George Sand, sa vie et ses œuvres/3/Avant-propos

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Plon et Nourrit (3p. i--).


AVANT-PROPOS


Cette seconde partie de notre travail a été terminée depuis quelques années déjà[1], mais des circonstances douloureuses, des deuils de famille nous empêchèrent de la publier immédiatement. Au moment où nous prenons la plume pour remercier tous ceux qui nous avaient été secourables au cours de notre travail, qui nous aidèrent de leur savoir, de leurs souvenirs personnels, qui nous ouvrirent leurs archives ou nous donnèrent des documents importants, nous voyons avec douleur que les meilleurs amis de notre livre, ceux qui se faisaient le plus de joie de voir achevée la biographie de George Sand, n’y sont plus. Notre gracieuse amie, Mme Aurore Lauth, sera la seule de la famille Sand qui lira ce livre sur sa grande aïeule. Elles n’y sont plus, nos chères amies : Lina Sand et Gabrielle Sand ! Ils sont tous partis aussi pour un monde meilleur, nos plus fidèles amis en George Sand : le vicomte de Spoelberch, MM. Aucante, Plauchut, Albert Lacroix ! Nous ne pouvons, non plus, remercier Mme Pauline Viardot et M. Gustave Karpélès qui nous communiquèrent des documents et des souvenirs personnels et nous permirent de publier des lettres précieuses pour notre travail. Et combien d’autres amis de George Sand encore qui ne verront pas sa biographie achevée.

C’est avec d’autant plus de reconnaissance que nous traçons ici le nom de M. Henri Amie qui nous prêta aide pour cette seconde partie de notre travail, tout comme pour la première, qui nous sacrifia son temps, qui oublia ses propres œuvres, son travail et ses loisirs pour revoir notre ouvrage, manuscrit et épreuves. Nous n’avons pas la présomption d’attribuer une aide aussi généreuse aux mérites de notre livre, nous savons que la piété seule pour la mémoire de George Sand et de Mme Maurice Sand inspira M. Amie lorsqu’il nous prêta ce secours confraternel, mais nous lui en sommes quand même profondément reconnaissant et nous l’en remercions du meilleur de notre cœur. Nous remercions également et bien chaudement M. Ladislas Mickiewicz qui nous permit de publier les lettres inédites de son illustre père, M. Maurice Tourneux qui nous sacrifia des heures et des jours de son temps si précieux, et Mme Marie Ozenne pour tout ce qu’elle a fait pour notre livre. Nous renouvelons enfin nos remerciements à toutes les personnes que nous avions déjà nommées dans notre premier volume.




Nous reprenons le fil de notre récit juste au point où nous l’avons laissé à la fin de notre deuxième volume, et nous abordons dans la vie de George Sand une période éminemment intéressante.

Les dix années, 1838-1848, passées en un commerce ininterrompu avec une individualité aussi exceptionnelle, aussi géniale que Chopin et dans l’intimité de Pierre Leroux, dix années de plus en plus remplies de rencontres et de relations avec les hommes les plus divers et les plus éminents dans le domaine de la politique, de la pensée sociale, dans les sciences et les arts sont en même temps l’époque où le talent de la grande femme était à son épanouissement et sa gloire à son apogée.

Cette période est si abondante en faits que nous serons obligé de faire continuellement alterner les pages décrivant l’existence intime de George Sand, de sa famille et de Chopin avec celles où nous noterons les impressions, les événements, les états d’âme, les œuvres, les actes de George Sand qui se rattachent à l’influence de Pierre Leroux, à différentes autres personnalités, à différentes questions de la vie politique et sociale de la France.

Pourtant cette période de la vie de George Sand n’avait presque pas été explorée par la critique et l’histoire. Jamais encore on n’a tenté de faire un récit détaillé et suivi de ces années.

Nous pouvons même, avec un sentiment de vanité bien excusable, constater que dans tous les travaux sur George Sand, soit dans des revues, soit en volumes, soit même dans des encyclopédies, parus depuis la publication de nos deux premiers volumes, la plupart des auteurs font montre d’une connaissance extrêmement exacte et approfondie de la biographie de l’auteur de Consuelo, jusqu’en… 1838, mais après cette date, ils en parlent avec le même à peu près et passent avec la même rapidité sur des séries d’années de la vie de George Sand, comme, avant 1899, date de la publication de ces deux premiers volumes. Disons plus, il a paru, depuis cette année-là, plusieurs livres, tant en français qu’en anglais, consacrés à George Sand dans lesquels les auteurs nous firent l’extrême honneur de suivre notre récit de point en point et pas à pas, sans nous faire cependant celui de nous citer, ne fût-ce qu’une seule fois, au bas de leurs pages documentées… jusqu’en 1838. Ou plutôt tous ces auteurs se sont, comme d’un commun accord, donné le plaisir de nous citer une seule et unique fois… pour nous accuser de quelque chose que nous n’avions pas dit personnellement, parce que nous avions simplement rapporté les paroles de quelque autre écrivain ; ou encore pour nous taxer de légèreté. C’est ainsi qu’un critique très connu nous accuse de mauvais goût pour avoir, selon lui, prétendu que l’Uscoque était un des meilleurs romans de Mme Sand, tandis que nous n’avions que cité à ce propos les propres paroles de Dostoïewski dont c’était le roman préféré, parce qu’il lui fit connaître George Sand. Or, l’opinion de Dostoïewski a quelque valeur, nous semble-t-il, et si le critique en question la trouve dénotant « un mauvais goût parfait », c’est affaire de goût aussi, mais ce n’est pas une raison pour nous rendre responsable de l’opinion du très grand écrivain que fut Dostoïewski.

Un autre critique, non moins connu, fort obligeamment nous rendit responsable d’une « légende » quasiment inventée par nous sur une prétendue somme de dix mille francs payée par George Sand pour Musset, tandis qu’une lettre de George Sand à Buloz prouvait qu’elle n’avait payé que trois cents francs. Or, la « légende » qu’on nous prête est une citation des propres paroles de Buloz dites un jour à M. Plauchut, paroles que notre regretté ami avait citées à la page 36 de son livre Autour de Nohant, et que nous avions copiées avec indication de ce livre et du nom de l’auteur du récit, M. Buloz, à la page 61 de notre volume II.

Un troisième auteur, dont le livre peut être et fut réellement appelé un plagiat en forme par tous ceux qui se donnèrent la peine de comparer son petit volume à nos deux volumes, nous imputa comme un crime et nous accusa d’un mensonge gratuit : d’avoir dit que la maladie de Musset fut le delirium tremens, « tandis que les docteurs italiens ne parlaient que de fièvre typhoïde. » Or, nous ne nous sommes permis de prononcer franchement le nom de cette maladie qu’après avoir soumis à un très grand médecin son histoire, l’énumération de tous ses symptômes, et des remèdes prescrits par le docteur Pagello et ses collègues italiens ; il nous dit — ce qui du reste est connu même des non-spécialistes, mais d’un très grand nombre de personnes qui se donnent la peine de lire un peu — qu’à une personne ayant précédemment absorbé beaucoup d’alcool, il suffisait parfois d’une bronchite avec une température de quelque trente-huit degrés, — sans parler déjà d’une maladie telle que le typhus ou quelque congestion plus ou moins sérieuse, — pour avoir immédiatement un violent accès de delirium tremens. Il nous semble qu’après s’être aussi complètement servi de notre travail, l’auteur en question aurait au moins pu en tirer la conclusion que nous n’aimions pas avancer des faits sans les avoir préalablement vérifiés.

Un auteur anglais a suivi l’exemple de son confrère français, tant pour le soin avec lequel il nous a suivi dans notre étude que pour nous imputer comme un crime de lèse-délicatesse ce même fait.

Tous ces amis de notre travail, ainsi que quelques autres, plus aimables et plus corrects, ne semblent nous considérer que comme un bon manœuvre leur apportant des briques, afin qu’ils puissent — architectes émérites — construire leur bel édifice : une biographie digne de George Sand. Eh bien, nous acceptons avec modestie et reconnaissance ce rôle, car les briques que nous apportons sont bonnes ; on peut en toute confiance les employer à élever un monument solide et qui ne croulera pas. Ce fut là notre but et notre espérance.


Feci quod potui, faciant meliora potentes.
  1. Plusieurs chapitres de ces deux volumes parurent dans des revues et des recueils russes : « George Sand et Napoléon III » (chap. ix), dans le Messager de l’Europe (1904) ; « George Sand et Mickiewicz » (tiré du chap. ii), ibid., en 1907 ; ce même chapitre parut en polonais dans le Kraj (1907) ; « George Sand et les poètes populaires » (chap. iii), dans le Mir Bojiy (1904) ; « Horace et la Revue indépendante » (du même chapitre), dans le recueil « Vers la Lumière (1904) ; « le Centenaire et Claudie » dans la Rousskaya Mysl (1904) ; « George Sand et Herzen » (du chap. viii), ibid. (1910) ; « George Sand et Heine » (du chap. ii), ibid. (1911).