George Sand, dix conférences sur sa vie et son œuvre/2
II
LA BARONNE DUDEVANT
LE MARIAGE ET LA LIBÉRATION
L’ARRIVÉE À PARIS. — JULES SANDEAU
Il nous faut maintenant rechercher quelle expérience la future George Sand va faire du mariage et quel en sera le résultat sur la formation des idées de l’écrivain.
« Tu perds en moi ta meilleure amie » ;
ç’avaient été, au lit de mort, les derniers mots
de la grand’mère à la petite-fille. La vieille
dame disait vrai. Aurore en fit aussitôt la
cruelle épreuve. Par une clause de son testament,
Mme Dupin de Francueil avait investi
de la tutelle un cousin d’Aurore, René de Villeneuve.
Mais pensez-vous que Sophie-Victoire
va, par cette clause illégale, se laisser frustrer de son droit — et pour un homme qui est du
monde des « vieilles comtesses ? » Elle reprend
sa fille avec elle, à Paris. Hélas ! Aurore, dont
les yeux se sont ouverts et qui s’est affinée au
point d’entrer en intime sympathie avec son
exquise grand’mère, ne peut plus avoir pour
une mère, dont elle s’est sentie abandonnée, sa
tendresse passionnée de naguère et ses partis
pris d’indulgence quand même. Elle voit cette
mère telle qu’elle est, dans sa trivialité de
femme du peuple restée galante et qui ne se
résigne pas à vieillir. Si encore Sophie-Victoire
eût été d’humeur calme ! Mais il lui faut chaque
jour changer de logement, changer de gargote,
se brouiller avec celui-ci, se raccommoder avec
celle-là, arborer une nouvelle forme de chapeau
ou une nouvelle couleur de cheveux.
C’est une agitée. Avide de faits divers et de
romans feuilletons, elle lit Sherlock Holmes.
— je veux dire les élucubrations du vicomte
d’Arlincourt — avec rage, jusqu’au milieu
de la nuit. Elle en rêve et continue pendant
le jour de vivre dans une atmosphère de
crime. Si elle digère mal, elle se croit Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/49 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/50 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/51 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/52 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/53 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/54 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/55 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/56 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/57 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/58 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/59 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/60 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/61 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/62 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/63 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/64 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/65 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/66 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/67 Page:Doumic - George Sand Dix Conferences sur sa vie et son oeuvre 1922.djvu/68 ferme. Il s’était mis à boire, de compagnie avec
Hippolyte Chatiron ; et il paraît que l’ivresse
berrichonne est lourde et sans joie. Il avait pris,
hors de chez lui d’abord, puis sous le toit conjugal,
des habitudes d’inconduite. Il avait le
goût des servantes. Le lendemain de la naissance
de sa fille, Solange, Aurore le surprit.
Dès lors, ce qui n’avait été jusque-là pour elle
qu’un vague désir, devint idée fixe et prit corps
de projet. Un incident servit de prétexte ou
d’occasion. En rangeant des papiers. Aurore
tomba sur le « testament » de son mari : ce
testament n’était qu’une diatribe où le défunt
en expectative exhalait contre sa femme —
l’idiote — tout un arriéré de rancune. Son
parti fut arrêté tout de suite et irrévocablement.
Elle reprendrait sa liberté, elle irait à Paris,
elle y passerait trois mois sur six. Pour élever
ses enfants, elle avait fait venir du Midi un
jeune précepteur, Boucoiran. Ce précepteur
avait lui-même besoin d’être morigéné et la
baronne Dudevant ne s’en faisait pas faute[1]. Elle le trouvait paresseux ; elle lui reprochait
de manquer de tenue et de se familiariser avec
les inférieurs, ce qu’elle n’admettait pas, elle
l’amie du peuple et des paysans. Entre la
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du mirage dont celle-ci est dupe et dont sa
vie nous fournira encore tant d’exemples !
Après l’épreuve de la vie conjugale, la baronne Dudevant vient d’en faire une autre : celle de l’amour libre. Et celle-ci n’a pas mieux réussi. Seulement à ces aventures, à ces souffrances, à ces erreurs, à ces déceptions, nous devrons l’écrivain dont il va désormais être temps de nous occuper. George Sand est née à la littérature.
- ↑
On trouvera un exemple de cette humeur sermonneuse dans
cette curieuse lettre inédite adressée par George Sand à son voisin et ami Adolphe Duplomb, et que M. Charles Duplomb a
bien voulu nous communiquer,
« Nohant, 23 juillet 1850.
Vous avez donc bien peur de moi, mon pauvre Hydrogène ? Vous vous attendez à une belle semonce et vous ne comptiez pas sans votre hôte. Mais patience ! Avant de vous laver la tête comme vous le méritez, je veux vous dire que je se vous oublie pas et que j’ai été très fâchée, en revenant de Paris, de trouver mon grand nigaud de fils parti. J’étais habituée à votre face de carême et la vérité est qu’elle me manque beaucoup. Ce n’est pas que vous n’ayez beaucoup de défauts, mais, après tout, vous êtes bon enfant et, avec le temps, vous deviendrez raisonnable. Pensez quelquefois, mon cher Plombeus, que vous avez des amis. Quand ce ne serait que moi, c’est beaucoup, parce que je suis solide au poste de l’amitié, quoique je n’aie pas l’air tendre. Je ne suis pas très polie non plus ; je dis durement la vérité : c’est mon caractère. Mais je tiens bon et l’on peut compter sur moi. Rappelez-vous de ce que je vous dis là (sic), parce que je ne vous le dirai pas souvent. Rappelez-vous aussi que le bonheur dans ce monde consiste dans l’intérêt et dans l’estime qu’on inspire, et je ne le dis pas à tout le monde, c’est impossible, mais da moins à un certain nombre d’amis. On ne peut trouver son bonheur en soi-même entièrement, à moins d’être égoïste, et je ne pense pas assez mal de vous pour vous soupçonner de l’être. L’homme qui n’est aimé de personne, est misérable, celui qui a des amis craint de leur faire de la peine en se conduisant mal. C’est donc pour vous dire, comme dit Polyte, que vous devez travailler à prendre une conduite rangée, si vous voulez me prouver que vous n’êtes point ingrat à l’intérêt que je vous porte. Vous devriez vous défaire de ce mauvais genre de vanterie que vous avez pris avec des écervelés comme vous. Faites ce que votre fortune et votre santé vous permettent, sans compromettre l’honneur ou la réputation d’autrui. Je ne vois pas qu’un garçon soit obligé à la continence comme une religieuse. Mais taisez-vous sur vos bonnes ou mauvaises fortunes. Ces sots discours sont toujours répétés et le hasard les fait arriver aux oreilles des personnes de bon sens qui les blâment.
Tâchez donc aussi de ne pas faire tant de projets, mais de vous en tenir à l’exécution de quelques-uns. Vous savez que c’est toujours ma querelle avec vous. Je voudrais vous voir plus de constance. Vous dites à Hippolyte que vous avez de la bonne volonté et du courage. Pour le courage physique, celui qui consiste à supporter les maladies et à ne pas craindre la mort, je ne vous refuse pas celui-là, mais du courage pour un travail soutenu, j’en doute bien, ou vous avez sérieusement changé. Tout ce qui est nouveau vous plaît, mais au bout d’un peu de temps vous ne voyez que les inconvénients de votre position. Vous n’en trouverez guère, mon pauvre enfant, qui ne soient semées de contrariétés et d’ennuis. Si vous n’apprenez à les supporter, vous ne serez jamais un homme.
Ici finit mon sermon. Je pense que vous en avez assez, surtout n"ayant pas l’habitude de lire ma mauvaise écriture. Vous me ferez plaisir de m’écrire, mais ne vous en faites pas une affaire d’Etat, ne vous mettez pas à la torture pour me faire des phrases bien limées. Je n’y tiens pas du tout. On écrit toujours assez bien quand on écrit naturellement et qu’on exprime ce qu’on pense. Les belles pages d’écriture sont bonnes pour les maîtres d’école et je n’en fais pas le moindre cas. Promettez-moi de prendre un peu de raison et dépenser quelquefois à mes sermons. C’est tout ce que je vous demande. Soyez bien siir que si je n’avais pas d’amitié pour vous, je ne prendrais pas la peine de vous en faire. Je craindrais d’ailleurs de vous ennuyer, au lieu que je suis sûre qu’ils ne vous déplairont pas et que vous apprécierez le sentiment qui me les dicte.
Adieu, mon cher Adolphe, écrivez-moi souvent et continuez à nous tenir au courant de vos affaires. Soignez votre santé et tâchez de continuer à vous bien porter : mais si vous vous sentez malade, revenez au pays. Nous aurons encore du lait et du sirop de gomme pour vous, et vous savez que je ne suis pas une mauvaise garde-malade. Tout le monde se rappelle de vous (sic) avec intérêt. Pour moi, je vous donne ma très sainte bénédiction.
« Aurore D. »