais-tu à belles dents ? Réponds, ô bélinier[130] de Mahomet, puisque tu es de tous les diables.

— Je te donnerais, répondit le marchand, un coup d’épée sur cette oreille lunetière et te tuerais comme un bélier. » Ce disant dégainait son épée. Mais elle tenait au fourreau, comme vous savez que, sur mer, tous harnois[131] facilement chargent rouille, à cause de l’humidité excessive et nitreuse. Panurge recourt vers Pantagruel à secours. Frère Jean mit la main à son braquemard fraîchement émoulu, et eût félonnement occis le marchand, ne fût que le patron de la nef et autres passagers supplièrent Pantagruel n’être fait scandale en son vaisseau. Dont fut appointé[132] tout leur différend, et touchèrent les mains ensemble Panurge et le marchand, et burent d’autant l’un à l’autre de hait[133], en signe de parfaite réconciliation.


COMMENT, LE DÉBAT APAISÉ, PANURGE MARCHANDE AVEC DINDENAULT UN DE SES MOUTONS.

Ce débat du tout apaisé, Panurge dit secrètement à Épistémon et à frère Jean : « Retirez-vous ici un peu à l’écart, et joyeusement passez temps à ce que verrez. Il y aura bien beau jeu, si la corde ne rompt. » Puis s’adressa au marchand, et derechef but à lui plein hanap de bon vin lanternois. Le marchand le pleigea[134] gaillard[135], en toute courtoisie et honnêteté. Cela fait, Panurge dévotement le priait lui vouloir de grâce vendre un de ses moutons. Le marchand lui répondit : « Halas, halas ! mon ami, notre voisin, comment vous savez bien truffer[136] des pauvres gens. Vraiment vous êtes un gentil chaland. Ô le vaillant acheteur de moutons ! Vrai bis, vous portez le minois non mie[137] d’un acheteur de moutons, mais bien d’un coupeur de bourses. Deu Colas, faillon[138], qu’il ferait bon porter bourse pleine auprès de vous en la triperie, sur le dégel ! Han, han, qui ne vous connaîtrait, vous feriez bien des vôtres. Mais voyez, hau, bonnes gens, comment il taille de l’historiographe !

— Patience, dit Panurge. Mais, à propos, de grâce spéciale, vendez-moi un de vos moutons. Combien ?

— Comment, répondit le marchand, l’entendez-vous, notre ami, mon voisin ? Ce sont moutons à la grande laine. Jason y prit la toison d’or. L’ordre de la maison de Bourgogne en fut extrait. Moutons de levant, moutons de haute futaie, moutons de haute graisse !

— Soit, dit Panurge, mais de grâce vendez m’en un, et pour cause, bien et promptement vous payant en monnaie de ponant[139], de taillis et de basse graisse. Combien ?

— Notre voisin, mon ami, répondit le marchand, écoutez ça un peu de l’autre oreille.

panurge

À votre commandement.

le marchand

Vous allez en Lanternois ?

panurge

Voire[140].

le marchand

Voir le monde ?

panurge

Voire.

le marchand

Joyeusement ?

panurge

Voire.

le marchand

Vous avez, ce crois-je, nom Robin mouton ?

panurge

Il vous plaît à dire.

le marchand

Sans vous fâcher.

panurge

Je l’entends ainsi.

le marchand

Vous êtes, ce crois-je, le joyeux[141] du roi ?

panurge

Voire.

le marchand

Fourchez-là[142]. Ha ! ha ! vous allez voir le monde, vous êtes le joyeux du roi, vous avez nom Robin mouton. Voyez ce mouton-là ; il a nom Robin comme vous. Robin, Robin, Robin ! Bês, bês, bês, bês. Ô la belle voix !

panurge

Bien belle et harmonieuse.

le marchand

Voici un pacte qui sera entre vous et moi, notre voisin et ami. Vous qui êtes Robin mouton, serez en cette coupe[143] de balance, le mien mouton Robin sera en l’autre : je gage un cent d’huîtres de Busch[144] qu’en poids, en valeur, en estimation, il vous emportera haut et court, en pareille forme que serez un jour suspendu et pendu.

— Patience, dit Panurge. Mais vous feriez beaucoup pour moi et pour votre postérité si me le vouliez vendre, ou quelque autre du bas chœur. Je vous en prie, sire monsieur. »

— Notre ami, répondit le marchand, mon voisin, de la toison de ces moutons seront faits les fins draps de Rouen ; les louchets[145] des balles de limestre[146] au prix d’elle ne sont que bourre. De la peau seront faits les beaux maroquins, lesquels on vendra pour maroquins Turquins ou de Montélimart, ou d’Espagne pour le pire. Des boyaux, on fera cordes de violons et harpes, lesquels tant chèrement on vendra conime si fussent cordes de Munican ou Aquila. Que pensez-vous ?

— S’il vous plait, dit Panurge, m’en vendrez un, j’en serai bien fort tenu au courrail[147] de votre huis[148]. Voyez ci argent content. Combien ? » Ce disait montrant son escarcelle pleine de nouveaux Henricus[149].


CONTINUATION DU MARCHÉ ENTRE PANURGE ET DINDENAULT.

« Mon ami, répondit le marchand, notre voisin, ce n’est viande que pour rois et princes. La chair en est tant délicate, tant savoureuse et tant friande que c’est baume. Je les amène d’un pays onquel[150] les pourceaux (Dieu soit avec nous) ne mangent que myrobolans[151]. Les truies, en leur gésine (sauf l’honneur de toute la compagnie) ne sont nourries que de fleurs d’orangers.

— Mais, dit Panurge, vendez-m’en un, et je vous paierai en roi, foi de piéton. Combien ?

— Notre ami, répondit le marchand, mon voisin, ce sont moutons extraits de la propre race de celui qui porta Phrixus et Hellé par la mer dite Hellesponte.

— Cancre ! dit Panurge, vous êtes clericus vel adiscens.

Ita sont choux, répondit le marchand ; vere ce sont porreaux. Mais rr. rrrrrrr. Ho ! Robin, rr, rrrrrrr. Vous n’entendez ce langage.

« À propos. Par tous les champs esquels ils pissent, le blé y provient[152] comme si Dieu y eût pissé. Il n’y faut autre marne ni fumier. Plus y a. De leur urine les quintessenciaux[153] tirent le meilleur salpêtre du monde. De leurs crottes (mais qu’il ne vous déplaise) les médecins de nos pays guérissent soixante et dix-huit espèces de maladies, la moindre est desquelles le mal saint Eutrope de Saintes, dont Dieu nous sauve et garde. Que pensez-vous, notre voisin, mon ami ? Aussi me coûtent-ils bon.

— Coûte et vaille, répondit Panurge. Seulement vendez-m’en un, le payant bien.

— Notre ami, dit le marchand, mon voisin, considérez un peu les merveilles de nature consistants en ces animaux que voyez, voire en un membre qu’estimeriez inutile. Prenez-moi ces cornes là, et les concassez un peu avec un pilon de fer, ou avec un landier, ce m’est tout un. Puis les enterrez en vue du soleil la part que[154] voudrez, et souvent les arrosez. En peu de mois vous en verrez naître les meilleures asperges du monde. Je n’en daignerais excepter ceux de Ravenne. Allez-moi dire que les cornes de vous autres messieurs les cocus aient vertu telle et propriété tant mirifique !

— Patience, répondit Panurge.

— Je ne sais, dit le marchand, si vous êtes clerc. J’ai vu prou[155] de clercs, je dis grands clercs, cocus. Oui dà. À propos, si vous étiez clerc, vous sauriez que, ès membres plus inférieurs de ces animaux divins (ce sont les pieds) y a un os (c’est le talon, l’astragale, si vous voulez) duquel, non d’autre animal du monde, fors de l’âne Indien et des dorcades[156] de Lybie, l’on jouait antiquement au royal jeu des tales[157], auquel l’empereur Octavien Auguste un soir gagna plus de 50,000 écus. Vous autres cocus n’avez garde d’en gagner autant.

— Patience, répondit Panurge. Mais expédions[158].

— Et quand, dit le marchand, vous aurai-je, notre ami, mon voisin, dignement loué les membres internes : les épaules, les éclanches, les gigots, le haut côté, la poitrine, le foie, la râtelle, les tripes, la gogue[159], la vessie dont on joue à la balle, les côtelettes dont on fait en Pygmion les beaux petits arcs pour tirer des noyaux de cerises contre les grues, la tête dont, avec un peu de soufre, on fait une mirifique décoction pour faire viander[160] les chiens constipés du ventre…

— Bren, bren[161] ! dit le patron de la nef au marchand, c’est trop ici barguigné. Vends-lui si tu veux ; si tu ne veux ne l’amuse plus.

— Je le veux, répondit le marchand, pour l’amour de vous. Mais il en paiera trois livres tournois de la pièce en choisissant.

— C’est beaucoup, dit Panurge. En nos pays j’en aurais bien cinq, voire six pour telle somme de deniers. Avisez que ne soit trop. Vous n’êtes le premier de ma connaissance qui, trop tôt voulant riche devenir et parvenir, est à l’envers tombé en pauvreté, voire quelquefois s’est rompu le col.

— Tes fortes fièvres quartaines ! dit le marchand, lourdaud sot que tu es. Par le digne vœu de Charroux, le moindre de ces moutons vaut quatre fois plus que le meilleur de ceux que jadis les Coraxiens en Tuditanie, contrée d’Espagne, vendaient un talent d’or la pièce. Et que penses-tu, ô sot à la grande paye, que valait un talent d’or ?

— Benoît monsieur, dit Panurge, vous vous échauffez en votre harnois[162] à ce que je vois et connais. Bien tenez, voyez là votre argent. » Panurge, ayant payé le marchand, choisit de tout le troupeau un beau et grand mouton, et l’emportait criant et bêlant, oyants tous les autres et ensemblement bêlants et regardants quelle part[163] on menait leur compagnon. Cependant le marchand disait à ses moutonniers : « Ô qu’il a bien su choisir, le chaland ! Il s’y entend, le paillard ! Vraiment, le bon vraiment, je le réservais pour le seigneur de Cancale, comme bien connaissant son naturel, car, de sa nature, il est tout joyeux et esbaudi[164] quand il tient une épaule de mouton en main, bien séante et avenante, comme une raquette gauchère[165], et, avec un couteau bien tranchant. Dieu sait comment il s’en escrime !


COMMENT PANURGE FIT EN MER NOYER LE MARCHAND ET LES MOUTONS.

Soudain, je ne sais comment, (le cas fut subit, je n’eus loisir le considérer) Panurge, sans autre chose dire, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons, criants et bêlants en pareille intonation, commencèrent soi jeter et sauter en mer après, à la file. La foule était à qui premier y sauterait après leur compagnon. Possible n’était les engarder[166], comme vous savez être du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dit Aristotèles, lib. 9 de Histo. animal., être le plus sot et inepte animant[167] du monde.

Le marchand, tout effrayé de ce que devant ses yeux périr voyait et noyer ses moutons, s’efforçait les empêcher et retenir de tout son pouvoir, mais c’était en vain. Tous à la file sautaient dedans la mer et périssaient. Finalement il en prit un grand et fort par la toison sur le tillac de la nef, cuidant[168] ainsi le retenir et sauver le reste aussi conséquemment. Le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec soi le marchand, et fut noyé, en pareille forme que les moutons de Polyphémus, le borgne cyclope, emportèrent hors la caverne Ulyxes et ses compagnons. Autant en firent les autres bergers et moutonniers, les prenants uns par les cornes, autres par les jambes, autres par la toison, lesquels tous furent pareillement en mer portés et noyés misérablement.

Panurge, à côté du fougon[169], tenant un aviron en main, non pour aider les moutonniers, mais pour les engarder[170] de grimper sur la nef et évader[171] le naufrage, les prêchait éloquentement, comme si fût un petit frère Olivier Maillard ou un second frère Jean Bourgeois, leur remontrant par lieux de rhétorique les misères de ce monde, le bien et l’heur[172] » de l’autre vie, affirmant plus heureux être les trépassés que les vivants en cette vallée de misère, et à un chacun d’eux promettant ériger un beau cénotaphe et sépulcre honoraire au plus haut du mont Cenis, à son retour de Lanternois, leur optant[173] ce néanmoins, en cas que vivre encore entre les humains ne leur fâchât et noyer ainsi ne leur vînt à propos, bonne aventure et rencontre de quelque baleine, laquelle au tiers jours subséquent les rendit sains et saufs en quelque pays de satin[174] à l’exemple de Jonas.

La nef vidée du marchand et des moutons : « Reste-t-il ici, dit Panurge, nulle âme moutonnière ? Où sont ceux de Thibault l’Agnelet et ceux de Regnauld Belin, qui dorment quand les autres paissent ? Je n’y sais rien. C’est un tour de vieille guerre. Que t’en semble, frère Jean ?

— Tout bien de vous, répondit frère Jean. Je n’ai rien trouvé mauvais, sinon qu’il me semble qu’ainsi comme jadis on soulait[175] en guerre, au jour de bataille ou assaut, promettre aux soudards double paie pour celui jour (s’ils gagnaient la bataille, l’on avait prou[176] de quoi payer ; s’ils la perdaient c’eût été honte la demander, comme firent les fuyards Gruyers[177], après la bataille de Cérizolles) aussi qu’enfin vous deviez le paiement réserver, l’argent vous demeurât en bourse.

— C’est, dit Panurge, bien chié pour l’argent. Vertu Dieu ! j’ai eu du passe-temps pour plus de cinquante mille francs. Retirons-nous, le vent est propice. Frère Jean, écoute ici. Jamais homme ne me fit plaisir sans récompense ou reconnaissance pour le moins. Je ne suis point ingrat et ne le fus ni serai. Jamais homme ne me fit déplaisir sans repentance, ou en ce monde ou en l’autre. Je ne suis point fat[178] jusque-là.

— Tu, dit frère Jean, te damnes comme un vieil diable. Il est écrit : Mihi vindictam, et cætera. Matière de bréviaire. »


COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L’ÎLE DE CHÉLI EN LAQUELLE RÉGNAIT LE ROI SAINT-PANIGON.

Le garbin[179] nous soufflait en poupe, quand montâmes en haute mer. Sur la déclination du soleil, fîmes escale en l’île de Chéli, île grande, fertile, riche et populeuse, en laquelle régnait le roi Saint-Panigon, lequel, accompagné de ses enfants et princes de sa cour, s’était transporté jusque près le havre pour recevoir Pantagruel et le mena jusques en son château. Sur l’entrée du donjon s’offrit la reine, accompagnée de ses filles et dames de cour. Panigon voulut qu’elle et toute sa suite baisassent Pantagruel et ses gens. Telle était la courtoisie et coutume du pays. Ce que fut fait, excepté frère Jean, qui s’absenta et s’écarta parmi les officiers du roi. Panigon voulait, en toute instance, pour cetui jour et au lendemain, retenir Pantagruel. Pantagruel fonda son excuse sur la sérénité du temps et opportunité du vent, lequel plus souvent est désiré des voyagers que rencontré, et le faut emploiter[180] quand il advient, car il n’advient toutes et quantes fois qu’on le souhaite. À cette remontrance, après boire vingt et cinq ou trente fois par homme, Panigon nous donna congé.

Pantagruel, retournant au port et ne voyant frère Jean, demandait quelle part il était[181], et pourquoi n’était ensemble[182] la compagnie. Panurge ne savait comment l’excuser et voulait retourner au château pour l’appeler, quand frère Jean accourut tout joyeux, et s’écria en grande gaîté de cœur, disant : « Vive le noble Panigon ! Par la mort bœuf de bois, il rue en cuisine. J’en viens, tout y va par écuelles. J’espérais bien y cotonner à profit et usage monacal le moule de mon gippon[183].

— Ainsi, mon ami, dit Pantagruel, toujours à ces cuisines !

— Corpe de galline[184] ! répondit frère Jean, j’en sais mieux l’usage et cérémonies que de tant chiabrener[185] avec ces femmes, magni, magna, chiabrena, révérence, double, reprise, l’accolade, la fressurade[186], baise la main de votre merci, de votre majesta, vous soyez, tarabin, tarabas. Bren ! c’est merde à Rouen. Tant chiasser et ureniller ! Dea[187], je ne dis pas que je n’en tirasse quelque trait dessus la lie à mon lourdois[188], qui me laissât insinuer ma nomination. Mais cette brenasserie de révérences me fâche plus qu’un jeune diable : je voulais dire un jeûne double. Saint Benoît n’en mentit jamais.

« Vous parlez de baiser damoiselles. Par le digne et sacré froc que je porte, volontiers je m’en déporte[189], craignant que m’advienne ce qu’advint au seigneur de Guyercharois.

— Quoi ? demanda Pantagruel ; je le connais, il est de mes meilleurs amis.

— Il était, dit frère Jean, invité à un somptueux et magnifique banquet que faisait un sien parent et voisin, auquel étaient pareillement invités tous les gentilshommes, dames et damoiselles du voisinage. Icelles attendantes sa venue, déguisèrent les pages de l’assemblée et les habillèrent en damoiselles bien pimpantes et atourées[190]. Les pages endamoisellés à lui entrant près le pont-levis se présentèrent. Il les baisa tous en grande courtoisie et révérences magnifiques. Sur la fin, les dames qui l’attendaient en la galerie, s’éclatèrent de rire et firent signes aux pages à ce qu’ils ôtassent leurs atours. Ce que voyant, le bon seigneur, par honte et dépit ne daigna baiser icelles dames et damoiselles naïves[191], alléguant, vu qu’on lui avait ainsi déguisé les pages, que, par la mort bœuf de bois ! ce devaient là être les valets, encore plus finement déguisés.

« Vertu Dieu, da jurandi, pourquoi plutôt ne transportons-nous nos humanités en belle cuisine de Dieu, et là ne considérons le branlement des broches, l’harmonie des contrehâtiers[192], la position des lardons, la température des potages, les préparatifs du dessert, l’ordre du service du vin ? Beati immaculati in viā. C’est matière de bréviaire. »


dolmen de la pierre levée, près de poitiers (vienne)
Gravure du Theatrum urbinum vers 1580, d’après le texte de Rabelais.
Le dolmen, aujourd’hui brisé, ne rappelle nullement ce dessin.

POURQUOI LES MOINES SONT VOLONTIERS EN CUISINE.

« C’est, dit Épistémon, naïvement[193] parlé en moine. Je dis moine moinant, je ne dis pas moine moine. Vraiment vous me réduisez en mémoire ce que je vis et ouïs en Florence, il y a environ vingt ans. Nous étions bien bonne compagnie de gens studieux, amateurs de pérégrinité[194] et convoiteux de visiter les gens doctes, antiquités et singularités d’Italie. Et lors curieusement contemplions l’assiette et beauté de Florence, la structure du dôme, la somptuosité des temples et palais magnifiques, et entrions en contention[195] qui plus aptement les extollerait[196] par louanges condignes[197], quand un moine d’Amiens, nommé Bernard Lardon, comme tout fâché et monopole[198], nous dit : « Je ne sais que diantre vous trouvez ici tant à louer. J’ai aussi bien contemplé comme vous et ne suis aveugle plus que vous. Et puis, qu’est-ce ? Ce sont belles maisons. C’est tout. Mais, Dieu et monsieur saint Bernard, notre bon patron, soit avec nous, en toute cette ville encore n’ai-je vu une seule rôtisserie et y ai curieusement[199] regardé et considéré, voire ; je vous dis, comme épiant et prêt à compter et nombrer tant à dextre comme à senestre, combien et de quel côté plus nous rencontrerions de rôtisseries rôtissantes. Dedans Amiens, en moins de chemin quatre fois, voire trois, qu’avons fait en nos contemplations, je vous pourrais montrer plus de quatorze rôtisseries antiques et aromatisantes. Je ne sais quel plaisir avez pris voyants les lions et africanes (ainsi nommiez-vous, ce me semble, ce qu’ils appellent tigres) près le beffroi ; pareillement voyants les porcs-épics et autruches on[200] palais du seigneur Philippe Strossi. Par foi ! nos fieux, j’aimerais mieux voir un bon et gras oison en broche. Ces porphyres, ces marbres sont beaux. Je n’en dis point de mal, mais les darioles[201] d’Amiens sont meilleures à mon goût. Ces statues antiques sont bien faites, je le veux croire ; mais par saint Ferréol d’Abbeville, les jeunes bachelettes de nos pays sont mille fois plus avenantes.

— Que signifie, demanda frère Jean, et que veut dire que toujours vous trouvez moines en cuisines, jamais n’y trouverez rois, papes ni empereurs ?

— Est-ce, répondit Rhizotome, quelque vertu latente et propriété absconse[202] dedans les marmites et contrehâtiers, qui les moines y attire (comme l’aimant à soi le fer attire), n’y attire empereurs, papes, ni rois ? Ou c’est une induction et inclination naturelle, aux frocs et cagoules adhérente, laquelle de soi mène et pousse les bons religieux en cuisine, encore qu’ils n’eussent élection ni délibération d’y aller ?

— Il veut dire, répondit Épistémon, formes suivantes la matière. Ainsi les nomme Averroès.

— Voire, voire, dit frère Jean.

— Je vous dirai, répondit Pantagruel, sans au problème proposé répondre, car il est un peu chatouilleux et à peine y toucheriez-vous sans vous épiner[203]. Me souvient avoir lu qu’Antigonus, roi de Macédonie, un jour entrant en la cuisine de ses tentes et y rencontrant le poète Antagoras, lequel fricassait un congre et lui-même tenait la poêle, lui demanda en toute allégresse : « Homère fricassait-il congres, lorsqu’il décrivait les prouesses d’Agamemnon ? » — « Mais, répondit Antagoras au roi, estimes-tu qu’Agamemnon, lorsque telles prouesses faisait, fût curieux de savoir si personne en son camp fricassait congres ? » Au roi semblait indécent qu’en sa cuisine le poète faisait telle fricassée. Le poète lui remontrait que chose trop plus abhorrente[204] était rencontrer le roi en cuisine.

— Je damerai[205] cette-ci, dit Panurge, vous racontant ce que Breton Villandry répondit un jour au seigneur duc de Guise. Leur propos était de quelque bataille du roi François contre l’empereur Charles cinquième, en laquelle Breton était gorgiasement[206] armé, mêmement de grèves et solerets[207] acérés, monté aussi à l’avantage[208], n’avait toutefois été vu au combat. « Par ma foi, répondit Breton, j’y ai été, facile me sera le prouver, voire en lieu onquel vous n’eussiez osé vous trouver. » Le seigneur duc prenant en mal cette parole, comme trop brave et trop témérairement proférée, et se haussant de propos, Breton facilement en grande risée l’apaisa, disant : « J’étais avec le bagage, onquel lieu votre honneur n’eût porté soi cacher comme je faisais. »

En ces menus devis arrivèrent en leurs navires, et plus long séjour ne firent en icelle île de Chéli.


COMMENT PANTAGRUEL PASSA PROCURATION, ET DE L’ÉTRANGE MANIÈRE DE VIVRE ENTRE LES CHICANOUS.

Continuant notre route, au jour subséquent passâmes Procuration, qui est un pays tout chaffouré[209] et barbouillé. Je n’y connus rien. Là vîmes des procultous[210] et chicanous, gens à tout[211] le poil. Ils ne nous invitèrent à boire ni à manger. Seulement, en longue multiplication de doctes révérences, nous dirent qu’ils étaient tous à notre commandement en payant. Un de nos truchements[212] racontait à Pantagruel comment ce peuple gagnaient leur vie en façon bien étrange, et en plein diamètre[213] contraire aux romicoles[214]. À Rome, gens infinis gagnent leur vie à empoisonner, à battre et à tuer ; les chicanous la gagnent à être battus. De mode que, si par longtemps demeuraient sans être battus, ils mourraient de male[215] faim, eux, leurs femmes et enfants.

« C’est, disait Panurge, comme ceux qui, par le rapport de Cl. Gal., ne peuvent le nerf caverneux vers le cercle équateur dresser s’ils ne sont très bien fouettés. Par saint Thibault, qui ainsi me fouetterait me ferait bien au rebours désarçonner, de par tous les diables !

— La manière, dit le truchement, est telle. Quand un moine, prêtre, usurier ou avocat veut mal à quelque gentilhomme de son pays, il envoie vers lui un de ces chicanous. Chicanous le citera, l’ajournera, l’outragera, l’injuriera impudentement, suivant son record[216] et instruction, tant que le gentilhomme, s’il n’est paralytique de sens et plus stupide qu’une rane gyrine[217], sera contraint lui donner bastonnades et coups d’épée sur la tête, ou la belle jarretade[218], ou mieux le jeter par les créneaux et fenêtres de son château. Cela fait, voilà chicanous riche pour quatre mois, comme si coups de bâton fussent ses naïves[219] moissons, car il aura du moine, de l’usurier, ou avocat, salaire bien bon et réparation du gentilhomme aucunes fois[220] si grande et excessive que le gentilhomme y perdra tout son avoir, avec danger de misérablement pourrir en prison, comme s’il eût frappé le roi.

— Contre tel inconvénient, dit Panurge, je sais un remède très bon, duquel usait le seigneur de Basché.

— Quel ? demanda Pantagruel.

— Le seigneur de Basché, dit Panurge, était homme courageux, vertueux, magnanime, chevalereux. Il, retournant de certaine longue guerre en laquelle le duc de Ferrare, par l’aide des Français, vaillamment se défendit contre les furies du pape Jules second, par chacun jour était ajourné, cité, chicané, à l’appétit et passe-temps du gras prieur de Saint-Louant.

Un jour, déjeunant avec ses gens (comme il était humain et débonnaire), manda quérir son boulanger, nommé Loyre, et sa femme, ensemble[221] le curé de sa paroisse, nommé Oudart, qui le servait de sommelier, comme lors était la coutume en France, et leur dit en présence de ses gentilshommes et autres domestiques : « Enfants, vous voyez en quelle fâcherie me jettent journellement ces marauds chicanous. J’en suis là résolu que, si ne m’y aidez, je délibère[222] abandonner le pays et prendre le parti du Soudan[223] à tous les diables. Désormais, quand céans ils viendront, soyez prêts, vous Loyre et votre femme, pour vous représenter en ma grande salle avec vos belles robes nuptiales, comme si l’on vous fiançait, et comme premièrement fûtes fiancés. Tenez, voilà cent écus d’or, lesquels je vous donne pour entretenir vos beaux accoutrements. Vous, messire Oudart, ne faillez[224] y comparaître en votre beau surplis et étole, avec l’eau bénite, comme pour les fiancer. Vous pareillement, Trudon (ainsi était nommé son tambourineur), soyez-y avec votre flûte et tambour. Les paroles dites et la mariée baisée, au son du tambour vous tous baillerez l’un à l’autre du souvenir des noces, ce sont petits coups de poing. Ce faisants, vous n’en souperez que mieux. Mais quand ce viendra au chicanons, frappez dessus comme sur seigle vert, ne l’épargnez. Tapez, daubez, frappez, je vous en prie. Tenez, présentement je vous donne ces jeunes gantelets de joute, couverts de chevrotin[225]. Donnez-lui coups sans compter, à tort et à travers. Celui qui mieux le daubera, je reconnaîtrai pour mieux affectionné. N’ayez peur d’en être repris en justice. Je serai garant pour tous. Tels coups seront donnés en riant, selon la coutume observée en toute fiançailles. » — « Voire mais, demanda Oudart, à quoi connaîtrons-nous le chicanous, car, en cette votre maison, journellement abordent gens de toutes parts. » — « J’y ai donné ordre, répondit Basché. Quand à la porte de céans viendra quelque homme, ou à pied ou assez mal monté, ayant un anneau d’argent gros et large on[226] pouce, il sera chicanonus. Le portier l’ayant introduit courtoisement, sonnera la campanelle[227]. Alors soyez prêts et venez en salle jouer la tragique comédie que vous ai exposée. »

Ce propre jour, comme Dieu le voulut, arriva un vieil, gros, et rouge chicanous. Sonnant à la porte, fut par le portier reconnu à ses gros et gras houseaux, à sa méchante jument, à un sac de toile plein d’informations, attaché à sa ceinture, signamment[228] au gros anneau d’argent qu’il avait on[229] pouce gauche. Le portier lui fut courtois, l’introduit honnêtement, joyeusement sonne la campanelle. Au son d’icelle, Loyre et sa femme se vêtirent de leurs beaux habillements, comparurent en la salle, faisants bonne morgue[230] Oudart se revêtit de surplis et d’étole. Sortant de son office rencontre chicanons, le mène boire en son office longuement, cependant qu’on chaussait gantelets de tous côtés, et lui dit : « Vous ne pouviez à heure venir plus opportune. Notre maître est en ses bonnes : nous ferons tantôt bonne chère, tout ira par écuelles : nous sommes céans de noces : tenez, buvez, soyez joyeux. »

Pendant que chicanons buvait, Basché, voyant en la salle ses gens en équipage requis, mande quérir Oudart. Oudart vient portant l’eau bénite. Chicanous le suit. Il, entrant en la salle, n’oublia faire nombre d’humbles révérences, cita Basché ; Basché lui fit la plus grande caresse du monde, lui donna un angelot[231], le priant assister au contrat et fiançailles. Ce que fut fait. Sur la fin, coups de poing commencèrent sortir en place. Mais, quand ce vint au tour de chicanons, ils le festoyèrent à grands coups de gantelets, si bien qu’il resta tout étourdi et meurtri, un œil poché au beurre noir, huit côtes froissées, le bréchet[232] enfondré[233], les omoplates en quatre quartiers, la mâchoire inférieure en trois lopins, et le tout en riant. Dieu sait comment Oudart y opérait, couvrant de la manche de son surplis le gros gantelet acéré[234], fourré d’hermines, car il était puissant ribaud. Ainsi retourne à l’Île-Bouchard chicanous, accoutré à la tigresque[235], bien toutefois satisfait et content du seigneur de Basché, et moyennant le secours des bons chirurgiens du pays vécut tant que voudrez. Depuis n’en fut parlé. La mémoire en expira avec le son des cloches lesquelles carillonnèrent à son enterrement.


COMMENT, À L’EXEMPLE DE MAÎTRE FRANÇOIS VILLON, LE SEIGNEUR DE BASCHÉ LOUE SES GENS.

Chicanous issu du château et remonté sur son esgue orbe[236] (ainsi nommait-il sa jument borgne), Basché, sous la treille de son jardin secret, manda quérir sa femme, ses damoiselles, tous ses gens, fit apporter vin de collation, associé d’un nombre de pâtés, de jambons, de fruits et fromages, but avec eux en grande allégresse, puis leur dit :

« Maître François Villon, sur ses vieux jours, se retira à Saint-Maixent en Poitou, sous la faveur d’un homme de bien, abbé dudit lieu. Là, pour donner passe-temps au peuple, entreprit faire jouer la Passion en gestes et langage poitevin. Les rôles distribués, les joueurs[237] récolés[238], le théâtre préparé, dit au maire et échevins que le mystère pourrait être prêt à l’issue des foires de Niort : restait seulement trouver habillements aptes aux personnages. Les maire et échevins y donnèrent ordre. Il, pour un vieux paysan habiller qui jouait Dieu le père, requit frère Étienne Tappecoue, sécretain[239] des cordeliers du lieu, lui prêter une chape et étole. Tappecoue le refusa, alléguant que, par leurs statuts provinciaux, était rigoureusement défendu rien bailler ou prêter pour les jouants[240]. Villon répliquait que le statut seulement concernait farces, mômeries et jeux dissolus, et qu’ainsi l’avait vu pratiquer à Bruxelles et ailleurs. Tappecoue, ce nonobstant, lui dit péremptoirement qu’ailleurs se pourvût, ai bon lui semblait, rien n’espérât de sa sacristie, car rien n’en aurait sans faute. Villon fit aux joueurs le rapport en grande abomination, ajoutant que de Tappecoue Dieu ferait vengeance et punition exemplaire bientôt.

« Au samedi subséquent, Villon eut avertissement que Tappecoue, sur la poultre du couvent (ainsi nomment-ils une jument non encore saillie), était allé en quête à Saint-Ligaire, et qu’il serait de retour sur les deux heures après midi. Adonc fit la montre de la diablerie parmi la ville et le marché. Ses diables étaient tous caparaçonnés de peaux de loups, de veaux et de béliers, passementés[241] de têtes de moutons, de cornes de bœufs, et de grands havets[242] de cuisine, ceints de grosses courroies, esquelles pendaient grosses cymbales de vaches, et sonnettes de mulet à bruit horrifique. Tenaient en main aucuns[243] bâtons noirs pleins de fusées ; autres portaient longs tisons allumés, sur lesquels à chacun carrefour jetaient pleines poignées de parasine[244] en poudre, dont sortait feu et fumée terrible. Les avoir[245] ainsi conduits avec contentement du peuple et en grande frayeur des petits enfants, finalement les mena banqueter en une cassine[246] hors la porte en laquelle est le chemin de Saint Ligaire. Arrivants à la cassine, de loin il aperçut Tappecoue qui retournait de quête, et leur dit en vers macaroniques :

Hic est de patria, natus de gente belistra,
Qui solet antiquo bribas portare bisacco.

« Par la mort dienne ! dirent adonc les diables, il n’a voulu prêter à Dieu le père une pauvre chappe ; faisons-lui peur. — C’est bien dit, répond Villon ; mais cachons-nous jusques à ce qu’il passe, et chargez vos fusées et tisons. » Tappecoue arrivé au lieu, tous sortirent on[247] chemin au devant de lui, en grand effroi, jetants feu de tous côtés sur lui et sa poultre, sonnants de leurs cymbales et hurlants en diables : « Hho, hho, hho, hho, brrrou, rrrourrrrs, rrrourrrs, rrrourrrs, hou, hou, hou ! Hho, hho, hho ! Frère Étienne, faisons-nous pas bien les diables ? »

« La poultre, toute effrayée, se mit au trot, à pets, à bonds et au galop, à ruades, fressurades[248] doubles pédales[249] et pétarades, tant qu’elle rua[250] bas Tappecoue, quoiqu’il se tînt à l’aube[251] du bât de toutes ses forces. Ses étrivières étaient de cordes du côté hors le montoir, son soulier fenestré[252], était si fort entortillé qu’il ne le put onques tirer. Ainsi était traîné à écorchecul par la poultre, toujours multipliant en ruades contre lui, et fourvoyante de peur par les haies, buissons et fossés. De mode qu’elle lui cobbit[253] toute la tête, si que la cervelle en tomba près la croix hosannière[254], puis les bras en pièces, l’un ça, l’autre là, les jambes de même ; puis des boyaux fit un long carnage, en sorte que la poultre au couvent arrivant de lui ne portait que le pied droit et soulier entortillé.

« Villon, voyant advenu ce qu’il avait pourpensé[255], dit à ses diables : « Vous jouerez bien, messieurs les diables, vous jouerez bien, je vous affie[256]. Ô que vous jouerez bien ! Je despite[257] la diablerie de Saumur, de Doué, de Montmorillon, de Langés, de Saint-Espain, d’Angers, voire, par Dieu, de Poitiers avec leur parloir, en cas qu’ils puissent être à vous paragonnés[258]. Ô que vous jouerez bien ! »

« Ainsi, dit Basché, prévois-je, mes bons amis, que vous dorénavant jouerez bien cette tragique farce, vu qu’à la première montre et essai, par vous a été chicanous tant dissertement daubé, tapé et chatouillé. Présentement je double à vous tous vos gages. Vous, m’amie, disait-il à sa femme, faites vos honneurs comme voudrez. Vous avez en vos mains et conserve[259] tous mes trésors. Quant est de moi, premièrement, je bois à vous tous, mes bons amis. Or ça, il est bon et frais. Secondement, vous, maître d’hôtel, prenez ce bassin d’argent, je le vous donne. Vous, écuyers, prenez ces deux coupes d’argent doré. Vos pages de trois mois ne soient fouettés. M’amie, donnez-leur mes beaux plumails[260] blancs, avec les pampillettes[261] d’or. Messire Oudart, je vous donne ce flacon d’argent. Cetui autre je donne aux cuisiniers ; aux valets de chambre, je donne cette corbeille d’argent ; aux palefreniers, je donne cette nacelle d’argent doré ; aux portiers, je donne ces deux assiettes ; aux muletiers, ces dix happesoupes[262]. Trudon, prenez toutes ces cuillères d’argent et ce drageoir. Vous, laquais, prenez cette grande salière. Servez-moi bien, amis, je le reconnaîtrai, croyants fermement que j’aimerais mieux, par la vertu Dieu, endurer en guerre cent coups de masse sur le heaume au service de notre tant bon roi qu’être une fois cité par ces mâtins chicanous, pour le passe-temps d’un tel gras prieur. »


CONTINUATION DES CHICANOUS DAUBÉS EN LA MAISON DE BASCHÉ.

Quatre jours après, un autre jeune, haut et maigre chicanous alla citer Basché à la requête du gras prieur. À son arrivée, fut soudain par le portier reconnu, et la campanelle[263] sonnée. Au son d’icelle, tout le peuple du château entendit le mystère. Loyre pétrissait sa pâte, sa femme blutait la farine. Oudart tenait son bureau. Les gentilshommes jouaient à la paume. Le seigneur Basché jouait aux trois cents trois avec sa femme. Les damoiselles jouaient aux pingres[264], les officiers jouaient à l’impériale, les pages jouaient à la mourre à belles chiquenaudes. Soudain fut de tous entendu que chicanons étaient en pays. Lors Oudart se revêtir, Loyre et sa femme prendre leurs beaux accoutrements, Trudon sonner de sa flûte, battre son tambourin, chacun rire, tous se préparer, et gantelets en avant.

Basché descend en la basse-cour. Là chicanons le rencontrant, se mit à genoux devant lui, le pria ne prendre en mal si, de la part du gras prieur, il le citait, remontra par harangue diserte comment il était personne publique, serviteur de moinerie, appariteur de la mitre abbatiale, prêt à en faire autant pour lui, voire pour le moindre de sa maison, la part[265] qu’il lui plairait l’emploiter[266] et commander. « Vraiment, dit le seigneur, jà ne me citerez que premier[267] n’ayez bu de mon bon vin de Quinquenays, et n’ayez assisté aux noces que je fais présentement. Messire Oudart, faites-le boire très bien et rafraîchir, puis l’amenez en ma salle. Vous soyez le bienvenu. »

Chicanous, bien repu et abreuvé, entre avec Oudart en salle, en laquelle étaient tous les personnages de la farce, en ordre et bien délibérés[268]. À son entrée chacun commença sourire chicanous riait par compagnie. Quand par Oudart furent : sur les fiancés dits mots mystérieux, touchées les mains, la mariée baisée, tous aspersés d’eau bénite, pendant qu’on apportait vins et épices, coups de poings commencèrent trotter. Chicanous en donna nombre à Oudart. Oudart, sous son surplis, avait son gantelet caché : il s’en chausse comme d’une mitaine, et de dauber chicanous, et de draper chicanous, et coups des jeunes gantelets de tous côtés pleuvoir sur chicanous. « Des noces, disaient-ils, des noces, des noces, vous en souvienne. » Il fut si bien accoutré que le sang lui sortait par la bouche, par le nez, par les oreilles, par les œils, au demeurant, courbatu[269], espaultré[270] et froissé, tête, nuque, dos, poitrine, bras, et tout. Croyez qu’en Avignon on[271] temps du carnaval, les bacheliers onques ne jouèrent à la raphe[272] plus mélodieusement que fut joué sur chicanous. Enfin, il tombe par terre. On lui jeta force vin sur la face, on lui attacha à la manche de son pourpoint belle livrée[273] de jaune et vert, et le mit-on sur son cheval morveux. Entrant en l’Île-Bouchard ne sais s’il fut bien pansé et traité de sa femme comme des mires[274] du pays. Depuis n’en fut parlé.

Au lendemain, cas pareil advint, pour ce qu’au sac et gibecière du maigre chicanous n’avait été trouvé son exploit. De par le gras prieur fut nouveau chicanous envoyé citer le seigneur de Basché, avec deux recors pour sa sûreté. Le portier, sonnant la campanelle, réjouit toute la famille, entendants que chicanous était là. Basché était à table, dînant avec sa femme et gentilshommes. Il mande quérir chicanous, le fit asseoir près de soi, les recors près les damoiselles, et dînèrent très bien et joyeusement. Sur le dessert, chicanous se lève de table, présents et oyants les recors, cite Basché. Basché gracieusement lui demande copie de sa commission. Elle était jà prête. Il prend acte de son exploit ; à chicanous et à ses recors furent quatre écus soleil donnés. Chacun s’était retiré pour la farce. Trudon commence sonner du tambourin. Basché prie chicanous assister aux fiançailles d’un sien officier et en recevoir le contrat, bien le payant et contentant. Chicanous fut courtois. Dégaina son écritoire, eut papier promptement, ses recors près de lui. Loyre entre en salle par une porte, sa femme avec les damoiselles par autre, en accoutrements nuptiaux. Oudart, revêtu sacerdotalement, les prend par les mains, les interroge de leurs vouloirs, leur donne sa bénédiction, sans épargne d’eau bénite. Le contrat est passé et minuté. D’un côté sont apportés vins et épices ; de l’autre, livrée à tas, blanc et tanné ; de l’autre sont produits gantelets secrètement.


COMMENT PAR CHICANOUS SONT RENOUVELÉES LES ANTIQUES COUTUMES DES FIANÇAILLES.

« Chicanous, avoir dégouzillé[275] une grande tasse de vin breton, dit au seigneur : « Monsieur, comment l’entendez-vous ? L’on ne baille point ici des noces ? Sainsambreguoi ! toutes bonnes coutumes se perdent. Aussi ne trouve l’on plus de lièvres au gîte. Il n’est plus d’amis. Voyez comment en plusieurs églises l’on a désemparé[276] les antiques buvettes des benoîts saints Ô Ô de Noël ! Le monde ne fait plus que rêver. Il approche de sa fin. Or tenez : des noces, des noces, des noces ! » Ce disant, frappait sur Basché et sa femme, après sur les damoiselles et sur Oudart.

Adonc firent gantelets leur exploit, si qu’à chicanous fut rompue la tête en neuf endroits, à un des recors fut le bras droit défocillé[277], à l’autre fut démanchée la mandibule supérieure, de mode qu’elle lui couvrait le menton à demi avec dénudation de la luette et perte insigne des dents molaires, masticatoires et canines. Au son du tambourin, changeant son intonation, furent les gantelets mussés[278], sans être aucunement aperçus, et confitures multipliées de nouveau, avec liesse nouvelle. Buvants les bons compagnons uns aux autres, et tous à chicanous et à ses recors, Oudart reniait et dépitait[279] les noces, alléguant qu’un des recors lui avait desincornifistibulé toute l’autre épaule. Ce nonobstant, buvait à lui joyeusement. Le recors démantibulé joignait les mains et tacitement lui demandait pardon, car parler ne pouvait-il. Loyre se plaignait de ce que le recors débradé[280] lui avait donné si grand coup de poing sur l’autre coude qu’il en était devenu tout esperruquancluzelubelouzerirelu du talon.

« Mais, disait Trudon, cachant l’œil avec son mouchoir et montrant son tambourin défoncé d’un côté, quel mal leur avais-je fait ? Il ne leur a suffi m’avoir ainsi lourdement morrambouzevezengouzequoquemorguatasacbacguevezinemaffressé mon pauvre œil ; d’abondant[281] ils m’ont défoncé mon tambourin. Tambourins à noces sont ordinairement battus : tambourineurs bien festoyés, battus jamais. Le diable s’en puisse coiffer ! » — « Frère, lui dit chicanous manchot, je te donnerai unes belles, grandes, vieilles lettres royaux, que j’ai ici en mon baudrier, pour rapetasser ton tambourin, et pour Dieu pardonne-nous. Par Notre-Dame de Rivière, la belle dame, je n’y pensais en mal. »

Un des écuyers, dopant et boitant, contrefaisait le bon et noble seigneur de la Roche Posay. Il s’adressa au recors embaviéré[282] de mâchoires et lui dit : « Êtes-vous des frappins, des frappeurs, ou des frappars ? Ne vous suffisait-il nous avoir ainsi morcrocassebezassevezassegrigueliguoscopapopondrillé tous les membres supérieurs à grands coups de bobelins[283], sans nous donner tels morderegrippipiotabirofreluchamburelurecoquelurintimpanements sur les grèves[284] à belles pointes de houseaux ? Appelez-vous cela jeu de jeunesse ? Par Dieu, jeu n’est-ce ? »

Le recors, joignant les mains, semblait lui en requérir pardon, marmonnant de la langue : « Mon, mon, mon, vrelon, von, von, » comme un marmot[285].

La nouvelle mariée pleurante riait, riante pleurait, de ce que chicanous ne s’était contenté la daubant sans choix ni élection des membres, mais l’avait lourdement déchevelée, d’abondant[286] lui avait trepignemampenillorifrizonoufressuré les parties honteuses en trahison. « Le diable, dit Basché, y ait part ! Il était bien nécessaire que monsieur le Roi (ainsi se nomment chicanous) me daubât ainsi ma bonne femme d’échiné. Je ne lui en veux mal toutefois. Ce sont petites caresses nuptiales. Mais j’aperçois clairement qu’il m’a cité en ange et daubé en diable. Il tient je ne sais quoi du frère frappart. Je bois à lui de bien bon cœur, et à vous aussi, messieurs les recors. »

« Mais, disait sa femme, à quel propos et sur quelle querelle m’a-t-il tant et trestant festoyée à grands coups de poing ? Le diantre l’emporte, si je le veux. Je ne le veux pourtant pas, ma dia ! Mais je dirai cela de lui qu’il a les plus dures oinces[287] qu’onques je sentis sur mes épaules. »

Le maître d’hôtel tenait son bras gauche en écharpe, comme tout morquaquoquassé : « Le diable, dit-il, me fit bien assister à ces noces. J’en ai, par la vertu Dieu ! tous les bras enguoulevezinemassés. Appelez-vous ceci fiançailles ? Je les appelle fiançailles de merde. C’est par Dieu ! le naïf banquet des Lapithes, décrit par le philosophe Samosatois. »

Chicanous ne parlait plus. Les recors s’excusèrent qu’en daubant ainsi n’avaient eu maligne volonté et que pour l’amour de Dieu on leur pardonnât. Ainsi départent[288]. À demi-lieue de là chicanous se trouva un peu mal. Les recors arrivent à l’Île-Bouchard, disants publiquement que jamais n’avaient vu plus homme de bien que le seigneur de Basché, ni maison plus honorable que la sienne, ensemble[289] que jamais n’avaient été à telles noces. Mais toute la faute venait d’eux qui avaient commencé la frapperie. Et vécurent encore ne sais quants[290] jours après.

De là en hors[291] fut tenu comme chose certaine que l’argent de Basché plus était au chicanous et recors pestilent, mortel et pernicieux que n’était jadis l’or de Toulouse et le cheval Séjan à ceux qui le possédèrent. Depuis fut le dit seigneur en repos et les noces de Basché en proverbe commun.


COMMENT PAR FRÈRE JEAN EST FAIT ESSAI DU NATUREL DES CHICANOUS.

« Cette narration, dit Pantagruel, semblerait joyeuse, ne fût que devant nos yeux faut la crainte de Dieu continuellement avoir.

— Meilleure, dit Épistémon, serait, si la pluie de ces jeunes gantelets fût sur le gras prieur tombée. Il dépendait[292] pour son passe-temps argent, part à fâcher Basché, part à voir ses chicanous daubés. Coups de poing eussent aptement atouré[293] sa tête rase, attendue l’énorme concussion que voyons hui[294] entre ces juges pédanés[295] sous l’orme. En quoi offensaient ces pauvres diables chicanous ?

— Il me souvient, dit Pantagruel à ce propos, d’un antique gentilhomme romain, nommé L. Nératius. Il était de noble famille et riche en son temps. Mais en lui était cette tyrannique complexion que, issant[296] de son palais, il faisait emplir les gibecières de ses valets d’or et d’argent monnayé, et, rencontrant par les rues quelques mignons braguards[297] et mieux en point, sans d’iceux être aucunement offensé, par gaîté de cœur leur donnait de grands coups de poing en face. Soudain après pour les apaiser et empêcher de non soi complaindre en justice, leur départait[298] de son argent, tant qu’il les rendait contents et satisfaits, selon l’ordonnance d’une loi des douze Tables. Ainsi dépendait[299] son revenu, battant les gens au prix de son argent.

— Par la sacre botte de saint Benoît ! dit frère Jean, présentement j’en saurai la vérité ». Adonc descend en terre, mit la main à son escarcelle et en tira vingt écus au soleil. Puis dit à haute voix, en présence et audience d’une grande tourbe du peuple chicanourois : « Qui veut gagner vingt écus d’or pour être battu en diable ?

— Io, io, io, répondirent tous. Vous nous affolerez[300] de coups, monsieur, cela est sûr. Mais il y a beau gain ». Et tous accouraient à la foule, à qui serait premier en date pour être tant précieusement battu. Frère Jean, de toute la troupe, choisit un chicanous à rouge museau, lequel on[301] pouce de la main dextre portait un gros et large anneau d’argent en la palle[302] duquel était enchâssée une bien grande crapaudine[303].

L’ayant choisi, je vis que tout ce peuple murmurait, et entendis un grand, jeune et maigre chicanons, habile et bon clerc, et, comme était le bruit commun, honnête homme en cour d’église, soi complaignant[304] et murmurant de ce que le rouge museau leur ôtait toutes pratiques, et que, si en tout le territoire n’étaient que trente coups de bâton à gagner, il en emboursait toujours vingt-huit et demi. Mais tous ces complaints[305] et murmures ne procédaient que d’envie.

Frère Jean dauba tant et très tant Rouge museau, dos et ventre, bras et jambes, tête et tout, à grands coups de bâton, que je le cuidais[306] mort assommé. Puis lui bailla les vingt écus, et mon vilain debout, aise comme un roi ou deux. Les autres disaient à frère Jean : « Monsieur frère diable, s’il vous plaît encore quelques uns battre pour moins d’argent, nous sommes tous à vous, monsieur le diable. Nous sommes trestous à vous, sacs, papiers, plumes et tout. »

Rouge museau s’écria contre eux, disant à haute voix : « Feston diene[307], galefretiers[308], venez-vous sur mon marché ? Me voulez-vous ôter et séduire mes chalands ? Je vous cite par devant l’official à huitaine mirelaridaine. Je vous chicanerai en diable de Vauverd. » Puis Se tournant vers frère Jean, à face riante et, joyeuse lui dit : « Révérend père en diable Monsieur, si m’avez trouvé bonne robe, et vous plaît encore en me battant vous ébattre, je me contenterai de la moitié, de juste prix. Ne m’épargnez, je vous en prie. Je suis tout et trestout à vous, monsieur le diable, tête, poumon, boyaux et tout. Je vous le dis à bonne chère[309] ! »

Frère Jean interrompit son propos, et se détourna autre part. Les autres chicanous se retiraient vers Panurge, Épistémon, Gymnaste et autres, les suppliants dévotement être par eux à quelque petit prix battus, autrement étaient en danger de bien longuement jeûner. Mais nul n’y voulut entendre.

Depuis, cherchants eau fraîche pour la chiourme[310] des nefs, rencontrâmes deux vieilles chicanoures du lieu, lesquelles ensemble misérablement pleuraient et lamentaient. Pantagruel était resté en sa nef, et jà faisait sonner la retraite. Nous doutants qu’elles fussent parentes du chicanons qui avait eu bastonnades, interrogions les causes de telle doléance. Elles répondirent que de pleurer avaient cause bien équitable, vu qu’à heure présente l’on avait au gibet baillé le moine par le cou aux deux plus gens de bien qui fussent en tout chicanourois. « Mes pages, dit Gymnaste, baillent le moine par les pieds à leurs compagnons dormards. Bailler le moine par le cou, serait pendre et étrangler la personne.

— Voire, voire, dit frère Jean, vous en parlez comme saint Jean de la Palisse[311]. » Interrogées sur les causes de cetui pendage, répondirent qu’ils avaient dérobé les ferrements de la messe[312] et les avaient mussés[313] sous le manche de la paroisse[314].

— Voilà, dit Épistémon, parlé en terrible allégorie. »


COMMENT PANTAGRUEL ÉVADA UNE FORTE TEMPÊTE EN MER.

Au lendemain, rencontrâmes à poge[315] neuf orques[316] chargées de moines, jacobins, jésuites, capucins, ermites, augustins, bernardins, célestins, théatins, égnatins, amadéans[317], cordeliers, carmes, minimes, et autres saints religieux, lesquels allaient au concile de Chésil pour grabeler[318] les articles de la foi contre les nouveaux hérétiques. Les voyant, Panurge entra en excès de joie, comme assuré d’avoir toute bonne fortune pour celui jour et autres subséquents en long ordre, et, ayant courtoisement salué les béats pères et recommandé le salut de son âme à leurs dévotes prières et menus suffrages, fit jeter en leurs nefs soixante et dix-huit douzaines de jambons, nombre de caviars[319], dizaines de cervelas, centaines de boutargues[320], et mille deux beaux angelots[321] pour les âmes des trépassés.

Pantagruel restait tout pensif et mélancolique. Frère Jean l’aperçut, et demandait dont lui venait telle fâcherie non accoutumée, quand le pilote, considérant les voltigements du peneau[322] sur la poupe et prévoyant un tyrannique grain et fortunal[323] nouveau, commanda tous être à l’erte[324], tant nochers, fadrins[325] et mousses que nous autres voyagers, fit mettre voiles bas, méjane, contreméjane, triou, maistrale, épagon, civadière[326], fit caler les boulingues[327] trinquet de prore et trinquet de gabie[328], descendre le grand artimon, et de toutes les antennes ne rester que les griselles et côtières[329].

Soudain la mer commença s’enfler et tumultuer du bas abîme, les fortes vagues battre les flancs de nos vaisseaux ; le mistral, accompagné d’un cole[330] effréné, de noires gruppades[331], de terribles sions[332], de mortelles bourrasques, siffler à travers nos antennes ; le ciel tonner du haut, foudroyer, éclairer, pleuvoir, grêler ; l’air perdre sa transparence, devenir opaque, ténébreux et obscurci, si que autre lumière ne nous apparaissait que des foudres, éclairs et infractions[333] des flambantes nuées ; les catégides, thielles, lélapes et prestères[334] enflamber tout autour de nous par les psoloentes, arges, élicies[335] et autres éjaculations éthérées[336] ; nos aspects[337]tous être dissipés et perturbés ; les horrifiques typhones suspendre les monstrueuses vagues du courant. Croyez que ce nous semblait être l’antique chaos, onquel[338] étaient feu, air, mer, terre, tous les éléments en réfrac taire confusion.

Panurge, ayant du contenu en son estomac bien repu les poissons scatophages, restait accroupi sur le tillac, tout affligé, tout meshaigné[339], et à demi mort, invoqua tous les benoîts saints et saintes à son aide, protesta de soi confesser en temps et lieu, puis s’écria en grand effroi, disant : « Majordome, hau, mon ami, mon père, mon oncle, produisez[340] un peu de salé ; nous ne boirons tantôt que trop à ce que je vois. À petit manger bien boire, sera désormais ma devise. Plût à Dieu et à la benoîte, digne et sacrée Vierge, que maintenant, je dis tout à cette heure, je fusse en terre ferme, bien à mon aise !

« Ô que trois et quatre fois heureux sont ceux qui plantent choux ! Ô Parques, que ne me filâtes-vous pour planteur de choux ! Ô que petit est le nombre de ceux à qui Jupiter a telle faveur porté qu’il les a destinés à planter choux, car ils ont toujours en terre un pied, l’autre n’en est pas loin ! Dispute de félicité et bien souverain qui voudra ; mais quiconque plante choux est présentement par mon décret déclaré bienheureux, à trop meilleure raison que Pyrrhon, étant en pareil danger que nous sommes et voyant un pourceau près le rivage qui mangeait de l’orge épandu, le déclara bienheureux en deux qualités, savoir est qu’il avait orge à foison, et d’abondant[341] qu’il était en terre.

« Ha ! pour manoir déifique et seigneurial il n’est que le plancher des vaches. Cette vague nous emportera. Dieu servateur[342] ! Ô mes amis ! un peu de vinaigre. Je tressue[343] de grand ahan[344]. Zalas ! les voiles sont rompues, le prodenou[345] est en pièces, les cosses[346] éclatent, l’arbre[347] du haut de la gatte plonge[348] en mer, la carène est au soleil, nos gumènes[349] sont presque tous rompus. Zalas, zalas ! où sont nos boulingues[350] ? Tout est frelore bigoth[351] ! Notre trinquet est à vau-l’eau. Zalas ! à qui appartiendra ce bris ? Amis, prêtez[352] ici derrière une de ces rambades[353]. Enfants, votre landrivel[354] est tombé. Hélas ! n’abandonnez l’orgeau[355], ni aussi le tirados[356]. J’ouïs l’agneuillot[357] frémir. Est-il cassé ? Pour Dieu, sauvons la brague[358] ; du fernel[359] ne vous souciez. Bebebe, bous, bous, bous. Voyez à la calamite[360] de votre boussole, de grâce, maître Astrophile, dont nous vient ce fortunal[361] ? Par ma foi, j’ai belle peur. Bou, bou, bou, bous, bous. C’est fait de moi. Je me conchie de male[362] rage de peur. Bou, bou, bou, bou ! Otto, to, to, to, to, ti ! Bou, bou, bou, ou, ou, ou, bou, bou, bous, bous ! Je noie, je noie, je noie, je meurs. Bonnes gens, je noie. »


QUELLES CONTENANCES EURENT PANURGE ET FRÈRE JEAN DURANT LA TEMPÊTE.

Pantagruel, préalablement avoir imploré l’aide du grand Dieu servateur, et fait oraison publique en fervente dévotion, par l’avis du pilote tenait l’arbre fort et ferme : frère Jean, s’était mis en pourpoint pour secourir les nochers. Aussi étaient Épistémon, Ponocrates et les autres. Panurge restait le cul sur le tillac, pleurant et lamentant. Frère Jean l’aperçut, passant sur la coursie[363], et lui dit : « Par Dieu, Panurge le veau, Panurge le pleurard, Panurge le criard, tu ferais beaucoup mieux nous aidant ici que là pleurant comme une vache, assis sur tes couillons comme un magot.

— Be, be, be, bous, bous, bous, répondit Panurge, frère Jean, mon ami, mon bon père, je noie, je noie, je noie, mon ami, je noie. C’est fait de moi, mon père spirituel, mon ami, c’en est fait. Votre braquemard[364] ne m’en saurait sauver. Zalas, zalas ! nous sommes au-dessus de éla[365], hors toute la gamme. Be, be, be, bous, bous. Zalas ! à cette heure sommes nous au-dessous de gamma ut[366]. Je noie. Ha ! mon père, mon oncle, mon tout. L’eau est entrée en mes souliers par le collet. Bous, bous, bous, paisch, hu, hu, hu, ha, ha, ha, ha, ha, je noie. Zalas, zalas ! hu, hu, hu, hu, hu, hu, hu. Be, be, bous, bous, bobous, ho, ho, ho, ho, ho. Zalas, zalas ! À cette heure, fais bien à point l’arbre fourchu, les pieds à mont[367], la tête en bas. Plût à Dieu que présentement je fusse dedans la orque[368] des bons et béats pères concilipètes[369], lesquels ce matin nous rencontrâmes, tant dévots, tant gras, tant joyeux, tant douillets et de bonne grâce. Holos, holos, holos ! zalas, zalas ! cette vague de tous les diables (mea culpa, Deus), je dis cette vague de Dieu effondrera notre nef. Zalas ! frère Jean, mon père, mon ami, confession ! Me voyez ci à genoux. Confiteor, votre sainte bénédiction.

— Viens, pendu au diable, dit frère Jean, ici nous aider, de par trente légions de diables, viens. Viendra-t-il ?

— Ne jurons point, dit Panurge, mon père, mon ami, pour cette heure. Demain tant que voudrez. Holos, holos, zalas ! notre nef prend eau, je noie, zalas, zalas ! Be, be, be, be, be, bous, bous, bous, bous. Or sommes-nous au fond. Zalas, zalas ! Je donne dix-huit cent mille écus d’intrade[370] à qui me mettra en terre, tout foireux et tout breneux comme je suis, si onques homme fut en ma patrie de bien. Confiteor. Zalas ! un petit mot de testament ou codicille pour le moins.

— Mille diables, dit frère Jean, sautent on[371] corps de ce cocu ! Vertu Dieu, parles-tu de testament à cette heure que sommes en danger, et qu’il nous convient évertuer ou jamais plus ? Viendras-tu, oh ! diable ? Comité[372], mon mignon, ô le gentil algousan[373] ! de çà ! Gymnaste, ici sur l’estanterol[374]. Nous sommes, par la vertu Dieu, troussés à ce coup. Voilà notre fanal éteint. Ceci s’en va à tous les millions de diables.

— Zalas, zalas, dit Panurge, zalas ! Bou, bou, bou, bou, bous. Zalas, zalas ! était-ce ici que de périr nous était prédestiné ? Holos, bonnes gens, je noie, je meurs. Consummatum est. C’est fait de moi.

— Magna, gna, gna, dit frère Jean. Fi ! qu’il est laid, le pleurard de merde. Mousse ho ! de par tous les diables, garde l’escantoula[375]. T’es-tu blessé ? Vertu Dieu, attache à l’un des bitous[376]. Ici, de là, de par le diable, hé ! Ainsi, mon enfant.

— Ha ! frère Jean, dit Panurge, mon père spirituel, mon ami, ne jurons point. Vous péchez. Zalas, zalas ! Be, be, be, bous, bous, bous, je noie, je meurs, mes amis. Je pardonne à tout le monde. Adieu. In manus. Bous, bous, bouououous. Saint Michel d’Aure, saint Nicolas, à cette fois et jamais plus ! Je vous fais ici bon vœu et à Notre-Seigneur que, si à ce coup m’êtes aidant (j’entends que me mettez en terre hors ce danger ici), je vous édifierai une belle grande petite chapelle ou deux

Entre Cande et Monsoreau
Et n’y paîtra vache ni veau.

« Zalas, zalas ! il m’en est entré en la bouche plus de dix-huit seillaux[377] ou deux. Bous, bous, bous, bous. Qu’elle est amère et salée !

— Par la vertu, dit frère Jean, du sang, de la chair, du ventre, de la tête, si encore je t’ouïs piauler, cocu au diable, je te galerai[378] en loup marin. Vertu Dieu que ne le jetons-nous au fond de la mer ? Hespaillier[379], ho gentil compagnon, ainsi mon ami. Tenez bien là sus[380]. Vraiment, voici bien éclairé et bien tonné. Je crois que tous les diables sont déchaînés aujourd’hui ou que Proserpine est en travail d’enfant. Tous les diables dansent aux sonnettes. »


COMMENT LES NOCHERS ABANDONNENT LES NAVIRES AU FORT DE LA TEMPÊTE.

« Ha ! dit Fanurge, vous péchez, frère Jean, mon ami ancien. Ancien, dis-je, car de présent je suis nul, vous êtes nul. Il me fâche le vous dire, car je crois qu’ainsi jurer vous fasse grand bien à la râtelle, comme à un fendeur de bois fait grand soulagement celui qui, à chacun coup, près de lui crie : « Han ! » à haute voix, et comme un joueur de quilles est mirifiquement soulagé quand il n’a jeté la boule droit, si quelque homme d’esprit, près de lui, penche et contourne la tête et le corps à demi, du côté auquel la boule autrement bien jetée eût fait rencontre de quilles. Toutefois vous péchez, mon ami doux. Mais, si présentement nous mangeons quelque espèce de cabirotades[381], serions-nous en sûreté de cetui orage ? J’ai lu que, sur mer, en temps de tempête, jamais n’avaient peur, toujours étaient en sûreté les ministres des dieux Cabires[382], tant célébrés par Orphée, Apollonius, Phérécydes, Strabo, Pausanias, Hérodote.

— Il radote, dit frère Jean, le pauvre diable. À mille et millions et centaines de millions de diables soit le cocu cornard au diable ! Aide-nous ici, hau, tigre ! Viendra-t-il ? Ici à orche[383]. Tête-Dieu pleine de reliques, quelle patenôtre de singe est-ce que tu marmottes là entre les dents ? Ce diable de fol marin est cause de la tempête, et il seul n’aide à la chiourme. Par Dieu, si je vais là, je vous châtierai en diable tempêtatif. Ici, fadrin[384], mon mignon, tiens bien, que j’y fasse un nœud grégeois. Ô le gentil mousse ! Plût à Dieu que tu fusses abbé de Talemouze[385], et celui qui de présent l’est fût gardien de Croulay ! Ponocrates, mon frère, vous blesserez là. Épistémon, gardez-vous de la jalousie[386], j’y ai vu tomber un coup de foudre.

— Inse[387] !

— C’est bien dit. Inse, inse, inse. Vienne esquif ! Inse. Vertu Dieu, qu’est cela ? Le cap[388] est en pièces. Tonnez, diables, pétez, rotez, fientez. Bren[389] pour la vague ! Elle a, par la vertu Dieu, failli à m’emporter sous le courant. Je crois que tous les millions de diables tiennent ici leur chapitre provincial, ou briguent pour élection de nouveau recteur.

— Orche[390] !

— C’est bien dit. Gare la cavèche[391], hé ! mousse, de par le diable ! Orche, orche.

— Bebebebous, bous, bous, dit Panurge, bous, bous, bebe, bous, bous, je noie. Je ne vois ni ciel ni terre. Zalas, zalas ! De quatre éléments ne nous reste ici que feu et eau. Bouboubous, bous, bous. Plût à la digne vertu de Dieu qu’à heure présente je fusse dedans le clos de Seuillé, ou chez Innocent le pâtissier, devant la Cave peinte à Chinon, sur peine de me mettre en pourpoint pour cuire les petits pâtés ! Notre homme, sauriez-vous me jeter en terre ? Vous savez tant de bien, comme l’on m’a dit. Je vous donne tout Salmigondinois et ma grande caquerollière[392], si par votre industrie je trouve une fois terre ferme. Zalas, zalas ! je noie. Dea[393], beaux amis, puisque surgir ne pouvons à bon port, mettons-nous à la rade, je ne sais où. Plongez toutes vos ancres. Soyons hors ce danger, je vous en prie. Notre amé, plongez le scandai et les bolides[394], de grâce. Sachons la hauteur du profond. Sondez, notre amé, mon ami, de par Notre-Seigneur ! Sachons si l’on boirait ici aisément debout sans soi baisser. J’en crois quelque chose.

— Uretacque[395], hau ! cria le pilote, uretacque ! La main à l’insain[396]. Amène, uretacque ! Bressine[397] uretacque, gare la pane ! Hau amure, amure bas. Hau uretacque, cap en houle[398] ! Démanche le heaume[399] ! Acapaye[400].

— En sommes-nous là ? dit Pantagruel. Le bon Dieu servateur[401] nous soit en aide !

— Acapaye, hau ! s’écria Jamet Brahier, maître pilote. Acapaye, chacun pense de son âme et se mette en dévotion, n’espérant aide que par miracle des cieux !

— Faisons, dit Panurge, quelque bon et beau vœu. Zalas, zalas, zalas ! bou, bou, bebebebous, bous, bous. Zalas, zalas ! faisons un pèlerin. Çà, çà, chacun boursille à beaux liards, çà !

— De çà, hau, dit frère Jean, de par tous les diables ! À poge[402]. Acapaye, on nom de Dieu ! Démanche le heaume, hau ! Acapaye, acapaye. Buvons hau ! Je dis du meilleur et plus stomacal. Entendez-vous, hau, majordome, produisez, exhibez. Aussi bien s’en va ceci à tous les millions de diables. Apporte-ci, hau, page, mon tiroir (ainsi nommait-il son bréviaire). Attendez ! tire mon ami, ainsi ! Vertu Dieu, voici bien grêlé et foudroyé, vraiment. Tenez bien là haut, je vous en prie. Quand aurons-nous la fête de Tous Saints ! Je crois qu’aujourd’hui est l’infeste[403] fête de tous les millions de diables.

— Hélas ! dit Panurge, frère Jean se damne bien à crédit. Ô ! que j’y perds un bon ami ! Zalas, zalas ! voici pis qu’antan. Nous allons de Scylle en Charybde, holos ! je noie. Confiteor. Un petit mot de testament, frère Jean, mon père ; monsieur l’abstracteur, mon ami, mon Achates, Xénomanes, mon tout. Hélas ! je noie, deux mots de testament. Tenez ici sur ce transpontin. »


CONTINUATION DE LA TEMPÊTE ET BREF DISCOURS SUR TESTAMENTS FAITS EN MER.

« Faire testament, dit Épistémon, à cette heure qu’il nous convient évertuer et secourir notre chiourme sur[404] peine de faire naufrage, me semble acte autant importun et mal à propos comme celui des Lancespesades[405] et mignons de César entrant en Gaule, lesquels s’amusaient à faire testaments et codicilles, lamentaient leur fortune, pleuraient l’absence de leurs femmes et amis romains, lorsque, par nécessité, leur convenait courir aux armes et soi évertuer contre Ariovistus, leur ennemi. C’est sottise telle que du charretier, lequel sa charrette versée par un retouble[406], à genoux implorait l’aide d’Hercules et n’aiguillonnait ses bœufs et ne mettait la main pour soulever les roues. De quoi vous servira ici faire testament ? Car, ou nous évaderons[407] ce danger, ou nous serons noyés. Si évadons, il ne vous servira de rien : testaments ne sont valables ni autorisés sinon par mort des testateurs. Si sommes noyés, ne noiera-t-il pas comme nous ? qui le portera aux exécuteurs ?

— Quelque bonne vague, répondit Panurge, le jettera à bord comme fit Ulyxes, et quelque fille de roi, allant à l’ébat sur le serein, le rencontrera, puis le fera très bien exécuter, et près le rivage me fera ériger quelque magnifique cénotaphe, comme fit Dido à son mari Sychée, Énéas à Déiphobus sur le rivage de Troie, près Rhoète, Andromaque à Hector en la cité de Butrot, Aristotèles à Hermias et Eubulus, les Athéniens au poète Euripides, les Romains à Drusus en Germanie et à Alexandre Sévère, leur empereur, en Gaule, Argentier à Callaischre, Xénocrite à Lysidices, Timares à son fils Théleutagores, Eupolices et Aristodice à leur fila Théotime, Oneste à Timocles, Callimache à Sopolis, fils de Dioclides, Catulle à son frère, Statius à son père, Germain de Brie à Hervé, le nocher breton.

— Rêves-tu ? dit frère Jean. Aide ici, de par cinq cents mille millions de charretées de diables, aide. Que le cancre te puisse venir aux moustaches et trois razes d’angonnages[408] pour te faire un haut-de-chausses et nouvelle braguette ! Notre nef est-elle encarrée[409] ? Vertu Dieu, comment la remorquerons-nous ? Que tous les diables de coup de mer voici ! Nous n’échapperons jamais, ou je me donne à tous les diables. »

Alors fut ouïe une piteuse[410] exclamation de Pantagruel disant à haute voix : « Seigneur Dieu, sauve-nous, nous périssons. Non toutefois advienne selon nos affections[411], mais ta sainte volonté soit faite.

— Dieu, dit Panurge, et la benoîte Vierge soient avec nous ! Holas, holas ! je noie. Bebebebous, bebe bous, bous. In manus. Vrai Dieu, envoie-moi quelque dauphin pour me sauver en terre, comme un beau petit Arion. Je sonnerai bien de la harpe, si elle n’est démanchée.

— Je me donne à tous les diables, dit frère Jean (Dieu soit avec nous, disait Panurge entre les dents), si je descends là, je te montrerai par évidence que tes couillons pendent au cul d’un veau coquart, cornard, écorné. Mgnan, mgnan, mgnan ! Viens ici nous aider, grand veau pleurard, de par trente millions de diables qui te sautent au corps ! Viendras-tu, ô veau marin ? Fi, qu’il est laid le pleurard !

— Vous ne dites autre chose.

— Çà, joyeux tiroir[412] en avant, que je vous épluche à contrepoil. Beatus vir qui non abiit. Je sais tout ceci par cœur. Voyons la légende de monsieur saint Nicolas :

Horrida tempestas montem turbavit acutum.


Tempête fut un grand fouetteur d’écoliers au collège de Montaigu. Si, par fouetter pauvres petits enfants, écoliers innocents, les pédagogues sont damnés, il est, sur mon honneur, en la roue d’Ixion, fouettant le chien courtaud qui l’ébranlé : s’ils sont par enfants innocents fouetter sauvés, il doit être au-dessus des… »


FIN DE LA TEMPÊTE.

« Terre, terre, s’écria Pantagruel, je vois terre ! Enfants, courage de brebis ! Nous ne sommes pas loin de port. Je vois le ciel, du côté de la Transmontane[413] qui commence s’éparer[414]. Avisez à Siroch.

— Courage, enfants, dit le pilote, le courant est refoncé[415]. Au trinquet de gabie[416]. Inse, inse[417]. Aux boulingues de contreméjane[418]. Le câble au cabestan. Vire, vire, vire. La main à l’insail[419]. Inse, inse, inse. Plante le heaume[420]. Tiens fort à garant[421]. Pare les couets[422]. Pare les écoutes. Pare les bolines[423]. Amure bâbord. Le heaume sous le vent. Casse[424] écoute de tribord, fils de putain. (Tu es bien aise, homme de bien, dit frère Jean au matelot, d’entendre nouvelles de ta mère). Viens du lof ! Près et plein ! Haut la barre. (Haute est, répondaient les matelots). Taille vie[425], le cap au seuil[426]. Malettes[427], hau ! que l’on coue bonnette[428]. Inse, inse.

— C’est bien dit et avisé, disait frère Jean. Sus, sus, sus, enfants, diligentement. Bon. Inse, inse.

— À poge[429].

— C’est bien dit et avisé. L’orage me semble critiquer[430] et finir ès bonne heure. Loué soit Dieu pourtant. Nos diables commencent escamper dehinc[431].

— Mole[432] !

— C’est bien et doctement parlé. Mole, mole ! Ici, de par Dieu, gentil Ponocrates, puissant ribaud ! Il ne fera qu’enfants mâles, le paillard. Eusthènes, galant homme, au trinquet de prore[433] !

— Inse, inse.

— C’est bien dit. Inse ! de par Dieu, inse, inse. Je n’en daignerais rien craindre.

Je n’en daignerais rien craindre,
Car le jour est fériau[434],
Nau, Nau, Nau !

— Cetui celeume[435], dit Épistémon, n’est hors de propos et me plaît, car le jour est fériau.

— Inse, inse, bon !

— Ô ! s’écria Épistémon, je vous commande tous bien espérer. Je vois ça Castor à dextre.

— Be, be, bous, bous, bous, dit Panurge, j’ai grand peur que soit Hélène la paillarde.

— C’est vraiment, répondit Épistémon, Mixarchagevas, si plus te plaît la dénomination des Argives. Haye, haye[436], je vois terre, je vois port, je vois grand nombre de gens sur le havre. Je vois du feu sur un obéliscolychnie[437].

— Haye, haye, dit le pilote, double le cap et les basses.

— Doublé est, répondaient les matelots.

— Elle s’en va, dit le pilote : aussi vont celles de convoi. Aide au bon temps.

— Saint Jean, dit Panurge, c’est parlé cela. Ô le beau mot.

— Mgna, mgna, mgna, dit frère Jean, si tu en tâtes goutte, que le diable me tâte. Entends-tu, couillu au diable ? Tenez, mon amé, plein tanquart[438] du fin meilleur. Apporte les frizons[439], hau, Gymnaste, et ce grand mâtin de pâté jambique ou jambonique, ce m’est tout un. Gardez de donner à travers.

— Courage, s’écria Pantagruel, courage, enfants. Soyons courtois. Voyez ci près notre nef deux luts, trois flouins, cinq chippes, huit volontaires[440], quatre gondoles et six frégates, par les bonnes gens de cette prochaine île envoyés à notre secours. Mais qui est cetui Ucalegon là-bas qui ainsi crie et se déconforte ? Ne tenais-je l’arbre[441] sûrement des mains et plus droit que ne feraient deux cents gumènes[442] ?

— C’est, répondit frère Jean, le pauvre diable de Panurge, qui a fièvre de veau. Il tremble de peur quand il est saoul.

— Si, dit Pantagruel, peur il a eu durant ce colle[443] horrible et périlleux fortunal[444], pourvu qu’au reste il se fût évertué, je ne l’en estime un pelet[445] moins. Car comme craindre en tout heurt est indice de gros et lâche cœur, ainsi comme faisait Agamemnon et pour cette cause le disait Achilles en ses reproches ignominieusement avoir œils de chien et cœur de cerf, aussi ne craindre quand le cas est évidemment redoutable, est signe de peu ou faute d’appréhension. Or, si chose est en cette vie à craindre, après l’offense de Dieu, je ne veux dire que soit la mort. Je ne veux entrer en la dispute de Socrates et des académiques, mort n’être de soi mauvaise, mort n’être de soi à craindre. Je dis cette espèce de mort par naufrage être ou rien n’être à craindre, car, comme est la sentence d’Homère, chose grave, abhorrente[446] et dénaturée est périr en mer. De fait, Énéas, en la tempête de laquelle fut le convoi de ses navires, près Sicile surpris, regrettait n’être mort de la main du fort Diomèdes, et disait ceux être trois ou quatre fois heureux qui étaient morts en la conflagration de Troie. Il n’est céans mort personne : Dieu servateur[447] en soit éternellement loué ! Mais vraiment voici un ménage assez mal en ordre. Bien. Il nous faudra réparer ce bris. Gardez que ne donnons par terre. »


COMMENT, LA TEMPÊTE FINIE, PANURGE FAIT LE BON COMPAGNON.

« Ha. ha, s’écria Panurge, tout va bien. L’orage est passé. Je vous prie, de grâce, que je descende le premier. Je voudrais fort aller un peu à mes aûaires. Vous aiderai-je encore là ? Baillez que je vrillonne[448] cette corde. J’ai du courage prou[449], voire, de peur bien peu. Baillez ça, mon ami. Non, non, pas maille de crainte. Vrai est que cette vague décumane[450], laquelle donna de proue en poupe, m’a un peu l’artère altéré.

— Voile bas !

— C’est bien dit. Comment, vous ne faites rien, frère Jean ? Est-il bien temps de boire à cette heure ? Que savons-nous si l’estafîer de saint Martin nous brasse encore quelque nouvel orage ? Vous irai-je encore aider de là ? Vertu guoi ! je me repens bien, mais c’est à tard, que n’ai suivi la doctrine des bons philosophes, qui disent soi pourmener[451] près la mer et naviguer près la terre être chose moult sûre et délectable, comme aller à pied quand l’on tient son cheval par la bride. Ha, ha, ha, par Dieu, tout va bien. Vous aiderai-je encore là ? Baillez-ça, je ferai bien cela, ou le diable y sera. »

Épistémon avait une main toute au dedans écorchée et sanglante, pour avoir en violence grande retenu une des gumènes[452], et, entendant le discours de Pantagruel, dit : « Croyez, seigneur, que j’ai eu de peur et de frayeur non moins que Panurge. Mais quoi ? Je ne me suis épargné au secours. Je considère que si vraiment mourir est (comme est) de nécessité fatale et inévitable, en telle heure ou telle heure, en telle ou telle façon mourir est en la sainte volonté de Dieu. Pourtant[453] icelui faut incessamment implorer, invoquer, prier, requérir, supplier. Mais là ne faut faire but et borne. De notre part, convient pareillement nous évertuer, et, comme dit le saint Envoyé, être coopéra teurs avec lui. Vous savez que dit C. Flaminius, consul, lorsque, par l’astuce d’Annibal, il fut resserré près le lac de Péruse, dit Thrasymène : « Enfants, dit-il à ses soudards, d’ici sortir ne vous faut espérer par vœux et imploration des dieux. Par force et vertu il nous convient évader et à fil d’épée chemin faire par le milieu des ennemis. » Pareillement, en Salluste, l’aide (dit M. Portius Cato) des dieux n’est impétrée[454] par vœux ocieux[455] par lamentations mulièbres[456]. En veillant, travaillant, soi évertuant, toutes choses succèdent à souhait[457] et bon port. Si, en nécessité et danger, est l’homme négligent, éviré[458] et paresseux, sans propos il implore les dieux. Ils sont irrités et indignés.

— Je me donne au diable, dit frère Jean (j’en suis de moitié, dit Panurge), si le clos de Seuillé ne fût tout vendangé et détruit si je n’eusse que chanté Contra hostium insidias (matière de bréviaire), comme faisaient les autres diables de moines, sans secourir la vigne à coups de bâton de la croix contre les pillards de Lerné.

— Vogue la galère, dit Panurge, tout va bien. Frère Jean ne fait rien là. Il s’appelle frère Jean fait néant, et me regarde ici suant et travaillant pour aider cetui homme de bien, matelot premier de ce nom. Notre amé, ho ! Deux mots, mais que je ne vous fâche. De quante[459] épaisseur sont les ais de cette nef ?

— Elles sont, répondit le pilote, de deux bons doigts épaisses, n’ayez peur.

— Vertu Dieu ! dit Panurge, nous sommes donc continuellement à deux doigts près de la mort. Est-ce ci une des neuf joies de mariage ? Ha ! notre amé, vous faites bien mesurant le péril à l’aune de peur. Je n’en ai point, quant est de moi, je m’appelle Guillaume sans peur. De courage, tant et plus. Je n’entends courage de brebis, je dis courage de loup, assurance de meurtrier, et ne crains rien que les dangers. »


COMMENT, PAR FRÈRE JEAN, PANURGE EST DÉCLARÉ AVOIR EU PEUR SANS CAUSE PENDANT L’ORAGE.

« Bonjour, messieurs, dit Panurge, bonjour trestous. Vous vous portez bien trestous ? Dieu merci, et vous ? Vous soyez les bien et à propos venus. Descendons. Hespailliers[460], hau, jetez le pontal[461], approche cetui esquif. Vous aiderai-je encore là ? Je suis allouvi[462] et affamé de bien faire et travailler comme quatre bœufs. Vraiment voici un beau lieu et bonnes gens. Enfants, avez-vous encore affaire de mon aide ? N’épargnez la sueur de mon corps, pour l’amour de Dieu. Adam, c’est l’homme, naquit pour labourer et travailler, comme l’oiseau pour voler. Notre Seigneur veut, entendez-vous bien ? que nous mangeons notre pain en la sueur de nos corps, non pas rien ne faisant, comme ce penaillon[463] de moine que voyez, frère Jean, qui boit et meurt de peur. Voici beau temps. À cette heure connais-je la réponse d’Anacharsis le noble philosophe être véritable et bien en raison fondée, quand il, interrogé quelle navire lui semblait la plus sûre, répondit : « Celle qui serait on[464] port. »

— Encore mieux, dit Pantagruel, quand il, interrogé desquels plus grand était le nombre des morts ou des vivants, demanda : « Entre lesquels comptez-vous ceux qui naviguent sur mer ? » Subtilement signifiant que ceux qui sur mer naviguent tant près sont du continuel danger de mort qu’ils vivent mourants et meurent vivants.

« Ainsi Portius Cato disait de trois choses seulement soi repentir. Savoir est s’il avait jamais son secret à femme révélé, si en oisiveté jamais avait un jour passé, et si par mer il avait pérégriné en lieu autrement accessible par terre.

— Par le digne froc que je porte, dit frère Jean à Panurge, couillon mon ami, durant la tempête tu as eu peur sans cause et sans raison, car tes destinées fatales ne sont à périr en eau. Tu seras haut en l’air certainement pendu, ou brûlé gaillard[465] comme un père. Seigneur, voulez-vous un bon gaban[466] contre la pluie ? Laissez-moi ces manteaux de loup et de bedouau[467]. Faites écorcher Panurge et de sa peau couvrez-vous. N’approchez pas du feu et ne passez par devant les forges des maréchaux. De par Dieu ! en un moment, vous la verriez en cendres. Mais à la pluie exposez-vous tant que voudrez, à la neige et à la grêle. Voire, par Dieu, jetez-vous au plonge dedans le profond de l’eau ; jà ne serez pourtant mouillé. Faites en bottes d’hiver, jamais ne prendront eau. Faites-en des nasses pour apprendre les jeunes gens à nager ; ils apprendront sans danger.

— Sa peau donc, dit Pantagruel, serait comme l’herbe dite cheveu de Vénus, laquelle jamais n’est mouillée ni remoitie[468] toujours est sèche, encore qu’elle fût on[469] profond de l’eau tant que voudrez ; pourtant[470] est dite adiantos[471].

— Panurge, mon ami, dit frère Jean, n’aie jamais peur de l’eau, je t’en prie. Par élément contraire sera ta vie terminée.

— Voire, répondit Panurge, mais les cuisiniers des diables rêvent quelquefois et errent en leur office, et mettent souvent bouillir ce qu’on destinait pour rôtir, comme en la cuisine de céans les maîtres queux souvent lardent perdrix, ramiers et bizets[472], en intention (comme est vraisemblable) de les mettre rôtir. Advient toutefois que les perdrix aux choux, les ramiers aux pourreaux et les bizets ils mettent bouillir aux naveaux.

« Écoutez, beaux amis. Je proteste devant la noble compagnie que, de la chapelle vouée à monsieur saint Nicolas entre Cande et Montsoreau, j’entends que sera une chapelle d’eau rose, en laquelle ne paîtra vache ni veau, car je la jetterai au fond de l’eau.

— Voilà, dit Eusthènes, le galant. Voilà le galant, galant et demi ! C’est vérifié le proverbe lombardique :

Passato el pericolo, gabato el santo.

COMMENT APRÈS LA TEMPÊTE PANTAGRUEL DESCENDIT ÈS ÎLES DES MACRÉONS.


Sur l’instant nous descendîmes au port d’une île laquelle on nommait l’île des Macréons. Les bonnes gens du lieu nous reçurent honorablement. Un vieil Macrobe (ainsi nommaient-ils leur maître échevin) voulait mener Pantagruel en la maison commune de la ville, pour soi rafraîchir à son aise et prendre sa réfection ; mais il ne voulut partir du môle que tous ses gens ne fussent en terre. Après les avoir reconnus, commanda chacun être mué de vêtements et toutes les munitions des nefs être en terre exposées, à ce que[473] toutes les chiourmes[474] fissent chère lie. Ce que fut incontinent fait. Et Dieu sait comment il y eut bu et gallé[475] ! Tout le peuple du lieu apportait vivres en abondance. Les Pantagruélistes leur en donnaient davantage. Vrai est que leurs provisions étaient aucunement endommagées par la tempête précédente. Le repas fini, Pantagruel pria un chacun soi mettre en office et devoir pour réparer le bris. Ce que firent et de bon hait[476]. La réparation leur était facile, parce que tout le peuple de l’île étaient charpentiers et tous artisans tels que voyez en l’arsenal de Venise. Et l’île grande seulement était habitée en trois ports et dix paroisses : le reste était bois de haute futaie et désert, comme si fût la forêt d’Ardenne.

À notre instance, le vieil Macrobe montra ce qu’était spectable[477] et insigne en l’île, et, par la forêt ombrageuse et déserte, découvrit plusieurs temples ruinés, plusieurs obélisques, pyramides, monuments et sépulcres antiques, avec inscriptions et épitaphes divers, les uns en lettres hiéroglyphiques, les autres en langage ionique, les autres en langue arabique, agarène[478], slavonique, et autres, desquels Épistémon fit extrait curieusement. Cependant Panurge dit à frère Jean : « Ici est l’île des Macréons. Macréon en grec signifie vieillard, homme qui a des ans beaucoup.

— Que veux-tu, dit frère Jean, que j’en fasse ? Veux-tu que je m’en défasse ? Je n’étais mie on pays lorsque ainsi fut baptisée.

— À propos, répondit Panurge, je crois que le nom de maquerelle en est extrait, car maquerellage ne compète[479] qu’aux vieilles : aux jeunes compète culetage. Pourtant serait-ce à penser qu’ici fut l’île Maquerelle, original et prototype de celle qui est à Paris. Allons pêcher des huîtres en écaille. »

Le vieil Macrobe, en langage ionique, demandait à Pantagruel comment et par quelle industrie et labeur était abordé à leur port celle journée, en laquelle avait été troublement de l’air et tempête de mer tant horrifique. Pantagruel lui répondit que le haut Servateur[480] avait eu égard à la simplicité et sincère affection de ses gens, lesquels ne voyageaient pour gain ne trafic de marchandise. Une et seule cause les avait en mer mis, savoir est studieux désir de voir, apprendre, connaître, visiter l’oracle de Bacbuc et avoir le mot de la Bouteille, sur quelques difficultés proposées par quelqu’un de la compagnie. Toutefois, ce n’avait été sans grande affliction et danger évident de naufrage. Puis lui demanda quelle cause lui semblait être de cetui épouvantable fortunal[481], et si les mers adjacentes d’icelle île étaient ainsi ordinairement sujettes à tempête, comme, en la mer Océane, sont les raz[482] de Sanmaieu[483], Maumusson, et, en la mer Méditerranée, le gouffre de Satalie, Montargentan, Plombin, Capo Mélio en Laconie, l’étroit[484] de Gibraltar, le phare de Messine et autres.


COMMENT LE BON MACROBE RACONTE À PANTAGRUEL LE MANOIR[485] ET DISCESSION[486] DES HÉROS.

Adonc, répondit le bon Macrobe : « Amis pérégrins[487], ici est une des îles Sporades, non de vos Sporades qui sont en la mer Carpathie, mais des Sporades de l’Océan, jadis riche, fréquente[488], opulente, marchande, populeuse et sujette du dominateur de Bretagne, maintenant, par laps de temps et sur la déclination du monde[489], pauvre et déserte comme voyez.

« En cette obscure forêt que voyez, longue et ample plus de soixante et dix-huit mille parasanges[490], est l’habitation des démons et héros, lesquels sont devenus vieux, et croyons, plus ne luisant le comète présentement lequel nous apparut par trois entiers jours précédents, que hier en soit mort quelqu’un, au trépas duquel soit excitée celle horrible tempête que avez pâti ; car, eux vivants, tout bien abonde en ce lieu et autres îles voisines, et, en mer, est bonache[491] et sérénité continuelle. Au trépas d’un chacun d’iceux, ordinairement oyons-nous par la forêt grandes et pitoyables lamentations, et voyons en terre pestes, vimères[492] et afflictions, en l’air troublements et ténèbres, en mer, tempête et fortunal[493].

— Il y a, dit Pantagruel, de l’apparence en ce que dites. Car, comme la torche ou la chandelle, tout le temps qu’elle est vivante et ardente, luit ès assistants, éclaire tout autour, délecte un chacun, et à chacun expose son service et sa clarté, ne fait mal ne déplaisir à personne, sur l’instant qu’elle est éteinte, par sa fumée et évaporation elle infectionne l’air, elle nuit ès assistants et à un chacun déplaît. Ainsi est-il de ces âmes nobles et insignes. Tout le temps qu’elles habitent leurs corps, est leur demeure pacifique, utile, délectable, honorable ; sur l’heure de leur discession[494], communément adviennent par les îles et continents grands troublements en l’air, ténèbres, foudres, grêles ; en terre, concussions, tremblements, étonnements[495] ; en mer fortunal et tempête, avec lamentations des peuples, mutations des religions, transports des royaumes et éversions des républiques[496].

— Nous, dit Épistémon, en avons naguère vu l’expérience on[497] décès du preux et docte chevalier Guillaume du Bellay, lequel vivant, France était en telle félicité que tout le monde avait sur elle envie, tout le monde s’y ralliait, tout le monde la redoutait. Soudain, après son trépas, elle a été en mépris de tout ; le monde bien longuement.

— Ainsi, dit Pantagruel, mort Anchise à Drépani en Sicile, la tempête donna terrible vexation à Ænéas. C’est par aventure la cause pourquoi Hérodes, le tyran et cruel roi de Judée, soi voyant près de mort horrible et épouvantable en nature (car il mourut d’une phtiriasis, mangé des verms[498] et des poux, comme paravant étaient morts L. Sylla, Phérécydes Syrien, précepteur de Pythagoras, le poète grégeois Alcman et autres), et prévoyant qu’après sa mort les Juifs feraient feux de joie, fit en son sérail, de toutes les villes, bourgades, et châteaux de Judée, tous les nobles et magistrats convenir[499], sous couleur et occasion fraudulente[500] de leur vouloir choses d’importance communiquer pour le régime et tuition[501] de la province. Iceux venus et comparants en personnes, fit en l’hippodrome du sérail resserrer. Puis dit à sa sœur Salomé et à son mari Alexandre : « Je suis assuré que de ma mort les Juifs se réjouiront, mais, si entendre voulez et exécuter ce que vous dirai, mes exèques[502] seront honorables, et y sera lamentation publique. Sur l’instant que serai trépassé, faites, par les archers de ma garde, esquels j’en ai expresse commission donné, tuer tous ces nobles et magistrats qui sont céans resserrés. Ainsi faisants, toute Judée malgré soi en deuil et lamentation sera, et semblera ès étrangers que ce soit à cause de mon trépas, comme si quelque âme héroïque fut décédée. »

« Autant en affectait un désespéré[503] tyran, quand il dit : « Moi mourant, la terre soit avec le feu mêlée », c’est-à-dire périsse tout le monde. Lequel mot Néron le truand changea, disant : « Moi vivant », comme atteste Suétone. Cette détestable parole, de laquelle parlent Cicero, lib. 3, de Finibus, et Sénèque, lib. 2, de Clémence, est par Dion Nicéus et Suidas attribuée à l’empereur Tibère. »


COMMENT PANTAGRUEL RAISONNE SUR LA DISCESSION[504] DES ÂMES HÉROÏQUES ET DES PRODIGES HORRIFIQUES QUI PRÉCÉDÈRENT LE TRÉPAS DU FEU SEIGNEUR DE LANGEY.

« Je ne voudrais, dit Pantagruel continuant, n’avoir pâti la tourmente marine laquelle tant nous a vexés et travaillés, pour non entendre ce que nous dit ce bon Macrobe. Encore suis-je facilement induit a croire ce qu’il nous a dit du comète vu en l’air par certains jours précédants telle discession, car aucunes telles âmes tant sont nobles, précieuses et héroïques, que, de leur délogement et trépas, nous est certains jours d’avant donnée signification des cieux. Et, comme le prudent médecin, voyant par les signes pronostiques son malade entrer en décours[505] de mort, par quelques jours d’avant avertit les femme, enfants, parents et amis, du décès imminent du mari, père ou prochain, afin qu’en ce reste de temps qu’il a de vivre, ils l’admonestent donner ordre à sa maison, exhorter et bénistre[506] ses enfants, recommander la viduité de sa femme, déclarer ce qu’il saura être nécessaire à l’entretènement des pupilles, et ne soit de mort surpris sans tester et ordonner de son âme et de sa maison, semblablement les cieux bénévoles, comme joyeux de la nouvelle réception de ces béates âmes, avant leur décès semblent faire feux de joie par tels comètes et apparitions météores, lesquelles veulent les cieux être aux humains pour pronostic certain et véridique prédiction que, dedans peu de jours, telles vénérables âmes laisseront leurs corps et la terre.

« Ne plus ne moins que jadis en Athènes, les juges aréopagites ballottants pour le jugement des criminels prisonniers, usaient de certaines notes selon la variété des sentences, par Θ signifiants condamnation à mort, par Τ, absolution, par Λ, ampliation, savoir est quand le cas n’était encore liquidé. Icelles, publiquement exposées, étaient d’émoi et pensement[507] les parents, amis et autres, curieux d’entendre quelle serait l’issue et jugement des malfaiteurs détenus en prison. Ainsi, par tels comètes, comme par notes éthérées, disent les cieux tacitement : « Hommes mortels, si de cettes heureuses âmes voulez chose aucune savoir, apprendre, entendre, connaître, prévoir, touchant le bien et utilité publique ou privée, faites diligence de vous représenter à elles et d’elles réponse avoir, car la fin et catastrophe de la comédie approche. Iceîle passée, en vain vous les regretterez.

« Font davantage. C’est que, pour déclarer la terre et gens terriens n’être dignes de la présence, compagnie et fruition[508] de telles insignes âmes, l’étonnent[509] et épouvantent par prodiges, portentes[510], monstres et autres précédents signes formés contre tout ordre de nature. Ce que vîmes plusieurs jours avant le département[511] de celle tant illustre, généreuse et héroïque âme du docte et preux chevalier de Langey, duquel vous avez parlé.

— Il m’en souvient, dit Épistémon, et encore me frissonne et tremble le cœur dedans sa capsule quand je pense ès prodiges tant divers et horrifiques lesquels vîmes apertement[512] cinq et six jours avant son départ. De mode que les seigneurs d’Assier, Chemant, Mailly le borgne, Saint-Ayl, Villeneuve-la-Guyard maître Gabriel, médecin de Savillan[513], Rabelais, Cohuau, Massuau, Majorici, Bullou, Cercu dit Bourgmestre, François Proust, Ferron, Charles Girad, François Bourré, et tant d’autres, amis, domestiques et serviteurs du défunt, tous effrayés, se regardaient les uns les autres en silence, sans mot dire de bouche, mais bien tous pensants et prévoyants en leurs entendements que de bref serait France privée d’un tant parfait et nécessaire chevalier à sa gloire et protection, et que les cieux le répétaient comme à eux dû par propriété naturelle.

— Huppe de froc, dit frère Jean, je veux devenir clerc sur mes vieux jours. J’ai assez belle entendoire, voire. Je vous le demande en demandant, comme le roi à son sergent, et la reine à son enfant, ces héros ici et semi-dieux desquels avez parlé peuvent-ils par mort finir ? Par Nettre Dène[514], je pensais en pensarais qu’ils fussent immortels, comme beaux anges, Dieu veuille me le pardonner. Mais ce révérendissime Macrobe dit qu’ils meurent finablement.

— Non tous, répondit Pantagruel. Les stoïciens les disaient tous être mortels, un excepté, qui seul est immortel, impassible, invisible.

« Pindarus apertement dit ès déesses hamadryades plus de fil, c’est-à-dire plus de vie n’être filé de la quenouille et filasse des Destinées et Parques iniques que ès arbres par elles conservés. Ce sont chênes desquels elles naquirent selon l’opinion de Callimachus et de Pausanias, in Phoci, esquels consent Martianus Capella. Quant aux semi-dieux, panes[515], satyres, sylvains, follets, égipanes, nymphes, héros et démons, plusieurs ont, par la somme totale résultante des âges divers supputés par Hésiode, compté leur vie être de 9,720 ans, nombre composé d’unité passante en quadrinité[516] et la quadrinité entière quatre fois en soi doublée, puis le tout cinq fois multiplié par solides triangles. Voyez Plutarque on[517] livre de la Cessation des oracles.

— Cela, dit frère Jean, n’est point matière de bréviaire. Je n’en crois sinon ce que vous plaira.

— Je crois, dit Pantagruel, que toutes âmes intellectives sont exemptes des ciseaux d’Atropos. Toutes sont immortelles, anges, démons et humaines. Je vous dirai toutefois une histoire bien étrange, mais écrite et assurée par plusieurs doctes et savants historiographes, à ce propos. »


COMMENT PANTAGRUEL RACONTE UNE PITOYABLE HISTOIRE TOUCHANT LE TRÉPAS DES HÉROS.

« Épitherses, père d’Æmilian, rhéteur, naviguant de Grèce en Italie dedans une nef chargée de diverses marchandises et plusieurs voyagers, sur le soir, cessant le vent auprès des îles Échinades, lesquelles sont entre la Morée et Tunis, fut leur nef portée près de Paxes. Étant là abordée, aucuns[518] des voyagers dormants, autres veillants, autres buvants et soupants, fut de l’île de Paxes ouïe une voix de quelqu’un qui hautement appelait « Thamoun », Auquel cri tous furent épouvantés. Cetui Thamoun était leur pilote natif d’Égypte, mais non connu de nom, fors à quelques-uns des voyagers. Fut secondement ouïe cette voix, laquelle appelait « Thamoun » en cris horrifiques. Personne ne répondant, mais tous restants en silence et trépidation, en tierce fois cette voix fut ouïe plus terrible que devant. Dont advint que Thamous répondit : « Je suis ici, que me demandes-tu ? que veux-tu que je fasse ? » Lors fut icelle voix plus hautement ouïe, lui disant et commandant, quand il serait en Palodes, publier et dire que Pan, le grand dieu, était mort. Cette parole entendue, disait Épitherses, tous les nochers et voyagers s’être ébahis et grandement effrayés, et entre eux délibérants quel serait meilleur ou taire ou publier ce qu’avait été commandé, dit Thamous son avis être, advenant que lors ils eussent vent en poupe, passer outre sans mot dire, advenant qu’il fût calme en mer, signifier ce qu’il avait ouï. Quand donc furent près Palodes, advint qu’ils n’eurent ni vent ni courant. Adonc Thamous montant en prore[519], et en terre projetant sa vue, dit, ainsi que lui était commandé, que Pan le grand était mort. Il n’avait encore achevé le dernier mot, quand furent entendus grands soupirs, grandes Lamentations et effrois en terre, non d’une personne seule, mais de plusieurs ensemble. Cette nouvelle (parce que plusieurs avaient été présents) fut bientôt divulguée en Rome, et envoya Tibère César, lors empereur en Rome, quérir cetui Thamous, et, l’avoir[520] entendu parler, ajouta foi à ses paroles, et se guémentant[521] ès gens doctes, qui pour lors étaient en sa cour et en Rome en bon nombre, qui était cetui Pan, trou a par leur rapport qu’il avait été fils de Mercure et de Pénélope. Ainsi auparavant l’avaient écrit Hérodote, et Cicéron on[522] tiers livre De la Nature des dieux. Toutefois je l’interpréterais de celui grand Servateur[523] des fidèles, qui fut en Judée ignominieusement occis par l’envie et iniquité des pontifes, docteurs, prêtres et moines de la loi mosaïque, et ne me semble l’interprétation abhorrente[524], car à bon droit peut-il être en langage grégeois[525] dit Pan, vu qu’il est le nôtre. Tout, tout ce que sommes, tout ce que vivons, tout ce qu’avons, tout ce qu’espérons est lui, en lui, de lui, par lui. C’est le bon Pan, le grand pasteur qui, comme atteste le berger passionné Corydon, non seulement a en amour et affection ses brebis, mais aussi ses bergers, à la mort duquel furent plaintes, soupirs, effrois et lamentations en toute la machine de l’univers, cieux, terre, mer, enfers. À cette mienne interprétation compète[526] le temps, car cetui très bon, très grand Pan, notre unique Servateur, mourut lez Jérusalem, régnant en Rome Tibère César. »

Pantagruel, ce propos fini, resta en silence et profonde contemplation. Peu de temps après, nous vîmes les larmes découler de ses œils grosses comme œufs d’autruche. Je me donne à Dieu si j’en mens d’un seul mot.


COMMENT PANTAGRUEL PASSA L’ÎLE DE TAPINOIS, EN LAQUELLE RÉGNAIT CARÊMEPRENANT.

Les nefs du joyeux convoi refaites et réparées, les victuailles rafraîchies, les Macréons plus que contents et satisfaits de la dépense qu’y avait fait Pantagruel, nos gens plus joyeux que de coutume, au jour subséquent fut voile faite au serein et délicieux aguyon[527], en grande allégresse. Sur le haut du jour fut, par Xénomanes, montré de loin l’île de Tapinois, en laquelle régnait Carêmeprenant, duquel Pantagruel avait autrefois ouï parler, et l’eût volontiers vu en personne, ne fût que Xénomanes l’en découragea, tant pour le grand détour du chemin que pour le maigre passe-temps qu’il dit être en toute l’île et cour du seigneur. « Vous y verrez, disait-il, pour tout potage, un grand avaleur de pois gris, un grand caquerotier[528], un grand preneur de taupes, un grand botteleur de foin, un demi-géant à poil follet et double tonsure, extrait de Lanternois, bien grand lanternier, gonfalonier des Ichtyophages, dictateur de Moutardois, fouetteur de petits enfants, calcineur de cendres, père et nourrisson des médecins, foisonnant en pardons, indulgences et stations, homme de bien, bon catholique et de grande dévotion. Il pleure les trois parts du jour. Jamais ne se trouve aux noces. Vrai est que c’est le plus industrieux faiseur de lardoires et brochettes qui soit en quarante royaumes. Il y a environ six ans que, passant par Tapinois, j’en emportai une grosse, et la donnai aux bouchers de Quande[529]. Ils les estimèrent beaucoup, et non sans cause. Je vous en montrerai à notre retour deux attachées sur le grand portail. Les aliments desquels il se paît sont hauberts salés, casquets, morions salés et salades salées, dont quelquefois pâtit[530] une lourde pisse chaude. Ses habillements sont joyeux, tant en façon comme en couleur, car il porte gris et froid, rien devant et rien derrière, et les manches de même.

— Vous me ferez plaisir, dit Pantagruel, si, comme m’avez exposé ses vêtements, ses aliments, sa manière de faire et ses passe-temps, aussi m’exposez sa forme et corpulence en toutes ses parties.

— Je t’en prie, couillette, dit frère Jean, car je l’ai trouvé dedans mon bréviaire, et s’enfuit après les fêtes mobiles.

— Volontiers, répondit Xénomanes. Nous en ouïrons par aventure plus amplement parler passants l’île Farouche, en laquelle dominent les andouilles farferlues[531], ses ennemies mortelles contre lesquelles il a guerre sempiternelle. Et ne fût l’aide du noble Mardigras, leur protecteur et bon voisin, ce grand lanternier Carêmeprenant les eût jà piéça[532] exterminées de leur manoir.

— Sont-elles, demandait frère Jean, mâles ou femelles, anges ou mortelles, femmes ou pucelles ?

— Elles sont, répondit Xénomanes, femelles en sexe, mortelles en condition, aucunes[533] pucelles, autres non.

— Je me donne au diable, dit frère Jean, si je ne suis pour elles. Quel désordre est-ce en nature, faire guerre contre les femmes ? Retournons. Sacmentons[534] ce grand vilain.

— Combattre Carêmeprenant, dit Panurge, de par tous les diables, je ne suis pas si fol et si hardi ensemble. Quid juris, si nous[535] trouvions enveloppés entre andouilles et Carêmeprenant, entre l’enclume et les marteaux ? Cancre ! ôtez-vous de là. Tirons outre. Adieu, vous dis, Carêmeprenant. Je vous recommande les andouilles, et n’oubliez pas les boudins. »


COMMENT PAR PANTAGRUEL FUT UN MONSTRUEUX PHYSÉTÈRE[536] APERÇU PRÈS L’ÎLE FAROUCHE.

Sur le haut du jour approchants l’île Farouche, Pantagruel de loin aperçut un grand et monstrueux physétère, venant droit vers nous, bruyant, ronflant, enflé, enlevé plus haut que les hunes des nefs et jetant eaux de la gueule en l’air devant soi, comme si fût une grosse rivière tombante de quelque montagne. Pantagruel le montra au pilote et à Xénomanes. Par le conseil du pilote furent sonnées les trompettes de la thalamège[537] en intonation de gare-serre[538]. À cetui son, toutes les nefs, galions, ramberges[539], liburniques[540] (selon qu’était leur discipline navale), se mirent en ordre et figure telle qu’est l’Υ grégeois[541], lettre de Pythagoras, telle que voyez observer par les grues en leur vol, telle qu’est en un angle acut[542], on[543] cône et base de laquelle était ladite thalamège en équipage de vertueusement combattre. Frère Jean on château gaillard monta galant et bien délibéré[544] avec les bombardiers. Panurge commença crier et lamenter plus que jamais. « Babillebabon, disait-il, voici pis qu’antan. Fuyons. C’est, par la mort bœuf, Léviathan décrit par le noble prophète Moses en la vie du saint homme Job. Il nous avalera tous, et gens et nefs, comme pilules. En sa grande gueule infernale nous ne lui tiendrons lieu plus que ferait un grain de dragée musquée en la gueule d’un âne. Voyez-le ci. Fuyons, gagnons terre. Je crois que c’est le propre monstre qui fut jadis destiné pour dévorer Andromède. Nous sommes tous perdus. Ô que pour l’occire présentement fût ici quelque vaillant Perséus !

— Percé jus[545] par moi sera, répondit Pantagruel. N’ayez peur.

— Vertu-Dieu ! dit Panurge, faites que soyons hors les causes de peur. Quand voulez-vous que j’aie peur, sinon quand le danger est évident ?

— Si telle est, dit Pantagruel, votre destinée fatale, comme naguère exposait frère Jean, vous devez peur avoir de Pyrœis, Héoüs, Æthon, Phlégon, célèbres chevaux du soleil flammivomes[546], qui rendent feu par les narines ; des physétères qui ne jettent qu’eau par les ouïes et par la gueule, ne devez peur aucune avoir. Ja[547] par leur eau ne serez en danger de mort. Par cetui élément plus tôt serez garanti et conservé que fâché ni offensé.

— À l’autre, dit Panurge. C’est bien rentré de piques noires. Vertu d’un petit poisson, ne vous ai-je pas assez exposé la transmutation des éléments et le facile symbole qui est entre rôti et bouilli, entre bouilli et rôti ? Halas ! Voi le ci[548]. Je m’en vais cacher là-bas. Nous sommes tous morts à ce coup. Je vois sur la hune Atropos, la félone, avec ses ciseaux de frais émoulus, prête à nous tous couper le filet de vie. Gare ! Voi le ci. Ô que tu es horrible et abominable ! Tu en as bien noyé d’autres, qui ne s’en sont point vantés. Dea[549], s’il jetât vin bon, blanc, vermeil, friand, délicieux, en lieu de cette eau amère, puante, salée, cela serait tolérable aucunement[550], et y serait aucune[551] occasion de patience, à l’exemple de celui milourt[552] anglais, auquel étant fait commandement pour les crimes desquels était convaincu de mourir à son arbitrage, élut mourir noyé dedans un tonneau de Malvoisie. Voi le ci. Ho ! ho ! diable Satanas, Léviathan ! Je ne te peux voir, tant tu es hideux et détestable. Vestz[553] à l’audience, vestz aux chicanous. »


COMMENT PAR PANTAGRUEL FUT DÉFAIT LE MONSTRUEUX PHYSÉTÈRE.

Le physétère, entrant dedans les braies[554] et angles des nefs et galions, jetait eau sur les premiers à pleins tonneaux, comme si fussent les catadupes[555] du Nil en Éthiopie, Dards, dardelles, javelots, épieux, corsecques[556], pertuisanes volaient sur lui de tous côtés. Frère Jean ne s’y épargnait. Panurge mourait de peur. L’artillerie tonnait et foudroyait en diable, et faisait son devoir de le pincer sans rire, mais peu profitait[557], car les gros boulets de fer et de bronze, entrants en sa peau, semblaient fondre, à les voir de loin, comme font les tuiles au soleil. Alors Pantagruel, considérant l’occasion et nécessité, déploie ses bras, et montre ce qu’il savait faire.

Vous dites, et est écrit, que le truand Commodus, empereur de Rome, tant dextrement tirait de l’arc que de bien loin il passait les flèches entre les doigts des jeunes enfants levants la main en l’air, sans aucunement les férir[558]. Vous nous racontez aussi d’un archer indien, on[559] temps qu’Alexandre le Grand conquit Indie, lequel tant était de traire[560] périt[561], que de loin il passait ses flèches par dedans un anneau, quoiqu’elles fussent longues de trois coudées et fût le fer d’icelles tant grand et pesant, qu’il en perçait brands[562] d’acier, boucliers épais, plastrons acérés, tout généralement qu’il touchait, tant ferme, résistant dur et valide fût, que sauriez dire. Vous nous dites aussi merveille de l’industrie des anciens Français, lesquels à tous étaient en l’art sagittaire préférés, et lesquels en chasse de bêtes noires et rousses frottaient le fer de leurs flèches avec ellébore, pour ce que de la venaison ainsi férue[563], la chair plus tendre, friande, salubre et délicieuse était, cernant toutefois et ôtant la partie ainsi atteinte tout autour. Vous faites pareillement narré[564] des Parthes, qui par derrière tiraient plus ingénieusement que ne faisaient les autres nations en face. Aussi célébrez-vous les Scythes en cette dextérité de la part desquels jadis un ambassadeur envoyé à Darius, roi des Perses, lui offrit un oiseau, une grenouille, une souris et cinq flèches sans mot dire. Interrogé que prétendaient tels présents, et s’il avait charge de rien dire, répondit que non. Dont restait Darius tout étonné et hébété en son entendement, ne fut que l’un des sept capitaines qui avaient occis les mages, nommé Gobryes, lui exposa et interpréta, disant : « Par ces dons et offrandes vous disent tacitement les Scythes : Si les Perses comme oiseaux ne volent au ciel, ou comme souris ne se cachent vers le centre de la terre, ou ne se mussent[565] on profond des étangs et palus[566] comme grenouilles, tous seront à perdition mis par la puissance et sagettes[567] des Scythes.

Le noble Pantagruel, en l’art de jeter et darder, était sans comparaison plus admirable, car, avec ses horribles piles[568] et dards (lesquelles proprement ressemblaient aux grosses poutres sur lesquelles sont les ponts de Nantes, Saumur, Bergerac, et à Paris, les ponts au Change et aux Meuniers soutenus en longueur, grosseur, pesanteur et ferrure) de mille pas loin il ouvrait les huîtres en écaille sans toucher les bords, il émouchait une bougie sans l’éteindre, frappait les pies par l’œil, dessemelait les bottes sans les endommager, défourrait les barbutes[569] sans rien gâter, tournait les feuillets du bréviaire de frère Jean l’un après l’autre sans rien dessirer[570]. Avec tels dards, desquels était grande munition dedans sa nef, au premier coup il enferra le physétère sur le front, de mode qu’il lui transperça les deux mâchoires et la langue, si que plus n’ouvrit la gueule, plus ne puisa, plus ne jeta eau. Au second coup il lui creva l’œil droit, au troisième l’œil gauche, et fut vu le physétère, en grande jubilation de tous, porter ces trois cornes au front quelque peu penchantes devant, en figure triangulaire équilatérale, et tournoyer d’un côté et d’autre, chancelant et fourvoyant[571] comme étourdi, aveugle et prochain de mort. De ce non content, Pantagruel lui en darda un autre sur la queue, penchant pareillement en arrière. Puis trois autres sur l’échiné en ligne perpendiculaire, par équale[572] distance de queue et bec trois fois justement compartie[573]. Enfin lui en lança sur les flancs cinquante d’un côté et cinquante de l’autre, de manière que le corps du physétère semblait à la quille d’un galion à trois gabies[574], emmortaisée par compétente dimension de ses poutres, comme si fussent cosses[575] et porte-haubans de la carène. Et était chose moult plaisante à voir. Adonc mourant le physétère, se renversa ventre sur dos, comme font tous poissons morts, et ainsi renversé, les poutres contre bas en mer, ressemblait au scolopendre, serpent ayant cent pieds, comme le décrit le sage ancien Nicander.


COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L’ÎLE FAROUCHE, MANOIR ANTIQUE DES ANDOUILLES.

Les hespailliers[576] de la nef lanternière[577] amenèrent le physétère lié en terre de l’île prochaine, dite Farouche, pour en faire anatomie et recueillir la graisse des rognons, laquelle disaient être fort utile et nécessaire à la guérison de certaine maladie qu’ils nommaient faute d’argent. Pantagruel n’en tint compte, car autres assez pareils, voire encore plus énormes, avait vu en l’océan Gallique. Condescendit toutefois descendre en l’île Farouche pour sécher et rafraîchir aucuns[578] de ses gens mouillés et souillés par le vilain physétère, à un petit port désert vers le midi, situé lez une touche[579] de bois haute, belle et plaisante, de laquelle sortait un délicieux ruisseau d’eau douce, claire et argentine. Là, dessous belles tentes, furent les cuisines dressées, sans épargne de bois. Chacun mué de vêtements à son plaisir, fut par frère Jean la campanelle[580] sonnée. Au son d’icelle furent les tables dressées et promptement servies.

Pantagruel, dînant avec ses gens joyeusement, sur l’apport de la seconde table, aperçut certaines petites andouilles affétées[581] gravir et monter sans mot sonner sur un haut arbre près le retrait du gobelet[582]. Si[583] demanda à Xénomanes : « Quelles bêtes sont-ce là ? » pensant que fussent écurieux[584], belettes, martres ou hermines. « Ce sont andouilles, repondit Xénomanes. Ici est l’île Farouche de laquelle je vous parlais à ce matin. Entre lesquelles et Carêmeprenant, leur malin et antique ennemi, est guerre mortelle de longtemps. Et crois que par les canonnades tirées contre le physétère aient eu quelque frayeur et doutance[585] que leur dit ennemi ici fût avec ses forces pour les surprendre, ou faire le gât[586] parmi cette leur île, comme jà plusieurs fois s’était en vain efforcé, et à peu de profit, obstant[587] le soin et vigilance des andouilles, lesquelles, comme disait Dido aux compagnons d’Ænéas voulant prendre port en Carthage sans son su et licence, la malignité de leur ennemi et vicinité[588] de ses terres contraignaient soi continuellement contregarder et veiller.

— Dea[589], bel ami, dit Pantagruel, si voyez que par quelque honnête moyen puissions fin à cette guerre mettre, et ensemble les réconcilier, donnez-m’en avis. Je m’y emploierai de bien bon cœur, et n’y épargnerai du mien pour contempérer[590] et amodier les conditions controverses entre les deux parties.

— Possible n’est pour le présent, répondit Xénomanes. Il y a environ quatre ans que, passant par ci et Tapinois, je me mis en devoir de traiter paix entre eux, ou longues trêves pour le moins, et ores[591] fussent bons amis et voisins, si tant l’un comme les autres soi fussent dépouillées de leurs affections[592] en un seul article. Carêmeprenant ne voulait on[593] traité de paix comprendre les boudins sauvages, ni les saucissons montigènes[594], leurs anciens bons compères et confédérés. Les andouilles requéraient que la forteresse de Caque fût, par leur discrétion, comme est le château de Saloir, régie et gouvernée, et que d’icelle fussent hors chassés ne sais quels puants, vilains, assassineurs et brigands qui la tenaient. Ce que ne put être accordé, et semblaient les conditions iniques à l’une et à l’autre partie. Ainsi ne fut entre eux l’appointement[595] conclu. Restèrent toutefois moins sévères et plus doux ennemis que n’étaient par le passé. Mais depuis la dénonciation du concile national de Chésil, par laquelle elles furent farfouillées[596], godelurées[597] et intimées[598], par laquelle aussi fut Carêmeprenant déclaré breneux, hallebrené[599] et stocfisé[600] encas qu’avec elles il fît alliance ou appointement aucun, se sont horrifiquement aigris, envenimés, indignés et obstinés en leurs courages, et n’est possible y remédier. Plus tôt auriez-vous les chats et rats, les chiens et lièvres ensemble réconcilié. »


COMMENT, PAR LES ANDOUILLES FAROUCHES, EST DRESSÉE EMBUSCADE CONTRE PANTAGRUEL.

Ce disant Xénomanes, frère Jean aperçut vingt et cinq ou trente jeunes andouilles de légère taille sur le havre, soi retirantes de grand pas vers leur ville, citadelle, château et roquette[601] de Cheminées, et dit à Pantagruel : « Il y aura ici de l’âne, je le prévois. Ces andouilles vénérables vous pourraient, par aventure, prendre pour Carêmeprenant, quoiqu’en rien ne lui sembliez. Laissons ces repaissailles[602] ici, et nous mettons en devoir de leur résister.

— Ce ne serait, dit Xénomanes, pas trop mal fait. Andouilles sont andouilles, toujours doubles et traîtresses. »

Adonc se lève Pantagruel de table pour découvrir hors la touche[603] de bois ; puis soudain retourne, et nous assure avoir à gauche découvert une embuscade d’andouilles farfelues[604], et du côté droit, à demi-lieue loin de là, un gros bataillon d’autres puissantes et gigantales[605] andouilles, le long d’une petite colline, furieusement en bataille marchantes vers nous au son des vèzes et piboles, des gogues[606] et des vessies, des joyeux pifres[607] et tambours, des trompettes et clairons. Par la conjecture de soixante et dix-huit enseignes qu’il y comptait, estimions leur nombre n’être moindre de quarante et deux mille. L’ordre qu’elles tenaient, leur fier marcher et faces assurées, nous faisaient croire que ce n’étaient friquenelles[608], mais vieilles andouilles de guerre. Par les premières filières jusque près les enseignes, étaient toutes armées à haut appareil, avec piques petites, comme nous semblait de loin, toutefois bien pointues et acérées. Sur les ailes étaient flanquegées[609] d’un grand nombre de boudins sylvatiques[610], de godiveaux[611] massifs et saucissons à cheval, tous de belle taille, gens insulaires, bandouiliers[612] et farouches. Pantagruel fut en grand émoi, et non sans, cause, quoique Épistémon lui remontrât que l’usance et coutume du pays andouillois pouvait être ainsi caresser et en armes recevoir leurs amis étrangers, comme sont les nobles rois de France par les bonnes villes du royaume reçus et salués à leurs premières entrées après leur sacre et nouvel avènement à la couronne. « Par aventure, disait-il, est-ce la garde ordinaire de la reine du lieu, laquelle avertie par les jeunes andouilles du guet que vîtes sur l’arbre comment en ce port surgeait[613] le beau et pompeux convoi de nos vaisseaux, a pensé que là devait être quelque riche et puissant prince, et vient vous visiter en personne. » De ce non satisfait, Pantagruel assembla son conseil pour sommairement leur avis entendre sur ce que faire devaient en cetui estrif[614] d’espoir incertain et crainte évidente.

Adonc brièvement leur remontra comment telles manières de recueil[615] en armes avait souvent porté mortel préjudice, sous couleur de caresse et amitié. « Ainsi, disait-il, l’empereur Antonin Caracalle, à l’une fois occit les Alexandrins, à l’autre défit la compagnie d’Artaban, roi des Perses, sous couleur et fiction de vouloir sa fille épouser, ce que ne resta impuni, car peu après il y perdit la vie. Ainsi les enfants de Jacob, pour venger le rapt de leur sœur Dyna, sacmentèrent[616] les Sichimiens. En cette hypocritique façon, par Galien, empereur romain, furent les gens de guerre défaits devant Constantinople. Ainsi, sous espèce d’amitié, Antoninus attira Artavasdes, roi d’Arménie, puis le fit lier et enferrer de grosses chaînes, finalement le fit occire. Mille autres pareilles histoires trouvons-nous par[617] les antiques monuments, et à bon droit est, jusques à présent, de prudence grandement loué Charles, roi de France, sixième de ce nom, lequel retournant victorieux des Flamands et Gantois en sa bonne ville de Paris, et, au Bourget en France, entendant que les Parisiens avec leurs maillets (dont furent surnommés Maillotins) étaient hors la ville issus en bataille jusques au nombre de vingt mille combattants, n’y voulut entrer, quoiqu’ils remontrassent qu’ainsi s’étaient mis en armes pour plus honorablement le recueillir[618] sans autre fiction ni mauvaise affection[619], que premièrement ne se fussent en leurs maisons retirés et désarmés. »


COMMENT PANTAGRUEL MANDA QUÉRIR LES CAPITAINES RIFLANDOUILLE ET TAILLEBOUDIN, AVEC UN NOTABLE DISCOURS SUR LES NOMS PROPRES DES LIEUX ET DES PERSONNES.

La résolution du conseil fut qu’en tout événement ils se tiendraient sur leurs gardes. Lors par Carpalim et Gymnaste, au mandement de Pantagruel, furent appelés les gens de guerre qui étaient dedans les nefs brindière[620], desquels colonel était Riflandouille, et portoirière[621], desquels colonel était Tailleboudin le jeune. « Je soulagerai, dit Panurge, Gymnaste de cette peine. Aussi bien vous est ici sa présence nécessaire.

— Par le froc que je porte, dit frère Jean, tu te veux absenter du combat, couillu, et ja[622] ne retourneras sur mon honneur. Ce n’est mie[623] grande perte. Aussi bien ne ferait-il que pleurer, lamenter, crier et décourager les bons soudards.

— Je retournerai certes, dit Panurge, frère Jean, mon père spirituel, bientôt. Seulement, donnez ordre à ce que ces fâcheuses andouilles ne grimpent sur les nefs. Cependant que combattrez, je prierai Dieu pour votre victoire, à l’exemple du chevalereux capitaine Moses ; conducteur du peuple israélique.

— La dénomination, dit Épistémon à Pantagruel, de ces deux vôtres colonels Riflandouille et Tailleboudin en cetui conflit nous promet assurance, heur[624] et victoire, si, par fortune, ces andouilles nous voulaient outrager.

— Vous le prenez bien, dit Pantagruel, et me plaît que par les noms de nos colonels vous prévoyez et pronostiquez la nôtre victoire. Telle manière de pronostiquer par noms n’est moderne. Elle fut jadis célébrée et religieusement observée par les Pythagoriens. Plusieurs grands seigneurs et empereurs en ont jadis bien fait leur profit. Octavien Auguste, second empereur de Rome, quelque jour rencontrant un paysan nommé Eutyche, c’est-à-dire bien fortuné, qui menait un âne nommé Nicon, c’est en langue grecque victorien, mû[625] de la signification des noms tant de l’ânier que de l’âne, s’assura de toute prospérité, félicité et victoire. Vespasien, empereur pareillement de Rome, étant un jour seulet en oraison on[626] temple de Sérapis, à la vue et venue inopinée d’un sien serviteur nommé Basilides, c’est-à-dire royal, lequel il avait loin derrière laissé malade, prit espoir et assurance d’obtenir l’empire romain. Régilian, non pour autre cause ni occasion fut par les gens de guerre élu empereur que par signification de son propre nom. Voyez le Cratyle du divin Platon.

— Par ma soif, dit Rhizotome, je le veux lire : je vous ouïs souvent l’alléguant.

— Voyez comment les Pythagoriens, par raison des noms et nombres, concluent que Patroclus devait être occis par Hector, Hector par Achilles, Achilles par Pâris, Pâris par Philoctètes. Je suis tout confus en mon entendement, quand je pense en l’invention admirable de Pythagoras, lequel, par le nombre par ou impar des syllabes d’un chacun nom propre, exposait de quel côté étaient les humains boiteux, borgnes, goutteux, paralytiques, pleurétiques et autres tels maléfices[627] en nature, savoir est, assignant le nombre par au côté gauche, l’impar au dextre.

— Vraiment, dit Épistémon, j’en vis l’expérience à Saintes, en une procession générale, présent le tant bon, tant vertueux, tant docte et équitable président Briand Valée, seigneur du Douhet. Passant un boiteux ou boiteuse, un borgne ou borgnesse, un bossu ou bossue, on lui rapportait son nom propre. Si les syllabes du nom étaient en nombre impar, soudain, sans voir les personnes, il les disait être maléficiés[628], borgnes, boiteux, bossus du côté dextre. Si elles étaient en nombre par, du côté gauche. Et ainsi était la vérité, onques n’y trouvâmes exception.

— Par cette invention, dit Pantagruel, les doctes ont affirmé qu’Achilles étant à genoux fut, par la flèche de Paris, blessé on[629] talon dextre, car son nom est de syllabes impares. (Ici est à noter que les anciens s’agenouillaient du pied dextre.) Vénus par Diomèdes, devant Troie, blessée en la main gauche, car son nom en grec est de quatre syllabes. Vulcain, boiteux du pied gauche, par mêmes raisons. Philippe, roi de Macédonie, et Annibal, borgnes de l’œil dextre. Encore pourrions-nous particulariser des ischies[630], hernies, hémicraines[631] par cette raison pythagorique.

Mais pour retourner aux noms, considérez comment Alexandre le Grand, fils du roi Philippe, duquel nous avons parlé, par l’interprétation d’un seul nom parvint à son entreprise. Il assiégeait la forte ville de Tyr et la battait de toutes ses forces par plusieurs semaines ; mais c’était en vain. Rien ne profitaient[632] ses engins et molitions[633]. Tout était soudain démoli et réparé par les Tyriens. Dont prit fantaisie de lever le siège, avec grande mélancolie, voyant en cetui département[634] perte insigne de sa réputation. En tel estrif[635] et fâcherie s’endormit. Dormant, songeait qu’un satyre était dedans sa tente dansant et sautelant avec ses jambes bouquines[636]. Alexandre le voulait prendre ; le satyre toujours lui échappait. Enfin, le roi le poursuivant en un détroit le happa. Sur ce point s’éveilla, et racontant son songe aux philosophes et gens savants de sa cour, entendit que les dieux lui promettaient victoire, et que Tyr bientôt serait prise, car ce mot satyros, divisé en deux, est sa Tyros, signifiant Tienne est Tyr. De fait, au premier assaut qu’il fit, il emporta la ville de force, et en grande victoire subjugua ce peuple rebelle. Au rebours, considérez comment, par la signification d’un nom, Pompée se désespéra. Étant vaincu par César en la bataille pharsalique, n’eut moyen autre de soi sauver que par fuite. Fuyant par mer, arriva en l’île de Chypre, près la ville de Paphos, aperçut sur le rivage un palais beau et somptueux. Demandant au pilote comment on nommait cetui palais, entendit qu’on le nommait Καϰοϐασιλέα, c’est-à dire Malroi. Ce nom lui fut en tel effroi et abomination qu’il entra au désespoir, comme assuré de n’évader[637] que bientôt ne perdît la vie, de mode que les assistants et nochers ouïrent ses cris, soupirs et gémissements. De fait, peu de temps après, un nommé Achillas, paysan inconnu, lui trancha la tête. Encore pourrions-nous, à ce propos, alléguer ce qu’advint à L. Paulus Æmilius, lorsque, par le Sénat romain, fut élu empereur, c’est-à-dire chef de l’armée qu’ils envoyaient contre Perses, roi de Macédonie. Icelui jour, sur le soir, retournant en sa maison pour soi apprêter au délogement, baisant une sienne petite fille nommée Tratia, avisa qu’elle était aucunement[638] triste : « Qu’y a il, dit-il, ma Tratia ? Pourquoi es-tu ainsi triste et fâchée ? — Mon père, répondit-elle, Persa est morte. » Ainsi nommait-elle une petite chienne qu’elle avait en délices. À ce mot prit Paulus assurance de la victoire contre Perses. Si le temps permettait que puissions discourir par les sacres[639] bibles des Hébreux, nous trouverions cent passages insignes nous montrants évidemment en quelle observance et religion leur étaient les noms propres avec leurs significations. »

Sur la fin de ce discours, arrivèrent les deux colonels, accompagnés de leurs soudards, tous bien armés et bien délibérés[640]. Pantagruel leur fit une brève remontrance à ce qu’ils eussent à soi montrer vertueux au combat, si par cas étaient contraints (car encore ne pouvait-il croire que les andouilles fussent si traîtresses), avec défense de commencer le hourt[641], et leur bailla Mardigras pour mot du guet.


COMMENT FRÈRE JEAN SE RALLIE AVEC LES CUISINIERS POUR COMBATTRE LES ANDOUILLES.

Voyant frère Jean ces furieuses andouilles ainsi marcher dehait[642], dit à Pantagruel : « Ce sera ici une belle bataille de foin, à ce que je vois. Ô ! le grand honneur et louanges magnifiques qui seront en notre victoire ! Je voudrais que, dedans votre nef, fussiez de ce conflit seulement spectateur, et au reste me laissiez faire avec mes gens.

— Quels gens ? demanda Pantagruel.

— Matière de bréviaire, répondit frère Jean. Pourquoi Potiphar, maître-queux des cuisines de Pharaon, celui qui acheta Joseph et lequel Joseph eût fait cocu s’il eût voulu, fut maître de la cavalerie de tout le royaume d’Égypte ? Pourquoi Nabuzardan, maître cuisinier du roi Nabuchodonosor fut entre tous autres capitaines élu pour assiéger et ruiner Jérusalem ?

— J’écoute, répondit Pantagruel.

— Par le trou madame, dit frère Jean, j’oserais jurer qu’ils autrefois avaient andouilles combattu, ou gens aussi peu estimés qu’andouilles, pour lesquelles abattre, combattre, dompter et sacmenter[643], trop plus sont, sans comparaison, cuisiniers idoines et suffisants que tous gendarmes, estradiots[644], soudards et piétons du monde.

— Vous me rafraîchissez la mémoire, dit Pantagruel, de ce qu’est écrit entre les facétieuses et joyeuses réponses de Cicéron. On[645] temps des guerres civiles à Rome entre César et Pompée, il était naturellement plus enclin à la part[646] pompéiane, quoique de César fût requis et grandement favorisé. Un jour, entendant que les Pompéians à certaine rencontre avaient fait insigne perte de leurs gens, voulut visiter leur camp. En leur camp aperçut peu de force, moins de courage et beaucoup de désordre. Lors prévoyant que tout irait à mal et perdition, comme depuis advint, commença trupher[647] et moquer maintenant les uns, maintenant les autres, avec brocards aigres et piquants, comme très bien savait le style. Quelques capitaines, faisants des bons compagnons comme gens bien assurés et délibérés[648] lui dirent : « Voyez-vous combien nous avons encore d’aigles ? » C’était lors la devise[649] des Romains en temps de guerre. « Cela, répondit Cicéron, serait bon et à propos si guerre aviez contre les pies. » Donc vu que combattre nous faut andouilles, vous inférez que c’est bataille culinaire, et voulez aux cuisiniers vous rallier. Faites comme l’entendez. Je resterai ici attendant l’issue de ces fanfares[650]. »

Frère Jean de ce pas va ès tentes des cuisines, et dit tout en gaîté et courtoisie aux cuisiniers : « Enfants, je veux hui[651] vous tous voir en honneur et triomphe. Par vous seront faites apertises[652] d’armes non encore vues de notre mémoire. Ventre sur ventre, ne tient-on autre compte des vaillants cuisiniers ? Allons combattre ces paillardes andouilles. Je serai votre capitaine. Buvons, amis. Çà, courage.

— Capitaine, répondirent les cuisiniers, vous dites bien. Nous sommes à votre joli commandement. Sous votre conduite nous voulons vivre et mourir.

— Vivre, dit frère Jean, bien ; mourir, point : c’est affaire aux andouilles. Or donc mettons-nous en ordre. Nabuzardan vous sera pour mot du guet. »


COMMENT PAR FRÈRE JEAN EST DRESSÉE LA TRUIE, ET LES PREUX CUISINIERS DEDANS ENCLOS.

Lors au mandement de frère Jean, fut par les maîtres ingénieurs dressée la grande truie, laquelle était dedans la nef bourrabaquinière[653]. C’était un engin mirifique fait de telle ordonnance que, des gros couillards[654] qui par rangs étaient autour, il jetait bedaines[655] et carreaux[656] empennés d’acier, et dedans la quadrature duquel pouvaient aisément combattre et à couvert demeurer deux cents hommes et plus, et était fait au patron[657] de la truie de La Réole, moyennant laquelle fut Bergerac pris sur les Anglais, régnant en France le jeune roi Charles sixième…

Dedans la truie entrèrent ces nobles cuisiniers gaillards, galants, brusquets[658] et prompts au combat. Frère Jean avec son grand badelaire[659] entre le dernier et ferme les portes à ressort par le dedans.


COMMENT PANTAGRUEL ROMPIT LES ANDOUILLES AUX GENOUX.

Tant approchèrent ces andouilles que Pantagruel aperçut comment elles déployaient leurs bras, et jà commençaient baisser bois[660]. Adonc envoie Gymnaste entendre qu’elles voulaient dire, et sur quelle querelle elles voulaient sans défiance[661] guerroyer contre leurs amis antiques, qui rien n’avaient méfait ni médit. Gymnaste au-devant des premières filières fit une grande et profonde révérence, et s’écria tant qu’il put, disant : « Vôtres, vôtres, vôtres sommes nous trestous, et à commandement. Tous tenons de Mardigras, votre antique confédéré. » Aucuns[662] depuis m’ont raconté qu’il dit Gradimars, non Mardigras. Quoique soit, à ce mot un gros cervelas sauvage et farfelu[663], anticipant devant le front de leur bataillon, le voulut saisir à la gorge. « Par Dieu, dit Gymnaste, tu n’y entreras qu’à taillons[664], ainsi entier ne pourrais-tu. » Si saque[665] son épée Baise-mon-cul, ainsi la nommait-il, à deux mains, et trancha le cervelas en deux pièces. Vrai Dieu, qu’il était gras ! Il me souvint du gros Taureau de Berne, qui fut à Marignan tué à la défaite des Suisses. Croyez qu’il n’avait guère moins de quatre doigts de lard sur le ventre. Ce cervelas écervelé, coururent andouilles sur Gymnaste, et le terrassaient vilainement, quand Pantagruel avec ses gens accourut le grand pas au secours. Adonc commença le combat martial pêle-mêle. Riflandouille riflait[666] andouilles. Tailleboudin taillait boudins. Pantagruel rompait les andouilles au genoil[667]. Frère Jean se tenait coi dedans sa truie, tout voyant et considérant, quand les godiveaux[668] qui étaient en embuscade, sortirent en grand effroi[669] sur Pantagruel. Adonc voyant frère Jean le désarroi et tumulte, ouvre les portes de sa truie, et sort avec ses bons soudards, les uns portants broches de fer, les autres tenants landiers, contre-hâtiers[670], poêles, pales[671], coquasses[672], grils, fourgons, tenailles, lèchefrites, ramons[673], marmites, mortiers, pilons, tous en ordre comme brûleurs de maison, hurlants et criants tous ensemble épouvantablement : Nabuzardan, Nabuzardan, Nabuzardan. En tels cris et émeute choquèrent[674] les godiveaux et à travers les saucissons. Les andouilles soudain aperçurent ce nouveau renfort, et se mirent en fuite le grand galop, comme si elles eussent vu tous les diables. Frère Jean, à coups de bedaines[675], les abattait menu comme mouches : ses soudards ne s’y épargnaient mie[676]. C’était pitié. Le camp était tout couvert d’andouilles mortes ou navrées[677]. Et dit le conte que si Dieu n’y eût pourvu, la génération andouillique eût par ces soudards culinaires toute été exterminée. Mais il advint un cas merveilleux. Vous en croirez ce que voudrez. Du côté de la transmontane[678] advola un grand, gras, gros, gris pourceau, ayant ailes longues et amples, comme sont les ailes d’un moulin à vent, et était le pennage[679] rouge cramoisi comme est d’un phœnicoptère, qui en Languegoth[680] est appelé flammant. Les œils avait rouges et flamboyants comme un pyrope[681], les oreilles vertes comme une émeraude prassine[682], les dents jaunes comme une topaze, la queue longue, noire comme marbre lucullian[683], les pieds blancs, diaphanes et transparents comme un diamant, et étaient largement pattes, comme sont des oies, et comme jadis à Tholose[684] les portait la reine Pédauque. Et avait un collier d’or au cou, autour duquel étaient quelques lettres ioniques, desquelles je ne pus lire que deux mots γς Ἀθηνᾶν, pourceau Minerve enseignant. Le temps était beau et clair. Mais à la venue de ce monstre il tonna du côté gauche si fort que nous restâmes tous étonnés[685]. Les andouilles soudain que l’aperçurent jetèrent leurs armes et bâtons[686], et à terre toutes s’agenouillèrent, levantes hautes leurs mains jointes, sans mot dire comme si elles l’adorassent. Frère Jean, avec ses gens, frappait toujours et embrochait andouilles. Mais par le commandement de Pantagruel fut sonnée retraite et cessèrent toutes armes. Ce monstre, ayant plusieurs fois volé entre les deux armées jeta plus de vingt et sept pipes[687] de moutarde en terre, puis disparut volant par l’air et criant sans cesse : « Mardigras, Mardigras, Mardigras ! »


COMMENT PANTAGRUEL PARLEMENTE AVEC NIPHLESETH REINE DES ANDOUILLES.

Le monstre susdit plus n’apparaissant, et restantes les deux armées en silence, Pantagruel demanda parlementer avec la dame Niphleseth (ainsi était nommée la reine des andouilles), laquelle était près les enseignes dedans son coche. Ce que fut facilement accordé. La reine descendit en terre, et gracieusement salua Pantagruel, et le vit volontiers. Pantagruel soi complaignait[688] de cette guerre. Elle lui fit ses excuses honnêtement, alléguant que par faux rapport avait été commis l’erreur, et que ses espions lui avaient dénoncé que Carêmeprenant, leur antique ennemi, était en terre descendu, et passait temps à voir l’urine des physétères. Puis le pria vouloir de grâce leur pardonner cette offense, alléguant qu’en andouilles plutôt l’on trouvait merde que fiel, en cette condition qu’elle et toutes ses successitres[689] Niphleseth à jamais tiendraient de lui et ses successeurs toute l’île et pays à foi et hommage, obéiraient en tout et partout à ses mandements, seraient de ses amis amies et de ses ennemis ennemies, par chacun an, en reconnaissance de cette féaulté[690], lui enverraient soixante et dix-huit mille andouilles royales pour, à l’entrée de table, le servir six mois l’an. Ce que fut par elle fait, et envoya au lendemain, dedans six grands brigantins, le nombre susdit d’andouilles royales au bon Gargantua, sous la conduite de la jeune Niphleseth, infante de l’île. Le noble Gargantua en fit présent, et les envoya au grand roi de Paris. Mais au changement de l’air, aussi par faute de moutarde (baume naturel et restaurant[691] d’andouilles) moururent presque toutes. Par l’octroi et vouloir du grand roi furent par monceaux en un endroit de Paris enterrées, qui jusqu’à présent est appelle la rue Pavée d’andouilles. À la requête des dames de la cour royale fut Niphleseth, la jeune, sauvée et honorablement traitée. Depuis fut mariée en bon et riche lieu, et fit plusieurs beaux enfants dont loué soit Dieu.

Pantagruel remercia gracieusement la reine, pardonna toute l’offense, refusa l’offre qu’elle avait fait, et lui donna un beau petit couteau pargois[692]. Puis curieusement l’interrogea sur l’apparition du monstre susdit. Elle répondit que c’était l’idée[693] de Mardigras, leur dieu tutélaire en temps de guerre, premier fondateur et original de toute la race andouillique. Pourtant[694] semblait-il à un pourceau, car andouilles furent de pourceau extraites. Pantagruel demandait à quel propos et quelle indication curative il avait tant de moutarde en terre projeté. La reine répondit que moutarde était leur sangréal et baume céleste, duquel mettant quelque peu dedans les plaies des andouilles terrassées, en bien peu de temps les navrées[695] guérissaient, les mortes ressuscitaient.

Autres propos ne tint Pantagruel à la reine, et se retira en sa nef. Aussi firent tous les bons compagnons avec leurs armes et leur truie.


COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L’ÎLE DES PAPEFIGUES.

Au lendemain matin rencontrâmes l’île des Papefigues, lesquels jadis étaient libres et riches, et les nommait-on Gaillardets. Pour lors étaient pauvres, malheureux et sujets aux Papimanes. L’occasion avait été telle. Un jour de fête annuelle à bâtons[696], les bourgmestre, syndics et gros rabis[697] gaillardets, étaient allés passer temps et voir la fête en Papimanie, île prochaine. L’un d’eux voyant le portrait papal (comme était de louable coutume publiquement le montrer ès jour de fête à doubles bâtons), lui fit la figue, qui est, en icelui pays, signe de contemnement[698] et dérision manifeste. Pour icelle venger, les Papimanes, quelques jours après, sans dire gare, se mirent tous en armes, surprirent, saccagèrent et ruinèrent toute l’île des Gaillardets, taillèrent à fil d’épée tout homme portant barbe, ès femmes et jouvenceaux pardonnèrent, avec condition semblable à celle dont l’empereur Barberousse jadis usa envers les Milanais.

Les Milanais s’étaient contre lui absent rebellés, et avaient l’impératrice sa femme chassé hors la ville, ignominieusement montée sur une vieille mule nommée Thacor, à chevauchons de rebours, savoir est le cul tourné vers la tête de la mule et la face vers la croupière. Frédéric, à son retour, les ayant subjugués et resserrés, fit telle diligence qu’il recouvra[699] la célèbre mule Thacor. Adonc, au milieu du grand Brouet[700], par son ordonnance, le bourreau mit ès membres honteux de Thacor une figue, présents et voyants les citadins captifs ; puis cria, de par l’empereur, à son de trompe, que quiconque d’iceux voudrait la mort évader, arrachât publiquement la figue avec les dents, puis la remit on[701] propre lieu sans aide des mains. Quiconque en ferait refus serait sur l’instant pendu et étranglé. Aucuns[702] d’iceux eurent honte et horreur de telle tant abominable amende, la postposèrent[703] à la crainte de mort, et furent pendus. Ès autres la crainte de mort domina sur telle honte. Iceux, avoir à belles dents tiré la figue, la montraient au boye[704], apertement[705], disant : « Ecco lo fico ». En pareille ignominie, le reste de ces pauvres et désolés Gaillardets furent de mort garantis et sauvés, furent faits esclaves et tributaires, et leur fut imposé le nom de Papefigues, parce qu’au portrait papal avaient fait la figue. Depuis celui temps, les pauvres gens n’avaient prospéré. Tous les ans avaient grêle, tempête, famine et tout malheur, comme éterne[706] punition du péché de leurs ancêtres et parents.

Voyant la misère et calamité du peuple, plus avant entrer ne voulûmes. Seulement pour prendre de l’eau bénite et à Dieu nous recommander, entrâmes dedans une petite chapelle près le havre, ruinée, désolée et découverte, comme est à Rome le temple de Saint-Pierre. En la chapelle entrés, et prenants de l’eau bénite, aperçûmes dedans le benoîtier un homme vêtu d’étoleset tout dedans l’eau caché, comme un canard au plonge[707], excepté un peu du nez pour respirer. Autour de lui étaient trois prêtres bien ras[708] et tonsurés, lisants le grimoire et conjurants les diables. Pantagruel trouva le cas étrange, et, demandant quels jeux[709] c’étaient qu’ils jouaient là, fut averti que depuis trois ans passés avait en l’île régné une pestilence tant horrible que pour la moitié et plus le pays était resté désert et les terres sans possesseurs. Passée la pestilence, cetui homme caché dedans le benoîtier arait[710] un champ grand et restile[711], et le semait de touselle[712] en un jour et heure qu’un petit diable (lequel encore ne savait ni tonner ni grêler, fors seulement le persil et les choux, encore aussi ne savait ni lire ni écrire) avait de Lucifer impétré[713] venir en cette île des Papefigues, soi récréer et ébattre, en laquelle les diables avaient familiarité grande avec les hommes et femmes, et souvent y allaient passer temps.

Ce diable, arrivé au lieu, s’adressa au laboureur et lui demanda qu’il faisait. Le pauvre homme lui répondit qu’il semait celui champ de touselle pour soi aider à vivre l’an suivant. « Voire mais, dit le diable, ce champ n’est pas tien, il est à moi, et m’appartient, car depuis l’heure et le temps qu’au pape vous fîtes la figue, tout ce pays nous fut adjugé, proscrit et abandonné. Blé semer toutefois n’est mon état. Pourtant[714] je te laisse le champ, mais c’est en condition que nous partagerons le profit.

— Je le veux, répondit le laboureur.

— J’entends, dit le diable, que du profit advenant nous ferons deux lots. L’un sera ce que croîtra sur terre, l’autre ce qu’en terre sera couvert. Le choix m’appartient, car je suis diable extrait de noble et antique race : tu n’es qu’un vilain. Je choisis ce que sera en terre, tu auras le dessus. En quel temps sera la cueillette ?

— À mi-juillet, répondit le laboureur.

— Or, dit le diable, je ne faudrai[715] m’y trouver. Fais au reste comme est le devoir. Travaille, vilain, travaille. Je vais tenter du gaillard péché de luxure les nobles nonnains de Petesec, les cagots et briffauts[716] aussi. De leurs vouloirs je suis plus qu’assuré. Au joindre[717] sera le combat. »


COMMENT LE PETIT DIABLE FUT TROMPÉ PAR UN LABOUREUR DE PAPEFIGUE.

La mi-juillet venue, le diable se représenta au lieu, accompagné d’un escadron de petits diableteaux de chœur. Là rencontrant le laboureur, lui dit : « Et puis, vilain, comment t’es-tu porté depuis ma départie[718] ? Faire ici convient nos partages.

— C’est, répondit le laboureur, raison. » Lors commença le laboureur avec ses gens seyer[719] le blé. Les petits diables de même tiraient le chaume de terre. Le laboureur battit son blé en l’aire, le ventit[720], le mit en poches, le porta au marché pour vendre. Les diableteaux rirent de même, et au marché près du laboureur, pour leur chaume vendre, s’assirent. Le laboureur vendit très bien son blé, et de l’argent emplit un vieux demibrodequin[721], lequel il portait à sa ceinture. Les diables ne vendirent rien, ains[722] au contraire les paysans en plein marché se moquaient d’eux.

Le marché clos, dit le diable au laboureur : « Vilain, tu m’as à cette fois trompé ; à l’autre ne me tromperas.

— Monsieur le diable, répondit le laboureur, comment vous aurais-je trompé, qui[723] premier avez choisi ? Vrai est qu’en cetui choix me pensiez tromper, espérant rien hors terre n’issir[724] pour ma part, et dessous trouver tout entier le grain que j’avais semé, pour d’icelui tenter les gens souffreteux, cagots ou avares, et par tentation les faire en vos lacs trébucher. Mais vous êtes bien jeune au métier. Le grain que voyez en terre est mort et corrompu, la corruption d’icelui a été génération de l’autre que m’avez vu vendre. Ainsi choisissiez-vous le pire. C’est pourquoi êtes maudit en l’Évangile.

— Laissons, dit le diable, ce propos. De quoi cette année séquente[725] pourras-tu notre champ semer ?

— Pour profit, répondit le laboureur, de bon ménager, le conviendrait semer de raves.

— Or, dit le diable, tu es vilain de bien. Sème raves à force, je les garderai de la tempête, et ne grêlerai point dessus. Mais, entends bien, je retiens pour mon partage ce que sera dessus terre, tu auras le dessous. Travaille, vilain, travaille. Je vais tenter les hérétiques. Ce sont âmes friandes en carbonnade[726] : monsieur Lucifer a sa colique, ce lui sera une gorge chaude. »

Venu le temps de la cueillette, le diable se trouva au lieu avec un escadron de diableteaux de chambre. Là rencontrant le laboureur et ses gens, commença seyer[727] et recueillir les feuilles des raves. Après lui le laboureur bêchait et tirait les grosses raves et les mettait en poches[728]. Ainsi s’en vont tous ensemble au marché. Le laboureur vendait très bien ses raves. Le diable ne vendit rien. Que pis est, on se moquait de lui publiquement. Je vois bien, vilain, dit adonc le diable, que par toi je suis trompé. Je veux faire fin du champ entre toi et moi. Ce sera en tel pacte que nous entre-gratterons l’un l’autre, et qui de nous deux premier se rendra quittera sa part du champ. Il entier demeurera au vainqueur. La journée sera à huitaine. Va, vilain, je te gratterai en diable. J’allais tenter les pillards chicanous, déguiseurs de procès, notaires faussaires, avocats prévaricateurs ; mais ils m’ont fait dire par un truchement[729] qu’ils étaient tous à moi. Aussi bien se fâche[730] Lucifer de leurs âmes, et les renvoie ordinairement aux diables souillards de cuisine, sinon quand elles sont saupoudrées. Vous dites qu’il n’est déjeuner que d’écoliers, dîner que d’avocats, ressiner[731] que de vignerons, souper que de marchands, regoubillonner[732] que de chambrières, et tous repas que de farfadets. Il est vrai. De fait, monsieur Lucifer se paît[733] à tous ses repas de farfadets pour entrée de table, et se soûlait[734] déjeuner d’écoliers. Mais, las ! ne sais par quel malheur, depuis certaines années, ils ont avec leurs études adjoint les saints Bibles. Pour cette cause plus n’en pouvons au diable l’un tirer, et crois que si les cafards ne nous y aident, leur ôtants par menaces, injures, force, violence et brûlements leur saint Paul d’entre les mains, plus à bas n’en grignoterons. D’avocats pervertisseurs de droit et pilleurs de pauvres gens, il se dîne ordinairement et ne lui manquent. Mais on se fâche de toujours un[735] pain manger. Il dit naguère en plein chapitre qu’il mangerait volontiers l’âme d’un cafard, qui eût oublié soi en sermon recommander, et promit double paie et notable appointement à quiconque lui en apporterait une de broc en bouc[736]. Chacun de nous se mit en quête. Mais rien n’y avons profité[737]. Tous admonestent les nobles clames donner à leur couvent. De ressiner[738] il s’est abstenu depuis qu’il eut sa forte colique provenante à cause que ès contrées boréales l’on avait ses nour rissons, vivandiers, charbonniers et charcutiers outragé vilainement. Il soupe très bien de marchands usuriers, apothicaires, faussaires, billonneurs[739], adultérateurs de marchandises, et quelquefois qu’il est en ses bonnes, regoubillonne[740] de chambrières, lesquelles, avoir bu[741] le bon vin de leurs maîtres, remplissent le tonneau d’eau puante. Travaille, vilain, travaille. Je vais tenter les écoliers de Trébizonde, laisser pères et mères, renoncer à la police[742] commune, soi émanciper des édits de leur roi, vivre en liberté souterraine, mépriser un chacun, de tous se moquer, et prenants le beau et joyeux petit béguin d’innocence poétique, soi tous rendre farfadets gentils.


maison de rabelais à chinon en 1699
Cette vaste demeure, aujourd’hui entièrement reconstruite, était occupée au xviie siècle par un cabaret. Une plaque commémorative sur la façade du no 15 de la rue de la Lamproie, rappelle ce souvenir.

COMMENT LE DIABLE EUT TROMPÉ PAR UNE VIEILLE DE PAPEFIGUIÈRE.

Le laboureur, retournant en sa maison, était triste et pensif. Sa femme, tel le voyant, cuidait[743] qu’on l’eût au marché dérobé. Mais entendant la cause de sa mélancolie, voyant aussi sa bourse pleine d’argent, doucement le réconforta, et l’assura que, de cette gratelle, mal aucun ne lui adviendrait. Seulement que sur elle il eut à se poser et reposer. Elle avait jà pourpensé[744] bonne issue. « Pour le pis, disait le laboureur, je n’en aurai qu’une éraflade, je me rendrai au premier coup et lui quitterai le champ.

— Rien, rien, dit la vieille ; posez-vous sur moi et reposez : laissez-moi faire. Vous m’avez dit que c’est un petit diable : je le vous ferai soudain rendre, et le champ nous demeurera. Si c’eût été un grand diable, il y aurait à penser. »

Le jour de l’assignation était lorsqu’en l’île nous arrivâmes. À bonne heure du marin le laboureur s’était très bien confessé, avait communié, comme bon catholique, et par le conseil du curé s’était au plonge[745] caché dedans le bénitier, en l’état que l’avions trouvé.

Sur l’instant qu’on nous racontait cette histoire, eûmes l’avertissement que la vieille avait trompé le diable et gagné le champ. La manière fut telle. Le diable vint à la porte du laboureur, et, sonnant, s’écria : « Ô vilain, vilain, ça, ça, à belles griffes ! »

Puis entrant en la maison, galant et bien délibéré[746], et n’y trouvant le laboureur avisa sa femme en terre pleurante et lamentante. « Qu’est ceci, demandait le diable. Où est-il ? Que fait-il ?

— Ha ! dit la vieille, où est-il, le méchant, le bourreau, le brigand ? Il m’a affolée[747], je suis perdue, je meurs du mal qu’il m’a fait.

— Comment, dit le diable, qu’y a il ? Je vous le galerai[748] bien tantôt.

— Ha ! dit la vieille, il m’a dit, le bourreau, le tyran, l’égratigneur de diables, qu’il avait hui[749] assignation de se gratter avec vous. Pour essayer ses ongles, il m’a seulement gratté du petit doigt ici entre les jambes, et m’a du tout affolée. Je suis perdue, jamais je n’en guérirai, regardez. Encore est-il allé chez le maréchal soi faire aiguiser et apointer les griffes. Vous êtes perdu, monsieur le diable, mon ami. Sauvez-vous, il n’arrêtera point. Retirez-vous, je vous en prie. »

Lors se découvrit jusques au menton en la forme que jadis les femmes persides se présentèrent à leurs enfants fuyants la bataille, et lui montra son comment-a-nom.

Le diable, voyant l’énorme solution de continuité en toutes dimensions, s’écria : « Mahon, Demiourgon, Mégère, Alecto, Perséphone, il ne me tient pas ! Je m’en vais belle erre. Cela ? Je lui quitte le champ. »

Entendant, la catastrophe[750] et fin de l’histoire, nous retirâmes en notre nef, et là ne fîmes autre séjour. Pantagruel donna au tronc de la fabrique de l’église dix-huit mille royaux d’or en contemplation de la pauvreté du peuple et calamité du lieu.


COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L’ÎLE DES PAPIMANES.

Laissants l’île désolée des Papefigues, navigâmes par un jour en sérénité et tout plaisir, quand à notre vue s’offrit la benoîte île des Papimanes. Soudain que nos ancres furent au port jetées, avant que nous eussions encoché[751] nos gumènes[752], vinrent vers nous en un esquif quatre personnes diversement vêtues. L’un en moine enfroqué, crotté, botté. L’autre en fauconnier avec un leurre et gant d’oiseau. L’autre en solliciteur de procès, ayant un grand sac plein d’informations, citations, chicaneries et ajournements en main. L’autre en vigneron d’Orléans avec belles guêtres de toile, une panouère[753] et une serpe à la ceinture. Incontinent qu’ils furent joints à notre nef, s’écrièrent à haute voix tous ensemble demandant : « L’avez-vous vu, gens passagers ? l’avez-vous vu ?

— Qui ? demandait Pantagruel.

— Celui-là, répondirent-ils.

— Qui est-il ? demanda frère Jean. Par la mort-bœuf, je l’assommerai de coups », pensant qu’ils se guémentassent[754] de quelque larron, meurtrier ou sacrilège.

— Comment, dirent-ils, gens pérégrins[755], ne connaissez-vous l’Unique ?

— Seigneurs, dit Épistémon, nous n’entendons[756] tels termes. Mais, exposez-nous, s’il vous plaît, de qui entendez, et nous vous en dirons la vérité sans dissimulation.

— C’est, dirent-ils, celui qui est. L’avez-vous jamais vu ?

— Celui qui est, répondit Pantagruel, par notre théologique doctrine, est Dieu, et en tel mot se déclare à Moses. Onques certes ne le vîmes, et n’est visible à œils corporels.

— Nous ne parlons mie[757], dirent-ils, de celui haut Dieu qui domine par les cieux. Nous parlons du Dieu en terre. L’avez-vous onques vu ?

— Ils entendent, dit Carpalim, du pape, sur mon honneur.

— Oui, oui, répondit Panurge, oui dà, messieurs, j’en ai vu trois, à la vue desquels je n’ai guère profité.

— Comment, dirent-ils, nos sacres décrétales chantent qu’il n’y en a jamais qu’un vivant.

— J’entends, répondit Panurge, les uns successivement après les autres. Autrement n’en ai-je vu qu’un à une fois.

— Ô gens, dirent-ils, trois et quatre fois heureux, vous soyez les bien et plus que très bien venus ! »

Adonc s’agenouillèrent devant nous, et nous voulaient baiser les pieds. Ce que ne leur voulûmes permettre, leur remontrants qu’au pape, si là de fortune en propre personne venait, ils ne sauraient faire davantage. « Si ferions, si, répondirent-ils. Cela est entre nous jà résolu. Nous lui baiserions le cul sans feuille, et les couilles pareillement, car il a couilles le père saint, nous le trouvons par nos belles décrétâtes, autrement ne serait-il pape. De sorte qu’en subtile philosophie décrétaline cette conséquence est nécessaire : « Il est pape, il a donc couilles, » et quand couilles faudraient[758] au monde, le monde plus pape n’aurait. »

Pantagruel demandait cependant à un mousse de leur esquif qui étaient ces personnages. Il lui fit réponse que c’étaient les quatre états de l’île, ajouta davantage[759] que serions bien recueillis[760] et bien traités, puisque avions vu le pape. Ce qu’il remontra à Panurge, lequel lui dit secrètement : « Je fais vœu à Dieu, c’est cela. Tout vient à point qui peut attendre. À la vue du pape jamais n’avions profité ; à cette heure, de par tous les diables, nous profitera comme je vois. » Alors descendîmes en terre, et venaient au-devant de nous comme en procession tout le peuple du pays, hommes, femmes, petits enfants. Nos quatre états leur dirent à haute voix : « Ils l’ont vu, ils l’ont vu, ils l’ont vu. »

À cette proclamation, tout le peuple s’agenouillait devant nous, levants les mains jointes au ciel, et criants : « Ô gens heureux ! Ô bienheureux ! » Et dura ce cri plus d’un quart d’heure. Puis y accourut le maître d’école avec tous ses pédagogues, grimauds et écoliers, et les fouettait magistralement, comme on soûlait fouetter les petits enfants en nos pays quand on pendait quelque malfaiteur, afin qu’il leur en souvînt. Pantagruel en fut fâché, et leur dit : « Messieurs, si ne désistez[761] fouetter ces enfants, je m’en retourne. » Le peuple s’étonna[762], entendant sa voix stentorée[763], et vis un petit bossu à longs doigts demandant au maître d’école : « Vertu d’extravagantes, ceux qui voient le pape deviennent-ils ainsi grands comme cetui-ci qui nous menace ? Ô qu’il me tarde merveilleusement que je ne le vois, afin de croître et grand comme lui devenir. » Tant grandes furent leurs exclamations qu’Homenas y accourut (ainsi appellent-ils leur évêque) sur une mule débridée, caparaçonnée de vert, accompagné de ses appôts (comme ils disaient), de ses suppôts aussi, portants croix, bannières, gonfalons, baldaquins, torches, bénoîtiers. Et nous voulait pareillement les pieds baiser à toutes forces, comme fit au pape le bon Christian Valfinier, disant qu’un de leurs hypothètes[764], dégraisseur et glossateur de leurs saintes décrétales, avait par écrit laissé qu’ainsi comme le Messias, tant et si longtemps des Juifs attendu, enfin leur était advenu, aussi en icelle île quelque jour le pape viendrait. Attendants cette heureuse journée, si là arrivait personne qui l’eût vu à Rome ou autre part, qu’ils eussent à bien le festoyer, et révérentement[765] traiter. Toutefois nous nous en excusâmes honnêtement.


COMMENT HOMENAS, ÉVÊQUE DES PAPIMANES, NOUS MONTRA LES URANOPÈTES[766] DÉCRÉTALES.

Puis nous dit Homenas : « Par nos saintes décrétales nous est enjoint et commandé visiter premier les églises que les cabarets. Pourtant[767], ne déclinant de cette belle institution, allons à l’église, après irons banqueter.

— Homme de bien, dit frère Jean, allez devant, nous vous suivrons. Vous en avez parlé en bons termes et en bon Christian Jà longtemps a que n’en avions vu. Je m’en trouve fort réjoui en mon esprit et crois que je n’en repaîtrai que mieux. C’est belle chose rencontrer gens de bien. » Approchants de la porte du temple, aperçûmes un gros livre doré, tout couvert de fines et précieuses pierres, balais, émeraudes, diamants et unions[768], plus ou autant pour le moins excellentes, que celles qu’Octavian consacra à Jupiter Capitolin, et pendait en l’air attaché à deux grosses chaînes d’or au zoophore[769] du portail. Nous le regardions en admiration. Pantagruel le maniait et tournait à plaisir, car il y pouvait aisément toucher, et nous affirmait qu’au touchement d’icelles, il sentait un doux prurit des ongles et dégourdissement de bras, ensemble[770] tentation véhémente en son esprit de battre un sergent ou deux, pourvu qu’ils n’eussent tonsure.

Adonc nous dit Homenas : « Jadis fut aux Juifs la loi par Moses baillée écrite des doigts propres de Dieu. En Delphes devant la face du temple d’Apollo fut trouvée cette sentence divinement écrite : ΓΝΩΘΙ ΣΕΑΥΤΟΝ. Et par certain laps de temps après fut vue ΕΙ aussi divinement écrite et transmise des cieux. Le simulacre de Cybèle fut des cieux en Phrygie transmis on[771] champ nommé Pésinunt. Aussi fut en Tauris le simulacre de Diane, si croyez Euripides. L’oriflambe[772] fut des cieux transmise aux nobles et très christians rois de France, pour combattre les infidèles. Régnant Numa Pompilius, roi second des Romains en Rome, fut du ciel vu descendre le tranchant bouclier dit Ancile. En Acropolis d’Athènes jadis tomba du ciel empyrée la statue de Minerve. Ici semblablement voyez les sacrées décrétales écrites de la main d’un ange chérubin. Vous autres, gens transpontins, ne le croirez pas ?

— Assez mal, répondit Panurge.

— Et à nous ici miraculeusement du ciel des cieux transmises, en façon pareille que par Homère, père de toute philosophie (excepté toujours les dives[773] décrétales), le fleuve du Nil est appelé Diipètes. Et parce que avez vu le pape, évangéliste d’icelles et protecteur sempiternel, vous sera de par nous permis les voir et baiser au dedans, si bon vous semble. Mais il vous conviendra par avant trois jours jeûner, et régulièrement confesser, curieusement[774] épluchants et inventorisants vos péchés tant dru qu’en terre ne tombât une seule circonstance, comme divinement nous chantent les dives décrétales que voyez. À cela faut du temps.

— Homme de bien, répondit Panurge, décrottoirs, voire, dis-je, décrétales avons prou[775] vu en papier, en parchemin lanterné[776], en vélin, écrites à la main, et imprimées en moule[777] Ja[778] n’est besoin que vous peinez à cettes-ci nous montrer. Nous contentons du bon vouloir, et vous remercions autant.

— Vrai bis, dit Homenas, vous n’avez mie[779] vu cettes-ci angéliquement écrites. Celles de votre pays ne sont que transsumpts[780] des nôtres, comme trouvons écrit par un de nos antiques scholiastes décrétalins. Au reste vous prie n’y épargner ma peine. Seulement avisez si voulez confesser et jeûner les trois beaux petits jours de Dieu.

— De cons fesser, répondit Panurge, très bien nous consentons. Le jeûne seulement ne nous vient à propos, car nous avons tant et trestant par la marine[781] jeûné que les araignes[782] ont fait leurs toiles sur nos dents. Voyez ici ce bon frère Jean des Entommeures (à ce mot Homenas courtoisement lui bailla la petite accolade), la mousse lui est crûe on[783] gosier par faute de remuer et exercer les badigoinces[784] et mandibules.

— Il dit vrai, répondit frère Jean. J’ai tant et trestant jeûné que j’en suis devenu tout bossu.

— Entrons, dit Homenas, donc en l’église, et nous pardonnez si présentement ne vous chantons la belle messe de Dieu. L’heure de mi-jour est passée, après laquelle nous défendent nos sacres décrétales messe chanter, messe, dis-je, haute et légitime. Mais je vous en dirai une basse et sèche.

— J’en aimerais mieux, dit Panurge, une mouillée de quelque bon vin d’Anjou. Boutez[785] donc, boutez bas et raide.

— Vert et bleu, dit frère Jean, il me déplaît grandement qu’encore est mon estomac jeun, car ayant très bien déjeuné et repu à usage monacal, si d’aventure il nous chante de requiem, j’y eusse porté pain et vin par les traits passés[786]. Patience. Sacquez[787], choquez, boutez, mais troussez-la court, de peur que ne se crotte, et pour autre cause aussi, je vous en prie. »


COMMENT, PAR HOMENAS, NOUS FUT MONTRÉ L’ARCHETYPE[788] D’UN PAPE.

La messe parachevée, Homenas tira d’un coffre près le grand autel un gros farats[789] de clefs, desquelles il ouvrit, à trente-deux clavures[790] et quatorze cadenas, une fenêtre de fer bien barrée, au-dessus dudit autel. Puis, par grand mystère, se couvrit d’un sac mouillé, et, tirant un rideau de satin cramoisi, nous montra une image peinte assez mal, selon mon avis, y toucha un bâton longuet, et nous fit à tous baiser la touche. Puis nous demanda : « Que vous semble de cette image ?

— C’est, répondit Pantagruel, la ressemblance d’un pape. Je le connais à la tiare, à l’aumusse, au rochet, à la pantoufle.

— Vous dites bien, dit Homenas. C’est l’idée de celui Dieu de bien en terre, la venue duquel nous attendons dévotement, et lequel espérons une fois voir en ce pays. Ô l’heureuse et désirée et tant attendue journée ! Et vous, heureux et bien heureux, qui tant avez eu les astres favorables qu’avez vivement en face vu et réalement[791] celui bon Dieu en terre, duquel voyant seulement le portrait, pleine rémission gagnons de tous nos péchés mémorables[792], ensemble la tierce partie, avec dix-huit quarantaines, des péchés oubliés ! Aussi ne la voyons-nous qu’aux grandes fêtes annuelles. »

Là disait Pantagruel que c’était ouvrage tel que le faisait Dedalus. Encore qu’elle fût contrefaite et mal traite[793], y était toutefois latente et occulte quelque divine énergie en matière de pardons : « Comme, dit frère Jean, à Seuillé, les coquins soupants un jour de bonne fête à l’hôpital, et se vantants l’un avoir celui jour gagné six blancs, l’autre deux sous, l’autre sept carolus, un gros gueux se vantait avoir gagné trois bons testons. « Aussi, lui répondirent ses compagnons, tu as une jambe de Dieu. » Comme si quelque divinité fut absconse en une jambe toute sphacelée[794] et pourrie.

— Quand, dit Pantagruel, tels contes vous nous ferez, soyez records[795] d’apporter un bassin. Peu s’en faut que ne rende ma gorge. User ainsi du sacré nom de Dieu en choses tant ordes[796] et abominables ! Fi, j’en dis fi ! Si dedans votre moinerie est tel abus de paroles en usage, laissez-le là : ne le transportez hors les cloîtres.

— Ainsi, répondit Épistémon, disent les médecins être en quelques maladies certaine participation de divinité. Pareillement Néron louait les champignons, et en proverbe grec les appelait « viande des dieux », pour ce qu’en iceux il avait empoisonné son prédécesseur Claudius, empereur Romain.

— Il me semble, dit Panurge, que ce portrait faut[797] en nos derniers papes, car je les ai vu non aumusse, ains[798] armet en tête porter, timbré[799] d’une tiare persique[800], et tout l’empire Christian étant en paix et silence, eux seuls guerre faire félone et très cruelle.

— C’était, dit Homenas, donc contre les rebelles, hérétiques, protestants désespérés[801], non obéissants à la sainteté de ce bon Dieu en terre. Cela lui est non seulement permis et licite, mais commandé par les sacres décrétales, et doit à feu incontinent empereurs, rois, ducs, princes, républiques, et à sang mettre, qu’ils[802] transgresseront un iota de ses mandements, les spolier de leurs biens, les déposséder de leurs royaumes, les proscrire, les anathématiser, et non seulement leurs corps et de leurs enfants et parents autres occire, mais aussi leurs âmes damner au parfond[803] de la plus ardente chaudière qui soit en enfer.

— Ici, dit Panurge, de par tous les diables, ne sont-ils hérétiques comme fut Raminagrobis, et comme ils sont parmi les Allemagnes et Angleterre. Vous êtes christians triés sur le volet.

— Oui, vrai bis, dit Homenas ; aussi serons-nous tous sauvés. Allons prendre de l’eau bénite, puis dînerons. »


Or notez, buveurs, que durant la messe sèche d’Homenas trois manilliers[804] de l’église, chacun tenant un grand bassin, se pourmenaient parmi le peuple, disants à haute voix : « N’oubliez les gens heureux qui l’ont vu en face. » Sortants du temple, ils apportèrent à Homenas leurs bassins tous pleins de monnaie papimanique. Homenas nous dit que c’était pour faire bonne chère, et que de cette contribution et taillon[805], l’une partie serait employée à bien boire, l’autre à bien manger, suivant une mirifique glose cachée en un certain coingnet[806] de leurs saintes décrétâtes. Ce que fut fait, et en beau cabaret assez retirant[807] à celui de Guillot, en Amiens. Croyez que la repaissaille[808] fut copieuse et les buvettes numéreusés[809]. En cetui dîner je notai deux choses mémorables : l’une que viande ne fut apportée quelle que fût, fussent chevreaux, fussent chapons, fussent cochons (desquels y a foison en Papimanie), fussent pigeons, connils[810], levrauts, coqs d’Inde ou autres, en laquelle n’y eut abondance de farce magistrale ; l’autre, que tout le sert[811] et dessert fut porté par les filles pucelles mariables du lieu, belles je vous affie[812], saffrettes[813], blondettes, doucettes et de bonne grâce, lesquelles vêtues de longues, blanches et déliées aubes à doubles ceintures, le chef ouvert[814], les cheveux instrophiés[815] de petites bandelettes et rubans de soie violette, semés de roses, œillets, marjolaines, aneth[816], aurande[817] et autres fleurs odorantes, à chacune cadence nous invitaient à boire avec doctes et mignonnes révérences, et étaient volontiers vues de toute l’assistance. Frère Jean les regardait de côté, comme un chien qui emporte un plumait. Au dessert du premier mets fut par elles mélodieusement chanté un épode à la louange des sacro-saintes décrétales.

Sur l’apport du second service, Homenas, tout joyeux et esbaudi, adressa sa parole à un des maîtres sommeliers, disant : « Clerice, éclaire ici. » À ces mots, une des filles promptement lui présenta un grand hanap plein de vin extravagant[818]. Il le tint en main, et, soupirant profondément, dit à Pantagruel : « Monseigneur, et vous beaux amis, je bois à vous tous de bien bon cœur. Vous soyez les très bien venus. » Bu qu’il eut et rendu le hanap à la bachelette gentille, fit une lourde exclamation, disant : « Ô dives[819] décrétales, tant par vous est le vin bon trouvé !

— Ce n’est, dit Panurge, pas le pis du panier.

— Mieux serait, dit Pantagruel, si par elles le mauvais vin devenait bon.

— Ô séraphique sixième[820] ! dit Homenas continuant, tant vous êtes nécessaire au sauvement des pauvres humains ! Ô chérubiques clémentines[821] ! comment en vous est proprement contenue et décrite la parfaite institution du vrai Christian ! Ô extravagantes[822] angéliques ! comment sans vous périraient les pauvres âmes, lesquelles, çà bas, errent par les corps mortels en cette vallée de misère ! Hélas, quand sera ce don de grâce particulière fait ès humains qu’ils désistent de toutes autres études et négoces pour vous lire, vous entendre, vous savoir, vous user, pratiquer, incorporer, sanguifier[823] et incentriquer[824] ès profonds ventricules de leurs cerveaux, ès internes moelles de leurs os, ès perplexes[825] labyrinthes de leurs artères ? Ô lors et non plus tôt ne autrement, heureux le monde ! »

À ces mots se leva Épistémon, et dit tout bellement à Panurge : « Faute de selle percée me contraint d’ici partir. Cette farce m’a débondé le boyau cullier : je n’arrêterai guère.

— Ô lors, dit Homenas continuant, nullité de grêle, gelée, frimas, vimères[826] ! Ô lors abondance de tous biens en terre ! Ô lors paix obstinée, infrangible en l’univers, cessation de guerres piîleries, angaries[827], briganderies, assassinements, excepté contre les hérétiques et rebelles maudits ! Ô lors joyeuseté, allégresse, liesse, soûlas[828], déduits[829], plaisirs, délices en toute nature humaine ! Mais, ô grande doctrine, inestimable érudition, préceptions[830] déifiques, emmortaisées[831] par les divins chapitres de ces éternelles décrétales ! Ô comment, lisant seulement un demi canon, un petit paragraphe, un seul notable[832] de ces sacrosaintes décrétales, vous sentez en vos cœurs enflammée la fournaise d’amour divin, de charité envers votre prochain, pourvu qu’il ne soit hérétique, contemnement[833] assuré de toutes choses fortuites et terrestres, extatique élévation de vos esprits, voire jusques au troisième ciel, contentement certain en toutes vos affections ! »


CONTINUATION DES MIRACLES ADVENUS PAR LES DÉCRÉTALES.

« Voici, dit Panurge, qui dit d’orgues[834], mais j’en crois le moins que je peux. Car il m’advint un jour à Poitiers, chez l’Écossais docteur décrétalipotens d’en lire un chapitre : le diable m’emporte si, à la lecture d’icelui, je ne fus tant constipé du ventre que par plus de quatre, voire cinq jours, je ne fientai qu’une petite crotte. Savez-vous quelle ? Telle, je vous jure, que Catulle dit être celles de Furius, son voisin :

En tout un an tu ne chie dix crottes,
Et si des mains tu les brises et frottes,
Ja[835] n’en pourras ton doigt souiller de erres[836],
Car dures sont plus que fèves et pierres.

— Ha, ha ! dit Homenas. Inian[837], mon ami, par aventure, étiez en état de péché mortel.

— Cetui-là, dit Panurge est d’un autre tonneau.

— Un jour, dit frère Jean, je m’étais à Seuillé torché le cul d’un feuillet d’unes méchantes clémentines, lesquelles Jean Guymard, notre receveur, avait jetées on[838] préau du cloître : je me donne à tous les diables si les rhagadies[839] et hœmorrutes[840] ne m’en advinrent si très horribles que le pauvre trou de mon clos bruneau[841] en fut tout dégingandé.

— Inian, dit Homenas, ce fut évidente punition de Dieu, vengeant le péché qu’aviez fait incaguant[842] ces sacres livres, lesquels deviez baiser et adorer, je dis d’adoration de latrie[843], ou d’hyperdulie[844] pour le moins. Le Panormitan n’en mentit jamais.

— Jean Chouart, dit Ponocrates, à Montpellier, avait acheté des moines de Saint-Olary unes belles décrétales écrites en beau et grand parchemin de Lamballe, pour en faire des vélins pour battre l’or. Le malheur y fut si étrange que onques pièce n’y fut frappée qui vint à profit. Toutes furent dilacérées et étripées.

— Punition, dit Homenas, et vengeance divine.

— Au Mans, dit Eudémon, François Cornu, apothicaire, avait en cornets emploité[845] unes extravagantes frippées : je désavoue le diable si tout ce qui dedans fut empaqueté ne fut sur l’instant empoisonné, pourri et gâté : encens, poivre, girofle, cinnamome, safran, cire, épices, casse, rhubarbe, tamarin, généralement tout, drogues, gogues[846] et senogues[847].

— Vengeance, dit Homenas, et divine punition. Abuser en choses profanes de ces tant sacres écritures !

— À Paris, dit Carpalim, Groignet, couturier avait emploité unes vieilles clémentines en patrons et mesures. Ô cas étranges ! Tous habillements taillés sur tels patrons et protraits[848] sur telles mesures furent gâtés et perdus : robes, capes, manteaux, sayons, jupes, casaquins, collets, pourpoints, cottes, gonnelles[849], verdugales[850]. Groignet, cuidant[851] tailler une cape, taillait la forme d’une braguette. En lieu d’un sayon, taillait un chapeau à prunes sucées. Sur la forme d’un casaquin, taillait une aumusse. Sur le patron d’un pourpoint, taillait la guise d’une poêle. Ses valets[852] l’avoir cousue, la déchiquetaient par le fond, et semblait d’une poêle à fricasser les châtaignes. Pour un collet faisait un brodequin. Sur le patron d’une verdugale taillait une barbute[853]. Pensant faire un manteau, faisait un tambourin de Suisse. Tellement que le pauvre homme par justice fut condamné à payer les étoffes de tous ses chalands, et de présent en est au safran[854].

— Punition, dit Homenas, et vengeance divine.

— À Cahusac, dit Gymnaste, fut, pour tirer à la butte, partie faite entre les seigneurs d’Estissac et vicomte de Lauzun. Pérotou avait dépecé unes demies décrétales du bon canonge[855]. De la Carte, et des feuillets avait taillé le blanc pour la butte. Je me donne, je me vends, je me donne à travers tous les diables si jamais arbalestier du pays, lesquels sont superlatifs en toute Guyenne, tira trait dedans. Tous furent côtiers[856]. Rien du blanc sacro-saint barbouillé ne fut dépucelé ni entommé[857]. San Sornin l’aîné, qui gardait les gages, nous jurait figues dioures[858], son grand serment, qu’il avait vu apertement, visiblement, manifestement le pasadouz[859] de Carquelin droit entrant dedans la grolle[860] on milieu du blanc, sur le point de toucher et enfoncer, d’être écarté loin d’une toise côtier vers le fournil.

— Miracle, s’écria Homenas, miracle, miracle ! Clerice, éclaire ici. Je bois à tous. Vous me semblez vrais christians. »

À ces mots les filles commencèrent ricasser entre elles. Frère Jean hennissait du bout du nez comme prêt à roussiner, ou baudouiner[861] pour le moins, et monter dessus comme Herbaut[862] sur pauvres gens : « Me semble, dit Pantagruel, qu’en tels blancs l’on eut contre le danger du trait plus sûrement été que ne fut jadis Diogènes.

— Quoi ? demanda Homenas. Comment ? Était-il décrétaliste ?

— C’est, dit Épistémon, retournant de ses affaires, bien rentré de piques noires.

— Diogènes, répondit Pantagruel, un jour s’ébattre voulant, visita les archers qui tiraient à la butte. Entre iceux un était tant fautier[863], impérit[864] et maladroit que, lorsqu’il était en rang de tirer, tout le peuple spectateur s’écartait de peur d’être par lui féru. Diogènes, l’avoir[865] un coup vu si perversement tirer que sa flèche tomba plus d’un trabut[866] loin de la butte, au second coup le peuple loin d’un côté et d’autre s’écartant, accourut et se tint en pieds jouxte le blanc, affirmant cetui lieu être le plus sûr, et que l’archer plutôt férirait tout autre lieu que le blanc, le blanc seul être en sûreté du trait.

— Un page, dit Gymnaste, du seigneur d’Estissac, nommé Chamouillac, aperçut le charme. Par son avis Pérotou changea de blanc, et y employa les papiers du procès de Pouillac. Adonc tirèrent très bien et les uns et les autres.

— À Landerousse, dit Rhizotome, ès noces de Jean Delif, fut le festin nuptial notable et somptueux, comme lors était la coutume du pays. Après souper furent jouées plusieurs farces, comédies, sornettes plaisantes, furent dansées plusieurs moresques aux sonnettes et tymbons[867], furent introduites plusieurs sortes de masques et mômeries. Mes compagnons d’école et moi pour la fête honorer à notre pouvoir (car au matin nous tous avions eu de belles livrées[868] blanc et violet), sur la fin fîmes un barboire[869] joyeux avec force coquilles de saint Michel et belles caquerolles[870] de limaçons. En faute de colocasie, bardane, personate[871] et de papier, des feuillets d’un vieil sixième[872], qui là était abandonné, nous fîmes nos faux visages, les découpants un peu à l’endroit des ceils, du nez et de la bouche. Cas merveilleux ! Nos petites caroles[873] et puérils ébatements achevés, étants nos faux visages, apparûmes plus hideux et vilains que les diableteaux de la passion de Doué, tant avions les faces gâtées aux lieux touchés par lesdits feuillets. L’un y avait la picote, l’autre le tac[874], l’autre la vérole, l’autre la rougeole, l’autre gros froncles[875]. Somme, celui de nous tous était le moins blessé à qui les dents étaient tombées.

— Miracle, s’écria Homenas, miracle !

— Il n’est, dit Rhizotome, encore temps de rire. Mes deux sœurs, Catherine et Renée, avaient mis dedans ce beau sixième, comme en presse car il était couvert de grosses aisses[876] et ferré à glas, leurs guimpes, manchons et collerettes savonnées de frais, bien blanches et empesées. Par la vertu Dieu…

— Attendez, dit Homenas, duquel Dieu entendez-vous ?

— Il n’en est qu’un, répondit Rhizotome.

— Oui bien, dit Homenas, ès cieux. En terre n’en avons-nous un autre ?

— Arry avant[877], dit Rhizotome, je n’y pensais par mon âme plus. Par la vertu donc du Dieu pape terre, leurs guimpes collerettes, bavettes, couvrechefs, et tout autre linge, y devint plus noir qu’un sac de charbonnier.

— Miracle ! s’écria Homenas. Clerice, éclaire ici et note ces belles histoires.

— Comment, demanda frère Jean, dit-on donc :

Depuis que décrets eurent ales[878],
Et gens d’armes portèrent malles,
Moines allèrent à cheval.
En ce monde abonda tout mal.

— Je vous entends, dit Homenas. Ce sont petits quolibets des hérétiques nouveaux. »


COMMENT, PAR LA VERTU DES DÉCRÉTALES, EST L’OR SUBTILEMENT TIRÉ DE FRANCE EN ROME.

« Je voudrais, dit Épistémon, avoir payé chopine de tripes à embourser, et qu’eussions à l’original collationné les terrifiques chapitres, Execrabilis, De multa, Si plures, De Annatis per totum, Nisi essent, Cum ad monasterium, Quod dilectio, Mandatum, et certains autres, lesquels tirent par chacun an de France en Rome quatre cents mille ducats et davantage.

— Est-ce rien cela ? dit Homenas. Me semble toutefois être peu, vu que la France la très christiane est unique nourrice de la cour romaine. Mais trouvez-moi livres on[879] monde, soient de philosophie, de médecine, des lois, des mathématiques, des lettres humaines, voire, par le mien Dieu ! de la sainte Écriture qui en puissent autant tirer ? Point. Nargues, nargues. Vous n’en trouverez point de cette auriflue[880] énergie, je vous en assure. Encore ces diables hérétiques ne les veulent apprendre et savoir. Brûlez, tenaillez, cisaillez, noyez, pendez, empalez, épaultrez[881], démembrez, exentérez[882], découpez, fricassez, grillez, tronçonnez, crucifiez, bouillez, escarbouillez, écartelez, débezillez[883], dégingandez[884], carbonnadez[885] ces méchants hérétiques décrétalifuges, décrétalicides, pires que homicides, pires que parricides, décrétalictones[886] du diable. Vous autres gens de bien, si voulez être dits et réputés vrais christians, je vous supplie à jointes mains ne croire autre chose, autre chose ne penser, ne dire, ne entreprendre, ne faire, fors seulement ce que contiennent nos sacres décrétales et leurs corollaires, ce beau sixième, ces belles clémentines, ces belles extravagantes. Ô livres déifiques ! Ainsi serez en gloire, honneur, exaltation, richesses, dignités, prélations[887] en ce monde, de tous révérés, d’un chacun redoutés, à tous préférés, sur tous élus et choisis, car il n’est sous la chappe du ciel état duquel trouviez gens plus idoines à tout faire et manier que ceux qui, par divine prescience et éternelle prédestination, adonnés se sont à l’étude des saintes décrétales. Voulez-vous choisir un preux empereur, un bon capitaine, un digne chef et conducteur d’une armée en temps de guerre, qui bien sache tous inconvénients prévoir, tous dangers éviter, bien mener ses gens à l’assaut et au combat en allégresse, rien ne hasarder, toujours vaincre sans perte de ses soudards et bien user de la victoire ? Prenez-moi un décrétiste. Non, non, je dis un décrétaliste.

— Ô le gros rat[888] ! dit Épistémon.

— Voulez-vous en temps de paix trouver homme apte et suffisant à bien gouverner l’état d’une république, d’un royaume, d’un empire, d’une monarchie, entretenir l’église, la noblesse, le sénat et le peuple en richesses, amitié, concorde, obéissance, vertu, honnêteté ? Prenez-moi un décrétaliste. Voulez-vous trouver homme qui par vie exemplaire, beau parler, saintes admonitions, en peu de temps, sans effusion de sang humain, conquête[889] la Terre Sainte, et à la sainte foi convertisse les mécréants Turcs. Juifs, Tartes[890], Moscovites, Mammelucs et Sarrabovites[891] ? Prenez-moi un décrétaliste.

« Qui fait en plusieurs pays le peuple rebelle et détravé[892], les pages friands et mauvais, les écoliers badauds et âniers ? Leurs gouverneurs, leurs écuyers, leurs précepteurs n’étaient décrétalistes.

« Mais qui est-ce, en conscience, qui a établi, confirmé, autorisé ces belles religions[893], desquelles en tous endroits voyez la christianté ornée, décorée, illustrée, comme est le firmament de ses claires étoiles ? Dives[894] décrétales.

« Qui a fondé, pilotisé[895], talué[896], qui maintient, qui sustente, qui nourrit les dévots religieux par les couvents, monastères et abbayes, sans les prières diurnes, nocturnes, continuelles desquels serait le monde en danger évident de retourner en son antique chaos ? Sacres décrétales.

« Qui fait et journellement augmente en abondance de tous biens temporels, corporels et spirituels le fameux et célèbre patrimoine de saint Pierre ? Saintes décrétales.

« Qui fait le saint siège apostolique en Rome de tous temps et aujourd’hui tant redoutable en l’univers qu’il faut ribon ribaine[897] que tous rois, empereurs, potentats et seigneurs pendent[898] de lui, tiennent de lui, par lui soient couronnés, confirmés, autorisés, viennent là bouquer[899] et se prosterner à la mirifique pantoufle de laquelle avez vu le protrait[900] ? Belles dérétales de Dieu.

« Je vous veux déclarer un grand secret. Les universités de votre monde, en leurs armoiries et devises ordinairement portent un livre, aucunes[901] ouvert, autres fermé. Quel livre pensez-vous que soit ?

— Je ne sais, certes, répondit Pantagruel, je ne lus onques dedans.

— Ce sont, dit Homenas, les décrétales, sans lesquelles périraient les privilèges de toutes universités. Vous me devez cette-là ! Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! »

Ici commença Homenas roter, péter, rire, baver et suer, et bailla son gros gras bonnet à quatre braguettes à une des filles, laquelle le posa sur son beau chef[902] en grande allégresse, après l’avoir amoureusement baisé, comme gage et assurance qu’elle serait première mariée. « Vivat ! s’écria Épistémon, vivat, fifat, pipat, bibat ! Ô secret apocalyptique !

Clerice, dit Homenas, Clerice, éclaire ici à doubles lanternes. Au fruit, pucelles ! Je disais donc qu’ainsi vous adonnants à l’étude unique des sacres décrétales, vous serez riches et honorés en ce monde. Je dis conséquemment qu’en l’autre vous serez infailliblement sauvés on[903] benoît royaume des cieux, duquel sont les clefs baillées à notre bon Dieu décrétaliarche[904]. Ô mon bon Dieu lequel j’adore et ne vis onques, de grâce spéciale ouvre nous en l’article de la mort, pour le moins, ce très sacré trésor de notre mère sainte Église, duquel tu es protecteur, conservateur, promeconde[905], administrateur, dispensateur, et donne ordre que ces précieux œuvres de superérogation[906], ces beaux pardons au besoin ne nous faillent, à ce que[907] les diables ne trouvent que mordre sur nos pauvres âmes, que la gueule horrifique d’enfer ne nous engloutisse. Si passer nous faut par purgatoire, patience ! En ton pouvoir est et arbitre nous en délivrer, quand voudras. » Ici commença Homenas jeter grosses et chaudes larmes, battre sa poitrine, et baiser ses pouces en croix.


COMMENT HOMENAS DONNA À PANTAGRUEL DES POIRES DE BON CHRISTIAN.

Épistémon, frère Jean et Panurge, voyants cette fâcheuse catastrophe[908], commencèrent au couvert de leurs serviettes crier : « Myault, myault, myault », feignants cependant de s’essuyer les œils, comme s’ils eussent pleuré. Les filles furent bien apprises, et à tous présentèrent pleins hanaps de vin clémentin, avec abondance de confitures. Ainsi fut de nouveau le banquet réjoui. En fin de table Homenas nous donna un grand nombre de grosses et belles poires, disant : « Tenez, amis, poires sont singulières, lesquelles ailleurs ne trouverez. Non toute terre porte tout. Indie seule porte le noir ébène. En Sabée provient[909] le bon encens, en l’île de Lemnos la terre sphragitide[910]. En cette île seule naissent ces belles poires. Faites-en, si bon vous semble, pépinières en vos pays.

— Comment, demanda Pantagruel, les nommez-vous ? Elles me semblent très bonnes et de bonne eau. Si on les cuisait en casserons[911], par quartiers, avec un peu de vin et de sucre, je pense que serait viande[912] très salubre tant ès malades comme ès sains.

— Non autrement, répondit Homenas. Nous sommes simples gens, puisqu’il plaît à Dieu, et appelons les figues figues, les prunes prunes, et les poires poires.

— Vraiment, dit Pantagruel, quand je serai en mon ménage (ce sera, si Dieu plaît, bientôt) j’en affierai[913] et enterai en mon jardin de Touraine, sur la rive de Loire, et seront dites poires de bon Christian. Car onques ne vis christians meilleurs que ces bons Papimanes.

— Je trouverais, dit frère Jean, aussi bon qu’il nous donnât deux ou trois charretées de ses filles.

— Pourquoi faire ? demanda Homenas.

— Pour les saigner, répondit frère Jean, droit entre les deux gros orteils avec certains pistolandiers[914] de bonne touche. En ce faisant, sur elles nous enterions des enfants de bon Christian, et la race en nos pays multiplierait, èsquels ne sont mie trop bons.

— Vrai bis, répondit Homenas, non ferons, car vous leur feriez la folie aux garçons : je vous connais à votre nez, et si[915] ne vous avais onques vu. Halas, halas, que vous êtes bon fils ! Voudriez-vous damner votre âme ? Nos décrétales le défendent. Je voudrais que les sussiez bien.

— Patience, dit frère Jean. Mais, si tu non vis dare presta quæsumus. C’est matière de bréviaire. Je n’en crains homme portant barbe, lut-il docteur de cristalin[916], je dis décrétalin, à triple bourrelet. »

Le dîner parachevé, nous prîmes congé d’Homenas et de tout le bon populaire, humblement les remerciants, et pour rétribution de tant de biens leur promettants que, venus à Rome, ferions avec le Père saint tant qu’en diligence il les irait voir en personne. Puis retournâmes en notre nef. Pantagruel, par libéralité et reconnaissance du sacré protrait[917] papal, donna à Homenas neuf pièces de drap d’or frisé sur frise, pour être apposées au-devant de la fenêtre ferrée, fit emplir le tronc de la réparation et fabrique tout de doubles écus au sabot[918], et fit délivrer à chacune des filles lesquelles avaient servi à table durant le dîner, neuf cent quatorze saluts d’or, pour les marier en temps opportun.


COMMENT EN HAUTE MER PANTAGRUEL OUÏ DIVERSES PAROLES DÉGELÉES.

En pleine mer, nous banquetants, gringotants[919], devisants, et faisants beaux et courts discours, Pantagruel se leva et tint en pieds pour discouvrir[920] à l’environ. Puis nous dit : « Compagnons, oyez-vous rien ? Me semble que j’ouïs quelques gens parlant en l’air ; je n’y vois toutefois personne. Écoutez. » À son commandement nous fûmes tous attentifs et à pleines oreilles humions l’air comme belles huîtres en écaille, pour entendre si voix ou son y serait épars, et pour rien n’en perdre, à l’exemple d’Antonin l’empereur, aucuns[921] opposions nos mains en paume derrière les oreilles. Ce néanmoins protestions voix quelconques n’entendre. Pantagruel continuait affirmant ouïr voix diverses en l’air, tant d’hommes comme de femmes, quand nous fut avis, ou que nous les oyons pareillement ou que les oreilles nous cornaient. Plus persévérions écoutants, plus discernions les voix, jusques à entendre mots entiers. Ce que nous effraya grandement et non sans cause, personne ne voyants, et entendants voix et sons tant divers d’hommes, de femmes, d’enfants, de chevaux. Si bien que Panurge s’écria : « Ventrebleu, est-ce moque[922] ? nous sommes perdus. Fuyons. Il y a embûche autour. Frère Jean, es-tu là, mon ami ? Tiens-toi près de moi, je te supplie. As-tu ton braquemart[923] ? Avise qu’il ne tienne au fourreau. Tu ne le dérouilles point à demi. Nous sommes perdus. Écoutez : ce sont par Dieu coups de canon. Fuyons. Je ne dis de pieds et de mains, comme disait Brutus en la bataille pharsalique, je dis à voiles et à rames. Fuyons. Je n’ai point de courage sur mer. En cave et ailleurs j’en ai tant et plus. Fuyons. Sauvons-nous. Je ne le dis pour peur que j’aie, car je ne crains rien fors les dangers. Je le dis toujours. Aussi disait le franc archer de Bagnolet. Pourtant n’hasardons rien, à ce que ne soyons nasardés. Fuyons. Tourne visage. Vire la peautre[924], fils de putain ! Plût à Dieu que présentement je fusse en Quinquenais[925] à peine de jamais ne me marier ! Fuyons, nous ne sommes pas pour eux. Ils sont dix contre un, je vous en assure. Davantage ils sont sur leurs fumiers, nous ne connaissons le pays. Ils nous tueront. Fuyons, ce ne nous sera déshonneur. Démosthènes dit que l’homme fuyant combattra derechef. Retirons-nous pour le moins. Orche[926], poge[927], au trinquet[928], aux boulingues[929]. Fuyons de par tous les diables, fuyons. »

Pantagruel, entendant l’esclandre que faisait Panurge, dit : « Qui est ce fuyard là-bas ? Voyons premièrement quels gens sont. Par aventure sont-ils nôtres. Encore ne vois-je personne, et si[930] vois cent mille à l’entour. Mais entendons. J’ai lu qu’un philosophe nommé Pétron était en cette opinion que fussent plusieurs mondes soi touchants les uns les autres en figure triangulaire équilatérale, en la patte[931] et centre desquels disait être le manoir de vérité, et l’habiter les paroles, les idées, les exemplaires[932] et protraits[933] de toutes choses passées et futures, autour d’icelles être le siècle. Et en certaines années, par longs intervalles, part[934] d’icelles tomber sur les humains comme catarrhes, et comme tomba la rosée sur la toison de Gédéon, part là rester réservée pour l’avenir, jusques à la consommation du siècle. Me souvient aussi qu’Aristotèles maintient les paroles d’Homère être voltigeantes, volantes, mouvantes, et par conséquent animées.

« Davantage[935] Antiphanes disait la doctrine de Platon ès paroles être semblable, lesquelles en quelque contrée, on[936] temps du fort hiver, lorsque sont proférées, gèlent et glacent à la froideur de l’air et ne sont ouïes, semblablement ce que Platon enseignait ès jeunes enfants à peine être d’iceux entendu lorsque étaient vieux devenus. Or serait à philosopher et rechercher si forte[937] fortune ici serait l’endroit onquel telles paroles dégèlent. Nous serions bien ébahis si c’étaient les tête et lyre d’Orphéus. Car après que les femmes thréisses[938] eurent Orphéus mis en pièces, elles jetèrent sa tête et sa lyre dans le fleuve Hébrus. Icelles par ce fleuve descendirent en la mer Pontique jusques en l’île de Lesbos, toujours ensemble sur mer naguantes, et de la tête continuellement sortait un chant lugubre, comme lamentant la mort d’Orphéus : la lyre, à l’impulsion des vents mouvants les cordes, accordait harmonieusement avec le chant. Regardons si les verrons ci autour. »


COMMENT ENTRE LES PAROLES DÉGELÉES PANTAGRUEL TROUVA DES MOTS DE GUEULES[939].

Le pilote fit réponse : « Seigneur de rien ne vous effrayez. Ici est le confin de la mer glaciale, sur laquelle fut, au commencement de l’hiver dernier passé, grosse et félonne bataille, entre les Arismapiens et les Néphélibates[940]. Lors gelèrent en l’air les paroles et cris des hommes et femmes, les chaplis[941] des masses, les hurtis[942] des harnois[943], des bardes, les hennissements des chevaux, et tout autre effroi de combat. À cette heure, la rigueur de l’hiver passée, advenant la sérénité et tempérie du bon temps, elles fondent et sont ouïes.

— Par Dieu, dit Panurge, je l’en crois. Mais en pourrions-nous voir quelqu’une ? Me souvient avoir lu que l’orée[944] de la montagne en laquelle Moses reçut la loi des Juifs, le peuple voyait les voix sensiblement.

— Tenez, tenez, dit Pantagruel, voyez-en ci qui encore ne sont dégelées. » Lors nous jeta sur le tillac pleines mains de paroles gelées, et semblaient dragées perlées de diverses couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des mots de sinople, des mots d’azur, des mots de sable[945], des mots dorés. Lesquels, être[946] quelque peu échauffés entre nos mains, fondaient comme neiges, et les oyons réellement, mais ne les entendions[947], car c’était langage barbare. Excepté un assez grosset, lequel ayant frère Jean échauffé entre ses mains, fit un son tel que font les châtaignes jetées en la braise sans être entommées[948] lorsque s’éclatent, et nous fit tous de peur tressaillir. « C’était, dit frère Jean, un coup de faucon en son temps. » Panurge requit Pantagruel lui en donner encore. Pantagruel lui répondit que donner paroles était acte des amoureux. « Vendez-m’en donc, disait Panurge.

— C’est acte d’avocats, répondit Pantagruel, vendre paroles. Je vous vendrais plutôt silence et plus chèrement, ainsi que quelquefois le vendit Démosthènes moyennant son argentangine. »

Ce nonobstant il en jeta sur le tillac trois ou quatre poignées Et y vis des paroles bien piquantes, des paroles sanglantes, (lesquelles le pilote nous disait quelquefois retourner on[949] lieu duquel étaient proférées, mais c’était la gorge coupée), des paroles horrifiques, et autres assez mal plaisantes à voir. Lesquelles ensemblement fondues ouïmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, tracc, tracc, trr, trr, trr, trrrrrr, on, on, on, on, ououououon, goth, magoth, et ne sais quels autres mots barbares, et disait que c’était vocables du hourt[950] et hennissement des chevaux à l’heure qu’on choque. Puis en ouïmes d’autres grosses, et rendaient son en dégelant, les unes comme de tambours et fifres, les autres comme de clairons et trompettes. Croyez que nous y eûmes du passetemps beaucoup. Je voulais quelques mots de gueule mettre en réserve dedans de l’huile comme l’on garde la neige et la glace, et entre du feurre[951] bien net. Mais Pantagruel ne le voulut, disant être folie faire réserve de ce dont jamais l’on n’a faute et que toujours on a en main, comme sont mots de gueule entre tous bons et joyeux pantagruélistes. Là Panurge fâcha quelque peu frère Jean, et le fit entrer en rêverie, car il le vous prit au mot sur l’instant qu’il ne s’en doutait mie[952], et frère Jean menaça de l’en faire repentir en pareille mode que se repentit G. Jousseaulme vendant à son mot le drap au noble Patelin, et advenant qu’il fût marié le prendre aux cornes, comme un veau, puisqu’il l’avait pris au mot comme un homme. Panurge lui fit la babou[953], en signe de dérision. Puis s’écria, disant : « Plût à Dieu qu’ici, sans plus avant procéder, j’eusse le mot de la dive bouteille ! »


COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT ON MANOIR DE MESSER GASTER, PREMIER MAÎTRE ÈS ARTS DU MONDE.

En icelui jour, Pantagruel descendit en une île admirable entre toutes autres tant à cause de l’assiette que du gouverneur d’icelle. Elle de tous côtés pour le commencement était scabreuse[954], pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante à l’œil, très difficile aux pieds, et peu moins inaccessible que le mont du Dauphiné, ainsi dit pour ce qu’il est en forme d’un potiron, et de toute mémoire personne surmonter ne l’a pu, fors Doyac, conducteur de l’artillerie du roi Charles huitième, lequel avec engins mirifiques y monta, et au-dessus trouva un vieil bélier. C’était à deviner qui là transporté l’avait. Aucuns[955] le dirent, étant jeune agnelet, par quelque aigle ou duc chathuant là ravi, s’être entre les buissons sauvé. Surmontants la difficulté de l’entrée, à peine bien grande et non sans suer, trouvâmes le dessus du mont tant plaisant, tant fertile, tant salubre et délicieux, que je pensais être le vrai jardin et paradis terrestre, de la situation duquel tant disputent et labourent[956] les bons théologiens. Mais Pantagruel nous affirmait là être le manoir d’Arété (c’est vertu) par Hésiode décrit, sans toutefois préjudice de plus saine opinion.

Le gouverneur d’icelle était messer Gaster, premier maître ès arts de ce monde. Si croyez que le feu soit le grand maître des arts, comme écrit Cicero, vous errez et vous faites[957] tort, car Cicero ne le crut onques. Si croyez que Mercure soit premier inventeur des arts, comme jadis croyaient nos antiques druides, vous fourvoyez grandement. La sentence du satirique est vraie qui dit messer Gaster être de tous arts le maître. Avec icelui pacifiquement résidait la bonne dame Pénie, autrement dite souffreté, mère des neuf Muses, de laquelle jadis en compagnie de Porus, seigneur d’abondance, nous naquit amour, le noble enfant médiateur du ciel et de la terre, comme atteste Platon in Symposio. À ce chaleureux roi, force nous fut faire révérence, jurer obéissance et honneur porter, car il est impérieux, rigoureux, rond, dur, difficile, inflexible. À lui on ne peut rien faire croire, rien remontrer, rien persuader. Il n’ouït point. Et comme les Égyptiens disaient Harpocras, dieu de silence, en grec nommé Sigalion, être astomé, c’est-à-dire sans bouche, ainsi Gaster sans oreilles fut créé, comme en Candie le simulacre[958] de Jupiter était sans oreilles. Il ne parle que par signes. Mais à ses signes tout le monde obéit plus soudain qu’aux édits des préteurs et mandements des rois. En ses sommations, délai, aucun et demeure aucune il n’admet. Vous dites qu’au rugissement du lion toutes bêtes loin à l’entour frémissent, tant (savoir est) qu’être peut sa voix ouïe. Il est écrit. Il est vrai. Je l’ai vu. Je vous certifie qu’au mandement de messer Gaster tout le ciel tremble, toute la terre branle. Son mandement est nommé faire le faut sans délai, ou mourir.

Le pilote nous racontait comment un jour, à l’exemple des membres conspirants contre le ventre, ainsi que décrit Ésope, tout le royaume des Somates[959] contre lui conspira et conjura soi soustraire de son obéissance, mais bientôt s’en sentit, s’en repentit, et retourna en son service en toute humilité, autrement tous de male[960] famine périssaient. En quelques compagnies qu’il soit, discepter[961] ne faut de supériorité et préférence : toujours va devant, y fussent rois, empereurs, voire certes le pape, et au concile de Bâle le premier alla, quoiqu’on vous die que ledit concile fut séditieux à cause des contentions et ambitions des lieux premiers. Pour le servir tout le monde est empêché[962], tout le monde labeure. Aussi, pour récompense, il fait ce bien au monde qu’il lui invente toutes arts, toutes machines, tous métiers, tous engins et subtilités. Même ès animants brutaux[963] il apprend arts déniées[964] de nature. Les corbeaux, les geais, les papegais[965], les étourneaux, il rend poètes : les pies il fait poètrides, et leur apprend langage humain proférer, parier, chanter. Et tout pour la tripe.

Les aigles, gerfauts, faucons, sacres, laniers, autours, éperviers, émerillons, oiseaux hagards, pérégrins[966], essors[967], rapineux[968], sauvages, il domestique et apprivoise, de telle façon que, les abandonnants en pleine liberté du ciel quand bon lui semble, tant haut qu’il voudra, tant que lui plaît, les tient suspens[969], errants, volants, planants, le muguetants, lui faisants, la cour au-dessus des nues : puis soudain les fait du ciel en terre fondre. Et tout pour la tripe.

Les éléphants, les lions, les rhinocérotes, les ours, les chevaux, les chiens il fait danser, baller[970], voltiger, combattre, nager, soi cacher, apporter ce qu’il veut, prendre ce qu’il veut. Et tout pour la tripe.

Les poissons tant de mer, comme d’eau douce, baleines et monstres marins, sortir il fait du bas abîme, les loups jette hors des bois, les ours hors les rochers, les renards hors des tanières, les serpents lance hors la terre. Et tout pour la tripe.

Bref est tant énorme qu’en sa rage, il mange tous, bêtes et gens, comme fut vu entre les Vascons, lorsque Q. Metellus les assiégeait par[971] Les guerres sertorianes, entre les Saguntins assiégés par Annibal, entre les Juifs assiégés par les Romains, six cents autres. Et tout pour la tripe.

Quand Pénie, sa régente, se met en voie, la part[972] qu’elle va, tous parlements sont clos, tous édits muets, toutes ordonnances vaines. À loi aucune n’est sujette, de toutes est exempte. Chacun la refuit[973] en tous endroits, plutôt s’exposants ès naufrages de mer, plutôt élisants[974] par feu, par monts, par gouffres passer, que d’icelles être appréhendés.


COMMENT, EN LA COUR DU MAÎTRE INGÉNIEUX[975], PANTAGRUEL DÉTESTA LES ENGASTRIMYTHES[976] ET LES GASTROLÂTRES[977].

En la cour de ce grand maître ingénieux, Pantagruel aperçut deux manières de gens appariteurs, importuns et par trop officieux, lesquels il eut en grande abomination. Les uns étaient nommés Engastrimythes, les autres Gastrolâtres. Les Engastrimythes soi-disaient être descendus de l’antique race d’Eurycles et sur ce alléguaient le témoignage d’Aristophanes en la comédie intitulée les Taons ou Mouches-guêpes, dont anciennement étaient dits Eurycliens, comme écrit Platon et Plutarque on[978] livre de la Cessation des oracles. Ès saints décrets, 26, quest. 3, sont appelés ventriloques, et ainsi les nomme, en langue ionique, Hippocrates, lib. 5, Epid., comme parlants du ventre. Sophocles les appelle sternomantes. C’étaient divinateurs, enchanteurs et abuseurs de simple peuple, semblants non de la bouche, mais du ventre parler et répondre à ceux qui les interrogeaient.

Telle était, environ l’an de notre benoît Servateur[979] 1513, Jacobe Rodogine, Italienne, femme de basse maison, du ventre de laquelle nous avons souvent ouï, (aussi ont autres infinis en Ferrare et ailleurs) la voix de l’esprit immonde, certainement basse, faible et petite, toutefois bien articulée, distincte et intelligible, lorsque, par la curiosité des riches seigneurs et princes de la Gaule cisalpine, elle était appelée et mandée. Lesquels, pour ôter tout doute de fiction et fraude occulte, la faisaient dépouiller toute nue, et lui faisaient clore la bouche et le nez. Cetui malin esprit se faisait nommer Crespelu ou Cincinnatule, et semblait prendre plaisir ainsi étant appelé. Quand ainsi on l’appelait, soudain aux propos répondait. Si on l’interrogeait des cas présents ou passés, il en répondait pertinemment, jusques à tirer les auditeurs en admiration. Si des choses futures, toujours mentait, jamais n’en disait la vérité, et souvent semblait confesser son ignorance, en lieu d’y répondre faisant un gros pet ou marmonnant[980] quelques mots non intelligibles et de barbare termination[981].

Les Gastrolâtres, d’un autre côté, se tenaient serrés par troupes et par bandes, joyeux, mignards, douillets aucuns[982], autres tristes, graves, sévères, rechignes, tous ocieux[983], rien ne faisants, point ne travaillants, poids et charge inutile de la terre, comme dit Hésiode, craignants, selon qu’on pouvait juger, le ventre offenser et emmaigrir. Au reste masqués, déguisés et vêtus tant étrangement que c’était belle chose. Vous dites, et est écrit par plusieurs sages et antiques philosophes, que l’industrie de nature appert[984] merveilleuse en l’ébattement[985] qu’elle semble avoir pris formant les coquilles de mer, tant y voit-on de variété, tant de figures, tant de couleurs, tant de traits et formes non imitables par art. Je vous assure qu’en la vêture de ces Gastrolâtres coquillons[986] ne vîmes moins de diversité et déguisement. Ils tous tenaient Gaster pour leur grand dieu ; l’adoraient comme dieu, lui sacrifiaient comme à leur dieu omnipotent, ne reconnaissaient d’autre dieu que lui, le servaient, aimaient sur toutes choses, honoraient comme leur dieu. Vous eussiez dit que proprement d’eux avait le saint Envoyé écrit, Philippens. 3 : « Plusieurs sont desquels je vous ai souvent parlé (encore présentement je le vous dis les larmes à l’œil) ennemis de la croix du Christ, desquels mort sera la consommation, desquels ventre est le dieu. » Pantagruel les comparait au cyclope Polyphémus, lequel Euripides fait parler comme s’ensuit : « Je ne sacrifie qu’à moi, aux dieux point, et à cetui mon ventre, le plus grand de tous les dieux. »


COMMENT GASTER INVENTA LES MOYENS D’AVOIR ET CONSERVER GRAIN.

Ces diables Gastrolâtres retirés, Pantagruel fut attentif à l’étude de Gaster, le noble maître des arts. Vous savez que par institution de nature, pain avec ses apanages lui a été pour provision adjugé et aliment, adjointe cette bénédiction du ciel que pour pain trouver et garder rien ne lui défaudrait[987]. Dès le commencement il inventa l’art fabrile[988] et agriculture pour cultiver la terre, tendant à fin qu’elle lui produisit grain. Il inventa l’art militaire et armes pour grain défendre, médecine et astrologie, avec les mathématiques nécessaires, pour grain en sauveté par[989] plusieurs siècles garder et mettre hors les calamités de l’air, dégât des bêtes brutes, larcin des brigands. Il inventa les moulins à eau, à vent, à bras, à autres mille engins, pour grain moudre et réduire en farine, le levain pour fermenter la pâte, le sel pour lui donner saveur, (car il eut cette connaissance que chose on[990] monde plus les humains ne rendait à maladies sujets que de pain non fermenté, non salé user), le feu pour le cuire, les horologes et cadrans pour entendre le temps de la cuite de pain, créature de grain.

Est advenu que grain en un pays défaillait : il inventa art et moyen de le tirer d’une contrée en autre. Il, par invention grande, mêla deux espèces d’animaux, ânes et juments, pour production d’une tierce, laquelle nous appelons mulets, bêtes plus puissantes, moins délicates, plus durables au labeur que les autres. Il inventa chariots et charrettes pour plus commodément le tirer. Si la mer ou rivières ont empêché la traite[991], il inventa bateaux, galères et navires, choses de laquelle se sont les éléments ébahis, pour, outre mer, outre fleuves et rivières, naviguer et, de nations barbares, inconnues et loin séparées, grain porter et transporter.

Est advenu depuis certaines années que, la terre cultivant, il n’a eu pluie à propos et en saison, par défaut de laquelle grain restait en terre mort et perdu. Certaines années la pluie a été excessive et noyait le grain. Certaines autres années la grêle le gâtait, les vents l’égrenaient, la tempête le renversait. Il jà[992], de avant notre venue, avait inventé art et moyen d’évoquer la pluie des cieux, seulement une herbe découpant, commune par les prairies, mais à peu de gens connue, laquelle il nous montra. Et estimais que fût celle de laquelle une seule branche, jadis, mettant le pontife Jovial[993] dedans la fontaine Agrie sur le mont Lycien en Arcadie, au temps de sécheresse, excitait les vapeurs, des vapeurs étaient formées grosses nuées, lesquelles dissolues en pluies, toute la région était à plaisir arrosée. Inventait art et moyen de suspendre et arrêter la pluie en l’air, et sur mer la faire tomber. Inventait art et moyen d’anéantir la grêle, supprimer les vents, détourner la tempête, en la manière usitée entre les Methanensiens de Trézenie.

Autre infortune est advenu. Les pillards et brigands dérobaient grain et pain par les champs. Il inventa art de bâtir villes, forteresses et châteaux pour les resserrer et en sûreté conserver. Est advenu que par les champs ne trouvant pain, entendit qu’il était dedans les villes, forteresses et châteaux resserré, et plus curieusement[994] par les habitants défendu et gardé que ne furent les pommes d’or des Hespérides par les dragons. Il inventa art et moyen de battre et démolir forteresses et châteaux par machines et torments belliques[995], béliers, balistes, catapultes, desquelles il nous montra la figure, assez mal entendue des ingénieux architectes disciples de Vitruve comme nous a confessé messer Philebert de l’Orme, grand architecte du roi Mégiste. Lesquelles, quand plus n’ont profité[996], obstant[997] la maligne subtilité et subtile malignité des fortificateurs, il avait inventé récemment canons, serpentines, couleuvrines, bombardes, basilics[998], jetants boulets de fer, de plomb, de bronze, pesants plus que grosses enclumes, moyennant une composition de poudre horrifique, de laquelle nature même s’est ébahie et s’est confessée vaincue par art, ayant en mépris l’usage des Oxydraces, qui, à force de foudres, tonnerres, grêles, éclairs, tempêtes, vainquaient et à mort soudaine mettaient leurs ennemis en plein champ de bataille, car plus est horrible, plus épouvantable, plus diabolique et plus de gens meurtrit, casse, rompt et tue, plus étonne[999] les sens des humains, plus de murailles démolit un coup de basilic, que ne feraient cent coups de foudre.


COMMENT, PRÈS DE L’ÎLE DE CHANEPH[1000], PANTAGRUEL SOMMEILLAIT, ET LES PROBLÈMES PROPOSÉS À SON RÉVEIL.

Au jour subséquent, en menus devis suivants notre route, arrivâmes près l’île de Chaneph. En laquelle aborder ne put la nef de Pantagruel, parce que le vent nous faillit et fut calme en mer. Nous ne voguions que par les valentiennes[1001], changeants de tribord en bâbord, et de bâbord en tribord quoiqu’on eut ès voiles adjoint les bonnettes traîneresses[1002]. Et étions tous pensifs, matagrabolisés[1003], sésolfiés[1004] et fâchés, sans mot dire les uns aux autres. Pantagruel, tenant un Héliodore grec en main, sur un transpontin[1005] au bout des écoutilles sommeillait. Telle était sa coutume que trop mieux par livre dormait que par cœur. Épistémon regardait par son astrolabe en quelle élévation nous était le pôle. Frère Jean s’était en la cuisine transporté, et en l’ascendant[1006] des broches et horoscope des fricassées considérait quelle heure lors pouvait être.

Panurge, avec la langue, parmi un tuyau de pantagruélion[1007], faisait des bulles et gargouilles. Gymnaste appointait des cure-dents de lentisque. Ponocrates rêvant rêvait, se chatouillait pour se faire rire, et avec un doigt la tête se grattait. Carpalim, d’une coquille de noix grolière[1008] faisait un beau, petit, joyeux et harmonieux moulinet à aile de quatre belles petites aisses[1009] d’un tranchoir[1010] de vergne. Eusthènes, sur une longue couleuvrine jouait des doigts, comme si fût un monochordion. Rhizotome, de la coque d’une tortue de garigues[1011], composait une escarcelle veloutée[1012]. Xénomanes, avec des jets[1013] d’émerillon rapetassait une vieille lanterne. Notre pilote tirait les vers du nez à ses matelots, quand frère Jean, retournant de la cabane[1014], aperçut que Pantagruel était réveillé.

Adonc rompant cetui tant obstiné silence, à haute voix, en grande allégresse d’esprit, demanda : « Manière de hausser le temps en calme ? » Panurge seconda soudain, demanda pareillement : « Remède contre fâcherie ? » Épistémon tierça en gaieté de cœur, demanda : « Manière d’uriner, la personne n’en étant entalentée[1015] ? » Gymnaste, soi levant en pieds, demanda : « Remède contre l’éblouissement des yeux ? » Ponocrates, s’étant un peu frotté le front et secoué les oreilles, demanda « Manière de ne dormir point en chien ? »

« Attendez, dit Pantagruel. Par le décret des subtils philosophes péripatétiques nous est enseigné que tous problèmes, toutes questions, tous doutes proposés doivent être certains, clairs et intelligibles. Comment entendez-vous dormir en chien ?

— C’est, répondit Ponocrates, dormir à jeun en haut soleil comme font les chiens. »

Rhizotome était accroupi sur le coursoir[1016]. Adonc levant la tête et profondément baillant, si bien qu’il, par naturelle sympathie, excita tous ses compagnons à pareillement bâiller, demanda : « Remède contre les oscitations[1017] et bâillements » ? Xénomanes, comme tout lanterné[1018] à l’accoutrement de sa lanterne, demanda : « Manière d’équilibrer et balancer la cornemuse de l’estomac, de mode qu’elle ne penche plus d’un côté que d’autre ? » Carpalim, jouant de son moulinet, demanda : « Quants[1019] mouvements sont précédents en nature, avant que la personne soit dite avoir faim ? » Eusthènes, oyant le bruit, accourut sur le tillac, et dès le cabestan s’écria, demandant : « Pourquoi en plus grand danger de mort est l’homme mordu à jeun d’un serpent jeun[1020] qu’après avoir repu, tant l’homme que le serpent, pourquoi est la salive de l’homme jeun vénéneuse à tous serpents et animaux vénéneux ? »

« Amis, répondit Pantagruel, à tous les doutes et questions par vous proposées compète[1021] une seule solution, et à tous tels symptomates[1022] et accidents une seule médecine. La réponse vous sera promptement exposée, non par longs ambages et discours de paroles : l’estomac affamé n’a point d’oreilles, il n’ouït goutte. Par signes, gestes et effets serez satisfaits, et aurez résolution[1023] à votre contentement. Comme jadis en Rome Tarquin l’orgueilleux, roi dernier des Romains (ce disant, Pantagruel toucha la corde de la campanelle[1024], frère Jean soudain accourut à la cuisine) par signes répondit à son fils Sex. Tarquin, étant en la ville des Gabins, lequel lui avait envoyé homme exprès pour entendre comment il pourrait les Gabins du tout[1025] subjuguer et à parfaite obéissance réduire. Le roi susdit, soi défiant de la fidélité du messager, ne lui répondit rien ; seulement le mena en son jardin secret, et, en sa vue et présence, avec son braquemart[1026] coupa les hautes têtes des pavots là étants. Le messager, retournant sans réponse et au fils racontant ce qu’il avait vu faire à son père, fut facile par tels signes entendre qu’il lui conseillait trancher les têtes aux principaux de la ville, pour mieux en office[1027] et obéissance totale contenir le demeurant du menu populaire. »


COMMENT PAR PANTAGRUEL NE FUT RÉPONDU AUX PROBLÈMES PROPOSÉS.

Puis demanda Pantagruel : « Quels gens habitent en cette belle île de chien ?

— Tous sont, répondit Xénomanes, hypocrites, patenôtriers, chattemites, santorons[1028], cagots, ermites. Tous pauvres gens, vivants, comme l’ermite de Lormont, entre Blaye et Bordeaux, des aumônes que les voyageurs leur donnent.

— Je n’y vais pas, dit Panurge, je vous affie[1029]. Si j’y vais, que le diable me souffle au cul ! Ermites, santorons, chattemites, cagots, hypocrites, de par tous les diables, ôtez-vous de là ! Il me souvient encore de nos gras concilipètes de Chésil. Que Belzébuth et Astarot les eussent concilié avec Proserpine, tant pâtîmes, à leur vue, de tempêtes et diableries ! Écoute mon petit bedon, mon caporal Xénomanes, de grâce. Ces hypocrites, ermites, marmiteux ici, sont-ils vierges ou mariés ? Y a il du féminin genre ? En tirerait-on hypocritement le petit trait[1030] hypocritique ?

— Vraiment, dit Pantagruel, voilà une belle et joyeuse demande.

— Oui dà, répondit Xénomanes. Là sont belles et joyeuses hypocritesses, chattemitesses, ermitesses, femmes de grande religion, et y a copie[1031] de petits hypocritillons, chattemitillons, ermitillons.

— Ôtez-cela, dit frère Jean interrompant. De jeune ermite, vieil diable. Notez ce proverbe authentique.

— Autrement, sans multiplication de lignée, fut, longtemps y a, l’île de Caneph déserte et désolée. »

Pantagruel leur envoya par Gymnaste dedans l’esquif son aumône : soixante et dix-huit mille beaux petits écus à la lanterne. Puis demanda : « Quantes[1032] heures sont ?

— Neuf et davantage, répondit Épistémon.

— C’est, dit Pantagruel, juste heure de dîner, car la sacre ligne tant célébrée par Aristophanes en sa comédie intitulée les Prédicantes approche, laquelle lors échoit quand l’ombre est décempédale[1033]. Jadis entre les Perses l’heure de prendre réfection était ès rois seulement prescrite : à un chacun autre était l’appétit et le ventre pour horologe. De fait, en Plaute, certain parasite soi complaint[1034], et déteste[1035] furieusement les inventeurs d’horologes et cadrans, étant chose notoire qu’il n’est horologe plus juste que le ventre. Diogènes, interrogé à quelle heure doit l’homme repaître, répondit : « Le riche quand il aura faim, le pauvre quand il aura de quoi. » Plus proprement disent les médecins l’heure canonique[1036] être :

Lever à cinq, dîner à neuf ;
Souper à cinq, coucher à neuf.

« La magie du célèbre roi Pétosiris était autre. » Ce mot n’était achevé, quand les officiers de gueule[1037] dressèrent les tables et buffets, les couvrirent de nappes odorantes, assiettes, serviettes, salières, apportèrent tanquars[1038], frisons[1039], flacons tasses, hanaps, bassins, hydries[1040]. Frère Jean, associé des maîtres d’hôtel, escarques[1041], panetiers, échansons, écuyers tranchants, coupiers[1042], crédentiers[1043], apporta quatre horrifiques pâtés de jambon si grands qu’il me souvint des quatre bastions de Turin. Vrai Dieu, comment il y fut bu et galé[1044] ! Ils n’avaient encore le dessert, quand le vent ouest-nord-ouest commença enfler les voiles, papefils[1045], morisques[1046] et trinquets[1047], dont tous chantèrent divers cantiques à la louange du très haut Dieu des ciels.

Sur le fruit, Pantagruel demanda : « Avisez, amis, si vos doutes sont à plein résolus.

— Je ne bâille plus, Dieu merci, dit Rhizotome.

— Je ne dors plus en chien, dit Ponocrates.

— Je n’ai plus les yeux éblouis, répondit Gymnaste.

— Je ne suis plus à jeun, dit Eusthènes. Pour tout aujourd’hui seront en sûreté de ma salive aspics, vipères… »


COMMENT PANTAGRUEL HAUSSE LE TEMPS AVEC SES DOMESTIQUES.

« En quelle hiérarchie, demanda frère Jean, de tels animaux vénéneux, mettez-vous la femme future de Panurge ?

— Dis-tu mal des femmes, répondit Panurge, ho ! godelureau, moine cul pelé ?

— Par la gogue cénomanique[1048], dit Épistémon, Euripides écrit (et le prononce Andromache), que contre toutes bêtes vénéneuses a été, par l’invention des humains et instruction des dieux, remède profitable trouvé. Remède jusques à présent n’a été trouvé contre la male[1049] femme.

— Ce gorgias[1050] Euripides, dit Panurge, toujours a médit des femmes. Aussi fut-il par vengeance divine mangé des chiens, comme lui reproche Aristophanes. Suivons. Qui a, si parle[1051].

— J’urinerai présentement, dit Épistémon, tant qu’on voudra.

— J’ai maintenant, dit Xénomanes, mon estomac sabourré[1052] à profit de ménage. Ja[1053] ne penchera d’un côté plus que d’autre.

— Il ne me faut, dit Carpalim, ne vin ne pain, trêves de soif, trêves de faim.

— Je ne suis plus fâché, dit Panurge. Dieu merci et vous. Je suis gai comme un papegai[1054], joyeux comme un émerillon, allègre comme un papillon. Véritablement il est écrit par votre beau Euripides, et le dit Silénus, buveur mémorable,

Furieux est, de bon sens ne jouit,
Quiconque boit et ne s’en réjouit.

« Sans point de faute nous devons bien louer le bon Dieu notre créateur, servateur[1055], conservateur, qui par ce bon pain, par ce bon vin et frais, par ces bonnes viandes nous guérit de telles perturbations, tant du corps comme de l’âme, outre le plaisir et volupté que nous avons buvants et mangeants.

« Mais vous ne répondez point à la question de ce benoît vénérable frère Jean, quand il a demandé : « Manière de hausser le temps ? »

— Puis, dit Pantagruel, que de cette légère solution des doutes proposés vous contentez, aussi fais-je. Ailleurs, et en autre temps, nous en dirons davantage, si bon vous semble. Reste donc à vider ce qu’a frère Jean proposé : « Manière de hausser le temps ? » Ne l’avons-nous à souhait haussé ? Voyez le gabet[1056] de la hune. Voyez les sifflements des voiles. Voyez la roideur des étails[1057], des utaques[1058] et des écoutes. Nous haussants et vidants les tasses s’est pareillement le temps haussé par occulte sympathie de nature. Ainsi le haussèrent Atlas et Hercules, si croyez les sages mythologiens. Mais ils le haussèrent trop d’un demi degré, Atlas, pour plus allègrement festoyer Hercules, son hôte, Hercules, pour les altérations précédentes par les déserts de Libye.

— Vrai bis, dit frère Jean, interrompant le propos, j’ai ouï de plusieurs vénérables docteurs que Tirelupin, sommelier de votre bon père, épargne par chacun an plus de huit cents pipes de vin, par faire les survenants et domestiques boire avant qu’ils aient soif.

— Car, dit Pantagruel, continuant, comme les chameaux et dromadaires en la caravane boivent pour la soif passée, pour la soif présente et pour la soif future, ainsi fit Hercules. De mode que, par cetui excessif haussement de temps[1059], advint au ciel nouveau mouvement de titubation[1060] et trépidation, tant controversé et débattu entre les fols astrologues.

— C’est dit Panurge, ce que l’on dit en proverbe commun :

Le mal temps passe et retourne le bon,
Pendant qu’on trinque autour de gras jambon.

— Et non seulement, dit Pantagruel, repaissants et buvants, avons le temps haussé, mais aussi grandement déchargé la navire, non en la façon seulement que fut déchargée la corbeille d’Ésope, savoir est vidants les victuailles, mais aussi nous émancipants de jeûne. Car comme le corps plus est pesant mort que vif, aussi est l’homme jeun[1061] plus terrestre et pesant que quand il a bu et repu, et ne parlent improprement ceux qui, par long voyage, au matin boivent et déjeunent, puis disent : « Nos chevaux n’en iront que mieux. »

« Ne savez-vous que jadis les Amycléens sur tous dieux révéraient et adoraient le noble père Bacchus, et le nommaient Psila en propre et convenante dénomination ? Psila, en langue dorique, signifie ailes. Car comme les oiseaux, par aide de leurs ailes, volent haut en l’air légèrement, ainsi par l’aide de Bacchus (c’est le bon vin friand et délicieux), sont haut élevés les esprits des humains, leurs corps évidentement[1062] allégris[1063], et assoupli ce qu’en eux était terrestre. »


COMMENT, PRÈS L’ÎLE DE GANABIN[1064], AU COMMANDEMENT DE PANTAGRUEL, FURENT LES MUSES SALUÉES.

Continuant le bon vent et ces joyeux propos, Pantagruel découvrit au loin et aperçut quelque terre montueuse, laquelle il montra à Xénomanes, et lui demanda : « Voyez-vous ci-devant à orche[1065] ce haut rocher à deux croupes, bien ressemblant au mont Parnasse en Phocide ?

— Très bien, répondit Xénomanes. C’est l’île de Ganabin. Y voulez-vous descendre ?

— Non, dit Pantagruel.

— Vous faites bien, dit Xénomanes. Là n’est chose aucune digne d’être vue. Le peuple sont tous voleurs et larrons. Y est toutefois, vers cette croupe dextre, la plus belle fontaine du monde, et autour une bien grande forêt. Vos chiourmes[1066] y pourront faire aiguade et lignade[1067].

— C’est, dit Panurge bien et doctement parlé. Ha ! da da ! Ne descendons jamais en terre des voleurs et larrons. Je vous assure que telle est cette terre ici quelles autrefois j’ai vu les îles de Cerq et Herm entre Bretagne et Angleterre, telle que la Ponérople de Philippe en Thrace, îles des forfans[1068], des larrons, des brigands, des meurtriers et assassineurs, tous extraits du propre original des basses fosses de la Conciergerie. N’y descendons point, je vous en prie. Croyez, sinon moi, au moins le conseil de ce bon et sage Xénomanes. Ils sont, par la mort bœuf de bois, pires que les cannibales. Ils nous mangeraient tous vifs. N’y descendez pas de grâce. Mieux vous serait en Arverne descendre. Écoutez. J’y ouïs, par Dieu, le tocsin horrifique, tel que jadis soûlaient les Gascons en Bordelais faire contre les gabeleurs et commissaires, ou bien les oreilles me cornent. Tirons vie[1069] de long. Hau ! Plus outre.

— Descendez-y, dit frère Jean, descendez-y. Allons, allons, allons toujours. Ainsi ne paierons-nous jamais de gîte. Allons. Nous les sacmenterons[1070] trestous. Descendons.

— Le diable y ait part, dit Panurge. Ce diable de moine ici, ce moine de diable enragé ne craint rien. Il est hasardeux comme tous les diables, et point des autres ne se soucie. Il lui est avis que tout le monde est moine comme lui.

— Va, ladre vert, répondit frère Jean, à tous les millions de diables, qui te puissent anatomiser la cervelle et en faire des entommeures[1071]. Ce diable de fol est si lâche et méchant qu’il se conchie à toutes heures de male[1072] rage de peur. Si tant tu es de vaine peur consterné, n’y descends pas, reste ici avec le bagage, ou bien te va cacher sous la cotte hardie de Proserpine à travers tous les millions de diables. »

À ces mots Panurge évanouit de la compagnie et se mussa[1073] au bas dedans la soute, entre les croûtes, miettes et chaplis[1074] du pain. « Je sens, dit Pantagruel, en mon âme rétraction urgente, comme si fut une voix de loin ouïe, laquelle me dit que n’y devons descendre. Toutes et quantes[1075] fois qu’en mon esprit j’ai tel mouvement senti, je me suis trouvé en heur[1076], refusant et laissant la part[1077] dont il me retirait : au contraire en heur pareil me suis trouvé, suivant la part qu’il me poussait, et jamais ne m’en repentis.

— C’est, dit Épistémon, comme le démon de Socrates, tant célébré entre les Académiques.

— Écoutez donc, dit frère Jean, cependant que les chiourmes y font aiguade[1078], Panurge là-bas contrefait le loup en paille. Voulez-vous bien rire ? Faites mettre le feu en ce basilic[1079] que voyez près le château gaillard. Ce sera pour saluer les muses de cetui mont Antiparnasse. Aussi bien se gâte la poudre dedans.

— C’est bien dit, répondit Pantagruel. Faites-moi ici le maître bombardier venir. »

Le bombardier promptement comparut. Pantagruel lui commanda mettre feu on[1080] basilic et de fraîches poudres en tout événement le recharger. Ce que fut sur l’instant fait. Les bombardiers des autres nefs, ramberges[1081], galions et galéasses[1082] du convoi, au premier déchargement du basilic qui était en la nef de Pantagruel, mirent pareillement feu chacun en une de leurs grosses pièces chargées. Croyez qu’il y eut beau tintamarre.


la devinière, près de chinon
Maison des champs de la famille Rabelais.

COMMENT PANURGE, PAR MALE PEUR, SE CONCHIA, ET DU GRAND CHAT RODILARDUS PENSAIT QUE FUT UN DIABLETEAU.

Panurge, comme un bouc étourdi, sort de la soute en chemise, ayant seulement un demi-bas de chausses en jambe, sa barbe toute mouchetée de miettes de pain, tenant en main un grand chat soubelin[1083] attaché à l’autre demi-bas de ses chausses. Et remuant les babines comme un singe qui cherche poux en tête, tremblant et claquetant des dents, se tira vers frère Jean, lequel était assis sur le porte-hauban de tribord, et dévotement le pria avoir de lui compassion, et le tenir en sauvegarde de son braquemart[1084], affirmant et jurant par sa part de papimanie qu’il avait à heure présente vu tous les diables déchaînés.

« Agua, men emi[1085], disait-il, men frère, men père spirituel, tous les diables sont aujourd’hui de noces. Tu ne vis onques tel apprêt de banquet infernal. Vois-tu la fumée des cuisines d’enfer ? (Ce disait, montrant la fumée des poudres à canon dessus toutes les nefs). Tu ne vis onques tant d’âmes damnées. Et sais-tu quoi ? Agua, men emi, elles sont tant douillettes, tant blondettes, tant délicates, que tu dirais promptement que ce fut ambroisie stygiale[1086]. J’ai cuidé[1087], Dieu me le pardonne ! que fussent âmes anglaises, et pense qu’à ce matin ait été l’île des Chevaux, près Écosse, par les seigneurs de Termes et Dessay saccagée et sacmentée[1088] avec tous les Anglais qui l’avaient surprise. »

Frère Jean, à l’approcher, sentait je ne sais quelle odeur autre que de poudre à canon. Dont il tira Panurge en place, et aperçut que sa chemise était toute foireuse et embrenée de frais. La vertu rétentrice du nerf qui restreint le muscle nommé sphincter (c’est le trou du cul) était dissolue[1089] par la véhémence de la peur qu’il avait eue en ses fantastiques visions, adjoint le tonnerre de telles canonnades, lequel plus est horrifique par les chambres basses que n’est sur le tillac. Car un des symptômes et accidents de peur est que par lui ordinairement s’ouvre le guichet du sérail onquel[1090] est à temps la matière fécale retenue.

Exemple en messer Pantolfe de la Cassine, Siennois, lequel, en poste passant par Chambéry, et chez le sage ménager Vinet descendant, prit une fourche de l’étable, puis lui dit : Da Roma in qua io non son andato del corpo. Di gratia, piglia in mano questa forcha, et fa mi paura. Vinet, avec la fourche, faisait plusieurs tours d’escrime, comme feignant le vouloir à bon escient frapper. Le Siennois lui dit : « Se tu non fai altramente, tu non fai nulla. Pero sforzati di adoperarii più guagliardamente. » Adonc Vinet de la fourche lui donna un si grand coup entre col et collet qu’il le jeta par terre à jambes rebidaines[1091]. Puis bavant et riant à pleine gueule, lui dit : « Fête Dieu Bayard ! cela s’appelle Datum Camberiaci. » À bonne heure avait le Siennois ses chausses détachées, car soudain il fienta plus copieusement que n’eussent fait neuf buffles et quatorze archiprêtres d’Ostie. Enfin le Siennois gracieusement remercie Vinet, et lui dit : Io ti ringratio, bel messere. Cosi facendo tu m’hai esparmiata la speza d’un servitiale.

Exemple autre on[1092] roi d’Angleterre, Édouard le quint. Maître François Villon, banni de France, s’était vers lui retiré. Il l’avait en si grande privauté reçu que rien ne lui celait des menus négoces de sa maison. Un jour le roi susdit, étant à ses affaires, montra à Villon les armes de France en peinture, et lui dit : « Vois-tu quelle révérence je porte à tes rois français ? Ailleurs n’ai-je leurs armoiries qu’en ce retrait ici, près ma selle percée.

— Sacre Dieu, répondit Villon, tant vous êtes sage, prudent, entendu et curieux[1093] de votre santé, et tant bien êtes servi de votre docte médecin, Thomas Linacer ! Il, voyant que naturellement, sur vos vieux jours, étiez constipé du ventre, et que journellement vous fallait au cul fourrer un apothicaire, je dis un clystère, autrement ne pouviez-vous émutir[1094], vous a fait ici aptement, non ailleurs, peindre les armes de France, par singulière et vertueuse providence. Car seulement les voyant, vous avez telle vézarde[1095] et peur horrible que soudain vous fientez comme dix-huit bonases[1096] de Péonie. Si peintes étaient en autre lieu de votre maison, en votre chambre, en votre salle, en votre chapelle, en vos galeries, ou ailleurs, sacre Dieu ! vous chieriez partout sur l’instant que les auriez vues. Et crois que si d’abondant[1097] vous aviez ici en peinture la grande oriflambe[1098] de France, à la vue d’icelle vous rendriez les boyaux du ventre par le fondement. Mais, hen, hen, atque iterum, hen !

Ne suis-je badaud de Paris ?
De Paris, dis-je, auprès Pontoise,
Et d’une corde d’une toise
Saura mon cou que[1099] mon cul poise[1100]

« Badaud, dis-je, mal avisé, mal entendu, mal entendant, quand venant ici avec nous, m’ébahissais de ce qu’en votre chambre vous êtes fait vos chausses détacher. Véritablement je pensais qu’en icelle, derrière la tapisserie, ou en la venelle du lit, fût votre selle percée. Autrement me semblait le cas grandement incongru, soi ainsi détacher en chambre pour si loin aller on[1101] retrait lignager[1102]. N’est-ce un vrai pensement de badaud ? Le cas est fait par bien autre mystère, de par Dieu. Ainsi faisant, vous faites bien. Je dis si bien que mieux ne sauriez. Faites-vous à bonne heure, bien loin, bien à point détacher, car à vous, entrant ici n’étant détaché, voyant ces armoiries, — notez bien tout, sacre Dieu ! — le fond de vos chausses ferait office de lasanon[1103], pital[1104], bassin fécal et de selle percée. »

Frère Jean, étoupant son nez avec la main gauche, avec le doigt indice de la main dextre montrait à Pantagruel la chemise de Panurge. Pantagruel le voyant ainsi ému, transi, tremblant, hors de propos, conchié et égratigné des griffes du célèbre chat Rodilardus, ne se put contenir de rire et lui dit : « Que voulez-vous faire de ce chat ?

— De ce chat ? répondit Panurge. Je me donne au diable si je ne pensais que fût un diableteau à poil follet, lequel naguère j’avais capiètement[1105] happé en tapinois, à belles mouffles[1106] d’un bas de chausses, dedans la grande huche d’enfer. Au diable soit le diable ! Il m’a ici déchiqueté la peau en barbe d’écrevisse. » Ce disant, jeta bas son chat.

« Allez, dit Pantagruel, allez, de par Dieu, vous étuver, vous nettoyer, vous assurer[1107], prendre chemise blanche et vous revêtir.

— Dites-vous, répondit Panurge, que j’ai peur ? Pas maille[1108]. Je suis, par la vertu Dieu, plus courageux que si j’eusse autant de mouches avalé qu’il en est mis en pâte dedans Paris, depuis la fête saint Jean jusques à la Toussaint. Ha ! ha ! ha Houay ! Que diable est ceci ? Appelez-vous ceci foire, bren, crottes, merde, fiente, déjection, matière fécale, excrément, repaire[1109], laisse[1110], émeut[1111], fumée[1112], étron, scybale[1113] ou spyrate[1114] ? C’est, crois-je, safran d’Hibernie[1115]. Ho ! ho ! hie ! C’est safran d’Hibernie. Séla[1116] ! Buvons. »


  1. Au.
  2. Navigation.
  3. Escadre voguant de conserve.
  4. Navires anglais.
  5. Birèmes liburiennes.
  6. Chanvre.
  7. Interprètes.
  8. Novices.
  9. Chefs de nage.
  10. Transparente et translucide.
  11. Flacon.
  12. Orné.
  13. Damasquinure.
  14. Vase à vin.
  15. Affiné.
  16. Tasse.
  17. Parfilé.
  18. De Perse.
  19. Hotte de vendangeur.
  20. Baril.
  21. Indiennes.
  22. À dessins d’arbres taillés.
  23. Mets.
  24. Provisions de vin.
  25. Pendant la navigation.
  26. L’aimant.
  27. Inde.
  28. La zone torride.
  29. Au delà de.
  30. Essieu (pôle).
  31. Mais.
  32. Tourner.
  33. Conforme aux règles.
  34. Départ.
  35. Au.
  36. Silloné.
  37. De marbre.
  38. La périphérie de l’île.
  39. Au.
  40. Équipages (de rameurs).
  41. Provision d’eau.
  42. Étrangères.
  43. Qui se font chaque année.
  44. S’assemblaient.
  45. Sentiments.
  46. Copié.
  47. Brodée.
  48. Obsèques.
  49. Licornes.
  50. Brûlé.
  51. Chacals.
  52. Émotions.
  53. Successivement.
  54. Prêtres d’Isis.
  55. Refusées.
  56. Émotions.
  57. Étrangers.
  58. Canons.
  59. Vaisseau léger.
  60. L’Hirondelle (en grec).
  61. Écailles.
  62. Telles qu’elles.
  63. Comportement.
  64. Salut du bonnet.
  65. Colombe (en hébreu).
  66. Faisant éclore.
  67. Entraves.
  68. Au.
  69. Ardemment attendue.
  70. L’accommodement.
  71. Désiraient vivement.
  72. Tension d’esprit.
  73. Maisons de champs.
  74. Administration ménagère.
  75. Départ.
  76. Ôté.
  77. Soucieuse.
  78. Chagrin.
  79. Mot.
  80. Expédié.
  81. Renseigné d’une façon certaine.
  82. Comportement.
  83. Recouvré.
  84. Remis.
  85. Reposer.
  86. L’expédition.
  87. Prévus.
  88. Souffrent.
  89. Impuissantes (à supporter).
  90. Détachée.
  91. Méditées.
  92. M’abandonnais.
  93. Mémoire.
  94. Burinée et gravée.
  95. Naturelle.
  96. Mission de confiance.
  97. En même temps.
  98. Continuité.
  99. Impuissance.
  100. Gratitude.
  101. Détresse.
  102. À moins que.
  103. Bienfait.
  104. Dignes.
  105. Total.
  106. Manquerai.
  107. Navigation.
  108. Voisines.
  109. Licornes.
  110. S’y opposant.
  111. Au.
  112. Convenables.
  113. Petit blé.
  114. Légumes.
  115. Vivantes.
  116. Gentillesse.
  117. Serrement de bras.
  118. Après avoir.
  119. Perles.
  120. Matelots.
  121. Partirent.
  122. Navigation.
  123. La copie.
  124. Déjà
  125. Babord.
  126. Mer.
  127. Pouces.
  128. Donné la saccade (mot forgé par Rabelais).
  129. Hors de sujétion.
  130. Moutonnier.
  131. Armures.
  132. D’où fut apaisé.
  133. De bon cœur.
  134. Lui fit raison.
  135. Gaillardement.
  136. Railler.
  137. Point.
  138. De par saint Nicolas, compagnon (en lorrain).
  139. Couchant.
  140. Vrai.
  141. Fou.
  142. Bifurquez.
  143. Plateau.
  144. La Tête de Buch.
  145. Serges.
  146. Drap fin de Ségovie.
  147. Verrou.
  148. Porte.
  149. (Monnaie à l’effigie de Henri II.)
  150. Auquel.
  151. Fruits des Indes.
  152. Vient.
  153. Alchimistes.
  154. Du côté que.
  155. Beaucoup.
  156. Antilopes.
  157. Osselets.
  158. Dépéchons.
  159. Les boyaux.
  160. Fienter.
  161. Merde, merde.
  162. Armure.
  163. De quel côté.
  164. Réjoui.
  165. De la main gauche.
  166. Empêcher.
  167. Animal.
  168. Croyant.
  169. La cambuse.
  170. Empêcher.
  171. Échapper au.
  172. Bonheur.
  173. Souhaitant.
  174. Doux comme du satin.
  175. Avait coutume.
  176. Largement.
  177. Suisses du comté de Gruyère.
  178. Niais.
  179. Vent du Sud.
  180. Employer.
  181. Côté.
  182. Avec.
  183. Jupon (le ventre).
  184. Corps de poule (italianisme).
  185. Faire des chichis.
  186. L’embrassade.
  187. Vraiment.
  188. À ma façon rustique.
  189. Dispense.
  190. Dans tous leurs atours.
  191. Naturelles.
  192. Chenets.
  193. Naturellement.
  194. D’exotismes.
  195. Lutte.
  196. Vanterait.
  197. Dignes.
  198. Révolté.
  199. Soigneusement.
  200. Au.
  201. (Sorte de pâtisseries).
  202. Cachée.
  203. Piquer aux épiner.
  204. Déplacée.
  205. Damerai le pion (à votre histoire).
  206. Superbement.
  207. D’armures de jambes et de pieds.
  208. Avec une monture assortie.
  209. Mâchuré.
  210. Procureurs.
  211. Avec.
  212. Interprètes.
  213. Diamétralement.
  214. Gens soumis à Rome.
  215. Mauvaise.
  216. Memento.
  217. Larve de grenouille, tétard.
  218. Jarretières, coups de fouets sur les jambes.
  219. Naturelles.
  220. Parfois.
  221. En même temps.
  222. Suis résolu.
  223. Sultan.
  224. Ne manquez.
  225. De peau de chevreau.
  226. Au.
  227. Cloche.
  228. Particulièrement.
  229. Au.
  230. Mine.
  231. (Monnaie d’or.)
  232. L’os de la poitrine.
  233. Enfoncé.
  234. D’acier.
  235. Tigré de contusions.
  236. Equa orba (latinisme).
  237. Acteurs.
  238. Ayant répété leur rôle.
  239. Sacristain.
  240. Acteurs.
  241. Agrémentés.
  242. Crochets.
  243. Les uns.
  244. Poix résine.
  245. Après les avoir.
  246. Maison de champs.
  247. Au.
  248. Coups de poitrail.
  249. Ruades de deux pieds à la fois.
  250. Renversa.
  251. Bois.
  252. Tailladé.
  253. Écrasa.
  254. Des Rameaux.
  255. Pensé.
  256. Je vous le confie.
  257. Méprise.
  258. Comparés.
  259. Garde.
  260. Panaches.
  261. Papillottes.
  262. Cuillères à soupes.
  263. Cloche.
  264. Osselets.
  265. De quel côté.
  266. Employer.
  267. Premièrement.
  268. Résolus.
  269. Courbaturé.
  270. Couvert de bleus.
  271. Au.
  272. À la main fermée.
  273. Floc de rubans.
  274. Médecins.
  275. Ingurgité.
  276. Rompu.
  277. Les os (radius et cubitus) cassés.
  278. Cachés.
  279. Maudissait.
  280. Privé d’un bras.
  281. Par surplus.
  282. Qui avait les mâchoires en Bavière (c.à.d. bavantes).
  283. Souliers.
  284. Jambes.
  285. Singe.
  286. En outre.
  287. Phalanges.
  288. Partent.
  289. En même temps.
  290. Combien de.
  291. Depuis lors.
  292. Dépensait.
  293. Paré.
  294. Aujourd’hui.
  295. Qui rendent la justice debout.
  296. Sortant.
  297. Ribauds.
  298. Distribuait.
  299. Dépensait.
  300. Assommerez
  301. Au.
  302. Chaton.
  303. (Pierre fine d’un gris brunâtre).
  304. Se plaignant.
  305. Plaintes.
  306. Croyais.
  307. Fête-Dieu.
  308. Calfats (hommes de rien).
  309. De bon visage.
  310. Équipage de rameurs.
  311. (Jeu de mots avec Apocalypse).
  312. Ornements sacrés.
  313. Cachés.
  314. Le clocher.
  315. Droite.
  316. Transports.
  317. (Ordre fondé par Amédée de Savoie).
  318. Éplucher.
  319. Caviars.
  320. Œufs de poisson séchés.
  321. (Monnaie d’or).
  322. La banderolle.
  323. Tempête.
  324. Au guet.
  325. Novices.
  326. Misaine, contremisaine, voile de fortune, grand’voile, voile d’artimont, voile de beaupré.
  327. Boulines.
  328. Trinquette de proue et trinquette de hune.
  329. Les enfléchures et cordages.
  330. Tourbillon.
  331. Bourrasques.
  332. Tourmentes.
  333. Déchirements.
  334. Orages, tempêtes, tourbillons de vent et de pluie, ouragans accompagnés de foudre et d’éclairs.
  335. Foudres fumantes, foudres fulgurantes, éclairs en spirales.
  336. Traits lancés par le ciel.
  337. Notre orientation.
  338. Auquel.
  339. Chagriné.
  340. Exhiber.
  341. Par surplus.
  342. Sauveur.
  343. Je sue abondamment.
  344. Grand’peine.
  345. L’amarre de proue.
  346. Les porte-haubans.
  347. Le mât.
  348. Hume.
  349. Câbles.
  350. Boulines.
  351. Perdu, par Dieu ! (allemand corrompu).
  352. Portez aide.
  353. Châteaux d’avant.
  354. Remorque.
  355. La barre.
  356. Trait.
  357. Le gond de gouvernail.
  358. Braie, le cordage.
  359. De la drosse.
  360. L’aimant.
  361. Tempête.
  362. Mauvaise
  363. L’allée entre les bancs de rames.
  364. Épée.
  365. (Le plus haut ton).
  366. (La plus basse note).
  367. En haut.
  368. Le transport.
  369. Allant au concile.
  370. Rente.
  371. Au.
  372. Chef de chiourme.
  373. Argousin.
  374. La chambre.
  375. Le pilier de la poupe.
  376. Bitons.
  377. Seaux.
  378. Donnerai de la réjouissance.
  379. Chef de nage.
  380. Là-dessus.
  381. Grillades de chevreau.
  382. (Dieux de l’île de Samothrace).
  383. Gauche.
  384. Novice.
  385. Talmont (Vendée) ? jeu de mots entre mousse et talemouze (sorte de pâtisserie).
  386. Balustrade.
  387. Hisse !
  388. L’avant.
  389. Merde.
  390. À gauche.
  391. Tête du gouvernail.
  392. Escargotière.
  393. Vraiment.
  394. Le plomb et les sondes.
  395. À la poulie !
  396. À la drisse.
  397. Hale.
  398. À la lame !
  399. La barre.
  400. Mets à la cape.
  401. Sauveur.
  402. À droite.
  403. Impropice.
  404. Sous.
  405. Auspessades.
  406. Dans un champ nouvellement moissoné.
  407. Échapperons à.
  408. Trois demi-aunes de bosses chancreuses (italianisme).
  409. Échouée.
  410. Pitoyable.
  411. Désirs ardents.
  412. Bréviaire.
  413. La tramontane, le nord.
  414. S’éclaircir.
  415. Redescendu à fond.
  416. Au mât de hune.
  417. Hisse.
  418. Aux boulines de contre-misaine.
  419. À la drisse.
  420. La barre.
  421. Au bout.
  422. Les écoutes.
  423. Les boulines.
  424. Serre.
  425. Coupe la route.
  426. Sur la terre.
  427. Aux pochettes !
  428. Qu’on amuse les bonnettes.
  429. Droite.
  430. Tendre à sa fin.
  431. Décamper d’ici.
  432. Mollis.
  433. Proue.
  434. Férié.
  435. Chant de rameurs.
  436. Arrête, arrête.
  437. Phare.
  438. (Mesure de deux pintes.)
  439. Chopes.
  440. Deux tartanes, trois chaloupes, cinq navires, huit barques.
  441. Le mât.
  442. Gros câbles.
  443. Tourbillon.
  444. Ouragan.
  445. Poil.
  446. Hors de sens.
  447. Sauveur.
  448. Enroule.
  449. Beaucoup.
  450. Violente (la dixième, plus forte que les autres).
  451. Promener.
  452. Gros câbles.
  453. Aussi.
  454. Obtenue.
  455. Oiseux.
  456. De femmes.
  457. Réussissent.
  458. Efféminé.
  459. Combien d’.
  460. Chefs de nage.
  461. Pont volant.
  462. Affamé comme un loup.
  463. Cette guenille.
  464. Au.
  465. Gaillardement.
  466. Caban.
  467. Blaireau.
  468. Humide.
  469. Au.
  470. Aussi.
  471. Non humide.
  472. Pigeons sauvages.
  473. De manière que.
  474. Équipages de rameurs.
  475. Régalé.
  476. Cœur.
  477. Digne d’être vu.
  478. Mauresque.
  479. N’a rapport.
  480. Sauveur.
  481. Ouragan.
  482. Courants.
  483. Saint-Mathieu.
  484. Détroit.
  485. Demeure.
  486. Départ.
  487. Étrangers.
  488. Peuplée.
  489. L’abaissement de sa population.
  490. (Mesure de 30 stades).
  491. Calme.
  492. Orages.
  493. Ouragan.
  494. Départ.
  495. Ébranlements.
  496. Renversement des États.
  497. Au.
  498. Vers.
  499. Assembler.
  500. Frauduleuse.
  501. Défense.
  502. Obsèques.
  503. Incorrigible.
  504. Départ
  505. Cours.
  506. Bénir.
  507. Inquiétude d’esprit.
  508. Jouissance.
  509. Ébranlent.
  510. Présages.
  511. Départ.
  512. En toute évidence.
  513. Savigliano.
  514. Notre-Dame.
  515. Compagnons de Pan.
  516. Nombre de quatre.
  517. Au.
  518. Quelques-uns.
  519. Proue.
  520. Après l’avoir.
  521. S’enquérant.
  522. Au.
  523. Sauveur.
  524. Contraire au bon sens.
  525. Grec.
  526. À rapport.
  527. Zéphire.
  528. Enfonceur de caques de harengs.
  529. Candes, canton de Chinon (Indre-et-Loire).
  530. Souffre.
  531. Rebondies.
  532. Il y a longtemps.
  533. Quelques-unes.
  534. Saccageons.
  535. Nous nous.
  536. Souffleur.
  537. Vaisseau, proprement gondole égyptienne.
  538. Garer et serrer.
  539. Barges à rames.
  540. Brigantins.
  541. Grec.
  542. Aigu.
  543. Au.
  544. Résolu.
  545. Bas.
  546. Qui vomissent des flammes.
  547. Jamais.
  548. Le voici.
  549. Vraiment.
  550. En quelque manière.
  551. Quelque.
  552. Milord.
  553. Va-t’en (en picard).
  554. Les retranchements.
  555. Cataractes.
  556. Javelines.
  557. Servait à peu de chose.
  558. Frapper.
  559. Au.
  560. Tirer.
  561. Habile.
  562. Épées à deux mains.
  563. Frappée.
  564. Récit.
  565. Cachent.
  566. Marais.
  567. Flèches.
  568. Javelots.
  569. Capuchons.
  570. Déchirer.
  571. Se fourvoyant.
  572. Égale.
  573. Partagée.
  574. Hunes.
  575. Anneaux de cordages.
  576. Rameurs-chefs.
  577. Où pendait une lanterne (la seconde nef).
  578. Quelques-uns.
  579. Un bouquet.
  580. Cloche.
  581. Sournoises.
  582. L’office.
  583. Ainsi.
  584. Écureils.
  585. Soupçon.
  586. Dégât.
  587. S’y opposant.
  588. Voisinage.
  589. Vraiment.
  590. Tempérer.
  591. Désormais.
  592. Passions.
  593. Au.
  594. Engendrés aux montagnes.
  595. Accord.
  596. Saccagées.
  597. Muguetées.
  598. Citées en justice.
  599. Déconfit.
  600. Sec comme une morue.
  601. Forteresse.
  602. Mangeailles.
  603. Le bouquet.
  604. Rebondies.
  605. Gigantesques.
  606. Boyaux.
  607. Fifres.
  608. Petites friquettes, jeunes coquettes.
  609. Flanquées.
  610. Des bois.
  611. Pâtés.
  612. Brigands.
  613. Surgissait.
  614. Danger.
  615. Accueil.
  616. Mirent à sac.
  617. Parmi.
  618. Accueillir.
  619. Sentiment.
  620. À l’enseigne d’un vase de vin (la neuvième).
  621. À l’enseigne d’une hotte de vendangeur (la onzième).
  622. Jamais.
  623. Point.
  624. Bonheur.
  625. Poussé par.
  626. Au.
  627. Disgrâces.
  628. Contrefaits.
  629. Au.
  630. Sciatiques.
  631. Migraines.
  632. Ne servaient.
  633. Travaux.
  634. Départ.
  635. Danger.
  636. De bouc.
  637. Échapper.
  638. En quelque façon.
  639. Sacrées.
  640. Résolus.
  641. Choc.
  642. De bon cœur
  643. Mettre à sac.
  644. Chevau-léger.
  645. Au.
  646. Au parti.
  647. Railler.
  648. Résolus.
  649. Enseigne.
  650. Bouffonneries.
  651. Aujourd’hui.
  652. Dextérités.
  653. À l’enseigne de flacon monacale (la deuxième du convoi).
  654. Bombardes.
  655. Boulets.
  656. Traits.
  657. Modèle.
  658. Allègres.
  659. Glaive.
  660. Le bois des lances.
  661. Défi.
  662. Quelques-uns.
  663. Rebondi.
  664. Tranches.
  665. Ainsi tire.
  666. Enlevait par tranches.
  667. Genou.
  668. Pâtés.
  669. Tumulte.
  670. Chenets pour la broche.
  671. Pelles.
  672. Chaudrons.
  673. Balais.
  674. Assaillirent.
  675. Boulets.
  676. Point.
  677. Blessés.
  678. Nord.
  679. Plumage.
  680. Languedoc.
  681. Escarboucle.
  682. Vert-poireau.
  683. De Lucullus.
  684. Toulouse.
  685. Étourdis.
  686. Épées.
  687. (Futaille de 400 litres).
  688. Se plaignait.
  689. (Féminin de successeur).
  690. Fidelité.
  691. Médicament réparateur.
  692. Du Perche.
  693. L’archétype.
  694. Aussi.
  695. Blessés.
  696. (Où les chantres portent leurs bâtons).
  697. Rabbins.
  698. Mépris.
  699. Entra en possession.
  700. (La grande halle de Milan).
  701. Au.
  702. Quelques-uns.
  703. Le mirent au-dessous de.
  704. Bourreau.
  705. Ouvertement.
  706. Éternelle.
  707. Plongeon.
  708. Rasés.
  709. Comédies.
  710. Labourait.
  711. Portant fruit tous les ans.
  712. Blé sans barbe.
  713. Obtenu.
  714. Aussi.
  715. Manquerai.
  716. Frères lais.
  717. Corps à corps.
  718. Départ.
  719. Couper.
  720. Éventa.
  721. (Chaussette de cuir).
  722. Mais.
  723. Vous qui.
  724. Sortir.
  725. Suivante.
  726. Grillade.
  727. Couper.
  728. Sacs.
  729. Interprète.
  730. Fatigue.
  731. Goûter.
  732. Repas après souper.
  733. Repaît.
  734. Avait coutume.
  735. Un même.
  736. Bouche.
  737. Gagné.
  738. Goûter.
  739. Faux-monnayeurs.
  740. Fait son repas après souper.
  741. Après avoir.
  742. Manière de vivre.
  743. Croyait.
  744. Médité.
  745. Plongeon.
  746. Résolu.
  747. Blessée.
  748. Régalerai.
  749. Aujourd’hui.
  750. Dénouement.
  751. Amarré.
  752. Gros câbles.
  753. Corbeille.
  754. Se tourmentassent.
  755. Étrangers.
  756. Comprenons.
  757. Point.
  758. Manqueraient.
  759. En outre.
  760. Accueillis.
  761. Cessez.
  762. Fut étourdi.
  763. De Stentor.
  764. Qui parlent des choses passées.
  765. Avec révérence.
  766. Descendues du ciel.
  767. C’est pourquoi.
  768. Perles.
  769. L’entablement.
  770. En même temps.
  771. Au.
  772. Oriflamme.
  773. Divines.
  774. Avec soin.
  775. Beaucoup.
  776. Venant de Lanternois.
  777. Caractères d’imprimerie.
  778. Jamais.
  779. Point.
  780. Copies.
  781. Mer.
  782. Araignées.
  783. Au.
  784. Lèvres.
  785. Poussez.
  786. Jeu de mots avec trépassés et traits (coups de vin) passés.
  787. Tirez (l’épée).
  788. Portrait.
  789. Tas.
  790. Serrures.
  791. Réellement.
  792. Dont on se souvient.
  793. Tracée.
  794. Gangrenée.
  795. Souvenez-vous.
  796. Ordurières.
  797. Fait erreur.
  798. Mais.
  799. Surmonté.
  800. À la mode des souverains perses.
  801. Incorrigibles.
  802. (Rapprochez d’incontinent) aussitôt qu’ils.
  803. Profond.
  804. Marguilliers.
  805. Petit impôt.
  806. Petit coin.
  807. Ressemblant.
  808. Chère.
  809. Nombreuses.
  810. Lapins.
  811. Service.
  812. Assure.
  813. Vives.
  814. La tête découverte.
  815. Entortillés.
  816. (Plante ombellifère).
  817. Oranges.
  818. Débordant (jeu de mots avec extravagante).
  819. Divines.
  820. (Sous-entendez : livre).
  821. Décrétales de Clément V.
  822. Constitutions papales en dehors du Corpus.
  823. Changer en sang.
  824. Placer au centre.
  825. Compliqués.
  826. Orages.
  827. Corvées.
  828. Joie.
  829. Amusements.
  830. Préceptes.
  831. Fixés à jamais.
  832. Sentence notable.
  833. Mépris.
  834. Qui parle d’or.
  835. Jamais.
  836. Traces.
  837. Hi ! han !.
  838. Au.
  839. Crevasses.
  840. Hémorroïdes.
  841. Breneux, jeu de mots avec la rue Clos-Bruneau.
  842. Embrenant.
  843. Que l’on doit à Dieu.
  844. Que l’on doit aux saints.
  845. Employé.
  846. Bols.
  847. Purgatifs.
  848. Dessinés.
  849. Robes.
  850. Vertugadins.
  851. Croyant.
  852. Après l’avoir.
  853. Capuchon.
  854. (Banqueroutier).
  855. Chanoine.
  856. À côté.
  857. Entamé.
  858. Dorées.
  859. Trait.
  860. Le corbeau (le noir).
  861. À s’accoupler (en parlant du cheval et de l’âne).
  862. La corvée.
  863. Fautif.
  864. Malhabile.
  865. Après l’avoir.
  866. D’une perche.
  867. Tympans (tambours).
  868. Flocs de rubans.
  869. Mascarade.
  870. Carapaces.
  871. (Plante dont les feuilles pouvaient servir à faire des masques).
  872. (Sixième livre).
  873. Danses.
  874. Gale.
  875. Furoncles.
  876. Ais.
  877. (Cri des âniers).
  878. Ailes (jeu de mots avec décrétales).
  879. Au.
  880. Faisant couler l’or.
  881. Rompez les épaules.
  882. Éventrez.
  883. Déboîtez.
  884. Disloquez.
  885. Cuisez sur des charbons.
  886. Meurtriers de décrétales.
  887. Prééminences.
  888. Lapsus.
  889. Conquiert.
  890. Tartares.
  891. (Fanatiques égyptiens).
  892. Déchaîné.
  893. Abbayes.
  894. Divines.
  895. Bâti sur pilotis.
  896. Appuyé d’un talus.
  897. Bon gré mal gré.
  898. Dépendent.
  899. Baisser la tête.
  900. Portrait.
  901. Quelques-unes.
  902. Tête.
  903. Au.
  904. Gouvernant par les décrétales.
  905. Économe.
  906. Données par surcroît.
  907. Afin que.
  908. Denoûment.
  909. Vient.
  910. (Argile usitée en médecine).
  911. Casseroles.
  912. Mets.
  913. Planterai.
  914. Pistolets.
  915. Point.
  916. Cristal.
  917. Portrait.
  918. (Monnaie imaginaire).
  919. Chantant.
  920. Découvrir.
  921. Quelques-uns.
  922. Moquerie.
  923. Épée.
  924. La barre.
  925. (Lieu dit près de Chinon).
  926. Babord.
  927. Tribord.
  928. Au mât de misaine.
  929. Aux boulines.
  930. Pourtant.
  931. L’attache.
  932. Exemples.
  933. Portraits.
  934. Partie.
  935. En outre.
  936. Au.
  937. (Par) hasardeuse.
  938. Thraciennes.
  939. Rouges (en blason).
  940. Qui marchent dans les nuages.
  941. Cliquetis.
  942. Chocs.
  943. Armures.
  944. Le long.
  945. Noirs (en blason).
  946. Après l’être.
  947. Comprenions.
  948. Entamées.
  949. Au.
  950. Choc.
  951. Foin.
  952. Point.
  953. Grimace de singe.
  954. Rude.
  955. Quelques-uns.
  956. Travaillent.
  957. (Sous-entendu : lui).
  958. L’image.
  959. Corps.
  960. Mauvaise.
  961. Décider.
  962. Embarrassé.
  963. Bêtes brutes.
  964. Refusés.
  965. Perroquets.
  966. Étrangers.
  967. Vagabonds.
  968. Pillards (tous ces termes sont empruntés à la fauconnerie).
  969. Suspendus, en suspens.
  970. Danser.
  971. Pendant.
  972. Quelque part.
  973. Repousse.
  974. Choississant.
  975. Ingénieur.
  976. Parlant du ventre.
  977. Adorateurs du ventre.
  978. Au.
  979. Sauveur.
  980. Marmottant.
  981. Terminaison.
  982. Quelques-uns
  983. Oisifs
  984. Apparaît.
  985. Plaisir.
  986. Encapuchonnés.
  987. Ferait défaut.
  988. Du forgeron.
  989. Pendant.
  990. Au.
  991. Le trafic.
  992. Déjà
  993. De Jupiter.
  994. Soigneusement.
  995. Machines de guerre.
  996. N’ont été de profit.
  997. S’y opposant.
  998. (Gros canons).
  999. Frappé de stupeur.
  1000. Hypocrisie (en hébreu).
  1001. Balancines.
  1002. Traînantes.
  1003. Hébétés.
  1004. Mornes.
  1005. Lit de matelot.
  1006. Ascension.
  1007. Chanvre.
  1008. À corneilles.
  1009. Ais, planchette.
  1010. Copeau.
  1011. Laneds.
  1012. Garnie de velours.
  1013. Attaches (en fauconnerie).
  1014. Cabine.
  1015. Disposée.
  1016. La dunette.
  1017. Baillements (latinisme).
  1018. Le cerveau vidé.
  1019. Combien de.
  1020. À jeun.
  1021. Convient.
  1022. Accidents de maladie.
  1023. Solution.
  1024. Cloche.
  1025. Entièrement.
  1026. Épée
  1027. Devoir.
  1028. Petits saints.
  1029. Assure.
  1030. Coup.
  1031. Abondance.
  1032. Combien d’.
  1033. De dix pieds.
  1034. Plaint.
  1035. Maudit.
  1036. Conforme aux règles.
  1037. Bouche.
  1038. Grands pots.
  1039. Pintes.
  1040. Aiguières.
  1041. Serviteurs.
  1042. Préposés aux coupes.
  1043. Préposés aux crédences (buffets).
  1044. Régalé.
  1045. Grand-voiles.
  1046. Voiles mauresques.
  1047. Trinquettes.
  1048. Le boyau du Mans.
  1049. Mauvaise.
  1050. Bel.
  1051. Qui a (un roi), le dise, terme de jeu.
  1052. Lesté.
  1053. Jamais.
  1054. Perroquet.
  1055. Serviteur.
  1056. Girouette.
  1057. Étais.
  1058. Cordes à poulie.
  1059. La soif qu’il avait eue. (Hausser le temps était synonyme de boire.)
  1060. Vacillement.
  1061. À jeun.
  1062. Évidemment.
  1063. Rendus allègres.
  1064. Des larrons (hébreu).
  1065. À gauche, à babord.
  1066. Équipages de rameures.
  1067. De l’eau et du bois.
  1068. Scélérats.
  1069. Faisons route.
  1070. Mettrons à sac.
  1071. Entamures.
  1072. Mauvaise.
  1073. Cacha.
  1074. Chapelures.
  1075. Combien de.
  1076. Bonne chance.
  1077. L’endroit.
  1078. De l’eau.
  1079. (Gros canon.)
  1080. Au.
  1081. Barges à rames.
  1082. Grosses galères.
  1083. À poil de zibeline.
  1084. Épée.
  1085. Regarde, mon ami (en patois tourangeau).
  1086. Du Styx.
  1087. Cru.
  1088. Mise à sac.
  1089. Relâchée.
  1090. Auquel.
  1091. En l’air.
  1092. Au.
  1093. Soigneux.
  1094. Fienter (en fauconnerie).
  1095. Frousse.
  1096. (Sorte de taureau cité par Pline).
  1097. Par surcroît.
  1098. Oriflamme.
  1099. Ce que.
  1100. Pèse.
  1101. Au.
  1102. (Action de retirer des mains d’un acquéreur — Ancien bien de famille ; jeu de mots avec retrait, lieux d’aisances.)
  1103. Bassin de garde-robe.
  1104. Terrine de chaise percée.
  1105. À pas de chat, à la dérobée.
  1106. En me raisant des mitaines.
  1107. Rassurer.
  1108. Pas pour un sou.
  1109. Fiente du lapin.
  1110. Excréments du sanglier.
  1111. Des oiseaux de proie.
  1112. Des bêtes fauves.
  1113. Étron durci.
  1114. Crotte de chèvre.
  1115. D’Irlande.
  1116. Certainement (en hébreu).