Gay-Lussac (Arago)/02

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 7-10).
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DÉBUTS DE GAY-LUSSAC EN CHIMIE. — IL DEVIENT LE COLLABORATEUR DE BERTHOLLET ET LE RÉPÉTITEUR DU COURS DE FOURCROY. — VOYAGE AÉRONAUTIQUE EXÉCUTÉ AVEC M. BIOT.


Berthollet, revenu d’Égypte en compagnie du général Bonaparte, demanda, en 1800, un élève de l’École polytechnique dont il voulait faire son aide dans les travaux du laboratoire. Gay-Lussac fut cet élève privilégié. Berthollet lui suggéra une recherche dont les résultats furent diamétralement opposés à ceux qu’attendait l’illustre chimiste. Je n’oserais affirmer que Berthollet ne fut pas un peu contrarié de se voir ainsi trompé dans ses prévisions, mais il est certain qu’à l’inverse de tant d’autres savants que je pourrais citer, après un premier mouvement d’humeur, la franchise du jeune expérimentateur ne fit qu’augmenter l’estime que l’immortel auteur de la Statique chimique avait déjà commencé à lui vouer. « Jeune homme, lui dit-il, votre destinée est de faire des découvertes, vous serez désormais mon commensal ; je veux, c’est un titre dont je suis certain que j’aurai à me glorifier un jour, je veux être votre père en matière de science. »

Quelque temps après, sans abandonner sa position auprès de M. Berthollet, Gay-Lussac fut nommé répétiteur du cours de Fourcroy, et le remplaça souvent, ce qui lui procura de bonne heure la réputation, qui n’a fait ensuite que grandir, d’un professeur très-distingué parmi les professeurs si habiles que la capitale comptait à cette époque.

L’homme, à raison de son poids, de la faiblesse de la force musculaire dont il est doué, semblait condamné à ramper toujours sur la surface de la terre, à ne pouvoir étudier les propriétés physiques des régions élevées de notre atmosphère qu’en montant péniblement au sommet des montagnes ; mais quelles sont les difficultés dont le génie allié à la persévérance ne parvienne à triompher ?

Un savant, qui a été membre de cette Académie, Montgolfier, calcula qu’en raréfiant, à l’aide de la chaleur, l’air contenu dans un ballon de papier d’une étendue limitée, on lui donnerait une force ascensionnelle suffisante pour enlever des hommes, des animaux, des instruments de toute espèce. Cette idée fut partiellement réalisée en juin 1783, dans la ville d’Annonai. La population parisienne étonnée put voir, le 21 novembre de cette même année, des voyageurs intrépides, Pilatre de Roziers et d’Arlandes, se promener dans les airs, suspendus à une montgolfière. Un autre physicien que cette Académie a aussi compté parmi ses membres, Charles, montra la possibilité de faire des ballons avec une étoffe vernie, presque imperméable à l’hydrogène, le plus léger des gaz connus, qui remplacerait l’air chaud avec avantage. De son voyage, exécuté le 1er décembre 1783, en compagnie de l’artiste Robert, avec un ballon ainsi gonflé, datent des ascensions infiniment moins aventureuses et qui sont devenues de nos jours un passe-temps pour des désœuvrés.

C’est à l’ancienne Académie des sciences qu’il faut également remonter, si l’on veut trouver un des premiers voyages scientifiquement utiles, qu’on ait entrepris avec des ballons à gaz hydrogène.

Il paraissait résulter des expériences faites pendant une ascension exécutée par Robertson et Lhoest à Hambourg, le 18 juillet 1803, et renouvelée à Saint-Pétersbourg, sous les auspices de l’Académie impériale de cette ville, par le même Robertson et le physicien russe Saccharoff, le 30 juin 1804, que la force magnétique qui dirige l’aiguille aimantée à la surface de la terre, s’affaiblit considérablement à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère. Ce fait, qui venait confirmer la diminution de cette même force que M. de Saussure avait cru reconnaître dans son célèbre voyage au Col du Géant, parut avec raison assez important aux principaux membres de l’Institut, pour justifier une expérience solennelle. Elle fut confiée à deux physiciens, MM. Biot et Gay-Lussac, jeunes, entreprenants et courageux. Ce dernier terme pourra sembler empreint d’un peu d’exagération à ceux qui de nos jours ont vu des femmes singeant par leurs costumes des papillons ailés, placées entièrement en dehors de la nacelle d’un aérostat, s’élever de nos jardins publics, aux yeux de la foule ébahie. Mais on oublierait qu’aujourd’hui les ballons sont construits avec infiniment plus de soin, et que les moyens de sûreté se sont beaucoup accrus.

Nos deux physiciens partirent du jardin du Conservatoire des arts et métiers, le 24 août 1804, munis de tous les instruments de recherche nécessaires ; mais les petites dimensions de leur ballon ne leur permirent pas de dépasser la hauteur de 4,000 mètres. À cette hauteur ils essayèrent, à l’aide des oscillations d’une aiguille aimantée horizontale, de résoudre le problème qui avait été le but principal de leur voyage ; mais le mouvement de rotation du ballon présenta des obstacles imprévu et sérieux. Ils parvinrent toutefois à les surmonter en partie, et déterminèrent, dans ces régions aériennes, la durée de cinq oscillations de l’aiguille aimantée. On sait que cette durée doit augmenter là où la force magnétique qui ramène l’aiguille à sa position naturelle a diminué, et que cette durée doit être plus courte, si la même force directrice a augmenté. C’est donc un cas tout à fait analogue à celui du pendule oscillant, quoique les mouvements de l’aiguille s’exécutent dans le sens horizontal.

Les conséquences qu’on déduisit de leurs expériences me paraissent sujettes à des difficultés que je signalerai après avoir rendu compte de l’ascension exécutée peu de jours après par Gay-Lussac seul.