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George Sand, sa vie et ses œuvres/4/Texte entier

La bibliothèque libre.


GEORGE SAND


SA VIE ET SES ŒUVRES


****


1848-1876


DU MEME AUTEUR
À LA MÊME LIBRAIRIE


George Sand. Sa vie et ses œuvres.

Tome I. — 1804-1833.

Tome II. — 1833-1838.

Tome III. — 1838-1848.

Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1926.


Illustration
Illustration
GEORGE SAND, PAR CHARLES MARCHAL (NOHANT, NOVEMBRE 1861)


WLADIMIR KARÉNINE




GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES
* * * *
1848-1876




Deuxième édition




PARIS
LIBRAIRIE PLON
LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, rue garancière — 6e

1899
Tous droits réservés



AVANT-PROPOS



Ce dernier volume de notre travail — terminé avant la guerre — n’aurait jamais vu le jour si trois bonnes fées, ou trois bons parrains n’avaient présidé à sa naissance et ne l’avaient protégé contre toutes les intempéries et toutes les puissances néfastes. C’est d’abord notre cher éditeur, M. J. Bourdel (de la Maison Plon-Nourrit), qui, ne sachant pas même si l’auteur était encore de ce monde dans sa lointaine patrie, avait soigneusement gardé depuis 1914 manuscrit et chapitres déjà mis en composition. C’est ensuite notre vieil et fidèle ami M. Henri Amic qui nous a fraternellement aidé à relire et à corriger la copie et les épreuves. C’est enfin M. Marcel Bouteron dont l’affectueux concours a remplacé pour nous celui de nos chers amis défunts le vicomte de Spœlberch de Lovenjoul et M. Georges Vicaire. Que tous ces amis de notre livre trouvent ici l’expression de notre gratitude la plus profonde et la mieux sentie.

W. K.

GEORGE SAND SA VIE ET SES ŒUVRES


CHAPITRE VIII

LA RÉVOLUTION DE 1848[1]


La veille. Mazzini. — Enchantements de la première heure. — Lettres au Peuple, Bulletins de la République, Paroles de Blaise Bonnin et la Cause du Peuple. — Le 15 mai. — Ledru-Rollin, la Commission d’enquête, Jules Favre et Étienne Arago. — Théophile Thoré et la Vraie République. — Louis Blanc et Barbes. — Herzen et Bakounine. — Le Diable aux champs.


Nous avons prouvé dans le chapitre vii de notre volume III combien il était inexact que George Sand ne se fût mise à peindre la douce vie champêtre qu’après sa fuite de Paris, à la suite des sanglantes journées de Juin ; il est tout aussi faux de prétendre qu’elle se soit, tout à coup, immiscée dans les affaires politiques en 1848, et s’en soit aussi subitement détachée et éloignée.

Quelques lignes suffiront pour expliquer les causes qui poussèrent George Sand à consacrer son temps, son travail et son talent au service de la République nouvellement née et pour expliquer non pas tant son horreur devant les événements sanglants de 1848 et 1849, envisagés par elle, comme de malheureux accidents advenus à la révolution, que sa désillusion de la révolution même.

George Sand fut toujours un socialiste et non pas un politique — nous le répétons[2]. — Nous avons dit dans le chapitre iv du volume III que tous les écrits politiques et sociaux de George Sand, à partir de 1841, tous ses articles dans la Revue indépendante, dans la Réforme et l’Éclaireur de l’Indre, étaient remplis des mêmes idées, des mêmes croyances et des mêmes opinions qui parurent une nouveauté inattendue, lorsqu’elles se firent jour dans les Bulletins de la République, dans les Paroles de Blaise Bonnin aux bons citoyens, dans les Lettres au Peuple et enfin dans les articles parus, soit dans son propre journal, la Cause du Peuple, soit dans la Vraie République, de Théophile Thoré.

Nous avons noté que le comité de la Réforme, en invitant Mme Sand en 1844, par l’intermédiaire de Louis Blanc, à devenir collaboratrice du journal, l’avait attirée justement par la déclaration que « la politique » n’était pour eux que le levier qui les aiderait à soulever la « cause du peuple », la défense des masses obscures et opprimées, voire cette même « œuvre sociale » que George Sand devait considérer comme sienne. À présent, en 1848, presque tout ce comité de la Réforme (qui, selon l’auteur de l’Histoire de 1848, « avait été fondée dans le dessein formel de renverser la dynastie d’Orléans[3] »), était au pouvoir : Ledru-Rollin était ministre de l’intérieur, François Arago, ministre de la marine, Carnot, de l’instruction publique, Étienne Arago, directeur des postes, Flocon et Louis Blanc, secrétaires d’État, en même temps ce dernier, en sa qualité de chef du parti socialiste et de représentant des intérêts des travailleurs, fut élu président de la commission pour l’organisation du travail, et quoique le ministère du progrès, sur la création duquel il insistait, ne fût pas institué par le gouvernement provisoire, il n’en était pas moins presque un ministre par l’indépendance et la signification de son rôle. Le rêve ébauché en 1844 devait à présent être mis en œuvre par les mêmes collaborateurs de la Réforme.

George Sand, dans tous ses articles et dans toutes ses lettres aux journaux en 1848, déclare sans ambages être un « socialiste », et dit à tout propos : « nous autres socialistes », « nous qui sommes socialistes[4] », etc. Et lorsqu’on commença à qualifier tous les socialistes de « communistes », elle prit ouvertement le parti de ces derniers, si décriés qu’ils fussent, et se déclara non moins ouvertement « communiste ». Elle se mit à expliquer ce que c’est que le « vrai communisme », différent de celui que peignaient les bourgeois effrayés, et à prouver le caractère social et sociable du premier et le caractère anarchique et antisocial du second[5].

La reconstitution sociale de la société, voici le but de toutes les aspirations et de toutes les pensées de George Sand. Elle-même le résuma d’une manière absolument précise dans l’un de ses articles de 1848, dont nous parlerons tout à l’heure, en écrivant : « le socialisme est le but, la république est le moyen, telle est la devise des esprits les plus avancés et en même temps les plus sages. La réforme sociale, tel est donc l’exercice du devoir du citoyen »[6]

Et elle redit la même chose, presque textuellement, lorsqu’elle écrivit, vingt et un ans plus tard, le 6 août 1869, à Henry Harrisse :

« Pourtant, si vous dites vrai, si c’est une Révolution sociale, ça m’intéressera quand j’en serai sûre. Il me semble, au reste, que c’est la seule possible ; tout mouvement purement politique me semble tourner dans un cercle vicieux, insoluble »[7]. George Sand espérait que la République mettrait en œuvre la réforme sociale, ou plutôt accomplirait une révolution sociale, qu’elle constituerait non pas en paroles, mais en fait l’égalité et la fraternité, que le peuple, devenu libre, saurait créer lui-même son propre bonheur et le bonheur général.

Au lieu de tout cela, elle vit la lutte des classes et de petits groupes politiques les uns contre les autres, elle vit la « politique » engloutir le « socialisme ». Elle dut se convaincre que non seulement la révolution sociale, mais même certaines réformes sociales, ne pourraient être acquises que par les efforts de toute une génération, lorsque les esprits et les âmes auraient changé, et non pas la seule forme de gouvernement ; lorsque les masses seraient moins aveugles et sauraient mieux distinguer leurs ennemis de leurs vrais amis ; lorsque les meneurs politiques seraient moins occupés de leurs querelles personnelles et de leurs intérêts de partis, et plus adonnés à la cause du peuple.

George Sand ne se sauva pas devant les horreurs de la guerre civile, comme on le dit généralement (phrase plus emphatique qu’exacte), mais elle se détacha des hommes politiques et de leur activité, parce que les uns n’avaient pas justifié ses espérances et que l’autre ne correspondait pas à ses aspirations et à ses croyances intimes.

Quant à ces croyances mêmes, elle ne les perdit pas et garda sa foi dans le socialisme et dans la République.

Non seulement elle ne renia pas ce qu’elle avait écrit, dans ses articles politiques de 1848, mais elle continua en 1849 et 1850 à dire carrément ses opinions, alors que la réaction triomphante fit taire tant d’autres voix. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire ce qu’elle dit de ses opinions politiques et de ses amis politiques dans la préface au livre de Victor Borie ou encore dans l’Histoire de ma vie, parus entre 1850-1855, c’est-à-dire au plus fort de la réaction.

Après avoir expliqué ce qui fit accourir George Sand à Paris, en février de 1848, nous allons montrer ce qui l’en fit partir désillusionnée, non du fait, mais des faiseurs.

M. Hippolyte Monin, dans un long et très intéressant article, paru dans la Révolution française de 1899-1900, a narré, avec beaucoup de précision et de détails, la part qu’avait prise George Sand aux événements de 1848. Il étudia et compara ses écrits politiques tels qu’ils parurent dans les périodiques de l’époque et tels qu’ils sont réimprimés dans ses Œuvres complètes. Il retrouva un article qui n’y fut pas réimprimé[8]. Enfin il essaya de donner des preuves à l’appui de sa supposition que c’est George Sand encore qui fut l’auteur d’un pamphlet politique de 1848 fort oublié et signé du nom d’un révolutionnaire peu connu de nos jours. Les opinions personnelles et les remarques critiques de M. Monin rendent son article digne de la plus grande attention : il est du plus haut intérêt.

Mais, comme M. Monin le remarque fort judicieusement : « Il a plu à George Sand, dans l’Histoire de ma vie, de jeter un voile sur cette période, alors trop récente, de son existence. Certes, elle ne l’a pas désavouée ; mais, étourdie comme tant d’autres par le dénouement, elle a enfoui dans de vagues développements, et parfois idéalisé, donc dénaturé des souvenirs qui lui pesaient. La Correspondance de 1848 et même des années suivantes est plus explicite : mais que de lacunes, et surtout que d’obscurités ! Les opuscules ou articles les plus caractéristiques, reproduits sans commentaires, sans indication de source, souvent même sans date, dans les Œuvres complètes[9], ne sont pas non plus exempts de coupures judicieuses au sens de l’éditeur, mais non au point de vue de l’histoire. Personne enfin ne s’est donné la peine de déterminer ce qui, dans les Bulletins de la République, appartient à George Sand. Aussi les biographes ont-Us imité, sur la crise de février, son silence prudent : Us ne l’ont pas tous fait par discrétion. » — (M. Monin note à ce propos les écrits équivoques d’Eugène de Mirecourt dont nous avons maintes fois cité les lignes indignes sous tous les rapports.)

Et M. Monin remarque que le plus sûr est encore de baser sa narration sur les lettres de George Sand imprimées dans la Correspondance et sur ses articles, pour lui donner la parole à elle-même. Toutes ses remarques sont parfaitement justes, sa méthode est celle d’un véritable historien, et nous devons dire que tout ce qu’il a été possible de faire d’après les documents imprimés, M. Monin l’a fait. Mais comme il ne pouvait pas consulter la correspondance inédite de George Sand, ainsi que d’autres documents non publiés, des journaux intimes, etc., tout en rendant pleine justice à cette étude sérieuse et consciencieuse et en la suivant parfois de près, nous arrivons à des conclusions très différentes ; à propos d’autres faits, nous serons en état de répondre aux questions qu’il pose, nous raconterons des choses tout à fait ignorées jusqu’à présent et enfin nous fixerons quelques dates précises.

Ayant ainsi tracé brièvement la ligne générale des événements de 1848 d’une part, et les exigences morales de George Sand envers la révolution et la République, de l’autre, nous allons maintenant raconter quel fut son rôle dans les événements de 1848 et analyser ses écrits politiques.

Pour cela, revenons un peu en arrière.

Dès son séjour à Paris au carnaval de 1847, lorsque Mme Dudevant et sa fille y étaient occupées du trousseau de Solange, en vue de son mariage projeté, puis rompu avec Fernand de Préaulx, George Sand fit la connaissance de Giuseppe Mazzini. Ils se virent assez souvent et il promit même de venir à Nohant. En ce même printemps, Mazzini, revenu à Londres, écrivit un petit article sur George Sand pour servir de préface à la traduction anglaise de la Mare au Diable et de quelques autres œuvres de la grande romancière, entreprise par des amies de Mazzini, Mmes Ashurst et Hays[10]. Mazzini envoya son article à George Sand ainsi que celui d’une certaine miss Jewsbury, paru dans le People’s Journal. Le grand patriote italien y parlait de George Sand avec une vive sympathie et une chaude amitié, l’appelait sa sœur et son amie, et cela la toucha, comme elle le lui avoua, plus que toutes les louanges venant d’hommes éminents. Elle crut deviner en Mazzini une « âme parente » de la sienne par son entière sincérité, et lorsqu’elle lui répondit le 22 mai 1847, au lendemain du mariage de Solange avec Clésinger, elle lui donnait dans sa lettre ces mêmes titres d’ami et de frère, lui racontait toutes ses affaires de famille, comme au plus grand ami de la maison[11] et lui rappelait sa promesse de venir la voir à la campagne, où, selon son dire, elle était plus elle-même qu’à Paris, où elle était toujours malade au moral et au physique.

En réponse à cette lettre, Mazzini renouvela sa promesse, puis envoya à Mme Sand, au nom de ses traductrices, leur travail, ainsi qu’une brochure de sa façon, comme en témoigne une autre lettre de George Sand à Mazzini, imprimée dans le volume II de sa Correspondance et datée du 28 juillet 1847. Elle lui dit, entre autres :

Cette année 1847, la plus agitée et la plus douloureuse peut-être de ma vie sous bien des rapports, m’apportera-t-elle au moins la consolation de vous voir et de vous connaître ? Je n’ose y croire, tant le guignon m’a poursuivie ; et pourtant vous le promettez, et nous approchons du terme assigné…

Elle lui ajoute que le chemin de fer arrivera bientôt à Châteauroux, ce qui rendra le trajet de Paris à Nohant rapide et facile. Puis elle continue :

Que votre lettre est bonne et votre cœur tendre et vrai ! Je suis certaine que vous me ferez un grand bien et que vous remonterez mon courage, qui a subi, depuis quelque temps, bien des atteintes dans des faits personnels…

(Viennent des plaintes très claires pour nous, quoique voilées et vagues, sur tout ce qu’elle eut à supporter de la part de Solange, de Clésinger et de Chopin, sur la corruption et l’impudence d’un côté, sur la folie et la faiblesse de l’autre, qu’elle explique du reste comme le reflet sur la « vie personnelle de la corruption et de la folie de l’époque ».)

Venez me donner la main un instant, vous, éprouvé par tous les genres de martyre. Quand même vous ne me diriez rien que je ne sache, il me semble que Je serais fortifiée et sanctifiée par cette antique formule qui consacre l’amitié entre les hommes.

J’ai reçu une de vos brochures, mais non la lettre à Carlo-Alberto, à moins que vous ne l’ayez envoyée après coup et qu’elle ne soit à Paris. Les traductions me sont venues aussi. Remerciez pour moi…

Mazzini donna suite à sa promesse et en l’automne de 1847, il séjourna quelque temps à Nohant. Au moment de partir, il oublia dans sa chambre une bague qui lui avait été donnée par sa mère.

Les trois lettres de George Sand à Mazzini qui sont imprimées dans le volume III de la Correspondance aux dates de « novembre 1850 », « 24 décembre 1850 » et « 22 janvier 1851 », sont en réalité d’avant la révolution et doivent être datées de novembre 1847, du 24 décembre 1847 et du 22 janvier 1848. Elles se rattachent justement à cet épisode du court séjour de Mazzini à Nohant. Quoiqu’elles soient imprimées, nous citerons ces trois lettres d’abord pour que le lecteur puisse se convaincre lui-même que leur ton général, l’absence des nouvelles politiques qui faisaient les frais de toutes les lettres ultérieures de George Sand à Mazzini entre 1848-1853, ainsi que les détails personnels, prouvent que ces lettres se rapportent à l’hiver de 1847-1848. Puis, elles nous renseignent d’une manière très précise sur le caractère quelque peu mystique de l’amitié et des causeries de George Sand et de Mazzini. Enfin, ces lettres peignent à merveille l’état d’âme de George Sand à la veille des événements et rappellent singulièrement, comme on le voit déjà par les vagues allusions de la lettre du 28 juillet, les pages du Piccinino que nous avons citées[12]. Elles sont comme le prologue de tout ce que Mme Sand écrivit et fit en 1848.


Nohant, novembre (1847).
Mon ami,

Je suis bien paresseuse pour répondre à toutes ces formules qui s’adressent au nom plus qu’à l’âme, et j’y réponds si bêtement, que je ferais mieux de me taire. Mais vous l’avez voulu et, comme je donnerais mon sang pour vous, je ne me fais pas un mérite de répandre un peu d’encre. Cela me fait penser que vous ne m’avez jamais demandé d’écrire à Mme Ashurst, et que, celle-là, vous la nommez toujours votre amie. Elle doit donc être meilleure que toutes les autres, et, en ce cas, parlez-lui de moi et dites-lui pour moi tout ce que je ne sais pas écrire. Vous le lui direz mieux et elle le comprendra. Ce que vous estimez, ce que vous aimez, je l’aime et je l’estime aussi. Quant à l’honorable John Minter Morgan, je lui fais un grand salut ; mais en parcourant son ouvrage, je suis tombée sur un éloge si naïf de M. Guizot et du King of the French, que je n’ai pu m’empêcher de rire.

C’est assez vous parler des autres. Permettez-moi de vous parler de vous et de vous dire tout bonnement ce que j’en pense, à présent que je vous ai vu. C’est que vous êtes aussi bon que vous êtes grand, et que je vous aime pour toujours. Mon cœur est brisé, mais les morceaux en sont encore bons, et, si je dois succomber physiquement à mes peines, avant de vous retrouver, du moins j’emporterai dans ma nouvelle existence, après celle-ci, une force qui me sera venue de vous. Je suis fermement convaincue que rien de tout cela ne se perd, et qu’à l’heure de mon agonie, votre esprit visitera le mien, connue il l’avait déjà fait plusieurs fois avant que nous eussions échangé aucun rapport extérieur.

Tout ce que vous m’avez dit sur les vivants et sur les morts est bien vrai, et c’est ma foi que vous me résumiez. À présent que vous êtes parti, quoique nous ne nous soyons guère quittés pendant ces deux jours, je trouve que nous ne nous sommes pas assez parlé ! Moi surtout, je me rappelle tout ce que j’aurais voulu vous demander et vous dire. Mais j’ai été un peu paralysée par un sentiment de respect que vous m’inspiriez avant tout. Croyez pourtant que ce respect n’exclut pas la tendresse et que, excepté votre mère, personne n’aura désormais des élans plus fervents envers vous et pour vous.

J’espère que vous me donnerez des nouvelles de Paris, si vous en avez le temps. Je suis en dehors des conditions de l’activité, je ne puis rien pour vous que vous aimer ; mais Dieu écoute ces prières-là et elles ne sont pas sans fruit.

Adieu, mon frère. Quand vous souffrez, pensez à moi et appelez mon âme auprès de la vôtre. Elle ira.

Ma famille d’enfants et d’amis vous envoie ses vœux sincères.

George.
Nohant, 24 décembre 1847.
Mon ami,

Je crois que je vais vous faire plaisir en vous disant qu’on a retrouvé, dans un coin de la chambre que vous avez habitée ici, une bague qui doit vous appartenir et vous être chère. Si j’en juge par la devise : Ti conforti amor materno, ce doit être un don de votre mère, et vous croyez sans doute l’avoir perdue. Je l’ai serrée précieusement, et quand vous m’indiquerez une occasion sûre, je vous l’enverrai. Faut-il, en attendant, la faire remettre à M. Accursi ?

J’ai reçu votre lettre au pape[13], elle est fort belle. Mais votre voix sera-t-elle écoutée ? N’importe, après tout ! D’autres que le pape liront cette lettre et ranimeront leur zèle et leur patriotisme pour entraîner ou combattre le zèle ou la tiédeur des princes. Les bonnes pensées sont déjà de bonnes actions, et vous n’avez que de ces pensées-là. Je suis vivement touchée de tout ce que vous me dites de bon et d’affectueux de la part de vos amis. Remerciez-les pour moi de leur affectueuse hospitalité. J’y répondrais avec empressement si j’étais libre. Mais avant de l’être, il faut que je passe toute une année dans les chaînes. J’ai conclu un marché, un véritable marché pour travailler un an entier et recevoir une somme[14]. Je jouissais depuis quelques années d’une sorte d’indépendance ; mais, l’âge d’établir les enfants étant venu[15], et moi n’ayant jamais su épargner en refusant d’assister autant de gens qu’il m’était possible, je me suis vue dans la nécessité de penser sérieusement au prix matériel du travail de l’art. Comme, au reste, ce travail dont je vous ai parlé me plaît, et était depuis longtemps un besoin moral pour moi[16], j’aurais mauvaise grâce à me plaindre, tandis que des millions d’hommes accomplissent des travaux rebutants et antipathiques pour une rétribution insuffisante à leurs premiers besoins. Je regarde même ce que je fais, au point de vue de l’argent, comme un devoir que je continue à remplir pour soulager des gens plus pauvres que moi, puisque jusqu’à ce jour, je leur ai tout donné, sans penser à ma propre famille ; et, pour cela, je suis blâmée par les esprits positifs. Je vais donc réparer mes fautes, qui n’étaient pourtant pas grandes, à mon sens, puisque j’avais réussi à donner cent cinquante mille francs à ma fille. Et il me semblait qu’avec cela on pouvait vivre[17].

Tout cela n’est rien, mon pauvre ami ; c’est pour vous dire seulement que je ne bougerai pas de ma campagne que je n’aie accompli ma tâche et satisfait à toutes les exigences justes ou injustes.

Je me porte bien maintenant, et, si je suis triste, du moins je suis calme. J’ai appris à être gaie à la surface ; ce qui, en France, est comme une question de savoir-vivre. Quelle étrange époque que celle où tout est sur le point de se dissoudre de fond en comble, et où c’est être blessant et cruel de s’en apercevoir[18] !

Parlez-moi de temps en temps, mon ami. Votre voix me soutiendra, et la vibration en est restée dans mon cœur bien pure et bien consolante[19]. Vous, vous n’avez pas besoin qu’on vous recommande le courage et la patience, vous en avez pour nous tous. Vous avez besoin d’être aimé, parce que c’est un besoin des âmes complètes, et comme un instinct de justice religieuse qui leur fait demander aux autres l’échange de ce qu’elles donnent. Comptez que, pour ma part, je suis portée autant par la sympathie que par le devoir à vous aimer comme un frère.

À vous,

G. S…

George Sand traduisit la Lettre de Mazzini au Pape, et au commencement de janvier, l’ayant munie de commentaires et de notes, elle l’expédia à Louis Blanc, en le priant de l’insérer dans le Siècle. Toutefois, le rédacteur de ce journal, dont la couleur « était, selon Louis Blanc, celle de M. Odilon Barrot », refusa d’insérer l’article de Mazzini, tout en répondant de la manière la plus aimable, « qu’il n’était pas de journal pour lequel un peu de prose de George Sand ne fût une bonne fortune », mais trouvant que « dans le moment actuel il n’était pas utile de critiquer trop vivement la conduite du pape[20] ».

C’est de ces pourparlers à propos de l’impression de la Lettre au Pape que George Sand parle dans sa lettre à Mazzini du 22 janvier 1848, écrite surtout pour le remercier de son désir de lui voir garder, en souvenir de lui, la bague qu’elle avait retrouvée.


Nohant, 22 janvier 1848.

Oui, mon ami, je la reçois avec reconnaissance et avec bonheur cette chère bague dont je n’ai pas besoin pour penser à vous tous les jours de ma vie, mais qui sera pour moi une relique sacrée dont mon fils héritera. Il en est digne ; car il a la religion des souvenirs comme vous.

En disant que j’ai pensé à vous tous les jours de ma vie, ce ne sera pas une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous les jours à tous mes amis. Mais comme les chrétiens ont certains bienheureux de préférence auxquels ils s’adressent chaque soir dans leurs prières, je puis dire que j’ai certaines affections sérieuses sur cette terre et ailleurs, dont la commémoration se fait naturellement dans mon âme chaque fois qu’elle s’élève vers Dieu, dans la douleur et dans la foi. Oui, je vois bien qu’il faut que vous alliez en Italie[21], tôt ou tard. Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C’est notre lot à tous de vivre ou de mourir pour nos principes. Pour vous, l’éventualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n’est pas moi qui vous dirai de craindre la souffrance, de reculer devant les périls et d’éviter la mort. Je vous le dirais d’ailleurs sans vous ébranler. La douleur et l’effroi qui me serrent le cœur à cette idée, je ne dois même pas vous en parler ; mais vous seriez mon propre fils, que je ne vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en nous et nous les aimons de même ; nous nous sommes dit cela l’un à l’autre et nous le pensons bien profondément. Pourtant cette idée de séparation ici-bas répugne à la nature, et le cœur saigne malgré lui. Que Dieu nous donne la force de croire assez pour que cette douleur ne soit pas le désespoir !… Mais enfin, fût-elle le désespoir, acceptons tout. L’âme a des agonies et doit subir ses tortures, comme le corps.

Il faut que je vous dise maintenant que, depuis trois semaines, je suis fort tourmentée et indignée à cause de vous. Imaginez-vous que j’ai traduit en français votre lettre au pape, et que je l’ai accompagnée de réflexions qui, loin d’être violentes et subversives, sont, au contraire, chrétiennes et vraies. J’ai envoyé tout cela à Paris, pour que mes amis le fissent publier dans un journal. Je croyais que la Réforme, qui est dans nos idées plus que les autres, l’aurait accepté sans objection ; mais la Réforme n’a qu’un petit nombre de lecteurs, et je tenais à ce que votre lettre eût un répertoire de retentissement en France, surtout dans un moment où notre Assemblée vient de discuter si pauvrement la question italienne[22], et où le jésuite Montalembert et autres cerveaux despotiques et étroits vous ont personnellement lancé leur anathème méprisable[23].

Je tenais beaucoup à montrer que ces beaux chrétiens étaient des hérétiques et vous un chrétien beaucoup plus sincère et plus orthodoxe. Eh bien, le Siècle a gardé mon manuscrit quinze jours et a fini par le rendre en disant qu’il manquait de place pour le publier ; ce qui n’est qu’un prétexte pour éviter de se compromettre dans l’esprit des bourgeois voltairiens. On a porté votre lettre et mes réflexions au Constitutionnel, qui a promis de les insérer, mais qui les tient depuis plusieurs jours sans eu rien faire. De sorte que j’ignore si, comme le Siècle, il ne se ravisera pas. J’ai écrit hier pour leur dire que, s’ils étaient effrayés de mes idées, je les autoriserais à les supprimer entièrement, pourvu qu’ils publiassent ma traduction de votre lettre. Nous verrons s’ils auront un peu de cœur et de courage ; mais je suis honteuse pour la presse française non seulement que vous n’y ayez pas un défenseur spontané, mais encore qu’on ait tant de peine à laisser entendre une voix qui s’élève dans le désert pour dire que vous n’êtes ni un jacobin ni un impie. Au reste, notre ami Borie, que vous avez vu chez moi, a pris plusieurs fragments de cette traduction et a fait de son côté un bon article qu’il a envoyé au Journal du Loiret, en même temps que j’envoyais le mien avec la traduction complète à Paris. Il a mieux réussi que moi. Cet article a été publié, il y a quelques jours[24], et j’attends, pour vous l’envoyer, que j’y puisse joindre le mien.

J’ai vu aujourd’hui Leroux, à qui j’ai remis un exemplaire de votre texte italien, et qui va s’en occuper sérieusement dans la Revue sociale[25]. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l’élévation de vos idées et de vos sentiments ; mais il est possédé aujourd’hui d’une rage de pacification, d’une horreur pour la guerre, qui va jusqu’à l’excès et que je ne saurais partager.

Blâmer la guerre dans la théorie de l’idéal, c’est tout simple ; mais il oublie que l’idéal est une conquête et qu’au point où en est l’humanité, toute conquête demande notre sang[26].

Il vous envoie probablement ses travaux quotidiens. Le voilà qui croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s’annonce avec beaucoup d’audace comme possédant un dogme, une organisation, un principe de subsistance ; c’est beaucoup dire ! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberration, il n’y a souvent que l’épaisseur d’un cheveu[27]. Pour moi, après un examen bien sérieux, bien consciencieux, avec un grand respect, une grande admiration, et une sympathie presque complète pour tous ses travaux, j’avoue que je suis forcée de m’arrêter, et que je ne puis le suivre dans l’exposé de son système. Je ne crois pas d’ailleurs aux systèmes d’application a priori. Il faut le concours de l’humanité et l’inspiration de l’action générale[28]. Enfin, lisez et dites-moi si j’ai tort et si vous me croyez dans le vrai. Je tiens beaucoup à votre jugement. J’en ai même besoin pour sonder encore le mien propre. Je vous demande donc de donner deux ou trois heures à cette lecture et d’en consacrer encore une ou deux s’il le faut à résumer pour moi votre opinion. Ne craignez pas de me faire payer un gros port de lettre. Je n’ai pas encore discuté avec Leroux, j’étais tout occupée de l’écouter et de le faire expliquer. Et puis il était aujourd’hui dans une sorte d’ivresse métaphysique, et il n’eût rien entendu.

Adieu, mon ami ; permettez-moi d’affranchir ce paquet, que je vais grossir de ma réponse à miss Hays. Je ne me souciais pas de répondre, je l’avoue. Une personne qui avait débuté par des altérations ne me paraissait pas très bien venue à me demander une consécration de la fidélité de sa traduction. Et puis, il me semblait que mistress Ashurst, votre amie, ayant traduit aussi quelque chose, je ne devais pas créer à une autre un monopole. Je conclus de votre lettre que mistress Ashurst a renoncé à ce travail et je fais ce que vous me dites. Mais je vous envoie une lettre à miss Hays, pour que, réflexion faite, vous en agissiez comme vous trouverez bon.

Adieu encore, mon ami et mon frère. Bénissez-moi, j’en vaudrai mieux.

George.

L’affaire de la Lettre au Pape traîna donc en longueur, et c’est après de nombreuses délibérations et démarches que, grâce à l’aide d’Emmanuel Arago, elle fut enfin acceptée par Véron et insérée dans le Constitutionnel, à la date du 7 février 1848.

George Sand s’empressa de l’annoncer à Mazzini. La lettre est inédite.


Février 1848.

Enfin, mon ami, j’ai la satisfaction d’avoir pu publier votre lettre en France, et je prie M. Accursi de vous envoyer le journal et l’article de mon ami Borie, paru longtemps avant le mien : j’ai déjà reçu, avant même que votre lettre soit publiée par le Constitutionnel, des remerciements de plusieurs personnes de Paris, pour leur avoir fait lire ce noble écrit qui a toutes leurs sympathies et toute leur adhésion.

C’est moi qui ai à vous remercier pour cette belle préface que vous avez faite aux Lettres d’un voyageur. Votre cœur vous inspire et, je vous le répète, ennuyée comme je le suis des éloges autant que des critiques des faiseurs de jugements, je n’ai de plaisir et d’encouragement vrai que quand c’est vous qui me jugez et me consolez.

Que dites-vous des événements de Naples et de Sicile ? C’est un grand pas de fait, peut-être, mais c’est le régime constitutionnel à la place du despotique, et en France, nous avons l’expérience du juste milieu. Nous savons que les hommes s’y corrompent davantage, et qu’il vaut mieux souffrir en commun que d’être à l’aise chacun chez soi[29]. Si le peuple fatigué d’un grand effort se repose comme nous pendant vingt ans, nos idées seront bien loin ! Et puis les Débats donnent la main à cette révolution, ce n’est pas bon signe.

Adieu, cher et noble ami. À vous de toute mon âme.

George.

George Sand passa donc les mois de décembre 1847 et de janvier 1848 à Nohant, travaillant à l’Histoire de ma vie, à l’édition de Rabelais « expurgée de ses obscénités », et enfin à cette traduction de la Lettre au Pape.

Elle était en outre préoccupée et fort inquiète de ses affaires pécuniaires.

Il lui fallait venir à bout des difficultés que lui avaient créés Solange et son mari, se mettre en mesure de satisfaire leurs créanciers, sauver de la vente l’hôtel de Narbonne ; puis, pourvoir au cautionnement de Bertholdi et pour cela endosser de nouvelles dettes et une nouvelle responsabilité vis-à-vis des amis qui trouvèrent de l’argent pour elle[30], escompter des lettres de change, en payer d’autres, et tout cela au milieu de la crise financière générale. Et pour comble d’ennuis, la Société des Gens de lettres intenta et gagna contre George Sand un procès à propos de l’édition de la Mare au Diable. C’est Chaix d’Est-Ange qui plaida pour Mme Sand, dans la seconde moitié de ce procès qui dura plus de deux ans, jusqu’au 20 juillet 1849 et ne donna à George Sand que des ennuis. Ce procès lui coûta beaucoup d’argent, et il y eut même un moment où elle fut menacée de la vente de tout son mobilier de Paris et de Nohant. C’est pour cela qu’une grande partie de ses lettres inédites de 1848 sont, à côté des questions politiques, remplies de questions financières.

Ce sont encore ces questions qui la préoccupaient surtout dans les deux premières décades de février, lorsqu’elle s’ennuyait seule à Nohant, tandis que Maurice prolongeait, plus qu’elle n’avait compté, son séjour à Paris au milieu des réjouissances du carnaval. Et dans ses lettres George Sand lui parle surtout de son procès avec la Société et d’autres questions non moins fastidieuses ; elle ne fait allusion aux événements déjà très avancés, et aux hommes politiques que très légèrement, ce qui prouve qu’elle ne se rendait nul compte de la gravité de l’heure.

Et là-dessus éclatèrent les journées de Février.

Dans l’une des pages non brûlées de son Journal de 1848[31] (en précision d’une descente domiciliaire, George Sand le brûla en grande partie, après le 15 mai, avec un tas d’autres papiers et lettres), nous lisons les lignes que voici sur l’engouement universel pour les questions politiques et sociales, observé à Paris en avril 1848 :

Partout on parle et on s’occupe des affaires publiques toute la journée. Nous nous plaignions de l’indifférence générale il y a trois mois, c’est un grand pas de fait. Les ouvriers nous répondaient alors : « La politique n’est pas faite pour nous. Que nous importe un changement de ministère, cela nous donnera-t-il du travail ? Toutes vos discussions ne nous regardent pas[32] !… »

Ces paroles, George Sand aurait pu les écrire en son nom, parce que, autant elle rêvait, à l’instar de tous ses coreligionnaires politiques, à l’avènement de la souveraineté du peuple, autant la date de cet avènement lui restait vaguement voilée. Les journées de Février lurent une surprise absolue pour elle[33]. Le sens du mouvement populaire et des agitations qui suivirent de près la prohibition du célèbre banquet du XIIe arrondissement parisien, n’était pas plus clair pour elle que pour les travailleurs dont elle parle dans les lignes précitées. Dans sa lettre à son fils, du 18 février, qui commence par la demande de lui envoyer tout de suite les états de service de son père, le colonel Dupin, dont elle avait besoin pour son Histoire, et qui raconte plus loin et avec maints détails une histoire plus intime d’un vol arrivé à Nohant[34], George Sand parle ainsi des événements parisiens (ces mots viennent immédiatement après le passage omis dans la Correspondance : « Voilà le résumé de ce procès à huis-clos et le tribunal secret a prononcé qu’il ne fallait pas déshonorer la coupable, vu qu’elle est assez punie en perdant sa place ») :

Borie est sens dessus dessous à l’idée qu’on va faire une révolution dans Paris. Mais il n’y voit pas de prétexte raisonnable dans l’affaire des Banquets. C’est une intrigue entre ministres qui tombent et ministres qui veulent monter. Si l’on fait du bruit autour de leur table, il n’en résultera que des horions, des assassinats commis par les mouchards sur des badauds inoffensifs et je ne crois pas que le peuple prenne parti pour la querelle de M. Thiers contre M. Guizot. Thiers vaut mieux, à coup sûr, mais il ne donnera pas plus de pain aux pauvres que les autres. Ainsi, je t’engage à ne pas aller flâner par là, car on peut y être écharpé sans profit pour la bonne cause. S’il fallait que tu te sacrifies pour la Patrie, je ne t’arrêterais pas, tu le sais. Mais se faire assommer pour Odilon Barrot et compagnie, ce serait trop bête. Écris-moi ce que tu auras vu de loin, et ne te fourre pas dans la bagarre si bagarre il y a, ce que je ne crois pourtant pas[35].

Donc, au premier moment, Mme Sand fut surtout inquiet pour son fils, effrayée à l’idée de le voir « fourré dans quelque bagarre ». C’est pour cela qu’elle lui écrivit de revenir au plus vite à Nohant.

Mais, ne le voyant pas revenir, elle alla elle-même le chercher à Paris.

Alors ce que George Sand vit, ou plutôt ce qu’elle crut voir à Paris, la transporta d’un tel enthousiasme, qu’elle se crut obligée de rester dans la fournaise et de vouer toutes ses forces au triomphe définitif de la République.

Elle imagina que l’heure de la liberté était arrivée, que le peuple était prêt, que tout le peuple s’était levé en toute conscience, qu’il comprenait ses droits politiques, ses devoirs sociaux et deviendrait maître de ses destinées ; que la révolution accomplie serait la base inébranlable sur laquelle s’élèverait rapidement l’édifice grandiose des droits et des libertés du peuple, et, qu’après cela, le renouveau social marcherait aussi d’un pas franc et alerte. Telles furent les premières impressions de George Sand. Durant les premiers jours de la révolution ses lettres sont remplies d’exclamations, d’espérances et de descriptions enthousiastes. Ses articles datant de cette lune de miel de la République sont également pleins de foi courageuse, même de téméraire confiance : tout était fait, à de petites exceptions près, tout le peuple était pour les meneurs de la révolution. Il est fort aisé aux personnes se trouvant au milieu des délibérations des leaders de partis, de tomber dans cette erreur.

À ce moment, le présent et l’avenir apparaissent à George Sand sous les couleurs les plus roses ; elle en parle en des termes d’ode triomphale, sous l’impression de la proclamation de la République qui eut lieu le 27 février.

Voici ce qu’elle écrit à Mlle Augustine Brault, laissée à la Châtre sous la garde de Mme Eugénie Duvernet :

… J’ai vu tout le monde. Louis Blanc, en son palais du Luxembourg, me demandait ce soir de tes nouvelles ; il persiste à t’appeler Mlle Graffenried. J’ai vu passer le cortège ce matin de la fenêtre de Guizot, tout en causant avec Lamartine. Il était beau, simple et touchant (le cortège), quatre cent mille personnes pressées depuis la Madeleine jusqu’à la colonne de Juillet ; pas un gendarme, pas un sergent de ville, et cependant tant d’ordre, de décence, de recueillement et de politesse mutuelle qu’il n’y a pas eu un pied foulé, pas un chapeau cabossé. C’était admirable. Le peuple de Paris est le premier peuple du monde !

Elle écrit à la même le 5 mars[36] :

… J’ai vu Mazzini, Combes, mes connaissances de Genève. Toute la terre est à Paris, et pendant ce temps-là, il y a des belles dames qui s’enfuient sous des déguisements et qui se croient aux jours de la Terreur, lorsque personne ne pense à elles…

… J’aurais bien des choses à te raconter. Tout va ici aussi bien que possible. Le gouvernement est bon et honnête, le peuple excellent. La bourgeoisie a peur et fait semblant d’être enchantée. L’Europe n’a point envie de nous attaquer, et de ce côté-là, nous sommes bien forts. Je vois tous les jours nos gouvernants. Us ont bien de l’embarras, comme on dit chez nous ; mais la plupart ont envie de bien faire…

Vive la République ! — écrit-elle à Poncy, le 9 mars. — Quel rêve, quel enthousiasme et en même temps quelle tenue, quel ordre à Paris !

J’en arrive, j’y ai couru, j’ai vu s’ouvrir des dernières barricades sous mes pieds. J’ai vu le peuple grand, sublime, naïf, généreux, le peuple français réuni au cœur de la France, au cœur du monde ; le plus admirable peuple de l’univers ! J’ai passé bien des nuits sans dormir, bien des jours sans m’asseoir. On est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange et de se réveiller dans les cieux. Que tout ce qui vous entoure ait courage et confiance !

La République est conquise, elle est assurée ; nous y périrons tous plutôt que de la lâcher. Le gouvernement est composé d’hommes excellents pour la plupart, tous un peu incomplets et insuffisants à une tâche qui demanderait le génie de Napoléon ou le cœur de Jésus. Mais la réunion de tous ces hommes qui ont de l’âme ou du talent, ou de la volonté, suffit à la situation. Ils veulent le bien, ils le cherchent, ils l’essayent. Ils sont dominés sincèrement par un principe supérieur à la capacité individuelle de chacun, la volonté de tous, le droit du peuple. Le peuple de Paris est si bon, si indulgent, si confiant dans sa cause et si fort, qu’il aide lui-même son gouvernement.

La durée d’une telle disposition serait l’idéal social. Il faut l’encourager.

… Tous mes maux physiques, toutes mes douleurs personnelles sont oubliés. Je vis, je suis forte, je suis active, je n’ai plus que vingt ans.

… Allons, j’espère que nous nous retrouverons tous à Paris, pleins de vie et d’action, prêts à mourir sur les barricades si la République succombe. Mais non ! la République vivra ; son temps est venu. C’est à vous, hommes du peuple, à la défendre jusqu’au dernier soupir[37].

Trois jours plus tôt, le 6 mars, elle écrit à son vieil ami Girerd qui venait d’être nommé, grâce à elle (quoiqu’elle le nie), commissaire du gouvernement provisoire, et le ton de sa lettre dénote le même optimisme débordant :

… Tout va bien. Les chagrins personnels disparaissent quand la vie publique nous appelle et nous absorbe. La République est la meilleure des familles, le peuple est le meilleur des amis. Il ne faut pas songer à autre chose.

… Le peuple a prouvé qu’il était plus beau, plus grand, plus pur que tous les riches et les savants de ce monde[38].

Le même ton enthousiaste règne dans ses premiers articles de 1848.

La révolution est accomplie : la République est conquise… (c’est ainsi que commence sa Lettre à la classe moyenne). La République est la plus belle et la meilleure forme des sociétés modernes…

Les républiques du passé ont été des ébauches incomplètes. Elles ont péri parce qu’elles avaient des esclaves.

La République que nous inaugurons n’aura que des hommes libres, égaux en droits… Avec le régime que nous venons de détruire par l’aide de Dieu et la volonté de la Providence, le riche était aussi malheureux que le pauvre. Ces deux classes se sentaient dangereuses, hostiles l’une à l’autre. Le pauvre craignait la trahison et la tyrannie du riche ; le riche craignait la colère et la vengeance du pauvre…

Cet état de choses contre nature doit cesser prochainement, et il cessera nécessairement aussitôt que des lois sages et grandes assureront l’existence et le travail à tous les Français…

Selon son idée les classes riches doivent prendre l’initiative ; la classe moyenne s’est dignement conduite, en prenant courageusement le parti du peuple ; elle possède la science ; le peuple a la force et ce n’est que grâce à cette union de la science et de la force qu’Us ont vaincu. Il faut maintenir cette union, car autrement, la cause de la liberté sera perdue. Il faut donc se tendre la main et avoir confiance de part et d’autre.

Le peuple, continue Mme Sand, investi d’une puissance dont il n’a jamais fait usage et dont il ne comprendra la portée que dans quelques jours, est disposé à accorder toute sa confiance à la bourgeoisie. La bourgeoisie n’en abusera pas. Elle ne se laissera point égarer par de perfides conseils, par des alarmes vaines, par de faux bruits, par des calomnies contre le peuple. Le peuple sera juste, calme, sage et bon, tant que la classe moyenne lui en donnera l’exemple. S’il était trahi, si on faisait servir le premier exercice de ses droits politiques à le tromper ; si, par d’indignes manœuvres et de coupables influences, on lui faisait élire des représentants qui abandonneraient sa cause, l’union serait détruite. Le peuple irrité violerait peut-être le sanctuaire de la représentation nationale, et nous verrions recommencer les luttes d’un passé que peuple et bourgeoisie condamnent et repoussent à l’heure qu’il est…

Cette Lettre à la classe moyenne se termine par l’expression de l’assurance que tous ces conseils sont de trop, la bourgeoisie comprenant parfaitement que la renaissance du pays est la question qui se dresse devant la future Assemblée, ne voudra pas en faire l’arène de la lutte entre les classes.

La première Lettre au peuple, quoique écrite à Paris, mais datée du 7 mars, donc du jour de la rentrée de George Sand à Nohant, exprime la même pensée et les mêmes sentiments : d’une part l’enthousiasme devant la générosité, la grandeur du peuple et le sentiment d’une entière solidarité avec lui ; de l’autre, le désir de maintenir avant tout la bonne entente entre les deux classes : la bourgeoisie intellectuelle et le peuple. Ce peuple est grand, il est héroïque, il est bon, il est généreux, c’est la voix de Dieu et le bras de la Providence… On a eu tort de le redouter, quoique vraiment les fautes commises contre lui auraient pu faire craindre sa juste vengeance. Mais il « a prouvé une fois de plus au monde, et d’une manière plus éclatante qu’en aucun des jours consacrés par l’histoire, qu’il était la race magnanime par excellence ».

Doux comme la force ! Ô peuple, que tu es fort, puisque tu es si bon ! Tu es le meilleur des amis, et ceux qui ont eu le bonheur de te préférer à toute affection privée, de mettre en toi leur confiance, de te sacrifier, quand il l’a fallu, leurs plus intimes affections, leurs plus chers intérêts, exposer leur amour-propre à d’amères railleries, ceux qui ont prié pour toi et souffert avec toi, ceux-là sont bien récompensés, aujourd’hui qu’ils peuvent être fiers de toi, et voir ta vertu proclamée enfin à la face du ciel…

Et la lettre se termine par l’exclamation :

À toi, ô peuple ! aujourd’hui comme hier !

Mais outre ces sentiments d’admiration et d’adoration pour le peuple, cette Lettre exprime encore, comme celle à la classe moyenne, la conviction de la nécessité de l’union entre les deux classes qui accomplirent la révolution. C’est le peuple, qui a le droit et la force, la bourgeoisie a la science sociale. Isolés, ni l’un ni l’autre ne peuvent atteindre à la lumière et à la liberté. L’union est le gage du succès. « L’homme isolé n’est rien »… L’isolement social est la source de toutes les erreurs.

Aussi l’auteur espère-t-il que « l’union fraternelle détruira toutes les fausses distinctions et rayera le mot même de classes du livre de l’humanité nouvelle… »

Nous vivions comme une flotte naufragée que la tempête a dispersée sur des récifs, et dont les passagers meurent séparés par des abîmes, en se tendant les bras, sans pouvoir se porter secours les uns aux autres. Oui, le sort de l’humanité, divisée de droits et d’intérêts, est aussi horrible que cela, c’est la prison cellulaire, où l’on devient stupide et insensé.

Une vie nouvelle commence ; nous allons nous connaître, nous allons nous aimer, nous allons chercher ensemble et trouver la vérité sociale ; elle est au concours…

La vérité sociale n’est pas formulée. Tu voudrais en vain l’arracher de la poitrine des mandataires que tu as élus dans un jour de victoire. Us la veulent à coup sûr, puisque tu as cru en eux, et tu ne te trompes jamais dans tes grandes heures de libre inspiration.

Mais ils sont hommes, et leur science ne peut déroger à la loi de l’humanité.

La loi de l’humanité est que la vérité ne se trouve pas dans l’isolement et qu’il y faut le concours de tous.

L’isolement était le régime de séparation des intérêts et des droits. Ce régime tombe à jamais devant ce mot sacré de République !

La Seconde lettre au peuple[39], datée du 19 mars, diffère déjà beaucoup de la première comme ton général et quoiqu’elle se termine aussi par l’exclamation « À toi, ô peuple, aujourd’hui comme demain ! », cette assurance même que « demain » encore l’auteur ne renierait pas son entier dévouement, semble révéler qu’ « aujourd’hui » ce peuple n’était plus aussi mettre de la position qu’il l’était hier. Dans le texte même de la lettre l’auteur fait réellement des excuses au peuple d’avoir commis l’erreur de trop avoir espéré en un subit amour pour lui de la part d’autres classes et d’avoir cru au retour sincère et complet de ses ennemis.

Eh bien ! quelques jours se sont écoulés et mon rêve n’est pas encore réalisé. J’ai vu la méfiance et l’affreux scepticisme, funeste héritage des mœurs monarchiques, s’insinuer dans le cœur des riches et y étouffer l’étincelle prête à se ranimer ; j’ai vu l’ambition et la fraude prendre le masque de l’adhésion, la peur s’emparer d’une foule d’âmes égoïstes, les amers ressentiments se produire par de lâches insinuations ; ceux-ci cacher et paralyser leurs richesses, ceux-là calomnier les intentions du peuple, faute de pouvoir condamner ses actes ; j’ai vu le mal enfin, moi qui n’avais vu que le bien, parce que j’avais tenu mes regards attachés sur toi ; j’ai vu des choses que je ne pouvais pas prévoir, parce que, aujourd’hui encore, je ne peux pas les comprendre…

Toute cette Lettre apparaît comme une consolation adressée au peuple encore obligé d’attendre et de patienter, elle n’est plus l’hymne de félicité mêlée d’une espèce de crainte sacrée qui résonne dans la Première lettre.

Cette différence de ton des deux Lettres devient parfaitement compréhensible, si l’on se rappelle que le 17 mars eut lieu la démonstration réactionnaire de la garde nationale qui, il est vrai, fut noyée dans une grandiose manifestation populaire, mais qui montra néanmoins que non seulement il n’existait aucune solidarité entre le peuple et la bourgeoisie, mais encore qu’il s’accumulait sinon parmi les couches intellectuelles, du moins parmi la classe moyenne dans le Tai sens du mot, des sentiments d’animosité rentrée et de haine sourde, et qu’il ne suffisait pas de prononcer « le mot sacré de République » pour que toutes les classes se missent à s’aimer et que des intérêts contraires et hostiles devinssent également chers à tous.

Mais outre cette marche générale des événements, il y eut encore des faits privés qui inaugurèrent vers la mi-mars une nouvelle phase dans les relations de George Sand avec la jeune République. Les enchantements poétiques firent place à un jugement plus clairvoyant de la politique courante d’autant plus que George Sand prit désormais une part active dans la lutte pour la stabilité de cette République. Le fait est qu’à la fin de la première semaine de mars[40], George Sand alla passer quelques jours en Berry, afin d’arranger ses affaires pécuniaires ; les événements publics, ayant privé d’honoraires la romancière, exigeaient encore un travail littéraire gratis de la part de l’écrivain politique ; puis pour installer à Nohant Maurice nommé maire, certainement encore grâce aux relations de Mme Sand avec le gouvernement provisoire et quoiqu’il n’eût pas encore ses vingt-cinq ans révolus ; enfin pour revoir Augustine.

Mais surtout, avant de décider ce qu’elle-même aurait à entreprendre en faveur de la République, elle voulait se rendre compte de ce qui se faisait à la campagne. Elle voulait consulter le baromètre politique de la province, qui, même de loin, ne lui paraissait pas être au beau fixe.

… La République est sauvée à Paris ; il s’agit de la sauver en province, où sa cause n’est pas gagnée, — écrit-elle à Girard la veille de son départ à Paris.

… Je serai demain soir, 7 mars, à Nohant pour une huitaine de jours ; après quoi je reviendrai probablement ici pour m’y consacrer entièrement aux nouveaux devoirs que la situation nous crée.

Quelques jours plus tôt, George Sand s’était procurée un laissez-passer de la part du gouvernement provisoire, que nous avons retrouvé dans ses papiers et qui est libellé ainsi :

« Veuillez laisser circuler librement et donner accès auprès de tous les membres du gouvernement provisoire à la citoyenne George Sand. »

Le 2 mars 1848.
Ledru-Rollin.

Le timbre apposé porte : „

République française
Gouvernement provisoire.

Mme Sand resta à Nohant du 7 au 20-21 mars et sa belle assurance et son optimisme y furent singulièrement ébranlés.

Ce séjour à la campagne la persuada que la province en général, et la ville de La Châtre ainsi que les bourgs de Nohant et de Vie en particulier, étaient très arriérés et d’une humeur fort peu républicaine. Mme Sand ne s’effraya pas d’abord, elle crut qu’il ne fallait que réchauffer, animer, révolutionner un brin cette province, qu’agir par des mesures tant soit peu artificielles, alors elle se mettrait vite au niveau du magnifique peuple de Paris et tout marcherait à souhait.

Avant même d’avoir pris connaissance sur place de l’humeur des provinciaux, George Sand avait, dès les premiers jours de la République, commencé à « agir ». Elle avait recommandé au gouvernement provisoire des agents sûrs de la République et fait un peu éloigner les personnes suspectes ou qui ne s’étaient ralliées qu’au dernier moment. C’est dans ce sens qu’elle écrivait le 6 mars dans la lettre à Girerd déjà citée en partie :

… Ce n’est pas moi qui ai fait faire ta nomination : mais c’est moi qui l’ai confirmée ; car le ministre m’a rendue en quelque sorte responsable de la conduite de mes amis, et il m’a donné plein pouvoir pour les encourager, les stimuler et les rassurer contre toute intrigue de la part de leurs ennemis, contre toute faiblesse de la part du gouvernement. Agis donc avec vigueur, mon cher frère. Dans une situation comme celle où nous sommes, il ne faut pas seulement du dévouement et de la loyauté, il faut du fanatisme au besoin. Il faut s’élever au-dessus de soi-même, abjurer toute faiblesse, briser ses propres affections si elles contrarient la marche d’un pouvoir élu par le peuple et réellement, foncièrement révolutionnaire. Ne t’apitoie pas sur le sort de Michel[41] : Michel est riche, il est ce qu’il a souhaité, ce qu’il a choisi d’être. Il nous a trahis, abandonnés, dans les mauvais jours. À présent, son orgueil, son esprit de domination se réveillent. Il faudra qu’il donne à la République des gages certains de son dévouement s’il veut qu’elle lui donne sa confiance. La députation est un honneur qu’il peut briguer et que son talent lui assure peut-être. C’est là qu’il montrera ce qu’il est, ce qu’il pense aujourd’hui. Il le montrera à la nation entière. Les nations sont généreuses et pardonnent à ceux qui reviennent de leurs erreurs.

Quant au devoir d’un gouvernement provisoire, il consiste à choisir des hommes sûrs pour lancer l’élection dans une voie républicaine et sincère. Que l’amitié fasse donc silence, et n’influence pas imprudemment l’opinion en faveur d’un homme qui est assez fort pour se relever lui-même, si son cœur est pur et sa volonté droite.

Je ne saurais trop te recommander de ne pas hésiter à balayer tout ce qui a l’esprit bourgeois. Plus tard, la nation, maîtresse de sa marche, usera d’indulgence, si elle le juge à propos, et elle fera bien si elle prouve sa force par la douceur. Mais, aujourd’hui, si elle songe à ses amis, plus qu’à son devoir, elle est perdue, et les hommes employés par elle à son début auront commis un parricide.

Tu vois, mon ami, que je ne saurais transiger avec la logique. Fais comme moi. Si Michel et bien d’autres déserteurs que je connais avaient besoin de ma vie, je la leur donnerais volontiers, mais ma conscience, point. Michel a abandonné la démocratie, en haine de la démagogie. Or il n’y a plus de démagogie. Le peuple a prouvé qu’il était plus beau, plus grand, plus pur que tous les riches et les savants de ce monde. Le calomnier la veille pour le flatter le lendemain m’inspire peu de confiance, et j’estimerais encore mieux Michel s’il protestait aujourd’hui contre la République. Je dirais qu’il s’est trompé, qu’il se trompe, mais qu’il est de bonne foi.

Peut-être croit-il, désormais, travailler pour une République aristocratique où le droit des pauvres sera refoulé et méconnu. S’il agit ainsi, il brisera l’alliance qui s’est cimentée d’une manière sublime, sur les barricades, entre le riche et le pauvre. Il perdra la République et la livrera aux intrigants ; et le peuple, qui sent sa force, ne les supportera plus. Le peuple tombera dans des excès condamnables si on le trahit ; la société sera livrée à une épouvantable anarchie, et ces riches qui auront détruit le pacte sacré deviendront pauvres à leur tour dans des convulsions sociales où tout succombera.

Ils seront punis par où ils auront péché ; mais il sera trop tard pour se repentir. Michel ne connaît pas et n’a jamais connu le peuple ; que ne le voit-il aujourd’hui ! Il jugerait sa force et respecterait sa vertu.

Courage, volonté, persévérance à toute épreuve…

Nous avons transcrit cette lettre presque en entier, quoiqu’elle soit imprimée. Elle est trop significative. Elle renferme en germe les éléments des cinq premiers articles politiques de George Sand de cette année, et nous dévoile les causes qui la firent descendre en personne dans l’arène politique. Bien plus, certaines locutions et certains mots, par exemple sur les amis de la veille d’une révolution et ceux du lendemain, devinrent des mots courants et des mots transportés dans les circulaires ministérielles, ils jouèrent un grand rôle dans le flux et reflux du mouvement social.

Le 9 mars, Mme Sand écrit encore à Poncy.

… D’un bout de la France à l’autre, il faut que chacun aide la République et la sauve de ses ennemis. Le désir, le principe, le vœu fervent des membres du gouvernement provisoire est qu’on envoie à l’Assemblée nationale des hommes qui représentent le peuple et dont plusieurs, le plus possible, sortent de son sein.

Ainsi, mon ami, vos amis doivent y songer et tourner les yeux sur vous pour la députation. Je suis bien fâchée de ne pas connaître les gens influents de notre opinion dans votre ville. Je les supplierais de vous choisir et je vous commanderais, au nom de mon amitié maternelle, d’accepter sans hésiter. Voyez : faites agir ; il ne suffit pas de laisser agir. Il n’est plus question de vanité ni d’ambition comme on l’entendait naguère. Il faut que chacun fasse la manœuvre du navire et donne tout son temps, tout son cœur, toute son intelligence, toute sa vertu à la République…

Je repars pour Paris dans quelques jours probablement, pour faire soit un journal, soit autre chose. Je choisirai le meilleur instrument possible pour accompagner ma chanson. J’ai le cœur plein et la tête en feu.

… Je suis revenue ici aider mes amis, dans la mesure de mes forces, à révolutionner le Berry, qui est bien engourdi. Maurice s’occupe de révolutionner la commune. Chacun fait ce qu’il peut…

Borie sera probablement député pour la Corrèze.

En attendant, il m’aidera à organiser mon journal…

Le 16 mars, elle écrit encore au même Poncy (la lettre est inédite) :


Nohant, 16 mars.

Je vous envoie une Lettre au peuple, qui a paru à Paris. Si vous croyez qu’elle soit utile à Toulon, je vous autorise à la reproduire, ainsi que tout ce que je vous enverrai. Cette brochure est trop longue pour un journal. Vous pourriez la faire réimprimer sur papier commun et la répandre. Les frais sont peu de chose ; vous trouveriez quelques amis du peuple qui les feraient. Reste à savoir si cette lettre, qui n’est pas trop avancée pour la population intelligente et instruite des faubourgs de Paris, ne serait pas inintelligible ailleurs. Vous verrez. J’en ai fait une autre pour les paysans de la langue d’oïl, qui est sous presse.

Adieu, écrivez-moi.

La première des deux Lettres dont parle Mme Sand est la Première lettre au peuple, datée du 7 mars, et parue à Paris dans la huitaine suivante, comme on peut le conclure de ce que le Bulletin de la République, n° 3, du 17 mars, la cite comme « publiée[42] ». Quant à la lettre, écrite en langue d’oil, c’est-à-dire en berrichon, c’est l’Histoire de France racontée au peuple et écrite sous la dictée de Blaise Bonnin, vrai chef-d’œuvre, par son style populaire soutenu et par le récit extrêmement clair, et à la portée de chacun, des faits historiques, exposés au point de vue socialiste et républicain s’entend. Cette histoire est aussi signée à la manière des campagnards : Sur la paroisse de Nohant-Vic, le quinzième du mois de mars de l’année 1848. Elle parut sous forme de brochure ce même 15 mars, à La Châtre[43].

Une semaine plus tôt, le 8 mars, parut, dans les colonnes du Journal du Loiret, la Lettre à la classe moyenne, analysée plus haut ; elle fut aussi immédiatement réimprimée en brochure, et le 12 mars, parut à La Châtre, en brochure également, la Lettre aux riches.

Cette Lettre aux riches précise la position bravement prise par George Sand, dès les premiers jours de la seconde République, au milieu des partis politiques. Soutenir l’union entre les intellectuels qui avaient applaudi à la révolution, et le peuple qui l’avait faite ; réconcilier et tranquilliser la bourgeoisie alarmée ; chasser « le fantôme rouge », objet permanent de sa terreur — voilà les idées de cette lettre. Mais la profession de foi de George Sand devait certes effrayer beaucoup de lecteurs de ses brochures et affermir cette réputation de communiste dangereuse que Daniel Stern tâcha de souligner dans son Histoire de 1848, et que M. Monin trouve imméritée. La comtesse d’Agoult ne prend George Sand à partie que par un sentiment d’inimitié et de parti pris un peu trop féminin, lorsqu’elle la rend responsable de tous les écrits, circulaires et bulletins communistes fatals à la République. Nous aurons mainte occasion, au cours de notre narration, de signaler combien ces réquisitoires de Daniel Stern, par rapport à des faits, sont hasardés et mal fondés. Mais quant aux idées de George Sand, il est évident qu’en 1848 elles étaient bien proches de celles des communistes et que sur ce point-là Daniel Stern est plus près de la vérité que M. Monin, qui nie catégoriquement le communisme de Mme Sand.

La grande crainte, ou le grand prétexte de l’aristocratie, à l’heure qu’il est, — c’est ainsi que George Sand commence sa Lettre aux riches, — c’est l’idée communiste. S’il y avait moyen de rire dans un temps si sérieux, cette frayeur aurait de quoi nous divertir. Sous ce mot de communisme, on sous-entend le peuple, ses besoins, ses aspirations. Ne confondons point : le peuple, c’est le peuple ; le communisme, c’est l’avenir calomnié et incompris du peuple.

La ruse est ici fort inutile ; c’est le peuple qui vous gêne et vous inquiète ; c’est la République dont vous craignez le développement ; c’est le droit de tous que vous ne supportez pas sans malaise et sans dépit…

… Vous voilà donc épouvantés d’un fantôme créé par une panique dont tout Français devrait rougir, car la France est vaillante, héroïque…

Ce fantôme, que vous n’osez même pas regarder en face, il vous plaît de l’appeler communisme. Vous voilà terrifiés par une idée, parce qu’il existe des sectes qui croient à cette idée, parce que c’est une croyance qui doit un jour se répandre et modifier peu à peu l’édifice social. En supposant que son triomphe soit prochain, savez-vous que, si vous lui montrez tant de couardise ou d’aversion, si vous mettez vos mains devant vos yeux pour ne pas le voir, de même que si, vous armant de résolution, vous provoquez contre lui des haines aveugles, vous allez lui donner une importance, un ensemble, une lumière qu’il ne se flatte pas encore de posséder ? Vous êtes toujours les hommes d’hier, vous croyez toujours que c’est par la lutte hostile et amère que vous pouvez sauver votre opinion. Vous êtes dans une erreur inconcevable. Vous ne voyez donc pas que l’égalité à laquelle vous avez droit comme le peuple ne s’établira que par la liberté ?

J’invoquerais aussi la fraternité, si je pouvais croire qu’il existât parmi vous un cœur assez desséché pour que ce mot ne portât pas lui-même toute sa définition, la santé de l’âme.

J’augure mieux de vos sentiments, mais je crains pour vos idées, je ne les trouve ni logiques ni rassurantes. Si vous ne les transformez pas, elles amèneront l’anarchie ; non pas une anarchie sanglante : si elle éclatait sur quelques points, le peuple, tout le premier, ce peuple généreux et ami de l’ordre, que vous ne connaissez pas encore, vous sauverait des fureurs du peuple ; mais une anarchie morale qui paralysera les travaux de la nouvelle Constitution et, par conséquent, la vie morale et matérielle de la France.

Vous avez vu cette vertu, cette grandeur du peuple ; et, comme il vous est impossible de les nier, vous motivez votre répugnance à proclamer son droit, sur la crainte qu’il ne soit communiste. Hélas ! non, le peuple n’est pas communiste, et cependant la France est appelée à l’être avant un siècle. Le communisme dans le peuple, c’est l’infiniment petite minorité ; or vous savez que, si les majorités ont la vérité du présent, les minorités ont celles de l’avenir. C’est pourquoi il faut témoigner aux minorités de l’estime, du respect et leur donner de la liberté. Si on leur en refuse, elles deviennent hostiles, elles peuvent devenir dangereuses, on est réduit à les contenir par la force, elles subissent le martyre ou exercent des vengeances. Le martyre tue moralement ceux qui l’infligent, comme la vengeance tue physiquement ceux qui la subissent. Laissez donc vivre en paix le communisme… Mais il existe quelque part, dit-on, des communistes immédiats qui veulent, par le fer et le feu, détruire la propriété et la famille. Où sont-ils ? Je n’en ai jamais vu un seul, moi qui suis communiste[44].

Il y en a donc bien peu, ou leurs théories sont bien inconciliables avec celles de la majorité communiste. S’il existe une poignée de pauvres fanatiques qui ne se rattachent ni au plan inachevé, et essentiellement pacifique de Pierre Leroux, ni à l’utopie romanesque et non moins pacifique de M. Cabet, n’existe-t-il pas aussi parmi vous des fanatiques de la richesse, des monarchistes exaltés qui auraient applaudi à un massacre général du peuple le 24 février ?…

Tranquillisez-vous donc ! Le communisme ne nous menace point. Il vient de donner des preuves signalées de sa soumission légale à l’ordre établi, en proclamant son adhésion à la jeune République. Il a beaucoup d’organes différents, car c’est à l’état d’aspiration qu’il a le plus d’adeptes ; il en a jusque parmi les riches ; il en a chez toutes les nations et à tous les étages de la science et de la hiérarchie sociale ; il y en a qui ne sont point enrégimentés sous une bannière d’organisation, qui ne font partie d’aucune secte[45], parce qu’ils n’en trouvent pas la formule satisfaisante, et qu’ils aiment mieux conserver dans leur âme un idéal pur, que de l’exposer à des essais infructueux ; ceux-là aussi ont une foi inébranlable, et, s’ils avaient encore cent ans à vivre, sous un Louis-Philippe, ils mourraient avec la même conviction ; car le communisme, c’est le vrai christianisme, et une religion de fraternité ne menace ni la bourse, ni la vie de personne.

Eh bien, de tous les organes de la foi communiste, pouvez-vous en citer un seul qui ait protesté contre les lois qui régissent la propriété légitime et la sainteté de la famille ?

Qu’ont-ils donc fait pour vous épouvanter ? Rien, en vérité, et vous êtes troublés par un cauchemar !

Quant au peuple, vous le calomniez en disant qu’il penche vers le communisme immédiat. Le peuple, plus sage et plus brave que vous, ne s’alarmerait pas de quelques démonstrations coupables, il les réprimerait, et, loin de perdre sa foi dans l’avenir, il tirerait de ces excès une patience plus belle et une justice plus ferme… »

Ces Lettres et brochures ne furent publiées que grâce au secours actif que Charles Duvernet et Victor Borie prêtèrent à George Sand ; le premier dirigeait le groupe républicain de la Châtre, et tous les deux étaient alors des compagnons d’armes et les aides politiques les plus actifs, les plus fervents de Mme Sand. Ils portèrent immédiatement la peine encourue pour une opinion aussi répréhensible au point de vue des bons bourgeois provinciaux. À la Châtre tous les réactionnaires et ceux qu’on nommait les modérés, c’est-à-dire tous ceux qui étaient immodérément horripilés par les événements, commencèrent à remuer et à agir : à préparer le terrain pour faire élire à l’Assemblée nationale des députés désirables, c’est-à-dire les moins dangereux, et aussi à fane répandre des calomnies sur le compte des progressistes et à exciter tout doucement la population contre eux.

« … Braver des criailleries n’est rien du tout, pas plus pour un homme, je pense, que pour une femme », écrit Mme Sand le 14 mars, à la Châtre[46] à Charles Duvernet, auquel les réactionnaires promettaient de faire entendre un charivari, ainsi qu’à Victor Borie. « Mais je trouve que, pour le moment, il n’y a rien à faire, parce que le peuple est mis hors de cause à la Châtre, que le club devient une question de personnes, et qu’on ne pourrait prendre le parti du principe sans avoir l’air d’agir pour des noms propres. Bonsoir, mon ami, courage quand même ! la République n’est pas perdue, parce que la Châtre n’en veut pas !

Mme Sand concluait donc que ses amis ne devaient pas prendre la défense de leur parti, ne pas se mêler des tripotages de cette aimable petite ville et la laisser faire.

Mais cette prétendue indifférence pour les petites intrigues locales ne signifiait aucunement que George Sand avait consenti à voir marcher les choses au gré des conservateurs de la Châtre ou de toute autre ville de la France. Bien au contraire ! Elle décida d’agir sur l’esprit des masses et des électeurs.

À cette fin elle se mit primo à faire, de toutes ses forces et le plus réellement du monde, par Maurice, par Charles Poncy et par une foule d’autres adeptes, de la propagande des idées politiques et sociales les plus avancées et à préparer les élections, en agissant en faveur des députés les plus radicaux… en éloignant les douteux. Puis, elle décida de mettre son travail littéraire et son talent au service du mouvement politique, en publiant et en éditant des brochures diverses et son propre journal exclusivement politique. Elle décida, de plus, de prendre une part active aux faits et gestes du gouvernement provisoire ; c’est donc en trois directions qu’elle se mit d’emblée à travailler.

Pour atteindre le premier but proposé, elle écrivit de Nohant, en dehors des lettres à Poncy et à d’autres amis, une lettre au ministre de l’Instruction publique sur la nécessité d’envoyer en province d’énergiques et sûrs agents qui secoureraient l’inerte et obscure populace, contrecarreraient les éléments réactionnaires et aideraient à faire élire des députés désirables.

… C’est moi qui ai eu cette idée d’envoyer des ouvriers faire de la propagande dans les départements, — inscrit George Sand sur une feuille de son Journal à la date du 31 mars, en racontant une entrevue entre Ledru-Rollin et des ouvriers qu’elle lui avait présentés, Gilland et Leneveux à la tête. — Je me suis d’abord adressée au ministère de l’Instruction publique, dans les attributions duquel serait naturellement rentrée cette fonction d’instituteur des masses. Ma lettre écrite de Nohant[47] a été communiquée au gouvernement provisoire, qui l’acceptait d’abord. Mais Carnot ne s’en est plus occupé. Ni lui, ni J. Reynaud, ni Charton, ne connaissent les bons ouvriers de Paris. Après plusieurs jours de prédication de ma part, l’idée a enfin pénétré la « volumineuse » de ce bon Ledru-Rollin. Il s’est mis à l’œuvre avec son entrain et son étourderie habituels ; il a cent mille francs à consacrer à cette œuvre. Bien entamée, elle amènera, j’en suis sûre, d’excellents résultats. Mais que de fautes il va faire ! et s’il envoie, comme il est fort à craindre, d’après les premiers choix, de médiocres sujets, des parleurs, des braillards, des hommes violents, manquant de tact et d’intelligence, il donnera une très fâcheuse opinion des ouvriers de Paris et le mal sera plus grand qu’avant cette démarche. Il paraît sentir la vérité de cette observation ; mais, dans l’action, les bonnes intentions souvent s’évanouissent !…

La veille de quitter Nohant, George Sand y organisa, le dimanche 19 mars, une petite fête patriotique : celle de la proclamation de la République à Nohant-Vic, et le lendemain de sa rentrée à Paris elle la décrivit dans une lettre pleine de verve au Rédacteur de la Réforme, lettre non signée, parue dans ce journal le 23 mars. En reproduisant dans son article la description de cette petite fête naïve, mais fort ingénieusement mise en scène, M. Monin dit que la fête même n’aurait pas eu lieu le 19, comme on aurait pu le croire d’après la date du numéro de la Réforme, mais bien « dimanche le 12 mars », parce que George Sand l’aurait décrite le samedi 18 mars, « en déjeunant chez Pinson ». En avançant cela, M. Monin devait bien involontairement se fier aux dates des lettres imprimées dans le volume III de la Correspondance de George Sand : « Paris, 14 mars » en tête de la lettre à Duvernet, et « Paris, 18 mars » en tête de celle à Maurice Sand. Mais ces désignations sont tout aussi fausses que les dates mises au bas des Lettres au Peuple : « Paris, 7 mars » et « Paris, 19 mars ». La lettre à Duvernet, comme nous venons de le dire, fut écrite de Nohant, ainsi que la Seconde Lettre au Peuple, et la lettre à Maurice, de Paris, mais après le 19 mars, comme on peut aisément le voir par la lettre inédite que voici, adressée à Mme Viardot :


Nohant, 17 mars 1848.

Ma fille chérie, dans quelques jours je vous serrerai dans mes bras. Oui, je suis heureuse, malgré mes cruels embarras de finances qui allaient finir et qui renaissent sous le coup de cette crise, malgré les montagnes de difficultés misérables auxquelles on se heurte en province, malgré les dangers que nous suscitent les polirons. Si je ne retournais à Paris, où le contact de ce pauvre peuple si grand et si bon m’électrise et me ranime, je perdrais ici, non la foi, mais l’enthousiasme. Ah ! nous serons républicains quand même, fallût-il y périr de fatigue, de misère, ou dans un combat. C’est la pensée, le rêve de toute ma vie qui se réalise, et je savais bien qu’elle ferait tressaillir votre généreux cœur.

Mes chagrins personnels, qui étaient arrivés au dernier degré d’amertume, sont comme oubliés ou suspendus…

Mais ne parlons pas de nous-mêmes, chacun a son ver rongeur et doit se laisser ronger sans y songer, car il y a de grands devoirs qui réclament tout notre temps, toutes nos forces, toute notre âme. Vous allez bientôt nous ramener, j’espère, les consolations de l’art, remède divin et force bienfaisante. Vous me direz tout ce que vous allez faire, car je compte sur vous pour faire dans Fart la révolution que le peuple vient de faire dans la politique. À bientôt donc, ma Paulita, je vous chéris et vous embrasse mille fois.

Maurice est aux prises avec ses fonctions de maire délégué du gouvernement. La commune de Nohant ne lui offre qu’amitié et confiance. Mais il faut que, dans son petit coin, il travaille à éclairer l’esprit de 900 administrés et de 200 électeurs qui disent tous : Vive la république, à bas l’impôt ! et qui ne veulent pas entendre à autre chose. Dimanche nous faisons une cérémonie champêtre, garde nationale en sabots, cornemuse en tête, et lundi ou mardi, je pars.

À vous, chère fille, toujours, toujours. Maurice et Augustine baisent vos belles mains et vous aiment avec vénération.

George.

Donc la fête eut effectivement lieu le dimanche 19 mars. Lundi, le 20 mars, Mme Sand partit pour Paris, et mardi, le 21, elle écrivit chez Pinson la lettre qui parut le surlendemain, le 23 mars, dans la Réforme, ainsi que la lettre à Maurice qui est imprimée dans la Correspondance à la fausse date de 13 mars, Nous allons citer des extraits de toutes ces lettres, ainsi que la description de la Fête. Quoique chacun puisse la lire dans l’excellent article de M. Monin, nous devons quand même la réimprimer encore une fois ici, parce qu’elle contient des Lignes qu’il nous faut absolument noter et confronter avec d’autres écrits de George Sand ; nous tenons aussi à mettre au point certaines allusions qu’elle contient.

« La commune de Nohant-Vic (Indre) a proclamé la République dimanche dernier (19 mars) dans une cérémonie champêtre à la fois simple et touchante. Les habitants de cette commune, tous agriculteurs, ont demandé au curé de leur chef-lieu paroissial un service funèbre particulier dans leur petite église, trop petite surtout ce jour-là, pour contenir l’affluence des fidèles. Ce temple rustique, à défaut d’ornements somptueux, était paré de feuillages, de branches de cyprès, de mousse et de blanches primevères. Le catafalque en l’honneur des martyrs de la République était couronné d’une splendide guirlande de pâles violettes, et les étendards tricolores qui l’ombrageaient avaient pour hampes des tiges de lauriers fraîchement coupées et garnies de leurs feuilles. La garde nationale s’était organisée et rassemblée spontanément sur la simple invitation du nouveau maire, M. Maurice Sand. Dès le matin, tous ces braves gens étaient arrivés du fond de leurs terres, montés sur leurs petits chevaux, enveloppés de leurs manteaux bleus, le bout du fusil passant sur le flanc du cheval. On eût dit d’une petite Vendée. Ces hommes ont le sang-froid et la bravoure des partisans. Mais aujourd’hui il n’y a plus de partis contraires à la grande unité nationale ; une même pensée rassemble tous les habitants du sol ; et si l’accoutrement pittoresque de nos gens de campagne rappelle les apprêts mystérieux de la guerre civile, leur physionomie enjouée, l’esprit de fraternité qui s’éveille à leur approche, les cris de : Vive la République ! qui les saluent sur leur passage, et le concours de toutes les sympathies à un triomphe dont la France entière veut être solidaire, annoncent qu’à la poésie des temps passés ils savent joindre la vive notion du présent et de l’avenir. Soixante-dix paysans, armés de fusils de chasse, se trouvèrent ainsi réunis à deux cents non armés, qui demandaient avec enthousiasme des armes à la République[48]. Les femmes et les enfants portant des bannières, les vieillards, les voisins des campagnes environnantes formèrent bientôt un nombreux cortège, qui assista religieusement à l’office et à la bénédiction des drapeaux. La garde nationale armée s’était exercée seulement une heure avant la messe, et pourtant elle y rendit les honneurs militaires avec l’ensemble et la bonne tenue de soldats éprouvés. Elle était commandée fraternellement par des officiers improvisés, jeunes gens récemment sortis du service et revêtus de leurs uniformes des différents corps. Un soldat de marine revenu de la Martinique, un artilleur revenu d’Alger, un lancier qui avait parcouru la France, un fantassin qui avait tenu garnison à Paris, de jeunes et de vieux militaires, tels sont les éléments qui se retrouvent dans les campagnes sous les nouvelles bannières de la garde civique, et qui aiment à confier leurs drapeaux à de vieux héros de l’Empire ou de la République. Le porte-drapeau de Nohant-Vic était un grenadier de la vieille garde, tout couvert de blessures, revêtu de la grande tenue de l’Empire, et fier de pouvoir raconter à ses jeunes et vaillants camarades les jours de Leipzig et la glorieuse campagne de 1814.

Un objet d’art tiré du cabinet d’un amateur obligeant[49], jouait son rôle dans la rustique solennité. C’était une petite couleuvrine du seizième siècle, toute fleurdelisée, et qui n’en célébrait pas moins d’une voix bruyante et généreuse le triomphe du peuple. Montée sur son petit affût, elle fut joyeusement traînée par de beaux enfants en tête du cortège. Le curé et le maire conduisirent ce cortège nombreux au hameau de Vie, annexe de Nohant, où le drapeau tricolore fut planté, au bruit du canon et de la mousqueterie, au son du tambour et de la cornemuse, instrument guerrier d’un nouveau genre en France, et qui ne messied pas plus aux gardes civiques de nos campagnes qu’aux bandes de montagnards écossais. Tout le monde était dans l’ivresse. Parmi les vivats patriotiques, il y en a un qui paraîtra bizarre, si on le rapproche de ce qui venait de se passer à Paris. Le grenadier de la vieille garde[50], faisant allusion à sa coiffure criblée de balles ennemies, provoqua le cri de : Vivent les bonnets à poil ! Et chacun de lui répondre cordialement : Vivent les bonnets à poil de la vieille garde ! Voilà les honneurs que nul ne refusera jamais à la véritable bravoure. Quant à la gloriole des oursons parisiens, nos bons paysans, qui ne savent pas le fait, eussent eu grand’peine à le comprendre[51].

En se séparant, ces braves gens exprimèrent im vœu qui mériterait bien d’être encouragé : a Pourquoi, disaient-ils, nous a-t-on laissé prendre le pli de regarder comme rivaux et presque comme ennemis les habitants des communes environnantes ? N’est-ce pas le moment d’oublier toutes les fâcheuses divisions d’amour-propre[52] ? Vienne vite le soleil du printemps, et si la République veut nous donner des fusils et le mot d’ordre, nous inviterons les autres communes à un grand rendez-vous, dans quelque bel endroit, où nous viendrons tous fraterniser avec elles sous les grands arbres. »

C’était une belle et bonne pensée. Oui, qu’on nous seconde, qu’on réponde à notre appel amical, disaient-ils, et, dans de belles fêtes champêtres, nous sentirons grandir en nous le sentiment républicain, nous oublierons l’augmentation de l’impôt qui, en ce moment, chagrine un peu les pauvres, et nous nous aiderons les uns les autres à comprendre la nécessité des sacrifices patriotiques.

Cela est bien nécessaire, en effet. Les bourgeois, en général, déclament piteusement devant les paysans, à propos de ces sacrifices. Au heu de les encourager et de leur donner joyeusement le bon exemple, ils travaillent, parleur tristesse et leurs murmures, à maintenir le règne de l’égoïsme. Le peuple comprendrait pourtant les grandes choses, au fond des campagnes comme sur le pavé brûlant des villes, si de bons citoyens s’efforçaient de l’initier à la connaissance de ses véritables intérêts. »

Revenue à Paris et ayant passé la nuit dans une chambre meublée, parce que le concierge de son fils était allé à son club, Mme Sand alla déjeuner chez Pinson et c’est là qu’elle écrivit et l’article pour la Réforme et la lettre à son fils, où elle lui disait entre autres :

… J’irai ce soir loger chez toi[53], en attendant que je m’installe un peu mieux, s’il y a lieu. Mais je ne veux pas encore louer pour un mois avant de savoir si je pourrai faire quelque chose ici. Je vais aller voir Pauline. Je viens de faire, en déjeunant, le récit de la fête de Nohant pour la Réforme. Borie en a fait un en déjeunant à Châteauroux, pour le journal de Fleury. Tu les recevras l’un et l’autre et tu feras bien de les lire dimanche, à haute et intelligible voix, à tes gardes nationaux. Ça les flattera. Tu développeras ces articles par des conversations dans les groupes. Tu feras sentir la nécessité de l’impôt pour ce moment de crise. Tu diras que nous sommes très contents d’en payer la plus grosse part et que ce n’est pas acheter trop cher es bienfaits de l’avenir. Voilà ton thème, que tu traduiras en berrichon…

Travaille à prêcher, à républicaniser nos bons paroissiens. Nous ne manquons pas de vin cette année, tu peux faire rafraîchir ta garde nationale armée, modérément, dans la cuisine, et, là, pendant une heure, tu peux causer avec eux et les éclairer beaucoup. Je t’enverrai du Blaise Bonnin[54], qui te servira de thème. Seulement, mets de l’ordre maintenant dans ces réunions, et, s’il le faut, forme une espèce de club, d’où seront exclus les flâneurs et les buveurs inutiles, les enfants et les femmes, qui ne songent qu’à crier et à danser. Pour le moment, c’est tout ce qu’on peut faire. »

Ayant ainsi mis en bon train (le croyant du moins) la propagande dans sa localité, par la voix de son fils, par celle des commissaires envoyés de Paris et enfin par les brochures éditées à la Châtre et à Orléans, George Sand ne tarda pas, à Paris, à agir sur un plus vaste auditoire : elle fonda son propre journal hebdomadaire et promit définitivement son aide au gouvernement provisoire pour la rédaction des Bulletins de la République.

Ces Bulletins, le gouvernement décida de les faire afficher périodiquement à Paris et dans les grandes villes ainsi que dans les communes rurales, afin de « donner non seulement une aide matérielle, mais mieux encore un aliment spirituel » à ces habitants des campagnes et ouvriers des cités industrielles pour lesquels commençait une vie nouvelle, « avec sa morale, ses lois et ses obligations », auxquels n’arrivaient jusqu’à ce jour ni enseignement, ni conseils, ni sympathies, ni leçons et pour lesquels la presse même… était muette » ; à présent le gouvernement voulait entrer en relations directes avec ce peuple, parce que « le plus solide lien entre un gouvernement et le peuple était un perpétuel échange d’idées et de sentiments », car si « la royauté qui dédaignait le peuple n’avait pas besoin de lui parler, la République… doit lui parler sans cesse pour l’éclairer, car l’éclairer c’est le rendre meilleur et le rendre meilleur, c’est le rendre plus heureux[55]… »

Dans deux Bulletins déjà, rédigés par Ledru-Rollin lui-même et par Jules Favre, sous-secrétaire d’État, avaient paru des extraits des écrits de George Sand : dans le numéro 3, une page de sa Première Lettre au peuple, et dans le numéro 4, un passage de sa Lettre aux riches. Mais le 15 mars, lorsque Mme Sand était encore à Nohant, il fut décidé en un conseil du gouvernement provisoire de mettre ordre dans la publication des Bulletins, et à cette fin « le ministre de l’Intérieur fut autorisé à s’entendre avec Mme George Sand pour fournir des articles au Bulletin de la République[56] ». « Il fut encore décidé qu’à partir du numéro 3, le Bulletin ne paraîtrait désormais que sur le bon à tirer d’un des membres du gouvernement provisoire » et on établit une liste des douze signataires responsables dans l’ordre suivant : Crémieux, Garnier-Pagès, Lamartine, Marie, Louis Blanc, Arago, Albert, Jules Fawe, Flocon, Ledru-Rollin, Bethmont, Carnot ; il ne fut toutefois pas stipulé que le même roulement reprendrait avec le numéro 14 et ce point, on le verra, a quelque importance »[57]. Jules Favre affirma plus tard que ce fut par l’entremise d’Étienne Arago que le gouvernement provisoire invita George Sand à prendre part à la rédaction du Bulletin. D’autres prétendirent que Mme Sand avait elle-même offert ses services. Nous avons tout lieu de croire que ce fut, comme en 1844, au nom du comité de la Réforme, se trouvant à présent à la tête du gouvernement, au nom de Ledru-Rollin et du sien propre que Louis Blanc s’adressa à Mme Sand (avec laquelle il avait beaucoup correspondu, en l’hiver de 1847-48).

Mais M. Monin remarque en toute justesse que quel que fût l’intermédiaire entre George Sand et le gouvernement provisoire, l’important est que ce fut « tout le gouvernement provisoire, modérés, radicaux et socialistes, qui a officiellement accepté sa collaboration ».

Or, la calomnie ne manqua pas de trouver là encore sa pâture ; Jules Favre prétendit, plus tard, que George Sand fut payée par le gouvernement provisoire. Et lorsque dans les cercles réactionnaires se propagèrent sciemment des fables sur le luxe effréné, « les repas de Lucullus » et le train magnifique des membres du gouvernement provisoire, ces fables s’étendirent à George Sand : beaucoup crurent que se trouvant au faîte du pouvoir, elle puisait à pleines mains l’or et les honneurs, et que sa vie à Paris ne fut qu’une série ininterrompue de triomphes. Son cousin René de Villeneuve le crut aussi, et elle l’en dissuada par les lignes suivantes, empreintes d’une souriante bonhomie :

Ces récits sont romans d’un bout à l’autre. Mes triomphes à Paris ont consisté à vivre dans une mansarde de cent écus par an, à dîner pour trente sous, à payer mes dettes et à travailler gratis pour la République. Voilà les honneurs, les profits et les grandeurs que j’ai brigués jusqu’à ce jour. Aimez-moi, je le mérite toujours et je vous aime toujours…[58].

Elle écrit encore à Poncy sur le même sujet :

Pour mon compte, je vous assure que, physiquement même, je ne m’aperçois pas que la pauvreté soit un malheur. Il est vrai que ma pauvreté est relative et que ce n’est pas la misère. Mais enfin, j’ai changé un appartement de trois mille francs pour un appartement de trois cents, et la même diminution s’est opérée dans tous les détails de mon existence matérielle. Or, je ne comprends pas que cela soit une souffrance, et je pense maintenant que le luxe est un besoin de la vanité plus qu’un appétit véritable de la mollesse…

Les amis de George Sand ne purent toutefois pas accepter aussi bénignement ces calomnies et lorsque Jules Favre crut possible de proclamer hautement dans son rapport à la Commission d’Enquête que Mme Sand avait reçu de l’argent du gouvernement provisoire et des ministres, l’un des membres de ce gouvernement, un vieil ami de Mme Sand, Étienne Arago, en fut indigné et crut devoir réfuter sérieusement ce mensonge. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand deux lettres de ce vieux républicain accompagnées de deux versions d’une réfutation adressée par lui à la rédaction du Corsaire. Il nous semble suffisant d’en donner une seule.


Cabinet du directeur général des postes.
1848, Paris.
Ma chère amie,

Cette lettre vous va-t-elle ? J’allais l’envoyer à la rédaction du Corsaire, lorsque Gouin m’a apporté le petit mot qu’il vous adresse en réponse à une demande que vous lui avez faite. Si ma lettre vous va, dites-le-moi, et le Corsaire l’insérera de gré ou de force :

« Monsieur le rédacteur, dans un de vos numéros du mois dernier, vous demandiez à connaître la somme que Mme Sand aurait reçue du gouvernement provisoire pour la rédaction de ses bulletins. C’est à moi peut-être qu’il appartient de répondre à cette question puisque dans une de ses insinuations inexactes M. Jules Favre a prétendu devant messieurs de l’enquête que c’était moi qui avais conseillé à M. Ledru-Rollin d’employer la plume de Mme Sand. Je puis donc vous dire, monsieur le rédacteur, que je mets au défi le plus grand fureteur de trouver dans les comptes du gouvernement provisoire et du ministère de l’intérieur autre chose que la preuve du désintéressement complet de l’illustre écrivain si injustement soupçonné. Agréez, etc.

Étienne Arago.

Cela vous va-t-il ? Si oui, la lettre part, si non, je la déchire. Écrivez-moi donc bien vite. J’ai vu ces jours passés MM. Planet et Fleury, nous avons parlé de vous : c’était toujours cela ; mais quand nous re verrons-nous ? On m’a parlé d’une charmante préface que vous écrivez en tête d’un nouveau chef-d’œuvre, cette préface aurait pour titre Comme quoi je suis revenue à mes moutons[59]. Heureuse au moins, vous qui ne les tondez pas, de vivre avec ces douces bêtes. Nous autres, nous vivons au milieu des loups de l’état de siège. Qui l’eût dit ?

J’ai reçu bien des nouvelles d’Emmanuel, à qui j’avais écrit en lui envoyant les articles de son ami Vevey. Le bel indifférent consent à se défendre contre une pétition qui va être lue à la tribune et qui arrive de Lyon[60]. C’est son père sans doute qui lira la justification. L’accusation tombera, puisqu’on accuse le proconsul d’avoir mis dans sa poche cinq cent mille francs. L’ambassadeur pourrait faire bonne mine à Berlin avec cette somme, mais il se contente de dépenser du talent[61], Bastide m’a dit hier que ses dépêches étaient excellentes.

Écrivez-moi, vous qui n’êtes pas occupée comme je le suis.

Mille amitiés profondes.

Étienne Arago.

Le contenu de ces deux lettres non seulement réfute brillamment les calomnies répandues par Jules Favre et par d’autres pêcheurs en eau trouble, sur le prétendu argent reçu par Mme Sand, mais nous laisse conclure que la célèbre femme paraît avoir voulu sacrifier quelques mille francs pour cette édition des Bulletins et nous montre encore combien M. Monin avait raison de dire : « Elle ne demanda ni ne reçut d’argent pour sa peine : elle devait être abondamment payée en outrages. »

Nous avons anticipé sur les faits et devons revenir au moment où George Sand ne faisait que commencer à aider le gouvernement provisoire de sa plume et s’apprêtait gaiement à agir dans les trois directions désignées, qui toutes devaient aboutir à un seul but : la gloire et la durée de la République. Elle écrit à son fils le 23 mars : (La lettre est datée du 24 dans la Correspondance.)

Me voilà déjà occupée comme un homme d’État. J’ai fait deux circulaires gouvernementales aujourd’hui, une pour le ministère de l’Instruction publique et une pour le ministère de l’intérieur. Ce qui m’amuse c’est que tout cela s’adresse aux maires, et que tu vas recevoir par la voie officielle les instructions de ta mère.

Ah ! ah ! monsieur le maire, vous allez marcher droit, et pour commencer, vous lirez chaque dimanche un des Bulletins de la République à votre garde nationale réunie. Quand vous l’aurez lu, vous l’expliquerez, et, quand ce sera fait, vous afficherez ledit Bulletin à la porte de l’église. Les facteurs ont l’ordre de faire leur rapport contre ceux des maires qui y manqueront. Ne néglige pas tout cela, et, en lisant ces Bulletins avec attention, tes devoirs de maire et de citoyen te seront clairement tracés. Il faudra faire de même pour les circulaires du ministre de l’Instruction publique. Je ne sais auquel entendre. On appelle à droite, à gauche. Je ne demande pas mieux.

Pendant ce temps, on imprime mes deux Lettres au peuple. Je vais faire une revue avec Viardot, un prologue pour Leckroy. J’ai persuadé à Ledru-Rollin de demander une Marseillaise à Pauline. Au reste, Rachel chante la vraie Marseillaise tous les soirs aux Français d’une manière admirable, à ce qu’on dit. J’irai l’entendre demain.

Mon éditeur commence à me payer. Il s’est déjà exécuté de trois mille francs et promet le reste pour la semaine prochaine ; nous nous en tirerons donc, j’espère. Tu entends bien que je n’ai pas dû demander un sou au gouvernement. Seulement, si je me trouvais dans la débine, je demanderais un prêt, et je ne serais pas exposée à une catastrophe. Tu entends bien aussi que ma rédaction dans les actes officiels du gouvernement ne doit pas être criée sur les toits. Je ne signe pas. Tu dois avoir reçu les six premiers numéros du Bulletin de la République, le septième sera de moi. Je te garderai la collection : ainsi affiche le tiens, et fiche-toi de les voir détruits par la pluie.

Tu verras dans la Réforme d’aujourd’hui[62] mon compte rendu de la fête de Nohant-Vic et ton nom figurera au milieu. Tout va aussi bien ici que ça va mal chez nous. J’ai prévenu Ledru-Rollin de ce qui se passait à la Châtre. Il va y envoyer un représentant spécial Garde ça pour toi encore. J’ai fait connaissance avec Jean Reynaud, avec Barbès, avec M. Boudin, prétendant à la députation de l’Indre ; celui-ci m’a paru un républicain assez crâne, et il est en effet ami intime de Ledru-Rollin. Il nous faudra peut-être l’appuyer. Je crois que les élections seront retardées. Il ne faut pas le dire et il ne faut pas négliger l’instruction de tes administrés. Tu as ton bout de devoir à remplir, chacun doit s’y mettre, même Lambert, qui doit prêcher la République : sur tous les tons aux habitants de Nohant.

Je suis toujours dans ta cambuse, et j’y resterai peut-être. C’est une économie, et le gouvernement provisoire vient m’y trouver tout de même.

Le gouvernement et le peuple s’attendent à de mauvais députés, et ils sont d’accord pour les ficher par les fenêtres. Tu viendras, nous irons, et nous rirons. On est aussi crâne ici qu’on est lâche chez nous. On joue le tout pour le tout ; mais la partie est belle…

(Nous omettons les lignes qui suivent et qui se rapportent à Borie, surnommé « le Potu » ; natif du Limousin, il était un objet constant de moqueries de la part de Mme Sand et de son fils sur son accent limougis et son flegme d’Auvergnat.)

… Ne manque pas de dire à ta garde nationale qu’il n’est question que d’elle à Paris. Ça la flattera un peu…

La fin de cette lettre, imprimée dans la Correspondance, y est arbitrairement ajoutée et appartient en réalité à la lettre inédite du 25 mars. Quant à celle du 23 mars, nous l’avons citée presque en entier, quoiqu’elle soit publiée dans la Correspondance, pour la raison qu’on y voit se suivre et s’entrelacer, presque sans aucune transition, toute une série de nuances d’humeurs, de faits et d’idées d’ordres très divers et tous extrêmement importants pour le biographe. D’abord, le ton de la lettre est gai, alerte, moqueur, on y sent la confiance dans sa cause et dans le triomphe de la République. Puis, nous y voyons narrée la part la plus directe que prenait l’auteur aux agissements du gouvernement, aussi bien que ses propres projets littéraires et autres. On y voit encore échapper à la plume de l’amie de Ledru-Rollin des indications fort intéressantes concernant messieurs les républicains : ils devaient à Paris ainsi qu’en province avoir recours à de petites ruses ; taire cela, chauffer artificiellement ceci, et en particulier on voit comment George Sand conseillait à son fils de recourir même à de petits trucs aussi peu… sages que d’assurer sa garde nationale, « qu’il n’était question que d’elle à Paris. » Et enfin nous y voyons annoncer la décision prise dès lors, probablement pendant l’une de ces séances privées du gouvernement provisoire dans la « cambuse » de la rue de Condé, d’ajourner les élections, dont les radicaux et les républicains « purs » appréhendaient les résultats ; or, cet ajournement fut, comme on le sait, une erreur fatale et fit grand tort à la deuxième République. Comme suite à cette première décision, il en surgit une seconde : dans le cas de l’insuccès de ces élections ajournées, déclarer nulle l’Assemblée nationale pouvant se trouver réactionnaire ou modérée, la dissoudre et obtenir par force une majorité désirable. C’est une chose qu’il faut noter, surtout en vue des accusations ultérieures portées contre George Sand d’avoir pris part à la conspiration, accusations qui se trouvent ainsi avoir sinon une raison réelle, au moins une raison morale, puisque nous voyons Mme Sand, déjà vers la fin de mars, applaudir à ce qu’on « fiche par la fenêtre les mauvais députés ». Le fameux Bulletin n° 16, n’est qu’une conséquence directe de ce fait moral.

Et voici maintenant la lettre inédite, du 25 mars, mentionnée plus haut :

Mon enfant,

J’ai reçu tes lettres. Le temps me manque pour t’écrire longuement et souvent comme je le voudrais. J’ai fait une circulaire pour l’Instruction publique. Elle n’a pas encore paru, ils n’en finissent pas. Ce ministère est le palais du sommeil. J’ai fait le numéro 1 et S du « Bulletin de la République ». Ceux-là marchent bien. J’ai demandé grâce pour le numéro 9[63], parce que le temps me manque.

J’ai fait un prologue pour l’ouverture gratis du Théâtre français (vieux style : lisez Théâtre de la République), au populaire de Paris et de la banlieue. Ce sera une représentation superbe. Le gouvernement provisoire y sera, Rachel, Samson, Ligier, Beauvallet, Mlle Brohan jouent mon prologue, et les comparses même y seront représentés par de premiers sujets. Il y aura des chœurs, Pauline fait une Marseillaise nouvelle, dont Dupont a fait les paroles : c’est moi qui mène tout cela. Pauline chantera sa composition en tête des chœurs du Conservatoire. Rachel chantera la vraie Marseillaise qu’elle chante tous les soirs avec une voix de bois (sans calembour), mais avec un accent, un geste, une tête vraiment admirables.

Si tu veux venir passer trois jours pour voir cela et le Salon, tu viendras. Je t’écrirai le jour de la pièce, et m’assurerai d’abord si tu pourras entrer par le théâtre, car, ce jour-là, il n’y aura point d’entrées de faveur, comme tu penses. Dupuy m’a payé. Je t’envoie cinq cents francs.

J’ai vu hier M. Marc Dufraisse, qui part pour l’Indre ce matin comme commissaire général. Il va aider Fleury à se débarrasser d’un faux commissaire nommé Vaillant qui révolutionne Châteauroux tout de travers. Il y a beaucoup de ces gens-là qui courent Paris et les départements, et qui sont des échappés du bagne ; si tu en vois, il faut leur demander la preuve de leur mandat et les faire arrêter s’ils font du mal. Quant à M. Marc Dufraisse, il est excellent, il ira te voir. Je lui ai dit que la maison et toi étaient à sa disposition. Tu l’instruiras de tout ce que tu sais de la ville et de la campagne, tu le mettras en rapport avec Touchet et les bons de la Châtre. Vois Touchet d’avance pour l’en prévenir. Dis à Touchet cependant de ne pas le voir trop ni d’une manière trop évidente pour ne pas faire naître l’idée d’une prévention exclusive de la part de ce commissaire pour notre opinion. Il va remuer la Châtre, contenir les veaux de Delaveau[64], casser tout ce qui ne marchera pas. Fais-lui casser ton conseil municipal, si celui-ci ne veut pas te seconder franchement. Ce M. Dufraisse est un homme grave, fin, énergique et doux de formes. Tu en seras content. De plus, je vais envoyer Gilland et un de ses amis nommé Lambert, qui est comme lui excellent[65]. Ceux-là auront aussi une mission pour révolutionner et catéchiser les paysans et les ouvriers. Reçois-les, aide-les, mets-les en rapport avec le curé, Touchet, etc…

Cette lettre, ainsi que la page du Journal intime de Mme Sand, citée plus haut, prouve combien était injuste la boutade de Ledru-Rollin qui disait ironiquement plus tard que « Mme Sand avait fait l’importante auprès du berceau menacé de la jeune République ». Il est évident que brouillé ou refroidi à l’égard de son ex-amie, Ledru-Rollin oublia trop vite que Mme Sand n’avait pas fait l’importante, mais qu’elle avait effectivement joué un rôle important sous son propre ministère et pris une part active aux mesures qui en émanèrent. Dans cette même lettre, Mme Sand signale à son fils la direction qu’il doit faire suivre aux affaires de sa localité : d’inculquer l’idée de la solidarité de toutes les communes, si importante pour faire prospérer la souveraineté du peuple et si facile à compromettre par les jalousies de clocher. Elle y revient souvent encore, tant dans ses lettres à sou fils que dans ses écrits politiques. Cette fois, elle lui écrit à ce propos :

Je n’approuve pas ton idée de séparer Vic de Nohant. Cette rivalité est à détruire et non à encourager. Ces petites communes isolées ne pourront rien, elles ne pourront pas l’une sans l’autre faire les dépenses nécessaires à leur bonne gestion : c’est comme un ménage qui dépense double en se divisant en deux individus. Étant maire à Nohant, tu reprends la part d’autorité que Nohant avait perdue, c’est à toi de maintenir l’égalité des pouvoirs des deux communes en prenant tes conseillers également dans l’une et dans l’autre, et en tenant ferme, sans préférence et sans faiblesse.

Je ferai l’impossible pour vos fusils. C’est bien difficile, Subervie n’étant plus là[66], j’agirai par Ledru-Rollin, qui est tout à nous, c’est-à-dire tout au peuple.

Embrasse Titine pour moi, impossible de lui écrire, mais dis-lui qu’elle m’écrive de temps en temps et que je l’embrasse, et que je pense à elle. Dis-lui tout ce que je fais, sans lui parler des commissaires : et missionnaires que je fais envoyer. Cela est pour toi seul… Borie t’a acheté pour quarante sous quatre bretelles de fusil. Il ne part pas encore, les élections étant retardées. Ma Revue est toute prête, seulement, je n’ai pas encore le temps de la commencer. Voilà tout, je crois. Je t’embrasse mille fois, prends courage, nous allons ferme !…

Jusqu’à cette ligne, toute la lettre est inédite, la fin est imprimée dans la Correspondance, en qualité de fin de la lettre du 23 mars et se rapporte aux dangers encourus par Emmanuel Arago à Lyon. Elle se termine par des paroles toujours enthousiastes encore :

Nous l’aurons, va, la République ! en dépit de tout. Le peuple est debout et diablement beau, ici !

Tous les projets dont Mme Sand parle dans cette lettre, elle les réalisa effectivement.

En se basant sur une lettre de Mme Sand à Girerd, dans laquelle elle dit qu’entre le 22 mars et le 15 avril, elle avait écrit en outre du Bulletin n° 16 encore cinq ou six bulletins, M. Monin croit qu’ « examinés ou non, amendés ou non, par le ministre ou par son secrétaire, à la plume de George Sand, appartiennent les nos 7, 9, 10, 12, 15 et 16 et qu’il faut éliminer, en tout, du n° 7 au n° 16 inclusivement, trois ou quatre bulletins… Le n° 8, très mal écrit et rempli de fautes typographiques (on connaît à cet égard la scrupuleuse minutie de George Sand) ; le n° 11, extrêmement court, sur la suppression des droits d’exercice ; le n° 13, circulaire administrative, adressée aux commissaires ; et le n° 14, qui reproduit un article de polémique financière de la Réforme… » Mais nous avons vu par la lettre de Mme Sand à son fils que c’est elle, justement, qui écrivit le n° 8 ; que pour le n° 9 elle avait par contre « demandé grâce ». D’autre part, quoique le n° 13, daté du 8 avril, soit une circulaire du gouvernement provisoire adressée aux commissaires et leur enjoignant à travailler l’élection de vrais républicains et de contrecarrer celle des adeptes du régime déchu, ou des tièdes, nous y voyons beaucoup de passages qui ne sont que des variations tant soit peu développées des lignes de George Sand, adressées à Girerd sur Michel de Bourges, sur les amis de la veille de la République et ceux du lendemain. Quant à son contenu, ce bulletin se rattache étroitement aux Bulletins nos 8 et 10 et présente, avec ce dernier, comme le programme abrégé des quatre articles de George Sand, intitulés Socialisme et imprimés dans sa Cause du Peuple. En ce qui regarde le n° 12 (sur la défense de la femme et la cessation du trafic des malheureuses filles du peuple), que, grâce à son thème même, l’auteur de la Préface à la collection des Bulletins de la République[67], ainsi que M. Monin attribuent à Mme Sand, il nous semble par contre qu’il n’est pas entièrement dû à sa plume, que des locutions, des tours de phrase et leur rythme même, ne nous produisent pas l’effet d’être sortis des « griffes » — ex ungue — de George Sand, En tout cas, ce Bulletin ne doit pas avoir été écrit par elle seule.

Nous croyons donc que Mme Sand écrivit les nos 7, 8, 10, 12 (?), 13, 15, 16, et certains passages des nos 19 et 20 (?).

Dans sa première lettre à son fils, à sa rentrée à Paris, Mme Sand conseillait à Maurice, comme nous venons de le voir, de faire comprendre aux paysans « la nécessité d’un nouvel impôt », et le premier Bulletin écrit par elle (le n° 7), a également pour but de justifier aux yeux du peuple le malencontreux impôt de 45 centimes décrété par ce même gouvernement provisoire qui venait si imprudemment de déclarer, dans son Bulletin n° 2, qu’il considérait comme l’un de ses premiers devoirs de « réduire les impôts, ou du moins de les répartir avec plus d’équité », George Sand tente d’expliquer au peuple que cette nouvelle charge est causée par le désordre financier où se trouvait la France après dix-huit années d’absence de contrôle sous le régime précédent. Mais le nouveau régime ne donne pas seulement de nouveaux droits, il impose encore de nouveaux devoirs. L’auteur du Bulletin parle donc aux habitants des campagnes presque dans les mêmes termes qu’employait Fra Angelo dans le Piccinino, pour caractériser le régime bourgeois :

… Habitants des campagnes, connaissez vos véritables intérêts, et repoussez les fatales suggestions de l’égoïsme et de la peur. Habituez-vous à comprendre la vérité sociale. La vérité sociale est que lorsque chacun pense exclusivement à son propre intérêt, sans tenir compte de celui de tous, il marche à sa ruine. Le gouvernement qui vient de s’écrouler sans retour prêchait la doctrine du chacun pour soi. Vous avez vu où il nous a conduits, et les maux dont vous souffrez aujourd’hui sont encore son ouvrage…

Quant au Bulletin n° 8, c’est en même temps un exposé un peu étendu d’une phrase de la Lettre à la classe moyenne, et une périphrase de l’Histoire de France écrite sous la dictée de Blaise Bonnin.

« Pour que les élections satisfassent le peuple, il est de toute nécessité que le peuple soit personnellement représenté… par deux citoyens au moins par département, choisis dans le sein même du peuple : un ouvrier des villes et un paysan » — avait dit George Sand dans sa Lettre à la classe moyenne.

Et Blaise Bonnin, ce prétendu auteur de la Lettre en langue d’oil (autrement dite Histoire de France racontée au peuple), dit fort spirituellement que lorsqu’il avait lu « sur les journaux que le monde de Paris avaient tous fait la paix, les riches comme les malheureux… » et qu’on avait aussi « mis sur les journaux que le seul moyen de s’accorder c’était de se mettre en République, ça l’avait fait se souvenir

… du temps que j’étais jeune et quasiment un enfant tout au juste en état de mener mes bêtes aux champs. Et dans ce temps-là, on se disait aussi citoyens, et on jurait la République. Mais ils s’en sont fatigués, à cause que les riches trompaient toujours les pauvres, ce qui était une chose injuste ; et à cause aussi que les pauvres avaient fait mourir ou ensauver beaucoup de riches pour en tirer une vengeance, ce qui n’était pas juste non plus. Alors on s’est mis en guerre avec les Autrichiens, Prussiens, Russiens et autres mondes étrangers, et la République a fini comme une nuée d’orage qui s’est tout égouttée…

Mais, — dit plus loin Blaise Bonnin, — on s’est imaginé qu’il fallait un homme tout seul au gouvernement et on en a pris un qui n’était pas sot : l’empereur Napoléon. Il a bien fait tout ce qu’il a pu… mais l’empereur Napoléon, en se mettant la grande couronne sur la tête, avait perdu la moitié de son esprit. À ce qu’il paraît que la couronne de roi dérange l’esprit de tous ceux qui la mettent, et que, quand im homme se trouve le maître de tous les autres, quand même ça serait l’homme le plus sage de toute la chrétienté, il faut qu’il perde sa raison et sa justice. Ça ne fait pas plaisir au bon Dieu de voir des millions d’hommes baptisés se soumettre à un homme, comme s’il était le bon Dieu lui-même. Cette coutume-là retire un peu des païens, qui ont commencé à servir leurs rois et à se mettre esclaves pour leur faire plaisir. On a continué la chose après avoir renvoyé les païens, sans faire attention que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait dit aux hommes qu’ils étaient tous frères et qu’ils avaient devoir de ne plus être esclaves.

Blaise Bonnin raconte après cela comment Napoléon, ainsi que les Bourbons revenus en France qui lui ont succédé, tombèrent parce qu’ils avaient manqué à cette loi divine et qu’ils ne protégeaient que les nobles et le clergé, tandis que le peuple était opprimé ; comment Louis-Philippe, « caponné auprès des bourgeois pour faire accroire qu’il était brave homme », n’eut pas meilleur sort, parce que, « comme ce roi-là aimait grandement son profit… les bourgeois s’en sont dégoûtés aussi et ont laissé le peuple le mettre à la porte sans un sou vaillant… »

À présent, — dit Blaise Bonnin — il n’y a ni rois, ni empereurs, ni étrangers, ni nobles, ni prêtres, ni bourgeois, qui soient capables d’enlever au peuple la République… Les rois sont tous partis ou prêts à partir. Dans les pays étrangers, les autres rois et les autres empereurs ont bien du mal à rester maîtres chez eux, et ils n’osent pas se mettre en guerre avec nous, parce que leurs peuples veulent aussi la République, et qu’ils ont peur que leurs soldats ne refusent de marcher contre les Français…

Après cet aperçu historique, Blaise Bonnin se met en devoir d’instruire ses bons voisins sur le compte des bourgeois qui continuent à craindre le peuple et la République, sur ceux qui font mine de l’avoir acceptée et enfin sur ceux qui lui sont sincèrement dévoués ; quant aux gens du peuple, dit-il :

… Nous ne sommes pas si bêtes qu’on nous croit et, dans peu de temps, nous connaîtrons mieux que les bourgeois ce que c’est que la République…

Le peuple saura aussi ce qu’il a à attendre de la République. Qu’un peu de temps passe, il saura se rendre compte des affaires, mûrira un peu et choisira sagement ses élus, ceux de sa localité, comme ceux qui iront voter pour lui à l’Assemblée nationale ; dans peu d’années, lorsque le peuple saura lire, ce ne sera plus si difficile que ça, mais à présent, dit Blaise, « nous serions bien pris si, croyant envoyer à l’Assemblée des amis du peuple, nous envoyions des ennemis qui aideraient à faire des lois contre nous ».

… Or, cela arriverait infailliblement, si chaque commune ne choisissait que des gens de sa localité, diviserait ainsi les voix et n’agirait pas d’accord avec les autres communes, ou si elle se fiait à des bourgeois qui, par de vaines paroles, sauraient accaparer les voix à leur profit ou à celui de leurs amis et puis ne défendraient pas les intérêts du peuple. Je ne vois qu’un moyen pour empêcher ça, c’est que nous exigions d’abord qu’on donne à des gens comme nous, à des ouvriers des villes et à des gens de campagne une partie des voix…

L’ami Blaise trouve de toute justice que les bourgeois jouissent également de ce droit.

… Mais, conclut-il, nous examinerons la conduite de ceux qu’on nous proposera. Nous n’écouterons pas leurs belles paroles, et nous nous défierons surtout de ceux qui n’étaient pas de la République la semaine passée, et qui seront pour elle la semaine qui vient. Nous savons bien que la jappe ne leur manque pas et qu’il y en a qui font contre fortune bon cœur. Mais nous consulterons leur comportement dans le passé et nous saurons bien s’ils étaient durs pour nous ou s’ils assistaient dans nos peines, s’ils ont eu peur de nous au premier mot de République qui a sonné, ou s’ils ont confiance en nous ; nous verrons bien s’ils nous insultent en disant tout bas que nous ne sommes pas capables de nous gouverner, ou s’ils nous ont toujours eu en estime, en disant, de tout temps, qu’on devait nous donner la liberté et l’égalité.

Nous verrons tout cela, braves gens, et nous sommes assez fins pour nous méfier des cafards.

… Ce sera à nous de nous souvenir comment ces gens-là nous ont traités avant la Révolution. Ça ne sera pas si vieux, nous n’aurons pas eu le temps de l’oublier…

Le dernier paragraphe, comme on peut le voir, parle en toute clarté et même presque dans les mêmes termes que la lettre à Girerd, des hommes de la veille et de ceux du lendemain.

Or, tout cela, seulement en changeant les locutions populaires contre des expressions convenant aux articles politiques, l’auteur le redit dans le 8e Bulletin qui peut se diviser en deux parties[68]. Dans la première, le ministre de l’Intérieur, au nom duquel se publiaient les Bulletins de la République, notifiait aux « citoyens » que le gouvernement et le peuple devaient se communiquer réciproquement leurs intentions, leurs aspirations et leurs espérances, le gouvernement voudrait entendre la voix du peuple, c’est pour cela qu’il s’adresse à lui.

… Ouvriers des villes et des manufactures, généreux enfants de la République, c’est vous qui formez la majorité des électeurs dans les vastes et nombreux foyers de l’industrie. Il importe que vous vous rendiez compte de vos souffrances, de vos droits et de vos justes prétentions. Faites-les connaître, parlez à vos candidats, parlez à la France ce langage éloquent et simple de la vérité que la France n’a jamais entendu encore d’une manière officielle. Le temps de la plainte est passé ; celui de la vengeance ne viendra plus jamais, parce que celui du droit règne dès aujourd’hui…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quand vous aurez dit ce que vous avez souffert, ce que vous ne devez plus souffrir, votre tâche ne sera pas encore remplie. Il faudra veiller à ce que tout ce qui est possible soit fait, veiller à ce que rien de possible ne soit omis, veiller à ce que rien d’impossible ne soit exigé…

… Il importe que la classe la plus nombreuse et la plus utile, celle des travailleurs, révèle ses souffrances, il importe, pour qu’elle les révèle avec fruit, qu’elle les révèle avec noblesse, avec fermeté, avec la volonté solennelle de donner au monde un grand exemple de la dignité humaine, reprenant la place qui lui était due. Il faut que le peuple ait la majesté qu’on croyait jadis être l’apanage des rois ; la violence était celui des tyrans. Le peuple a prouvé que l’heure de son règne avait enfin sonné ; car le peuple est calme, patient et ferme. Le peuple n’est pas un souverain absolu, à la manière des rois ; c’est la vérité qui seule est absolue. Les rois sont tombés pour n’avoir pas compris que Dieu était au-dessus d’eux. Le peuple ne tombera pas, parce qu’il puise sa force dans la loi divine[69].

Travailleurs, venez dire ce que vous avez souffert… La société vous doit désormais de sonder vos plaies et d’y porter remède… La société, vous allez y porter la main. Travailleurs, c’est un édifice que vous allez construire pour la postérité. Ne souffrez pas qu’il soit bâti pour quelques-uns seulement, tandis que l’humanité resterait à la porte, nue, affamée, avilie, désespérée…

Dans la seconde partie de ce Bulletin, l’auteur met tout d’abord les citoyens en garde contre des « hommes qui ne craignent pas de répéter que la République va couvrir la France d’échafauds, porter atteinte à la propriété, provoquer des guerres acharnées ».

Blaise Bonnin se souvenait de la chute de la monarchie de Louis XVI et de la proclamation de la première République, dont il avait été témoin dans sa jeunesse, puis des guerres « avec les Autrichiens, Prussiens et autres mondes étrangers n, provoquées par les émigrés, il dit qu’à présent ce danger-là n’existe plus. Et l’auteur du Bulletin n° 8 demande à ses lecteurs s’il doit leur rappeler ces événements, « dont quelques-uns de vous ont été les acteurs et les témoins », et dont « vos anciens peuvent encore raconter les héroïques phases » ; puis il passe à l’exposé des faits historiques et de la position internationale présente, en suivant exactement le contexte de Blaise Bonnin :

… La résistance obstinée des castes privilégiées a seule fait couler les larmes et le sang de la France. Propriétaires exclusifs du sol, exempts de l’impôt, accaparant toutes les faveurs, la noblesse et le clergé voulaient conserver un monarque absolu pour abriter derrière son despotisme leur unique domination. Quand, éclairée par ses écrivains, la nation revendiqua l’égalité pour tous les citoyens, ces deux puissantes corporations prétendirent arrêter son essor. Elles compromirent la royauté en l’associant à leurs intrigues et à leurs aspirations… L’émigration commença. Plus attachés à leurs titres qu’à leur pays, les nobles et les prêtres coururent en foule à l’étranger, sollicitant l’intervention des rois voisins et s’offrant eux-mêmes à déchirer de leurs mains impies le sein de la patrie menacée…

Jadis effectivement, tout le Nord marcha contre la France ; mais cette dernière remporta la victoire quand même. À présent, il n’y a plus à craindre aucun danger, ni au dedans, ni au dehors.

Jetez donc les yeux sur l’Europe ; partout où vous voyez un trône, vous entendez le bruit des combats. Attendez un peu, ce sera le chant de la victoire populaire. L’étoile des tyrans pâlit…

Les rois seuls pouvaient être vos ennemis ; les peuples sont nos amis et nos frères. Encore un peu, fuyant la justice de Dieu et la légitime colère des nations, ceux qui s’appelaient les maîtres du monde iront finir leur vie dans l’oubli et, saintement unies par des relations pacifiques, toutes les grandes familles de l’Europe abjureront leurs rivalités et leurs haines ; la guerre, ce redoutable fléau, aura fini avec les monarchies.

Si nous ne sommes menacés ni au dedans ni au dehors, nous n’aurons donc point à traverser cette ère de calamités qui a marqué l’établissement de la première république…

Toutefois, — dit l’auteur du Bulletin, et il revient encore une fois à la charge, en pariant de ce qui avait déjà servi de thème à ses deux Lettres au peuple et ses lettres privées à Poncy et à Girerd,

Toutefois, il est une faute qui pourrait nous perdre ; ce serait la division. Si, au heu de se rallier sans arrière-pensée à la République, quelques-uns d’entre nous choisissaient, pour les représenter, des hommes douteux, l’anarchie et la guerre civile pourraient sortir des déchirements de l’Assemblée nationale. Cette Assemblée ne peut nous préserver de ce malheur qu’à la condition d’être composée d’éléments tout à fait républicains. Repoussez donc les tièdes, les indifférents, les fauteurs d’intrigue ; choisissez les cœurs honnêtes et ardents, ceux qui aiment vraiment le peuple, ceux qui n’ont jamais pactisé avec les mensonges et la corruption du pouvoir déchu.

C’est avec intention que nous nous sommes si longuement, arrêtés sur ce 8e Bulletin, afin de prouver par le texte même et par les arguments employés que les deux parties de ce Bulletin sont bien, comme le disait George Sand, dans sa lettre à son fils, écrites par elle-même.

Le Bulletin n° 13, répète et développe les idées émises dans le n° 8 et celles que nous avons vues dans les lettres à Girerd et à Poncy. C’est une circulaire adressée aux commissaires, à ces mêmes commissaires que Mme Sand avait conseillé au gouvernement d’envoyer ; à la veille des élections, le gouvernement de la République, qui personnifie la victoire du peuple, se croit obligé de donner encore une fois des indications précises à ses commissaires. Les voici : Ils ne doivent nullement être de passifs spectateurs des élections qui approchent ; sans tomber dans les fautes du régime précédent et sans avoir recours à ses procédés indignes, le gouvernement de la République doit prendre ses mesures pour que les élections, dont dépend tout l’avenir du pays, soient favorables à la République et pour que la population choisisse de dignes représentants.

… Sincèrement républicaines, elles lui ouvrent une ère brillante de progrès et de paix ; réactionnaires ou même douteuses, elles le condamnent à de terribles déchirements. Votre constant effort a donc été, doit être encore, d’envoyer à l’Assemblée nationale des hommes honnêtes, courageux et dévoués jusqu’à la mort à la cause du peuple… Pénétrez-vous de cette vérité que nous marchons vers l’anarchie, si les portes de l’Assemblée sont ouvertes à des hommes d’une moralité et d’un républicanisme équivoques.

Ceux qui ont accepté l’ancienne dynastie et ses trahisons, ceux qui limitaient leurs espérances à d’insignifiantes réformes électorales, ceux qui prétendaient venger les mânes des héros de Février en courbant le front glorieux de la France sous la main d’un enfant, ceux-là peuvent-ils être élus du peuple victorieux et souverain, les instruments de la Révolution ?

Ne regarderaient-ils pas eux-mêmes comme un défi à la révolution que des hommes qui ont attaqué, calomnié la révolution, devinssent aujourd’hui les organisateurs de la constitution républicaine ?

Eh bien, puisque le choc impétueux des événements leur a subitement dessillé les yeux, soit ! Qu’ils entrent dans nos rangs, mais qu’ils n’aspirent ni à nous commander ni à nous conduire. Qu’ils marchent à l’ombre du drapeau du peuple, mais qu’ils ne songent pas à le porter. À la moindre secousse, leur âme se troublerait et, revenant malgré eux aux engagements de leur vie entière, ils affaibliraient la représentation nationale de toutes les incertitudes, de toutes les transactions familières aux opinions chancelantes et aux dévouements d’apparat.

Que le peuple s’en défie donc et les repousse ; mieux vaudrait des adversaires déclarés que ces amis douteux.

Citoyen commissaire, ce qui fait la grandeur du mandat de représentant, c’est qu’il investit celui qui en est revêtu du pouvoir souverain d’interpréter et de traduire l’intérêt et la volonté de tous.

Or, celui-là seul en usera dignement, qui ne reculera devant aucune des conséquences du triple dogme de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.

La liberté, c’est l’exercice de toutes les facultés que nous tenons de la nature, gouvernées par notre raison.

L’égalité, c’est la participation de tous les citoyens aux avantages sociaux, sans autre distinction que celle de la vertu ou du talent.

La fraternité, c’est la loi d’amour unissant les hommes et de tous faisant les membres d’une même famille.

De là découlent : l’abolition de tout privilège, la répartition de ; l’impôt en raison de la fortune, un droit proportionnel et progressif sur les successions, une magistrature librement élue et le plus complet développement de l’institution du jury, le service militaire pesant également sur tous, une éducation gratuite et égale pour tous, l’instrument du travail assuré à tous, la reconstitution démocratique de l’industrie et du crédit, l’association volontaire partout substituée aux impulsions désordonnées de l’égoïsme…

Il suffit de lire ces deux Bulletins, nos 8 et 13, après les lettres de George Sand à son fils, à Girerd à Poncy et entre les Lettres au Peuple et l’Histoire de France, pour se dire : « C’est la même plume qui les a écrits ».

Mais cette impression devient une conviction inébranlable si, immédiatement après ces deux Bulletins, on lit le Bulletin n° 10 et les quatre articles intitulés Socialisme, mentionnés plus haut. Ces articles parurent dans le journal hebdomadaire de George Sand, qui portait un nom très caractéristique pour sa couleur politique : la Cause du Peuple.

« De nouveaux rapports vont s’établir entre ce qu’on a appelé jusqu’ici les gouvernants et les gouvernés. Il importe que les droits et les devoirs soient définis d’une manière nette et loyale… » lisons-nous dans le Bulletin n° 10.

« Non seulement le droit public existe, mais encore le droit divin. Dieu veille sur les destins de l’humanité ; il a conféré le droit divin à tout homme venant dans le monde ; mais aucun homme ne doit et ne peut exercer isolément le droit divin. La royauté est une idolâtrie. Le droit divin est dans l’humanité collective, il est dans la société qui consacre les droits et qui trace les devoirs de tous.

Mais l’humanité est soumise à la loi du progrès et les sociétés, qui ne tiennent pas compte de cette loi, ne représentent pas le droit divin. Le jour où elles restent en arrière du progrès, leur droit n’existe plus ; elles le sentent parce qu’elles ne peuvent plus fonctionner. Elles se brisent d’elles-mêmes pour se reconstituer.

C’est alors qu’il faut les reconstruire et, dans ce moment de travail et d’attente où la société se reforme sur de nouvelles bases, où est le droit divin, où est le principe de légitimité, où est l’autorité souveraine ? … Cherchez tant que vous voudrez, inventez tout ce qui vous plaira, vous ne le trouverez pas ailleurs que dans le peuple…

L’auteur du 10e Bulletin ajoute qu’il ne faut point craindre les erreurs possibles.

… Une fois que la vérité existe et qu’existe le progrès, il est clair que la vérité doit être de plus en plus avec les hommes, avec le plus grand nombre des hommes et qu’elle doit donner au principe de majorité une sanction absolue dans l’avenir…

Il est fort probable que, tant que ce jour bienheureux n’est pas arrivé, le libre vote de tous les citoyens va vous donner peut-être une représentation nationale qui protégera, à la majorité des voix, les intérêts exclusifs de la majorité des citoyens.

… Nul n’a pouvoir de retirer le droit, pour châtier le mauvais usage du droit ; autant vaudrait dire à l’enfant : « Tu as trop mangé, tu as choisi une mauvaise nourriture et tu ne mangeras plus. »

… Le peuple sera toujours la majorité et le temps où la majorité était condamnée à se tromper d’une manière durable est passé sans retour. Si la majorité s’égare, elle n’en est pas moins le souverain légitime des temps où nous vivons, puisqu’elle est irrésistiblement emportée par la loi du progrès dans la voie où l’appelle la vérité…

… Il vient d’être versé, en France et dans toute l’Europe, des flots de sang pour le salut de la plus nombreuse portion du genre humain, il ne faut pas que ce sang généreux ait été répandu pour le triomphe d’une minorité.

Les trois uniques numéros de la Cause du Peuple, parus les 9, 16 et 23 avril, furent presque entièrement écrits par George Sand, à l’exception de quelques articles insignifiants de ses co-rédacteurs, MM. Rochery et Borie, et de quelques poésies de Pierre Dupont. Notamment, elle y réimprima ses deux Lettres au Peuple ; elle écrivit une Introduction servant de prospectus du journal ; trois descriptions : des Rues de Paris (pour le n° 1) » de la Journée du 16 avril et de celle du 20 avril (pour le n° 3) ; elle y publia deux articles de critique théâtrale intitulés les Arts, son prologue, « le Roi attend » et enfin les quatre articles sur le Socialisme.

Les trois premiers articles sur le Socialisme portent les sous-titres : 1° La souveraineté, c’est l’égalité ; 2° l’application de la souveraineté, c’est l’application de l’égalité ; 3° l’application de l’égalité, c’est la fraternité. George Sand y revient encore à l’idée mère du 10e Bulletin et, en la développant, elle énonce les thèses émises dans les Bulletins nos 8 et 13. Dans le quatrième article, la Majorité et l’unanimité, imprimé dans le troisième numéro, on entend déjà clairement l’écho du 15e et du trop célèbre 16e Bulletin. C’est pour cette raison que nous trouvons nécessaire de placer l’analyse de ces quatre articles entre les deux groupes des Bulletins.

Il faut noter, en outre, que les deux premiers numéros de la Cause du Peuple diffèrent beaucoup par leur ton du troisième et dernier. Le fait est que le n° 2 parut juste le 16 avril, jour où, selon la propre expression d’une lettre de George Sand à son fils, « la République a été tuée ». Ce jour-là. Mme Sand vit et comprit certaines choses, elle réfléchit… et son enthousiaste confiance, ses espérances des premiers jours se transformèrent en pensées pessimistes sur la marche et la fin probable des événements. Nous pensons que cette impression chagrine la fit passer de l’activité militante à l’observation contemplative et critique ; ce changement se produisit un mois avant le 15 mai : Donc, le n° 3 du journal, paru le 23 avril, fut dans sa plus grande partie écrit sous une tout autre impression que les deux numéros précédents.

Nous avons un peu anticipé sur les événements, mais cela était indispensable pour expliquer pourquoi nous analyserons d’abord les numéros 1 et 2 de la Cause du Peuple et passerons ensuite aux Bulletins nos 15 et 16 ; alors seulement nous nous tournerons vers le dernier numéro de ce journal.

Dans son introduction à la Cause du Peuple George Sand revient aux idées émises dans ses lettres au peuple : « l’homme isolé ne compte point devant Dieu », la « vérité sociale ne peut être acquise que par les efforts de tous » ; et elle déclare que le but de son journal sera de contribuer, selon ses forces et ses moyens, à la découverte de cette vérité appartenant à tout le monde. Mais, en outre — et ceci est de toute signification et doit être noté, — George Sand y dit encore qu’une circulaire récente de Ledru-Rollin a éveillé des discussions générales et soulevé les questions capitales du droit social, ce sont ces questions-là que la Cause du Peuple veut traiter.

Effectivement, dans le premier article sur le Socialisme, ayant pour sous-titre : la Souveraineté, c’est l’égalité, George Sand pose la question :

… Un ministre, un membre du gouvernement révolutionnaire a-t-il le droit, lorsque nous sommes encore en pleine révolution, de prendre des mesures exceptionnelles et de déranger l’ordre établi, auquel un nouvel ordre succède ?

Elle y répond :

Sans aucun doute selon nous ; la voix du peuple a prononcé pour l’affirmative, puisque l’adhésion des candidats à la circulaire a été regardée comme une garantie pour le peuple. Mais, continue-t-elle, pour prononcer sur ce droit, il faut soulever tout le problème du droit social ; il faut admettre ou rejeter le principe de la souveraineté du peuple…

Alors, elle s’adresse aux adversaires du suffrage universel et leur dit :

… Eh bien ! il faut vous répondre au nom du peuple, il faut vous lire où le peuple puise son droit de souveraineté, quelle puissance supérieure à lui et à vous le lui concède et veille sur lui, pour le lui conserver malgré vous.

La source de ce droit est en Dieu, qui a créé les hommes parfaitement égaux et qui les conserve tels, en dépit des erreurs des sociétés et de la longue consécration d’un abominable système d’inégalité ; vous avez entassé sophisme sur sophisme, pour prouver que l’égalité n’est pas dans la nature et que, par conséquent, Dieu ne l’a pas consacrée… Vous cherchez vainement à confondre le mot égalité avec celui d’identité. Non, les hommes ne sont pas identiques l’un à l’autre ; la diversité de leurs forces, de leurs instincts, de leurs facultés, de leur aspect, de leur influence est infinie. Il n’y a aucune parité entre un homme et un autre homme ; mais ces diversités infinies consacrent l’égalité au lieu de la détruire. Il y a des hommes plus habiles, plus intelligents, plus généreux, plus robustes, plus vertueux les uns que les autres ; il n’y a aucun homme qui, par le fait de sa supériorité naturelle, soit créé pour détruire la liberté d’un autre homme et pour renier le lien de fraternité qui unit le plus faible au plus fort, le plus infirme au plus sain, le plus borné au plus intelligent. Une grande intelligence crée des devoirs plus grands à l’homme qui a reçu du ciel ce don sacré d’instruire et d’améliorer les autres ; mais elle ne lui donne point des droits plus larges et, comme la récompense du mérite n’est pas l’argent, comme l’homme intelligent n’a pas des besoins physiques différents de ceux des autres hommes, il n’y a aucune raison pour que cet homme devienne l’oppresseur, le maître et, par conséquent, l’ennemi de ses semblables.

La morale évangélique est éternellement vraie… C’est vraiment la doctrine de l’égalité… La véritable loi de nature, la véritable loi divine, c’est donc l’égalité…

… L’égalité est donc une institution divine, antérieure à tous les contrats rédigés par les hommes…

… Le peuple est souverain, parce que tous les hommes ont un droit égal à la souveraineté ; et tous les actes de cette souveraineté, nouvellement reconnue et proclamée, sont légitimes devant Dieu et devant les hommes, quand même ils ne datent que d’une heure.

… Ce droit est illimité, en ce sens qu’il n’a de limite que dans le devoir. Le devoir est facile à établir sur un principe aussi net et aussi sûr que le droit, c’est que chaque homme a des devoirs envers tous et : tous envers chacun…

Le second article Application de la souveraineté, c’est l’application de l’égalité commence par une récapitulation de la thèse premier.

La souveraineté, c’est l’égalité ; donc, la souveraineté réside dans le peuple et ne peut résider ailleurs que dans le peuple… La souveraineté, c’est le gouvernement de tous. Voilà pour le droit…

Le devoir, c’est l’exercice du droit, et, comme on ne peut concevoir un droit sans usage, le droit et le devoir sont inséparables et indivisibles…

Puis l’auteur continue à développer cette thèse, ainsi que suit :

… La vérité n’est pas modifiable et relative ; elle est avant nous et hors de nous plus brillante qu’en nous. Elle est en Dieu, elle est la loi de l’univers… Mais, si la vérité est immuable, si elle est debout dans l’éternité, le sentiment que nous avons de cette vérité est éternellement modifiable et relatif. Le progrès est notre œuvre ; Dieu, qui nous l’a donné pour loi, nous a rendus propres à le créer en nous-mêmes et dans nos sociétés… Le progrès de l’homme est une course ardente, pénible et continue vers un but… Nous voyons la révolte élever, de siècle en siècle, sa voix sacrée et proclamer le droit éternel dans la religion, dans la politique, dans la science, dans l’art. La notion du vrai n’a donc jamais disparu parmi nous ; elle s’étend, elle lutte, elle grandit, elle combat, elle triomphe et aujourd’hui enfin elle est proclamée… La notion de la vérité, nous l’avons conquise ; elle nous a coûté du sang et des pleurs. Dieu bénit notre persévérance et nous donne cette notion plus vaste et plus claire qu’à aucune autre époque de notre vie antérieure. Il ne la donne pas seulement à quelques élus, il la donne à tous les hommes…

… Le principe du devoir est identique au principe du droit ; il s’appelle égalité. Et, pourtant, nous avons le droit aujourd’hui et il nous faut trouver le devoir demain. Nous avons le fait, nous voulons la conséquence ; le fait, on le trouve dans le combat ; la conséquence, on ne la trouve que dans la réconciliation. Il y avait un ennemi hier, aujourd’hui il y a un vaincu…

En rassurant tous ceux qui auraient pu trembler pour le sort de ce vaincu, l’auteur dit qu’à présent, l’ennemi n’a plus à craindre de représailles comme dans l’antiquité ; mais immédiatement après, ayant toujours en vue les élections prochaines, il met en garde contre une trop grande confiance envers cet ennemi tombé, ce qui pourrait être dangereux pour la cause de la liberté :

… S’il abuse de notre générosité ; si, au nom de l’égalité, il veut rétablir l’inégalité, déjà il nous trahit, nous calomnie et cherche à nous entraîner dans l’abîme. Que ferons-nous ?… Serons-nous généreux et oublieux de nos injures personnelles, jusqu’à lui permettre d’étouffer la vérité dans ses perfides embrassements ?…

C’est le troisième article : l’Application de l’égalité, c’est la fraternité, qui sert de réponse à cette question, et c’est le plus important de tous les quatre, pour nous fixer sur le dogme socialiste de George Sand :

… Ce serait dire un lieu commun, grâce au ciel, que de déclarer notre révolution non pas seulement politique, mais sociale. Le socialisme est le but, la République est le moyen ; telle est la devise des esprits les plus avancés et, en même temps, les plus sages.

La réforme sociale, tel est donc l’exercice du devoir du citoyen. Il s’agit de faire succéder le régime de l’égalité au régime de la caste, l’association à la concurrence et au monopole, fléaux distincts dans le principe, fléaux identiques dans ces derniers temps. Il ne s’agit pas d’écrire le principe de l’égalité comme épigraphe à notre nouveau Code, pour qu’ensuite tous les articles du Code en détruisent l’application.

C’est donc un devoir nouveau, un devoir mûri pendant plus d’un demi-siècle, que la République de 1848 implante sur celui qui a été proclamé en 1789…

Puis, démontrant que malgré toute la différence des époques et la prétendue différence entre les partis d’alors et ceux du présent, an fond ce sont toujours les mêmes intérêts égoïstes contre lesquels il faut lutter, George Sand trace d’une manière ferme et concise la limite qui sépare les dangers que couraient jadis les partisans de l’ancien régime et ceux qui menacent, à présent, les ennemis de la liberté. À présent, la révolution étant surtout sociale, ils n’ont rien à craindre ; plus de sang versé, pas de pillage ni de vol ! Ils peuvent être absolument tranquilles là-dessus.

… Alors que craignent-ils ?… L’impôt progressif, l’atteinte portée à l’héritage indirect, les mesures révolutionnaires, les contributions forcées, la socialisation des instruments de travail ; enfin, tous nos besoins, toutes nos infortunes, auxquels il leur faudra porter remède, par de grands sacrifices. Ils craignent de devenir pauvres à leur tour, car ils voient bien que nous ne les laisserons pas jouir en paix d’un luxe qui nous affame et d’une sécurité qui nous expose à mourir de faim.

Et le rédacteur de la Cause du Peuple — socialiste de la plus pure espèce — répond :

Si c’est là ce que vous craignez, vous avez quelque sujet de ne pas dormir bien tranquilles car, certainement, il vous faudra faire des sacrifices. Vous n’avez pas des droits seulement, vous avez de devoirs ; et nous, nous n’avons pas seulement des devoirs, nous avons des droits. C’est vous qui avez profité du passé, vous seuls ! C’est vous aussi qui avez provoqué, par votre entêtement et vos méfiances, la crise où nous sommes, et le présent ne périra pas avec l’avenir, pour laisser le passé vivre impunément sur leurs cadavres.

Oui, les hommes du passé doivent bien s’attendre à payer les frais de la guerre qu’ils nous ont suscitée…

Et, en posant la question : Que serait-il juste d’exiger des riches ? l’auteur s’empresse encore une fois de les tranquilliser :

Malgré qu’il semble équitable, au premier coup d’œil, de tout reprendre à celui qui a tout pris, malgré toute l’indignation qu’on sent bouillonner en soi, quand on entend le cri de la veuve et de l’orphelin, quand on voit, à tous les carrefours, le vieillard et l’enfant tendre la main aux passants, et malgré tout le désir de mettre le riche à la place du pauvre, les législateurs du présent, les initiateurs de l’avenir, nous ne pouvons pas appliquer la peine du talion.

Toutefois l’avenir détruira entièrement la richesse individuelle ; il créera la richesse sociale. L’avenir n’aura plus de pauvres, il n’aura que des égaux dans toute la force du terme…

Ceci ne se fera pas d’emblée, ni par violence, mais par transition.

…Voici quelle sera la transition : l’homme avide et habile n’aura plus les moyens de faire ces fortunes scandaleuses, qui, en se dévorant les unes les autres, dévoraient en somme la subsistance du peuple. La société doit rendre ces moyens impossibles et empêcher que les hommes du passé n’accaparent encore une fois l’avenir à leur profit. Plus d’agioteurs, plus de spéculations sur la fatigue, la résignation et la misère de l’homme, plus de sacrifices humains ; poursuivons ce trafic sauvage jusque dans ses plus mystérieux retranchements.

Quant aux fortunes déjà faites, laissons-les s’épuiser d’elles-mêmes ; imposons-leur les sacrifices que la situation exigera. La situation n’exige pas que les riches soient réduits à la misère qu’ils nous ont fait subir, ou qu’ils ont contemplée avec indifférence.

Quand la République pourra fonctionner sans leur réclamer au delà des sommes nécessaires à ses premiers besoins, méprisons leur superflu, n’en soyons pas jaloux, nous sommes trop fiers pour cela !…

… S’il faut souffrir encore un peu de temps pour traverser une crise qui nous promet tous ces biens, nous souffrirons patiemment, à la condition que nous verrons le gouvernement choisi par nous s’occuper activement de mettre tout en œuvre pour abréger notre sublime épreuve…

Et l’auteur, optimiste, croit que si le gouvernement parvient à accomplir cette tâche et si le peuple sait attendre patiemment, alors

… peu à peu, nous passerons de la pauvreté à l’aisance, et de l’aisance à la richesse sociale sans nous heurter violemment aux obstacles que le devoir nous ordonne de tourner.

Voilà, je crois, notre devoir tout tracé, relativement aux droits du passé…

Trois jours avant l’apparition du n° 2 de la Cause du Peuple le 13 avril, parut le Bulletin n° 15, et la veille, le 15 avril, le Bulletin n° 16. Tous les deux répètent à satiété le conseil de n’élire que de vrais républicains.

Le n° 15 déclare simplement et catégoriquement :

… Il importe que chaque citoyen, se recueillant en lui-même, soit pénétré de la grandeur du devoir qu’il va remplir… les députés ne doivent plus être les hommes d’affaires de leur département, mais les interprètes de la volonté souveraine de la France. Il faut donc les chercher parmi les hommes doués au plus haut degré de qualités généreuses et de nobles sentiments…

Pour être député, ce n’est point assez d’être honnête, il faut être républicain sans réserve et sans arrière-pensée…

Puis, nous lisons dans ce Bulletin des lignes qui semblent tirées de la lettre de Mme Sand à propos de Michel de Bourges :

… Vous entendrez beaucoup de candidats célébrer la chaleur et la sincérité de leurs opinions ; mais si déjà vous les avez vus, engagés dans la carrière politique, accepter comme chefs et comme maîtres les hommes que nous avons renversés, défiez-vous de leur changement subit, et avant de les exposer à l’épreuve périlleuse de l’Assemblée nationale, laissez-les affermir dans la vie privée leur prompte et miraculeuse conversion… Or, celui-là qui défendait sous la monarchie les principes mis en poussière par la Révolution, ne peut obéir à un sentiment d’abnégation. Il cède au vain désir d’associer son nom à un grand fait historique, peut-être à l’amour des distinctions et du pouvoir. Mais la pensée du sacrifice est loin de son cœur. Il ne voit dans la députation qu’un piédestal ou un moyen de fortune.

De tels hommes compromettraient bien vite l’Assemblée en la conduisant dans des voies hostiles aux intérêts de la nation… Cette assemblée doit incessamment travailler à fonder solidement l’édifice de la société démocratique. Elle doit porter une main hardie sur les institutions oppressives et condamnées, ne reculer devant aucune des conséquences de la révolution, entraîner le pays par la grandeur de ses résolutions, et, s’il le faut, briser sans ménagement toutes les résistances. Le salut de la France est à ce prix. Quiconque n’est pas convaincu que la République ne peut pas périr ne sera qu’un député dangereux. Il sera disposé aux transactions et aux demi-mesures, et par ses hésitations il deviendra une cause de graves embarras. Arrière les indifférents et les ambitieux, la patrie a besoin de foi et d’abnégation…

Il dut probablement arriver jusqu’à l’oreille de l’auteur du Bulletin n° 15, que presque partout le peuple ne témoignait aucun désir de choisir des gens qui « porteraient une main hardie sur les institutions oppressives et condamnées » (par exemple : sur la « richesse individuelle », comme le prétendait l’auteur du troisième article socialiste de la Cause du Peuple.) Il dut apprendre aussi que les paysans étaient tout autrement disposés que les ouvriers des villes, qu’on ne voterait pas exclusivement pour ceux qui croient en la République comme en une espèce de divinité dont il n’est pas permis de douter. Et le Bulletin n° 16 laisse alors entendre une menace non déguisée :

… Une heure d’inspiration et d’héroïsme a suffi au peuple pour consacrer le principe de la vérité. Mais dix-huit ans de mensonge opposent au régime de la vérité des obstacles qu’un souffle ne renverse pas ; les élections, si elles ne font pas triompher la vérité sociale, si elles sont l’expression des intérêts d’une caste, arrachées à la confiante loyauté du peuple, les élections, qui devaient être le salut de la République, seront sa perte, il n’en faut pas douter. Il n’y aurait alors qu’une voie de salut pour le peuple qui a fait des barricades, ce serait de manifester une seconde fois sa volonté et d’ajourner les décisions d’une fausse représentation nationale. Ce remède extrême, déplorable, la France voudrait-elle forcer Paris à y recourir ? À Dieu ne plaise !…

À la fin de ce Bulletin la population des campagnes est exhortée à faire cause commune avec celle des cités, parce que « partout la cause du peuple est la même, partout les intérêts du pauvre et de l’opprimé sont solidaires ; si la République succombait à Paris, elle succomberait non seulement en France mais dans tout l’univers… »

Et, après cela, il ne semble pas que l’auteur s’exprime en toute sincérité, en disant :

… Citoyens, il ne faut pas que vous en veniez à être forcés de violer vous-mêmes le principe de votre propre souveraineté. Entre le danger de perdre cette conquête par le fait d’une assemblée incapable ou par celui d’un mouvement d’indignation populaire, le gouvernement provisoire ne peut que vous avertir et vous montrer le péril qui vous menace. Il n’a pas le droit de violenter les esprits et de porter atteinte au principe du droit public. Élu par vous, il ne peut ni empêcher le mal que produirait l’exercice mal compris d’un droit sacré, ni arrêter votre élan, le jour où, vous apercevant vous-mêmes de vos méprises, vous voudriez changer, dans sa forme, l’exercice de ce droit. Mais ce qu’il peut, ce qu’il doit faire, c’est vous éclairer sur les conséquences de vos actes…


On sent dans ces mots, surtout si on les rapproche des Bulletins nos 13 et 15, une indication nullement équivoque : ou bien choisissez des députés radicaux, républicains ; ou bien, si les élections sont réactionnaires, risquez un coup d’État et renversez l’Assemblée nationale qui pourrait être ni démocratique ni républicaine.

Simultanément, avec ces deux derniers Bulletins, George Sand écrivit ses cinq Paroles de Blaise Bonnin. Les sous-titres seuls prouvent combien la différence qui s’accentuait entre les aspirations et les dispositions des ouvriers des villes et celles des gens de la campagne, jointe au mécontentement général suscité par le nouvel impôt, inquiétaient George Sand et lui donnaient de justes craintes. Les deux premières Paroles de Blaise Bonnin aux bons citoyens sont intitulées : l’Impôt et Encore l’impôt. Notre vieil ami Blaise, toujours dans son simple et clair langage, qui cette fois pourtant n’est point la langue d’oïl, mais le bon français de tout le monde, l’ami Blaise, disons-nous, y exhorte le peuple à « encore patienter un peu », à faire encore un nouveau sacrifice que les circonstances exigent de lui sous la forme de cet impôt de 45 centimes. Mais il l’exhorte aussi à mettre la main à la pâte pour que de meilleurs temps arrivent plus vite, et, à cette fin, il lui conseille de choisir « une bonne Assemblée ».

Les trois derniers numéros des Paroles de Blaise Bonnin sont intitulés : l’Ouvrier des villes et l’Ouvrier des campagnes, l’Agriculteur et l’Artisan, et enfin, les Villes et les Campagnes, et sont consacrés au développement de la même idée du Bulletin n° 16 sur la solidarité des intérêts du prolétariat des villes et des campagnes.

Or, le même jour où parut le n° 2 de la Cause du Peuple et au lendemain de celui où avait paru le Bulletin n° 16, eut lieu la célèbre manifestation contre-révolutionnaire qui fut comme une contre-partie de la manifestation prolétaire du 17 mars. Les socialistes et les radicaux ayant tenté de renverser le gouvernement provisoire à leur profit, cet essai de sédition fut très adroitement déjoué par tous ceux qu’on traitait railleusement de « bourgeois », en leur opposant « le peuple ». C’étaient les bourgeois aisés, tremblant devant ces mesures socialistes rêvées par le rédacteur de la Cause du Peuple, et la petite bourgeoisie proprement dite, la garde nationale, tous ceux que ruinaient la crise financière et le chômage dans les affaires et qui étaient déprimés et effrayés par les processions et les manifestations populaires en permanence, le bruit dans les rues devenant chronique ; enfin tous les modestes citadins avides de silence et de repos, dont George Sand s’était si cruellement moquée dans son article « Les Rues de Paris »[70], en comparant ces bonshommes pacifiques au Cassandre de la vieille comédie[71], le symbole de la poltronnerie, de l’inertie stupide et bornée, eux tons, disons-nous, exécutèrent la contre-manifestation restée célèbre et dirigée très explicitement contre les socialistes, les communistes, contre tous ceux que les pauvres bourgeois apeurés et les libéraux modérés personnifiaient également sous les traits du « spectre rouge ». C’est pendant cette manifestation que des cris : d’À bas les communistes ! À la lanterne ! Mort à Cabet[72] ! Mort aux communistes ! se firent entendre une première fois.

Et voici que le quatrième article du Socialisme, paru dans le dernier numéro de la Cause du Peuple, proclame quelque chose de nouveau. Ce n’est plus la majorité qui est la voix du peuple par laquelle la divinité elle-même prononce les arrêts de la vérité accessible à l’humanité ; il est certain qu’en pratique l’expression de la souveraineté du peuple se fait voie par la majorité, mais, dit l’auteur de ce quatrième article intitulé « la Majorité et l’Unanimité » :

… Il faut toujours avoir l’idéal devant les yeux…

Or, l’idéal de l’expression de la souveraineté de tous, ce n’est pas la majorité, c’est l’unanimité. Un jour viendra où la raison sera si bien dégagée de voiles et la conscience si parfaitement délivrée d’hésitations, que pas une voix ne s’élèvera contre la vérité dans les conseils des hommes… Oui, à toutes les époques de l’histoire, il y a de ces heures décisives où la Providence tente une épreuve et donne sa sanction à la véritable aspiration, au consentement électrique des masses, Il y a des heures où l’unanimité se produit à la face du ciel, et où la majorité ne compte plus devant elle…

De telles heures furent, selon l’auteur de l’article, les journées du 24 février et du 20 avril, celle de la Fête de la fraternité. Si cette unanimité avait pu ou pouvait encore être brisée ou altérée, la vérité n’en cessera pas moins d’exister. Donc, quoiqu’on dise que « la France va nous envoyer, le 5 mai, l’expression de ses diverses majorités locales » et que « la souveraineté de ces majorités fractionnées sera inviolable », l’auteur proteste contre cette opinion.

… La Chambre des députés a été violée le 24 février au nom du principe de la majorité contre la minorité, dit-il. Si l’Assemblée du 5 mai se trouve être l’expression d’une majorité abusée, si elle est résolue à représenter encore les intérêts d’une minorité, cette assemblée ne régnera point ; l’unanimité viendra casser les arrêts de la majorité…

George Sand s’empresse de tranquilliser d’avance les représentants de cette majorité abusée, en niant que le parti républicain puisse appeler la guerre civile ou que « par d’odieuses provocations il réveille le souvenir de Fructidor… ».

Il faut noter ces mots, parce que nous verrons tout à l’heure par une page de Mme Sand, non destinée à l’impression, qu’elle-même, ainsi que le « parti républicain » avaient justement débattu l’opportunité d’un « Fructidor ».

Donc, continue Mme Sand dans ce quatrième article :

… il n’y aura pas d’émeutes, le peuple n’en veut plus. Il n’y aura pas de conspirations, le peuple les déjoue. Il n’y aura pas de sang versé, le peuple en a horreur. Il n’y aura pas de menaces, le peuple n’a pas besoin d’en faire…

Et alors, Mme Sand trace un projet grandement fantastique : dans le cas où l’Assemblée se trouverait réactionnaire ou tiède, en un mot, point démocratique, le peuple tout en respectant extérieurement son inviolabilité, « s’en ira au Champ de Mars, et là, avec la France entière, il votera sa constitution, en appelant à ce vote l’humanité tout entière, qui lui répondra par un courant électrique ».

… Alors nous te porterons en souriant cette constitution à signer et tu la signeras avec empressement, heureuse d’être délivrée du mal affreux de l’abandon et de l’impuissance ; nous te couronnerons de feuilles de chêne et nous te porterons en triomphe[73]

Donc, d’une part, la journée du 16 avril avait laissé voir à George Sand que la « République sociale » n’était nullement le rêve de la « majorité ». D’autre part, le Bulletin n° 16 provoqua une explosion d’indignation et d’horreur de la part de la bourgeoisie et des modérés[74], et quoique cet épisode ne se dénoua que plus tard et que la question de savoir qui avait écrit ce Bulletin ou signé un bon à tirer ne fut vidée définitivement qu’après la journée du 15 mai dont il fut considéré comme le prodrome et la cause, néanmoins, Ledru-Rollin qui s’était rapproché, dès le 16 avril, des modérés et de Lamartine en particulier, s’empressa de renier ce Bulletin, et George Sand elle-même fut probablement reconnue pour une collaboratrice incommode. Il s’ensuivit un froid entre les alliés de naguère, et quoique George Sand ne renia point « son parti », elle n’écrivit plus de Bulletins pour Ledru-Rollin, et il lui arriva parfois de qualifier celui-ci du nom de : « le gros Ledru ». Il est probable toutefois que la description de la Fête de la fraternité du 20 avril, dans le Bulletin n° 19, est due à sa plume, comme le suppose aussi M. Monin, et comme on peut le conclure par les lignes de la lettre à Maurice :

« Il me faudrait t’écrire vingt pages pour te raconter tout ce qui s’est passé, et je n’ai pas cinq minutes. Tu en trouveras une relation bien abrégée dans le Bulletin de la République et dans la Cause du Peuple[75].

Mais nous nous empressons de remarquer que les descriptions de la Journée du 20 avril, celle qui parut dans la Cause du Peuple et celle que contient le Bulletin n° 19, sont différentes, quoique très ressemblantes : la seconde n’est nullement « empruntée » à la Cause du Peuple, comme le prétend M. Monin.

Le Bulletin n° 16, publié le 15 avril, est comme le dernier acte de la participation littéraire de George Sand aux affaires du gouvernement provisoire. Le 16 avril fut aussi, paraît-il, le dernier jour de sa participation active dans ces affaires, du moins, depuis ce jour, la part qu’elle prit aux événements eut un autre caractère.

Avant de parler de cette mémorable journée, disons quelques mots sur le Bulletin n° 12, dont nous n’avons rien dit encore (quoiqu’il soit considéré comme le plus sûrement dû à la plume de George Sand), ainsi que sur les autres articles, non encore mentionnés, de la Cause du Peuple.

La Cause du Peuple, — disait Mme Sand, dans le premier article paru sous le titre d’Arts dans le n° 1 du journal, — n’étant pas une revue, ne s’engageait pas à faire des comptes rendus systématiques, sur le théâtre, la musique et les arts, quoique l’art comme toute autre manifestation de l’esprit humain soit une expression de la vérité, mais… en temps de révolution, les artistes et les poètes ne peuvent, pour formuler cette vérité en marche, que procéder par de rapides improvisations. Or, l’art étant le travail de l’esprit sur le sentiment et pour ainsi dire de l’enthousiasme réfléchi, demande du calme et un peu de latitude, pour se raviser.

Le chroniqueur de la Cause du Peuple n’aura donc pas grand’chose à enregistrer, George Sand ne donne le compte rendu que de trois représentations théâtrales : de la première de l’Aventurière d’Augier (à laquelle elle sait avec une grande perspicacité et un flair artistique parfait prédire un glorieux avenir)[76], et de deux représentations gratuites pour le peuple : la Muette de Portici à l’Opéra et la solennelle ouverture de la Maison de Molière, rebaptisée sous le nom de « Théâtre de la République ». On y donna les Horace (un acte), avec Rachel, et le Malade imaginaire avec Madeleine Brohan, Samson et d’autres célébrités de l’époque, et en guise de Prologue, une petite pièce de circonstance de George Sand elle-même, le Roi attend. Le spectacle fut ouvert par le Chant du départ de Méhul, chanté par les chœurs du Conservatoire, puis Roger chanta à leur tête une cantate de Mme Viardot sur des paroles de René Dupont, la Jeune République[77], et le tout fut clos par la Marseillaise, mélodie déclamée par Rachel, que l’orchestre accompagnait en sourdine[78]. Mais George Sand s’occupa bien moins de la représentation, que de ceux à qui on la donnait, des spectateurs populaires. Lorsqu’on ordonna ces représentations gratuites, il y eut certaines voix qui s’écrièrent : « Margaritas ante porcos ! Ces spectateurs « barbares » ne sauront apprécier ni le jeu de Rachel, ni les œuvres de Molière et de Racine ; les possesseurs loqueteux des billets s’empresseront de les revendre, et préféreront naturellement un dîner à une représentation, » etc. Tels devaient être les discours qui précédèrent ces représentations, à en juger par le ton mi-polémique, mi-enthousiaste dont George Sand relate qu’il n’y eut que fort peu de billets revendus, qu’on ne comptait pas plus de cinquante messieurs dans la salle, que, du commencement jusqu’à la fin de l’opéra et de la tragédie, chaque mot des acteurs et chaque son de musique fut écouté dans un « silence religieux », qu’il « n’y eut dans les loges ni pelure de pomme, ni d’orange » ; que ces prétendus barbares qui, disait-on, ne valaient pas la peine qu’on jouât devant eux des chefs-d’œuvre de littérature ou d’art lyrique, avaient été vivement impressionnés par le sujet et la musique de la Muette, qu’ils avaient applaudi toujours à propos, aux passages les plus touchants ou les plus dramatiques de la tragédie ; comment enfin le peuple s’était cotisé pour offrir « un bouquet à Mlle Rachel, qu’on ne le jeta pas brutalement sur la scène, comme le font de prétendus dandies, mais un ouvrier monta sur la scène et, en présentant respectueusement le bouquet à la grande artiste, lui exprima la gratitude de l’auditoire populaire et lui demanda de vouloir bien redire le dernier couplet de la Marseillaise, » au lieu de le lui réclamer grossièrement à grands cris, comme le fait le soi-disant public cultivé. Enfin, à la sortie, le peuple ne voulut pas profiter gratuitement du divertissement que l’État lui offrait, et, se souvenant que tandis qu’il « s’amusait d’autres souffraient », chacun fit une offrande pour les pauvres. Plus on avait décrié ces représentations, plus George Sand mit de joie ironique à constater combien on s’était trompé.

Ces deux articles de critique furent insérés dans les nos 1 et 2 de la Cause du Peuple, parus les 9 et 16 avril. Et dans le même n° 2 parut le Prologue — le Roi attend[79]. George Sand confesse candidement dans la première de ses critiques de théâtre que ce prologue était une espèce de pastiche où l’auteur faisait preuve de bons sentiments et dont l’idée est empruntée à l’Impromptu de Versailles de Molière. Ici comme là, Molière se trouve dans l’embarras : il faut commencer, le roi va venir et la pièce n’est pas encore écrite et les acteurs n’en savent pas un mot. Accourent l’un après l’autre sept « nécessaires » en criant : Messieurs, commencez donc ! Le roi risque d’attendre !… Le roi attend !… Le roi a attendu !… » Les acteurs horripilés se sauvent. Molière, resté seul, dit qu’il se sent, malgré tout, pur de tout reproche, parce qu’il a toujours honnêtement fait son devoir, a tâché de corriger le vice, a toujours dit la vérité ; s’il a aimé le roi c’est parce que le roi était bon, il l’a employé à châtier sa cour et l’a défendue, simple petit roturier, contre les grands auxquels il s’attaquait. Puis, fatigué, Molière s’endort. Des nuages l’enveloppent et quand ils se dissipent apparaît la Muse (Rachel), entourée des ombres des grands poètes, antiques et modernes : Eschyle, Sophocle, Euripide, Plante, Térence, Shakespeare, Voltaire, Rousseau, Beaumarchais, Marivaux, etc. Chacun d’eux, selon son genre et sa nature, prédit la victoire définitive de la vérité, de la justice et de la tolérance sur les abus, les vices et les iniquités des siècles passés. (Par exemple : Voltaire dit : « J’ai fait une grande révolution, mais Rousseau en a fait une seconde. » — Celle de 1848, la sociale, et démocratique, s’entend !) Puis la Muse proclame en belles et sonores paroles que les maux et les erreurs d’autrefois sont vaincus, que la raison triomphe, que les temps de la vengeance sont révolus et qu’à présent, les poètes des temps nouveaux, en continuant l’œuvre de leurs grands prédécesseurs, créeront aussi un art nouveau « qui va naître au souffle de la liberté ». La vision disparaît. Laforêt vient réveiller Molière, lui dit que le roi attend toujours et conseille de regarder dans la salle. Molière s’approche de la rampe en priant Laforêt de ne point l’éveiller, parce qu’il rêve encore, et, en rêvant, il « voit bien le roi ; mais il ne s’appelle plus Louis XIV, il s’appelle le peuple, le peuple souverain… Ce souverain est grand aussi, plus grand que tous les rois, parce qu’il est bon, parce qu’il n’a pas d’intérêt à tromper, parce qu’au lieu de courtisans, il a des frères…, etc. » Et Molière s’adresse à ce peuple en disant :

« Messieurs !… »

« Il faut dire citoyens à cette heure » ! — lui souffle Laforêt. Et Molière invite les « citoyens » à franchir très souvent les portes du théâtre de la République, qui leur sont « toutes grandes ouvertes ».

Il n’y a pas à dire, quel que soit le « souverain » du moment, les poètes, lorsqu’ils s’adressent à lui, sont toujours obligés de… l’aduler, et George Sand ne put se soustraire à la règle générale, quoique « des temps nouveaux » fussent arrivés !

Examinons maintenant le Bulletin n° 12, que nous n’avons pas analysé à son numéro d’ordre, justement à cause de son thème spécial. Son idée principale est celle-ci : parmi toutes sortes de pétitions et de résolutions votées en ce dernier temps, on a vu quelques femmes « réclamer les privilèges de l’intelligence », voire : des droits politiques égaux à ceux de l’homme. L’auteur du Bulletin trouve que la question ainsi posée manque d’actualité et prouve l’égoïsme des femmes privilégiées. Il faut, d’abord, que tous les hommes acquièrent et affermissent les droits de l’homme, s’affranchissent du joug de l’ignorance et de la misère. Puis il faut que les femmes qui jouissent de tous les privilèges de l’instruction et de l’aisance matérielle « oublient leur personnalité » et s’occupent du sort de leurs sœurs malheureuses ne possédant aucun droit ou privilège, les ouvrières opprimées par la misère et l’ignorance, les misérables filles du peuple qui gagnent leur existence en se prostituant. Les unes et les autres sont les parias, les esclaves blanches du régime social actuel, elles ne parviendront pas par leurs propres efforts à s’affranchir de leur horrible état. C’est à les aider en cette tâche, à alléger leur sort que doivent tendre les efforts des femmes. C’est aux mères surtout qu’il incombe de prêcher à leurs époux, à leurs frères, à leurs fils, « l’affranchissement sérieux et moralisateur de la femme ».

M. Monin, en parlant de ce Bulletin, ajoute avec une ironie bien fondée : « On peut se figurer l’effet que produisit ce douzième Bulletin sur les murs des communes rurales » (au milieu des paysans qui sont, en général, si sainement sages et si sévères pour tout ce qui est prostitution, ajouterons-nous).

Puis M. Monin cite un menu fait d’histoire d’un comique achevé :

« À Paris, le triste monde de la prostitution patentée fut inquiet, mais non terrifié. Il existe une circulaire signée, « convoquant les maîtresses », pour le 11 avril, à une assemblée générale, afin de défendre les intérêts menacés de leurs « maisons ». L’histoire ne dit pas si ce syndicat d’un nouveau genre envoya une députation à l’Hôtel de ville. »

L’auteur anonyme de la Préface des Bulletins de la République, dont il a été plus d’une fois question dans ces pages, trouve que ce Bulletin « trahit une origine particulière ».

… On y reconnaît sans peine les idées, le style et la touche habituelle d’un bas bleu célèbre, voué, depuis quelques années, à la défense de son sexe ; l’auteur de Lélia et de Valentine se laisse deviner à chaque ligne, George Sand y occupe une chaire de morale à l’usage des femmes…

M. Monin réfute en toute justesse cette prétendue défense exclusive de son sexe de la part de George Sand et démontre, en quelques lignes probantes, qu’en 1848, comme toujours, George Sand s’intéressait bien plus aux questions générales et humaines qu’au féminisme. Le Bulletin n° 12 confirme ce fait de tous points. Bien plus, nous y trouvons plusieurs phrases redondantes, des locutions qui ne sont pas propres à George Sand, et qui, selon nous, doivent avoir été écrites par un homme, et non pas par une femme. Nous ne pouvons pas dire qui avait revu ou corrigé ce Bulletin, si ce fut Jules Favre, Arago ou Ledru lui-même, mais nous sommes convaincus que George Sand ne l’avait pas écrit seule[80].

Or, ce n’est pas seulement dans ce bulletin-là, mais deux fois encore que George Sand se prononça dans la presse contre les réclamations féminines, hors de propos, lorsque les droits de l’homme ne sont pas encore conquis, et en particulier contre le point pour lequel, de nos jours, les suffragettes anglaises combattirent avec une énergie extravagante : contre la participation des femmes aux élections et à la députation. Voici les deux cas où George Sand eut à se prononcer.

D’abord, au commencement d’avril des clubs féminins — et en particulier celui qui siégeait au boulevard Bonne-Nouvelle et publiait sous la direction de Mme Niboyet son propre journal : la Voix des femmes, avec le sous-titre[81] : Journal social et politique, organe des intérêts de toutes (sic), — décidèrent de prendre part aux élections (quoique les femmes n’eussent pas le droit d’élire), et proposèrent deux candidats : Ernest Legouvé, le Bayard du féminisme, et George Sand (quoiqu’elle n’eût pas le droit, comme femme, d’être élue). Vers la même époque, on put lire dans ce même journal de dames, dans un petit entrefilet, à propos de Pierre Leroux jugé par George Sand, que chaque parole de George Sand était considérée par ces dames comme « religieuse et sainte ». Puis, quelques jours plus tard, il parut dans la Voix des femmes un petit article, signé des initiales G. S. et qui exhortait pathétiquement la société à restituer la loi du divorce au nom de la morale publique, à l’appui de quoi l’article faisait allusion au récent assassinat de la duchesse de Praslin, tuée par son mari outragé. Le gros public crut que les initiales G. S. signifiaient George Sand.

C’est alors que cette dernière, généralement si indifférente à la calomnie qui la touchait personnellement, ne voulut ni souffrir qu’on abusât de son nom d’auteur, ni permettre qu’on importât de la mauvaise marchandise sous le couvert d’un beau pavillon. Et puis elle comprenait tout le ridicule de cette escarmouche féminine, brandissant sa candidature comme une bannière. On a retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre inachevée adressée aux dames qui avaient proposé cette candidature. Elle s’y prononce d’une manière très sérieuse et très convaincue sur la question féminine ou plutôt sur l’inutilité de la participation des femmes à la lutte et aux droits politiques. Selon nous, même de nos jours il serait difficile de dire quelque chose de plus raisonnable et de plus sage. La lettre est trop longue pour être citée en entier et des pensées détachées de l’ensemble perdraient de leur suite et de leur force de conviction. Cette lettre plairait peu aux féministes actuels, elle prouverait aussi leur erreur à ceux qui prennent George Sand pour l’apologiste et l’avocat des femmes ; mais il est fort douteux d’autre part que des personnes sérieuses et réfléchies, ceux qui en principe ne mettent pas en doute les droits humains et l’égalité morale de la femme, ne soient entièrement d’accord avec cette lettre de George Sand[82]. On peut la lire dans le volume paru en 1904, intitulé : Souvenirs et Idées et présentant un recueil de morceaux et de pages posthumes (nous l’avons mentionné déjà), où cette lettre parut sous le titre arbitraire de : À propos de la Femme dans la société politique[83]. Mais s’étant ravisée, George Sand, au lieu de cette longue réponse traitant le fond de la question, préféra se dégager formellement de toute solidarité avec les femmes qui eurent la fantaisie de mettre son nom sur la liste des candidats, et en même temps elle renia les initiales G. S. qu’on lui attribuait dans le journal « rédigé par des dames ». Dans ce but, elle envoya une lettre à la rédaction de la Vraie République de Thoré et à celle de la Réforme, écrite dans les tenues que voici :

Monsieur,

Un journal rédigé par des dames a proclamé ma candidature à l’Assemblée nationale. Si cette plaisanterie ne blessait que mon amour-propre, en m’attribuant une prétention ridicule, je la laisserais passer, comme toutes celles dont chacun de nous en ce monde peut devenir l’objet. Mais mon silence pourrait faire croire que j’adhère aux principes dont ce journal voudrait se faire l’organe. Je vous prie donc de recevoir et de vouloir bien faire connaître la déclaration suivante :

1° J’espère qu’aucun électeur ne voudra perdre son vote en prenant fantaisie d’écrire mon nom sur son billet

2° Je n’ai pas l’honneur de connaître une seule des dames qui forment des clubs et rédigent des journaux.

3° Les articles qui pourraient être signés de mon nom ou de mes initiales dans ces journaux ne sont pas de moi.

Je demande pardon à ces dames qui, certes, m’ont traitée avec beaucoup de bienveillance, de prendre des précautions contre leur zèle.

Je ne prétends pas protester d’avance contre les idées que ces dames, ou toutes autres dames, voudront discuter entre elles ; la liberté d’opinions est également pour les deux sexes, mais je ne puis permettre que, sans mon aveu, on me prenne pour l’enseigne d’un cénacle féminin avec lequel je n’ai jamais eu la moindre relation agréable ou fâcheuse.

Agréez, monsieur, l’expression de mes sentiments distingués,

George Sand.

8 avril 1848.

La lettre parut le 9 et 10 avril dans la Vraie République et dans la Réforme. Le lendemain elle fut réimprimée par divers autres journaux, et celui de Mme Niboyet dut confesser, hélas ! que les initiales G. S. n’appartenaient pas à George Sand, mais bien… à Mme Gabrielle Soumet !

Hélas ! dirons-nous encore, parce qu’il nous faut chagriner une fois de plus toutes les féministes françaises, russes et autres, toutes les suffragistes et suffragettes, en citant, immédiatement après cette lettre, une autre page encore de George Sand, écrite contre les réclamations féminines. Un mois plus tard, le 7 mai, George Sand publia dans la même Vraie République, une très intéressante Revue politique et morale de la semaine, et c’est dans cet article que nous trouvons les lignes suivantes :

La question des femmes est venue mêler, cette semaine, un peu de gaieté au sérieux des événements et des préoccupations. Certains clubs sont envahis ou menacent de l’être par les dames socialistes. Ces dames ont raison de s’occuper du progrès que la République promet de faire entrer dans les mœurs, dans la législation, dans la condition morale et matérielle des femmes du peuple, dans l’éducation de l’un et de l’autre sexe. Mais ces dames ont tort de vouloir se jeter de leurs personnes dans le mouvement. On ne leur conteste point le droit de lire, de penser, de raisonner et d’écrire ; mais quel que soit l’avenir, nos mœurs et nos habitudes se prêtent peu à voir les femmes haranguant les hommes et quittant leurs enfants pour s’absorber dans les clubs.

Je ne vois point que dans l’état actuel des choses, les femmes doivent être si pressées de prendre une part directe à la vie politique. Il n’est point prouvé qu’elles y apportent un élément de haute sagesse et de dignité bien entendue ; car si une grande partie des hommes est inexpérimentée encore dans l’exercice de cette vie nouvelle où nous entrons, une plus grande partie des femmes est exposée à cette inexpérience, et l’essai compliquerait d’une manière fâcheuse les embarras de la situation.

Il ne nous est point prouvé d’ailleurs que l’avenir doive transformer la femme à ce point que son rôle dans la société soit identique à celui de l’homme. Il nous semble que les dames socialistes confondent l’égalité avec l’identité, erreur qu’il faut leur pardonner ; car, en ce qui les concerne eux-mêmes, les hommes tombent souvent dans cette confusion d’idées. L’homme et la femme peuvent remplir des fonctions différentes sans que la femme soit tenue pour cela dans un état d’infériorité. Nous n’avons point trouvé jusqu’ici la prétention de ces dames assez significative pour qu’il soit nécessaire de les contrarier en la discutant. Si elle se formulait d’une manière plus sérieuse, nous consacrerions un travail particulier à l’examen de leurs droits et de leurs devoirs dans le présent et dans l’avenir. »

Il est curieux de noter dans la Lettre et dans la page précitées que George Sand y parle à plusieurs reprises avec une certaine ironie des dames socialistes, ce qui porta probablement M. Monin à nier catégoriquement son « socialisme » ou son « communisme » à elle. Or, George Sand était très consciente de sa solidarité morale avec les républicains socialistes, qualifiés de « communistes » en 1848, comme le lecteur l’a déjà pu voir et comme il le verra encore. Cette expression de son article doit donc être comprise dans le sens de reniement formel de toute participation à quelque parti ou coterie socialiste, parce que George Sand tenait à n’être enrôlée sous aucune bannière, à n’appartenir à aucune secte (qu’elle opposait à une école). C’est pour cette raison qu’elle qualifiait du nom de « dames socialistes » les membres des clubs féminins socialistes, tout comme un peu plus tard elle disait très explicitement en parlant d’elle-même :

… Si, par le communisme, on entend l’adhésion à quelque groupe précis, à quelque secte définie, nous ne sommes pas communistes ; mais si on entend par ce terme la sympathie pour certaines idées, certaines aspirations, certaines croyances, oui, alors, nous sommes communistes.

George Sand croyait nuisible à la cause de la République le socialisme et le communisme, et n’importe quelle autre secte vouée à quelque unique idée, ne voyant rien ni à droite, ni à gauche, des gens aveugles pour tout ce qui n’est pas leur clan, voulant exhausser leur secte au détriment de la grande cause de la liberté et de l’égalité, bref, des hommes de parti dans le sens exact du mot. C’est à leur myopie qu’elle attribua la défaite du peuple au 16 avril. Dans la description de cette journée parue dans le dernier numéro de la Cause du Peuple et ressemblant beaucoup à la version donnée à cet épisode dans le Bulletin n° 20, que nous serions fort portés à lui attribuer, quoiqu’il n’y ait aucune preuve du fait[84], George Sand dit ceci : La secte (c’est-à-dire : Blanqui, Raspail et C°, et Louis Blanc lui-même, tous ceux qui portèrent audacieusement leurs réclamations à l’hôtel de ville dans le but secret de forcer le gouvernement provisoire à n’écouter qu’eux) et la caste (c’est-à-dire la bourgeoisie effrayée outre mesure et la Garde nationale qui s’y élancèrent également afin de défendre ce gouvernement), avaient failli tuer la jeune République. Mme Sand assure y avoir assisté en simple spectateur et vu que les deux foules, l’une armée, l’autre désarmée, chacune croyant qu’on voulait égorger une partie du gouvernement provisoire, accoururent des deux côtés vers l’Hôtel de Ville. Il s’en fallut de peu qu’une sanglante guerre civile n’éclatât, mais le peuple comprit le malentendu et les deux ondes populaires, s’étant mêlées en une seule, quittèrent la place et s’en allèrent aux cris de Vive la République ! après que le gouvernement provisoire au grand complet eut tranquillisé le peuple alarmé.

On sait que les choses ne se passèrent point tout à fait ainsi. Et d’abord George Sand ne fut pas un simple spectateur, et ce « malentendu » populaire, l’égoïsme de la secte et de la caste ne la surprirent pas. Elle avait eu une part dans la préparation de l’événement. Puis, — et c’est là l’important, — elle avait très bien vu et compris que la journée du 16 avril signifiait quelque chose de lien pire pour l’avenir de la République qu’un malentendu. Daniel Stem dit dans son Histoire de la Révolution de 1848 :

Par malheur, l’entourage du ministre de l’Intérieur était possédé d’ambitions plus impatientes ; on y rêvait pour lui la dictature, on voulait avec lui et par lui gouverner révolutionnairement la France. Ce rêve de quelques hommes passionnés prenait chaque jour plus de consistance par l’intervention très directe et très efficace de M. Caussidière. Peu à peu, il se transformait en projet ; du projet au complot, il n’y avait pas loin pour des hommes habitués aux pratiques des sociétés secrètes. Sans y tremper d’une manière active, M. Ledru-Rollin prêtait une oreille quelquefois distraite, mais souvent complaisante aux discours des conspirateurs ; tout en agissant contre eux… en pressant la rentrée des troupes, il ne les dissuadait pas de leur entreprise et laissait faire leur zèle.

… Mme Sand était l’un des agents les plus animés de la conspiration, moins dans l’intérêt de Ledru-Rollin que dans celui de M. Louis Blanc. Elle y avait amené Barbes et travaillait dans ce sens l’esprit des ouvriers qu’elle réunissait tous les soirs dans un petit logement voisin du Luxembourg, où elle était descendue. Vers la fin de la soirée, elle allait rejoindre au ministère de l’Intérieur le petit cercle des invités, parmi lesquels on comptait habituellement MM. Jules Favre, Landrin, Portalis, Carteret, Étienne Arago, Barbes, etc. Là, soit en présence de M. Ledru-Rollin, soit en son absence, on discutait les moyens de remettre entre ses mains le sort de la République. Ces moyens, depuis le succès de la manifestation du 17 mars, paraissaient très simples. Provoquer, sous un prétexte quelconque, une réunion générale de prolétaires, tenir des armes et des munitions prêtes, ce qui était d’autant plus facile qu’on avait pour soi le préfet de police, entrer à l’hôtel de ville, en chasser ceux du gouvernement provisoire qui déplairaient, quoi de plus élémentaire et d’une exécution plus prompte[85]

Et cette page de Daniel Stern est en tous points confirmée par les indications que nous trouvons dans les propres lettres de George Sand, C’est ainsi qu’elle écrit à Maurice et à Mme Duvernet les 15 et 16 avril :

Au citoyen Maurice Sand, à Nohant.
Paris, le 15 avril 1848.
Pour toi seul.

Cher Bouli, j’allais partir dans quelques heures. Mais cela devient tout à fait impossible. Il se prépare une manifestation politique à laquelle je dois assister absolument. Manifestation toute pacifique, mais qui doit réparer bien des sottises et bien des actes coupables. Sois en paix, s’il y avait quelque chose d’intéressant, je t’appellerais.

Mais c’est une affaire de conciliabules. Au reste, quand tu t’ennuieras trop, tu sais que tu n’es pas forcé de garder la maison. Je t’écrirai plus en détail demain.

Je te bige mille fois. Représente-moi auprès de notre fille Titine pour la marier à l’église.

Bonsoir, je t’aime.


À Madame Eugénie Duvernet.
Paris, 16 avril 1848.

Chère mignonne, je ne peux plus partir. Les affaires se présentent BOUS un aspect auquel il faut absolument ma présence pendant quelques jours. Mais je ne peux pas laisser mes amoureux dans l’attente. Je leur écris donc de se marier sous ton patronage, si tu peux y assister, et sous celui de Maurice qui me représentera. Je leur dis aussi de venir me retrouver ici tout de suite après. Je leur envoie donc une petite somme en papier pour leur voyage. Tâche de faire remettre les deux lettres ce soir à Nohant. Tu devrais te faire accompagner par quelqu’un de nos amis à Châteauroux et aller coucher à Nohant.

Adieu, adieu, j’ai un gros chagrin de ne pas partir avec toi. J’embrasse Charles.

George[86].


Le 16 avril, au matin, George Sand écrit encore à son fils les lignes plus que significatives que voici :

L’affaire est avortée ou la partie est remise. Il n’y aura rien aujourd’hui. Je suis doublement fâchée à présent de ne pas avoir été à Nohant. Je m’y serais remise d’une toux qui me fend le corps en quatre. Mais on ne sait plus où on en est, et rien ne ressemble plus aujourd’hui à la vie d’hier. J’espère pourtant bien me sauver au premier rayon de soleil et aller me reposer un peu près de toi. Tu ne me dis rien de ce qui se passe chez nous. Avez-vous un sous-commissaire ? Que disent les paysans de Nohant ? Que fais-tu ? J’ai eu des détails du mariage par Eugénie, j’ai su que Gilland et son ami[87] y assistaient. Probablement je vais voir arriver Titine aujourd’hui qui me racontera tout ce que tu ne me dis pas.

Ici, tout va de travers, sans ordre et sans ensemble. Il y aurait pourtant de belles choses à faire en politique et en morale pour l’humanité. Malgré les bourgeois, il y aurait mille moyens de sauver le peuple. Mais l’homme, dit Montaigne, est ondoyant et divers. Il faudra que j’aille te raconter tout le détail de cela. C’est bien curieux, c’est souvent triste, souvent bête, et c’est pourtant avec tout cela que le progrès marche et que l’histoire se fait…

(Viennent des lignes consacrées à des conseils maternels à Maurice et à Eugène Lambert de travailler sérieusement, ainsi que des détails sur leurs tableaux et dessins exposés au Salon. Puis Mme Sand revient à ses affaires et à ses projets personnels) :

… Écris-moi donc, puisque je suis en prison ici. Je tente de trouver un gagne-pain et un moyen d’être utile dans ce journal que j’ai créé. Ça prendra-t-il, oui ou non ? Je ne sais encore. Mais si ça ne prend pas, je ferai autre chose. Enfin, il faut trouver ici un moyen de faire honneur à ses affaires et de vivre, car, après les onze mille francs qu’on me payera au mois de mai pour les deux premiers volumes de Ma Vie, il y aura une grande lacune avant de faire paraître et avant d’en payer d’autres, on me l’annonce[88].

Bonjour, mon enfant, je te bige mille fois. Si tu vois Gilland, dis-lui mille choses pour moi, bonjour à Lambrouche[89].

Et dans le Journal de 1848, mentionné plus haut, et dont il ne reste, comme nous l’avons dit, que quelques feuillets, se trouvent les pages suivantes très importantes : elles nous révèlent combien, dans la huitaine qui précéda ce 16 avril, George Sand était au courant des choses qui se préparaient. Il faut noter préalablement que le morceau imprimé dans le volume Souvenirs et Idées, sous la date du « 17 avril », se trouvait dans le manuscrit autographe placé après ce qui était écrit à la date du 26 avril, c’est-à-dire qu’il présente un essai rétrospectif de repasser en mémoire tout ce qui avait précédé la manifestation contre-révolutionnaire du 16 avril. Il explique et résume tous les faits qui aboutirent en cette journée à des résultats parfaitement inattendus pour les meneurs de la conspiration : la fusion très visible de tous les éléments réactionnaires. Et au milieu de cet exposé en traits sommaires des événements, du 24 février au 16 avril, nous trouvons des indications très précieuses sur la participation personnelle de George Sand aux conspirations des partis :

… Le 17 mars, après une manifestation faite la veille par quatorze mille garde nationaux de Paris et de la banlieue, sur le motif apparent du maintien des compagnies d’élite et en réalité contre le citoyen Ledru-Rollin et la portion véritablement républicaine du gouvernement provisoire, eut heu une manifestation imposante du peuple de Paris, à laquelle prirent part plus de cent cinquante mille hommes.

Hier, la contre-révolution a tenté de prendre sa revanche. Le fait qui s’est passé est diversement interprété. Je vais tâcher de le consigner ici aussi exactement que possible et en toute sincérité.

Voici quelle était la situation de la France avant le 17 avril :

Dès le lendemain de la révolution de février tout le monde se disait républicain ; cependant il était facile de voir qu’au premier jour un dissentiment profond séparait en deux partis nettement tranchés les républicains de la veille et ceux du lendemain. En effet, le gouvernement, la presse, la France entière fut bientôt divisée en républicains purement politiques, auxquels se rallièrent aussitôt les hommes de la monarchie déchue, et en républicains socialistes, qui comprenaient dans leur sein la majeure partie des ouvriers de Paris.

Avant-hier, ils pouvaient encore être confondus ; aujourd’hui un abime les divise. Demain peut-être le sort des armes décidera entre eux.

Depuis plusieurs jours, la réaction contre l’esprit démocratique d’une portion du gouvernement provisoire était devenue ostensible. Les commissaires du ministre de l’Intérieur étaient repoussés dans plusieurs départements, particulièrement à Bordeaux, où le fédéralisme s’avouait hautement Les élections paraissaient devoir se faire sous l’influence d’une réaction aveugle contre les républicains socialistes, que l’on cherchait à flétrir par l’appellation de communistes (la bourgeoisie appelle communistes des sectes purement chimériques qui voudraient la loi agraire, la destruction de la famille, le pillage, le vol, etc.). Il était évident pour tous que, sous prétexte de communisme, on écarterait violemment de la représentation tous les républicains sincères, ceux qui avaient combattu et souffert, depuis huit ans, pour la cause de la démocratie, de là l’irritation contre la bourgeoisie et contre la fraction du gouvernement provisoire qui paraît faire cause commune avec elle ; des projets de fructidorisation existaient, mais à l’état de tendance seulement[90].

Les élections approchaient cependant, les manœuvres et la confiance des réactionnaires augmentaient Les vices de la loi d’élection, faite par M. de Cormenin, et qui rétablit, en fractionnant le vote par département, les fâcheuses influences de clocher, étaient hautement signalés. Jeudi[91], vers minuit, en sortant du club de la Révolution, Leroux et Barbes se rendent chez moi sans aucune arrière-pensée. La question est cependant soulevée et après un entretien de trois heures, il est décidé qu’on tentera d’en finir avec la situation et que l’on essayera d’obliger la majorité du gouvernement à donner sa démission.

Vendredi, un projet de loi sur les finances est soumis à Ledru-Rollin afin d’inaugurer par des mesures significatives le nouveau pouvoir. Samedi, un projet de loi électorale, un projet de gouvernement provisoire autour duquel se rallierait un Conseil d’État formé de larges bases et où toutes les opinions figureraient, est préparé.

Dans une réunion secrète chez Ledru-Rollin, où assistaient Louis Blanc, Flocon, Barbes et Caussidière, on discute la question du 18 fructidor sans pouvoir s’entendre.

Samedi, quelques vagues rumeurs transpirent. Un élément nouveau intervient. Un rapprochement aurait eu lieu entre Blanqui et Cabet et peut-être aussi Raspail. (Leroux a rencontré Blanqui chez Cabet vendredi.) Ils ont des projets pour le dimanche. On nous menace d’un triumvirat dictateur, les clubs de ces citoyens s’empareraient d’une manifestation assez équivoque, provoquée par Louis Blanc (une grande ambition dans un petit corps), sous le prétexte de la nomination de treize capitaines d’état-major de la garde nationale pris dans les corporations d’ouvriers.

Le soir du même jour le club de la révolution reçoit avis de tous ces bruits. L’inquiétude s’empare de tous. On aime mieux maintenir le gouvernement provisoire tout entier que de s’exposer à un coup de main de Blanqui et d’autres. Mais comme l’incertitude est grande, le club décide qu’il se tiendra en permanence le lendemain dès sept heures du matin…

Là, s’arrête le récit dans le Journal, c’est-à-dire juste au moment de l’entrée en matière. Plus loin (dans le livre), ou plutôt avant cela (dans le manuscrit autographe), George Sand expose son opinion sur la signification de l’événement du 16 avril, c’est-à-dire qu’elle tire des conclusions des choses accomplies déjà.

Dans le Journal nous trouvons donc une narration suivie des préparatifs de la mémorable journée et de ses suites. Mais la description de cette journée elle-même et celle du 20 avril (Fête de la Fraternité), se trouve dans le troisième numéro de la Cause du Peuple, dont elles forment l’épilogue. Et dans la première de ces deux descriptions George Sand s’efforce, tout comme l’auteur anonyme du 19e et 20e Bulletin de la République, de paraître très optimiste, de ne voir dans l’incident survenu qu’une preuve de ce que le peuple est pour la République et ne veut souffrir aucune usurpation de pouvoir de la part des meneurs de ces sectes. Dans le second article, George Sand peint avec un sincère enthousiasme la grandiose fête du 20 avril, qui devait symboliser la fraternité du peuple et de l’armée. Or, cette fête fut une démonstration assez artificielle et officielle. Et quoique le beau spectacle ait pu aveugler George Sand, lui cacher la cruelle réalité en lui faisant croire au républicanisme vital des masses et en lui faisant attribuer la manifestation contre-révolutionnaire aux menées de la bourgeoisie seule, néanmoins Mme Sand comprit presque immédiatement qu’il n’existait plus dans le peuple ni vraie concorde, ni vraie union. Elle se rendit un compte exact des causes profondes et générales qui amenèrent, le 16 avril, à des résultats qu’on voulait croire « inattendus ». Dans sa lettre du 17 avril à son fils (imprimée dans la Correspondance), et dans les pages du Journal, écrites non plus post-facto, mais bien réellement le 26 avril, après les événements du 16 et du 20, on sent la conviction que la cause des socialistes républicains est perdue, ou pour le moins fort menacée, qu’on a fait un faux pas et que ses suites sont déplorables pour la République démocratique et la cause de la liberté.

Paris, 17 avril 1848.
Mon pauvre Bouli,

J’ai bien dans l’idée que la République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du moins dans son prochain avenir. Aujourd’hui elle a été souillée par des cris de mort. La liberté et l’égalité ont été foulées aux pieds avec la fraternité, pendant toute cette journée. C’est la contre-partie de la manifestation contre les bonnets à poil.

Aujourd’hui, ce n’étaient plus seulement les bonnets à poil, c’était toute la bourgeoisie armée et habillée ; c’était toute la banlieue qui criait en 1832 : Mort aux républicains ! Aujourd’hui elle crie : Vive la République ! mais Mort aux communistes ! Mort à Cabet ! Et ce cri est sorti de deux cent mille bouches dont les dix-neuf vingtièmes le répétaient sans savoir ce que c’est que le communisme ; aujourd’hui, Paris s’est conduit comme la Châtre.

Il faut te dire comment tout cela est arrivé ; car tu n’y comprendrais rien par les journaux. Garde pour toi le secret de la chose.

Il y avait trois conspirations, ou plutôt quatre, sur pied depuis huit jours.

D’abord, Ledru-Rollin, Louis Blanc, Flocon, Caussidière et Albert voulaient forcer Marrast, Garnier-Pagès, Camot, Bethmont, enfin tous les juste-milieu de la République, à se retirer du gouvernement provisoire. Ils auraient gardé Lamartine et Arago, qui sont mixtes et qui, préférant le pouvoir aux opinions (qu’ils n’ont pas), se seraient joints à eux et au peuple. Cette conspiration était bien fondée. Les autres nous ramènent à toutes les institutions de la monarchie, au règne des banquiers, à la misère extrême et à l’abandon du pauvre, au luxe effréné des riches, enfin à ce système qui fait dépendre l’ouvrier, comme un esclave, du travail que le maître lui mesure, lui chicane et lui retire à son gré. Cette conspiration eût donc pu sauver la République, proclamer à l’instant la diminution des impôts du pauvre, prendre des mesures qui, sans ruiner les fortunes honnêtes, eussent tiré la France de la crise financière ; changer la forme de la loi électorale, qui est mauvaise et donnera des élections de clocher ; enfin, faire tout le bien possible, dans ce moment, ramener le peuple à la République, dont le bourgeois a réussi déjà à le dégoûter dans toutes les provinces, et nous procurer une Assemblée nationale qu’on n’aurait pas été forcé de violenter. »

Ce passage de sa lettre à son fils n’est pas seulement fort intéressant à confronter avec la page du Journal précitée, mais il est encore plein de signification, parce qu’il est évident que cette première conspiration « bien fondée », jouissait de toutes les sympathies de l’auteur de la lettre et lui semblait parfaitement légitime et désirable. Quant aux dernières lignes du paragraphe, soulignées par nous, elles confirment encore une autre indication de Daniel Stern[92].

Nous arrêterons là la citation de cette lettre, renvoyant le lecteur au tome III de la Correspondance. Nous nous bornons à reproduire l’avis de M. Monin sur cette lettre qui constate que « l’histoire a peu de chose à rectifier au récit de cette journée fait par George Sand ».

Quelques jours plus tard, le 19 avril, Mme Sand revient à la charge et parle à son fils d’un ton plus ironique de ce que tout Paris est effrayé, tous ont peur de tous, et s’attendent à quelque chose d’horrible, comme en l’année de la peur (1793). Puis elle dit encore qu’ « il ne tiendrait qu’à elle de se poser aussi en victime », à cause du « déchaînement de fureur » contre le malheureux Bulletin n° 16, qu’elle était pourtant « fort tranquille toute seule dans la cambuse » de Maurice, mais « il ne tiendrait qu’à elle d’écrire demain dans tous les journaux, comme Cabet ou comme défunt Marat, qu’elle n’avait plus une pierre pour reposer sa tête ».

Mais à la fin de cette lettre elle ajoute sérieusement déjà que sa Revue ne prend guère, tout le monde étant trop préoccupé et vivant au jour le jour, puis elle semble faire un dernier effort pour rester… ou paraître optimiste :

Demain, le gouvernement publie les grandes mesures qu’il a prises hier sur l’impôt progressif, la loi des finances, l’héritage collatéral, etc. Ce sera sans doute la fin de cette panique et d’une bêtise générale sortira un bien général. J’espère aussi que ce sera la fin de la crise financière. Ainsi soit-il ! Ce sera un premier acte de joué dans la grande pièce dont personne ne sait le dénouement

Dans sa lettre du 21 avril George Sand prêche la nécessité pour tous de s’habituer à une espèce d’état de guerre permanent.

… Ne te laisse pas émouvoir par les récriminations et les menaces. Tout homme qui agit révolutionnairement en ce moment-ci, qu’il soit membre du gouvernement provisoire ou maire de Nohant-Vic, trouve la résistance, la réaction, la haine, la menace. Est-ce possible autrement, et aurions-nous grand mérite à être révolutionnaires si Bout allait de soi-même, et si nous n’avions qu’à vouloir pour réussir ? Non, nous sommes et nous serons peut-être toujours dans un combat obstiné.

Ai-je vécu autrement, depuis que j’existe, et avons-nous pu croire que trois jours de combat dans la rue donneraient à notre idée un règne tans trouble, sans obstacle et sans péril ? Nous sommes sur la brèche à Paris comme à Nohant. La contre-révolution est sous le chaume comme sous le marbre des palais. Allons toujours ! Ne t’irrite pas, tiens ferme, et surtout habitue tes nerfs à cet état de lutte qui deviendra bientôt un état normal. Tu sais bien qu’on s’accoutume à dormir dans le bruit. Il ne faut jamais croire que nous pourrons nous arrêter. Pourvu que nous marchions en avant, voilà notre victoire et notre repos…

Et quoique les deux lettres, l’inédite du 20 avril et la publiée du 21, se terminent, l’une par l’assurance que Mme Sand « allait se coucher pour aller demain matin au grand défilé de trente mille hommes armés de la garde nationale et de la ligne », par le regret que Maurice « n’avait pas vu les Montagnards de Caussidière, une garde urbaine superbe », et par le conseil de s’arranger de manière à pouvoir venir à l’ouverture de l’Assemblée, à Paris, et l’autre, par la description brève, mais exultante de la Fête de la Fraternité, du coup d’œil grandiose du haut de l’Arc de Triomphe, de l’illumination splendide, de la foule enthousiaste fraternisant avec l’armée, etc… on y sent derrière cette foi optimiste en la victoire du peuple, comme un vague pressentiment de luttes prochaines, un besoin de cacher à ses propres yeux, par la beauté du spectacle, la réalité alarmante.

Sa lettre du 23 avril accentue encore cette note inquiète :

Au citoyen Maurice Sand, à Nohant.
Paris, 23 avril 1848.

Arrive donc, mon Bouli, puisque tu n’y tiens plus. Tu ne trouveras pas mieux ici, car le moment des élections a fait éclater les rancunes, les propos, les haines, les ruptures que la fête du 20 avait endormies. Mais au moins nous serons ensemble et nous nous consolerons l’un par l’autre. C’est une triste chose que ces alternatives d’élan fraternel et de méfiance haineuse qui agitent le cœur et la bile de tous à des moments données. N’importe, l’avenir viendra et l’humanité fera son progrès. J’ai besoin de la gaieté de Lambrouche pour me remonter. Apporte Cocoton et viens.

Comme elle est loin, Mme Sand, de la belle assurance avec laquelle elle déclarait dans son 15e Bulletin, il y a à peine huit jours, « que quiconque ne sera pas convaincu que a République ne peut pas périr, ne sera qu’un député dangereux » !

Mais dans le dernier feuillet qui reste du Journal de 1848 (il porte la date du 26 avril mais doit, en réalité, avoir été écrit entre le 16 et le 20, on ne peut pas dire au juste quand), George Sand se prononce encore plus sérieusement :

Je crois qu’on demandait au peuple plus qu’il ne pouvait donner ; il y a autant de danger à vouloir faire marcher une nation trop rapidement dans la voie du progrès qu’à vouloir l’arrêter. Le peuple est plus sage que ses gouvernants.

Le 16 avril la réaction contre les idées socialistes nous avertissait qu’il ne fallait pas aller trop loin dans le domaine des faits, au risque de faire proscrire l’idée ; la bourgeoisie s’est emparée de cette expression du sentiment populaire pour frapper à mort toutes les idées progressives. Elle a pu croire vingt-quatre heures à son triomphe. Les socialistes, les républicains avancés étaient menacés, pourchassés, traqués sous l’accusation de communisme (loi agraire, égalité de salaire, icarisme, abolition de la famille, etc., tout était confondu sous le nom de communisme). Si, dans un groupe, un citoyen avait à se récrier, même timidement contre l’espèce de terreur dont les idées sociales, comme idées, étaient l’objet, il était battu, injurié et souvent mis en prison. Cela se passait ainsi lundi.

Mardi, on arrêtait encore.

Mercredi, c’était plus rare : un ou deux exemples ; jeudi, à la fête de la fraternité, tout était oublié. Au commencement du défilé, la banlieue pousse quelques cris isolés : « À bas le communisme ! »

Le soir, il n’en était plus question.

Depuis ce jour, une réaction se manifeste paisiblement. Non seulement on ne menace plus, on n’injurie plus, on n’arrête plus les citoyens suspectés de socialisme, mais tout le monde discute avec eux.

En décrivant l’animation avec laquelle on débattait, dans les groupes populaires, la question sociale et en se réjouissant de cet éveil général pour les intérêts publics, George Sand se laisse encore aller à son optimisme habituel, qui s’explique cette fois encore par la fête du 20 avril, toute récente. Mais le ton de la première page de ce morceau est la note dominante, on y entend la conscience réveillée d’une faute politique commise par les socialistes intransigeants, ses propres amis, à elle, la constatation du fait que leurs affaires ne sont pas brillantes ; en un mot le ton est le même que celui de ses lettres imprimées du 17 et du 19 avril et de toutes ses lettres inédites.

Une seule journée encore, le 28 avril, jour des élections parisiennes, arracha à la plume de George Sand des lignes presque aussi enthousiastes que la journée du 20 avril. Dans sa lettre inédite à Maurice, elle peint avec une verve extraordinaire, une excitation nerveuse entraînante, l’attente du résultat des votes, la nuit du 28, et dans son article Devant l’Hôtel de Ville elle transcrit les discussions et les débats entendus dans les masses populaires, attendant ce résultat des votes. Toutes ses lettres ultérieures et tous ses autres articles de cette année ne sont dictés tantôt que par le désir de prévenir le peuple (et en particulier les habitants des campagnes) de ne pas croire aux épouvantails inventés par la bourgeoisie, de ne pas perdre la cause de la liberté par crainte du « fantôme du communisme », de ne pas séparer ses intérêts de ceux du prolétariat des villes. Et tantôt par le désir de prévenir la bourgeoisie de ne pas exaspérer le peuple par des mesures rétrogrades ou hypocrites, de ne pas le pousser à la guerre civile. Ou encore par celui de défendre ses amis politiques et elle-même contre la réaction de plus en plus triomphante, de se disculper de certains mensonges et de certaines calomnies répandus sur elle qui pouvaient tous amener des suites fort tristes pour Mme Sand, un procès, la prison, ou même la déportation.

La Cause du Peuple ayant cessé d’exister, George Sand donna tous ses articles, à commencer par la description de l’attente Devant l’Hôtel de Ville, à la Vraie République, journal de Théophile Thoré, auquel elle promit sa collaboration exclusive. Il faut noter à ce propos que la prétendue collaboration de George Sand à différentes publications révolutionnaires de l’époque, et entre autres am journal de Cahaigne et Sobrier, la Commune de Paris, n’a été confirmée par aucun document, et que non seulement nous n’avons pu trouver la moindre indication dans quelque lettre de Mme Sand sur ses relations avec Sobrier et son manque de parole à Thoré, mais encore que la plupart des auteurs l’ont affirmé sans aucune preuve à l’appui, sur la foi seule de deux brèves remarques de Hatin, aux pages 418 et 449 de sa Bibliographie historique et critique de la presse périodique française. Or, nous avons pu nous convaincre que l’opinion de Hatin émise à la page 449 n’était basée que sur le titre d’un pamphlet d’un certain Leroux (sans prénoms), paru en 1849, sous le titre de La Commune de Paris par Barbès, Sobrier, George Sand et Cahaigne ; il est toutefois avéré qu’il n’existait aucun rapport entre Barbès et cette feuille, et que cette réunion de noms fortuits n’est qu’une manière de mêler ensemble tous les gauches, manière fort usitée dans les pamphlets réactionnaires de toutes les époques. Dans le premier cas (page 448), Hatin ne se base que sur une phrase de Daniel Stern. Or, cette phrase [une note à la page 8 du volume III de l’Histoire de 1848 se rapportant au passage que nous avons cité plus haut[93]] disait textuellement : « Voir l’Ami du Peuple, la Vraie République, la Commune de Paris, la Cause du Peuple, journaux rédigés par MM. Raspail, Thoré, Sobrier, Mme Sand, etc. Numéros du 16 avril au 4 mai. » Il est évident que cette phrase doit être commentée. Dans le même ordre que sont nommés les journaux, Daniel Stern avait nommé leurs rédacteurs respectifs : Raspail rédigeait (avec Cabet) l’Ami du Peuple ; Thoré, la Vraie République ; Sobrier, la Commune de Paris ; Mme Sand, la Cause du Peuple. Nous avons vu plus haut que les dernières lignes de Daniel Stern, auxquelles cette note se rapporte, visaient justement l’article n° 4 sur le « Socialisme » dans la Cause du Peuple. La note de Daniel Stern ne peut donc nullement être comprise dans le sens que Thoré prenait part à l’Ami du Peuple, Mme Sand au journal de Sobrier, ou ce dernier au journal de Raspail, etc.

M. Monin cite dans son article la très intéressante lettre de George Sand à Thoré, parue dans la Vraie République du 2 mai et point réimprimée dans la Correspondance. Elle est importante et décisive pour la question, qui nous occupe.

Mon cher Thoré, puisque vous voulez la vraie République comme je l’entends, avec toutes ses conséquences et son développement, j’accepte l’offre que vous me faites de participer à la collaboration de votre journal, et je vous autorise à regarder cette collaboration comme exclusive de toute autre de ma part dans les journaux et quotidiens.

Tout à vous de cœur.

George Sand.

Donc, nous devons nous fier à cette promesse formelle de Mme Sand et ne pouvons que nous joindre à l’opinion de M. Monin qui dit : « Jusqu’à preuve du contraire, et nous n’en voyons aucune, il faut croire George Sand sur parole, lorsqu’elle garantit au citoyen Thoré sa collaboration exclusive. »

Le premier article de George Sand dans la Vraie République est l’article déjà mentionné : Devant l’Hôtel de Ville, qui parut dans ce journal le 2 mai. Le second intitulé la Question sociale, fut inséré le 4 mai, juste le Jour de l’ouverture de l’Assemblée nationale. Il est très remarquable, parce qu’il est comme une prière et un avertissement adressés à la majorité de cette assemblée, aux modérés, c’est-à-dire les conservateurs et républicains non socialistes : elle les prie de prêter une attention particulière aux questions qui agitent surtout les masses et dont la résolution par l’Assemblée nationale est passionnément attendue, et elle les avertit de ne pas pousser ces masses et le pays au désespoir et à une catastrophe. Cet écrit très bref est tellement significatif et exprime si justement la position que George Sand occupait alors par rapport à la « majorité » et à la « minorité » de l’Assemblée, que nous ne pouvons nous abstenir d’en citer, ne fût-ce que le commencement.

— Fuyez, fuyez, citoyen, la maison brûle !

— Non, la maison ne brûle pas. Je ne vois ni feu ni fumée. Vous voulez entrer dans ma maison pour la piller quand j’en serai sorti.

— Dieu me garde d’entrer dans votre maison quand vous en serez sorti ! car, à ce moment, elle s’écroulera dans les flammes. Sortez, vous dis-je, car vous êtes perdu, si vous tardez.

— En effet, je sens maintenant l’odeur de la fumée, et il me semble que la maison craque par la base. Aidez-moi à sortir.

— Il est trop tard. Le premier étage est en feu. Il ne vous reste qu’à sauter par la fenêtre.

— Comment, sauter par la fenêtre ? Je vais me tuer sur le pavé.

— Probablement, mais il n’y a pas d’autre moyen.

— Hélas ! hélas ! une corde, une échelle, ou je suis perdu L’homme qui veut rester dans sa maison et qui ne se décide à en sortir qu’en la sentant craquer sous ses pieds, c’est l’esprit du passé, qui ne voudrait rien changer à ses habitudes et qui s’est trop endormi dans une confiance trompeuse.

Le pavé qui s’offre à lui comme un abîme où la mort l’attend, c’est la conséquence funeste de l’aveuglement, c’est l’avenir inconnu que le passé n’a jamais voulu mesurer du regard.

La voix qui crie au passé : « Sautez par la fenêtre, ou vous allez brûler avec votre maison ! » c’est le présent qui constate le danger sans s’occuper de le prévenir. La corde, l’échelle, que l’on demande à grands cris pour descendre sans catastrophe dans la rue, c’est la solution de la question sociale.

Oui, oui, hâtez-vous d’apporter l’échelle si vous ne voulez pas que les intérêts du passé succombent violemment sans profit pour l’avenir. Et vous, insensés, qui croyez votre maison incombustible et qui ne voyez pas que vous y avez mis le feu vous-mêmes, vous qui avez méprisé l’échelle, unique moyen de salut, hâtez-vous de nous aider à la placer sous vos pieds ; car nous autres, socialistes tant raillés et tant repoussés par vous, nous n’avions qu’une pensée, c’était de sauver cet édifice social que vous avez laissé périr ; et maintenant qu’il va crouler, par suite de votre imprévoyance, nous voudrions vous sauver et vous recueillir avant que le désastre s’accomplisse.

L’Assemblée nationale du 4 mai fut, comme ou le sait, non pas réactionnaire, comme le prétendaient les amis de George Sand, mais très modérée et les radicaux et socialistes s’y trouvaient en minorité fort négligeable. Le lendemain de l’ouverture de cette Assemblée, le 5 mai, George Sand adressait dans le journal de Thoré une Lettre au citoyen Lamennais, dans laquelle elle protestait avec une perspicacité presque prophétique contre son projet de constitution et surtout contre le paragraphe qui confiait le pouvoir exécutif à un président élu pour trois ans :

L’autorité d’un seul serait contraire aux sentiments et aux idées des masses populaires et serait le signal d’une guerre civile… le président serait forcé de devenir dictateur, et tout dictateur serait forcé de marcher dans le sang !…

Mme Sand revient encore à la thèse de son quatrième article de la Cause du Peuple : l’idéal serait la volonté du peuple par l’unanimité et, en pratique, c’est la majorité qui en approche le plus ; mais il est des heures terribles dans la vie des peuples où la majorité chancelle et vacille, il serait sage alors de faire attention à la minorité, Mme Sand tâche de défendre aux yeux de Lamennais les utopistes qu’il traite trop sévèrement selon elle, tandis qu’à son dire ce ne sont que des « somnambules » qu’il est dangereux de réveiller trop brusquement à la réalité.

Quant à la minorité, elle deviendra d’autant plus redoutable qu’elle sera plus fractionnée et plus impuissante en apparence, elle jettera la confusion dans l’ordre de la marche, elle excitera toutes les passions, elle forcera la majorité à être agressive, violente et impitoyable.

Il est fort édifiant et plus que curieux de confronter ces mots avec ce que M. de Tocqueville avait entendu de la bouche de Mme Sand.

Nous avons promis dans la première partie de notre ouvrage (vol. Ier, page 402) de citer à sa place la page 204 des Souvenirs d’Alexis de Tocqueville, racontant la conversation qu’il eut avec Mme Sand à un dîner ou déjeuner chez M. Monkton-Milnes, plus tard lord Houghton, où se trouvaient en outre Mignet, Mérimée, Considérant et deux dames.

Nous y avons dit aussi que, tandis que chez Tocqueville, l’époque de ce dîner se trouvait être indiquée d’une manière assez indécise, — entre la fête de la Concorde du 21 mai et les journées de Juin, — ce dîner devait, en réalité, avoir eu lieu le 6 mai ou quelques jours avant le 6 mai, car la lettre de Mérimée à la comtesse de Montijo, mère de la future Impératrice, où il décrivait ce même dîner, était datée du 6 mai 1848. Donc ce dîner devait avoir lieu le surlendemain de l’ouverture de l’Assemblée et le lendemain du jour où George Sand disait, dans sa Lettre au citoyen Lamennais, qu’il ne fallait pas pousser la minorité au désespoir parce qu’elle deviendrait « redoutable » et forcerait la majorité à devenir « impitoyable ».

M. Monin dit en toute justesse que les pages où M, de Tocqueville nous conte son entrevue avec Mme Sand sont placées après le récit de l’élection du 5 juin[94], elles précèdent immédiatement le récit des journées de Juin, mais qu’il fallait « considérer le mode de composition des souvenirs, leur caractère à la fois philosophique et anecdotique », ce qui ne permettrait, selon M. Monin, d’en tirer « qu’une conclusion » : « que le dîner en question a eu lieu après le 15 mai, dont George Sand tirait en quelque sorte la morale politique à l’usage de tous les partis ». M. Monin vient à conclure que « malgré la lettre de Mérimée qui lui assignerait la date du 6 mai, d’après l’écrit de M. Filon (Mérimée et ses amis, p. 194-195), le 6 juin lui paraissait plus probable ».

Quant à la remarque que c’est de l’événement du 15 mai que Mme Sand avait tiré une espèce de « morale politique à l’usage de tous les partis », nous avons vu qu’elle l’avait tirée dès le 16 avril et que, dans la Question sociale et dans sa Lettre à Lamennais, publiées les 4 et 5 mai, George Sand prêchait déjà cette morale, en avertissant la majorité qu’il ne fallait pas exaspérer la minorité, ni pousser à bout les masses, parce que le peuple avait encore confiance en l’Assemblée. C’est justement ce qu’elle dit à Tocqueville. Enfin, des pages 194 et 195 du livre de M. Filon (que nous avons aussi citées en leur lieu dans notre premier volume, en parlant de l’épisode Sand-Mérimée), on ne peut nullement tirer la conclusion que le dîner avait eu lieu le 6 juin ; bien au contraire, après la lettre de Mérimée du 6 mai, M. Filon parle de l’ouverture de l’Assemblée du 4 mai et puis de l’événement du 15 mai ; et il ne s’y trouve rien qui puisse faire croire que le dîner en question eut lieu après ce dernier événement. Nous croyons qu’il y a une simple erreur de mémoire de la part de M. de Tocqueville ; au lieu de la « Fête de la Concorde » (le 21 mai), il faudrait lire : « fête de la Fraternité » (20 avril), et cela mettrait immédiatement de l’ordre dans les dates et cadrerait parfaitement avec la date de la lettre de Mérimée : le déjeuner eut lieu entre la Fête de la Fraternité et les élections ; donc entre le 20 avril et le 5 juin. Mais laissons la parole à M, de Tocqueville lui-même :

… Je ne doutais pas, pour mon compte, que nous ne fussions à la veille d’une lutte terrible ; toutefois, je n’en compris bien les périls que par une conversation que j’eus vers cette époque avec la célèbre Mme Sand. Je la vis chez un Anglais de mes amis, Milnes, membre du Parlement, qui était alors à Paris. Milnes était un garçon d’esprit qui faisait et — ce qui est plus rare — qui disait beaucoup de bêtises. Combien ai-je vu de ces figures dans ma vie, dont on peut affirmer que les profils ne se ressemblent pas ; hommes d’esprit d’un côté et sots de l’autre ?… Je n’ai jamais va Milnes qu’engoué de quelqu’un ou de quelque chose. Cette fois-là, il était épris de Mme Sand et, malgré la gravité des événements, il avait voulu donner à celle-ci un déjeuner littéraire ; j’assistai à ce déjeuner et l’image des journées de Juin, qu suivirent presque aussitôt après, au lieu d’en effacer de mon récit le souvenir, l’y réveille.

La société était fort peu homogène ; indépendamment de Mme Sand, j’y trouvai une jeune dame anglaise, fort modeste et très agréable, qui dut trouver assez singulière la compagnie qu’on lui donnait, quelques écrivains assez obscurs et Mérimée[95]. Milnes me plaça à côté de Mme Sand ; je n’avais jamais parlé à celle-ci, je crois même que je ne l’avais jamais vue, car j’avais peu vécu dans le monde d’aventuriers littéraires qu’elle fréquentait. Un de mes amis lui ayant demandé un jour ce qu’elle pensait de mon livre sur l’Amérique : Monsieur, lui dit-elle, je suis habituée à ne lire que les livres qui me sont offerts par leurs auteurs. J’avais de grands préjugés contre Mme Sand, car je déteste les femmes qui écrivent, surtout celles qui déguisent les faiblesses de leur sexe en système, au lieu de nous intéresser en nous les faisant voir sous leurs véritables traits ; malgré cela, elle me plut. Je lui trouvai des traits assez massifs, mais un regard admirable ; tout l’esprit semblait s’être retiré dans ses yeux, abandonnant le reste du visage à la matière. Ce qui me frappa surtout fut de rencontrer en elle quelque chose de l’allure naturelle des grands esprits ; elle avait, en effet, une véritable simplicité de manières et de langage, qu’elle mêlait peut-être à quelque peu d’affectation de simplicité dans ses vêtements. Je confesse que, plus ornée, elle m’eût paru encore plus simple.

Nous parlâmes une heure entière des affaires publiques ; on ne pouvait guère parler d’autre chose dans ce temps-là. D’ailleurs, Mme Sand était alors une manière d’homme politique ; ce qu’elle me dit me frappa beaucoup. C’était la première fois que j’entrais en rapport direct et familier avec une personne qui pût et voulût me dire ce qui se passait dans le camp de nos adversaires.

Les partis ne se connaissent jamais les uns les autres ; ils s’approchent, ils se pressent, ils se saisissent : ils ne se voient pas. Mme Sand me peignit très en détail et avec une vivacité singulière l’état des ouvriers de Paris, leur organisation, leur nombre, leurs armes, leurs préparatifs, leurs pensées, leurs passions, leurs déterminations terribles. Je crus le tableau chargé et il ne l’était pas ; ce qui suit le montra bien. Elle parut s’effrayer pour elle-même du triomphe populaire et prendre en grande commisération le sort qui nous attendait.

« Tâchez d’obtenir de vos amis, monsieur, me dit-elle, de ne point pousser le peuple dans la rue en l’inquiétant ou en l’irritant ; de même que je voudrais pouvoir inspirer aux miens la patience, car, si le combat s’engage, croyez que vous y périrez tous. »

Après ces paroles consolantes, nous nous séparâmes et, depuis, je ne l’ai jamais revue…

En citant aussi cette page de M, de Tocqueville, M. Monin remarque que George Sand ne se serait « nulle part exprimée publiquement avec l’effrayante lucidité qui étonna Tocqueville » et qu’il était « évident qu’elle se ménageait et ménageait ses amis et même ses ennemis dans tout ce qu’elle a signé », Or, nous avons vu ce qu’elle disait dans l’article : la Question sociale, dans sa Lettre à Lamennais, et dans le dernier article sur le Socialisme. Nous ne voyons aucune différence entre ses paroles à Tocqueville et ses écrits signés ; l’amie de Gilland et des autres ouvriers devait posséder cette « effrayante lucidité » dans les journées qui séparaient le 16 avril du 15 mai.

Le lendemain de cette conversation avec M, de Tocqueville, le 7 mai 1848, parut dans le journal de Thoré une Revue politique de la semaine, par Mme Sand, écrit remarquable et remarquablement écrit ; Mme Sand y précise encore une fois, avec une netteté parfaite, sa position à l’égard des partis politiques du moment et à l’égard de leurs tendances. Elle y professe des sympathies pour les prétendus « communistes », c’est-à-dire les républicains socialistes qui rêvent des réformes sociales et, en même temps, elle trace une ligne nette et ferme qui la sépare de toute fraction ou coterie de communistes ou socialistes militants.

Les deux événements qui, à part l’ouverture de l’Assemblée nationale, ont ému, durant cette semaine, l’âme généreuse du peuple de Paris, dit-elle, ce sont les événements de Rouen et ceux de Limoges. À Rouen, un prétendu complot communiste que le parti bourgeois a noyé dans le sang ; à Limoges, un prétendu complot communiste que le peuple des travailleurs étouffe dans un embrassement fraternel de toutes les classes, de tous les citoyens, de toutes les opinions.

En exprimant l’espoir que l’Assemblée nationale se prononcera ouvertement contre les répressions à outrance et les persécutions, George Sand revient encore une fois aux vraies aspirations qui animaient les soi-disant communistes, c’est-à-dire les partisans d’une république vraiment sociale, et aux prétendues doctrines exterminatrices qui leur étaient attribuées par la bourgeoisie, sous le titre sommaire de « communisme ».

… Le peuple a compris aujourd’hui ce que c’est que le véritable communisme ; il sait que M. Cabet n’est pas l’inventeur de cette doctrine, car elle est aussi ancienne que le monde. Il sait que le roman intitulé Icarie n’est point le code du communisme, parce que le véritable code c’est l’Évangile quant au passé et au présent, c’est l’Évangile introduit dans la vie réelle sous le nom de République quant au présent et à l’avenir. Le peuple sait aussi que le communisme immédiat, dont on s’est tant effrayé et qui n’existe peut-être que dans l’imagination troublée de quelques hommes, est la négation même du communisme, puisqu’il voudrait procéder par la violence et par la destruction du principe évangélique et communiste de la fraternité.

Le peuple sait enfin que ce malheureux mot de communisme, tant jeté à la face des républicains-socialistes depuis quelques années par les conservateurs de la monarchie, n’a point l’acception qu’on lui prête et ne se localise dans aucune secte.

Quant à nous, voici ce que nous répondrions à des questions faites de bonne foi, car nous ne saurions répondre à des questions de mauvaise foi. Si, par le communisme, vous entendez telle ou telle secte, nous ne sommes point communistes parce que nous n’appartenons à aucune secte ; si, par le communisme, vous entendez la volonté aveugle et orgueilleuse de combattre toute forme de progrès qui ne serait pas l’application exacte ou immédiate du communisme, nous ne sommes pas des communistes ; parce que le communisme est un contrat de fraternité idéale, pour lequel nous savons bien que les hommes ne sont pas mûrs et auquel ils ne sauraient consentir, librement et sincèrement, du jour au lendemain. Si, par le communisme, vous entendez une conspiration disposée à tenter un coup de main pour s’emparer de la dictature, comme on le disait au 16 avril, nous ne sommes point communistes, car une pensée d’avenir ne s’impose que par la conviction et ou ne se bat que pour faire triompher un principe immédiatement réalisable : l’institution républicaine, par exemple.

Mais si, par le communisme, vous entendez le désir et la volonté que, grâce à tous les moyens légitimes et avoués par la conscience publique, l’inégalité révoltante de l’extrême richesse et de l’extrême pauvreté disparaisse dès aujourd’hui pour faire place à un commencement d’égalité véritable ; oui, nous sommes communistes et nous osons vous le dire, à vous qui nous interrogez loyalement, parce que nous pensons que vous l’êtes autant que nous. Si, par le communisme, vous entendez qu’à nos yeux le seul moyen d’arrêter l’élan désordonné de la richesse pour développer l’élan sacré du travail, c’est la protection accordée par l’État à l’association vaste et toujours progressive des travailleurs ; oui, nous sommes communistes et vous le serez aussi dès que vous aurez pris la peine d’examiner le problème qui menace l’existence de la société. Si, par le communisme, vous entendez une direction éclairée, consciencieuse, ardente et sincère, donnée par l’État au principe protecteur de l’association, à l’examen de la forme la plus applicable, la plus étendue, la plus préservatrice de toutes les libertés individuelles et de tous les intérêts légitimes ; oui, nous sommes communistes et chaque jour vous prouvera que vous êtes forcés de l’être vous-mêmes…

L’article suivant de George Sand, dans le journal de Thoré, parut dans les numéros des, 11, 12 et 13 mai, et l’auteur tâche, pendant que « neuf cents législateurs s’agitent dans une grande boîte de papier peint, pour savoir quelle forme de gouvernement va être improvisée, à la plus grande satisfaction des plus petites idées de trente-cinq millions de Français… », de définir quelle est la religion actuelle de la France, quel est son dogme et quel culte serait à ce moment l’expression de cette religion et de ce dogme[96]. Mme Sand croit pouvoir conclure qu’il n’y a plus en France de religion dans le sens qu’on donnait autrefois à ce mot. Le christianisme, tel que l’entend le clergé, ne satisfait plus, selon elle, aucun homme pensant ; le peuple croit encore, mais ce n’est plus aux dogmes st aux miracles d’autrefois… il me garde que le sens général de la doctrine chrétienne. Et l’auteur de ces trois articles formule le petit catéchisme suivant :

Mais où est le Dieu ? Il n’est plus enfermé dans un calice d’or ou d’argent ; son esprit plane librement dans le vaste univers et toute âme républicaine est son sanctuaire, Comment s’appelle la religion ?… Elle s’appelle République. Quelle est sa formule ?… Liberté, Égalité, Fraternité. Quelle est sa doctrine ? L’Évangile, dégagé des surcharges et des ratures du moyen âge ; l’Évangile, librement compris et interprété par le bon sens du peuple. Quels sont ses prêtres ? Nous les sommes tous. Quels sont ses saints et ses martyrs ?… Jésus et tous ceux qui, avant et après lui, depuis Je commencement du monde jusqu’à nos jours, ont souffert et péri pour la vérité.

Voilà pourtant tout le dogme dont la France éclairée et tout ce qui est éclairé dans l’univers se contente depuis longtemps. Pourquoi ne s’en contenterait-on pas toujours ?… Il est simple et court…

Oh ! pour court, il l’est ! Quant au culte, Mme Sand croit que l’institution des Fêtes populaires symboliques, fêtes où trouveraient leur expression les sentiments d’égalité, de fraternité et d’amour, conviendrait à l’état actuel des âmes. En somme, quelque chose de mixte entre la fête de la Fraternité du 20 avril et le Culte de la Raison de Robespierre ; or, on sait combien la fête de la Concorde, organisée le 21 mai, fut une chose avortée !

Sur ces entrefaites éclata la tempête du 15 mai. La tentative des ultra-révolutionnaires, Barbes et autres, de profiter d’une démonstration en faveur de la Pologne, pour renverser l’Assemblée nationale, pas assez démocratique, leur marche sur l’Hôtel de Ville, l’envahissement par les factieux de la salle des séances, se terminèrent par la défaite des démocrates, et ce fut le signal d’un revirement général et décisif vers la réaction. Lamartine, Marrast et les autres modérés crurent la république sauvée : elle s’acheminait à grands pas vers l’empire.

Considérant la cause de la république sociale perdue et estimant que sa présence à Paris n’était plus d’aucune utilité, ayant été prévenue qu’elle était menacée d’une descente domiciliaire, d’une arrestation et peut-être de quelque chose de pire, George Sand s’empressa de brûler tous ses papiers, son journal intime, passa un jour sans sortir de la maison[97], puis partit pour Nohant.

On a fait de nombreuses recherches sur la date exacte à laquelle George Sand quitta Paris. D’aucuns prétendent qu’elle est simplement restée à Paris entre le 15 mai et les journées de Juin, se tenant prudemment cachée ; d’autres qu’elle a fui après ces journées ; d’autres encore qu’elle a, en toute hâte, quitté Paris après le 15, mais ne se voyant pas en sûreté à Nohant non plus, serait partie pour Bourges ou Orléans. Il est vrai que les articles imprimés de George Sand, entre le 13 mai et le 7 juin, ne portent que la date du jour, sans indication du lieu où ils furent écrits. La seule Lettre d’un ouvrier carrossier à sa femme, première partie de l’article Paris et la province, quoiqu’elle portât en tête : Paris, le 21 mai, et surtout la Réponse de la femme, trahissent leur provenance berrichonne. Les autres articles ne portent aucune indication précise du lieu ; aussi le meilleur chroniqueur du rôle de George Sand en 1848, M. Monin, déclare que la date de son départ est une question fort intéressante, mais qu’elle n’est pas résolue.

Or, George Sand est partie le 17 mai au soir ; cette date de son départ de Paris appert des deux lettres inédites à Thoré, d’une lettre inédite à Poncy, de la lettre à Barbes imprimée dans la Correspondance et enfin des lignes de sa Lettre à Thoré, publiée dans le numéro du 27 mai de la Vraie République :


Nohant, 18 mai 1848.
Mon cher ami,

Je vous envoie un mot dont vous ferez usage si vous le jugez utile. Écrivez-moi ; envoyez-moi le journal à la Châtre (Indre), à partir du numéro 18. Donnez-moi des nouvelles. Continuons-nous ? D’ici, je vous enverrai du travail tant que vous en voudrez. Les élections communales nous forcent d’y passer quelques jours. Je ne sais ce que vous déciderez à l’égard du sous-titre. Il faut retrancher tous les noms ou pas un seul. C’est à vous de tâter les faits et de voir ce qui convient dans l’intérêt de celui qui nous intéresse le plus. Un mot, je vous en prie.

À vous de cœur.

George.

On me dit qu’on a publié dans un journal, je ne sais lequel, que j’avais de ma personne joué un rôle dans cette affaire. Veuillez y faire répondre au besoin, dans la Vraie République. En passant entre trois et quatre heures dans la rue de Bourgogne, le 15, j’ai vu à la fenêtre d’un café une dame fort animée qui haranguait la manifestation. Des hommes du peuple, qui étaient autour de moi, me dirent que c’était George Sand ; or, je vous assure que ce n’était pas moi.

À cette première lettre en était jointe une seconde, écrite ostensiblement pour être montrée au besoin.

18 mai 1848.
Mon cher Thoré,

Trouvez-vous utile que je constate votre alibi, lors de la scène de l’Hôtel de Ville, le 15 mai ?… Vous vous rappelez que nous avons causé ensemble et avec deux autres personnes au coin de la rue du Bac et du quai d’Orsay pendant qu’à votre insu, on vous proclamait maire de Paris. Mon témoignage est à votre disposition, vous le savez.

Tout à vous.

George Sand.

Thoré ne profita pas de cette lettre et préféra la version qui constatait son alibi indirectement et se trouvait dans les premières ligues de l’article de George Sand écrit de Nohant te 24 mai et qui parut le 27 mai dans la Vraie République sous le titre d’une Lettre à Théophile Thoré.


Mon cher Thoré,

Je ne suis qu’à dix heures de Paris, et je vous enverrai mes articles comme à l’ordinaire. Lorsque je vous ai rencontré, le 15, au quai d’Orsay, ignorant comme vous ce qui se passait an même moment à l’Hôtel de Ville, je vous ai dit que je partais, que j’avais toujours dû partir le lendemain ; mais il se faisait tant de bruit autour de nous, que vous ne m’avez pas entendu apparemment. Je ne suis cependant parti que le 17 au soir, parce qu’on me disait que je devais être arrêté ; et, naturellement, je voulais donner à la justice le temps de me trouver sous sa main, si elle croyait avoir quelque chose à démêler avec moi. Cette crainte de mes amis n’était guère vraisemblable, et j’aurais pu faire l’important à bon marché, en prenant un petit air de fuite, pendant que personne ne me faisait l’honneur de penser à moi, si ce n’est quelques messieurs de la garde nationale qui s’indignaient de voir oublier un conspirateur aussi dangereux. Ils n’ont pourtant pas été jusqu’à dire que j’avais un dépôt de fusils et de cartouches dans ma mansarde…

… J’étais si peu du prétendu complot, — écrit-elle à Poncy à la même date, — que je jurerais presque qu’il n’y a pas eu complot, mais coup de tête et enivrement imprévu. De la part de Barbes et Louis Blanc, j’ai la complète certitude de l’absence de connivence et je crois encore que le Moniteur, qui n’est pas un évangile, n’a pas rendu un compte fidèle des paroles qu’ils ont prononcées dans le tumulte. En attendant, ils sont insultés et menacés comme des bêtes féroces. Barbès, ce héros, ce martyr, est en prison. Pierre Leroux aussi. J’ai été menacée, mais on s’est arrêté, je pense, devant l’absurdité d’un pareil soupçon. Pourtant, comme je craignais une visite domiciliaire qui n’eût en rien compromis ni mes amis, ni moi, mais qui eût mis du désordre et le coup d’œil du premier venu dans mes papiers de famille, après deux jours passés sans encombre à Paris, j’ai quitté ma mansarde le 17 et je suis venue ici me mettre en mesure d’attendre sans inquiétude cette vexation qui n’a point eu lieu et qui n’aura point lieu probablement.

Ne vous inquiétez point de moi au milieu de tout cela, je ne suis pas malade, et Les rudes fatigues que j’ai éprouvées sont dissipées depuis que j’ai revu mon cher Nohant…

… Je ne sais par quel caprice, — écrit-elle le 10 juin à Barbès, déjà incarcéré à Vincennes, — il paraît qu’on voulait me faire un mauvais parti et mes amis me conseillaient de fuir en Italie. Je n’ai pas entendu de cette oreille-là. Si javais espéré qu’on me mit en prison près de vous, j’aurais crié : Vive Barbès ! devant le premier garde national que j’aurais trouvé nez à nez. Il n’en aurait peut-être pas fallu davantage.

… Mais, comme femme, je suis toujours forcée de reculer devant la crainte d’insultes pires que des coups, devant ces sales invectives que les braves de la bourgeoisie ne se font pas faute d’adresser au plus faible, à la femme, de préférence qu’à l’homme.

J’ai quitté Paris, d’abord parce que je n’avais plus d’argent pour y rester, ensuite pour ne pas exposer Maurice à se faire empoigner ; ce qui lui serait arrivé s’il eût entendu les torrents d’injures que l’on exhalait contre tous ses amis et même contre sa mère, dans cet immense corps de garde qui avait remplacé le Paris du peuple, le Paris de Février. Voyez quelle différence ! Dans tout le courant de mars, je pouvais aller et venir seule dans tout Paris, à toutes les heures, et je n’ai jamais rencontré un ouvrier, un voyou qui, non seulement ne m’ait fait place sur le trottoir, mais qui encore ne l’ait fait d’un air affable et bienveillant. Le 17 mai, j’osais à peine sortir en plein jour avec mes amis : l’ordre régnait !…

Toutes ces lettres nous permettent de préciser avec une absolue exactitude le jour du départ de George Sand pour Nohant (tout en ne nous laissant point convaincre sur son prétendu calme devant les répressions qui la menaçaient). Toutes les autres lettres inédites permettent aussi de constater qu’à partir du 18 mai[98], George Sand resta invariablement à Nohant et ne le quitta point jusqu’au mois de décembre 1849[99].

Mais Mme Sand tomba de Charybde en Scylla. La réaction s’en donnait à cœur joie en Berry, « dans ce Berry si romantique, si doux, si bon, si calme ». Les « veaux de Delaveau » avaient évidemment réussi non seulement à profiter du mécontentement des paysans contre l’impôt de 45 centimes et contre le chômage des affaires, mais ils parvinrent à répandre parmi la population obscure des renseignements les plus exacts sur l’ennemi juré du peuple et de la bourgeoisie, l’horrible vieillard appelé le Père Communisme qui, aidé par M. le Duc Rollin, s’apprêtait à s’approprier et à donner à Mme Sand toutes les terres et toutes les vignes du paysan, et, ayant ainsi introduit la loi agraire sui generis, et fait table rase de la religion, du mariage, de la famille, il fera en outre, « tuer tous les enfants en bas âge et tous les vieillards au-dessus de soixante ans[100] ». Quant à la dame de Nohant, elle s’est spécialement rendue à Paris pour se joindre par ses écrits à ces deux abominables ennemis du genre humain[101], et leur prêter aide et secours. Ainsi donc, lorsque cette bonne dame est revenue au Berry, la population des campagnes environnantes, les mêmes braves indigènes qu’Aurore Dupin avait connus dès son enfance, que plus tard, elle avait soignés, pansés, enseignés, secourus, et qu’elle s’imaginait être ses meilleurs amis, commencèrent à lui manifester une hostilité croissante, et ces mêmes lachâtrois, qui dans leur jeunesse, étaient des habitués de sa maison, prirent ouvertement parti contre elle, et commencèrent à exciter les paysans et citadins. On passait devant le mur de Nohant en criant : « Mort aux communistes ! À bas Maurice Dudevant ! À bas Mme Dudevant ![102] Il est vrai qu’il suffisait à Mme Sand de se montrer pour que l’on se découvrît et s’éloignât fort paisiblement ; pourtant à peine tournait-elle le dos, que les cris recommençaient. L’air semblait à l’orage et chargé d’électricité à tel point, qu’un brave métayer avait déclaré que la dame de Nohant méritait d’être enterrée vive dans un fossé[103]. Tout cela Mme Sand le conte de la manière, semble-t-il, la plus allègre dans sa lettre du 24 mai, à Thoré, mais cet humour est tout artificiel et on peut voir à travers aisément, que le cœur de celui qui écrit ces lignes quasi légères, saigne. Et lorsqu’elle dit :

Voilà où nous en sommes, mon cher Thoré. À Paris, on est factieux dès qu’on est socialiste. En province, on est communiste dès qu’on est républicain ; et si, par hasard, on est républicain-socialiste, oh ! alors, on boit du sang humain, on tue les petits enfants, on bat sa femme, on est banqueroutier, ivrogne, voleur, et on risque d’être assassiné au coin d’un bois par un paysan qui vous croît enragé, parce que son bourgeois ou son curé lui ont fait la leçon.

Ceci se passe en France, l’an premier de la République démocratique et sociale,

Nous avons dévoué notre fortune, notre vie et notre âme à ce peuple qu’on voudrait amener à nous traiter comme des loups.

À lui quand même !

— On sent des larmes amères cachées là-dessous, larmes d’indignation de douleur aiguë et cuisante, causée par la blessure faite par ces « ignorants ».

Pendant que Mme Sand se voyait ainsi conspuée par des voisins de campagne, à Paris et dans toute la France sévissait contre la gauche et surtout contre les socialistes des rigueurs et des poursuites. On objectait à Ledru-Rollin la conduite répréhensible, sinon criminelle, de sa collaboratrice de naguère. Thoré était menacé, il devait se tenir caché, puis bientôt clore son journal. Barbès était en prison. On dressait une enquête contre Louis Blanc. On commença une autre enquête contre tous les communistes, socialistes, et les meneurs de l’émeute. Des perquisitions, des arrestations, des procès et des condamnations à la prison, n’en finissaient pas. On formula contre George Sand elle-même deux charges d’accusation : le Bulletin n° 16, où l’on crut voir une excitation du peuple, préméditée de longue date, aux événements du 15 mai — et la participation personnelle à la manifestation ; on prétendait que Mme Sand aurait harangué le peuple qui se dirigeait vers l’Hôtel de Ville. On fit une enquête pour savoir qui avait rédigé le fameux Bulletin, donné le bon à tirer et qui avait invité Mme Sand à rédiger les Bulletins.

Ledru-Rollin renia catégoriquement le Bulletin n° 16 : il déclara ne pas l’avoir vu. Il se trouva que le tour d’examiner le Bulletin revenait à Elias Regnault, mais il venait de perdre sa mère et n’avait pu songer au Bulletin ; le Bulletin fut envoyé à l’imprimeur sans être revu par personne. Jules Favre prétendit encore qu’il s’était « empressé » de courir à la poste pour « arrêter » l’envoi du Bulletin en province, mais qu’il était arrivé trop tard ; le Bulletin, hélas ! était expédié et avait paru. C’est alors que George Sand déclara résolument être l’auteur du Bulletin. Avant tout, elle écrivit à Ledru-Rollin.

La lettre de George Sand prouve qu’elle savait le propos qu’il avait tenu. Elle lui répondit très finement et très spirituellement, réclamant courageusement la responsabilité de ses actes, montrant une fois de plus qu’elle était un parfait honnête homme et savait rendre le bien pour le mal.

En annonçant à Ledru-Rollin, ce que probablement il ne savait pas, qu’elle rédigeait dans la Vraie République, journal « où on le traitait collectivement de Roi, de Consul, de Dictateur », elle le priait de lire ses articles dans ce journal ; n’étant pas solidaire de la rédaction, elle n’acceptait aucune responsabilité des attaques contre les personnes : elle signait tout ce qu’elle écrivait ; elle trouvait donc sa position bien fausse dans ce journal, mais après le 15 mai « il y aurait eu lâcheté de se retirer ». Eh bien, elle adressait quand même une prière à Rollin :

… Je vous demande une chose, c’est de nie faire signe quand vous consentirez à ce que je vous dise dans ce même journal, qui vous attaque, et où je garderai toujours le droit d’émettre mon avis sous ma responsabilité personnelle, ce que je sais et ce que je pense de votre caractère, de votre sentiment politique et de votre ligue révolutionnée. Si vous n’avez pas le temps d’y songer, je ne vous en voudrai point et je ne me croirai pas indispensable à votre justification auprès de quelques personnes dont le jugement ne vous est pas indispensable non plus. Mais, pour l’acquit de ma conscience, de mon affection, je me dois (au risque de faire l’importante[104] de vous dire cela ; vous le comprendrez comme je vous le donne, de bonne foi et de bon cœur.

On me dit ici que j’ai été compromise dans l’affaire du 15 mai. Cela est tout à fait impossible, vous le savez. On me dit aussi que la commission exécutive s’est opposée à ce que je fusse poursuivie. Si cela est, je vous en remercie personnellement ; car, ce que je déteste le plus au monde, c’est d’avoir l’air de jouer un rôle[105] pour le plaisir de me mettre en évidence. Mais si l’on venait à vous accuser de la moindre partialité à mon égard, laissez-moi poursuivre, je vous en supplie. Je n’ai absolument rien à craindre de la plus minutieuse enquête. Je n’ai rien su ni avant ni pendant les événements, du moins rien de plus que ce qu’on voyait et disait dans la rue. Mon jugement sur le fait, je ne le cache pas, je l’écris et je le signe ; mais je ne crois pas que c’est là conspirer.

Adieu et à vous de tout mon cœur.

Puis, Ledru-Rollin, ayant consenti à ce qu’elle agisse comme elle l’entendait, elle écrivit à Girerd, son vieil ami, alors député à l’Assemblée, la lettre que voici et que nous devons citer, quoiqu’elle ait été publiée dans la Correspondance :


Nohant, 6 août 1848.
Mon ami,

Je suis en effet l’auteur du 16° Bulletin, et j’en accepte toute la responsabilité morale. Mon opinion est et sera toujours que si l’Assemblée nationale voulait détruire la République, la République aurait le droit de se défendre, même contre l’Assemblée nationale,

Quant à la responsabilité politique du 16° Bulletin, le hasard a voulu qu’elle n’appartint à personne. J’aurais pu la rejeter sur M. Ledru-Rollin, de même qu’on aurait fort bien pu ne pas rejeter sur moi la responsabilité morale. Mais dans un moment où le temps manquait à tout le monde, j’aurais cru, moi, manquer à ma conscience, si j’avais refusé de donner quelques heures du mien à un travail gratuit, autant comme argent que comme amour-propre. C’est la première et ce sera probablement la dernière fois de ma vie que j’aurai écrit quelques lignes sans les signer.

Mais du moment que je consentais à laisser au ministre la responsabilité d’un écrit de moi, je devais aussi accepter la censure du ministre ou des personnes qu’il commettait à cet examen.

C’était une preuve de confiance personnelle de ma part envers M. Ledru-Rollin, la plus grande qu’un écrivain qui se respecte puisse donner à un ami politique.

Il avait donc, lui, la responsabilité politique de mes paroles, et les cinq ou six Bulletins que je lui ai envoyés ont été examinés. Mais le 16e Bulletin est arrivé dans un moment où il. Elias Regnault, chef du cabinet, venait de perdre sa mère. Personne n’a donc lu, apparemment, le manuscrit avant de l’envoyer à l’imprimerie. J’ignore si quelqu’un en a revu l’épreuve. Je ne les revoyais jamais, quant à moi.

Un moment de désordre dans le cabinet de M. Elias Regnault, désordre qu’il y aurait cruauté et lâcheté à lui reprocher, a donc produit tout ce scandale, que, pour ma part, je ne prévoyais guère et n’ai jamais compris jusqu’à présent.

Comme, jusqu’à ce fameux Bulletin, il n’y avait pas eu un mot à retrancher dans mes articles, ni le ministre, ni le chef du cabinet n’avaient heu de s’inquiéter extraordinairement de la différence d’opinion qui pouvait exister entre nous.

Apparemment, M. Jules Favre, secrétaire général, qui, je crois, rédigeait en chef le Bulletin de la République, était absent ou préoccupé aussi par d’autres soins. Il est donc injuste d’imputer au ministre ou à ses fonctionnaires le choix de cet article parmi trois projets rédigés sur le même sujet, dans des nuances différentes. Je n’ai pas le talent assez souple pour tant de rédactions et c’eût été trop exiger de mon obligeance que de me demander trois versions sur la même idée. Je n’ai jamais connu trois manières de dire la même chose, et je dois ajouter que le même sujet ne m’était point désigné.

Une autre circonstance que je me rappelle exactement et qu’il est bon d’observer, c’est que l’article avait été envoyé par moi le mardi 12 avril, alors qu’il n’était pas plus question, dans mon esprit, des événements du 16, que dans les prévisions de tous ceux qui vivent comme moi en dehors de la politique proprement dite. Par suite de la préoccupation douloureuse du chef du cabinet, cet article n’a paru que le 16 : c’est dire assez que, dans l’agitation où se trouvaient alors les esprits, on a voulu à tort donner, à des craintes que j’avais émises, d’une manière générale, une signification particulière.

Voilà ma réponse aux explications que tu me demandes. Pour ma part, il m’est absolument indifférent qu’on incrimine mes pensées ; je ne reconnais à personne le droit de m’en demander compte et aucune loi n’autorise à chercher au fond de ma conscience si j’ai telle ou telle opinion. Or, un écrit que l’on compte soumettre à un contrôle avant de le publier, et que, dans cette prévision, on ne se donne le soin ni de peser, ni de relire, est un fait inaccompli, ce n’est rien de plus qu’une pensée qui n’est pas encore sortie de la conscience intime.

Mais peu importe ce qui me concerne. Je devais seulement à la vérité et à l’amitié de te raconter ce qui entoure ce fait, c’est-à-dire la part qu’on accuse certaines personnes d’y avoir prise.

Si le 16e Bulletin a été un brandon de discorde entre républicains, ce que j’étais loin d’imaginer durant les cinq à dix minutes que je passai à l’écrire, il ne fut pas écrit du moins en prévision ou en espérance de l’événement du 15 mai, que je n’approuve en aucune façon Je crois que tu me connais assez pour savoir que, si je l’avais approuvé avant et pendant, ce ne serait pas l’insuccès qui me le ferait désavouer après.

À toi de cœur, mon ami.

Le lendemain, 7 août, Mme Sand écrivit encore une fois à Girerd à ce même propos, et nous devons encore citer plusieurs passages de cette lettre publiée, car elle est trop importante pour la biographie de George Sand :

… Il y a assez longtemps qu’on m’ennuie avec ce 16e Bulletin. J’ai dédaigné de répondre à toutes les attaques indirectes des journaux de la réaction. Ma réponse, conforme à l’exacte vérité, est dans la lettre que je t’ai envoyée hier et dont je t’autorise à faire usage quand tu jugeras convenable, soit en la communiquant, soit en la faisant imprimer dans un journal de notre opinion. J’aurais pu l’écrire plus tôt ; mais je voulais laisser à M. Ledru-Rollin le soin de désavouer ce Bulletin comme il l’entendrait ; les explications que le rapport prétend avoir reçues de hauts fonctionnaires ne sont pas conformes à la vérité, et tu comprendras qu’il me plaise peu de passer pour son rédacteur payé, apparemment, puisqu’on suppose que j’envoyais divers projets, parmi lesquels on choisissait la nuance, je tiens à garder l’attitude qui me convient comme écrivain, et à laquelle je n’ai jamais manqué, ni comme dignité, ni comme modestie, ni comme désintéressement.

Avise donc de toi-même ; car je prends ici conseil de toi, sur ce que tu dois faire de ma lettre. Je désire rétablir la vérité en ce qui me concerne, et c’est aussi défendre M. Ledru-Rollin que de me défendre moi-même. C’est la seule occasion convenable peut-être que j’aurai de le faire ; car, le rapport oublié, il serait de mauvais goût de ramener sur moi l’attention pour un fait personnel, comme vous dites à l’Assemblée. Peut-être aussi faut-il attendre que M. Ledru-Rollin s’en explique lui-même ? Confères-en avec lui, ce sera utile, et montre-lui mes lettres si tu veux.

…Je crois que tu dois blâmer, toi, l’homme de la douceur et de la prudence généreuse, la brutalité du 16{{e)} Bulletin. Pardonne-moi ce péché, que je ne puis appeler un péché de jeunesse. Je ne reviendrai pas sur ce que je t’ai écrit hier du fait non accompli dans ma réflexion, et pourtant accompli par le vouloir d’un hasard singulier. Ma défense, là-dessus, n’est point trop métaphysique, elle est simple et même naïve, je crois. Mais après tout, je ne me repens pas bien sincèrement, je te le confesse, de cette énormité. Je suis sincère en te disant que je n’ai jamais donné dans le 15 mai. L’Assemblée n’avait pas mérité d’être traitée si brutalement. Le peuple n’avait pas droit ce jour-là. Il ne s’agissait pas pour lui de sauver la République par ces moyens extrêmes qu’il n’a mission d’employer que dans les cas désespérés. D’ailleurs, il n’était pas là, le peuple, puisqu’on ne s’est pas battu. Quelques groupes socialistes n’ont pas le droit d’imposer leur système à la France qui recule ; mais, quand je disais dans l’abominable 16e Bulletin que le peuple a droit de sauver la République, j’avais si fort raison, que je remercie Dieu d’avoir eu cette inspiration si impolitique. Tout le monde l’avait aussi bien que moi ; mais il n’y avait qu’une femme assez folle pour oser l’écrire. Aucun homme n’eût été assez bête et assez mauvaise tête pour faire tomber de si haut une vérité si banale. Le hasard, qui est quelquefois la Providence, s’est trouvé là pour que l’étincelle mît le feu. J’en rirais sur l’échafaud, si cela devait m’y envoyer. Le bon Dieu est quelquefois si malin !

Mais que M. Ledru-Rollin s’en défende, je le veux de tout mon cœur, et je l’y aiderai tant qu’il voudra. Je l’eusse fait plus tôt s’il ne m’eût dit que cela n’en valait pas la peine. Pourtant puisque l’accusation de ce fait prend place dans les choses officielles, hâtons-nous de dire la vérité. Ce que je n’accepte pas, c’est que M. Elias Regnault ou quelque autre (je ne sais pas qui) arrange la vérité à sa manière.

Nous voyons donc que George Sand en acceptant toute la responsabilité morale du 16e Bulletin s’empressait de décharger et de défendre les autres.

Quant à sa participation à l’événement même du 15 mai, il existe deux versions : d’après la première elle avait assisté à la séance de l’Assemblée et avait été vue dans la tribune du corps diplomatique parmi les dames peu nombreuses qui y étaient restées bravement jusqu’à la fin, n’ayant quitté la tribune qu’au moment où l’ordre fut donné de la faire évacuer[106].

D’autre part, George Sand convient qu’elle a suivi en qualité de spectateur le cortège populaire, mais elle nie carrément avoir pris part à la conspiration ou avoir harangué le peuple. Il faut noter le fait étrange que Mme Sand, ainsi que son fils, prirent pour nier la chose et pour réfuter « les bruits qui couraient un ton badin, humoristique, d’une légèreté voulue et nullement adaptée à la gravité des circonstances », comme le remarque très judicieusement M. Monin. C’est sur ce ton que Mme Sand écrivit le 20 mai à Caussidière qui n’était plus alors le préfet de police, mais qui Tétait le 15 mai.


Nohant, le 20 mai 1848.
Citoyen,

J’étais, le 15 mai, dans la rue de Bourgogne, mêlée à la foule, curieuse et inquiète comme tant d’autres, de l’issue d’une manifestation qui semblait n’avoir pour but qu’un vœu populaire en faveur de la Pologne. En passant devant un café, on me montra à la fenêtre du rez-de-chaussée une dame fort animée, qui recevait une sorte d’ovation de la part des passants et qui haranguait la manifestation. Les personnes qui se trouvaient à mes côtés m’assurèrent que cette dame était George Sand ; or, je vous assure, citoyen, que ce n’était pas moi, et que je n’étais dans la foule qu’un témoin de plus du triste événement du 15 mai.

Puisque j’ai l’occasion de vous fournir un détail de cette étrange journée, je veux vous dire ce que j’ai vu.

La manifestation était considérable, je l’ai suivie pendant trois heures. C’était une manifestation pour la Pologne, rien de plus pour la grande majorité des citoyens qui l’avaient augmentée de leur concours durant le trajet, et pour tous ceux qui l’applaudissaient au passage. On était surpris et charmé du libre accès accordé à cette manifestation jusqu’aux portes de l’Assemblée. On supposait que des ordres avaient été donnés pour laisser parvenir les pétitionnaires ; nul ne prévoyait une scène de violence et de confusion au sein de la représentation nationale. Des nouvelles de l’intérieur de la Chambre arrivaient au dehors. L’Assemblée, sympathique au vœu du peuple, se levait en masse pour la Pologne et pour l’organisation du travail, disait-on. Les pétitions étaient lues à la tribune et favorablement accueillies.

Puis, tout à coup, on vint jeter à la foule stupéfaite la nouvelle de la dissolution de l’Assemblée et la formation d’un pouvoir nouveau dont quelques noms pouvaient répondre au vœu du groupe passionné qui violentait l’Assemblée en cet instant, mais nullement, j’en réponds, au vœu de la multitude. Aussitôt, cette multitude se dispersa, et la force armée put, sans coup férir, reprendre immédiatement possession du pouvoir constitué.

Je n’ai point à rendre compte ici des opinions et des sympathies de telle ou telle fraction du peuple qui prenait part à la manifestation ; mais toute voix en France a le droit de s’élever en ce moment pour dire à l’Assemblée nationale…

Et George Sand dit alors, déjà sérieusement, qu’il aurait fallu, selon elle, avertir l’Assemblée de ne pas se détourner du peuple et de ne pas tourner à la franche réaction, par crainte d’une minorité factieuse.

De son côté, Maurice Sand, dans sa lettre à Charles Duplomb, auteur d’une Monographie de la rue du Bac[107], réfutait comme suit la légende accréditée qui prétendait que George Sand aurait été vue à la fenêtre d’un café prononçant un discours devant la foule rassemblée :

… Il est complètement faux que ma mère ait harangué la foule an quai d’Orsay. C’est une dame A… qui, le 15 mai 1848, était dans ledit café (d’Orsay) et faisait de la révolution parlementaire. Quelques imbéciles, en la voyant, crièrent ou firent une farce aux autres badauds, en criant : Vive George Sand ! La bonne dame, enchantée d’être prise pour ma mère, salua la populace et, entre plusieurs bocks, se paya plusieurs speechs. Je l’ai vue et entendue, parce qu’un des badauds là présents m’a pris à partie en me disant : « Venez donc crier : Vive George Sand ! » Moi, de rire de la fumisterie en disant : « Ce n’est pas George Sand, c’est Mme A…, femme de lettres. Quant à George Sand, je la connais bien, puisque c’est ma mère. » Votre père[108] a dû vous raconter la chose, car j’étais avec lui ce jour-là, le 15 mai, à l’assaut de l’Assemblée nationale, d’où nous avons été pour prendre les canons de l’École militaire, où nous n’avons rien pris que des bocks en route, et d’où nous nous sommes rabattus sur l’Hôtel de Ville. Journée mémorable et des plus hilarantes que j’aie passées !

George Sand raconta toutefois la journée du 15 mai et les choses qu’elle vit et entendit alors autrement que sous la forme d’une défense badine de sa personne. Le 28 mai et le 5 juin parurent, dans la Vraie République, ses deux Feuilletons populaires : la Lettre d’Antoine G. ouvrier carrossier à Paris et la Réponse de Gabrielle G. à son mari Antoine G.,[109]. C’est dans ces feuilletons que, déjà sérieusement et simplement, avec cet art achevé et cette pénétration géniale de la psychologie populaire qui lui sont propres, George Sand fait raconter « l’Événement du 15 mai », par un simple ouvrier, point fanatique, mais conscient de ses droits et de ses devoirs.

Antoine G. ne voulait prendre part à aucune manifestation, parce qu’il avait ouï-dire que c’est l’affaire des « meneurs » et quant à lui, il « ne se mêlait pas de la politique des bourgeois » ; mais il se rendit quand même à l’Hôtel de Ville, lorsqu’il entendit battre le rappel, parce qu’on lui avait dit qu’on tirait sur le peuple dans les environs de l’Assemblée. Il faillit se trouver au nombre des « factieux » et n’échappa que par hasard au danger d’être écrasé par la cavalerie. Dans sa logique toute rectiligne, il jugea que si même les meneurs qui voulaient proclamer leur propre gouvernement, avaient tort, les bourgeois qui se réjouissaient de cette occasion d’étouffer le peuple, — jusqu’alors le maître de la position, — étaient bien plus fautifs encore. Selon Antoine G. et ses amis : Coquelet, Bergerac, Vallier et Laurent, une fois que les bourgeois provoquaient les « blouses », il fallait prendre les armes, parce que celui qui commence le premier à tirer contre le peuple, sous quelque prétexte que ce fût, est un ennemi du peuple.

Le peuple n’entend rien à la politique, il « ne connaît ni Blanqui, ni Dieu, ni diable dans ces affaires ; il ne sait qu’une chose, c’est que le peuple est malheureux et qu’on le nourrit de coups de fusil… » Une fois que les bourgeois crient « À bas Barbes », pour cette seule raison Coquelet voulait crier « Vive Barbes », au risque de se faire arrêter ou écharper par les furieux de l’ordre, et ce ne sont que ses amis qui l’en empêchèrent en le « prenant au collet ».

« Nous tombâmes tous d’accord qu’il fallait aller chercher nos armes et obéir au rappel ; mais nous y avons tous été avec l’intention bien arrêtée de tirer sur le premier habit qui tirerait sur une blouse, car, dans ce moment d’étonnement où nous ne comprenions rien du tout à tout ce qui se passait, nous sentions que Coquelet était mieux inspiré par son cœur que nous ne l’avions été par la raison. Oui, oui, criait Bergerac, quand même ce serait Barbès qui tirerait sur la blouse, et quand même la blouse cacherait Guizot, malheur à qui touchera à la blouse ! Coquelet a raison. Voilà toute notre politique à nous autres[110]. »

On voit bien que le carrossier Antoine G. se tenait, dans la foule au coin de la place de Bourgogne, tout près de l’auteur du Feuilleton populaire, parce qu’il ne partage pas seulement ses sentiments pour Barbes, mais encore son récit est d’un intérêt palpitant, plein d’observations fines et spirituelles et témoigne d’une profonde connaissance de l’âme populaire. Or il connaissait aussi cette âme celui qui guidait la plume de Gabrielle  G., dans sa réponse à son mari ; elle fut sûrement écrite de Nohant, de Vie ou de Saint-Chartier : sa lettre trahit sa présence dans le voisinage de l’amie prétendue du Père Communisme et de M. le Duc Rollin. Fort heureusement, Gabrielle G. n’avait point prêté l’oreille aux discours des « veaux de Delaveau », ni des autres lachâtrois, horripilés par le fantôme des lois agraires ; elle voit et comprend parfaitement ce qu’il faut au paysan et qui sont ses vrais amis, et elle en parle simplement et avec chaleur.

Nous voyons donc que George Sand avait bravement accepté la responsabilité du 16e Bulletin, qu’elle s’était empressée à être utile à Ledru-Rollin et à Théophile Thoré. Puis, lorsque la réaction croissante se déchaîna contre Louis Blanc et les racontars bourgeois calomnièrent et déchirèrent Barbès, l’ennemi déjà prisonnier, alors George Sand, qui dans son Journal intime et dans ses lettres, jugeait sévèrement Louis Blanc, comme un « meneur » et un « sectaire » et allait jusqu’à se moquer de « cette grande ambition dans un petit corps »[111] ; qui appelait Barbès un « factieux » et « pire qu’un factieux », parce qu’il se laissait gouverner par la néfaste maxime : Qui veut la fin veut les moyens, maxime si justement réprouvée par George Sand comme criminelle, — alors cette même George Sand, disons-nous, prit ouvertement la défense de Louis Blanc et de Barbès dans le journal de Thoré. Elle y publia deux articles sur Louis Blanc[112], et un article sur Barbès[113]. De plus, le 7 août, George Sand envoya à Girerd une lettre de Milnes (reçue le 8 ou le 10 juin), « qui peut servir à la défense de Louis Blanc. » Et on ne peut assez apprécier ces deux courageuses et nobles levées de lances en faveur d’hommes dont les noms mêmes étaient prononcés « avec horreur et terreur », comme ceux de malfaiteurs et de meurtriers sanguinaires.

À Barbès lui-même, incarcéré à Vincennes et qui avait écrit à George Sand pour lui dire qu’il était sain et sauf, elle écrit le 10 juin de Nohant :

Je n’ai reçu votre lettre qu’aujourd’hui 10 juin, cher et admirable ami. Je vous remercie de cette bonne pensée, j’en avais besoin ; car je n’ai pas passé une heure depuis le 15 mai, sans penser à vous et sans me tourmenter de votre situation. Je sais que cela vous occupe moins que nous ; mais enfin il m’est doux d’apprendre qu’elle est devenue matériellement supportable.

Ah ! oui, je vous assure que je n’ai pas goûté la chaleur d’un rayon de soleil sans me le reprocher, en quelque sorte, en songeant que vous en étiez privé. Et moi qui vous disais : « Trois mois de liberté et de soleil vous guériront »

On m’a dit que j’étais complice de quelque chose, je ne sais pas quoi, par exemple. Je n’ai eu ni l’honneur ni le mérite de faire quelque chose pour la cause, pas même une folie ou une imprudence, comme on dit ; je ne savais rien, je ne comprenais rien à ce qui se passait ; j’étais là comme curieux, étonné et inquiet, et il n’était pas encore défendu, de par les lois de la République, de faire partie d’un groupe de badauds. Les nouvelles les plus contradictoires traversaient la foule. On a été jusqu’à nous dire que vous aviez été tué. Heureusement cela a été démenti au bout d’un instant par une autre version. Mais quelle triste et pénible journée !

Le lendemain était lugubre ! Toute cette population armée, furieuse ou consternée, le peuple provoqué, incertain, et à chaque instant des légions qui passaient criant à la fois : Vive Barbès ! et À bas Barbès ! Il y avait encore de la crainte chez les vainqueurs. Sont-ils plus calmes aujourd’hui après tout ce développement de terrorisme ? J’en doute.

Viennent les lignes qui se rapportent à elle-même et que nous avons citées plus haut[114], puis elle continue :

… Mais c’est bien assez vous parler de moi. Je n’ose pas vous parler de vous : vous comprenez pourquoi. Mais si vous pouvez lire des journaux, et si la Vraie République du 9 juin vous est arrivée, vous aurez vu que je vous écrivais en quelque sorte avant d’avoir reçu votre lettre. Ne faites attention dans cet article qu’au dernier paragraphe. Le reste est pour cet être à toutes facettes qu’on appelle le public, la fin était pour vous…

Ce « dernier paragraphe » où George Sand tâchait de prouver combien il était injuste d’accuser Barbes d’une action criminelle, alors qu’il avait voulu prévenir une rencontre sanglante entre le peuple et le gouvernement était rédigé ainsi :

… Mais parmi les hommes d’exception qui donnent tout sans vouloir jamais rien recevoir, l’homme dont je parle est un des plus purs, des plus grands, des plus fanatiques, si ce mot peut s’appliquer au dévouement et au renoncement. Cet homme est né pour le sacrifice, pour le martyre, et parmi ceux qui le blâment, il n’en est pas un seul qui ne l’aimerait et ne l’admirerait, s’il le connaissait particulièrement.

Mais qui ne le connaît ? qui n’a déjà reconnu Barbès à ce que je viens d’en dire ? Barbès qui, au fond de sa prison, n’a point encore eu d’autre préoccupation, d’autre souci que la crainte de voir des innocents compromis dans sa cause ? Qui n’a senti, en lisant les lettres de Barbès au colonel Rey et à Louis Blanc, qu’une grande âme était aux prises avec une terrible destinée ? Un mot bien simple du colonel Rey a frappé tous les cœurs en France d’un choc électrique ! Merci, honnête homme ! Oui, honnête homme ! Ce titre-Là est grand comme le monde aujourd’hui, aussi grand, aussi rare que le génie de Napoléon dans le passé…

… Quant à toi, Barbès, rappelle-toi le mot de l’enfer dans Faust : Pour avoir aimé, tu mourras ! Oui, pour avoir aimé ton semblable, pour t’être dévoué sans réserve, sans arrière-pensée, sans espoir de compensation à l’humanité, tu seras brisé, calomnié, insulté, déchiré par elle. J’ignore si le fer de la guillotine est à jamais brisé pour les dissidences politiques. Tu l’as déjà vu de près, et son éclair ne te ferait point cligner les yeux. Mais déjà, à demi mort dans les cachots de la monarchie, tu recommences ton agonie dans les cachots de la République. Je crois fermement que la justice du pays t’absoudra, j’espère encore dans l’idée qui préside aux destinées de la République. Mais, tu n’en seras pas moins persécuté, durant les jours qui te restent à vivre, par l’idée contraire, toute-puissante encore chez la plupart des hommes. Tu mourras à la peine d’un éternel combat, car les forces humaines ne suffisent pas à la lutte que ces temps-ci ont vu naître, et que ni toi ni moi ne verront finir. Reste donc calme ! Tu as choisi la souffrance, la prison, l’exil, la persécution et la mort. Tu seras exaucé, toi dont l’ambition était de mourir pour la cause du peuple. Peut-être même connaitras-tu cette suprême douleur, peut-être boiras-tu ce dernier calice, d’être maudit par des insensés, à l’heure où tu rendras à Dieu ton âme sans souillure. Mais tu crois à la vie éternelle et d’ailleurs, tandis que les ennemis du peuple te jetteront une dernière pierre, le peuple te criera par la bouche de ceux qui t’aiment : Merci, honnête homme !

Et nous de notre part nous dirons : à l’heure où régnait parmi l’opposition une panique, un abattement et un ahurissement général, où la réaction triomphait sur toute la ligne, à cette heure-là, George Sand, qui adressait ainsi publiquement la parole au prisonnier Barbès, prouva qu’elle était, elle aussi, non seulement un honnête homme, mais aussi une femme courageuse, une âme sans peur.

À partir de cette époque, et jusqu’à la mort de Barbes, fût-il en prison ou en exil, Mme Sand entretint avec lui une correspondance suivie.

Elle le considérait comme un homme d’un autre monde, « le Bayard de la révolution », et le traitait avec un respect sans bornes et un tendre dévouement.

À peine deux jours après le second article sur Louis Blanc, éclatèrent les horribles journées de Juin : frappée d’horreur et de dégoût, George Sand se tut, dans la presse du moins. Quant à ses lettres innombrables, écrites cet été, publiées ou inédites, elles sont pleines d’amertume désespérées. Elle assure ses correspondants de sa foi en l’avenir du peuple et au triomphe fina Ide la liberté, — ne fût-ce que dans un avenir bien éloigné, — mais un désespoir profond se laisse quand même deviner à travers ses paroles. Son ami Rollinat s’efforçait, comme toujours, de soutenir son courage, de ranimer son énergie, il lui conseillait d’abandonner momentanément la politique, de revenir à la poésie et justement à ce genre de littérature qui avait toujours été une consolation aux époques de cataclysmes politiques ou de déchéance morale, aux bergeries. Ses conversations et ses disputes avec Rollinat, George Sand les a transcrites dans la charmante Préface à la Petite Fadette, écrite en septembre 1848, et annoncée sous le titre de : Pourquoi nous sommes revenus à nos moutons, dans le Spectateur Républicain. Le roman parut dans le Crédit, le 1er décembre. Nous avons deux fois déjà parlé de cette Préface :

Et tout en parlant de la République que nous rêvons et de celle que nous subissons — écrit George Sand — nous étions arrivés à l’endroit du chemin ombragé où le serpolet invite au repos.

— Te souviens-tu, dit-il, que nous passions ici il y a un an et que nous nous y sommes arrêtés tout un soir ? Car c’est ici que tu me racontas l’histoire du Champi et que je te conseillai de l’écrire dans le Style familier dont tu t’étais servi avec moi.

— Et que j’imitais de la manière de notre chanvreur ? Je m’en souviens, et il me semble que depuis ce jour-là nous avons vécu dix ans.

— Et pourtant la nature n’a pas changé, reprit mon ami : la nuit est toujours pure, les étoiles brillent toujours, le thym sauvage sent toujours bon…

— L’art est comme la nature, lui dis-je ; il est toujours beau. Il est comme Dieu qui est toujours bon ; mais il est des temps où il se contente d’exister à l’état d’abstraction, sauf à se manifester plus tard quand ses adeptes en seront dignes. Son souffle ranimera alors les lyres longtemps muettes ; mais pourra-t-il faire vibrer celles qui se seront brisées dans la tempête ? L’art est aujourd’hui en travail de décomposition pour une éclosion nouvelle. Il est comme toutes les choses humaines, en temps de révolution, comme les plantes qui meurent en hiver pour renaître au printemps. Mais le temps fait périr beaucoup de germes. Qu’importent dans la nature quelques fleurs ou quelques fruits de moins ? Qu’importent dans l’humanité quelques voix éteintes, quelques cœurs glacés par la douleur ou par la mort ? Non, l’art ne saurait me consoler de ce que souffrent aujourd’hui sur la terre la justice et la vérité. L’art vivra bien sans nous. Superbe et immortel comme la poésie, comme la nature, il sourira toujours sur nos ruines. Nous qui traversons ces jours néfastes, avant d’être artistes, tâchons d’être hommes ; nous avons bien autre chose à déplorer que le silence des Muses…

— … La poésie est quelque chose de plus que les poètes, c’est en dehors d’eux. Les révolutions n’y peuvent rien. Ô prisonniers ! ô agonisants ! captifs et vaincus de toutes les nations, martyrs de tous les progrès ! Il y aura toujours dans le souffle de l’air que la voix humaine fait vibrer une harmonie bienfaisante qui pénétrera vos âmes d’un religieux soulagement. Il n’en faut même pas tant, le chant de l’oiseau, le bruissement de l’insecte, le murmure de la brise, le silence même de la nature, toujours entrecoupé de quelques mystérieux sons d’une indicible éloquence. Si ce langage furtif peut arriver jusqu’à votre oreille, ne fût-ce qu’un instant, vous échapper par la pensée au joug cruel de l’homme, et votre âme plane librement dans la création.

… Tout affligés et malheureux que nous sommes, on ne peut nous ôter cette douceur d’aimer la nature et de nous reposer dans sa poésie. Eh bien, puisque nous ne pouvons plus donner que cela aux malheureux, faisons encore de l’art comme nous l’entendions naguère, c’est-à-dire célébrons tout doucement cette poésie si douce ; exprimons-la comme le suc d’une plante bienfaisante sur les blessures de l’humanité…

— … Puisqu’il en est ainsi, dis-je à mon ami, revenons à nos moutons, c’est-à-dire à nos bergeries…

… Je suis si las de tourner dans un cercle vicieux en politique, si ennuyé d’accuser la minorité qui gouverne, pour être forcé tout aussitôt de reconnaître que cette minorité est l’élue de la majorité, que je voudrais oublier tout cela, ne fût-ce que pendant une soirée, pour écouter ce paysan qui chantait tout à l’heure, ou toi-même, si tu voulais me dire un de ces contes que le chanvreur de ton village t’apprend durant les veillées d’automne…

— Eh bien, allons le chercher, dit mon ami, tout réjoui d’avance ; et demain tu écriras son récit pour faire suite avec la Mare au Diable et François le Champi à une série de contes villageois, que nous intitulerons classiquement les Veillées du chanvreur.

— Et nous dédierons ce recueil à nos amis prisonniers ; puisqu’il nous est défendu de leur parler politique, nous ne pouvons que leur faire des contes pour les distraire ou les endormir. Je dédie celui-ci en particulier à Armand…

— Inutile de le nommer, reprit mon ami : on verrait un sens caché dans ton apologue, et on découvrirait là-dessus quelque abominable conspiration. Je sais bien qui tu veux dire, et il le saura bien aussi, lui, sans que tu traces seulement la première lettre de son nom.

C’est ainsi que la Petite Fadette se trouve être dédiée à Armand Barbes et prouve une fois de plus que George Sand n’oubliait pas ses amis tombés dans le malheur ; au contraire, elle semble vouloir ostensiblement confirmer sa piété amicale à ceux qui, en ce moment, souffraient en prison de la justice des hommes et étaient encore condamnés à la réprobation et à la médisance générale.

En ce même été de 1848, George Sand eut aussi l’occasion de défendre Michel Bakounine. Nous reviendrons à ce propos un peu en arrière et puis nous anticiperons un peu sur les événements de cette année, afin de raconter les relations de Mme Sand avec les deux grands émigrés russes, Herzen et Bakounine, et avec quelques autres membres de l’émigration internationale.

Herzen et Bakounine avaient toujours hautement apprécié George Sand. Tous ceux qui ont lu les écrits de Herzen connaissent trop bien ses opinions, la plupart enthousiastes, sur ses romans ; chacun d’eux provoquait un échange d’idées des plus animés entre Herzen et ses amis russes : Ogarew, Basile Botkine, Annenkow, Biélinski, etc. Toutefois Herzen ne se contentait pas de donner toute son attention à chaque nouvelle œuvre de l’illustre femme, son nom revient constamment sous sa plume à tout propos : « George Sand aurait à cette occasion fait ceci », dit-il, « George Sand a envisagé cela ainsi ». Ces renvois constants à George Sand sont trop connus pour que nous nous y arrêtions. Mais, ce qu’on ignore absolument, c’est que Herzen s’adressa à Mme Sand pour avoir son jugement sur une affaire toute personnelle. Nous avons copié quelques lettres inédites de Bakounine, de Herzen, et d’autres émigrés qui furent mêlés aux deux épisodes les plus intéressants de ces relations de l’illustre femme et de ces deux grands exilés.

George Sand connut Bakounine dès 1844[115], c’est-à-dire à l’époque où Louis Blanc et ses amis se mirent à la tête de la Réforme, dont Bakounine fut aussi l’un des collaborateurs.

Nous n’avons pas de documents se rapportant à ces toutes premières années des relations entre George Sand et Bakounine, mais il est à croire qu’elles furent très amicales, car lorsqu’à la fin de 1847, à la veille même de la révolution de 1848, Bakounine fut, sur les instances de l’ambassadeur russe, le comte Kisselew, banni de France, il adressa à George Sand la lettre suivante que nous copions sur l’autographe :


Madame,

Profitant de la permission que vous avez bien voulu m’accorder en partant, je prends la liberté de vous adresser un petit discours que j’ai prononcé dans une réunion polonaise. C’est bien peu de chose sous le rapport littéraire, mais je regarde cette première manifestation comme le commencement sérieux d’une œuvre bonne et grande, d’une action que je ne crois pas seulement possible, mais nécessaire, inévitable, et c’est uniquement à ce titre que je la soumets à votre jugement. J’espère, madame, que vous avez foi dans la sincérité de mes intentions, et que vous me pardonnerez la pauvreté ainsi que les fautes du langage en faveur de la grandeur et de la sainteté de mon but.

Agréez, madame, l’assurance de mon dévouement ainsi que de mon profond respect.


M. Bakounine.
Paris, rue Saint-Dominique, 96, faubourg Saint-Germain.

Je viens de recevoir à l’instant même l’ordre de quitter Paris et la France, pour avoir troublé l’ordre et la tranquillité publique. Permettez-moi donc, madame, avant de partir, de vous exprimer ma gratitude pour la bienveillance et la bonté que vous m’avez toujours témoignées ; croyez à mon dévouement profond, inaltérable, et gardez un petit souvenir à un homme qui vous a vénérée, avant même d’avoir fait votre connaissance, car vous avez été pour lui souvent et dans les moments les plus tristes de la vie une consolation et une lumière.

Mon adresse, si vous voulez bien me répondre, est : Paris. Rue de Bourgogne, 4, Faubourg Saint-Germain. M. Reichel, professeur de musique, pour remettre à M. Back.


Nous avons retrouvé aussi la réponse de George Sand à Bakounine :

Je ne sais pas, monsieur, si la poste a cru devoir me supprimer votre envoi, mais je ne l’ai point reçu. J’avais lu par fragments dans les journaux les belles paroles que vous avez prononcées et pour lesquelles vous savez bien que mon approbation sincère et ma vive sympathie vous étaient acquises, puisqu’elles sont l’expression de sentiments que je partage avec vous depuis que j’existe. Ces sentiments sont plus méritoires chez vous que chez moi, car vous leur avez fait de grands sacrifices, et ils attirent sur vous une persécution qui vous atteint, même en France, ce noble pays qui use les derniers anneaux de sa chaîne et qui réparera tous les crimes qu’on commet en son nom. La mesure odieuse prise contre vous indigne toutes les âmes honnêtes, vous n’en pouvez pas douter. Elle contriste la mienne en particulier, croyez-le bien. J’espère pour mon pays (et je crois trop à l’action divine pour croire à un long abaissement de la France) que vous y rentrerez avant longtemps et que je vous serrerai encore la main avec toute l’estime que je vous dois et l’intérêt que je vous porte.

George Sand.

Nohant, 1er janvier 1848.

George Sand écrit à ce propos à son fils :

Nohant, 7 février 1848.

… Tu ne savais donc pas que Bakounine avait été banni par notre honnête gouvernement. J’ai reçu une lettre de lui il y a un mois environ et je crois te l’avoir lue, mais tu ne t’en souviens pas. Je lui ai répondu, avouant que nous étions gouvernés par de la canaille, et que nous avions grand tort de nous laisser faire. Au reste, l’Italie est sens dessus dessous. La Sicile se déclare indépendante ou peu s’en faut. Naples est en révolution et le roi cède. Ces nouvelles sont certaines à présent. Seulement, voilà tout ce qu’ils y gagneront, c’est qu’ils passeront du gouvernement despotique au constitutionnel, de la brutalité à la corruption, de la terreur à l’infamie, et quand ils en seront là, ils feront comme nous, ils y resteront longtemps[116].

Non, je ne crois pas non plus à la chimère du pôtu[117].

Nous sommes une génération de foireux et le Dieu nouveau s’appelle Circulus[118] Lisez m… Tâchons dans notre coin de ne pas devenir ignobles, afin que si, sur mes vieux jours, ou sur les tiens, il y a un changement à tout cela, nous puissions en jouir sans rougir de notre passé…

Bakounine avait reçu la réponse de George Sand et lui avait de nouveau écrit, comme on le voit par la lettre inédite de Mme Viardot à Mme Sand :


15 février 1848.

… Je vous envoie une lettre de Bakounine. Voilà bientôt huit jours que ma lettre est commencée, je veux absolument qu’elle parte aujourd’hui. Si vous voulez répondre à Bakounine, envoyez-moi la lettre et je la ferai parvenir. Notre ami allemand dont vous avez quelquefois lu des passages traduits de ses lettres politiques à moi adressées (Dieu ! quelle singulière phrase !), est dans ce moment à Paris et il sait toujours la cachette de Bakounine[119].

On sait que Bakounine revint en France dès que la République fut proclamée, mais il paraît que lui et Mme Sand se virent peu ou point : George Sand étant le 6 mars partie pour Nohant, y resta jusqu’au 20-21 ; Bakounine séjourna à Paris, notamment en mars, et le quitta peu après la journée du 17. Le révolutionnaire russe Golovine assure qu’au 17 mars, lors de la manifestation du prolétariat contre la garde nationale, Bakounine aurait marché à la tête d’une bande d’ouvriers. Herzen dit dans ses Souvenirs que Bakounine vivait en pleine tempête politique comme un poisson dans l’eau, conspirant, pérorant, haranguant les ouvriers des faubourgs, passant son temps dans les casernes des Montagnards ; qu’il avait horripilé par ses discours ultra, même les représentants des partis aussi extrêmes que Caussidière et Flocon, qui se sont empressés de l’envoyer… faire de la propagande politique en Allemagne, le munissant même d’une petite somme d’argent.

C’est justement alors, Bakounine s’efforçant à y organiser les forces révolutionnaires internationales et à les faire agir d’un commun accord, que George Sand dut un jour intervenir en sa faveur. Et notamment Karl Marx inséra dans sa Nouvelle Gazette Rhénane, qui paraissait à Cologne, une correspondance calomnieuse prétendant que George Sand avait entre ses mains la preuve que Bakounine était un agent du gouvernement russe. Cette Correspondance de Paris à la date du 3 juillet, parut dans le numéro 36 de la dite Gazette et était ainsi conçue :

On suit ici d’un œil attentif, malgré tous nos troubles intérieurs, les luttes des Slaves, en Bohême, Hongrie et Pologne. À propos de la propagande slave on nous communiquait hier que George Sand aurait acquis des papiers très compromettants pour le Eusse exilé d’ici, Michel Bakounine, en laissant constater que c’était un outil ou un agent nouvellement acquis par la Russie, auquel incombaient la plupart des arrestations des malheureux patriotes polonais survenues en ces derniers jours. George Sand avait montré ces papiers à quelques intimes. Nous n’avons ici rien à objecter contre un royaume slave, mais il n’en sera jamais créé par la trahison contre des patriotes polonais…

Bakounine qui, toujours dans le but de faire de la propagande en Russie, s’était entre temps rendu à Breslau, après avoir séjourné à Bruxelles, Cologne et Dresde, s’adressa à George Sand en la priant de réfuter cette calomnie. Cette première lettre, paraît-il, ne parvint pas à sa destination. Alors l’ami de Bakounine, Adolphe Reichel, lui adressa une seconde lettre que nous copions textuellement sur l’autographe.

Madame,

Chargé par mon ami Bakounine, j’ai l’honneur de vous communiquer ci-après la copie d’une de ses lettres, dont l’original vous a été déjà envoyé de Breslau, il y a huit jours, mais dont il n’est pas sûr qu’il vous soit parvenu. J’y vois avec un grand regret que M. Marx, rédacteur de la Nouvelle Gazette Rhénane, s’est servi de votre nom honorable pour attaquer et pour salir par des calomnies infâmes l’honneur de mon ami. Si je ne donnais pas au premier moment trop de valeur à ces sortes de cancans, auxquels tout homme est exposé, qui prête aujourd’hui son nom à la publicité, j’ai dû cependant autrement juger la position de Bakounine, depuis que j’ai appris hier que des bruits pareils sur son compte ont couru aussi ici, à Paris.

Je ne sens aucun besoin de vouloir justifier par mon autorité auprès de vous un ami, avec lequel j’ai vécu pendant cinq ans dans la plus profonde intimité, car certes à une femme telle que vous, il n’a pas pu rester caché, même à la moindre connaissance de Bakounine, que son âme est incapable d’aucune vile action, d’aucune participation à quelque chose de déshonorant ; et même, si je le voulais, mon nom n’est pas une autorité pour vous.

Cependant, je dois me permettre de joindre mes instances aux siennes pour vous prier de ne pas laisser perdre sa réputation à si bon marché, car il ne s’agit pas seulement de la personne de Bakounine (à la rigueur une conscience pure pourrait s’élever au-dessus de toutes les calomnies), mais il s’agit aussi de son influence qu’il doit gagner et conserver sur son parti et qui serait entièrement paralysée, si des bruits pareils pouvaient gagner la foi de ceux qui ne le connaissent pas, bruits que le noble gouvernement russe a bien des raisons à semer et à soutenir. Je vous supplie donc, madame, de vouloir bien m’envoyer quelques mots en réponse de l’article de la Gazette Rhénane que vous m’autoriserez de publier ici, au journal de la Réforme et dans les journaux allemands ; il ne s’agit pas seulement de défendre l’honneur d’un homme, ce qui déjà à lui seul serait un devoir pour qui que ce soit, il s’agit encore de ne pas laisser écraser moralement un instrument de la sainte cause, qui déjà n’a plus beaucoup à perdre.

Tous les amis personnels de Bakounine, aussi indignés que moi, sont prêts à protester hautement contre ces menées indignes du gouvernement russe et, notamment, M. Herwegh, qui a l’honneur de vous être connu personnellement, est prêt à vous exposer plus clairement les faits existants, si vous jugiez insuffisantes ces lignes que j’ai pris la liberté de vous écrire, malheureusement dans un style et dans des termes trop peu français.

Dans la ferme croyance qu’en tous cas vous ne me laisserez pas sans réponse, je vous prie, madame, de vouloir bien agréer l’expression du profond respect et du dévouement avec lequel j’ai l’honneur d’être, madame.

Votre très humble

Adolphe Reichel.


Paris, le 19 juillet 1848.

On peut voir que George Sand s’empressa de donner suite à la demande que contenait cette lettre, car dès le 20 juillet, le lendemain du jour où elle fut écrite, c’est-à-dire le jour même où elle arriva à Nohant, Mme Sand adressait une protestation au rédacteur de la Gazette Rhénane. Nous la retraduisons de l’allemand, parce que l’original français est introuvable, et nous la citons intégralement, parce qu’elle est parfaitement inconnue des lecteurs français, même aux Sandistes. Quant aux lecteurs russes, ils en auraient pu connaître quelque chose, parce qu’elle était déjà mentionnée par Herzen, dans son volume XI de ses Œuvres complètes[120]. On y fait allusion également dans toutes les biographies de Bakounine. Nous donnerons aussi intégralement la réponse forcée de la Gazette Rhénane, dans laquelle la lettre de George Sand fut intercalée, pour que les lecteurs contemporains puissent se faire une idée du degré de la… sincérité du « Grand Karl » et de sa manière de se disculper en cette occurrence.

Cologne, jeudi[121].

Nous avons communiqué dans le numéro 36 de notre gazette le bruit oui avait circulé à Paris, selon lequel George Sand aurait possédé des papiers qui auraient permis de prendre l’émigré russe Bakounine pour un agent de Nicolas pr. Nous avons communiqué ce bruit tel qu’il nous parvint de la part de deux correspondants qui ne se connaissaient pas respectivement. Nous remplissons ainsi le devoir de la presse qui est d’observer sévèrement les caractères des personnages en vue et nous avons par là même donné l’occasion à M. Bakounine de réfuter un soupçon qui fut en tous cas répandu sur son compte dans beaucoup de cercles à Paris. Nous avions tout aussi volontiers inséré la déclaration de M. Bakounine et sa lettre à George Sand parues dans la Gazette Oderoise, avant même que M. Bakounine nous l’ait demandé. À présent nous communiquons une lettre adressée par George Sand au rédacteur de la Gazette Rhénane, en la traduisant intégralement et, par là, l’incident peut être considéré comme parfaitement clos :


Monsieur le rédacteur,

Vous avez publié à la date du 3 juillet, Paris, l’article suivant [— venait la traduction de la Correspondance parisienne en question —]. Les faits que vous communiquait votre correspondant sont absolument faux et n’ont même pas l’ombre de vérité. Je n’ai jamais eu la moindre preuve à l’appui des insinuations que vous avez tâché de faire accréditer contre M. Bakounine, banni de France par la monarchie déchue. Je n’ai donc jamais été autorisée à émettre le moindre doute sur la loyauté de son caractère et la générosité de ses opinions.

Agréez, etc.

George Sand.

P.-S. — J’en appelle à votre honneur et à votre conscience pour taire immédiatement publier cette lettre dans votre journal.


La Châtre (Indre), le 20 juillet 1848.

Bakounine, qui était alors plongé dans la fournaise révolutionnaire, semble ne pas avoir pu remercier George Sand de l’avoir si résolument et si amicalement défendu. Après l’insurrection de Dresde et de Prague, il fut arrêté en Saxe, jugé, condamné à mort. Puis cette peine de mort ayant été remplacée par la détention à perpétuité, il fut incarcéré dans la forteresse de Kœnigstein, puis livré à l’Autriche ; encore une fois jugé, U passa de longs mois dans deux forteresses autrichiennes, puis, livré encore au pouvoir russe, il fut incarcéré d’abord dans le donjon de Schlusselbourg, puis dans la forteresse de Saint-Pierre et Paul, et enfin déporté en Sibérie. Il s’en échappa, passa en Amérique, et, à la veille de 1862, notamment le 27 décembre 1861, il revint en Europe, à Londres. À peine débarqué et en sécurité, il voulut donner de ses nouvelles à l’illustre femme qu’il estimait tant et qui l’avait si vaillamment défendu dans les derniers mois de sa liberté. Il adressa à George Sand la lettre suivante, inconnue et inédite que nous copions encore sur l’autographe.

31 janvier 1862. Londres.
M. Alfredstreet. Bedford square W. C.
Madame,

Vous avez oublié sans doute un pauvre Russe qui a été pourtant un de vos plus dévoués admirateurs. Moi, je ne vous ai pas oubliée, et c’est fort naturel ; vous m’avez témoigné jadis tant de noble et bonne sympathie. Je vous ai si peu oubliée, que, revenu à la vie après un évanouissement qui a duré à peu près treize ans, ne pouvant venir moi-même à Paris qui s’évertue maintenant à se laisser mener par un gouvernement arbitraire, et voulant à toute force me rappeler à votre bienveillant souvenir, je vous adresse mon frère qui, comme moi, madame, est un de vos admirateurs passionnés. Il vous racontera comment j’ai été pris en 1849, mis aux fers, gardé pendant deux ans et demi dans les forteresses de Kœnigstein, de Prague et d’Olmutz, jugé et condamné à mort en Saxe, puis en Autriche, enfin transporté en Russie où j’ai passé encore six ans en forteresse et quatre ans en Sibérie ; comment je m’y suis marié — pas en forteresse, mais en Sibérie ; — comment, à la fin, réveillé par tout le bruit qui se fait de nouveau dans le monde et surtout par l’agitation du monde slave, je me suis embarqué sur l’Amour, — le fleuve, pas le dieu, — j’ai traversé le Japon, l’Océan Pacifique, San-Francisco, l’isthme de Panama, New-York, Boston, l’Océan Atlantique et suis venu prendre ancre à Londres, où il fait un temps détestable, mais où il y a pour compensation une bonne et forte liberté.

Vous êtes bonne, madame, vous serez contente de me savoir de nouveau libre et prêt à recommencer les péchés pour lesquels on m’a tant soit peu malmené. Il n’y a qu’une chose, hélas ! de changée : j’ai vieilli de treize ans. C’est un malheur sans doute, mais que faire ? D’ailleurs, je me sens encore assez jeune. J’ai tout à fait l’âge du Faust de Goethe, lorsqu’il se dit :

    Trop vieux pour s’amuser à des riens.
    Trop jeune pour ne pas avoir de désirs.

Sevré de vie politique pendant treize ans, j’ai soif d’agir, et je pense qu’après l’amour, le suprême bonheur, c’est l’action. L’homme n’est vraiment heureux que quand il crée. Mais voilà que je tombe dans la philosophie, et devant vous, encore, madame, un Scythe qui fait de l’esprit devant un esprit athénien ! Soyez indulgente, rappelez-vous que je viens de la Sibérie et non de Paris, — quoique, à vrai dire, Paris semble être tombé aujourd’hui un peu au niveau de la Sibérie.

Laissez-moi, madame, vous exprimer encore une fois les sentiments de respect profond et de sympathique dévoument dont j’ai été toujours pénétré pour vous.

M. Bacounine[122].

Les événements de 1848, ou plutôt la réaction qui sévit dans toute l’Europe en 1849, fit encore connaître à George Sand un autre jeune républicain, le docteur Hermann Müller-Strubing, archéologue et helléniste passionné, qui fut en même temps un bon musicien… Il vint à Paris ayant déjà passé sept longues années dans les casemates d’une forteresse allemande, pour avoir, presque adolescent encore, pris part à une attaque contre un corps de garde à Francfort, ce qui fut le signal d’une émeute générale. Müller fut arrêté, jugé comme instigateur, condamné à mort, mais la condamnation fut commuée en détention à perpétuité. L’amnistie générale, proclamée lors de l’avènement au pouvoir de Frédéric-Guillaume IV, le mit en liberté. Or, les sept années qu’il passa en prison, il les employa à étudier à fond la philologie, notamment le grec et quelques langues nouvelles, l’histoire de l’art, etc. De sorte que « ce n’est pas un être brisé qui quitta sa cellule après cette longue détention, mais bien un homme grandement instruit, plein de forces et d’espérances. C’était un idéaliste en toutes choses, un enthousiaste comme on n’en rencontre plus. Le grand art grec, la musique, le Beau, voilà ce qui comptait le plus pour lui. Les privations, la vie précaire, lui importaient peu. Ayant, dès 1841, fait la connaissance de Tourguéniew à Berlin, et s’étant hé d’amitié avec lui, ce dernier le présenta à Mme Viardot, lors de ses brillants succès à Berlin, en 1845. Musicien distingué lui-même, Müller se prit d’une admiration sans bornes pour la géniale artiste. Mais quand la révolution de 1848 éclata, l’ancien républicain se réveilla. Müller oublia l’art et la musique et se jeta dans le mouvement. La réaction ayant triomphé en Allemagne, il dut fuir en France. C’est alors qu’il trouva l’hospitalité chez les Viardot et chez Tourguéniew ; par eux il fit la connaissance de Mme Sand. La réaction ayant remporté la victoire en France aussi, le pauvre docteur es lettres eut à pâtir doublement : les vivres lui manquaient et la police le poursuivait. Alors Mme Sand l’hébergea à Nohant, en même temps que deux autres jeunes républicains poursuivis : MM. Émile Aucante et Fulbert Martin.

Mme Viardot écrit à ce propos à Mme Sand le 9 avril 1849 :

… Le bon Müller a eu des larmes de joie dans les yeux quand je lui ai lu le passage qui le concerne, c’est un brave et loyal ami, une vraie barre d’or…

Le musicien allemand rappelait un peu un héros d’Hoffmann : c’était déjà un titre aux yeux de George Sand, aussi fut-il un hôte selon les goûts des habitants de Nohant. Il s’installa bientôt à la Châtre, chez les Duvernet, pour pouvoir y donner des leçons à leur fille, ainsi qu’à d’autres jeunes musiciens de l’endroit, mais il revenait constamment à Nohant, soit pour prendre part à une représentation théâtrale, soit pour aider Mme Sand à adapter des chants berrichons pour ses pièces[123]. Il y était toujours le bienvenu.

Müller avait gagné tous les cœurs à Nohant. S’agît-il d’une excursion, d’un spectacle, ou de quelque occupation plus sérieuse : on faisait toujours appel à lui.

Mme Sand écrit à son fils le 2 janvier 1850 :

… Je pense que tu es aujourd’hui encore sur les pierres druidiques ou à Chambon. Écris-moi un mot quand tu seras de retour à Nohant. Raconte-moi les événements de ce beau voyage, quelle figure faisait Müller et Paloignon le jeune…

Le 2 janvier 1850, Mme Sand écrit à Mme de Bertholdi :

Manceau, l’ami de Maurice et de Lambert, est ici… Nous avons aussi un allemand de mes anciens amis politiques qui est pour quelque temps en France et nous donne une partie de son hiver. Les Fleury et les Duvernet viennent toutes les semaines passer deux jours et l’on joue la comédie et la pantomime à mort. Les enfants ont rapporté de Paris force costumes nouveaux.

« Muller m’a fait part de tes observations. Elles sont justes », écrit-elle au mois d’août de la même année, cette fois à son ami Duvernet, qui avait lu avec Müller Claudie qu’on allait donner à la Porte-Saint-Martin…

« C’est le vieux Hans, qui a fait votre rôle », dit Mme Sand dans sa lettre à Sully-Lévy, qui venait de quitter Nohant après y avoir joué le rôle de Nello (ou Maître Favilla) en 1851.

D’autres lettres nous montrent un souci sérieux de la part de Mme Sand pour la santé de son pauvre ami éprouvé par le sort.

… Müller est venu aujourd’hui avec les Duvernet, écrit-elle le 22 décembre 1850 à Maurice, il souffre d’un œil et ne voit pas. Il est changé, il engraisse cependant toujours, mais je trouve qu’il file un vilain coton. Il tourne au Borie, il ne vit que de farineux et commence à dormir…

Bref, on voit par ces extraits de lettres de George Sand, combien elle avait de sympathie pour Millier. Or, ceux qui connaissent les Mémoires de Herzen et notamment le chapitre : Les Allemands dans l’émigration européenne, auraient pu croire, d’une part, que Müller n’était qu’un bon gaillard assez commun et fort débraillé, enclin à vivre aux dépens des autres, aimant la bamboche, cicérone obligé de tous les Russes fraîchement débarqués à Berlin ou à Paris. D’autre part, on aurait pu croire que Herzen était en rapports superficiels avec lui, et qu’il le traitait même avec une condescendance tant soit peu méprisante. Il n’en fut nullement ainsi. Ni Müller, ni ses relations avec Herzen ne furent tels qu’on aurait pu croire en prenant au pied de la lettre ces pages pleines de verve de Herzen. Les lettres de Herzen et de Müller que nous allons donner ne laissent subsister aucun doute à ce propos.

Après le coup d’État, Millier dut fuir en Angleterre comme tant d’autres. Il retrouva à Londres ses anciens amis parisiens : Louis Blanc, Étienne Arago, Herzen. Celui-ci venait de perdre son fils et sa femme. On sait que Mme Nathalie Herzen mourut à la suite de cruelles épreuves psychologiques qui lui échurent en partage dans les dernières années de son existence, le dernier coup fut porté par la mort de son fils survenue dans un naufrage. Une passion que la malheureuse femme éprouva entraînant une séparation entre elle et son mari, le bruit que les amis de Herzen soulevèrent à propos de ce triste événement, le repentir, l’effroi en découvrant l’indignité de son ami, les racontars, les querelles et le retour sous le toit conjugal, tout cela avait miné le frêle organisme de la pauvre femme ; elle succomba prématurément en mettant au monde un enfant qui, lui aussi, ne vécut pas. Après sa mort, Herzen quitta le Midi et vint à Londres. Il y rencontra d’anciens amis au courant de ses douleurs conjugales ; il revécut en souvenir toutes ses émotions cruelles. C’est justement à ce moment qu’il revit Millier tout plein encore de ses souvenirs de Nohant, ne tarissant pas dans ses éloges sur George Sand, son grand cœur, son profond esprit, son don de pénétrer les recoins les plus cachés de l’âme humaine. Les autres émigrés politiques — Mazzini, Louis Blanc, Arago, Ledru-Rollin, prononçaient aussi constamment le nom de George Sand, en parlant des épisodes les plus émouvants de 1848.

Herzen éprouva soudain le désir de s’adresser à George Sand comme à un suprême arbitre des choses humaines, afin qu’elle jugeât la tragédie qui venait de dévaster sa vie. Il écrivit une lettre à Müller en le priant de la communiquer à George Sand, c’est ce que ce dernier fit immédiatement, accompagnant la lettre de Herzen de quelques lignes de sa main. Voici ces deux lettres :

18 octobre 1852.
London. Spring-Gardens, 4.
Cher Müller.

Lorsque je t’ai rencontré à Londres, sans m’y attendre le moins du monde, et lorsque deux jours après je te parlais des terribles malheurs qui m’ont frappé, le nom de George Sand tomba de tes lèvres. Je frissonnai à ce nom. C’était pour moi une indication. Elle doit connaître cette histoire, elle qui résume dans sa personne l’idée révolutionnaire de la France. Je t’ai exprimé mon désir de l’instruire de cette affaire.

La réponse dont tu m’as parlé hier me prouve, qu’entraîné par l’indignation contre tant de scélératesse, tu ne m’as pas tout à fait compris. L’affaire est jugée, un tribunal formel est impossible, un tribunal moral a prononcé son arrêt. La réprobation générale qui a enveloppé cet homme en est la preuve. Penses-tu donc que des hommes comme Mazzini, Worcel, Proudhon, Kinkel, etc., se seraient prononcés avec tant d’énergie, si les faits n’étaient pas constatés, s’il n’y avait pas de documents et des témoins ? Dévoiler cet homme devant ceux que j’estime, que j’aime, est pour moi un besoin de cœur, un acte de haute moralité. Socialiste et révolutionnaire, je ne m’adresse qu’à nos frères. L’opinion des autres m’est indifférente. Tu vois de là que l’opinion de George Sand a une valeur immense pour moi.

Il s’agit d’une femme dans cette tragédie. D’une femme qu’on a brisée, calomniée, persécutée, qu’on est parvenu à assassiner enfin. Et tout cela parce qu’une passion malheureuse a envahi son cœur comme une maladie et que son cœur repoussa au premier réveil de la nature noble et forte. Et l’assassin, le calomniateur, le dénonciateur de cette femme était ce même homme qui, feignant pour elle un amour sans bornes, la trahit par vengeance, comme il avait trahi son ami le plus intime par lâcheté. Tu as vu ses lettres… C’est un de ces caractères dans le genre d’Horace de George Sand. Mais Horace développé jusqu’à la scélératesse.

Je n’ai pas voulu terminer une affaire pareille par un duel, il y avait trop de crimes, trop de perfidie pour les couvrir par la mort ou pour les laver par le sang d’une blessure. J’ai entrepris une autre justice, elle était hasardée. Le premier homme auquel je fis part de ma résolution était Mazzini. Il m’a soutenu dans cette voie difficile ; il m’écrivit : « Faites de votre douleur un acte solennel de justice au sein de la société nouvelle, accusez, la démocratie jugera. »

Je l’ai accusé ; et mon appel à nos frères ne resta pas sans réponse. Maintenant, je commence un mémoire détaillé. Ce mémoire, je voudrais l’envoyer à George Sand.

Il ne me manquait pas de conseil prudent et charitable de me taire, de couvrir tout par un silence absolu. Celui qui dit cela, accuse la femme. Je n’ai rien à cacher, elle est restée pure et sublime à mes yeux, mon silence serait perfide, serait un manque de religion pour la victime. Et ensuite il n’y avait pas même de choix après les calomnies répandues par cet individu. Je fais à haute voix et au grand jour ce qu’il a fait traîtreusement et en cachette. Mon accusation suivra cet homme partout. Je suis là sur le tombeau d’une femme que j’aimais, et je l’accuse ; ce qu’on fera de mon accusation, je ne le sais pas. Je ne cherche pas des verdicts, ils arriveront naturellement.

Portant mon accusation devant la plus haute autorité quant à la femme, la portant devant George Sand, je ne voulais qu’un peu d’attention sympathique, qu’un peu de confiance.

Dans la pensée de m’entretenir de cette tragédie avec elle, il y avait pour moi un entraînement irrésistible.

Il y a longtemps que je rêvais à cela. Ta visite m’a montré de près la possibilité de réaliser ce dernier rêve poétique. Mais je n’ai demandé ni réponse ni verdict. Je voulais laisser tout cela au temps et à la pleine conviction.

Voilà, cher Müller, ce que j’avais sur le cœur de te dire. Communique quelque chose de cela à George Sand, si tu n’as rien contre cela. Adieu. Je te salue fraternellement.

A. Herzen.
Londres, 19 octobre 1852.
Madame,

Comme j’ai trouvé à l’instant même une occasion pour Paris, je me permets de vous envoyer une lettre de mon ami Herzen, qu’il m’a adressée pour vous être communiquée. J’y joins une brochure qu’il m’a également remise pour vous. Je ne l’ai pas encore lue, mais je la crois très remarquable. Si vous-même n’avez pas le temps de la lire, Émile[124] s’en chargera bien et vous dira si cela vaut la peine, Herzen a écrit encore une autre brochure sur l’état actuel de la Russie, qui, malheureusement, a été saisie par le gouvernement français, Il s’en plaint beaucoup, parce qu’il la croit supérieure à ce premier essai.

Je n’ai que justement le temps de vous remercier de tout mon cœur pour votre bonne lettre et pour le bon souvenir que vous me gardez. J’ai besoin d’une telle consolation, car, après tout, je suis encore très seul ici. Mes affaires, pourtant, ne vont pas mal, j’ai trouvé déjà des leçons qui me font gagner quinze shillings par semaine, c’est-à-dire les trois quarts de ce qui est strictement nécessaire pour vivre. C’est beaucoup pour le moment, d’autant plus que c’est indépendamment des lettres de M. et Mme Viardot. Je n’ai pas encore des nouvelles de Duvernet, ce qui m’étonne beaucoup. J’espère pourtant qu’il a reçu ma lettre. Pardon, madame, de cette lettre incohérente, j’écris à la hâte, car on veut partir. Je vous écrirai bientôt une lettre plus raisonnable. Mauprat réussira[125] ; je suis aussi sûr de cela que de quoi que ce soit. J’espère que les amis de Nohant me tiendront au courant de tout ce qui vous regarde ! Un shake-hand fraternel à Maurice (ah ! que je suis content qu’il fait des illustrations) et aux autres amis.

À vous de cœur et pour toujours.

H. Müller.

Ces lettres, du plus haut intérêt pour la biographie de Herzen, suffisent pour prouver en toute évidence qu’Herzen, après avoir confié à Müller ses affaires les plus intimes, après avoir eu recours à ce dernier, pour faire connaître à George Sand ce cas de conscience, ne pouvait pas le traiter avec le mépris qu’on découvre dans les pages de ses Mémoires. Ses boutades toutes fortuites furent peut-être amenées par quelque cause tout à fait étrangère, au moment où Herzen écrivit ses Mémoires.

Nous n’avons pas retrouvé les réponses de George Sand à ces deux lettres, ni d’autres lettres de Herzen ou de Millier se rapportant à cet épisode. Mais nous avons retrouvé d’autres lettres de Millier à Mme Sand datées de 1852-56, témoignant d’une parfaite amitié entre les deux correspondants. Ces réponses de Müller nous prouvent de plus que Mme Sand dans ses lettres tenait Müller au courant de tout ce qui se faisait à Nohant, de tous les détails de sa vie de famille, de ses travaux à elle, de toutes les questions qui la passionnaient et l’agitaient à cette époque. Et c’est l’amitié qui liait Millier à George Sand, Bakounine, Herzen, Tourguéniew, à M. et Mme Viardot qui nous rend intéressante la figure de l’ami Müller, comme ils l’appellaient tous.

Revenons maintenant aux années 1848-51. Le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon était élu par une énorme majorité à la présidence de la République. George Sand vit avant tout dans ce vote une protestation populaire contre Eugène Cavaignac. Il lui sembla que le peuple espérait que le prince donnerait non seulement la liberté politique, mais encore des réformes sociales. Comme nous consacrons tout le chapitre suivant aux relations entre George Sand et Napoléon III, nous ne dirons pas ici ce qu’écrivit Mme Sand sur cette élection. L’article qu’elle écrivit sur cet événement fut l’avant-dernier article politique publié à cette époque. Le dernier fut une Lettre aux modérés, un appel à la miséricorde envers les vaincus, les victimes de la révolution qu’on allait déporter. Cette lettre fut insérée dans l’Événement en novembre 1849. Mais il ne faut pas croire que si George Sand n’écrivait plus dans la presse, elle ne prit aucune part à la politique. À ce moment, comme cela arrive toujours après une défaite, tous les partis se reprochaient réciproquement les faits accomplis, se querellaient, se condamnaient, se défendaient et se séparaient toujours davantage les uns des autres. Entre les émigrés à Londres l’hostilité bouillonnait, ils dépensaient toute leur énergie, toute la force de leurs passions dans des querelles de partis. Ledru-Rollin, Koschut et Mazzini, les républicains purs, firent paraître leur « appel » célèbre à la démocratie. Les « socialistes » leur répondirent. Malgré tout son dévouement pour Mazzini, George Sand resta fidèle à elle-même et à son idéal socialiste, et dans ses lettres à Mazzini, elle discuta ardemment et prit la défense des « socialistes » ou des soi-disant « communistes », en prédisant que l’avenir était à eux, mais en réprouvant toute mise en pratique brusque ou violente de leur doctrine. Et en même temps George Sand continuait à exprimer à Mazzini des sentiments de vénération profonde. Bien plus, comme en 1848 elle avait traduit sa Lettre au Pape, de même en 1849 elle traduisit et munit de commentaires République et Royauté en Italie. Cette traduction parut en 1850. Quant à ses lettres à Mazzini, elles présentent un intérêt extrême, parce qu’elles sont comme une causerie avec cet ami lointain, causerie sans relâche ne laissant dans l’ombre aucune question actuelle. Nous conseillons donc à nos lecteurs de relire tout le volume III de la Correspondance de George Sand où ces lettres se trouvent, elles sont trop longues pour être citées. Il faut seulement se souvenir que toutes ces lettres sont mal datées (nous l’avons prouvé sur trois d’entre elles), très souvent on a imprimé à une fausse date des morceaux de lettres différentes ou bien elles sont tronquées. Enfin, il reste encore beaucoup de morceaux de lettres et de lettres entières qui sont inédites et que nous avons heureusement pu lire.

En cette même année 1849, George Sand écrivit une Préface au livre de Victor Borie : Travailleurs et Propriétaires. Elle y revient encore à son thème favori : elle affirme qu’il y a deux sortes de communismes. L’un, créé par l’imagination des réactionnaires, évoque l’idée d’un désastre général, de pillage, de violences. Celui-là — prétendait-elle — n’existe que dans les imaginations timorées ; si une secte ou une société pareille existait réellement, George Sand la renierait parce que toute secte sous-entend l’intolérance et l’hostilité envers les hommes pensant autrement.

L’autre communisme est purement transcendant ; il n’existe que dans le cerveau d’un très petit nombre d’utopistes et de rêveurs ; c’est à ce communisme-là qu’appartiendra, dans un avenir lointain encore, le triomphe final, parce qu’il est la foi en la fraternité humaine ; son idéal ce n’est pas seulement l’égalité et la liberté politique imposées par la loi, mais la liberté réelle, la liberté économique, qui ne s’acquiert pas par la violence, mais par l’extension de l’amour humain.

La propriété est, elle aussi, de deux natures. L’une est une propriété personnelle, imprescriptible. Il y a une propriété modifiable et commune…

… Oui, il y a deux natures de propriétés : la part individuelle, largement dévolue à quelques-uns, respectable quand même ; la part commune, qui a été surprise, dérobée à tous par un petit nombre ; celle-là doit être restituée…

Si l’auteur de ce travail (c’est-à-dire Victor Borie) rejette absolument le mot que je tiens à maintenir et s’attache à prouver que l’admission du principe de deux natures de propriété éloigne à jamais le communisme de nos institutions, c’est parce qu’il entend par le communisme l’institution par violence ou par surprise des dogmes d’une certaine secte, tandis que si on entend par communisme une croyance pacifique basée sur celle de l’Évangile, l’avenir lui appartient.

George Sand, qui veut défendre le communisme, et Borie qui lutte contre lui, arrivent au même but par deux voies opposées. George Sand se croit même obligée d’être communiste…

… Ma conscience et l’Évangile, qui est pour moi le plus beau des enseignements divins, me le demandent, dit-elle, et c’est précisément parce que je possède quelque chose que j’ai le devoir d’être communiste.

… Mais si le communisme est une société, je m’en retire, parce que je me vois aussitôt forcé d’être en guerre et en lutte incessante avec tous ceux de mes semblables qui ne reconnaissent pas l’Évangile…

Et en note à cette page, George Sand écrit les lignes suivantes, extrêmement significatives pour sa manière de voir à toutes les époques de sa vie :

… Et pourtant, comme dans le moment où nous vivons on parle encore dans les provinces de pendre et de brûler les communistes, moi personnellement, je ne répudierai point ce titre dangereux. Je ne le ferai que le jour où le communisme triompherait en politique, et m’adresserait les mêmes menaces que les conservateurs m’adressent aujourd’hui. Jean-Jacques Rousseau disait : « Je suis philosophe avec les superstitieux, religieux avec les athées. » Il est des temps d’anarchie morale où cette parole de Jean-Jacques Rousseau est nécessairement la devise de tout esprit sincère et courageux…

Avec les vaincus, non avec les vainqueurs ! Avec les oppressés, non avec les oppresseurs !… Voilà la devise que George Sand ne démentait jamais… Voilà le fond de sa nature, tout de courage et de pitié, la tendance qui se manifesta encore bien plus tard, lorsque dans les dernières années de sa vie, lors d’un triomphe passager du communisme en 1871, elle écrivait :

… Plus que jamais, je sens le besoin d’élever ce qui est bas et de relever ce qui est tombé. Jusqu’à ce que mon cœur s’épuise, il sera ouvert à la pitié, il prendra le parti du faible, il réhabilitera le calomnié. Si c’est aujourd’hui le peuple qui est sous les pieds, je lui tendrai la main ; si c’est lui qui est l’oppresseur et le bourreau, je lui dirai qu’il est lâche et odieux. Que m’importent tels ou tels groupes d’hommes, tels noms propres devenus drapeaux, telles personnalités devenues réclames ? Je ne connais que des sages et des fous, des innocents et des coupables.

Nous verrons plus loin que ces lignes font partie d’un article dans lequel George Sand exhorte les Français à abandonner toutes les querelles de partis, toutes les haines et les calomnies réciproques pour chercher le salut dans l’amour fraternel. Elle leur demande de se souvenir des paroles de saint Jean : Frères, aimez-vous les uns les autres !

C’est ainsi que, jusqu’à la fin de sa vie George Sand resta fidèle à son credo, et fut toujours socialiste et non politique.

Et si l’on veut savoir dans quels sentiments, quelles idées George Sand achevait les orageuses années de 1848-1851 ; et ce qui lui restait, à la veille du coup d’État de décembre, de ses croyances, qui semblent avoir dû sombrer définitivement, il faut consulter l’une de ses œuvres fort peu connue et très importante : le Diable aux champs. Elle est importante pour le biographe parce que la vie à Nohant y est peinte dans la période de 1847-1855. (Elle fut écrite juste au moment où la révolution de février interrompit l’Histoire de ma Vie.) Pour l’historien et le critique, elle est extrêmement intéressante comme le résumé des idées et des espérances de George Sand à cette époque.

Dans la préface de ce roman, George Sand dit que le Diable aux champs, terminé en novembre 1851, mais publié en 1855, n’a qu’une valeur éphémère, — il est un reflet exact du trouble des esprits par lequel la France passa en 1851.

Il est des époques historiques, dit-elle, où la vie individuelle semble s’effacer dans la préoccupation de la vie générale ; mais si on y regarde de plus près, on voit que, tout au contraire, les préoccupations personnelles prennent une importance d’autant plus grande, aux époques de trouble et d’incertitude, que l’on est surexcité par la vie générale. Ne sont-ce pas les époques fécondes en rêves, en projets, en situations romanesques, en accès d’enthousiasme, de doute et d’effroi ?…

… Vivant à l’écart du grand courant d’action, — dit-elle plus loin, — je fus à même d’observer le contre-coup moral et intellectuel de ces agitations dans un milieu paisible, aux champs, au village, au coin du feu, sur les chemins, au presbytère. L’idée me vint de saisir toutes les réflexions, toutes les émotions, toute l’imprévoyance, toute l’inquiétude, tout le sérieux et toute la frivolité qui étaient dans l’air, et de les grouper autour d’un sujet de roman quelconque et de types imaginaires quelconques…

D’après le plan primitif, il devait y avoir trois romans qui se faisaient suite ou pendant : le Diable aux champs, le Diable à la ville et le Diable en voyage. Dans le premier, Mme Sand voulait peindre avec équité tous les partis et coteries politiques qui étaient à l’apogée de leur activité vers la fin de la deuxième République. Mais, après le 2 Décembre, il était impossible, selon elle, de parler avec une égale impartialité de ceux qui étaient les vaincus en 1851 et rachetaient leurs erreurs dans les prisons ou l’exil — et des représentants du parti triomphant : « Ce serait une lâcheté. »

Pour cette raison, elle ne continua point sa trilogie, et fit même des coupures dans le roman déjà écrit ; elle « l’expurgea de toute discussion vive, de toute physionomie accusée d’actualité », et elle ne le donna à l’impression qu’en 1855.

L’esprit du livre est resté ce qu’il était, rien n’y a été changé, mais beaucoup de détails ont été supprimés. Peut-être que le roman y a gagné : il n’était que le prétexte du livre, il en est devenu le but.

Nous croyons toutefois que malgré ces coupures, son intérêt principal gît justement dans le contre-coup des agitations du moment reflétées dans le roman, et dans la reproduction presque photographique de la réalité ambiante dans les derniers mois de la deuxième République.

Ce roman est bien un document humain, une œuvre presque autobiographique. L’auteur le comprend parfaitement en disant dans sa dédicace à M. Alexandre Manceau :

Quelques scènes de ce roman dialogué sont pour nous des souvenirs. Nous étions encore gais en les commentant dans nos causeries de famille. Que de chagrins ont passé sur nous depuis ce temps-là ! En si peu de temps, que d’inquiétudes, que de séparations, que de morts ! Nous avons ri et pleuré ensemble : il est bien juste que je dédie cette page du passé au plus fidèle, au plus dévoué des amis.

Et effectivement, des volumes entiers de correspondances et de mémoires ne rendraient pas aussi vivement, avec autant d’éclat et de couleur, la vie à Nohant de 1848 à 1851. Et tout d’abord, nous y voyons apparaître sous des pseudonymes transparents, sous les noms des personnages des premiers romans de George Sand, et même sous leurs véritables noms, tous les habitants de Nohant et de La Châtre. C’est ainsi que nous y voyons Maurice et ses amis : Eugène (Lambert), Émile (Aucante) et Damien (Manceau). Puis Jacques (la personnification de l’une des multiples faces de George Sand elle-même) et son ami Ralph Brown (Jules Néraud) avec sa femme Indiana (l’autre personnification de l’auteur) et ses deux filles Noémie et Sarah (du roman d’Isidora). Solange y apparaît sous le nom de la comtesse Diane de Noirac ; l’un de ses adorateurs, sous celui de Gérard de Mireville. Nous voyons aussi les deux curés : celui de Nohant (changé en Noirac) et celui de Saint-Chartier (transformé en Saint-Abdon). Marie Caillaud, la jeune servante de Nohant, la favorite de Mme Sand et de Manceau, à laquelle ils enseignaient la lecture et l’écriture, et qu’ils avaient rapprochée d’eux, surtout depuis qu’ils lui avaient découvert un vrai talent dramatique et qu’elle prenait part aux représentations de la Commedia dell’ arte, est nommée Jenny ; le jeune républicain poursuivi, Fulbert Martin, s’appelle Florence Marigny, il se cache à Nohant, nous voulons dire… à Noirac, en qualité de jardinier ; le fermier de Nohant, Camus, s’appelle Cottin. Puis viennent les habitants de La Châtre, à peine dissimulés sous leurs pseudonymes : Charcasseau (Delaveau), Mme Paturon (Châtiron), et son neveu Polyte Chopard (Hippolyte Châtiron), et les paysans de Nohant : Germain (de la Mare au Diable) avec son fils Pierre et sa fiancée Maniche, et les bonnes femmes de Nohant, et les gamins, et jusqu’aux vieux chiens favoris : le petit Marquis, le chien de la cour — Pyrame et Léda, qui ne sont pas oubliés !

L’action se passe tantôt au château, tantôt soi-disant dans le prieuré voisin où sont censés demeurer Maurice et ses amis. (À ce propos, il faut noter que Maurice Sand avait installé son théâtre dans la salle voûtée du rez-de-chaussée de la maison de Nohant, qui portait encore du temps de la grand’mère de George Sand le nom de prieuré.) Tantôt sur la place du village de Noirac, attenant au château, tantôt près du pavillon, tapissé de lierre, où Jenny cache la comtesse, et dans lequel quiconque a jamais été à Nohant, reconnaît immédiatement le pavillon du parc, sur la route menant à la Châtre.

Une seule personne n’est pas peinte sur nature, c’est l’héroïne principale, autour de laquelle se déroule toute l’action du roman, c’est une certaine jolie pécheresse (fort déplaisante au fond), ex-camarade villageoise de Jenny, du nom de Céline Tarantin, Myrto de son nom de cocotte, et qui vient à Noirac.

La simple intrigue ne sert que de cadre permettant à l’auteur de tracer les figures bien connues avec tous leurs traits saillants et leurs particularités. Voici Maurice, entreprenant et inventeur, tantôt exerçant ses pompiers, tantôt taillant d’un morceau de bois quelque marionnette, tantôt composant un scénario pour le spectacle du soir, tantôt construisant et faisant naviguer un bateau, le Mayeux, et au milieu de tout cela répétant imperturbablement son adage favori : Félix qui potuit rerum cognoscere causas. Voici Eugène adonné à son art… Voici Émile le politicien. Voici Damien, l’ami et l’aide de tout le monde, s’oubliant pour rendre service ou faire plaisir à l’un des camarades.

Et le milieu où ils agissent est aussi bien réel. D’une part, c’est la vie à Nohant peinte d’après nature avec ses discussions, philosophiques et politiques, ses préoccupations artistiques, avec tous les intérêts si variés et les gaies escapades de la jeunesse.

D’autre part, c’est le milieu provincial et petit bourgeois avec ses platitudes, ses potins, ses prétentions comiques, son avarice, sa curiosité invraisemblable, et sa médiocrité fabuleuse ; puis les vieux paysans bornés, inertes et superstitieux, et les jeunes, commençant à s’éveiller à une vie nouvelle, et enfin les représentants du clergé, bonshommes voulant vivre en paix avec tout le monde, et jouir de l’existence. Et finalement, c’est la vie sociale en 1851, dans le large sens du mot, — avec ses luttes de partis, de classes et d’intérêts, avec la tension de quelques esprits d’élite vers des buts si divers. Tout cela est narré en forme de dialogues des personnages, se succédant sans trêve et interrompus, dès que la scène reste vide, par les causeries et les chansons du moineau et de la fauvette, de la poule avec les petits canards, des grenouilles, des lézards, des grillons, des araignées, des grues, des coqs, des marionnettes, des scarabées, de la chouette, avec son mari, des chiens de basse-cour et de manchon. Ces pages-là sont les plus charmantes et les plus intéressantes du roman. L’auteur semble pénétrer dans la psychologie de chaque animal, de chaque petit oiseau, et même dans celle des poupées, et les fait palier et sentir comme s’il avait réellement surpris leurs pensées ou compris leur langage. C’est aussi par ces conversations-là que s’exprime la pensée-mère profondément philosophique de l’œuvre. Il faudrait intituler ce roman, non pas le Diable aux champs (nom purement arbitraire, car le séjour de l’une des marionnettes, le diable, dans les champs et sur un arbre, et la série de quiproquos qui s’ensuivent est tout fortuit et ne présente qu’un épisode tout en dehors de l’action), il faudrait l’intituler : Chacun à sa manière, parce qu’il présente un kaléidoscope de croyances, d’idées, d’appréciations les plus différentes sur le monde. Chacun juge à sa façon. Tandis que les grenouilles se réjouissent de l’humidité et adorent l’eau, les grillons la craignent et adorent le feu ; les coqs saluent la lumière, les chouettes les ténèbres ; les lézards restent prudemment dans leur coin en prônant le « chacun chez soi », les grues volent courageusement en avant ; les hommes détruisent les toiles d’araignées, les araignées les tissent. Il est impossible de tout concilier, il faut que chacun fasse son œuvre et sa besogne avec une ferme conviction, sans trêve, sans faire attention à quoi que ce soit ; toutes ces actions non conciliées produisent l’harmonie universelle.

Nous ne pouvons pas malheureusement citer toutes ces scènes charmantes et ces dialogues si spirituels ; les lecteurs français feraient bien de les relire ! Mais nous citerons la scène finale : Tous les personnages : Maurice, avec ses amis, qui viennent de terminer une représentation de marionnettes, ainsi que tous les spectateurs sont partis, invités par Diane à souper avec elle dans la serre ; Florence et Jenny ont disparu après s’être expliqués sur leurs sentiments réciproques ; les marionnettes qui, après chaque représentation restent excitées, grâce à l’influence de l’esprit humain sur leur personne de bois, et qui avaient jasé en laissant voir leur point de vue particulier, leur philosophie de poupées, qu’elles prennent aussi pour la vraie vérité, les marionnettes se sont aussi calmées peu à peu et endormies. Et c’est alors que dans le deux prieuré obscur, les seules araignées veillent. Elles se mettent à travailler avec ardeur, à refaire toutes les toiles anéanties par l’homme. Elles tissent leur trame, — « in dem Wehstuhl geht die Spuhle — was sie webt das weiss kein Weber, » avait dit Heine (« la navette court dans le métier, ce qu’elle tisse, aucun tisserand ne le sait »), elles tissent et parlent :


Une ! deux ! une ! deux ! d’un bout à l’autre !… Filons, filons, travaillons, il fait sombre !

Travaillons pour qu’au jour naissant nos toiles nouvelles soient tendues. On a détruit aujourd’hui notre ouvrage, on a ruiné nos magasins et traîné nos filets précieux dans la boue. N’importe, n’importe ! Une ! deux ! Filons !

Que tout dorme ou veille, que le soleil s’allume ou s’éteigne, il faut filer, une ! deux ! d’un angle à l’autre !

Tissons, tissons, croisons les fils, le travail console et répare !

Tissons, filons, prenons les angles. Et vous qui détruisez le travail des jours et des nuits, vous qui croyez nous dégoûter de notre œuvre, balayez, ravagez, brisez. Une ! deux ! toujours, toujours, filons, tissons et travaillons jusqu’à l’aurore !

Dans les vieux coins, dans l’abandon et la poussière, nuit et jour la pauvre araignée grise tisse la trame de son existence ; active, patiente, menue, adroite, agile, une ! deux ! la pauvre araignée persévère. On la chasse, on la ruine, on la poursuit, on la menace ; une ! deux ! la pauvre araignée recommence !

Pour l’empêcher de travailler, il faut tuer la pauvre araignée. Mais cherchez donc nos petits œufs, cachés là-haut dans le plafond, dans l’ombre et dans la poussière. Le soleil reviendra toujours pour les faire éclore, et l’araignée, sitôt sortie de l’œuf, reprendra la tâche sans commencement et sans fin, la tâche patiente que Dieu protège. Une ! deux ! joignons les angles ! tissons, filons jusqu’à l’aurore.


C’est par cette note profondément symbolique, pleine de foi, de courage, de croyance en l’avenir, que George Sand termine cette œuvre extrêmement remarquable. Elle reflète ses pensées, et résume ses sentiments et ses réflexions au moment où se terminait l’orageuse période triennale, après la déchéance de toutes ses espérances de liberté et après tant d’efforts manqués pour l’instituer, à la veille d’une ère sombre et désespérée de réaction.


CHAPITRE IX

GEORGE SAND ET NAPOLÉON III


Le prisonnier de Ham. — Lettre sur l’élection de Louis-Napoléon à la présidence de la République. — Le coup d’État de 1851. — Les démarches de George Sand pour les victimes. — Les relations de George Sand avec les malheureux et leurs familles. — Les républicains intransigeants. — L’impératrice Eugénie et Napoléon III jugés par George Sand. — Le prince Napoléon. — Mme Arnould-Plessy. — Malgrétout. — Impressions et Souvenirs et article sur l’Histoire de Jules César. — Une lettre vaudevillesque. — La consolatrice des malheureux.


Croyez que le plus beau titre que vous puissiez me donner est le titre d’ami, car il indique une intimité que je serai fier de voir régner entre nous…

Que les hommes soient injustes à mon égard, impitoyables même malgré ma position, il n’y a rien là qui m’étonne. Mais vous, madame, qui avez les qualités de l’homme sans en avoir les défauts, vous ne pouvez pas être injuste à mon égard…

Je tiens beaucoup à l’estime des hommes, mais je tiens particulièrement à la vôtre. Je veux enfin ne pas perdre la petite part de sympathie que vous m’avez donnée. J’y tiens, comme le prêtre tient à la lampe qui brûle devant l’autel, comme on tient à un talisman qui porte bonheur…

Ce n’est pas un poète amoureux, ni un ami républicain, ni quelque adorateur berrichon de George Sand qui lui écrit ainsi. C’est ce jeune prisonnier du fort de Ham, qui, quoi qu’on en ait dit, ne songeait pas exclusivement à sa gloire et à son pouvoir personnel, mais très certainement rêvait aussi au triomphe en France d’un pouvoir soucieux du bonheur de la majorité. Ce n’était pas ce mesquin et piètre vaniteux que nous peignent des pamphlets, tels que Napoléon le Petit ou l’Histoire d’un crime, c’est non seulement un personnage mal deviné et mal défini dans l’histoire, un être complexe et plein de contradictions, mais encore, si l’on fait la part des vices et des défauts de son entourage et de ses propres faiblesses ou inconséquences, il nous apparaît vraiment comme un rêveur incompris et désillusionné, succombant sous le poids des circonstances par lui créées, comme un utopiste naïf et inconscient. Dans son esprit, dans sa nature, il y avait des traits sympathiques attrayants pour la romanesque optimiste et la parfaite et incorrigible idéaliste que George Sand n’avait cessé d’être. Et c’est justement cet idéalisme qui captivait celui qu’on avait avec raison surnommé le « rêveur éveillé ». M. de Pontmartin assurait même qu’il y avait dans ces deux natures des traits de parenté[126]. L’assertion nous semble exagérée, mais nous comprenons assez ce qui l’avait causée. Il y avait dans ces deux natures une certaine analogie de rêverie utopiste ou d’utopie rêveuse et nébuleuse.

Il semble que George Sand et Napoléon firent connaissance plus de dix ans avant la chute de la monarchie de Juillet, dans le salon de la comtesse Merlin, cette intéressante créole aux Souvenirs de laquelle George Sand avait, dès 1836, consacré un article très sympathique[127]. Ce salon était très fréquenté par les écrivains, les diplomates, les artistes. Il était surtout plein de mécontents, de frondeurs conspirant ou déclamant contre la poire[128]. Le jeune prince Louis-Napoléon Bonaparte alla bientôt expier au fort de Ham la part active qu’il prit à une conspiration contre cette même « poire ». On sait qu’il y resta six ans, jusqu’au jour où il s’échappa déguisé en « Badinguet ». Le prince consacra ses loisirs forcés à des lectures sérieuses, aux études sociales, et écrivit quelques brochures politico-historiques. Les Idées napoléoniennes parurent en 1839. En 1844 son étude Sur l’extinction du paupérisme fit beaucoup de bruit en France.

Louis Blanc qui venait de fonder la Réforme et de faire la connaissance de George Sand, consacra dans son Histoire de dix ans quelques pages au jeune prince, qu’il alla visiter dans sa prison, car la personne et les idées de cet héritier du souverain des peuples, rêvant à détruire le paupérisme ne pouvaient manquer d’intéresser celui qui proclamait « l’organisation du travail ». George Sand, qui prônait alors les idées de Louis Blanc dans ses articles et que passionnaient les grandes utopies sociales promettant le bonheur « à la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », lut avec d’autant plus d’intérêt ces pages sur le prince prisonnier, et les fit réimprimer par son journal berrichon l’Éclaireur de l’Indre[129]. Et puis cet intéressant prisonnier venait de lui envoyer sa brochure par l’intermédiaire d’un ami commun, Frédéric Degeorges[130]. Celui-ci transmit les remerciements de George Sand au prince, mais un accusé de réception indirect ne suffisait probablement pas à l’amour-propre de l’auteur, car voici ce qu’il écrivit à M. Degeorges le 24 novembre 1844 :


Mon cher monsieur Degeorges,

Je vous prie d’exprimer à Mme George Sand combien je suis touché de ce qu’elle vous dit d’aimable sur moi ; je suis fier de mériter son approbation. Jugez d’après le plaisir que me fait éprouver un souvenir combien une lettre d’elle me serait précieuse ; combien je serais heureux de la voir. Tâchez pendant votre séjour à Paris d’obtenir par des députés l’autorisation de venir à Ham, et si Mme George Sand daignait vous accompagner, ce serait pour moi, véritable excommunié, un jour de fête. Je ne recherche pas des éloges, je veux les mériter ; on me fera toujours plaisir en me donnant des conseils, vous devriez bien m’envoyer la lettre de Mme G. Sand.

Je suis fâché de vous avoir écrit la lettre que vous avez dû recevoir dernièrement, mais je suis loin d’être parfait et j’ai souvent des mouvements d’humeur contre les hommes, contre l’injustice du sort.

Le plaisir des malheureux est de se plaindre. J’ai écrit à M. Abb. [131] à Orléans pour l’engager à venir me voir d’après ce que vous m’aviez dit, mais il parait qu’il a fait la sourde oreille. Je vous remercie non comme Bonaparte, mais comme citoyen, de la fusion que vous voulez opérer, car là seulement est le salut. Nous sommes tous enfants de la Révolution, et par nos dissensions entre frères nous risquons de tuer notre mère commune.

Adieu, mon cher monsieur Degeorges, recevez de nouveau l’assurance de ma sincère amitié.

N. L.

George Sand fit ce que le prince désirait et le remercia dans une lettre datée du 26 novembre 18-44, et depuis lors maintes fois réimprimée, mais peu connue toutefois du public, d’autant plus qu’elle fut la plupart du temps insérée dans les éditions soit spéciales, soit oubliées, et que dans la Correspondance elle est tronquée et corrigée[132].

Nous mettons entre crochets les phrases omises et nous indiquons en notes les mots changés.


Prince,

Je dois vous remercier des souvenirs flatteurs dont vous m’avez honorée[133] en m’adressant, [avec un mot de votre main qui m’est précieux] le [noble et] remarquable travail sur l’extinction du paupérisme. C’est de grand cœur que je vous exprime l’intérêt sérieux avec lequel j’ai étudié votre projet. [J’ai été surtout frappée de la juste appréciation de nos malheurs et du généreux désir d’en chercher le remède. Quant à bien apprécier les moyens de réalisation] je ne suis pas de force à le faire[134], et d’ailleurs ce sont là des controverses dont, je suis sûre, vous feriez au besoin bon marché. En fait d’application, il faut peut-être avoir la main à l’œuvre pour s’assurer qu’on ne s’est pas trompé, et le rôle[135] d’une vaste intelligence[136] est de perfectionner ses plans en les exécutant. [Mais l’exécution. Prince, à quelle main l’avenir la confiera-t-il[137] ? Il y a peut-être inconvenance et manque de respect à soulever cette question en vous parlant. Peut-être aussi de rives, sympathies donnent-elles ce droit][138]. Je ne sais pas si votre infortune a des flatteurs, je sais qu’elle a mérité d’avoir des amis. Croyez qu’il faut plus d’audace[139] aux esprits courageux[140] pour vous dire la vérité aujourd’hui[141] qu’il ne leur eût fallu si vous eussiez triomphé. C’est notre habitude à nous [démocrates] de braver les puissants, et cela ne nous coûte guère, quel qu’en soit le danger, mais devant un héros captif et un guerrier enchaîné[142] nous ne sommes pas braves. Sachez-nous donc quelque gré, vous qui comprenez ces choses, de ce que nous voulons nous défendre des séductions que votre caractère, votre intelligence et votre situation exercent sur nous et de ce que nous osons vous dire [la vérité, c’est] que jamais nous n’eussions reconnu[143] d’autre souverain que le peuple et que [la souveraineté de tous nous paraîtra toujours incompatible][144] avec celle d’un homme. Aucun miracle, aucune personnification du génie populaire dans un seul[145]. Mais vous savez cela : vous le saviez peut-être quand vous marchiez vers nous [et nous, s’il eût fallu que nous fussions conquis, nous eussions préféré, à toute autre, une conquête, qui eût ressemblé à une délivrance ; mais] ce que vous ne saviez pas, [c’est que les hommes longtemps trompés et opprimés ne s’éveillent pas dans un jour de confiance][146]. La pureté de vos intentions eût été fatalement méconnue et vous ne vous seriez pas assis au milieu de nous sans avoir à nous combattre et à nous réduire.

Telle est [l’inflexibilité des lois qui entraînent la France vers][147] son but que vous n’avez pas mission, vous homme d’élite, de nous arracher à la tyrannie[148]. Hélas ! vous devez souffrir de cette pensée, autant qu’on souffre de l’envisager et de la dire ; car vous méritiez de naître en des jours où vos rares qualités eussent pu faire votre gloire et notre bonheur. Mais il est une autre gloire que celle de l’épée, un autre ascendant que celui des faits[149]. Vous le savez[150] maintenant que le calme du malheur vous a rendu toute [votre sagesse, toute] votre grandeur naturelle, et vous aspirez, dit-on, à n’être qu’un citoyen français ; c’est un assez beau[151] rôle pour qui sait le comprendre ; vos préoccupations et vos écrits prouvent que nous am-ions en vous un grand citoyen, si les ressentiments de la lutte pouvaient s’éteindre et si le règne de la liberté revient[152] un jour guérir les ombrageuses défiances des hommes. Vous voyez comme les lois de la guerre sont encore farouches et implacables, vous qui les avez courageusement affrontées et qui les subissez plus courageusement encore. Elles paraissent odieuses[153] quand on voit[154] un homme tel que vous en être la victime. [Eh bien ! là est votre gloire nouvelle, là sera votre grandeur véritable.] Le nom terrible et magnifique que vous portez n’eût pas suffi pour nous vaincre[155]. Nous avons à la fois diminué et grandi depuis les jours d’ivresse sublime qu’il nous a donnés. Son règne illustre n’est plus de ce monde, et l’héritier de son nom [penché sur des livres, médite, attendri,] sur le sort des prolétaires. Oui, c’est là votre gloire[156], là est un aliment sain qui ne corrompra point la [sainte] jeunesse et la [haute] droiture de votre âme[157] comme l’eût fait, peut-être, l’exercice du pouvoir malgré vous[158]. Là serait le lien [de cœur] entre vous et les âmes républicaines que la France compte par millions [aujourd’hui]. Quant à moi[159] je ne connais pas le soupçon, et s’il dépendait de moi, après vous avoir lu, j’aurais foi en vos promesses et j’ouvrirais la prison pour vous faire sortir, la main pour vous recevoir. Mais hélas ! ne vous faites pas d’illusions ! Ils sont tous inquiets et sombres autour de moi, ceux qui aspirent à des jours meilleurs[160] ; vous ne les vaincrez que par les idées[161], par la vertu, par le sentiment démocratique, par la doctrine de l’égalité. Vous avez de tristes loisirs : mais vous savez en tirer parti. Parlez-nous donc [souvent de délivrance et d’affranchissement][162], noble captif ! Le peuple est comme vous dans les fers ; le Napoléon d’aujourd’hui est celui qui personnifie les douleurs du peuple, comme l’autre personnifiait [hier] sa gloire. Acceptez, prince, l’expression de mon sentiment respectueux.

George Sand.


Napoléon répondit à cette lettre par une lettre tout aussi sincère datée du 14 décembre, et une correspondance amicale s’ensuivit entre la recluse de Nohant et le prisonnier de Ham, une correspondance roulant surtout sur les questions de principes et sur celle qui était à l’ordre du jour, avant tout, la politique, comme on peut en juger par les trois lettres suivantes se rapportant à 1845 et parues dans le Figaro de 1897 ; nous les avons vérifiées sur les originaux.

Fort de Ham, 24 janvier 1845.
Madame,

Croyez que le plus beau titre que vous puissiez me donner est le titre d’ami, car il indique une intimité que je serai fier de voir régner entre nous. Si aux yeux du public je tiens à mon titre de prince, c’est que ce titre m’a toujours été disputé par les hommes et les gouvernements qui regardent la révolution française comme un accident et tout ce que le peuple a établi de 89 à 1815 illégitime. Tant que la France aura des princes, je ne déchirerai pas mon extrait de baptême ; mais je passerai avec plaisir l’éponge sur mon passé le jour où elle ne reconnaîtra que des citoyens.

Un mot de votre lettre, madame, me fait craindre que vous ayez mal compris le sentiment qui m’a inspiré en vous écrivant. Vous vous violentez doucement, dites-vous. Si je vous ai écrit avec entraînement, avec chaleur, ce n’était pas par calcul pour vous attirer à moi, mais par enthousiasme. J’ai exprimé sans réserve et sans arrière-pensée ma vive sympathie à la femme illustre par son génie et la noblesse de son cœur. Si je n’avais vu en elle qu’un chef de parti, je lui aurais écrit froidement, avec le style glacé de la politique. Si j’étais assez heureux pour pouvoir vous voir, je vous dirais tout ce que je pense, tout ce que je sens, et si vous n’approuviez pas toutes mes convictions, vous rendriez du moins justice à ma franchise. Je désire la liberté, le pouvoir même, mais je préférerais mourir en prison que de devoir mon élévation à un mensonge. Je ne suis pas républicain, parce que je crois la république impossible aujourd’hui en présence de l’Europe monarchique et de la division des partis. Mais je désire de tout mon cœur l’avènement d’un gouvernement quelconque qui s’efforce d’amener en France les institutions démocratiques, qui s’occupe du bien-être du plus grand nombre et qui fasse triompher la liberté, la vertu, la justice, Mais aussi tous les jours je perds un peu de mes espérances, car tous les jours la tête de la France s’aplatit, son ventre s’augmente et son cœur se resserre. Vous me permettrez de vous appeler toujours madame. Ce titre, en français, est tout à fait convenable, car il est tendre et respectueux à la fois. Il est très démocratique, puisqu’on le donne à tout le monde, et il est commun sans être vulgaire. C’est donc celui qu’il me convient le mieux d’employer en vous écrivant. Recevez, madame, la nouvelle assurance de ma respectueuse sympathie.


Fort de Ham, 2 avril 1840.
Madame,

Votre dernière lettre semblait me dire : « Je vous ai donné tout ce que je pouvais vous donner : ne me demandez plus rien, car j’ai mes pauvres. » Cependant je viens encore vous demander la charité, car je sais que vous possédez dans votre cœur des richesses inépuisables, capables de soulager toutes les misères. Que les hommes soient injustes à mou égard, impitoyables malgré ma position, il n’y a rien là qui m’étonne. Les hommes sont nés pour faire la guerre, et généralement la guerre n’est ni juste ni tendre. Mais vous, madame, qui avez les qualités de l’homme sans en avoir les défauts, vous ne pouvez pas être injuste à mon égard, me prêter des vices que je n’ai pas, lire mes écrits avec le sentiment d’un procureur général qui cherche à établir un procès de tendance. En un mot, vous ne pouvez pas me condamner, parce que vous avez vous-même inventé le délit et prononcé la peine. Depuis que vous avez lu mes écrits, vous ne croyez plus, dites-vous, à mon amour pour l’égalité. Je ne puis croire que sérieusement vous ayez pu découvrir dans ce que j’ai dit quelque chose qui soit opposé au principe général d’égalité. Que je n’entende pas sous ce nom la même chose que vous, c’est possible, car il n’y a pas deux personnes qui donnent la même signification à un principe, et ce qui fait même que ces grands mots d’égalité et de liberté réunissent tout le monde sous leur bannière, c’est que chacun les interprète à sa façon ; s’ils n’avaient qu’une signification étroite, ils ne rallieraient personne. Mais, différer dans l’interprétation, ce n’est pas méconnaître la sainteté de ce dogme. Au contraire. Si vous daignez être franche avec moi vous conviendrez que vous avez été enchantée de prendre ce prétexte pour me congédier. Quand vous étiez en province, seule avec vos pensées et vos propres impressions, ma parole vous a touchée ; vous avez jugé avec ce sentiment qui ne trompe jamais, que mes paroles respiraient l’amour du bien et partaient d’une conviction profonde ; alors, vous m’avez écrit, et cette preuve de sympathie de votre part restera éternellement gravée dans mon cœur. Mais vous êtes venue à Paris, et là vous avez trouvé des hommes qui se sont appliqués à retenir cette main que vous tendiez vers moi. Ils vous ont dit : « Nous sommes épars, divisés, nous sommes menacés par toutes les forces du pouvoir, par tout le froid des vieilles idées et des vieux intérêts, par la haine et la jalousie de toute l’Europe. Eh bien, le danger, l’ennemi n’est pas aux Tuileries, mais à Ham. Ce n’est pas contre un pouvoir allié des rois oppresseurs des peuples et disposant de toutes les ressources d’un grand empire que nous devons nous liguer, mais contre un de nos frères qui, prisonnier et abandonné de tous, n’a que son nom pour égide, sa conscience pour soutien. Et vous, malgré votre bon cœur, votre haute intelligence, vous avez suivi le torrent, et quoique entourée d’ennemis bien réels vous vous attaquez à un fantôme : et ce fantôme c’est moi ! Voilà ce qui m’afflige comme homme, ce que je regrette comme citoyen, car, croyez-le bien, l’union de tous les bleus sera à peine suffisante pour repousser le blanc-blanc et le blanc sale qui nous entourent. Mais cependant ce n’est pas de la politique que je viens faire avec vous aujourd’hui ; je veux absolument me justifier en vous accu gant de partialité. Je tiens beaucoup à l’estime des hommes ; mais je tiens particulièrement à la vôtre. Je veux que vous me jugiez tel que je suis et non tel qu’on me fait à vos yeux. Je veux enfin ne pas perdre la petite part de sympathie que vous m’avez donnée. J’y tiens, comme le prêtre tient à la lampe qui brûle devant l’autel, comme on tient à un talisman qui porte bonheur.

Recevez, madame, mes doléances avec bonté et croyez à mes sentiments respectueux.

20 juin 1845.
Madame,

Je me sers d’une occasion et d’un prétexte pour vous écrire. L’occasion c’est le retour à Paris de M. et Mme Cornu[163], deux de mes plus anciens amis qui veulent bien se charger de cette lettre pour vous ; le prétexte, c’est l’envoi d’un avant-propos, éclairer d’un ouvrage qui malheureusement n’est point destiné à exciter votre intérêt. Vous avez été si bonne pour moi qu’il était inutile d’avoir recours à un prétexte pour vous écrire. Cependant cela me met plus à mon aise et je crains moins d’être importun. Il y avait dans votre dernière lettre une phrase qui méritait de ma part tout un volume de remerciements, c’est celle où vous manifestez le regret de ne pouvoir venir me voir. J’ai été bien sensible à ce regret, car il indique un désir dont je suis fier. Mais puisque enfin je ne puis me rapprocher de vous, je suis très heureux que Mme Hortense Cornu veuille bien se charger de mes hommages pour vous ; car c’est la personne qui me connaît le mieux et qui, par conséquent, vous fera connaître le mieux mes défauts et mes qualités. Cependant je lui recommanderai bien de ne point trop appuyer sur les défauts. Les hommes comme les tableaux doivent être exposés sous leur bon et propre jour. Vous trouverez peut-être que ces paroles révèlent une certaine suffisance. N’y voyez, je vous prie, que le désir d’être apprécié par vous et de mériter votre approbation et les sympathies que vous m’offrez avec tant de grâce. Vous m’engagez à parler philosophie. Je ne suis pas fort sur cette théorie, peut-être par cela même que j’en fais tous les jours en action. Cependant il y a dans votre dernière lettre une expression si juste que je désire la relever pour l’expliquer dans un sens différent du vôtre. « J’invoque, dites-vous, la science des limites »… C’est que c’est, en effet, la véritable science pratique. Il est clair que je n’entends pas par ces paroles la science des bornes, cette science-là est si bien pratiquée aujourd’hui qu’on ne saurait faire mieux ; mais j’entends par science des limites cet art qui consiste à se frayer un chemin au milieu de l’espace, à définir ce qui jusqu’ici était indéfini, à marquer ce passage étroit qui sépare le sublime du ridicule, à donner, en un mot, un corps, une âme, à qui était sans force et sans vie. Enfin j’appelle science des limites non cette science du dieu Terme qui, dans un esprit mesquin de défense, nous apprend à s’entourer de fossés ; mais cette science du berger qui protège, nourrit son troupeau, fertilise la terre qu’il habite, puis ensuite, dès que sa mission est remplie en un lieu, va plus loin, poussant sans cesse la limite devant lui, et donne cet intéressant exemple de l’ordre dans la mobilité, de la stabilité dans le progrès, de la méthode et de l’utilité dans la conquête. Et dans le monde moral comme dans le monde politique, savoir le point où finit la liberté et où commence la licence, où finit le pouvoir et où commence l’arbitraire ; ou bien apprendre où le courage se change en témérité, la tendresse en faiblesse et l’amour du bien en folie, c’est sans aucun doute faire le cours le plus complet de philosophie. La science des limites est donc la véritable science du genre humain. Et à ce propos je m’aperçois que mon papier comme votre patience ont une limite que je ne veux outrepasser. Je me borne donc à vous renouveler, madame, l’assurance de mes sentiments de respectueuse sympathie.

Napoléon.

Il est difficile de décider aujourd’hui si les amis de George Sand, à l’influence hostile desquels Napoléon faisait allusion, avaient vraiment raison de se défier de lui, ou si c’est elle qui avait raison de prendre pour de l’or pur ses protestations d’amour pour le peuple et ses rêves de bonheur « pour la majorité ». D’un côté le coup d’État et le « régime napoléonien » qui en fut la suite semblent être une négation catégorique de la sincérité des doctrines philantropiques et populaires du prisonnier de Ham. De l’autre, si l’on jugeait la sincérité, les bonnes intentions de tous les héritiers présomptifs d’après les événements et les tendances ultérieures de leurs règnes, il faudrait alors nier, presque sans exception, toute tendance idéale, toute bonne aspiration chez les hommes qui appartiennent à l’histoire. Ce serait pourtant commettre une erreur de jugement historique que de juger le commencement du règne de Catherine II ou d’Alexandre Ier surtout leurs vraies aspirations, d’après les événements et les favoris de la dernière heure. Il serait tout aussi injuste de soupçonner la sincérité des doctrines tant soit peu utopiques, mais vraiment humanitaires et démocratiques de l’auteur de l’Extinction du paupérisme, en tirant des « attendu que » des actes de MM. de Persigny, de Morny, Rouher et compagnie. Les amis républicains de George Sand commirent cette injustice-là. George Sand, dès le début, disait la vérité sans ambages à son correspondant titré, elle critiquait ses théories, mais elle ne soupçonna point sa franchise, et crut qu’il partageait les convictions de ses amis républicains, c’est-à-dire le bonheur des masses, la promulgation du principe oublié de la grande Révolution : la volonté du peuple exprimée par le suffrage universel.

Nous avons vu que George Sand se détacha des hommes de 1848 lorsqu’elle s’aperçut que la forme l’emportait chez eux sur le fond, l’amour du régime parlementaire sur l’amour du peuple, et que les soucis des intérêts de parti ou même de ceux d’un petit groupe prévalaient sur le vrai souci du bien, du bonheur et des droits des masses populaires. En politique elle poursuivait avant toute chose ce qu’elle considérait comme le vrai régime démocratique : le droit de chaque citoyen de dire son opinion, de choisir ses représentants — c’est-à-dire ce même suffrage universel que nous venons de nommer.

Et voici que le jour où les citoyens français, pour la première fois, firent usage de ce droit — il se trouva que la vox populi prononça le nom de celui avec qui George Sand discutait amicalement tant, qu’il était le prisonnier de Louis-Philippe, et qui apparaissait à la grande masse du peuple français comme un sauveur au milieu de la guerre des partis qui déchiraient la France. Les amis républicains de George Sand en furent exaspérés. Elle leur répondit par les lignes suivantes dans un article intitulé Sur le général Cavaignac, paru dans la Réforme du 22 août 1848. Nous avons reconnu que cet article était le même que celui qui fut imprimé en une plaquette intitulée le Peuple et le président et ensuite sous le titre de À propos de l’élection de Louis-Napoléon à la président de la République dans le volume des Questions politiques et sociales.

Qu’est-ce que prouve cette énorme majorité de suffrages en faveur de celui de tous les partis qui représente le moins la République ? Au premier abord, la réponse semble devoir être celle-ci : la majorité des Français n’est pas républicaine ; et sans aucun doute le parti de la réaction va se prévaloir de cette considération. Eh bien, la réaction se trompera quant au fond de la question : le peuple est républicain quand même ; et il ne sera pas si facile qu’on le pense de lui enlever sa souveraineté. Le peuple n’est pas politique, voilà ce qu’il faut reconnaître, et ce dont il ne faut point s’étonner…

Le peuple tend au socialisme, dont le point de départ est le sentiment de son droit et de ses besoins. Il y a longtemps que nous sommes d’accord sur le point que le socialisme ne peut se passer de la politique et que la politique ne peut se passer du socialisme. Penser autrement, c’est vouloir séparer le corps et l’âme, la volonté et l’action. Pour avoir été politique et non socialiste, la République modérée est arrivée à mécontenter le peuple. Pour être socialiste et non politique, le peuple arrive à compromettre par un choix imprudent le principe même de sa souveraineté. Mais un peu de patience. Dans peu de temps, le peuple sera socialiste et politique, et il faudra bien que la République soit à son tour l’un et l’autre. Je m’inquiète peu du personnel des gouvernements, ou du moins je m’en inquiète beaucoup moins que du grand symptôme de l’opinion populaire. Les hommes montent au pouvoir et tombent aussitôt… Ce sont là des vicissitudes secondaires dans l’histoire d’une démocratie. L’histoire désormais changera de caractère. Ce ne sera plus seulement le récit des faits et gestes de certains hommes ; ce sera principalement l’étude des aspirations, des impressions et des manifestations des masses. Ce qui vient de se passer est un grand fait, un grand enseignement…

George Sand croit que le général Cavaignac — un honnête homme et qui ne fut qu’une arme dont s’était servie « l’Assemblée sans cœur » et la bourgeoisie — eut à expier cette faute involontaire, et que le peuple élut Louis-Napoléon « en haine de Cavaignac », comme les prolétaires-socialistes le déclarèrent à Ledru-Rollin dans les grands centres.

Dans les campagnes, la grande masse des prolétaires agricoles a fait de même sans bien s’en rendre compte. Elle s’est vengée d’une république bourgeoise qui l’a leurrée de belles promesses, et qui n’a trouvé pour planche de salut que l’impôt sur le pauvre…

En repoussant le favori de l’Assemblée, le peuple protestait non contre la République dont il a besoin, mais contre celle que l’Assemblée lui a faite. Croyez bien que c’est là le grand ascendant de Louis Bonaparte, c’est de n’avoir encore rien fait sous la république bourgeoise. Le prestige du nom est quelque chose ; mais le paysan est toujours positif, même lorsqu’il est romanesque. Que l’élu de son choix le frappe d’un nouvel impôt, vous verrez à quoi lui servira son nom. Quant à nous, il nous faut examiner sérieusement cet acte imprévu de souveraineté populaire, et ne pas nous laisser surprendre par le dégoût et le découragement… Nous avons maintenant peu de politique à faire, puisque le souverain veut agir tout seul. Mais nous lui devons la propagande des idées, afin qu’il sache peu à peu les moyens de réaliser ce qu’il veut. Quant à moi, je ne sens aucun dépit contre le peuple, lors même qu’en apparence il apporte à cette révolution une solution passagère, tout opposée à mes vœux. De tous les hommes de tous les partis politiques que j’ai vus passer depuis quarante ans, je n’ai pu m’attacher exclusivement à aucun, je le confesse. Il y avait toujours en dehors de tous ces hommes et de tous ces partis un être abstrait et collectif, le peuple, à qui seul je pouvais me dévouer sans réserve. Eh bien, que celui-là fasse des sottises ; je ferai pour lui dans mon cœur ce que les hommes politiques font dans leurs actes pour leur parti : j’endosserai les sottises et j’accepterai les fautes…

Les événements de 1848-51 et le triste rôle qu’y joua « l’élu du peuple » sont trop connus pour que nous y revenions ici. Nous ne nous arrêterons donc que sur l’impression et l’influence active qu’ils eurent sur George Sand. Désillusionnée de la République et ne croyant plus à l’avènement de l’âge d’or, au triomphe du droit qui cédait la place à la force, morne, abattue, désenchantée de ses amis des dernières années, George Sand voulut oublier la « brutale réalité » en s’abandonnant à l’art, en s’y plongeant. Mais nous savons que ce ne fut nullement en écrivant les romans champêtres. Non, ce fut vers une autre muse, ce fut vers Melpomène qu’elle se tourna en ce moment, et celle-ci la couronne de nouveaux lauriers, pour sa comédie tirée de François le Champi (représenté à l’Odéon le 2 novembre 1849). Le succès de cette pièce encouragea donc George Sand à se tourner, une fois encore, vers cette branche de l’art qu’elle avait à peu près abandonnée — (le Roi attend, prologue d’occasion ne compte pas !) — depuis le jour où son premier drame, Cosima, fut presque sifflé en 1840. Nous voyons, en 1851, successivement apparaître aux théâtres de la Porte Saint-Martin, de la Gaieté et du Gymnase les pièces : Claudie, Molière et le Mariage de Victorine. C’est justement pour assister aux répétitions de cette dernière — elle fut jouée le 26 novembre 1851 — que Mme Sand arriva à Paris au mois de novembre de cette année, et elle fut si préoccupée par la mise en scène, la distribution des rôles et les répétitions que le coup d’État fut un coup de foudre pour elle.

Il est resté parmi les papiers de George Sand une mince enveloppe contenant quelques petites feuilles et portant les mots : Journal de 1851[164]. George Sand y avait noté ses impressions du 26 novembre au 13 décembre. On peut d’après certains indices conclure que tout ce qui se trouve écrit sous les dates de « mercredi, 26 novembre », « jeudi 27 », « vendredi 28 », jusqu’à la « nuit du 3 au 4 décembre », fut écrit après coup, justement dans cette nuit du 3 au 4 décembre, c’est-à-dire que tout ce que George Sand écrit sur les derniers jours avant l’événement, elle l’écrivit au lendemain. Il est donc certain que le 2 décembre projeta une certaine lueur sur les jours déjà écoulés et que certains détails y sont annotés et comme soulignés, qui n’auraient pas été remarqués, si le journal avait réellement été écrit au jour le jour.

Certaines données, aussi, font présumer que c’est avec intention que George Sand nota sa maladie et les noms des personnes qu’elle avait fréquentées peu avant le 2 décembre, et dont plusieurs — comme Mme Clotilde Villetard, Mme Rozanne de Curton[165] et le comte d’Orsay — l’aidèrent bientôt de leurs relations, ou grâce auxquelles (c’est le cas de Mme Curton) elle avait déjà depuis longtemps fait la connaissance d’un personnage aussi omnipotent que l’était à ce moment M. de Persigny. Par des lignes de ce genre — qui ont tout l’air d’être insignifiantes — George Sand semble dire aux uns : « Voilà mes relations ; donc je fus toujours en bons rapports avec les personnes appartenant à l’Élysée ! » et aux autres : « Si je me suis adressée plus tard pour mes amis républicains à ces personnes, c’est que déjà avant le triomphe de leur parti elles avaient simplement été mes bons amis… » Ces considérations, et plusieurs autres indices, nous font croire à une certaine préméditation. Mais, quoi qu’il en soit, ce journal est extrêmement intéressant, car on y voit reflétés fidèlement tous les états d’âme de George Sand pendant ces vingt jours : d’abord insouciance complète, puis stupéfaction, puis vague inquiétude, puis chagrin, désespoir, et enfin morne abattement.

Les lecteurs de la Revue de Paris ont lu les pages qui se rapportent au Ier décembre et aux jours suivants[166] ; les lecteurs du volume des Souvenirs et idées, où ce journal fut réimprimé, ont pu lire, aussi, les extraits des pages se rapportant aux jours précédents ; mais comme ce journal y est publié avec des lacunes et force inexactitudes, nous nous permettons de donner ici la reproduction exacte de ses premières pages, telles que nous les avons publiées, peu avant le centenaire de George Sand, dans la revue russe Messager de l’Europe, lors de l’impression dans cette revue d’une partie du présent chapitre. Les lecteurs français nous en sauront quelque gré tout en relisant ce qu’ils connaissent déjà, car ils y trouveront aussi de l’inédit, et il est très important pour nous de souligner et d’annoter quelques noms et détails complaisamment offerts par George Sand elle-même à l’attention de ses biographes à venir.

Journal de 1851
Novembre 1851.
Mercredi 26.

Première représentation de Victorine. Succès. J’ai été fort calme et indifférente sans me rendre bien compte du pourquoi. J’ai vu la pièce, de la petite loge de l’acteur-régisseur Monvel, sur le théâtre, derrière le manteau d’Arlequin. Je me suis bien rendu compte de mon impression. J’ai persisté à préférer le premier et le troisième acte au second. Le public a, dit-on, préféré le deuxième aux deux autres. N’importe. Après la pièce, j’ai été dans la loge de Rose Chéri[167] ; sa mère, sa sœur, son mari y sont venus. Anna pleurait et s’est mise à genoux pour m’embrasser. C’est une fille laide, fort agréable, qu’on dit très bonne et qui parait adorer Rose. Elle est très expansive et ne manque pas de talent dans les travestis. Puis sont venus dans la même loge ma fille[168], Clésinger, le comte d’Orsay[169], Bourdet et sa femme, Mlle Fernand[170] avec sa tante, Mme Albert[171] et son mari Bignon, Mme Allan et plusieurs autres acteurs et actrices que je ne connais pas et qui m’ont fait grand’fête. J’ai vu aussi Geoffroy des Français, qui m’a dit beaucoup d’amitiés.

Je suis revenue souper avec ma fille, son mari, M. d’Orsay et Manceau[172] chez Pinson. J’ai pris du café, j’ai mal dormi.

Jeudi 27, — J’ai fait des emplettes, j’ai été voir Nini. J’ai vu la seconde représentation de Victorine dans une baignoire de face avec Solange. J’ai bien vu et entendu le premier acte, mais pas les deux autres, j’avais trop mal au foie. J’ai un peu sommeillé. Ponsard est venu me voir avec Hetzel ; j’étais si malade dans ce moment-là que je ne sais ce qu’ils m’ont dit.

Vendredi 28. — Après une très mauvaise nuit, je me suis sentie bien. J’ai été voir Solange et ensuite le comte d’Orsay avec qui j’ai parlé d’elle et de son mari. Le soir, dîné chez Pauline. De là j’ai été au Gymnase. La recette était belle et le succès complet.

Samedi 29. — Je ne me souviens plus de ce que j’ai fait dans la journée. Le soir j’ai été voir Mignon aux Variétés, et Hortense de Cerny au Vaudeille.

Dimanche 30[173]. — J’ai été voir Clotilde[174], Mme Bourgoing et je ne sais plus qui. Le soir, j’ai joué aux dominos, au coin de mon feu, avec Manceau.

Lundi Ier décembre. — J’ai fait des emplettes avec Manceau[175]. J’ai été voir M. Sheppard. Cet excellent homme meurt simplement et gravement dans son fauteuil…

(Nous ne citons pas plus loin ce passage sur la sérénité du moribond et nous reprenons la citation au moment où Mme Sand continue le récit de sa journée.)

Je ne sais plus ce que j’ai fait, ce que j’ai vu. J’ai déjeuné avec Bignat[176] qui m’a dit : « Si le président ne fait pas bien-vite un coup d’État, il n’entend pas sou affaire, car pour le moment rien ne serait si facile. » J’ai été voir Delacroix. Le soir j’ai été au cirque voir les Quatre parties du monde, avec Solange et Manceau. Je n’ai jamais rien vu de plus long, de plus bête, de plus ennuyeux[177]… J’ai reconduit ma fille chez elle, rue Verte, 26. En passant devant le palais de l’Élysée, elle me dit : « Tiens, c’est singulier, il ne reçoit donc pas ce soir ? Je croyais qu’il avait grand bal, car en passant à cinq heures pour aller dîner avec toi, j’ai vu dans la cour qu’on étendait des tapis sur les marches extérieures du perron. Est-ce que c’est cette semaine qu’on le proclame empereur ? »

Nous avons regardé la porte de la cour qui était fermée. Un seul factionnaire la gardait. Rien ne paraissait éclairé. Pas une voiture dans la rue. Un profond silence, la clarté terne des réverbères sur le pavé gras et glissant. Il était une heure du matin ; nous sommes revenus, Manceau et moi, par l’avenue Marbœuf, et nous avons passé derrière le jardin de l’Élysée. Même silence, même obscurité, même solitude. « Ce n’est pas encore pour demain », lui ai-je dit en riant, et comme j’étais fatiguée, j’ai dormi profondément toute la nuit.

Mardi 2 décembre. — À mon réveil, à dix heures, Manceau me dit : « Cavaignac et Lamoricière sont à Vincennes, l’Assemblée est dissoute, le suffrage universel est rétabli. » Cela ne me fit aucune impression, je n’y comprenais rien. Cela ressemblait à la suite des rêves baroques qu’on fait le matin et dont un vague souvenir vous reste au réveil. Je n’ai compris qu’en lisant la proclamation. J’ai vu Ab…, le papa d’Eugène à déjeuner. Il était fort agité, il pleurait. Et puis Rochery qui ne comprenait pas encore beaucoup plus que moi.

Après déjeuner j’ai été voir Lovely[178]. Elle était inquiète. Mme Carnot est venue lui dire de la part de son mari qu’elle eût à se rendre chez son beau-père avec sa fille.

On dit dans la journée que le général Bedeau avait été arrêté et presque tué par les sergents de ville…, etc., etc.[179].

…J’ai été prendre quelques effets chez ma couturière, et suis revenue chez moi. Puis j’ai été dîner à six heures chez Thomas. Après j’ai été au Gymnase. Il y avait du monde sur les boulevards ; partout ailleurs pas la moindre apparence d’agitation. Pas un cri, pas un rassemblement. On dit que le président s’est promené et le peuple aussi, qu’on a crié : « Vive la république » et que la troupe n’a rien crié. Il sera difficile d’écrire l’histoire de ce jour, puisque aucun fait n’a pu être soumis au contrôle des divers journaux et qu’aucun n’a été libre de dire ce qui se sait et ce qu’on en pense.

Au Gymnase, j’ai trouvé trois cents personnes dans la salle ; Rose consternée et pleurant le succès de la pièce qui est déjà fini et oublié dans la bagarre. Je suis restée avec elle pendant qu’elle s’habillait pour jouer Victorine devant les banquettes. J’ai ensuite causé avec son mari, pendant presque tout le premier acte, dans sa loge…

Nous renvoyons le lecteur au volume des Souvenirs et idées pour lire, dans les pages qui suivent, le résumé de la causerie entre Mme Sand et Montigny, car on y verra quel chemin avait fait Mme Sand depuis les jours où elle « prêchait la république » à qui voulait ou ne voulait point l’entendre, jusqu’à ce soir où elle déclare « ne plus discuter, s’étant interdit la discussion et commandé l’attention et l’examen », car, dit-elle :

Il ne s’agit plus d’enseigner sans prévoir. Il faut connaître, il faut comprendre. Il faut voir le fait, étudier les hommes réels, et ne pas les gêner par la contradiction systématique. Autrement on les juge de travers et on parle à des abstractions. Je suis si maîtresse de moi, à présent, que rien ne m’indigne plus. Je regarde l’esprit de réaction comme l’aveugle fatalité qu’il faut vaincre par le temps et la patience. Ô hommes ! vous briserez mais vous ne convertirez pas, tant que la passion parlera sans écouter…

Un seul mot la frappe dans la bouche de Montigny, qui prédit le triomphe final de la rouge et adresse, en la personne, de Mme Sand, la supplique que voici aux républicains : Soyez cléments.

Puis Mme Sand continue à noter les impressions de cette soirée :

… La foule était assez compacte, quand j’ai remonté dans ma petite voiture de louage pour traverser le boulevard. Hors de là, rien. Paris un peu plus triste que de coutume, voilà tout.

J’ai passé le reste de la soirée au coin de mon feu et lu jusqu’à deux heures du matin l’Histoire d’Italie par Quinet. C’est beau. Mais qu’on Ut mal quand on a toujours l’oreille tendue aux bruits étrangers et sinistres de la nuit ; rien ! un silence de mort, d’imbécilité ou de terreur. Tu ne bouges pas, vieux Jacques, tu as bien raison, ton heure n’est pas venue. Te voilà bien bas, aussi bas que possible, c’est le moment de songer à ton avenir, qui se résume dans cette parole : Sois clément.

Mercredi 3 décembre. — M’y voilà comme hier, à la même heure, dans la nuit du 3 au 4, seule au coin de mon feu, dans une chambre bien modeste, mais bien propre et assez chaude. Ah ! bien-être, que tu es nécessaire à l’homme et qu’il est amer de penser que la plupart des hommes mourront privés de tout ! En quoi ai-je mérité d’être tranquille dans ce coin avec les pieds chauds ? Est-ce parce que j’ai beaucoup travaillé ? Et tous ceux qui travaillent dans le froid, dans la misère, dans les larmes, en quoi ont-ils mérité leurs souffrances ?

Quelle interminable journée ! J’ai été déjeuner comme à l’ordinaire chez Thomas…

Nous ne suivons pas plus loin Mme Sand dans le récit des journées de décembre. Notre but a été de faire voir comment et quand ce journal fut écrit et de noter certains faits et noms.

L’orage qui grondait en France avait, entre temps, foudroyé la plupart des amis parisiens et berrichons de George Sand. Il ne se passait presque pas de jour qu’elle n’apprît l’arrestation, la violation de domicile, la déportation ou l’internement dans les casemates de tel ou tel de ses amis ou connaissances. Des avocats, des notaires, des médecins et des typographes, d’humbles vignerons et des fermiers, des artisans et des députés, des philosophes et des travailleurs sachant à peine lire, et jusqu’à des curés expiaient d’une manière ou d’une autre leur adhésion au parti vaincu. La panique et l’abattement régnaient presque dans toutes les familles amies de George Sand. Le curé Liotard, Fleury et Patureau-Francœur se cachaient ; Lebert, Luc Desages et Pauline Roland étaient condamnés à être internés en Afrique ou à Cayenne ; Aucante, Ernest Périgois, Fulbert Martin, Alexandre Lambert et Lumet étaient en prison ; Charles Leroux et Greppo étaient menacés de déportation ; Dufraisse, Borie, Hetzel, Pierre Leroux, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Müller étaient ou s’étaient exilés en Angleterre ou en Belgique. Des bruits commencèrent à circuler que George Sand elle-même était menacée de prison, d’exil, voire même de peine de mort, pour sa participation aux événements de 1848 et pour ses relations avec les radicaux. Le 13 et le 14 janvier elle écrivit à ce propos à ses cousins de Villeneuve — qui avaient eu des craintes en 1848 et s’étaient adressés à elle, la croyant alors au faîte du pouvoir, et auxquels elle demandait maintenant si ce n’est protection, — du moins conseil, — Mme Apolline de Villeneuve qui avait tenu sur les font ? de baptême le héros du jour étant à même de lui en donner un bon, — car maintenant c’était George Sand elle-même qui croyait à la possibilité d’un voyage à Lambessa en compagnie de ses émules ; elle voulait donc être fixée sur son sort et priait sa cousine de lui procurer un passeport pour aller à Paris.

…Je puis être emmenée et transportée. Je ne veux pas fuir, pour ne pas éveiller de soupçons injustes. Depuis trois ans, je puis jurer devant Dieu que, sans perdre mon utopie qui, vous le savez, est chrétienne et douce comme mes instincts, je n’ai pas remué un doigt contre la société officielle. J’ai passé tout mon temps à faire de l’art, et à ramener à la raison, à la patience, à la douceur les esprits exaltés que je venais à rencontrer. Ceux que j’ai convertis, on les frappe, on les tue, et moi-même, que bien des gens traitaient de modérée et d’aristocrate, on me menace aussi et on me serre de près. Je ne me plains de rien ; je suis triste, mais non en colère : tout cela est pour moi la volonté de Dieu, et j’accepte toutes les conséquences du courage que j’ai montré…

Elle écrit encore aux mêmes correspondants :

Je n’ai pas eu de relations avec le prince depuis qu’il s’est échappé de Ham. Il n’avait plus besoin de mes lettres pour le distraire et le consoler. Plus il a été riche et puissant personnage, plus je me suis éloignée ; mais je ne l’ai ni attaqué ni diffamé. Sollicitée de publier ses lettres qui auraient prouvé un certain changement de conduite envers les personnes, je les ai brûlées[180]. Je ne veux ni protections, ni places pour les miens, et mon fils, qui n’a rien voulu de la république, ne désire qu’une chose aujourd’hui, c’est qu’on lui laisse sa mère.

J’ai donc écrit au prince pour lui demander une audience dans laquelle je lui exposerai ma conduite et lui demanderai franchement s’il veut m’exiler. Si c’est la transportation, c’est la mort. Je suis dangereusement malade du foie et je ne passerai pas la mer… Si je suis condamnée à mort, moi, l’être le plus inoffensif de la terre, en pensées, paroles et actions, moi, qui n’ai jamais fait la guerre qu’à des idées, moi qui ai rendu tous les services possibles à mes adversaires politiques, je me résignerai et j’enseignerai à mes enfants le courage…

George Sand put bientôt se convaincre qu’elle n’avait rien à craindre pour elle-même, mais elle était entourée de tant de malheurs, elle voyait et elle entendait parler de tant de misères, d’injustices, de poursuites et de cruautés, qu’elle ne pouvait se contenter de sa propre sécurité et rester tranquillement à Nohant. S’étant donc munie d’un permis officiel, elle se rendit elle-même à Paris vers le 22 janvier. Nous soulignons cette date, parce que dans la Correspondance on avait daté de « janvier » et de « Paris » des lettres écrites soit de Nohant au commencement de janvier, soit de Paris en février. Grâce à cette confusion de dates et ces « Paris » mis par erreur en tête des lettres dans la Correspondance, nous lisons tout à coup, après une lettre datée de « Paris » et du « 20 janvier », la lettre à Duvernet datée de « Nohant, 22 janvier », et annonçant à son ami qu’elle « va partir pour Paris » ! C’est effectivement le 22 janvier qu’elle se rendit dans la capitale, comme le prouvent les documents inédits suivants, retrouvés par nous dans les papiers de George Sand, au milieu d’un grand nombre de lettres, de demandes, de réponses officielles, de billets, de petits mémoires se rapportant à 1852 et aux démarches de George Sand en faveur des victimes du coup d’État :


Paris, 15 janvier 52.
Madame,

M. le comte de Morny, ministre de l’Intérieur, m’a chargé de vous faire savoir que rien ne s’oppose à ce que vous veniez à Paris pour y soigner vos affaires d’intérêt.

Je m’empresse de porter cette décision à votre connaissance et je me félicite de l’occasion qui se présente pour vous faire agréer mes hommages empressés.

P. Carlier[181].
ancien préfet de Police.
Mme George Sand.
Cabinet
du

préfet de police

Paris, 21 janvier 1862.
Madame[182],

J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint un permis de circuler destiné à remplacer le passe-port que vous avez demandé et qui ne peut être délivré à cause de certaines formalités que l’absence de Mme Sand ne permet pas de remplir. Veuillez, etc…

le secrétaire particulier,
G. Faujoux.


Cabinet
du

préfet de police

Paris, le 21 janvier 1852.

Laissez circuler librement de La Châtre à Paris Mme Sand.

le préfet de Police,
Al. Maupas.

Il n’est que trop évident que le 21 janvier George Sand n’était pas encore à Paris et les lignes de sa lettre à Duvernet, datée du 22 janvier de Nohant, deviennent parfaitement claires :


Cher ami,

Je vais à Paris après m’être assurée des intentions qu’on pouvait avoir à mon égard. Elles sont rassurantes, on m’a même expédié un laissez-passer signé Maupas. Je ne veux pas écrire le principal but de mon voyage ; je te le dirai si je te vois auparavant ou au retour. Mais tu peux le deviner. Si je ne réussis pas, je n’aurai du moins rien empiré, et j’aurai fait mon devoir à mes risques et périls[183]

La suite de cette lettre est consacrée à des détails relatifs au payement d’une somme de mille francs empruntée par Mme Sand au beau-père de Duvernet[184], et elle explique ce qu’il faut faire pour satisfaire ce dernier au cas où elle serait exilée ou devrait rester trop longtemps à Paris pour ses démarches. Or, il résulte de l’examen des papiers de George Sand que cette somme fut empruntée surtout pour pouvoir venir en aide aux proscrits politiques, et avant tout à Fleury et à sa famille. Et ce voyage, dont Duvernet devait deviner « le but principal », avait pour objectif non seulement le désir d’éclaircir si, pour ses relations avec les radicaux, Mme Sand avait quelque chose à craindre personnellement, comme elle le disait à M. de Villeneuve, mais encore et surtout celui d’essayer de voir son ex-correspondant de Ham et de tâcher, sinon de l’arrêter sur la pente où le poussaient les aventuriers du genre d’« Eugène Rougon », empressés à pêcher en eau trouble et à parvenir, du moins d’arrêter les « vengeances personnelles ».

…Je ne savais trop dans quelles dispositions je trouverais le prince, — écrit-elle encore à M. de Villeneuve le 31 janvier. — J’avais pris le parti de lui écrire tout droit avec franchise. Il m’a répondu de sa main par la petite poste, et hier j’ai été le voir. Il m’a pris les deux mains et a écouté avec beaucoup d’émotion et de sympathie tout ce que je lui ai dit des vengeances personnelles auxquelles la politique servait de prétexte, dans ma province. Il m’a prié de lui demander, pour mes amis, victimes de ces injustices, tout ce que je voudrais, et m’a témoigné la plus grande estime pour mon caractère, bien que je lui aie dit que j’étais aussi républicaine qu’il m’avait connue et que je ne changerai jamais. Je n’ai pas voulu l’importuner de détails ; je lui ai tout bonnement plaidé l’amnistie. Après quoi j’ai été trouver le ministre de l’Intérieur que f avais reçu autrefois chez moi, lorsqu’il conspirait contre le prince. J’ai été accueillie de même, et j’ai obtenu l’élargissement de plusieurs de mes amis en attendant mieux. Vous voyez que je n’étais ni folle, ni coupable de vouloir me préserver pour sauver les autres et qu’il n’est pas nécessaire de commettre la lâcheté de renier ses opinions pour être estimée des gens d’esprit.

Le ministre m’a dit que mon préfet était une bête et un animal d’avoir fait telle et telle chose…

Voici cette réponse de Napoléon, « envoyée par la petite poste », que nous avons eu la chance de retrouver dans les papiers de George Sand, Elle est écrite sur papier simple, à tranche dorée, et porte la date du 22 janvier 1851 {sic.’) ce qui est certainement une erreur de l’auguste correspondant :


À George Sand.
Élysée national, le 22 janvier 1851 (1852).
Madame,

Je serai charmé de vous recevoir tel jour de la semaine prochaine qu’il vous plaira de fixer, vers trois heures.

Recevez, madame, l’assurance de mes sentiments distingués,

Louis-Napoléon B.

En se rendant à cette première entrevue avec le prince, dans la crainte que, faute de temps et empêchée par l’émotion, elle ne pût exprimer de vive voix tout ce qu’elle croyait nécessaire, Mme Sand avait préparé une lettre afin de la remettre au prince, espérant par sa plume faire appel aux bons sentiments de celui qui lui avait paru d’abord être l’élu de la Providence et bientôt ne lui sembla qu’une victime des circonstances, mais non cette espèce de « traître » de mélodrame que les tribuns républicains, ses amis, se plaisaient à décrire. Cette lettre imprimée dans le volume III de la Correspondance y porte la date problématique du 20 janvier[185]. Il nous semble que c’est le 30 qu’on devrait lire, et le lecteur s’en convaincra bientôt lui-même.


Prince,

Je vous ai demandé une audience ; mais, absorbé comme vous l’êtes par de grands travaux et d’immenses intérêts, j’ai peu d’espoir d’être exaucée…

Je ne suis pas Mme de Staël. Je n’ai ni son génie ni l’orgueil qu’elle mit à lutter contre la double face du génie et de la puissance. Mon âme, plus brisée ou plus craintive, vient à vous sans ostentation et sans raideur, sans hostilité secrète ; car, s’il en était ainsi, je m’exilerais moi-même de votre présence et n’irais pas vous conjurer de m’entendre. Je viens pourtant faire auprès de vous une démarche bien hardie de ma part, mais je la fais avec un sentiment d’annihilation si complète, en ce qui me concerne, que, si vous n’en êtes pas touché, vous ne pourrez pas en être offensé. Vous m’avez connue fière de ma propre conscience, je n’ai jamais cru pouvoir l’être d’autre chose ; mais, ici, ma conscience m’ordonne de fléchir…

Prince, ma famille est dispersée et jetée à tous les vents du ciel. Les amis de mon enfance et de ma vieillesse, ceux qui furent mes frères et mes enfants d’adoption sont dans les cachots ou dans l’exil : votre rigueur s’est appesantie sur tous ceux qui prennent, qui acceptent ou qui subissent le titre de républicains socialistes.

Prince, vous connaissez trop mon respect des convenances humaines pour craindre que je me fasse ici, auprès de vous, l’avocat du socialisme tel qu’on l’interprète à certains points de vue. Je n’ai pas mission pour le défendre, et je méconnaîtrais la bienveillance que vous m’accordez, en m’écoutant, si je traitais à fond un sujet si étendu, où vous voyez certainement aussi clair que moi. Je vous ai toujours regardé comme un génie socialiste, et, le 2 décembre, après la stupeur d’un instant, en présence de ce dernier lambeau de société républicaine foulé aux pieds de la conquête, mon premier cri a été : « Barbes, voilà la souveraineté du but ! Je ne l’acceptais pas même dans ta bouche austère ; mais voilà que Dieu te donne raison et qu’il l’impose à la France, comme sa dernière chance de salut, au milieu de la corruption des esprits et de la confusion des idées. Je ne me sens pas la force de m’en faire l’apôtre ; mais, pénétrée d’une confiance religieuse, je croirais faire un crime en jetant dans cette vaste acclamation un cri de reproche contre le ciel, contre la nation, contre l’homme que Dieu suscite et que le peuple accepte. » Eh bien. Prince, ce que je disais dans mon cœur, ce que je disais et écrivais à tous les miens, il vous importe peu de le savoir sans doute…

Au milieu de l’oubli où j’ai cru convenable pour vous de laisser tomber vos souvenirs, peut-être surnage-t-il un débris que je puis invoquer encore : l’estime que vous accordiez à mon caractère et que je me flatte d’avoir justifié depuis par ma réserve et mon silence. Si vous n’acceptez pas en moi ce qu’on appelle mes opinions, du moins, je suis certaine que vous ne regrettez pas d’avoir cru à la droiture, au désintéressement de mon cœur. Eh bien, j’invoque cette confiance qui m’a été douce, qui vous l’a été aussi dans vos heures de rêveries solitaires ; car on est heureux de croire, et peut-être regrettez-vous aujourd’hui votre prison de Ham, où vous n’étiez pas à même de connaître les hommes tels qu’ils sont. J’ose donc vous dire : Croyez-moi, Prince, ôtez-moi votre indulgence si vous voulez, mais croyez-moi, votre main armée, après avoir brisé les résistances ouvertes, frappe en ce moment, par une foule d’arrestations préventives, sur des résistances intérieures inoffensives, qui n’attendaient qu’un jour de calme ou de liberté pour se laisser vaincre moralement. Et croyez, prince, que ceux qui sont assez honnêtes, assez purs pour dire : « Qu’importe que le bien arrive par celui que nous ne voulions pas ? pourvu qu’il arrive, béni soit-il ! » c’est la portion la plus saine et la plus morale des partis vaincus ; c’est peut-être l’appui le plus ferme que vous puissiez vouloir pour votre œuvre future. Combien y a-t-il d’hommes capables d’aimer le bien pour lui-même, et heureux de lui sacrifier leur personnalité si elle fait obstacle apparent ? Eh bien, ce sont ceux-là qu’on inquiète et qu’on emprisonne sous l’accusation flétrissante — ce sont les propres termes des mandats d’arrêt — « d’avoir poussé leurs concitoyens à commettre des crimes ». Les uns furent étourdis, stupéfaits de cette accusation inouïe ; les autres vont se livrer d’eux-mêmes, demandant à être publiquement justifiés. Mais où la rigueur s’arrêtera-t-elle ? Tous les jours, dans les temps d’agitation et de colère, il se commet de fatales méprises ; je ne veux en citer aucune, me plaindre d’aucun fait particulier, encore moins faire des catégories d’innocents et de coupables ; je m’élève plus haut, et, subissant mes douleurs personnelles, je viens mettre à vos pieds toutes les douleurs que je sens vibrer dans mon cœur, et qui sont celles de tous. Et je vous dis : les prisons et l’exil vous rendraient des forces vitales pour la France ; vous le voulez, vous le voudrez bien certainement, mais vous ne le voulez pas tout de suite. Ici, une raison, toute de fait, une raison politique vous arrête : vous jugez que la terreur et le désespoir doivent planer quelque temps sur les vaincus, et vous laissez frapper en vous voilant la face. Prince, je ne me permettrai pas de discuter avec vous une question politique, ce serait ridicule de ma part ; mais, du fond de mon ignorance et de mon impuissance, je crie vers vous, le cœur saignant et les yeux pleins de larmes : « Assez, assez, vainqueur, épargne les forts comme les faibles, épargne les femmes qui pleurent connue les hommes qui ne pleurent pas ; sois doux et humain, puisque tu en as envie. Tant d’êtres innocents ou malheureux en ont besoin ! Ah ! prince, le mot « déportation », cette peine mystérieuse, cet exil éternel sous un ciel inconnu, elle n’est pas de votre invention ; si vous saviez comme elle consterne les plus calmes et les hommes les plus indifférents. La proscription hors du territoire n’amènera-t-elle pas peut-être une fureur contagieuse d’émigration et que vous serez forcé de réprimer ? Et la prison préventive, où l’on jette des malades, des moribonds, où les prisonniers sont entassés maintenant sur la paille, dans un air méphitique, et pourtant glacés de froid ? Et les inquiétudes des mères et des filles qui ne comprennent rien à la raison d’État, et la stupeur des ouvriers paisibles, des paysans, qui disent : « Est-ce qu’on met en prison des gens qui n’ont ni tué ni volé ? Nous irons donc tous ? Et cependant, nous étions bien contents quand nous avons voté pour lui. »

Ah ! prince, mon cher prince d’autrefois, écoutez l’homme qui est en vous, qui est vous et qui ne pourra jamais se réduire, pour gouverner, à l’état d’abstraction. La politique fait de grandes choses sans doute ; mais le cœur seul fait des miracles. Écoutez le vôtre qui saigne déjà…

Vous avez voulu résumer en vous la France, vous avez assumé ses destinées, et vous voilà responsable de son âme bien plus que de son corps devant Dieu. Vous l’avez pu, vous seul le pouvez ; il y a longtemps que je l’ai prévu, que j’en ai la certitude, et que je vous l’ai prédit à vous-même lorsque peu de gens y croyaient en France. Les hommes à qui je le disais alors répondaient :

— Tant pis pour nous ! Nous ne pourrons pas l’y aider, et, s’il fait le bien, nous n’aurons ni le plaisir ni l’honneur d’y contribuer. N’importe ! ajoutaient-ils, que le bien se fasse, et qu’après, l’homme soit glorifié !

Ceux qui me disaient cela, prince, ceux qui sont encore prêts à le dire, il en est qu’en votre nom, on traite aujourd’hui en ennemis et en suspects. Il en est d’autres moins résignés sans doute, moins désintéressés peut-être, il en est probablement d’aigris et d’irrités, qui, s’ils me voyaient en ce moment implorer grâce pour tous, me renieraient un peu durement Qu’importe à vous, qui, par la clémence, pouvez vous élever au-dessus de tout ! Qu’importe à moi qui veux bien, par le dévouement, m’humilier à la place de tous ! Ce serait de ceux-là que vous seriez le plus vengé si vous les forciez d’accepter la vie et la liberté, au lieu de leur permettre de se proclamer martyrs de la cause. Est-ce que ceux qui vont périr à Cayenne ou dans la traversée ne laisseront pas un nom dans l’histoire, à quelque point de vue qu’on les accepte ? Si, rappelés par vous par un acte non de pitié mais de volonté, ils devenaient inquiétants (ces trois ou quatre mille, dit-on) pour l’élu de cinq millions, qui blâmerait alors votre logique de les vouloir réduire à l’impuissance ? Au moins, dans cette heure de répit que vous auriez donnée à la souffrance, vous auriez appris à connaître les hommes qui aiment assez le peuple pour s’annihiler devant l’expression de sa confiance et de sa volonté.

Amnistie ! amnistie bientôt, mon prince ! Si vous ne m’écoutez pas, qu’importe pour moi que j’aie fait un suprême effort avant de mourir ? Mais il me semble que je n’aurai pas déplu à Dieu, que je n’aurai pas avili en moi la liberté humaine, et surtout que je n’aurai pas démérité de votre estime, à laquelle je tiens beaucoup plus qu’à des jours et à une fin tranquilles. Prince, j’aurais pu fuir à l’étranger, lorsqu’un mandat d’amener a été lancé contre moi, on peut toujours fuir ; j’aurais pu imprimer cette lettre en factum pour vous faire des ennemis, au cas où elle ne serait pas même Lue par vous. Mais, quoi qu’il en arrive, je ne le ferai pas. Il y a des choses sacrées pour moi, et, en vous demandant une entrevue, en allant vers vous avec espoir et confiance, j’ai dû, pour être loyale et satisfaite de moi-même, brûler mes vaisseaux derrière moi et me mettre entièrement à la merci de votre volonté.

George Sand.

L’entrevue avec Napoléon avait dû produire une impression favorable sur la grande romancière, elle crut à la sincérité de ses intentions, — à en juger par plusieurs lettres à ses amis dont nous donnons plus loin des fragments considérables, — et à partir de ce jour elle se mit bravement à intercéder en faveur des républicains poursuivis. Après cette première audience obtenue, elle fit une visite à de Persigny, — ce qui eut lieu probablement dans les derniers jours de janvier — le 30 ou le 31. Elle écrivit plusieurs fois soit directement à M. de Persigny, soit au chef de son cabinet, puis elle envoya plusieurs lettres à Napoléon lui demandant encore audience. Nous devons avouer que c’est avec une admiration vraie que nous avons lu et relu les pages de George Sand adressées au ministre, à son chef de cabinet, de nouveau à Napoléon, au prince Jérôme, et enfin celles où elle raconte à des amis ses entrevues et ses conversations avec tout ce monde. Sa manière d’être, ses paroles, ses lettres sont empreintes du désir d’être secourable à ses amis. Elle sait éloquemment toucher, implorer, et cela avec la sincérité et la franchise les plus parfaites, reconnaissant que ni elle ni ses amis ne renient leurs opinions, qu’elle demeure, comme eux, au fond hostile à Napoléon et à sa politique. Elle écrit à Duvernet :


Paris, 30 janvier 1852.

J’agis, je cours. Ça va bien. J’ai été reçue on ne peut mieux, et des poignées de main de cette dame en veux-tu en voilà ! Demain, je tâcherai de faire régler l’affaire. Le Gaulois[186] et autres de là-bas me désavouent, me défendent de les nommer. Sont-ils bêtes de craindre quelque bêtise de ma part ! Mais, fichtre, qu’ils parlent pour eux ! Il y en a bien d’autres qui ne seront pas fâchés de revenir coucher dans leur lit, ne fût-ce que le Vigneron…

Nous avons retrouvé dans les papiers de Mme Sand la très intéressante réponse du secrétaire de M. de Persigny[187], M. Cavet, écrite au nom du ministre.

Cabinet

DU MINISTRE DE l’iNTÉRIEUR.

— Paris, 1er février 1862.

Madame,

M. de Persigny, sensible à l’aimable et bonne lettre que vous voulez bien lui écrire en date du 31 décembre (sic !), me charge de vous remercier et d’avoir l’honneur de vous dire que votre maire sera accueilli comme il le mérite et que, quant aux recommandations que vous aviez faites précédemment en faveur de quelques détenus, les papiers se sont égarés, ce qui arrive quelquefois ici ; ayez donc la bonté d’écrire de nouveau, madame, et pour plus de sûreté, veuillez m’adresser la lettre.

Daignez agréer, madame, l’assurance de mon respect.

Cavet.

Il est très curieux de rapprocher cette lettre de M. Cavet avec une lettre[188], retrouvée dans le même paquet des papiers de George Sand et écrite par ce même « maire » — M. Aulard — auquel la précédente missive fait allusion. C’est à son nom encore (soit dit entre parenthèses) que Mme Sand avait prié la comtesse de Villeneuve de lui répondre au moment où elle lui demandait le laissez-passer pour aller à Paris :

Madame et bien chère bienfaitrice.

Je m’empresse de vous écrire à mon arrivée à Nohant pour vous faire part de mon entrevue avec M. le préfet. M. Cavet a parfaitement rempli son engagement en adressant à M. Berger les instructions concernant nos malheureux compatriotes.

J’ai la douleur de vous annoncer que M. le préfet engagé dans une voie funeste par les suggestions de quelques renégats, au nombre desquels on compte, m’a-t-on dit, M. Delauche-Péjuge ancien fondateur de l’Éclaireur, a cru devoir résister aux prescriptions qui lui ont été transmises et a fait parvenir au ministre de l’Intérieur un rapport rédigé, assure-t-on, dans des termes qui sont de nature à aggraver la position de nos amis, déjà tristes victimes d’un zèle mal entendu et outré.

M. le préfet, dont j’ai cru le cœur sympathique aux inspirations du mien et dont j’honorais les bienveillantes tendances, m’a fait éprouver le plus vif chagrin, en me disant : « M. Fleury s’est échappé, n’en parlons plus ; M. Périgois n’est qu’une canaille ; M. Aucante n’a que de sales antécédents ; etc., etc. C’est sans doute par suite de votre entrevue avec M. Cavet que j’ai reçu une lettre de lui », etc., etc.

La présence de M. Moreau, conseiller de préfecture, et d’une autre personne à moi inconnue, gênait mon franc-parler et je n’ai pu que dire :

— Monsieur le préfet, il n’y a de sales antécédents chez aucun de mes compatriotes en prévention et j’ignore complètement à quoi vous voulez en venir.

— Assez, assez, monsieur le maire, a-t-il répondu, je sais mon monde et je sais à quoi m’en tenir, je connais maintenant la place.

— Mais monsieur…

— Assez, vous dis-je, il n’y a rien à espérer de ces gens-là et vous ne m’en conterez point.

Désespéré et après avoir essuyé quelques lazzi à propos de notre église monumentale qui ne serait point élevée si nous avons eu le bonheur de posséder plus tôt M. Berger, j’ai dû prendre congé et je me suis retiré froid et silencieux.

Je ne crois point l’âme de il. Berger fermée aux émotions de la sensibilité ; je le crois honnête homme et il m’est pénible de le voir ne point résister aux influences d’hommes passionnés qui abusent de sa crédulité.

Il y a toujours de la noblesse à pardonner aux coupables, quand il y en a ; mais à Châteauroux cette noblesse est inconnue et on se plait à salir même l’innocence.

Dieu inspirera le cœur de M. le président, comme il inspire le vôtre, et vos nouvelles, je puis dire, pieuses solicitations, mettront à néant les efforts d’une coterie indigne d’avoir accès auprès du premier magistrat de la république.

Toujours prêt à vous seconder dans les actes de bonté et de justice dont vous savez si bien prendre l’initiative, permettez-moi, madame et chère bienfaitrice, de vous offrir l’hommage de votre vieil ami.

Aulard.

P.-S. — Un million d’amitiés à Manceau, Maurice, Lambert… Le personnel du château se porte à merveille et me charge d’être son interprète auprès de sa bonne maîtresse…

Nous voyons en outre par cette lettre que Maurice et Manceau avaient suivi George Sand à Paris ; et, effectivement, entre janvier et avril, nous n’avons pas une seule lettre de Mme Sand à son fils[189].

Peu après, George Sand adressa la lettre suivante à M. Maupaa, alors préfet de Police[190] :

Paris, le 1er février 1852.

Monsieur,

Ayez l’obligeance de vouloir bien rappeler à M. de Persigny que je lui ai demandé l’élargissement des personnes arrêtées ou poursuivies à La Châtre. Elles sont trois : M. Fleury, ex-représentant, absent ; M. Périgois et M. Émile Aucante, prisonniers. Je demande l’abandon de l’instruction commencée contre elles, et je la demande comme un acte de justice, puisque je puis répondre sur ma tête de ces trois personnes, comme n’ayant en rien justifié les soupçons formulés contre elles.

J’ai nommé aussi M. Lebert, notaire, compromis plus sérieusement et coupable, selon l’acte d’accusation, d’avoir rassemblé les habitants de sa commune avec l’intention de les insurger. Je puis encore répondre des intentions de M. Lebert, homme d’ordre, de science et de haute moralité. Il a eu la résolution d’empêcher des actes de violence et de protéger, par son influence et sa fermeté, la propriété et les personnes que menaçait l’insurrection annoncée des communes voisines. Si j’avais été à sa place, j’en eusse fait autant, et je suis très peu partisan des insurrections de paysans.

Voilà ce que j’ai demandé à M. le ministre, non comme une faveur du gouvernement que mes amis ne m’ont point autorisée à accepter, mais comme un acte de justice dont ma conscience peut attester la nécessité morale. Mais, pour moi, si je dois accepter cet acte de justice politique comme une faveur personnelle de M. de Persigny, oh ! je ne demande pas mieux, et c’est de tout mon cœur que je lui en serai personnellement reconnaissante, ainsi qu’à vous, monsieur, qui voudrez bien joindre votre voix à la mienne, j’en suis certaine.

Heureuse d’obtenir de sa confiance en ma parole l’élargissement de mes plus proches voisins, je n’ai pourtant pas renoncé à plaider auprès de lui la cause de mon département tout entier. C’est dans ce but que je me suis permis de l’importuner de ma parole, toujours très gauche et très embarrassée. Priez-le, monsieur, de se souvenir qu’au milieu de mon gâchis naturel, je lui ai posé une question à laquelle il a répondu en homme de cœur et d’intelligence : Poursuivez-vous la pensée ?Non, certes.

Eh bien, parmi les nombreux prisonniers qui sont détenus à Châteauroux et à Issoudun, plusieurs peut-être ont eu la pensée de prendre les armes pour défendre l’Assemblée. Je ne sais pas si elle en valait beaucoup la peine ; mais enfin c’était une conviction sincère de leur part, et, avant que la France se fût prononcée d’une manière imposante pour l’autorité absolue, le gouvernement pouvait considérer ceci comme une lutte ardente à soutenir, mais non comme un crime à châtier de sang-froid. La lutte a cessé ; le gouvernement, à mesure qu’il s’éclairera sur ce qui s’est passé en France depuis les journées de décembre, aura horreur des vengeances personnelles auxquelles la politique a servi de prétexte, et reconnaîtra qu’il est perdu dans l’opinion s’il ne les réprime. Il reconnaîtra aussi que, là où ces vengeances se sont exercées, elles ont eu un double but, celui de satisfaire de vieilles haines et celui de rendre impossible un gouvernement qu’elles trahissaient en feignant de le servir. Je ne nommerai jamais personne à M. de Persigny ; mais il s’éclairera et verra bien.

En attendant, M. le ministre m’a dit qu’il ne punissait pas la pensée, et je prends acte de cette bonne parole, qui m’a ôté tout le scrupule avec lequel je l’abordais. Je ne sais pas douter d’une bonne parole, et c’est dans cette confiance que je lui dis que personne n’est coupable dans le département de l’Indre. Initiée naturellement, par mes opinions et la confiance que l’on m’accorde, à toutes les démarches des républicains, je sais qu’on s’est réuni, en petit nombre, qu’on s’est consulté, qu’on a attendu les nouvelles de Paris, et qu’à celle de l’abstention volontaire du peuple, chacun s’est retiré chez soi en silence. Je sais que, partie de Paris au milieu du combat, je suis venue dire à mes amis : « Le peuple accepte, nous devons accepter ! »

Je ne m’attendais guère à les voir arrêtés par réflexion quinze jours après, et, parmi eux, ceux de La Châtre, qui n’avaient été à aucune réunion, attendant mon retour, peut-être, pour savoir la vérité.

S’il en était autrement, si ce que je dis là n’était pas vrai, je n’aurais pas quitté ma retraite, où personne ne m’inquiétait, et mon travail littéraire, qui me plaît et m’occupe beaucoup plus que la politique, pour venir faire à M. le président et à son ministre un conte perfide et lâche. Je me serais tenue en silence dans mon coin, me disant que la guerre est la guerre, et que qui va à la bataille doit accepter la mort ou la captivité. Mais, en présence d’injustices si criantes, ma conscience s’est révoltée, je me suis demandé s’il était honnête de se dire : « Tant mieux que la réaction soit odieuse, tant mieux que le gouvernement soit coupable ; on le haïra d’autant plus, on le renversera d’autant mieux ! » Non ! j’ai horreur de ce raisonnement, et s’il est politique, alors je n’entends rien à la politique et je ne suis pas née pour y jamais rien comprendre.

Non, il n’est pas possible de se réjouir de cela et d’y applaudir dans son coin. En souhaitant que nos adversaires politiques soient le moins coupables envers nous, je crois être plus républicaine, plus socialiste que jamais.

M. de Persigny chargé de la noble mission de réparer, de consoler, d’apaiser, et joyeux d’en être chargé, j’en suis certaine, appréciera mon sentiment et ne voudra pas que son nom, celui du prince auquel il a dévoué sa vie, soient le drapeau dont les légitimistes et les orléanistes (sans parler des ambitieux qui appartiennent à tous les pouvoirs) se servent pour effrayer les provinces, par l’insolent triomphe des plus mauvaises passions.

Voilà mon plaidoyer, monsieur ; je suis un avocat si peu exercé, et la crainte d’ennuyer et d’importuner est si grande chez moi, que je n’ose pas l’adresser à M. le ministre. Mais, comme c’est la première fois, la dernière fois, j’espère, que je vous importune, vous, monsieur, je vous demande en grâce de le résumer pour le lui présenter. Il sera plus clair et plus convaincant dans votre bouche.

Qui sait si je ne pourrai pas vous rendre un jour même service de cœur et de conviction.

Les destins et les flots sont changeants. J’ai passé bien des heures en mars et en avril 1848, dans le cabinet où M. de Persigny m’a fait l’honneur de me recevoir. J’y allais faire pour le parti qui nous a renversé ce que je fais aujourd’hui pour celui qui succombe. J’y ai plaidé et prié souvent, non pour faire ouvrir des prisons, elles étaient vides, mais pour conserver des positions acquises, pour modérer des oppositions obstinées mais inutiles, pour protéger des intérêts non menacés, mais effrayés.

J’y ai demandé et obtenu bien des aumônes pour des gens qui m’avaient calomniée et persécutée. Je ne suis pas dégoûtée de mon devoir, qui est, avant tout, je crois, de prier les forts pour les faibles, les vainqueurs pour les vaincus, quels qu’ils soient et dans quelque camp que je me trouve moi-même.

Agréez… etc., etc.


À S. A. le prince Napoléon (Jérôme)[191]. À Paris.
Paris, 2 février 1852.
Cher prince.

Le comte d’Orsay, qui est si bon, et qui cherche toujours ce qu’il peut annoncer d’agréable à ses amis, me dit aujourd’hui que vous avez de la sympathie, presque de l’amitié pour moi.

Rien ne peut me faire plus de bien ; outre que je venais de lui dire que j’avais pour vous, et tout à fait ces sentiments là, je sens en vous un appui sincère et dévoué pour ceux qui souffrent de l’affreuse interprétation donnée, par certains agents, aux intentions du pouvoir. J’espère que vous pourrez obtenir la réparation de bien des erreurs, de bien des injustices, et je sais que vous le voulez. Ah ! mon Dieu, comme il y a peu d’entrailles aujourd’hui ! Vous en avez, vous, et vous en donnerez à ceux qui en manquent.

Vous êtes venu aujourd’hui pendant que j’étais chez M. d’Orsay ; il m’a annoncé votre visite, je suis vite revenue chez moi, il était trop tard. Vous aviez fait espérer que vous reviendriez à six heures, mais vous n’avez pu revenir. J’en suis doublement désolée, et pour moi, et pour mes pauvres prisonniers de l’Indre, que je voudrais tant vous faire sauver. M. d’Orsay m’a dit que vous le pouviez, que vous aviez de l’autorité sur M. de Persigny. Je dois dire que M. de Persigny a été fort bon pour moi, et m’a offert des grâces particulières pour ceux de mes amis que je voudrais lui nommer. M. le président m’avait dit la même chose. Mes amis m’avaient tellement défendu de les nommer, que j’ai dû refuser les bontés de M. le président[192].

M. de Persigny, avec qui je pouvais me mettre plus à l’aise, ayant insisté, et me faisant écrire aujourd’hui pour ce fait, je crois pouvoir, sans compromettre personne, accepter sa bonne volonté comme personnelle à moi. Si cela est humiliant pour quelqu’un, c’est donc pour moi seule, et j’accepte l’humiliation sans faux orgueil, voire avec un sentiment de gratitude sincère, sans lequel il me semble que je serais déloyale. J’ai donc écrit plusieurs noms, et je compte sur l’effet des promesses ; mais mon but eût été d’obtenir pleine amnistie pour tous les détenus et prévenus du département de l’Indre ; c’est d’autant plus facile qu’il n’y a eu aucun fait d’insurrection, que toutes les arrestations sont préventives et qu’aucune condamnation n’a encore été prononcée. Il ne s’agit donc que d’ouvrir les prisons, conformément à la circulaire ministérielle, à tous ceux qui sont peu compromis, et de faire rendre un arrêt de non-lieu, ou suspendre toute poursuite contre ceux qui sont un peu plus soupçonnés. Un mot du ministre au préfet en déciderait.

Les tribunaux, s’ils sont saisis de ces affaires que j’ignore, sont d’aveugles esclaves,

M. de Persigny ne pouvait guère me promettre cela à moi ; mais vous pourriez le demander avec insistance, et vous l’obtiendriez certainement

Je n’ai pas besoin de vous dire que mon cœur en sera pénétré de reconnaissance et d’affection. C’est le vôtre qui plaidera en vous-même beaucoup mieux que moi.

Vous avez dit chez moi que vous partiez pour la campagne ; j’espère que ma lettre vous y parviendra et que vous écrirez au ministre ; vous le verrez aussi, à votre retour, n’est-ce pas, prince.^ et j’apprendrai aux habitants de mon Berry qu’il faut vous aimer, comme je vous aime moi, avec un cœur qui a l’âge maternel, c’est-à-dire celui des meilleures affections.

George Sand.

La lettre au prince Jérôme, insérée dans la Correspondance à la page 260, est inexactement datée du 3 janvier, comme si elle avait été écrite un mois avant celle-ci[193], Or, Solange Clésinger, très liée alors avec le comte d’Orsay, avait prévenu le prince Jérôme — ami du comte d’Orsay, — que sa mère serait heureuse de faire sa connaissance. « Le 28 janvier le prince en remercie Mme Sand, il vint lui faire une visite le 2 février et le 3 février il déjeuna chez elle. » C’est de cette visite du 2 février que George Sand parle en disant : « Vous êtes venu aujourd’hui » et en le priant de revenir encore une fois chez « la pauvre vieille malade ». Le 2 février, il était venu au moment où elle avait été voir d’Orsay, et le 3 février, alors qu’il déjeunait chez elle, d’Orsay envoya à Mme Sand le mot suivant :

Chère Madame Sand[194],

Votre lettre est arrivée à temps, j’ai rencontré hier Napoléon qui doit partir pour Londres aujourd’hui où il ne doit rester que quatre ou cinq jours. Je lui ai écrit ce matin, il a reçu votre lettre au saut du lit, et je suis convaincu qu’il fera ce que je lui ai demandé, c’était d’aller voir Persigny avant son départ.

Vous avez bien raison de m’aimer car je vous aime autant que je vous admire, c’est tout dire.

Votre très sincère,

d’Orsay.
3 février 1852.

Immédiatement après ces deux lettres au prince, George Sand en écrivit une à M. de Persigny.

Monsieur,

Le prince Napoléon Bonaparte me dit de votre part que vous admettrez ma demande pour plusieurs détenus de mon département. J’y comptais bien, puisque vous avez voulu m’entendre vous parler en leur faveur. Sur le conseil du prince, je vous envoie de nouveau les noms de ceux auxquels je m’intéresse particulièrement et dont je vous ai déjà désigné quelques-uns que vous avez acceptés généreusement. Mais le prince veut que ses efforts aient servi aussi à ma satisfaction et qu’en son nom j’obtienne de vous encore quelques élargissements. Il me dit : « Osez, M. de Persigny est bon, il ne voudrait pas me laisser croire que je suis absolument impuissant à seconder les vues généreuses qu’il a émises lui-même. » Je vous ai demandé d’être impartial et juste et de ne pas regarder la pensée comme un attentat. Mais si vous vouliez n’être que bon pour moi, j’accepterais encore avec beaucoup de reconnaissance et de toute la sincérité d’un cœur qui a bonne mémoire du bien.

George Sand.

Paris, 3 février 1852. Rue Racine, 3.

Déjà désignés : Émile Aucante, Alphonse Fleury, Ernest Périgois, Fulbert Martin, Lebert (notaire) de La Châtre.

Patureau-Francour, vigneron à Châteauroux (bonhomme dont quelques fous voulaient faire un président de la république). Alphonse (sic !) Lambert (mourant).

Desmousseaux de Ch[âteauroux], Valette charpentier à Ch[âteauroux] (suspect pour avoir refusé de dresser la guillotine pour un criminel, six mois avant les événements, peu ou point républicain que je sache), Lumet, ngneron à Issoudun.

À cette même date elle envoyait aussi sa seconde lettre[195] au prince président :


Paris, 3 février 1852.
Prince,

Dans une entrevue où l’embarras et l’émotion m’ont rendue plus prolixe que je ne me l’étais imposé, j’ai obtenu de vous des paroles de bonté qu’où n’oublie pas. Vous avez bien voulu me dire : « Demandez-moi telle grâce particulière que vous voudrez. »

J’ai eu l’honneur de vous répondre que je n’étais autorisée par personne à vous implorer. Je n’avais xu personne à Paris, vous étiez ma première visite…

Elle lui dit ensuite que dans sa profanée aucun fait d’insurrection n’a eu lieu et que, si elle, George Sand, a toujours été sans inquiétudes pour le sort de ses compatriotes, croyant impossibles des poursuites contre les pensées, elle est absolument rassurée depuis son entrevue avec le président, puis elle continue :

Mais, si je me flatte dans l’espoir d’obtenir aisément l’absolution pour des hommes qu’aucune décision n’a encore atteints, je ne suis pas sans effroi pour ceux sur le sort desquels il a été statué ailleurs d’une manière rigoureuse. J’en ai vu deux aujourd’hui que je sais complètement innocents, si c’est le fait de conspiration que l’on veut châtier, si ce n’est pas l’opinion… chose impossible, inouïe dans nos mœurs, dans les idées de notre génération, impossible cent fois dans le cœur du prince Louis-Napoléon. Je les ai trouvés résignés à leur sort et croyant, grâce au système excessif que vous venez de réprimer, à cette chose monstrueuse qu’ils étaient frappes pour leurs principes et non pour leurs actes. J’ai repoussé vivement cette supposition, qui m’était douloureuse après ce que je vous ai entendu dire. J’ai répété que j’avais foi en vous, et que la personnalité était inconnue au cœur d’un homme pénétré, comme vous l’êtes, d’une mission supérieure.

J’ai dit que j’irais vous demander leur grâce ou la commutation de leur peine. Ils avaient dit non d’abord ; ils ont dit oui, quand ils ont vu ma conviction. Ils m’ont autorisée à profiter de cette offre généreuse que vous m’avez faite et qu’il m’était si douloureux d’être forcée de refuser.

Maintenant, vous n’estimeriez pas ces deux hommes si je vous disais qu’ils rétracteront leurs principes, qu’ils abandonneront leurs sentiments. Us ont toujours été, ils seront toujours étrangers aux conspirations, aux sociétés secrètes, et la forme absolue de votre gouvernement ne peut plus vous faire redouter l’émission publique de doctrines que vous ne toléreriez pas.

Peut-être n’entrerait-il pas dans vos desseins actuels de laisser savoir que c’est à moi, écrivain socialiste, que vous accordez la commutation de peine de deux socialistes.

S’il en était ainsi, croyez à mon honneur, croyez à mon silence. Je ne confie à personne l’objet de cette lettre, et, satisfaite d’être fière de vos bontés dans le secret de mon cœur, je n’en dirai jamais l’heureux résultat, si telle est votre volonté.

George Sand.

Si vous ne repoussez pas ma prière, daignez me faire savoir le moment que vous m’accorderez pour aÛer vous nommer les deux personnes qui m’intéressent.

Cette audience demandée, Napoléon l’accorda pour le 6 février et pendant cette entrevue George Sand ne se contenta pas de plaider l’amnistie générale, mais encore elle intercéda en faveur de deux républicains intransigeants auxquels elle avait fait allusion dans sa lettre : MM. Greppo et Marc Dufraisse, ainsi qu’en faveur de Luc Desages. La manière dont le président avait accueilli ces demandes éveilla en elle des sentiments de profonde estime et de reconnaissance et lui donna le courage, à partir de ce jour, pour faire des démarches en faveur d’une quantité de personnes et d’assiéger le prince, nombre de fois encore, de ses lettres et de ses demandes. D’autre part, elle put se convaincre que, malgré toutes ses belles qualités, Napoléon n’était pas de force à lutter contre la clique d’intrigants et d’arrivistes qui l’entourait.

George Sand resta à Paris du 22 janvier jusqu’aux premiers jours d’avril et pendant tout ce temps elle ne cessa de faire démarches sur démarches, des courses, des visites, de demander des audiences soit à Napoléon, soit à M. de Persigny, au ministre de la Justice, au ministre de la Police ; de voir MM. Cavet, Théophile de Montaud, le chef du cabinet du ministre de la Police, Thiéblin, le chef du cabinet du ministre de la Justice, Abbatucci[196], l’ex-préfet de police, Carlier, le secrétaire du ministre de la Police, Fortoul, le général Roguet, le général Baraguay, le vicomte Clary et le frère de Pietri, le ministre, — J. Pietri, préfet du Cher[197]. Elle suppliait, elle implorait. Elle agissait aussi par l’intermédiaire du prince Jérôme, du comte d’Orsay, de M. N.-H. Vieillard, du docteur Conneau, et elle ne s’accordait pas un moment de repos tant qu’elle n’avait pas arraché ce qu’elle demandait.

Je n’ai pas fait autre chose que de courir de Carlier à Pietri et du secrétaire du ministre de l’Intérieur à M. Baraguay…

écrit-elle, et ces mots non seulement ne nous semblent pas une hyperbole, mais bien au contraire ils paraissent faibles, si l’on apprécie à sa juste valeur tout ce que George Sand accomplit en ces trois mois, ou si l’on parcourt seulement les tas de lettres que nous avons devant nous et qui témoignent avec quelle ardeur elle s’était mise à ce service de sauvetage, avec quelle confiance connus et inconnus s’adressaient à elle de tous les points du Berry et de la France, avec quelle persévérance son cœur inlassable réclamait les audiences et craignait peu d’ « importuner ». Elle demandait la grâce des condamnés à mort, l’exil volontaire à l’étranger pour les condamnés à la déportation, l’exil temporaire pour les exilés à perpétuité, l’internement en Afrique pour les détenus dans les casemates des forts, la libération pour les prisonniers de Châteauroux et de La Châtre. Elle sauvait les malades — de la mort dans les prisons, les familles ayant perdu leurs chefs — de la misère et de la famine ; elle réconfortait, elle consolait, elle soutenait le courage des détenus, des exilés ; elle leur envoyait de l’argent, des livres, des lettres, des nouvelles rassurantes, des brouillons de demandes et de « déclarations » au gouvernement par lesquelles les prisonniers promettaient de ne plus prendre part à des actions « antigouvernementales », et George Sand savait rédiger ces déclarations de manière à sauvegarder la dignité et les opinions de ceux qui les signaient, faisant des démarches non seulement pour les opprimés qui les lui demandaient et qu’elle connaissait personnellement, mais encore pour des inconnus qui ne se doutaient même pas qu’ils eussent une si puissante, une si courageuse, une si généreuse protectrice ! Bien souvent ils ne l’apprenaient que lorsque les démarches aboutissaient à un bon résultat, inattendu pour eux. Et avec quel attendrissement, avec quel étonnement ils la remerciaient alors !

C’est ce qui arriva à la famille de Marc Dufraisse, à celle d’Alexandre Lambert. Sans attendre une demande, ne sachant même pas si l’on allait profiter de son aide, George Sand intercéda, avant tout, pour Alphonse Fleury qui dut se cacher après le 2 décembre, puis fuir en Belgique et qui, par fierté républicaine, refusait de demander grâce et défendait à George Sand de le nommer. Mais elle parvint quand même à se faire délivrer pour lui un passeport étranger et l’aida à se rendre à Bruxelles en le munissant d’une somme nécessaire ; c’est pour cela qu’elb avait emprunté raille francs au beau-père de Duvernet, comme nous l’avons vu.

Voici à ce propos la lettre autographe de M. de Montaud, retrouvée dans les papiers de Mme Sand ; d’autres lettres du même correspondant ne sont que signées par lui ou bien ne portent que des post-scriptum de sa main.

Cabinet DU MINISTRE DE l’INTÉRIEUR.

Paris, 30 mars.
Madame,

Je m’empresse de vous annoncer que le ministre aura l’honneur de vous recevoir, suivant votre désir, demain matin à dix heures. Veuillez, etc., etc.

Théophile de Montaud.

Le ministre vient de prier son collège des Affaires étrangères de faire délivrer un passeport à M. Fleury pour revenir en France.

Th. DE M.

Puis, George Sand parvint à libérer de la prison Marc Dufraisse et Greppo avec sa femme, et à leur procurer un permis de quitter la France[198]. Puis elle se mit à intercéder en faveur d’Émile Aucante et d’Ernest Périgois, détenus avec plusieurs autres inculpés dans la prison de Châteauroux et menacés de l’ « éloignement temporaire du territoire » (comme le porte la pièce officielle). Elle parvint à leur faire accorder un sursis « avec obligation de ne pas quitter le pays » et « avec autorisation », quant à M. Aucante, de « résider » pendant ce temps… « dans le domaine de Mme Dudevant » (!!!)

Elle apprit que le rédacteur de l’Éclaireur de l’Indre, Alexandre Lambert, prisonnier à Châteauroux, était malade et qu’il était condamné à la déportation ou à une longue détention, et elle se mit à écrire, à implorer, à s’adresser partout, si bien qu’elle réussit à le faire libérer et à le rendre à sa famille qui n’espérait plus le revoir vivant. Pendant qu’il était encore en prison à Châteauroux, puis dans les cales du vaisseau qui l’emmenait aux colonies, et enfin dans un « camp pénitentiaire » en Afrique, elle plaça sa fille dans un pensionnat et, avec l’aide de Mme Duvernet, elle veilla sur son éducation comme elle l’aurait fait pour une jeune parente à elle !

Bocage lui adressa une demande en faveur de son ami, le jeune avoué républicain Fulbert Martin, incarcéré dans les casemates du fort d’Ivry, et il fut libéré, avec injonction de résider… à Nohant, aussi !

Et le même Fulbert Martin priait Mme Sand pour ses codétenus ! Et la femme d’un autre Martin — celui de Strasbourg — appelait l’attention de Mme Sand sur le sort des personnes arrêtées en Alsace et transférées dans les forts de Paris et pour Mme Pauline Roland (amie et collaboratrice de Pierre Leroux), arrêtée et détenue !

Cette même Mme Roland intercédait pour ses co-détenus, et une Mme Mathé pour toute une série de prisonniers, et encore une autre dame — Mme Matron (dont le nom ne se rencontrait jusqu’à ce jour dans aucune des lettres de et à George Sand) — pour d’autres encore ! C’est ainsi que sur la table de George Sand s’amoncelaient des amas de listes de personnes poursuivies pour lesquelles il fallait « prier ». Un grand nombre de ces listes et de ces mémoires porte en tête à l’encre bleue : « Demandé le 23 février », « envoyé », « remis à Persigny », « pour Clary », « envoyé au président le 28 », etc., etc., etc.

Laissons parler Mme Sand elle-même :


À Monsieur Charles Duvernet, à La Châtre.
Paris, 10 février 1852[199].

Mes amis,

Ne soyez pas inquiets du résultat de mes démarches. Autant qu’on peut être sûr des choses humaines, je le suis que nous gagnerons notre procès. Je vous dirai des choses qui vous étonneront bien, mais qu’il est inutile de confier au papier.

J’ai embrassé ce soir, dans la rue, votre ami de Ribérac[200], libre pour vingt-quatre heures sur le pavé de Paris et partant cette nuit pour Bruxelles avec un autre dont vous verrez le nom dans les journaux[201]. La personne que vous savez a été à cet égard d’un chevaleresque accompli, et il y a autour de cela des circonstances qui ébranleront toutes vos idées sur son compte, et qui, pour le mien, m’enchaînent sérieusement par une estime personnelle en dehors de toutes les idées politiques, invariables chez moi, comme vous pensez bien.

Il faut, en effet, beaucoup de prudence et de discrétion en ce qui me concerne. Je ne crains nullement de me compromettre pour mon compte ; mais je peux faire quelque bien à ceux qui souffrent, et il est inutile de susciter des difficultés. Je crois que je les vaincrais toutes, mais cela me retarderait…

Au prince Louis-Napoléon Bonaparte.
Paris, 12 février 1852.
Prince,

Permettez-moi de mettre sous vos yeux une douloureuse supplique : celle de quatre soldats condamnés à mort, qui, dans leur profonde ignorance des choses politiques, ont choisi un proscrit pour leur intermédiaire auprès de vous. La femme du proscrit[202], qui ne demande et n’espère rien pour sa propre infortune et qui ne connaît pas plus que moi les signataires de la pétition, m’écrit, en me l’envoyant, quelques lignes fort belles, qui vous toucheront plus, j’en suis certaine, que ne le ferait un plaidoyer de ma part. La pauvre ouvrière désolée, réduite à la misère avec trois enfants, malade elle-même, mais muette et résignée, est loin de croire que j’oserai vous faii-e lire ses fautes d’orthographe. Moi, je ne voulais plus vous importuner ; mais, quand j’ai vu qu’il s’agissait de la peine de mort, et nullement des malheurs de mon parti vaincu, j’ai senti qu’un moment d’hésitation m’ôterait le peu de sommeil qui me reste.

Je n’ai pas pu refuser non plus de vous présenter la supplique du malheureux Émile Rogat, qui m’a été remise en l’absence et de la part du prince Napoléon-Jérôme.

C’est ce prince qui m’avait dit, au moment où, pour la première fois, j’allais vous aborder en tremblant : « Oh ! pour bon, il l’est. Ayez confiance ! » C’était un encouragement si bien fondé, que je lui en dois de la gratitude. Et, à propos de la triple grâce que vous m’avez accordée, je voudrais vous dire quelque chose qui vous intéressera et vous satisfera, j’en suis bien sûre. J’en ai même plusieurs à vous dire, c’est mon devoir, et, cette fois, je n’aurai pas à vous demander pardon de vous les avoir dites. Quand vous aurez un instant à perdre, comme on dit dans le monde, accordez-le-moi, vous me trouverez toujours prête à en profiter avec une vive reconnaissance.

George Sand.

Noms des condamnés à mort : Duchauffour, Lucas (Jean-César), Mondange, Guillemin, soldats au 3e régiment de chasseurs d’Afrique.

Maison

du président de la république

SERVICE DE l’aide DE CAMP.
Palais de l’Élysée,
le 13 février 1852.
Madame,

J’ai remis au prince président de la Répubhque la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 12 février…

Le général de division aide de camp,
Signé : Roguet.
Au prince Louis-Napoléon Bonaparte.
Paris, 20 février 1852.
Prince,

J’étais bien résolue à ne plus vous importuner, mais votre bienveillance m’y contraint, et il faut que je vous remercie du fond du cœur. M. Emile Rogat est en liberté, MM. Dufraisse et Greppo sont à l’étranger, et les quatre malheureux soldats dont je me suis permis de vous envoyer la supplique sont graciés, j’en suis certaine, sans m’en informer. Mais vous m’avez aussi accordé la commutation de peine de M. Luc Desages, gendre de M. Pierre Leroux, condamné à dix ans de déportation ; vous avez permis qu’il fût simplement exilé, et, avec votre autorisation, j’avais annoncé cette bonne nouvelle à sa famille.

Cet ordre de votre part n’a pas eu son exécution, ce doit être ma faute ! Je vous ai donné un renseignement inexact. Il a été condamné par la commission militaire de l’Allier, à Moulins, et non pas à Limoges comme j’avais eu l’honneur de vous le dire.

Prince, daignez réparer d’un mot ma déplorable maladresse, et l’erreur plus déplorable encore d’un jugement inique.

Ah ! prince, mettez donc bientôt le comble à mon dévouement pour votre personne, phrase de cœur qui sous ma plume est une parole sérieuse. Votre politique, je ne peux l’aimer, elle m’épouvante trop pour vous et pour nous. Mais votre caractère personnel, je puis l’aimer, je le dois, je le dis à tous ceux que j’estime. Faites cette conversion plus étendue, dans les limites où vous avez opéré la mienne, cela vous est facile.

Aucune âme de quelque prix ne transformera son idéal d’égalité en une religion de pouvoir absolu.

Mais tout homme de cœur, pour qui vous aurez été juste ou clément en dépit de la raison d’État, s’abstiendra de haïr votre nom et de calomnier vos sentiments. C’est de quoi je peux répondre à l’égard de ceux sur qui j’ai quelque influence. Eh bien, au nom de votre propre popularité, je vous implore encore pour l’amnistie ; ne croyez pas ceux qui ont intérêt à calomnier l’humanité, elle est corrompue, mais elle n’est pas endurcie. Si votre clémence fait quelques ingrats, elle vous fera mille fois plus de partisans sincères. Si elle est blâmée par des cœurs sans pitié, elle sera aimée et comprise par tout ce qui est honnête dans tous les partis.

Et, aujourd’hui, accordez-moi, prince, ce que deux fois vous m’avez fait sérieusement espérer. Ordonnez l’élargissement de tous mes compatriotes de l’Indre. Parmi ceux-là, j’ai plusieurs amis, mais que justice soit faite à tous ; puisque personne ne s’est déclaré contre vous, ce n’est que justice. Qu’on sache que ce que vous m’avez dit est vrai : « Je ne persécute pas la croyance, je ne châtie pas la pensée. »

Que cette parole, remportée dans mon cœur de l’Élysée et qui m’a presque guérie, reste en moi comme une consolation au milieu de moi effroi politique…

Ah, cher prince, on vous calomnie affreusement à toute heure, et ce n’est pas nous qui faisons cela. Pardon, pardon de mon insistance ! qu’elle ne vous lasse pas ; ce n’est plus un cri de détresse seulement, c’est un cri d’affection, vous l’avez voulu. Mais, en attendant cette amnistie que vos véritables amis nous promettent, faites que votre générosité soit connue dans nos provinces ; connaissez ce que dit le peuple qui vous a proclamé : « Il voudrait être bon, mais il a de cruels serviteurs et il n’est pas le maître. Notre volonté est méconnue en lui, nous avons voulu qu’il fût tout-puissant, et il ne l’est pas. »

…Je vois là une véritable guerre à la conscience intime, une révoltante persécution que vous ne savez pas et dont vous ne voulez pas.

On insulte, on tente d’avilir ; on exige des flatteries et des promesses de ceux qu’on élargit… Ah ! ce n’est pas ainsi que vous pardonnez, vous, à vos ennemis personnels, et je sais à présent que vous présenter comme tel un homme qu’on veut sauver, c’est assurer sa grâce. Mais je ne peux pas mentir, même pour cela, et cette fois je vous implore pour des hommes qui n’attendent de vous qu’une mesure d’équité et de haute protection contre vos ennemis et les leurs.

Veuillez agréer, prince, l’expression de mon respectueux attachement, et dites sur mon pauvre Berry une parole qui me permette d’y être écoutée quand j’y parlerai de vous selon mon cœur.

George Sand.

Maison du président de la République

service de l’aide de camp.
23 février 1852.
Madame,

J’ai l’honneur de vous prévenir que je me suis empressé de mettre sous les yeux du prince président de la République la lettre que vous m’avez adressée le 20 février… {{droite|Le général de division aide de camp
Signé : Roguet[203].

Paris, le 21 janvier 1852.

Voici maintenant une lettre que Mme Sand écrivit ce même 20 février à Jules Hetzel ; on a mis dans la Correspondance « M. Jules Hetzel, à Paris », quoique dès les premières lignes on puisse voir déjà qu’à ce moment-là Hetzel n’y était point, étant « là-bas », c’est-à-dire à Bruxelles, avec les autres exilés. Et nous savons que George Sand elle-même était ce jour-là à Paris. Cette lettre est extrêmement importante ; c’est en somme une sorte de résumé de l’historique des relations de Mme Sand avec l’Élysée, en février, en même temps qu’une appréciation de la personne du prince, de sa situation ; appréciation si frappante de précision, de perspicacité et d’observation que ni George Sand elle-même — lorsqu’elle prononça vingt ans plus tard son jugement définitif sur l’empereur, — ni quelque critique tout avisé qu’il fût, n’auraient rien eu à y changer, à y ajouter. Enfin cette lettre nous montre de quelle manière vraiment révoltante les gens de ce même parti pour lequel George Sand n’épargnait aucune démarche la traitaient, elle.


Paris, 20 février 1852.
Mon ami,

J’aime autant vous savoir là-bas qu’ici, malgré les embarras, si peu faits pour mon cerveau et ma santé, où votre absence peut me laisser. Ici rien ne tient à rien. Les grâces ou justices qu’on obtient sont, pour la plupart du temps, non avenues, grâce à la résistance d’une réaction plus forte que le président, et aussi grâce à un désordre dont il n’est plus possible de sortir vite, si jamais on en sort. La moitié de la France dénonce l’autre. Une haine aveugle et le zèle atroce d’une police furieuse se sont assouvis…

En arrivant ici, j’ai cru qu’il fallait subir temporairement, avec le plus de calme et de foi possible en la Providence, une dictature imposée par nos fautes mêmes.

J’ai espéré que, puisqu’il y avait un homme tout-puissant, on pouvait approcher de son oreille pour lui demander la vie et la liberté de plusieurs milliers de victimes (innocentes à ses yeux mêmes, pour la plupart). Cet homme a été accessible et humain en m’écoutant. Il m’a offert toutes les grâces particulières que je voudrais lui demander, en me promettant une amnistie générale pour bientôt. J’ai refusé les grâces particulières, je me suis retirée en espérant pour tous. L’homme ne posait pas, il était sincère, et il semblait qu’il fût de son propre intérêt de l’être. J’y suis retournée une seconde et dernière fois, il y a quinze ou vingt jours, pour sauver un ami personnel de la déportation et du désespoir (car il était au désespoir). J’ai dit en propres termes (et j’avais écrit en propres termes pour demander l’audience) que cet ami ne se repentirait pas de son passé, et ne s’engagerait à rien pour son avenir ; que je restais en France, moi, comme une sorte de bouc émissaire qu’on pourrait frapper quand on voudrait. Pour obtenir la commutation de peine que je réclamais, pour l’obtenir sans compromettre et avilir celui qui en était l’objet, j’osai compter sur un sentiment généreux de la part du président, et je le lui dénonçai comme son ennemi personnel incorrigible. Sur-le-champ, il m’offrit sa grâce entière.

Je dus la refuser au nom de celui qui en était l’objet, et remercier en mon nom. J’ai remercié avec une grande loyauté de cœur, et, de ce jour, je me suis regardée comme engagée à ne pas laisser calomnier complaisamment, devant moi, le côté du caractère de l’homme qui a dicté cette action. Renseignée sur ses mœurs, par des gens qui le voient de près depuis longtemps et qui ne l’aiment pas, je sais qu’il n’est ni débauché, ni voleur, ni sanguinaire.

Il m’a parlé assez longuement et avec assez d’abandon pour que j’aie vu en lui certains bons instincts et des tendances vers un but qui serait le nôtre.

Je lui ai dit : « Puissiez-vous y arriver ! mais je ne crois pas que vous ayez pris le chemin possible. Vous croyez que la fin justifie les moyens ; je crois, je professe la doctrine contraire. Je n’accepterais pas la dictature exercée par mon parti. Il faut bien que je subisse la vôtre, puisque je suis venue désarmée vous demander une grâce ; mais ma conscience ne peut changer ; je suis, je reste ce que vous me connaissez ; si c’est un crime, faites de moi ce que vous voudrez. »

Depuis ce jour-là, le 6 février, je ne l’ai pas revu ; je lui ai écrit deux fois pour lui demander la grâce de quatre soldats condamnés à mort, et le rappel d’un déporté mourant. Je l’ai obtenue. J’avais demandé pour Greppo et pour Luc Desages, gendre de Leroux, en même temps que pour Marc Dufraisse. C’était obtenu. Greppo et sa femme ont été mis en liberté le lendemain. Luc Desages n’a pas été élargi. Cela tient, je crois, à une erreur de désignation que j’ai faite en dictant au président son nom et le lieu du jugement. J’ai réparé cette erreur dans ma lettre, et, en même temps, j’ai plaidé pour la troisième fois la cause des prisonniers de l’Indre. Je dis plaidé, parce que le président, et ensuite son ministre, m’ayant répondu sans hésiter qu’ils n’entendaient pas poursuivre les opinions et la présomption des intentions, les gens incarcérés comme suspects avaient droit à la liberté et allaient l’obtenir.

Deux fois, on a pris la liste ; deux fois, on a donné des ordres sous mes yeux, et dix fois, dans la conversation, le président et le ministre m’ont dit, chacun de son côté, qu’on avait été trop loin, qu’on s’était servi du nom du président pour couvrir des vengeances particulières, que cela était odieux et qu’ils allaient mettre bon ordre à cette fureur atroce et déplorable.

Voilà toutes mes relations avec le pouvoir, résumées dans quelques démarches, lettres et conversations, et, depuis ce moment, je n’ai pas fait autre chose que de courir de Carlier à Piétri, et du secrétaire du ministre de l’Intérieur à M. Baraguay, pour obtenir l’exécution de ce qui m’avait été octroyé ou promis pour le Berry, pour Desages, puis pour Fulbert Martin, acquitté et toujours détenu ici ; pour Mme Roland arrêtée et détenue ; enfin, pour plusieurs autres que je ne connais pas et à qui je n’ai pas cru devoir refuser mon temps et ma peine, c’est-à-dire, dans l’état où j’étais, ma santé et ma vie.

Pour récompense, on me dit et on m’écrit de tous côtés : « Vous vous compromettez, vous vous perdez, vous vous déshonorez, vous êtes bonapartiste ! Demandez et obtenez pour nous ; mais haïssez l’homme qui accorde, et, si vous ne dites pas qu’il mange des enfants tout crus, nous vous mettons hors la loi. »

Cela ne m’effraye nullement, je comptais si bien là-dessus !

Mais cela m’inspire un profond mépris et un profond dégoût pour l’esprit de parti, et je donne de bien grand cœur, non pas au président qui ne me l’a pas demandée, mais à Dieu, que je connais mieux que bien d’autres, ma démission politique, comme dit ce pauvre Hubert. J’ai droit de la donner, puisque ce n’est pas pour moi une question d’existence.

Je sais que le président a parlé de moi avec beaucoup d’estime et que ceci a fâché des gens de son entourage. Je sais qu’on a trouvé mauvais qu’il m’accordât ce que je lui demandais ; je sais que l’on me tordra le cou de ce côté-là si on lui tord le sien, ce qui est probable. Je sais aussi qu’on répand partout que je ne sors pas de l’Élysée et que les rouges accueillent l’idée de ma bassesse avec une complaisance qui n’appartient qu’à eux ; je sais, enfin, que, d’une main ou de l’autre, je serai égorgée à la première crise. Je vous assure que ça m’est bien égal, tant je suis dégoûtée de tout et presque de tous en ce monde.

Voilà l’historique qui vous servira à redresser des erreurs si elles sont de bonne foi. Si elles sont de mauvaise foi, ne vous en occupez pas, je n’y tiens pas. Quant à ma pensée présente sur les événements, d’après ce que je vois à Paris, la voici :

Le président n’est plus le maître, si tant est qu’il l’ait été vingt-quatre heures. Le premier jour que je l’ai vu, il m’a fait l’effet d’un envoyé de la fatalité. La deuxième fois, j’ai vu l’homme débordé qui pouvait encore lutter. Maintenant, je ne le vois plus ; mais je vois l’opinion et j’aperçois de temps en temps l’entourage : ou je me trompe bien, ou l’homme est perdu, mais non le système, et à lui va succéder une puissance de réaction d’autant plus furieuse que la douceur du tempérament de l’homme sacrifié n’y sera plus un obstacle.

… Que ceux qui croient à des éléments de résistance contre ce qui existe espèrent et désirent la chute de Napoléon ! Moi, ou je suis aveugle ou je vois que le grand coupable, c’est la France, et que, pour le châtiment de ses vices et de ses crimes, elle est condamnée à s’agiter sans solution durant quelques années, au milieu d’effroyables catastrophes.

Le président, j’en reste et resterai convaincue, est un infortuné, victime de l’erreur et de la souveraineté du but. Les circonstances, c’est-à-dire les ambitions de parti, l’ont porté au sein de la tourmente. Il s’est flatté de la dominer ; mais il est déjà submergé à moitié et je doute qu’à l’heure qu’il est, il ait conscience de ses actes.

Adieu, mon ami, voilà tout pour aujourd’hui. Ne me parlez plus de ce qu’on dit et écrit contre moi. Cachez-le-moi ; je suis assez dégoûtée comme cela et je n’ai pas besoin de remuer cette boue. Vous êtes assez renseigné par cette lettre pour me défendre s’il y a lieu, sans me consulter. Mais ceux qui m’attaquent méritent-ils que je me défende ? Si mes amis me soupçonnent, c’est qu’ils n’ont jamais été dignes de l’être, qu’ils ne me connaissent pas, et alors je veux m’empresser de les oublier.

Quant à vous, cher vieux, restez où vous êtes jusqu’à ce que cette situation s’éclaircisse, ou bien, si vous voulez venir quelque temps, dites-le-moi. Baraguay d’Hilliers ou tout autre peut, je crois, demander un sauf-conduit pour que vous veniez donner un coup d’œil à vos affaires. Mais n’essayons rien de définitif avant que le danger d’un nouveau bouleversement soit écarté des imaginations.

George Sand.

Non moins intéressantes que la lettre à Hetzel sont les deux lettres que George Sand adressa quatre jours plus tard à Ernest Périgois, à la prison de Châteauroux, et à Luigi Calamatta à Bruxelles. Nous n’en donnons toutefois que des extraits :

À Monsieur Ernest Périgois, à la prison de Châteauroux.
Paris, le 24 février 1852.

Mon cher ami, je vous remercie de votre bonne lettre. Elle m’a fait grand plaisir. On ne me soupçonne donc pas parmi vous ? À la bonne heure, je vous en sais gré, et je puiserai dans cette justice de mes compatriotes un nouveau courage. Ce n’est pas la même chose ici. Il y a des gens qui ne peuvent croire au courage du cœur et au désintéressement du caractère ; et on m’abîme par correspondance dans les journaux étrangers. Qu’importe, n’est-ce pas ?

Si je vous voyais, je vous donnerais des détails sur mes démarches et sur mes impressions personnelles, qui vous intéresseraient ; mais je peux les résumer en quelques lignes qui vous donneront la mesure des choses.

Le nom dont on s’est servi pour accomplir cette affreuse boucherie de réaction n’est qu’un symbole, un drapeau qu’on mettra dans la poche et sous les pieds le plus tôt qu’on pourra. L’instrument n’est pas disposé à une entière docilité. Humain et juste par nature, mais nourri de cette idée fausse et funeste que la fin justifie les moyens, il s’est persuadé qu’on pouvait laisser faire beaucoup de mal pour arriver au bien, et personnifier la puissance dans un homme pour faire de cet homme la providence d’un peuple.

Vous voyez ce qui adviendra, ce qui advient déjà de cet homme. On lui cache la réalité des fait ? monstrueux qu’on accomplit en son nom, et il est condamné à la méconnaître pour avoir méconnu la vérité dans l’idée. Enfin, il boit un calice d’erreurs présenté à ses lèvres, après avoir bu le calice d’erreurs présenté à son esprit, et, avec la volonté personnelle du bien rêvé, il est condamné à être l’instrument, le complice, le prétexte du mal accompli par tous les partis absolutistes. Il est condamné à être leur dupe et leur victime. Dans peu, j’en ai l’intime et tragique pressentiment, il sera frappé pour faire place à des gens qui ne le vaudront certainement pas, mais qui prennent le soin de le faire passer pour un despote implacable (sous d’hypocrites formules d’admiration), afin de rendre sa mémoire responsable de tous les crimes commis à son insu.

Il me parait essayer maintenant d’une dictature temporaire dont il espère pouvoir se relâcher. Le jour où il l’essayera il sera sacrifié, et, pourtant, s’il ne l’essaye bientôt, la nation lui suscitera une résistance insurmontable…

…Je ne sais, quant à nous, pauvres persécutés du Berry, ce qui sera statué sur notre sort. J’ai plaidé notre cause an point de vue de la liberté de conscience, et je le pouvais en toute conscience, puisque nous n’avons rien fait en Berry contre la personne du président depuis les événements de décembre. Il m’a été répondu qu’on ne poursuivrait pas les pensées, les intentions, les opinions, et cependant on le fait, et cependant je ne vois pas la réalisation des promesses qu’on m’a faites. On me dit ailleurs que c’est fourberie et jésuitisme.

J’ai la certitude que ce n’est pas cela. C’est quelque chose de pis pour nous, peut-être. C’est impuissance. On a donné une hécatombe à la réaction : on ne peut plus la lui arracher. Pourtant j’espère encore pour nous de mon plaidoyer, et j’espère pour tous de la nécessité d’une amnistie prochaine. On la promet ouvertement. On obtient facilement, à titre de grâce, mais comme personne de chez nous ne demande ainsi, je n’ai qu’à faire le rôle d’avocat sincère, et à démentir, autant qu’il m’est possible, les calomnies de nos adversaires.

Adieu, cher ami ; brûlez ma lettre ; je la lirais au président, mais un préfet ne la lui lirait pas, et y trouverait le prétexte à de nouvelles persécutions…


À Monsieur Luigi Calamatta, à Bruxelles.
Paris, le 24 février 1862.
Mon ami,

Ce qu’on t’a dit qu’il m’avait dit est vrai, du moins dans les termes que tu me rapportes ; mais il ne faut pas se flatter. Je n’ai pas le droit, moi, de suspecter la sincérité des intentions de la personne. Il me semble qu’il y aurait une grande déloyauté à invoquer ces sentiments chez elle et à les déclarer perfides, après que je leur dois le salut de quelques-uns[204].

Mais en mettant à part tout ce qu’on peut dire et penser contre ou pour cette personne, il me paraît prouvé maintenant qu’elle est ou sera bientôt réduite à l’impuissance, pour s’être livrée à des conseils perfides, et pour avoir cru qu’on pouvait faire sortir le bon (dans le but) du mal (dans les moyens).

Son procès est perdu aussi bien que le nôtre ; qu’en résultera-t-il ? Des malheurs pour tous ! S’il y avait un maître en France, on pourrait espérer quelque chose ; ce maître-là pouvait être le suffrage universel, quelque dénaturé et dévié qu’il fût de son principe ; quelque aveugle et pressé de travailler à son bonheur matériel que fût le peuple, on pouvait se dire : « Voilà un homme qui résume et représente la résistance populaire à l’idée de liberté ; un homme qui symbolise le besoin d’autorité temporaire que le peuple semble éprouver ; que ces deux volontés soient d’accord et, par le fait, ce sera la dictature du peuple, une dictature sans idéal, mais non pas sans avenir, puisqu’en acquérant le bien-être dont il est privé, le peuple acquerra forcément l’instruction et la réflexion. »

Il m’a semblé, il me semble encore, bien que je n’aie pas revu la personne depuis le 5 février, que les électeurs et l’élu sont assez d’accord sur le fond des choses ; mais tous deux ignorent les moyens, et s’imaginent que le but justifie tout. Ils ne voient pas que le jeu des instruments qu’ils emploient, et la fatalité, se montrent ici plus justes et plus logiques qu’on ne pouvait s’y attendre. Les instruments trahissent, paralysent, corrompent, conspirent et vendent. Voilà ce que je crois, et je m’attends à tout, excepté au triomphe prochain de l’idée fraternelle et chrétienne, sans laquelle nous n’aurons pas de république durable. Nous passerons par d’autres dictatures, Dieu sait lesquelles ! Quand le peuple aura fait de douloureuses expériences, il s’apercevra qu’il ne peut pas se personnifier dans un homme et que Dieu ne veut pas bénir une erreur qui n’est plus de notre siècle. En attendant, c’est nous, républicains, qui serons encore victimes de ces orages. Probablement, nous serions sages si nous attendions, pour rappeler le peuple à ses vrais devoirs, qu’il comprît ses erreurs et qu’il se repentît de lui-même de nous avoir considérés comme une poignée de scélérats qu’il fallait abandonner, livrer, dénoncer aux fureurs de la réaction.

Bonsoir, mon ami ; je t’embrasse et regrette bien que tu sois toujours là-bas quand je suis ici. Ma santé ne se rétablit pas encore, je me suis beaucoup fatiguée pour obtenir jusqu’ici beaucoup moins qu’on ne m’avait promis ; je m’en prends surtout au désordre effrayant qui règne dans cette sinistre branche de l’administration, et à la préoccupation où les élections tiennent le pouvoir. Je crois que l’amnistie viendra ensuite. Si elle ne vient pas, je recommencerai mes démarches pour arracher du moins à la souffrance et à l’agonie le plus de victimes que je pourrai ; on m’en récompense par des calomnies, c’est dans l’ordre, je n’y veux pas faire attention… »

En voyant que l’amnistie générale tardait à venir et qu’en attendant les commissions chargées de la révision des procès, les délégués spéciaux de l’empereur envoyés dans les provinces avaient fait preuve d’insigne négligence dans la manière dont ils s’acquittaient de la révision des procès-verbaux et des actes d’accusation contre des personnes particulières, George Sand reprend la plume pour écrire à Napoléon ; elle lui envoie de nouvelles lettres, elle s’empresse de nouveau de lui faire part des déportations dont des innocents sont menacés, elle le supplie de les faire revenir, si ces personnes sont déjà en route pour là-bas. Voici encore trois de ses lettres au prince-président, dont les deux premières écrites au mois de mai 1852 sont datées de « mars » dans la Correspondance, et la troisième est bien du 27 juin, ce qui est confirmé par une note de George Sand sur le brouillon de la liste des personnes pour lesquelles elle demandait une fois de plus : « Envoyé au président le 28 juin », et par la réponse du général Roguet, datée du 29 juin, lui disait encore qu’il avait remis sa lettre à destination. Pour ce qui concerne les deux premières, nous croyons pouvoir affirmer qu’elles furent écrites au mois de mai, en nous basant sur les faits que voici :

1° Ces lettres de Mme Sand sont la suite nécessaire et le résumé des lettres d’Alexandre Lambert, Lumet, Patureau-Francœur et d’autres personnes, détenues toutes dans la prison de Châteauroux, expédiées de là sous escorte le 2 mai, conduites de brigade en brigade et arrivées au fort de Bicêtre entre le 3 et le 12 mai. Leurs lettres sont datées du 23 et 26 avril, 1er et 2 mai de Châteauroux et du 12 mai de Bicêtre. Elles racontent l’arrivée en Berry du général Canrobert, les agissements des commissions dites « mixtes », les détails des préparatifs du départ pour Paris et le Havre de ceux qui étaient destinés à la déportation en Afrique, le départ tragique de Châteauroux de ces malheureux enchaînés ; tout cela George Sand le répète au président certainement après avoir lu ces lettres.

De plus, Mme Sand parle dans ses deux lettres de treize personnes, sans plus mentionner MM. Aucante et Périgois, car tous les deux, en liberté depuis avril, n’eurent par conséquent pas à partager le sort des autres prisonniers de Châteauroux (et nous voyons par exemple qu’Alexandre Lambert, en disant adieu à George Sand, dans sa lettre écrite le jour même de son départ pour Bicêtre — le 2 mai — prie Mme Sand de « saluer Émile » (Aucante) de la part de tous ses ex-compagnons de détention ; or M. Aucante était au mois de mai auprès de Mme Sand à Nohant, tandis qu’au mois de mars elle était à Paris et Aucante à Châteauroux, en prison).

2° Le « Pylade » de George Sand, son ami François Rollinat, envoie à Mme Sand le 26 avril la demande de tous ces détenus condamnés à la déportation et, quoiqu’il sache, à ce qu’il dit, qu’elle avait déjà fait pour eux « tout ce qui était humainement possible », il lui envoie quand même cette demande collective.

3° Le comte d’Orsay annonce dans une lettre du 3 mai que la lettre de Mme Sand à Louis-Napoléon lui fut immédiatement transmise.

4° Nous voyons par les lettres du vicomte Clary et par les réponses officielles du général Roguet que c’est justement au mois de mai que George Sand avait redemandé une audience au président. Cette audience lui fut accordée le 21 mai à trois heures, mais par suite de l’arrivée tardive de sa lettre pour le général Roguet et aussi parce qu’elle n’avait pas, comme il le fallait, adressé sa lettre directement à ce dernier, elle n’eut pas le temps d’arriver de Nohant, et l’audience fut manquée. George Sand affirma plus tard qu’elle « ne voulut pas » en profiter, mais les documents réfutent cette assertion[205].

Au prince Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République.
Prince,

Us sont partis pour le fort de Bicêtre, ces malheureux déportés de Châteauroux, partis enchaînés comme des galériens, au milieu des larmes d’une population qui vous aime et qu’on vous peint comme dangereuse et féroce. Personne ne comprend ces rigueurs. On vous dit que cela fait bon effet ; on vous ment, on vous trompe, on vous trahit. Pourquoi, mon Dieu, vous abuse-t-on ainsi ? Tout le monde le devine et le sent, excepté vous. Ah ! si Henri V vous renvoie en exil ou en prison, souvenez-vous de quelqu’un qui vous aime toujours, bien que votre règne ait déchiré ses entrailles, et qui, au lieu de désirer, comme les intérêts de son parti le voudraient peut-être, qu’on vous rende odieux par de telles mesures, s’indigne de voir le faux rôle qu’on veut vous faire dans l’histoire, à vous qui avez le cœur grand autant que la destinée.

À qui plaisent donc ces fureurs, cet oubli de la dignité humaine, cette haine politique qui détruit toutes les notions du juste et du vrai, cette inauguration du règne de la terreur dans les provinces, le proconsulat des préfets qui, en nous frappant, déblayent le chemin pour d’autres que vous ? Ne sommes-nous pas vos amis naturels, que vous avez méconnus pour châtier les emportements de quelques-uns ? Et les gens qui font le mal en votre nom, ne sont-ils pas vos ennemis naturels ? Ce système de barbarie politique plaît à la bourgeoisie, disent les rapports. Ce n’est pas vrai. La bourgeoisie ne se compose pas de quelques gros bonnets de chef-lieu qui ont leurs haines particulières à repaître, leurs futures conspirations à servir. Elle se compose de gens obscurs qui n’osent rien dire parce qu’ils sont opprimés par les plus apparents, mais qui ont des entrailles et qui baissent les yeux avec honte et douleur en voyant passer ces hommes dont on fait des martyrs et qui, ferrés comme des forçats sous l’œil des préfets, tendent avec orgueil leurs mains aux chaînes.

On a destitué à La Châtre un sous-préfet, j’en ignore la raison ; mais le peuple dit et croit que c’est parce qu’il a ordonné qu’on ôtât les chaînes et qu’on donnât des voitures aux prisonniers. Les paysans étonnés venaient regarder de près ces victimes… À Châteauroux on a remis les chaînes. Les gendarmes qui ont reçu ces prisonniers à Paris ont été étonnés de ce traitement.

Le général Canrobert n’a vu personne. On le disait envoyé par vous pour réviser les sentences rendues par l’ire des préfets et la terreur des commissions mixtes, pour s’entretenir avec les victimes et se méfier des fureurs locales. Trois de vos ministres me l’avaient dit à moi[206] ; je le disais à tout le monde, heureuse d’avoir à vous justifier. Comment ces missi dominici, à l’exception d’un seul, ont-ils rempli leur mission ? Ils n’ont vu que les juges, ils n’ont consulté que les passions et, pendant qu’une commission de recours en gi’âce était instituée et recevait les demandes et les réclamations, vos envoyés de paix, vos ministres de clémence et de justice aggravaient ou confirmaient les sentences que cette commission eût peut-être annulées. Pensez à ce que je vous dis, prince, c’est la vérité. Pensez-y cinq minutes seulement ! Un témoignage de vérité, un cri de la conscience qui est en même temps le cri d’un cœur reconnaissant et ami, valent bien cinq minutes de l’attention d’un chef d’État.

Je vous demande la grâce de tous les déportés de l’Indre, je vous la demande à deux genoux, cela ne m’humilie pas. Dieu vous a donné le pouvoir absolu : eh bien, c’est Dieu que je prie, en même temps que l’ami d’autrefois. Je connais tous ces condamnés ; il n’y en a pas un qui ne soit un honnête homme, incapable d’une mauvaise action, incapable de conspirer contre l’homme qui, en dépit des fureurs et des haines de son parti, leur aura rendu justice comme citoyen et leur aura fait grâce comme vainqueur.

Voyons, prince, le salut de quelques hommes obscurs, devenus inoffensifs ; le mécontentement d’un préfet de vingt-deux ans qui fait du zèle de novice et de six gros bourgeois tout au plus… ne sont-ce pas là de grands sacrifices à faire quand il s’agit pour vous d’une action bonne, juste et puissante ?

Prince, prince, écoutez la femme qui a des cheveux blancs et qui vous prie à genoux ; la femme cent fois calomniée, qui est toujours sortie pure, devant Dieu et devant les témoins de sa conduite, de toutes les épreuves de la vie, la femme qui n’abjure aucune de ses croyances et qui ne croit pas se parjurer en croyant en vous. Son opinion laissera peut-être une trace dans l’avenir.

Et vous aussi, vous serez calomnié ! et, que je vous survive ou non, vous aurez une voix, une seule voix peut-être dans le parti socialiste qui laissera sur vous le testament de sa pensée. Eh bien, donnez-moi de quoi me justifier auprès des miens, d’avoir eu espoir et confiance en votre âme. Donnez-moi des faits particuliers, en attendant ces preuves éclatantes que vous m’avez fait pressentir pour l’avenir et que mon cœur, droit et sincère, n’a pas repoussées comme un leurre, comme une banale parole de commisération pour ses larmes.

Prince,

Je vous remercie du fond du cœur des grâces que vous avez daigné accorder à ma requête. Accordez-moi, accordez à vous-même, à votre propre cœur, celle des treize déportés de l’Indre, condamnés par la commission mixte de Châteauroux. Ils ont adressé en vain leur recours à la commission des grâces. Us m’écrivent que le général Canrobert qui n’a voulu voir à Châteauroux que les autorités, contrairement à ce qui m’avait été dit de sa mission par trois de vos ministres, leur est annoncé comme devant les voir au fort de Bicêtre, où ils ont été transférés. Est-ce le moment d’invoquer la soumission, quand ils viennent, ces malheureux, d’être ferrés comme des forçats sous les yeux du préfet et de traverser ainsi la France, eux, hommes honorables et incapables de la pensée d’une mauvaise action ? Cet affreux système qui assimile la présomption de l’opinion publique aux crimes les plus abjects, ne voulez-vous pas qu’il cesse, et qu’on cesse de croire que vous l’avez autorisé, que vous l’avez connu ?

Prince, faites voir que vous avez le sens délicat de l’honneur français. N’exigez pas que vos ennemis — si toutefois ces vaincus sont vos ennemis — deviennent indignes d’avoir été combattus par vous. Rendez-les à leurs familles sans exiger qu’ils se repentent. De quoi ? D’avoir été républicains ? Voilà tout leur crime. Faites qu’ils vous estiment et vous aiment. C’est un gage bien plus certain pour vous que les serments arrachés par la peur.

Croyez-en le seul esprit socialiste qui vous soit resté personnellement attaché, malgré tous ces coups frappés sur son Église. C’est moi le seul à qui l’on n’ait pas songé à faire peur, et qui, n’ayant trouvé

en vous que douceur et sensibilité, n’a aucune répugnance à vous demander à genoux la grâce de mes amis.

Ces deux lettres envoyées, Mme Sand voulut encore une fois revoir le président quoique, comme nous venons de le dire, elle le nia plus tard, affirmation en désaccord avec les documents que nous avons sous les yeux. Voici d’abord une enveloppe contenant : 1° une lettre de faiie part imprimée annonçant que l’audience demandée est accordée, et 2° une réponse du général Roguet :

Madame
Madame George Sand
3, rue Racine.

Maison du président DE LA République SERVICE DES OFFICIERS D’oRDONNANCE,

Palais de l’Élysée, le 20 mai 1862.
Madame,

J’ai l’honneur de vous prévenir que le président de la Képublique vous recevra le vendredi 21 mai 1852 à 3 heures.

L’officier d’ordonnance de service.
Comte Roguet.
Madame George Sand.

Une autre enveloppe portant le même en-tête et adressée comme la précédente au numéro 3 de la rue Racine contient une seconde lettre du comte Roguet, datée du 22 mai, dans laquelle le général lui demande si elle a bien reçu la précédente, car elle n’y a point répondu et n’est point venue la veille, aussi s’informe-t-il de la cause de son silence. Enfin, dans une troisième lettre, datée du 24 mai, adressée « à Nohant par La Châtre, Indre », nous lisons :

Maison du prince
président de la république
service du général de division
aide de camp commandant
DE LA MAISON MILITAIRE.
Palais de l’Élysée, le 24 mai 1852.
Madame,

Je n’ai reçu que le 18 mai la demande d’audience que vous avez adressée au Prince Président de la République.

Si vous aviez bien voulu m’adresser directement, ainsi que le Moniteur et les journaux en (ont) donné avis, votre demande d’audience, vous auriez obtenu immédiatement une réponse. Je regrette vivement, madame, que cette circonstance ne vous ait pas permis de vous rendre à celle qui vous a été accordée et je vous prie d’agréer l’expression de mon respectueux hommage.

Le général de division
aide de camp commandant
la maison militaire.
Comte Roguet.
Madame George Sand.

On voit que l’audience demandée fut manques par simple malentendu, parce que la demande comme les réponses furent mal adressées, et que dans tout cela il n’y a pas un mot de l’attente de l’empereur, comme, aussi, il n’y a aucun doute que cette audience fut accordée parce que Mme Sand avait bien voulu revoir » le prince. Si elle s’était « crue jouée dès les premières entrevues » et n’avait « pas voulu le revoir », elle n’aurait pas demandé encore une fois à être reçue en audience.

Enfin au mois de juin George Sand écrivait encore une fois au prince-président :

Au prince Louis-Napoléon Bonaparte, président de la Répulique.
Nohant, le 27 juin 1862.
Monseigneur,

Vous avez répondu au prince Napoléon qui vous implorait de ma part pour les déportés et les expulsés de l’Indre, que vous m’accorderiez ce que je vous demandais. Je viens remettre sous vos yeux la liste des grâces que vous avez daigné me promettre et que j’attends comme une nouvelle preuve de vos bontés pour moi.

George Sand.

Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand le brouillon de la liste mentionnée dans cette lettre, portant au bas les mots : « Envoyé au président le 28 juin. » Cette liste est ainsi conçue :

Déportés ou internés en Afrique :

Patureau-Francœur, en fuite.

Lambert, Alexandre, en Afrique.

Jamet, d’Issoudun, en Afrique.

Renier du Blanc, idem.

Israël de Fressine, idem.

Laville-au-Roy (La Villeroy ?) d’Argenton, idem.

Moreau, de Neuvy-Pailloux, idem.

Vallette, d’Issoudun, idem.

Rossignol du Blanc, idem.

Exilés temporairement :

Fleury, en Belgique.

Périgois, à La Châtre.

Fromenteau, d’Issoudun, à Londres.

Curé Liotard, à Londres.

Internés :

Fulbert Martin.

Maderolle, de Châteauroux.

Envoyé le 28 juin au Président.

Le 29 juin le général Roguet accusa réception de cette lettre.

On voit par toutes ces lettres et documents que, lorsqu’il s’agissait de demander, George Sand ne le faisait pas une ou deux fois, pour ainsi dire « par acquit de conscience », afin de pouvoir seulement répondre à tel ou tel de ses amis : « Je l’ai fait », et en rester là. Elle s’acharnait à mener à bien chacune de ses demandes, elle ne craignait d’impatienter ni d’importuner. Et que voyons-nous ? Presque tous ceux pour lesquels elle avait fait des démarches furent graciés, libérés, rendus à leurs familles, ou du moins leur châtiment fut adouci.

Déjà le 9 mars 1852 Mme Sand put envoyer au docteur Conneau, ami intime de Louis-Napoléon, le résumé d’une partie de ses demandes et la liste des vingt-neuf personnes pour lesquelles elle s’était adressée au prince. Voici encore quelques documents officiels et quelques lettres écrites par les familles des protégés de George Sand, annonçant à cette dernière les résultats de ses démarches.

(Sans date.)
Madame,

J’ai fait la commission et l’on vient[207] d’écrire au ministre de la Guerre pour savoir ce qui en est de cette grâce qui n’aurait point eu son effet. Croyez bien, madame, etc.

Cavet.

À propos de ce même Desages auquel cette lettre fait allusion, Ferdinand François, le vieil ami de Mme Sand, par la Revue indépendante, lui écrit ainsi qu’il suit, en lui faisant parvenir la copie d’une lettre du général Baraguay d’Hilliers[208] :

Madame,

Je vous envoie ce fragment d’une correspondance entre Mme Roland et le général Baraguay qui pourra vous être utile dans vos démarches en faveur de Desages.

Le Lyonnais, ami d’Erdant (sic)[209] dont je vous ai parlé se nomme Félix Blanc, il est condamné à la déportation par le Conseil de guerre du Rhône et désirerait que sa peine fût commuée en exil. Je vous remercie d’avance pour mon recommandé et vous prie de recevoir l’assurance de mon respectueux dévouement.

Ferd. François.
Dimanche, matin.
À madame Pauline Roland.
16 mars.
Madame,

Quatre fois je suis intervenu en faveur de M. Luc Desages, gendre de M. Pierre Leroux et autant de fois le ministre de la Guerre m’ai promis de faire commuer sa peine en celle de bannissement. Hier je suis allé le voir et quand je lui ai parlé du transfèrement de M. Luc Desages à Brest, il m’a dit alors que cela s’était fait en dehors de son action. Mais comme cette dernière mesure pourrait en faire craindre une plus sévère que j’ai cherché à prévenir, hier soir j’ai vu M. le président de la République qui a pris note et m’a fait espérer qu’il donnerait suite à la promesse qu’il avait faite à Mme Sand…

Le général Baraguay auquel George Sand s’était adressée en outre pour son neveu, Oscar Cazamajou, qui servait dans les spahis, le général, disons-nous, avait déjà écrit à Mme Sand elle-même à propos de ses deux protégés, le 7 février (mars ?) :

Paris, 7 février 1852.
Madame,

Je m’étais empressé de prévenir Mme Pauline Roland que M, Luc Desages, gendre de Pierre Leroux, ne serait pas déporté à Cayenne et que j’intercédais près du ministre de la Guerre pour qu’il fût seulement exilé. Je vais lui faire part de la bonne nouvelle que vous me donnez aujourd’hui. Vous devez gagner toutes les causes que vous plaidez, madame, je voudrais bien qu’il en fût ainsi de toutes celles dont vous me chargerez. Afin de ne pas perdre de temps j’ai écrit hier au colonel du 2^ régiment de spahis pour lui recommander M. Cazamajou, votre neveu, et lui demander de le pourvoir d’un des emplois de maréchal de logis qui seront prochainement vacants dans son régiment

Je suis charmé, madame, de trouver une occasion de vous être agréable et de vous offrir l’expression de mon respectueux hommage.

Général Baraguay d’Hilliers.

Le 21 mars il lui écrit encore, et après quelques lignes consacrées au jeune Cazamajou, il revient à la question Desages :

…J’ai rappelé, il y a huit jours, au président la promesse qu’il vous avait faite, madame, de commuer la peine de la déportation eu celle de l’exil en faveur de M. Luc Desages. Le prince a paru surpris de le savoir encore en prison. J’espère donc que M. Desages recouvrera la liberté…

Sur l’enveloppe : Madame Georges (sic) Sand.
Paris, n° 3, rue Racine.
République française
Ministère de la Justice
Cabinet du garde des sceaux.
Madame,

M. le ministre de la Justice aura l’honneur de vous recevoir mardi 30 à 4 heures de l’après-midi. La commission des grâces n’a pas encore donné d’avis sur les trois personnes dont vous avez bien voulu me parler. Je vous prie d’agréer… etc.

Charles Abbatucci,
Chef du cabinet.
À Mme George Sand.
Cabinet du ministre
de la police générale
Paris, le 30 mars.

J’ai soumis au ministre la demande que vous lui aviez adressée pour que M. Émile Aucante et M. Fulbert Martin soient autorisés à résider dans votre propriété de l’Indre pendant un mois. Prenant en considération les motifs de votre demande[210], le ministre a bien voulu signer les deux autorisations que j’ai l’honneur de vous envoyer.

Le chef de cabinet,
Thiéblin.
Cabinet du ministre
de l’intérieur.
Paris, 1er avril.
Madame,

Je m’empresse d’avoir l’honneur de vous informer qu’un sursis d’un mois vient d’être accordé à M. Émile Aucante. Il est autorisé à résider pendant ce temps dans le domaine que vous habitez (département de l’Indre).

Le chef du cabinet,
Signé : Théophile de Montaud.

Post-scriptum autographe :

Je reçois à l’instant la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 31 mars et je ne puis, comme vous le voyez, y faire une meilleure réponse.

Th. M.
Mme George Sand, à Nohant, près de La Châtre. Indre.

Enfin le 12 avril, Desages père écrivit de La Châtre à Mme Sand qu’il venait de recevoir une lettre de son fils, écrite de Toulon, lui annonçant que, coup sur coup, Luc Desages avait appris par deux télégrammes : 1° qu’on le faisait revenir d’Afrique et 2° qu’on lui fixait pour séjour la Corse avec permission de choisir son lieu de résidence. Le père Desages ajoutait à cela qu’il ne devait cet adoucissement du châtiment de son fils qu’aux « nombreuses démarches de Mme Sand auprès du président » et que ni lui, ni la mère de Luc ne l’oublieraient jamais[211].

Les démarches de Mme Sand pour Patureau ne semblent pas avoir été immédiatement couronnées du même succès malgré la bonne volonté des personnes (entre autres Charles Abbatucci)[212] auxquelles elle s’était adressée, après avoir plaidé la cause de Desages :

C’est probablement à Patureau que se rapporte la lettre de Napoléon que voici, sans date, écrite sur un papier à son chiffre, avec couronne. La lettre, écrite par un autre, est seulement signée de la main de Napoléon.

Madame,

Dès que j’ai reçu votre lettre je me suis empressé de prendre des renseignements les plus précis sur la personne que vous me recommandiez et j’aurais été heureux de pouvoir faire quelque chose qui vous fût agréable. Malheureusement les rapports de l’administration, de la magistrature et de la gendarmerie s’accordent tous sur la nécessité d’interner votre protégé en Afrique. Personne plus que moi ne regrette les rigueurs auxquelles je suis forcé, mais mon but unique, étant de pacifier le pays, de manière à ce qu’il soit capable de supporter une véritable et saine hberté, je dois me montrer sévère envers ceux qui entretiennent toujours dans les masses des idées subversives et des projets d’insurrection.

Recevez, madame, avec l’expression de mes regrets, l’assurance de mes sentiments distingués.

Signé : Napoléon.
Mme George Sand.

Mais s’il arrivait parfois que Mme Sand ne parvenait pas à assurer le succès de ses demandes, ou si elle ne parvenait pas à arracher une libération, un élargissement complet, elle mettait en œuvre toutes ses relations afin d’adoucir au moins le sort des internés en Afrique, ou des exilés en Belgique ou en Angleterre. Elle écrivait des lettres aux généraux commandant les troupes d’Afrique, aux gouverneurs des places fortes ; elle envoyait de l’argent aux expatriés ; elle tâchait de ne pas laisser les pauvres exilés sans nouvelles de leurs familles ; elle soutenait ces dernières, enfin elle faisait, ici encore, preuve de cette infime chanté active, de cet amour actif qui lui était propre dès l’enfance et dura jusqu’à la tombe. Cette pitié divine qui brûlait en elle subjuguait et charmait tous ceux à qui elle s’adressait. De sorte que si une partie des réponses officielles à ses demandes d’audience, à ses mémoires et suppliques, ne témoignent que d’une correction respectueuse et de la bonne éducation de ses correspondants, une foule d’autres lettres nous montrent quelle admiration infinie, quel enthousiasme éveillait Mme Sand chez ceux pour qui elle faisait ces démarches, tout autant que chez ceux auprès de qui et par qui elle les faisait. Il est à noter, incidemment, que plus ses correspondants sont haut placés : le prince, les ministres, les chefs de cabinet ou commandants de maison militaire, et les intimes amis de Napoléon : MM. Abbatucci et de Montaud, le vicomte Clary et M. Vieillard, — intime entre tous — les généraux Roguet et Baraguay d’Hilliers — et plus leurs lettres, toutes personnelles, sont affables, affectueuses même ; ils prient Mme Sand d’agréer l’expression de leur « admiration affectueuse », ou de leur « sincère admiration » ; ils lui parlent « d’un et même sentiment » dans lequel ils « confondent l’auteur et ses ouvrages ». Les hauts fonctionnâmes et les secrétaires privés des ministres sont déjà tant soit peu plus réservés et plus secs ; les préfets et les sous-préfets sont non seulement parfaitement et officiellement raides, mais parfois même d’une impolitesse tout olympienne. C’est ainsi que Napoléon et M. de Persigny, le ministre de la Guerre et le comte Roguet « s’empressent » de lui accuser réception de la lettre qu’elle c leur fît l’honneur de leur adresser », lui déclarant être « charmés de la recevoir tel jour de la semaine qu’il lui plaira de vouloir fixer » et se disent «heureux de pouvoir lui rendre service », — tandis qu’un préfet lui écrit : « Je consens volontiers à vous accorder le quart d’heure d’audience que vous me demandez. Vous pouvez venir à la préfecture mercredi prochain à une heure… etc., etc. (!!!). »

Quant à ceux pour qui George Sand s’adressait à tout ce monde officiel, on ne peut vraiment lire sans en être profondément ému les lettres d’Alexandre Lambert, d’Émile Aucante, Fulbert Martin, Luc Desages, Ernest Périgois, Patureau-Francœur, de Mmes Lumet ou Lise Perdiguier et d’un grand nombre d’autres, soit de la prison de Châteam-oux, des forts d’Ivry et de Bicêtre, soit de la cale des vaisseaux les emmenant en Afrique, de Bruxelles, de Toulon et de Londres, parfois même… de quelque grange ou de quelque coin de la forêt où ils se cachaient. Et quelle reconnaissance enthousiaste respirent les lettres des amis, des parents qui s’empressent d’annoncer à Mme Sand la libération ou le retour au bercail de leur père, frère ou mari, à cette chère et vénérée Mme Sand dont les soins pieux pour leurs proches leur étaient restés inconnus jusqu’à ce jour-là. Il est douteux que quelque autre écrivain, ou quelqu’un d’autre, en général, ait obtenu de tels hymnes d’admiration émue et d’enthousiaste gratitude. « Chère madame et excellente protectrice des martyrs politiques de notre triste époque » l’appelle l’un de ses correspondants. Un autre « croit pouvoir compter sur la bienveillante intervention de Mme George Sand dont le département de la Creuse reconnaît les sympathies en faveur des condamnés politiques ». Marie Lambert ayant appris par Mme Fleury ce que Mme Sand fit pour eux la remercie avec chaleur, et Luc Desages l’appelle « madame et amie » quoiqu’il « ne sache pas s’il a le droit d’employer ce dernier nom ; cependant je ne puis m’en empêcher », sachant ce qu’elle avait fait pour lui, et qui elle avait vu. Il ne veut donc pas remettre jusqu’à sa libération complète l’expression de sa reconnaissance pour lui, d’abord, puis pour sa femme, son enfant, son beau-père, et il lui parle de son admiration et de sa reconnaissance, « sentiments qui depuis mon plus jeune âge n’ont jamais varié »…

Le communiste Arnold, dans sa lettre de recommandation datée de Londres, mercredi 24 août 1852, donnée par lui à une dame qui voulait faire un pèlerinage chez a la mère d’Indiana », l’appelle « la sainte du Berry », et Marc Dufraisse lui écrit de Bruxelles en la nommant « Notre-Dame du Bon-Secours ». Mme Lumet la remercie pour tout ce qu’elle avait « bien voulu faire pour eux, et pour l’humanité, quoique ses démarches n’aient pas abouti » à un élargissement complet, et elle ajoute : « Je ne maudirai jamais mes souffrances, puisqu’elles me procurèrent l’occasion de vous connaître. »

Votre dévouement, mon cher George, — lui écrit à la date du 21 mai Gabriel de Planet qui l’aidait en ce moment à faire une souscription en faveur des exilés, — votre dévouement est sans bornes pour les amis et les malheureux. Que d’autres admirent votre génie, quant à moi je m’agenouille avant tout devant votre grand cœur…

Abel Dufraisse lui écrit de Ribeyrac le 23 novembre 1852 :

… Nous avons ignoré longtemps à quels personnages et à quelles influences était due la commutation de la peine de déportation décrétée par Louis-Napoléon Bonaparte contre Marc, mon frère, en celle de bannissement.

Et il dit que cette ignorance leur avait été très pénible. Aujourd’hui seulement les siens ont appris que « cela était dû à sa bienveillance et à sa puissante intervention ». En la remerciant au nom de toute sa famille qui est heureuse d’être obligée « envers une personne pour laquelle nous avons une grande admiration et une profonde sympathie qui date de loin », et en lui disant que lui et les siens n’avaient « point été étonnés des démarches qu’elle avait faites de son propre mouvement en faveur de leur frère », il termine sa lettre par ces mots :

Ah ! bonne et chère dame, joignez, je vous en supplie vos instances, vos sollicitations à nos prières, peut-être arriveront-elles jusqu’à Dieu si elles ne peuvent faire fléchir les rigueurs du pouvoir. La voix d’une femme est si éloquente, si puissante. Marie priera pour le malheureux exilé, vous, vous voudrez bien intercéder en sa faveur auprès de Bonaparte. Nous bénirons votre nom ; et vos bontés, votre dévouement méconnus sur la terre seront récompensés dans le ciel. Recevez, excellente patronesse (sic) des martyrs, consolatrice des affligés, l’assurance de ma haute considération et de mon profond respect…

Marc Dufraisse lui-même écrivit à Mme Sand la lettre suivante fort curieuse et fort caractéristique, sous maint rapport, et que nous donnons en entier malgré sa longueur, car elle nous paraît, pour des raisons particulières, mériter d’être citée.

Bruxelles, 19 février 1852.
Ma chère dame,

J’ai enfin une chambrette, du feu de charbon de terre, et du papier blanc. Laissez-moi vous écrire, comme écrivent les proscrits, longuement. Ils ont tant de choses à dire ! Ils aiment tant à parler d’eux ! Donc, je vais causer avec vous de moi, d’abord, pour n’y plus penser et n’y revenir plus, puis beaucoup de vous, des exilés et un peu de l’homme qui nous a bannis.

Mon odyssée à moi commence mal. Je suis aux prises avec le gouvernement belge. C’est déjà une histoire. Avez-vous le temps de l’écouter ? Vous la lirez une autre fois, si elle vous ennuie aujourd’hui.

Ces Flamands, bonne dame, ne comprennent qu’à moitié les devoirs de l’hospitalité. Les notions les plus vulgaires du droit d’asile s’effacent ici devant la peur qu’on y a du gouvernement français. Le Brabançon ne veut pas comprendre et il ne sent pas qu’eussent-ils été coupables dans leur pays, les fugitifs qui franchissent sa frontière, son seuil, qui viennent s’asseoir à son foyer, qui lui demandent un refuge, sont des innocents pour lui, des infortunés dignes d’un accueil fraternel, cordial et de tous les égards dus au malheur. Ces Belges nous ont reçus sans nous accueillir. Ces chrétiens-là n’ont de leurs obligations envers les exilés qu’une idée vague et confuse comme les regards de leurs yeux. Les païens en avaient mieux le sentiment.

On ne se doute pas, dans ces Pays-Bas, que, comme le pauvre, le proscrit est une chose sacrée. C’est affligeant à voir, c’est cruel à éprouver. Le droit des gens, cette antique constitution des peuples, ce vieux code de l’humanité, disparaît ici devant la panique universelle, la terreur de l’invasion. Tout périra-t-il donc dans ce siècle d’égoïsme et de couardise ? Vous verrez que la pitié, même pour les plus saintes infortunes, s’en ira comme s’en vont toutes les bonnes choses du passé.

Croiriez-vous, madame, qu’ils ont eu, dit-on, la pensée de m’expulser ? Qu’ils voulaient du moins me reléguer à l’extrémité de leur monarchie, sur la frontière de Prusse, dans les Ardennes belges, contrée de bois, royaume des sangliers, pays perdu ? Est-ce que je pourrai vivre, moi, dans ces lieux sauvages et déserts ?

Quand ils m’ont signifié cette décision, il m’a fallu plaider ma cause en suppliant. Sans la maladie qui m’a couché dès le jour de mon arrivée à Bruxelles et qui m’a tenu au lit trois ou quatre jours, je serais déjà, malgré toute mon éloquence diplomatique, interné à Saint-Hubert.

Comme il est possible que la querelle entre M. Léopold et moi s’envenime et qu’il peut très bien arriver qu’on m’envoie isolément je ne sais où, je veux, pour que vous ne m’accusiez pas d’être une mauvaise tête, vous résumer ce que j’ai dit à l’un des commis de Sa Majesté…

« Quel que soit mon nom, vous devez l’ignorer. Pour vous je ne suis, je ne dois être ni Pierre, ni Paul, ni Marc ; je suis homme anonyme, banni. Quel qu’ait été mon crime en France, fussé-je mille fois convaincu de résistance à l’usurpation, vous ne devez pas faire acception de mes antécédents politiques. Il ne vous appartient de considérer ni mon passé public, ni l’avenir que les événements de la révolution me destinent. Pourvu que je ne me mêle pas de vos affaires, vous ne devez voir en moi que mes infortunes particulières et présentes et mes misères de proscrit. Je suis, dites-vous, l’un des hommes les plus compromis, soit. Mais alors à quoi bon le droit de refuge, si vous le refusez aux criminels politiques pour qui seuls l’humaine coutume l’a fondé ? Que servira le droit d’exil, si vous fermez impitoyablement les portes du lieu à qui seul a besoin qu’elles s’ouvrent devant lui ? Vous craignez l’annexion à la France esclave de votre territoire encore libre ? Vous voulez garder l’indépendance de votre pays, vos lois, vos institutions, vos mœurs ? C’est bien ; mais est-ce donc de l’indépendance que d’obéir ainsi à l’étranger et d’aller peut-être au devant de ses désirs ? Qu’est-ce que la séparation officielle et apparente de deux terres, si vous subissez les ordres de la police de Paris, si vous marchez ainsi, de gaieté de cœur, vers un asservissement moral volontaire, plus honteux cent fois qu’un asservissement par l’invasion et la violence ? Ce n’est point par des complaisances pusillanimes que vous sauverez votre personnalité. Le danger est dans vos condescendances sans exemple et dans vos faiblesses sans nom. C’est à faire ainsi les volontés du fort que vous perdrez votre nationalité et votre honneur. Vous tomberez ainsi sans éclat et sans grandeur. Obéir à des notes venues de France, c’est renoncer à vous-mêmes. On abdique, sachez-le bien, on abdique sans dignité et sans profit, quand on exécute lâchement et cruellement les ultimatum cruels et lâches d’une diplomatie de brigands. En ce qui me concerne, la Belgique serait-elle donc moins humaine envers moi que le gouvernement français ? Considérez-moi un peu, je vous prie. Voyez combien ma constitution est chétive et frêle. Mon tempérament est miné parles maladies, épuisé par la vie de révolution, par les plus patriotiques chagrins. Affaibli par le séjour des prisons, empoisonné par le regret de la patrie absente, ma santé a besoin de soins habiles et constants.

« Il me faut, tout atroce qu’on m’ait fait, le commerce des hommes, leur bienveillance, leurs sympathies, l’assistance morale de leur commisération. Il me faut, tout barbare qu’on me dise, la communication des idées, l’échange des sentiments, la compagnie des livres, l’étude, l’air enfin de la civilisation. Tout tigre que je suis, je ne veux pas aller vivre avec vos loups des Ardennes et vos marcassins de Saint-Hubert. Qu’adviendra-t-il de moi, si vous m’envoyez à l’extrémité de vos terres, dans vos forêts, sur les bords abandonnés de la Meuse belge ? Si vous ajoutez la mélancolie de l’isolement aux amertumes de l’exil, à la nostalgie qui me gagne ? Voyez, je suis souffrant, valétudinaire ; j’ai quitté, pour me rendre à vos ordres, mon lit de fiévreux. Votre climat humide et froid aggrave le triste état de ma poitrine. Que sera-ce donc si vous m’envoyez respirer le mauvais air des étangs et les émanations mortelles des marais de Saint-Hubert ? Votre hospitalité me sera-t-elle donc aussi fatale que l’eût été ma déportation sous le soleil de l’Équateur ? Il eût mieux valu pour moi peut-être d’aller à Cayenne que de venir chez vous. »

Voilà, madame, le résumé fidèle de ma supplique verbale. Je vous demande pardon de vous avoir fatiguée de ce parlage ; mais je veux vous mettre au courant du conflit, afin que vous m’aidiez et, s’il est possible, à me tirer du mauvais parti qu’on veut me faire ici. Je ne veux pas aller en Angleterre, mes ressources ne me suffiraient pas dans ce pays. Je veux rester en Belgique et à Bruxelles. Il me faut de bonnes raisons pour fermer la bouche au gouvernement d’ici. La meilleure serait de pouvoir leur dire, si j’en avais la certitude, que l’autorité française ne demande point mon internement ; que c’est là une persécution toute bénévole et toute gratuite de l’autorité belge. Or, je ne puis pas croire que le gouvernement français s’occupe de moi et qu’il pèse sur la Belgique pour qu’elle me traite avec rigueur. Je crois plutôt à la spontanéité tracassière de la police brabançonne. N’y aurait-il pas moyen de vérifier cette conjecture et de m’édifier sur ce point ? Si, sans vous déranger, il vous était facile, par vos relations, d’être informée là-dessus, je serais bien heureux de pouvoir dire au gouvernement belge : c’est d’office que vous me tourmentez. C’est très sérieusement que je ne veux pas aller à Saint-Hubert. L’assignation de ce lieu de séjour est une plaisanterie de fort mauvais goût ; c’est une avanie à laquelle je ne veux pas me soumettre ; c’est une méchanceté sans esprit que je ne veux pas subir. Nous sommes ici quelques-uns que l’on veut rendre ridicules ; je ne me résignerai jamais à être bafoué. Vous savez la légende du grand saint Hubert, l’histoire des bagues qui préservent de la morsure des chiens enragés et de ces anneaux qui guérissent de la rage. Eh bien, on dit ici, avec une bêtise méchante que le gouvernement envoie à Saint-Hubert les chiens enragés de l’émigration française, que le grand saint nous guérira de nos accès de rage, et que, quand nous reviendrons de là-bas, nous ne scandaliserons plus les honnêtes gens par nos convulsions d’hydrophobie. Tenez, à ce moment, je ris de cette bêtise vraiment belge ; mais je ne veux pas être le jouet des mauvais plaisants qui gouvernent ce pays-ci. Et c’est plus encore une question de santé que d’amour-propre. Le fait est que je suis malade. J’ai l’arrière-gorge travaillée par une inflammation chronique qui menace d’attaquer les bronches et de porter ses ravages plus bas encore. Je me sens de la fièvre. Si la raison d’État m’envoie dans la Sibérie belge, je n’y résisterai pas longtemps. Mon mal n’est pas de ceux que saint Hubert avait reçu le don de guérir. Puis, enfin, il y a là une question de vie matérielle. Si j’étais ici à poste fixe, peut-être trouverais-je à faire quelque besogne honorable dont le salaire m’aiderait à subvenir à mes besoins.

J’ai bien trop longtemps parlé de moi. De vous maintenant et de nos amis les proscrits ! Le sujet est délicat à toucher. Ici l’on vous blâme un peu ; moi, je vous défends beaucoup. Je sais, vous me l’avez dit chez Proud’hon, qu’il n’est jamais entré dans vos projets de déclarer la guerre à Bonaparte. La neutralité de votre part étant irrévocablement arrêtée avec vous-même, je n’ai pu blâmer le parti que vous cherchiez à tirer de vos rapports antérieurs avec Louis-Napoléon. Je ne puis que vous louer, au contraire, de votre intervention, soit pour une amnistie générale, soit pour des mises en liberté particulières. Je ne comprends pas, en vérité, ceux qui vous font un crime de vos démarches toutes pleines d’humanité. Vos actes, en ces jours de proscriptions, marqueront selon moi une des plus belles pages de votre vie. Sans doute, je vous aurais mieux aimée attaquant le parjure, la violation du droit et des lois, et faisant par votre courage de femme rougir les hommes de leur lâcheté. Vous ne voulez pas de cette célébrité, Vous aurez raison peut-être ; peut-être vaut-il mieux être vous, vous intercédant pour la France, pour les victimes, pour vos amis, que de refaire Mme de Staël, même avec supériorité, et d’irriter un caractère vindicatif et rancuneux. Faites donc votre naturel comme disent les artistes. Soyez la Notre-Dame du Bon Secours. Qui donc, en ce naufrage universel, voua ferait raisonnablement un grief de votre sollicitude ? Quel crime, grand Dieu ! que de ramer vers les malheureux que le flot submerge ! Tenez pour certain, madame, que dans les suprêmes désastres, le sauvetage est une œuvre tout à la fois de bien et de hardiesse. Quand pitié peut être taxée de complicité, c’est courage peu vulgaire et vertu peu commune que d’implorer pour les vaincus.

Je vais plus loin encore et je dis que si vous obtenez l’amnistie en masse, vous aurez rendu un immense service à la République. Cela n’est point un paradoxe. Que ferons-nous pour elle dans l’exil ? De quel secours serons-nous pour elle ? Volontaires ou forcés, de quel poids réel des émigrés ont-ils jamais pesé dans les destinées de leur pays ? Loin du milieu natal, chacun de nous perd plus des trois quarts de sa valeur et de sa force, et la totalité de son action. Je nous vois ici, désorientés, ahuris, démoralisés, conscients de notre impuissance, morts, oui morts, car nous ne vivons plus de la vie politique, depuis que nous sommes détachés de l’arbre, arrachés du sol. C’est un de mes tourments, et le plus intolérable peut-être, que le spectacle de cette insouciance des bannis, de cet abandonnement d’eux-mêmes. Je ne leur en veux pourtant pas, leur apathie est forcée, fatale. On n.’a plus d’ardeur pour la lutte, quand il n’y a plus de danger en perspective. Le nerf des hommes dans notre position, c’est le péril. Ici, la sûreté, la bière, l’oisiveté seront mortelles à nos amis. Je dis, moi, qu’il faut rentrer si, pour des motifs que je ne veux pas examiner, on nous ouvre la frontière de France. Je ne considérerai point comme une faiblesse, même Bonaparte régnant, le retour au pays, non pas pour accepter son usurpation ou pour la subir, mais le retour à la lutte, au péril, à l’énergie qu’il donne, aux dévouements qu’il inspire. On dit que nous ne serons pas en sécurité dans une caverne de bandits. Je le sais bien et je dis que c’est précisément à cause de cela qu’il faut rentrer. Notre absence n’enseigne rien au pays. Vingt ans d’exil et de souffrance, vingt ans de misère et de résignation n’avanceront pas d’un seul jour la restauration républicaine. Notre présence au pays sera une protestation vivante contre le crime.

On craint que l’amnistie ne popularise Bonaparte. Cet acte ne lui donnera que la force qu’il a et ne changera rien aux conditions de sa faiblesse. Les niais et les fripons sont à lui quand même. Les hommes de cœur ne cesseront pas de le détester pour son masque de générosité et de clémence, et toute colère qui désarmera devant cette hypocrisie grossière n’est ni vigoureuse ni bien trempée.

Insistez donc pour une rentrée en masse des bannis. Les mères, les femmes, les enfants vous béniront. C’est beaucoup déjà ; mais je vous le jure, moi qui observe, vous aurez servi indirectement, mais efficacement la cause républicaine ; je m’entends et me comprends.

Je ne veux pas clore ce cahier sans vous parler un peu de l’homme dont je suis, selon votre dire, l’ennemi très personnel. Ce n’est pas pour l’invectiver, de vous à moi. Non, je n’aime pas ce journalisme manuscrit et à huis clos. Mais j’ai cru remarquer que vous n’aviez pas une très mauvaise opinion de cet homme-là. Je crois qu’en retour des prétendues grâces qu’il vous accorde, vous ne vous croyiez obligée de penser et de dire du bien de lui. Puisque vous avez pris la résolution de ne point l’attaquer de votre plume, sachez que la magnanimité de votre silence suffit à elle seule pour vous libérer envers lui. Votre neutralité, mais c’est une chose énorme que vous lui donnez. De grâce, madame, ne poussez pas plus loin le sacrifice. Rien ne vous impose le devoir de l’estimer et de l’admirer. Gardez pour de meilleurs que lui vos affections et vos enthousiasmes, trésors si précieux pour qui vous sait. Jugez-le moins par votre imagination, c’est toujours la folle du logis. Vous êtes trop honnête pour être défiante, mais vous verrez qu’il vous trompera, vous, comme il a trompé les hommes et Dieu. Je n’aime pas vous entendre dire qu’il est chevaleresque, je l’aime d’autant moins que vous le pensez. Vous vous laisserez donc toujours capter par l’hypocrisie. Non, sous ce flegme, qui n’est pas français, il n’y a rien d’honnête ni de grand. Que votre soif de réformes et vos aspirations vers le règne de la justice n’altèrent point votre jugement d’habitude sûr et sain. Ne vous laissez donc pas prendre aux promesses monosyllabiques de l’empereur socialiste. Vous saurez me dire un jour ce que c’est que le socialisme pour ce cerveau plat et ce cœur sec. Son socialisme, à lui, ne créera rien, soyez-en d’avance bien certaine. J’en sais assez maintenant pour deviner le reste. Il veut constituer la féodalité des hauts traitements et dominer par les grands vassaux du salaire et la bourgeoisie et le peuple. Il ne veut pas une existence indépendante dans l’État, et pour assujettir tout le monde, il donnerait, s’il le pouvait, solde et paye à tout le monde. L’affaire des costumes n’est pas une fantaisie de maniaque. Il y a tout un système social : il commence par broder les fonctionnâmes sur toutes les coutures, pour arriver de classe en classe à donner une livrée à la nation.

Il en viendra, si le temps et notre pusillanimité le permettent, à réglementer toute chose, à embrigader toute personne. Il fera de la France une caserne. Il tuera toutes les activités, comme il a scellé toutes les bouches. Quiconque n’emboîtera point le pas sera un fort mauvais citoyen. Toutes les servitudes du communisme avec toutes les inégalités sociales du présent, voilà ce qu’il donnera au pays. Avec le bonheur du peuple pour prétexte, il tuera toute vertu comme rebelle et tout génie comme factieux. Il faudra que tout le monde rentre dans le rang. Il nous alignera bien plus pour abaisser les têtes trop hautes que pour niveler les ventres trop nourris. Il respectera tous les intérêts pour avoir le droit de poursuivre toute noblesse de cœur et toute indépendance d’esprit. Il ne lui faudra que des affranchis pour le servir et des esclaves pour le saluer. Il n’aime pas plus le peuple que les Césars n’aimaient la plèbe. Croyez-vous que c’était par dévouement à la multitude que les empereurs égorgeaient les patriciens ? Ce n’est pas l’aristocratie capitaliste qu’il menace et qu’il veut détruire, c’est bien plus à la supériorité de l’intelligence qu’il en veut. Je vois à cette heure et je prends en horreur la souveraineté de son but. Il m’a fallu l’expérience du temps présent pour bien comprendre la fin abominable que poursuivaient les Césars d’autrefois et par les tristes résultats qu’ils obtinrent je touche déjà de l’œil le terme où celui-ci nous mène. Je saisis maintenant la vérité profonde de ces deux mots de Tacite : magna ingenia et virtutes cessere. Tournez la phrase au futur et vous aurez l’avenir que cet homme nous prépare. Je le crois capable de renouveler les plus mauvais jours de l’empire romain et les scènes lugubres et contemporaines de la Galicie. Au besoin, il lancera les paysans contre les prolétaires. Mais il ne sortira rien de cette jacquerie napoléonienne. Tout son socialisme se résumera ainsi. Distribuer le donativum aux légionnaires et le congiarium à la lie des faubourgs. Est-ce là, madame, la société nouvelle que votre intelligence rêve et que votre cœur appelle de ses vœux ? Je vous en supplie, madame, n’ayez pas foi dans ce Messie. N’ayez pas de culte pour cette Providence aventurière. Vous vous souilleriez dans l’idolâtrie.

Pardonnez-moi les longueurs de cette lettre. Faites-moi rester à Bruxelles. Continuez-moi plus que jamais aide et protection. Arrachez l’amnistie à la politique. Tâchez de faire rentrer les proscrits. Ne faites pas de mal à cet homme, mais gardez-vous d’en penser du bien.

À vous de cœur.

Marc Dufraisse.
Rue Saint-Lazare, n° 35, près la porte de Cologne.

George Sand traça de sa bonne grosse écritm-e, à l’encre bleue, au bas de cette lettre : « Non, mon cher ami, je suis plus loyale que vous. — G. S. » Et le lecteur qui n’a pas le temps d’oublier, comme M. Dufraisse sembla l’avoir fait, l’histoire de son élargissement par ce même « homme » que Mme Sand devait « ne pas croire chevaleresque… » après l’avoir vu libérer ce même M. Dufraisse, dès qu’elle le lui eut déclaré comme son ennemi personnel, le lecteur, croyons-nous, trouvera ample matière à réflexion dans cette longue missive si classiquement rouge, et dans cette brève sentence bleue.

Voici maintenant une lettre collective que les détenus de Châteauroux, avant de se disperser, écrivirent à Mme Sand lorsqu’ils apprirent ses démarches pour eux ; il existait — on le voit — des gens capables de condamner George Sand pour cette activité pleine d’abnégation et de sacrifiée. Cette lettre fut envoyée à Nohant au moment où Mme Sand séjournait encore à Paris ; on a écrit (c’est M. Aulard) sur l’enveloppe : « A conserver pour remettre à Mme Sand à son retour. » Émile Aucante lui annonçait déjà dans sa lettre du 15 février, datée de la prison, que tous ses co-détenus voulaient lui écrire use lettre « pour rendre hommage à son courage et à son dévouement », et Ernest Périgois, vers cette même époque, lui faisait savoir que cette lettre par laquelle ses compagnons de prison lui exprimaient « leur collective admiration et respectueuse gratitude » était déjà écrite. « Cette lettre, dit-il, est en lieu sûr et ne sera remise qu’à vous-même et en temps utile, en raison de la liberté actuelle des opinions et des consciences », mais il voulait que IVIme Sand sût d’avance qu’il « suffisait à nos amis de connaître que votre sollicitude généreuse n’était pas restée inactive. Ce n’est jamais dans notre Berry démocratique qu’on parviendra à atténuer par les calomnies la vénération profonde qui s’attache moins à votre talent qu’à La noblesse de cœur qui l’inspire »…

24 février 1852.
Prison de Châteauroux.
Madame,

Les démocrates détenus de l’Indre ont appris dans leur prison les démarches faites par vous pour leur obtenir justice et quel motif pur, spontané, généreux avait dicté ces démarches ! Quel qu’en puisse être le résultat, ils ont voulu, avant de se séparer, vous adresser l’hommage collectif de leur gratitude. Ils ont tenu à vous dire qu’il leur serait doux de devoir à une intervention comme la vôtre la cessation des souffrances imméritées qui pèsent sur leurs familles et sur eux. Ils savent, en effet, qu’ainsi il n’en coûtera rien ni à leur dignité, ni à l’intégrité de la cause pour laquelle ils s’honorent de souffrir, en attendant que son triomphe profite à la sainte patrie qui a toujours droit au dévouement entier et désintéressé de tous ses enfants. Vive la République quand même !

Beucher-Defant, J.-B. Lumet,

Sallé Lucas, E, Périgois, J.-A. Amouroux, Confoulant D.-M., L. Laperrine, Lebert, Mathieu Moreau, Lelièvre, Jamet, Châtelain Froment, Clavelot, C. Fromexteau, J.-B. Defressixe, Caxuet, av. lic, Girault D.-M., Th. Reigner, Émile Aucante, Alex.

Lambert, P. Rossignol.

Il a été matériellement impossible, en raison de la difficulté des communications, de présenter la lettre aux autres détenus.

N’est-il pas curieux, aussi, que dans un seul et même amas de paperasses, côte à côte avec les lettres de « l’ouvrier typographe » Tremblay (qui annonçait à Mme Sand la maladie et la mort de Mme Pauline Roland exilée), avec celles du vigneron Lumet, celles de Patureau-Francœur — républicain connu et simple vigneron aussi, — ces dernières écrites sans aucune espèce d’orthographe, mais dans une langue très pure et témoignant d’une grande élévation morale, d’une culture et d’une profondeur d’esprit exceptionnelles, — côte à côte avec ces lettres nous trouvons, disions-nous, des lettres du comte d’Orsay toutes imprégnées de la désinvolture la plus élégante, la plus mondaine, la plus parfaite qui soit.

Et tous ces correspondants que disent-ils, tous ? L’arbiter elegantiarum londonien, comme l’humble prolétaire, cet intransigeant républicain Dufraisse, comme le paisible et fin compagnon de la jeunesse de Nohant, — tous ils s’empressent de due à Mme Sand : « Je suis heureux de m’appeler votre ami. Vous êtes une grande âme, un grand cœur, je me prosterne devant vous comme devant une divinité… »

3 mai 52.
Chère madame Sand,

Un quart d’heure après que j’ai reçu votre lettre Louis-Napoléon avait entre ses mains celle que vous lui aviez adressée. Son huissier de la chambre, domestique confidentiel, était le mien anciennement, et par ce moyen mes lettres sont toujours remises à la minute. J’ai aussi mis en campagne Napoléon qui est prêt à agh comme anière-garde, si vous ne recevez pas de réponse. Donc, tenez-moi au courant et n’ayez aucune crainte à l’égard de votre protégé. Tout ce que vous me dites de Lambert je l’avais deviné par instinct. Ah ! mon Dieu, que vous avez raison de dire qu’il n’y a que les belles natures qui savent accepter ce qui vient du cœur, sans en être gêné.

J’ai revu notre fou[213] qui avait oublié cent fois en route tout ce qu’il vous a promis. Le fond de l’affaire c’est qu’il aime trop sa femme et qu’il ne peut se résigner, étant sobre, à une séparation. J’espère pourtant qu’il va s’accoutumer à sa vie de célibataire, car si par hasard, ils se remettaient ensemble, la brouille recommencerait dans quinze jours.

J’accepte votre dédicace sous toutes les formes, et plus c’est long, plus j’en profite. Je suis heureux d’aller à la postérité avec vous. Adieu pour le moment.

Votre ami affectionné.

d’Orsay.

Écrivez-moi si vous avez reçu une réponse de L.-N.

Lundi.
Chère madame Sand,

Imaginez comme j’ai été heureux lorsque Lambert[214] m’a apporté votre lettre, car je venais d’écrire à Napoléon[215] pour aller attaquer son cousin (car ils sont réconciliés), il a donc fallu envoyer chez lui pour lui économiser cette campagne. Il est venu chez moi ; je lui ai montré votre lettre, il est charmé que vous soyez satisfaite. Ne vous donnez pas la peine de remercier, je dois voir L. N. dans quelques jours ; je lui dirai ce qu’il faudra lui dire de votre part, ni plus ni moins. Il paraît que votre fille est à Besançon et que son mari a suivi le mouvement.

Je suis très curieux d’apprendre le résultat de ce carambolage. Je suis bien aise que mon roman soit fini ; j’espère que vous n’oubliez pas de dire dans la préface que vous m’aimez. Je tiens essentiellement à cela, car il y a bien longtemps que j’ai dit à Liszt et à Sue que j’étais convaincu que nous serions un jour grands amis. J’avais vos gravures chez moi et j’étais pétri de l’instinct de notre amitié.

Votre affectionné,

d’Orsay.

Mes amitiés à Manceau.

Mercredi.

Un mot au galop, chère madame Sand, j’ai envoyé votre lettre pour Louis-Napoléon. C’est à son tour cette fois, car hier j’ai dû écrire au président pour un malheureux bon compère du Midi qu’on allait empaqueter. Donc il ne fallait pas trop éperonner toujours du même côté. Je, suis beaucoup mieux et nous avons très bien dîné ici, Émile[216] heureux tout le temps d’avoir à me lire pour le dessert votre admirable lettre. Cabanis en était, comme moi, dans l’enthousiasme, ainsi que les nièces de lady Blessington[217] dont une a traduit ja Mare au diable.

Vous êtes une très chère femme indépendamment d’être le premier homme de notre temps, et vous savez comme je suis sincère.

Clésinger, grand exploiteur, a exploité le lit de mort de son père, peut-être cela portera-t-il bonheur à votre fille. J’en doute. Mais enfin essayons. Nous avons un levier pour agir sur lui maintenant, mais il faut que Solange y mette du sien !

Je l’attends avec impatience, car je vais tout essayer pour leur macadamiser un avenir moins cahotant.

Votre affectionné,

d’Orsay.

Amitiés à Manceau.

Mais comme il arrive toujours en ce bas monde, cette activité altruiste de Mme Sand et ses relations avec Louis-Napoléon furent autant exploitées par les bonapartistes que décriées par les républicains. Déjà en décembre 1848, George Sand dut protester contre l’abus fait de sa lettre de 1844 à Napoléon, qui avait été imprimée sans sa permission dans un almanach et deux plaquettes en but de propagande bonapartiste[218]. Elle réclama contre ce procédé dans le journal de Proudhon, le Peuple, et elle eut parfaitement raison de le faire, car elle avait écrit sa lettre au prince au moment où il avait été un vaincu, or, George Sand prit toujours parti pour les vaincus, les opprimés, contre les oppresseurs de tous les partis vainqueurs. C’est pour cette même raison qu’elle protesta encore, en 1852, contre l’impression dans le Journal de la cour (qui n’eut qu’un numéro) et la réimpression dans l’Indépendance belge, l’Estafette, le Journal du Cher et autres feuilles locales, de sa lettre à M. de Persigny, que nous avons citée plus haut.

L’impression de cette lettre était accompagnée de quelques lignes racontant qu’après son mariage M. de Persigny, durant son voyage de noce, avait reçu des quantités de lettres de demandes qu’il avait fidèlement transmises à Napoléon ; la rédaction supposait que ses lecteurs lui pardonneraient une indiscrétion qui leur permettrait de lire une lettre « faisant honneur à la main illustre qui l’a écrite et à la main généreuse qui l’a ouverte… », et l’article se terminait par ces mots : « Cette noble et simple épître a été couronnée de succès. Elle est un peu ancienne, mais elle prouve qu’avant d’être ministre M. de Persigny pensait déjà que la clémence est de la bonne politique ; elle démontre également que les relations du célèbre écrivain avec l’Élysée remontent un peu plus haut. Tant mieux puisqu’elles ont eu de ces bons résultats… »

George Sand s’adressa au journal la Presse, et voici ce que nous lisons dans son numéro du 21 juin 1852 :

« Nous publions un extrait d’une lettre qui nous est personnellement adressée par Mme Sand, mais nous ne le faisons pas sans son autorisation, condition qui nous parait toujours imposée par les convenances et la délicatesse, surtout quand il s’agit d’une femme :

L’Estafette reproduit un extrait de l’Indépendance belge dont on m’envoie une copie. Ou cette copie est inexacte, ou celle de la lettre signée par moi qu’on a envoyée à l’Indépendance belge est infidèle. Je n’ai pu écrire à M. de Persigny le 3 janvier 1852 pour lui demander l’élargissement de personnes qui n’ont été arrêtées ou poursuivies que le 15 janvier 1852, et je n’ai eu de relations avec M. de Persigny avant son ministère, que dans un temps déjà très éloigné, il y a plus de quinze ans. Il est sans importance de réclamer contre les autres inexactitudes de cette publication. Je ne comprends pas celle qu’on attache à supposer que j’ai eu des relations avec l’Élysée avant les événements politiques dont mes amis ont été victimes. S’il y a dans cette supposition une intention bienveillante ou désobligeante pour moi, je l’ignore et peu importe. Mais je dois à la vérité de dire que mes relations avec le prince Louis-Napoléon datent du temps de sa captivité et n’ont été renouées qu’après le 15 janvier 1852 dans un but dont je ne descendrai vis-à-vis de personne à me justifier. Je n’ai malheureusement pas obtenu tout ce que je demandais pour des familles désolées, mais je n’accuse de mon impuissance jusqu’à ce jour ni le président de la République dont les promesses me laissent encore de l’espérance, ni M. de Persigny aux équitables intentions duquel l’Indépendance belge a raison de rendre toute justice.

George Sand.

Il est évident que George Sand ne voulait pas, d’une part, être enrégimentée parmi les « amis » du parti vainqueur ; d’autre part, elle craignait de mécontenter ses vrais amis, pour lesquels elle intercédait. Les « inexactitudes » que nous pouvons signaler dans cette lettre sont celles-ci. D’abord, quoiqu’il soit vrai que depuis quinze ans elle n’ait eu de relations suivies avec M. de Persigny, — dont elle fit la connaissance en 1835 par Mme Rozane Bourgoing, — nous n’en voyons pas moins par ses lettres à René de Villeneuve qu’elle avait reçu chez elle « Fialin de Persigny quand il conspirait contre le prince »[219].

2° Ses relations avec le prince ne « dataient pas du temps de sa captivité » de Ham, car dans sa première lettre, là-bas adressée, elle le remerciait déjà pour « son bon souvenir ».

3° Si M. de Persigny n’était point encore ministre avant le 15 janvier, il est évident qu’il était déjà un personnage omnipotent et c’est pour cela qu’elle s’adressa à lui non seulement pour les « familles désolées », mais encore pour rendre un service direct à « son maire », M. Aulard. De même, elle contribua à faire nommer le fils du vieux procureur Daiguzon — de celui qui avait prononcé les « conclusions » lors de son procès avec M. Dudevant en 1836, — substitut de procureur à La Châtre (comme nous le voyons par une lettre de remerciements qui lui fut adressée par Daiguzon père). Elle prit aussi sous ses auspices… le préfet de l’Indre, des « auspices peu propices », car quoiqu’elle dise dans sa lettre à M. Maupas qu’elle « ne nommerait personne » parmi les trop fervents représentants locaux du pouvoir, elle n’en réussit pas moins à si bien esquisser le portrait du « Grand Lama » du pays que M. de Persigny ne tarda pas à l’appeler « bête » et « animal ».

4° Lumet, ainsi que Fulbert Martin et Alexandre Lambert — nommé par le Journal de la Cour, — furent arrêtés avant le 15 janvier. Mme Sand avait déjà entendu parler de l’arrestation de Lumet le 6 décembre[220]. Martin était détenu depuis le 21 décembre[221]. Donc, George Sand avait bien pu faire des démarches avant le 15 janvier, car trois de ses amis pour lesquels elle intercéda auprès de Persigny étaient déjà poursuivis et arrêtés, et beaucoup d’autres de même.

5° Comme nous l’avons vu, entre le 22 janvier et le 27 juin George Sand s’était adressée à M. de Persigny non seulement le 31 janvier et le 3 février, mais plusieurs fois, tant par lettre que de vive voix.

Enfin, depuis le 22 janvier et jusqu’au 21 juin beaucoup de ses demandes furent exaucées. Donc, elle aurait pu, dans sa protestation, parler non seulement d’une « espérance » qui lui restait, mais bien des résultats très réels et palpables de ses démarches. Dans le Journal de la Cour il n’y avait d’erroné que la date du 3 janvier, mise au lieu du 3 février, — et puis encore Alexandre Lambert y est nommé « Alph. Lambert », mais cela avait bien pu être une simple erreur du prote ou du copiste. Somme toute, George Sand aurait bien pu ne pas réclamer contre l’impression de cette lettre, et il nous semble même qu’elle fit, en protestant, preuve d’une certaine faiblesse. Elle craignit que sa défense de ses amis fût mal interprétée par leurs ennemis politiques, les républicains intransigeants, estimant de pareilles démarches humiliantes. Alors elle préféra s’en prendre aux mots et même nier la durée de ses rapports avec Napoléon et son ministre.

Elle rachète cette faiblesse en racontant sincèrement et honnêtement à ses amis les procédés courtois de Napoléon et de M. de Persigny et en insérant dans l’Histoire de ma vie quelques lignes établissant que dès 1835 elle avait apprécié l’esprit et les capacités extraordinaires du jeune Fialin de Persigny, et en ajoutant cette réflexion : « Je n’avais pas trop mal deviné[222]. »

Il est certain cependant que plusieurs républicains blâmèrent les démarches de George Sand. Non seulement ils n’approuvèrent pas ses généreux efforts, mais ils les condamnèrent de vive voix et par écrit, et contribuèrent à répandre dans la presse étrangère des récits très calomnieux et humiliants sur son compte.

On voit par les lettres de Périgois et d’Aucante écrites de la prison de Châteauroux, et par les lettres de Victor Borie, Étienne Arago et Marc Dufraisse, de Bruxelles, que si la plupart des victimes du coup d’État acceptaient son aide avec gratitude il y en avait d’autres parmi eux qui la jugeaient brutalement, tout en profitant de son secours, et qu’il y en avait même qui, tout en espérant en ses bons rapports « avec l’Élysée » et en la priant de travailler à leur retour eu France, lui déclaraient cyniquement qu’elle rendrait par là un grand service à la cause républicaine, car de loin ils ne pouvaient être bons à rien, et une fois revenus dans la patrie ils pourraient recommencer leur propagande secrète.

(Nous avons vu comment George Sand jugeait ceux-là !)

Mais les choses allèrent plus loin encore. George Sand eut à subir l’éloignement et le refroidissement de certains de ses amis les plus intimes pour avoir plaidé pour eux. Enfin, il se trouve que Quinet fut tellement « révolté » par ses généreux efforts pour sauver des innocents de la déportation et de la détention que, tout bouillant d’indignation, il cessa d’aimer même l’auteur, et que tous les chefs-d’œuvre de George Sand, si admirés jadis, lui parurent de la rhétorique ne soutenant pas une seconde lecture, depuis qu’il avait appris que l’auteur, « chapeau bas, faisait antichambre à l’Elysée… »[223]. Voilà les « beaux sentiments » républicains ! Ils décoiffent même les dames, et la Mare au diable, Jeanne et Consuelo n’ont plus aucune valeur parce que leur créatrice « osa s’abaisser » jusqu’à pouvoir faire gracier : quatre soldats condamnés à mort, vingt-six autres personnes menacées de déportation ou de détention, qu’elle arracha plusieurs vies au néant et plusieurs familles au désespoir ! C’est vraiment révoltant, n’est-ce pas ?

On peut donc pardonner à George Sand sa contrariété de voir sa seconde lettre à M. de Persigny publiée : elle savait trop de combien d’esprit et de cœur font preuve ses vénérables coreligionnaires, en jugeant les choses et les hommes.

Mais, répétons-le, la plupart des âmes simples acceptaient son secours en la bénissant, et son nom était prononcé au milieu d’eux avec une tendresse toute filiale. Et comme cela arrive bien souvent, plusieurs devinrent chers à George Sand parce qu’elle avait mi à endurer, à cause d’eux, tant de craintes, tant d’émotions, tant de soucis, et fait pour les sauver tant de démarches. Elle devint pour la plupart non plus seulement le célèbre auteur admiré, mais la très bonne, l’infiniment intime, la sœur, la parente adorée. Et peut-être que rien ne lia tant Mme Sand à ses amis berrichons, proches et lointains, et à tout un groupe de jeunes républicains ainsi qu’à leurs familles que sa façon d’être en ces tristes journées et plus tard encore. C’est ainsi par exemple que, lors des poursuites et des arrestations après l’attentat Orsini, elle intercéda pour Lumet, pour Périgois et pour Patureau-Francœur, dont l’un dut passer de longues années d’exil en Belgique, en Suisse et en Italie[224], et l’autre, déjà sauvé une fois, fut de nouveau arrêté, « martyrisé dans un cachot, puis envoyé comme un ballot dans le plus rigoureux exil, à Guelma[225]… Il resta en Afrique jusqu’à sa mort[226].

George Sand n’eut plus d’entrevue avec Napoléon III après 1852, et elle ne lui écrivit plus. Mais nous avons déjà dit ailleurs[227] qu’elle adressa à l’impératrice Eugénie (par l’intermédiaire de M. Damas-Hinard) une demande de secours en faveur du vieux poète Magu, et que l’impératrice lui fît immédiatement remettre mille francs pour qu’elle en fit l’usage le meilleur à ses yeux, soit en les donnant d’emblée au vieux chansonnier, soit en lui faisant une rente mensuelle. C’est à l’impératrice, aussi, que Mme Sand adressa ses pétitions en faveur des enfants et des petits-enfants de Marie Dorval — les Luguet — qui mouraient presque de faim[228], et en faveur du vieux marin, « le père Quiquisolles », qu’elle connut par Poncy, lors de son voyage dans le Midi en 1860. Elle intercéda encore en 1857 auprès de l’impératrice pour faire lever la suspension de la Presse survenue à la suite d’un article d’Alphonse Peyrat. C’était après un troisième avertissement ; les deux premiers lui avaient été attirés par la publication de la Daniella. Or, cette suspension laissait un millier d’ouvriers sans pain et c’est au nom de la charité envers ces malheureux innocents que George Sand fit appel, encore une fois, « au cœur maternel » de Sa Majesté.

Et toutes ces demandes non seulement ne restèrent jamais sans réponse, mais encore elles furent chaque fois le prétexte de maintes amabilités et compliments à l’adresse de Mme Sand de la part de l’impératrice.

C’est ainsi qu’en 1861, en envoyant à Mme Sand une somme d’argent pour le pauvre père QuiquisoUes (mille francs encore), M. Damas-Hinard les accompagnait de la httre suivante :


secrétariat
des commandements
de S. M. l’Impératrice.
Paris, le 11 mai 1861.
Chère madame.

Des circonstances tout à fait indépendantes de ma volonté, ne m’ont pas permis de faire savoir plus tôt à l’impératrice le malheur du brave marin le Père Quiquisolles ainsi que votre charitable intervention en sa faveur. Enfin, ce matin j’ai pu parler, et Sa Majesté a bien voulu me charger de vous adresser la somme ci-jointe (mille francs), qu’Elle vous prie de remettre vous-même à votre protégé. Quel dommage que la cassette ne se soit pas trouvée dans un état plus brillant ! Je crois bien que le père Quiquisolles n’aurait plus rien à regretter de son navire.

Permettez-moi maintenant, chère madame, si cela n’est pas trop indiscret de ma part, de vous soumettre une prière. Je désirerais vivement que vous eussiez l’extrême bonté de m’envoyer un mot de remerciement pour l’impératrice, bien entendu. Quant à moi, Je me trouve remercié d’avance mille et mille fois, par ce précieux témoignage de votre confiance dont je vous suis on ne peut plus reconnaissant.

Comme vous le savez sans doute, chère madame, le bruit a couru dernièrement que vous étiez malade. On s’inquiétait. Mais en vous lisant, on a vu que vous vous portez à merveille, et tout le monde est enchanté.

Adieu, chère madame ; avec l’expression renouvelée de la gratitude la mieux sentie, daignez agréer l’hommage de mon respectueux dévouement.

Damas Hinard.

Que dites-vous d’une souscription que vous ouvririez à Marseille dans l’intérêt du père Quiquisolles ? Il me semble qu’un appel signé George Sand serait entendu des richards les plus égoïstes[229] !

Lorsqu’en 1870 parut le roman de Malgrétout, certaines personnes crurent reconnaître dans l’aventurière qui y est dépeinte le portrait de l’impératrice[230]. Napoléon III et sa femme en furent très douloureusement peinés, comme on le voit par les lignes que Flaubert adressa à Mme Sand le 17 mars 1870 :


17 mars 1870.
Chère maître,

J’ai reçu hier au soir un télégramme de Mme Cornu portant ces mots : « Venez chez moi, affaire pressée. » Je me suis donc transporté chez elle aujourd’hui, et voici l’histoire.

L’impératrice prétend que vous avez fait à sa personne des allusions fort désobligeantes dans le dernier numéro de la Revue ! Comment ? Moi que tout le monde attaque maintenant. Je n’aurais pas cru ça ! et je voulais la faire nommer de l’Académie ! Mais que lui ai-je donc fait ? etc. Bref, elle est désolée, et l’empereur aussi ! Lui n’était pas indigné, mais prostré (sic).

Mme Cornu lui a représenté en vain qu’elle se trompait et que vous n’aviez voulu faire aucune allusion.

Ici, une théorie de la manière dont on compose des romans.

— Eh bien ! qu’elle écrive dans les journaux qu’elle n’a pas voulu me blesser.

— C’est ce qu’elle ne fera pas, j’en réponds.

— Écrivez-lui pour qu’elle vous le dise.

— Je ne me permettrai pas cette démarche.

— Mais je voudrais savoir la vérité cependant ! Connaissez-vous quelqu’un qui… Alors Mme Cornu m’a nommé.

— Oh ! ne dites pas que je vous ai parlé de ça.

Tel est le dialogue que Mme Cornu m’a rapporté. Elle désire que vous m’écriviez une lettre où vous me direz que l’impératrice ne vous a pas servi de modèle. J’enverrai cette lettre à Mme Cornu, qui la fera passer à l’impératrice.

Je trouve cette histoire stupide et ces gens-là sont bien délicats ! On nous en dit d’autres à nous !

Maintenant, chère maître du bon Dieu, vous ferez absolument ce qui vous conviendra.

L’impératrice a toujours été très aimable pour moi et je ne serais pas fâché de lui être agréable. J’ai lu le fameux passage. Je n’y vois rien de blessant. Mais les cervelles de femme sont si drôles !

Je suis bien fatigué de la mienne (ma cervelle) ou plutôt elle est bien bas pour le quart d’heure ! J’ai beau travailler, ça ne va pas ! ça ne va pas ! Tout m’irrite et me blesse ; et comme je me contiens devant le monde, je suis pris, de temps à autre, par des crises de larmes où il me semble que je vais crever. Je sens enfin une chose toute nouvelle : les approches de la vieillesse. L’ombre m’envahit, comme dirait Victor Hugo.

Mme Cornu m’a parlé avec enthousiasme d’une lettre que vous lui avez écrite sur une méthode d’enseignement.

George Sand répondit immédiatement par la lettre suivante que nous citons d’autant plus volontiers qu’elle manque dans le volume de la Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert publié en 1904. Nous l’empruntons au volume V de la Correspondance générale de George Sand, p. 369.


À Gustave Flaubert, à Paris.
Nohant, 18 mars 1870.

Je sais, mon ami, que tu lui es très dévoué. Je sais qu’Elle est très bonne pour les malheureux qu’on lui recommande ; voilà tout ce que je sais de sa vie privée. Je n’ai jamais eu ni révélation, ni document sur son compte, pas un mot, pas un fait qui m’eût autorisée à la peindre. Je n’ai donc tracé qu’une figure de fantaisie, je le jure, et ceux qui prétendraient la reconnaître dans une satire quelconque seraient, en tout cas, de mauvais serviteurs et de mauvais amis.

Moi, je ne fais pas de satires ; j’ignore même ce que cest. Je ne fais pas non plus de portraits ; ce n’est pas mon état. J’invente. Le public, qui ne sait pas en quoi consiste l’invention, veut voir partout des modèles. Il se trompe et rabaisse l’art.

Voilà ma réponse sincère. Je n’ai que le temps de la mettre à la poste.

G. Sand.

Flaubert accusa réception de cette lettre en ces termes :

Chère maître.

Je viens d’envoyer votre lettre (dont je vous remercie) à Mme Cornu, en l’insérant dans une épître de votre troubadour où je me permets de dire vertement ma façon de penser.

Les deux papiers seront remis sous les yeux de la daine et lui apprendront un peu d’esthétique.

Hier soir j’ai vu l’Autre, et j’ai pleuré à diverses reprises. Ça m’a fait du bien. Voilà ! Comme c’est tendre et exaltant ! Quelle jolie œuvre, et comme on aime l’auteur ! Vous m’avez bien manqué. J’avais besoin de vous bécotter comme un petit enfant. Mon cœur oppressé s’est détendu, merci. Je crois que ça va aller mieux ! Il y avait beaucoup de monde. Berton et son fils ont été rappelés deux fois.

Et dans sa lettre à Mme Hortense Cornu, Flaubert disait, entre autres ;

Votre dévouement s’était alarmé à tort, chère madame, j’en étais sûr ! Voici la réponse qui m’arrive poste pour poste.

Les gens du monde, je vous le répète, voient des allusions où il n’y en a pas. Quand j’ai fait Madame Bovary on m’a demandé plusieurs fois : « Est-ce Mme X… que vous avez voulu peindre ? » Et j’ai reçu des lettres de gens parfaitement inconnus, une entre autres d’un monsieur de Reims qui me félicitait de l’avoir vengé ! (d’une infidèle).

Tous les pharmaciens de la Seine-Inférieure se reconnaissant dans Bornais voulaient venir chez moi me flanquer des gifles. Mais le phis beau (je l’ai découvert cinq ans plus tard) c’est qu’il y avait alors en Afrique la femme d’un médecin militaire s’appelant Mme Bovaries et qui ressemblait à Mme Bovary, nom que j’avais inventé en dénaturant celui de Bouvaret.

La première phrase de notre ami Maury en me parlant de l’Éducation sentimentale a été celle-ci : « Est-ce que vous avez connu X…, un Italien, professeur de mathématiques ? Votre Senecal est son portrait physique et moral ! Tout y est, jusqu’à la coupe des cheveux ! » D’autres prétendent que j’ai voulu peindre, dans Arnoux, Bernard-Latte (l’ancien éditeur) que je n’ai jamais vu, etc., etc.

Tout cela est pour vous dire, chère madame, que le public se trompe en nous attribuant des intentions que nous n’avons pas.

J’étais bien sûr que Mme Sand n’avait voulu faire aucun portrait : 1° par hauteur d’esprit, par goût, par respect de l’art ; et 2° par moralité, par sentiment des convenances — et aussi, par justice.

Je crois même, entre nous, que cette inculpation l’a un peu blessée-Les journaux, tous les jours, nous roulent dans l’ordure, sans que jamais nous leur répondions, nous dont le métier cependant est de manier la plume, et on croit que pour faire de l’effet, pour être applaudis, nous allons nous en prendre à tel ou telle.

Ah ! non ! pas si humbles ! Notre ambition est plus haute, et notre honnêteté plus grande. Quand on estime son esprit on ne choisit pas les moyens qu’il faut pour plaire à la canaille. Vous me comprenez, n’est-ce pas ?

Mais en voilà assez. J’irai vous voir un de ces matins, en attendant ce plaisir-là, chère madame, je vous baise les mains et suis tout à vous.

Gustave Flaubert.
Dimanche soir.

George Sand revint encore une fois sut cette question dans sa lettre à l’ancien directeur de la Presse, alors de la Liberté, Émile de Girardin, car, l’assertion une fois lancée, se maintenait dans les journaux, et tandis que le critique de la New-York Evening Post défendait George Sand, celui de la Liberté assurait de nouveau que l’auteur de Malgrétout avait peint l’impératrice. Cette « interprétation arbitraire des intentions de l’auteur » révoltait George Sand qui y voyait, avec raison, « un affront à la littérature ».

… Comment peut-on, disait-elle[231], assimiler la tâche de l’artiste à celle du pamphlétaire honteux ? Si j’avais voulu peindre une figure historique, je l’aurais nommée. Ne la nommant pas, je n’ai pas voulu la désigner ; ne la connaissant pas, je n’aurais pu la peindre. S’il y a ressemblance fortuite, je l’ignore, mais je ne le crois pas. Tout personnage d’invention est plus fort et plus logique que nature, dans le bien ou dans le mal. On peut tracer la figure d’une classe d’ambitieuses qui ont échoué et qui ont réussi dans leurs projets, sans avoir aucune figure en vue, et je crois qu’il vaut beaucoup mieux pour l’artiste qu’il en soit ainsi. Vous savez tout cela aussi bien que moi. Vous êtes du bâtiment, Panoptès[232] trahit donc la fraternité maçonnique littéraire, en parlant comme il le fait…

Il n’est que trop vrai que si l’on ne tient pas compte du talent très hardi d’écuyère par lequel se distinguait Mlle de Montijo, tout comme Mlle d’Ortosa — (la seconde héroïne de Malgrétout, comme qui dirait la prima-donna di carattere, cédant le pas à la vraie héroïne, le soprano leggiere d’opéra) — si on oublie sa provenance espagnole et sa coquetterie exotique et si l’on ne s’attarde pas trop sur la profession de foi de cette même Mlle d’Ortosa et surtout sur son aveu que dans ses rêves ambitieux elle ne se contente que d’une couronne de souveraine pour couronne de mariée, Mlle d’Ortosa ne saurait être prise pour un portrait. Mais il y a toutefois des traits de ressemblance curieux qui avaient pu induire en erreur les contemporains, toujours avides de rechercher les clefs des romans, et Ton comprend, aussi, aisément que l’ex-mademoiselle de Montijo ait pu y découvrir certaines pensées intimes dont elle n’avait certes jamais fait l’aveu à personne. Il est surtout un passage dans ce roman qui nous paradt curieux à citer, c’est justement la conclusion de la profession de foi de Mlle d’Ortosa :

… Je ne puis parler du présent qu’en expliquant l’avenir. Donc, le voici, voici le but. Je ne l’ai entrevu que récemment, c’est-à-dire après ma vingt-quatrième année révolue. Jusque là, mon existence errante m’avait plu sans réserve, mais je fis cette réflexion, qu’elle ne pouvait pas durer toujours, vu que la beauté n’est pas éternelle. Elle ne m’avait servi qu’à apparaître, il était temps qu’elle me servît à rester sur l’horizon, cette beauté, puissance indispensable dont je n’avais pas encore bien mesuré la portée ; je calculais froidement ses chances ; je me dis qu’elle pouvait rester stable de vingt-cinq à trente ans, et qu’elle devait inévitablement décroître ensuite. Il fallait donc qu’à trente ans ma vie fût fixée et mon but saisi.

Ce but normal et logique pour moi, ce n’est pas l’argent, ce n’est pas l’amour, ce n’est pas le plaisir ; c’est le temple où ces biens sont des accessoires nécessaires, mais secondaires : c’est un état libre, brillant, splendide, suprême. Cela se résume pour moi dans un mot qui me plaît : l’éclat.

Vous voyez que je suis d’accord avec mon passé. J’ai toujours cherché et produit l’éclat ; je veux le fixer, le posséder, le produire sans effort, le manifester sans limites. Je veux donc tout ce qui le procure et l’assure. Je veux épouser un homme riche, beau, jeune, éperdument épris de moi, à jamais soumis à moi, et portant avec éclat dans le monde un nom très illustre. Je veux aussi qu’il ait la puissance, je veux qu’il soit roi, empereur, tout au moins héritier présomptif ou prince régnant. Tous mes soins s’appliqueront désormais à le rechercher, et, quand je l’aurai trouvé, je suis sûre de m’emparer de lui, mon éducation est faite. Je ne cours plus risque de me laisser charmer ; j’ai acquis tout ce qui a manqué à mon éducation première. J’ai étudié ; j’ai de l’érudition, de la science politique ; je sais l’histoire de toutes les dynasties et de tous les peuples. Je connais toutes les arcanes de la diplomatie et toutes les naïvetés de toutes les ambitions. Je connais tous les hommes marquants, toutes les femmes puissantes du passé et du présent. J’ai pris à tous leur mesure exacte, je n’en redoute aucun. Un jour viendra où je serai aussi utile à un souverain que je peux l’être aujourd’hui à une femme qui me demanderait conseil sur sa toilette. J’ai l’air d’attacher une grande importance à des choses futiles, on ne se doute pas des préoccupations sérieuses qui m’absorbent, on le saura plus tard, quand je serai reine, tsarine, grande-duchesse… ou président d’une république, car je sais bien que les peuples s’agitent et veulent du nouveau ; mais je ne crois pas à la durée de cette fièvre, présidente aujourd’hui, fût-ce en Amérique, je serais sûre d’être souveraine demain. Enfin je veux, après avoir joué un rôle brillant dans le monde, en jouer un éclatant dans l’histoire. Je ne veux pas disparaître, comme une actrice vulgaire, avec ma jeunesse et ma beauté ; je veux une couronne sur mes cheveux blancs. On paraît toujours belle, puisqu’on éblouit, avec une couronne. Je veux connaître les grandes luttes, les grands périls ; l’échafaud même a pour moi une étrange fascination. Je n’accepterai l’exil jamais, je ne fuirai jamais ; on ne me rattrapera pas, moi, sur le chemin de Varennes. Je ne deviendrai pas folie dans les désastres, je braverai les destinées les plus tragiques, je combattrai face à face le lion populaire ; il ne me fera pas baisser les yeux, et je vous jure que plus d’une fois je saurai le coucher enchaîné à mes pieds. Après cela, qu’il se réveille, qu’il se lasse, qu’il porte ma tête au bout d’une pique ! ce sera le jour de l’éclat suprême, et cette face pâle, plus couronnée encore par le martyre, restera à jamais gravée dans la mémoire des hommes[233] !

Quoiqu’il en soit, une page de roman reste une page de roman, mais George Sand a bien réellement un jour tracé une esquisse de l’impératrice, non plus dans une œuvre d’imagination, mais dans les très intéressants Impressions et souvenirs qui, tous les quinze jours, de juillet 1871 à janvier 1873, ornèrent les colonnes du Temps, d’abord sous des titres différents, et qui sont des documents de la plus haute importance pour l’histoire des idées de Mme Sand dans les dernières années de sa vie. C’est justement dans un chapitre de ces Souvenirs que nous trouvons, imprimées eu 1871, mais écrites en 1860, les lignes suivantes consacrées à l’impératrice. Ce chapitre présente, de plus, un résumé, fait de main de maître, de l’état des esprits et des partis d’alors, du désenchantement général survenu après 1848 et le coup d’État ; et enfin c’est un tableau frappant et coloré de cette transformation radicale ou plutôt de cette dégénérescence de toutes les classes de la société et du peuple qui fut le résultat de l’omnipotence nivelante de l’argent, de l’amour du gain et du luxe ; à ce moment-là il ne restait, au dire de Mme Sand, que deux classes ennemies : « celle qui consomme et celle qui produit, classe riche ou aisée, et classe pauvre ou misérable… » Le petit commerçant d’hier est un richard aujourd’hui ; le capitaliste d’hier — un prolétaire ce matin. Mme Sand y dépeint aussi d’une manière incisive l’influence désagrégeante et dissolvante qu’exerça sur toute la France cette poursuite effrénée du plaisir, ce train d’élégance débauchée et de gaspillage de prodigues que menait la cour de Napoléon III. Au fond, il n’y a plus de classes, répète-t-elle, le mur chinois qui séparait la cour de la noblesse, la noblesse de la haute bourgeoisie, la grande bourgeoisie de la petite bourgeoisie de province, et du demi-monde et des ouvriers, des paysans, n’existe plus. À commencer par les gens de la cour et jusqu’au dernier prolétaire, tout est mêlé. Les mœurs, les aspirations, les usages, toute la vie sont partout les mêmes. L’argent, voici ce qui nivelle tout le monde. L’argent et le succès ! Toute la question contemporaine se réduit donc à cette lutte entre les deux classes : les capitalistes et les travailleurs. Tout l’avenir de la France dépend de la victoire de l’une d’elles, ou du compromis, de l’entente à l’amiable entre elles, et non de la victoire de tel ou tel parti politique, ni du nom que portera le gouvernement.

République ou monarchie, peu importe. Le mieux serait de trouver un nom nouveau pour relier les deux antinomies qui sont là comme dans tout ; il faudrait voir arriver le moment où le producteur et l’exploiteur voudront tous deux, de bonne foi, et sous la pression d’une nécessité sociale bien démontrée, signer un acte d’association rigoureusement stipulé, après avoir été débattu à fond par les représentants élus de leurs intérêts respectifs[234]

Mme Sand disait un peu plus haut :

J’avais rêvé dans un avenir prochain, mais point trop éloigné, une crise sociale toute pacifique où les deux classes, puisqu’il n’y en a phis que deux, s’éclairant sur leurs droits et leurs devoirs réciproques pourraient faire un pacte d’étroite solidarité. Certes, cette grande chose arrivera, mais l’empire qui eût dû la préparer, l’empereur qui disait le vouloir, ont fait fausse route. Le Paris de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau est devenu la cité de Sardanapale…

…Ce coup d’État, qui, dans les mains d’un homme vraiment logique, eût pu nous imprimer un mouvement de soumission ou de révolte dans le sens du progrès, ne nous a conduits qu’à un affaissement tumultueux à sa surface, pourri en dessous… Et nous ne sommes pas au bout, car chaque jour qui s’écoule signale un nouvel effort vers cette décomposition. Le vertige cherche un point plus élevé pour mieux se précipiter. Les masses ignorantes regardent ces somnambules dont la danse se déroule sur les toits…

Ce qui frappe dans ces lignes, écrites dans le silence d’un cabinet de travail de 1860, ce n’est pas seulement la caractéristique de l’époque et la vision prophétique du tragique et vertigineux saltomortale final du second Empire, mais bien le fait qu’elles peuvent parfaitement être adaptées à la France du commencement du vingtième siècle, et est-ce bien à la France seule ? Tout spectateur attentif des événements des dernières trente années, et surtout de ceux de nos jours, se dira : « Toute la question est dans cette lutte, et il importe peu quel parti se trouve au faite du pouvoir. Quoi qu’on en dise dans les Chambres, pour quelque but ou pour quelque chef que combattent les partis, la lutte, la grande lutte du capitalisme et du labeur s’aiguise de jour en jour, lentement, mais elle avance partout, elle prend feu, et toute la question de notre siècle se réduit à ceci : comment ces deux classes pourront-elles s’entendre à l’amiable ; les puissants céderont-ils de bon gré aux faibles, les faibles se révolteront-ils contre les puissants ? »

Et c’est au milieu de cet article d’une importance toute sociale que nous trouvons le très rapide, mais très piquant croquis de l’impératrice que voici :

…Quoique parvenu, l’empereur fait publier des généalogies qui font remonter jusqu’au Cid d’Andalousie la noblesse de la jeune comtesse de Teba. Il n’a pas suffi à Mlle Montijo d’être belle et charmante, il faut qu’elle ait des ancêtres pour ce monarque qui se vante de n’en point avoir et qui se déjuge comme la bourgeoisie. Et cette jeune impératrice ? Parlons-en, car elle joue déjà une grande partie. Elle arrive avec des chics espagnols bien portés, le goût des émotions fortes, le regret des combats de taureaux, nous ne voulons pas dire celui des autodafé, le dévotion bien en vue, le jeu de l’éventail, la passion du costume, les cheveux poudrés d’or, la taille cambrée, toutes les séductions, même celle de la bonté, car elle est bonne et charitable avec grâce, enfin tout ce qui frappe l’imagination, les sens, le cœur au besoin. Voilà tous les hommes amoureux d’elle, et ceux qui ne peuvent aspirer à la faveur du moindre regard, s’essayant à faire de leurs femmes des impératrices de comptoir. Ces bonnes bourgeoises s’évertuent à copier la belle Eugénie ; elles sablent d’or et de cuivre leurs chevelures vraies ou postiches, elles se fardent, elles deviennent rousses. Elles aussi ont à présent de jolies tailles et des pieds petits.

Le temps n’est plus où l’on reconnaissait la race aux extrémités.

… Les voilà donc ivres, toutes ces belles et bonnes créatures, qui eussent pu rester si charmantes et si vraiment femmes en élevant leurs enfants dans le respect de l’aïeul, artisan ou laboureur. Elles aiment mieux passer à l’état de pécores et s’enfler en regardant leur brillante souveraine, qui se moque d’elles, se dégoûte de ses parures quand elles s’en sont emparées et en invente d’autres que les maris payeront, il le faudra bien !

On dit que cela fait marcher le commerce. Pas du tout, cette marche est trop anormale pour ne pas engendrer la ruine. La mode changeant tous les mois par décret de cour, les produits non écoulés encombrent les fabriques ou tombent tout à coup à bas prix. Les détaillants s’en ressentent. Il n’y a pas un magasin où vous ne puissiez acheter le luxe de l’année précédente à moitié prix. On avait compté sur l’écoulement en province. Allez donc voir à présent si l’on peut tromper sur ce point, même les grisettes des petites villes, même les paysannes qui marient leurs jeunesses et choisissent le trousseau. On va si vite à Paris se renseigner ! Les chemins de fer ont effacé toutes les nuances locales, comme la soif des jouissances a nivelé tous les éléments de l’aristocratie. Quiconque a gagné de l’argent est affranchi, décrassé, châtelain à tourelles et à écusson si bon lui semble.

Il n’y a donc plus de bourgeoisie.

… Il n’y a plus que deux classes, celle qui consomme et celle qui produit ; classe riche ou aisée, classe pauvre ou misérable. Où vont-elles ? La classe riche va joyeusement au-devant des catastrophes dont je ne me charge pas de prévoir la nature et la forme, mais qui sont des fatalités historiques inévitables.

… La meilleure prévision à concevoir, c’est qu’elle s’éclairera à temps et verra sur quels volcans elle mène la danse…

C’est dans ces mêmes Souvenirs que se trouvait, aussi, le portrait de Napoléon écrit la veille ou au moment même où la nouvelle de sa mort à Chislehurst arriva à Nohant ; il fut imprimé dans le feuilleton du Temps du 30 janvier 1873. Un second feuilleton était consacré au prince Jérôme et aux autres prétendants, mais Charles Edmond jugea le portrait du premier peu conforme à la vérité, et quant aux autres, la direction du Temps trouva plus prudent de ne pas y toucher, tant qu’ils « se tenaient cois », le feuilleton ne fut donc point imprimé[235]. Mais le premier feuilleton intitulé Dans les bois, qui terminait la série des Souvenirs, éveilla un intérêt général et eut un très grand succès, au dire de ce même Charles Edmond[236].

L’écho du grand succès de votre dernier feuilleton, — lui écrit-il — est parvenu jusqu’à Nohant. Tous les journaux en ont parlé, et c’est la première fois que je vois des gens de tous les partis s’incliner respectueusement devant un verdict prononcé d’une façon si sereine, si élevée au sujet d’un personnage politique encore discuté à cette heure. Rien n’impose silence aux passions comme la raison, lorsqu’elle sait et veut parler. Or, elle a parlé cette fois-ci…

George Sand, qui reçut dans les bois au milieu d’une partie de plaisir avec ses petits-enfants, la nouvelle de la suprême maladie de Napoléon, parle de son ex-correspondant en ces termes :

…Quand j’ai lu hier dans un journal que l’état du malade de Chislehurst était grave, j’ai senti qu’il était mort au moment où nous lisions cette dépêche. « N’était-il pas déjà mort à Sedan ? Pourquoi ne s’y est-il pas fait tuer ? » s’écrie-t-on de toutes parts. Sans doute il a manqué là une belle occasion de mourir, mais la raison qui la lui a fait manquer est bien simple : un mort ne peut pas courir à la mort.

Il y avait déjà trois ans que Napoléon III n’existait plus. Les événements n’agissaient plus sur lui que comme la pile de Volta sur un cadavre. Les velléités libérales de la dernière heure étaient, dans la situation où il se plaçait, des illusions que le raisonnement ne contrôlait plus. La guerre avec la Prusse ne fut même pas une illusion, car il ne sut pas cacher que le spectre de la défaite lui était apparu et l’emmenait fatalement à sa perte.

… Au reste, pour qui aurait étudié de près, sans prévention d’aucun genre, toute la vie de cet homme funeste, je crois que l’observateur se serait assuré d’une chose nouvelle à dire, mais ancienne dans l’histoire : c’est que certains personnages historiques n’ont pas eu de Hbre arbitre et n’ont pas existé dans l’acception que nous donnons au mot existence comme conscience de la vie. Celui-ci a été traité d’homme chimérique. Le mot est juste s’il désigne un cerveau nourri de chimères, encore plus juste s’il dépeint un être problématique, insaisissable à l’analyse. Moi, je dirai simplement l’impression qu’il m’a causée personnellement.

Au temps de Ham, par correspondance, écriture et rédaction d’un jeune homme sans énergie, dominé par une vision énergique, vision conçue dès l’enfance, entretenue par un entourage dont il subissait la pression avec une lassitude résignée ; point d’instruction réelle, beaucoup d’intelligence, les rudiments et même les éclairs d’un génie plutôt littéraire que philosophique et plutôt philosophique que politique. Santé perdue, vitalité chancelante, inégale, suspendue par moments avec des reflux d’expansion et des refoulements douloureux. Point d’amertume cependant, point de rancunes, peu de courroux ; trop contemplatif pour être passionné ; aimable, aimant, fait pour être aimé dans l’intimité, désintéressé de tout pour son compte, et pourtant — voyez quels contrastes formidables ! — capable des plus grands crimes politiques, parce que ses notions de droit humain différaient entièrement des nôtres.

Quand je lui ai parlé, quand je l’ai vu à l’Élysée, deux fois en une semaine, j’ai été complètement abusée par lui, et ensuite, me croyant jouée, je n’ai plus voulu le revoir. J’ai quitté Paris et manqué à un rendez-vous domié par lui. On ne m’a pas dit : « Le roi a failli attendre » on m’a écrit : « L’empereur a attendu[237]. » Mais j’ai continué à lui écrire quand j’espérais sauver une victime, à commenter ses réponses et à l’observer dans tous ses actes ; je me suis convaincue qu’il n’avait voulu jouer personne ; il jouait tout le monde et lui-même. Il croyait à ce qu’il disait ; mais, se regardant comme unique moyen de salut, comme l’instrument investi d’une mission inévitable, ne se sentant pas l’énergie physique et morale nécessaire, mais comptant la trouver dans l’arrangement fatal des circonstances, il adoptait toutes les idées qu’on voulait lui suggérer, sous forme d’oracles : « Allons toujours ! se disait-il ; si telle chose est impossible, je passerai à une autre, et si elle est mauvaise, le résultat me l’apprendra. » L’exercice du pouvoir absolu aidant, cette illusion de jouer à pile ou face avec les événements devint une monomanie, et le fatalisme tranquille et patient prit toutes les apparences d’une force et d’une habileté.

L’habileté était nulle. L’homme était naïf sous son air contenu et réfléchi. Il ne posait pas comme son oncle. Il n’avait pas appris à se draper dans la toge antique. Il était petit, voûté, flétri, et ne cherchait point à paraître majestueux. Louis Blanc, qui l’avait vu à Ham, lui avait trouvé un profil et un regard d’aigle en cage. Le regard d’aigle avait disparu quand je le vis ; la cage était restée ; quelque chose d’inquiet, de contraint, de timide, qui se résolvait en expression affectueuse et triste. Je n’ai pas à raconter ici les paroles échangées entre nous sur le rôle qu’il jouait à cette époque. Je n’allais point le voir pour l’interroger. 11 me répondit quand même et ses promesses ne furent point tenues. Mais je trouvai une grande sensibilité et une spontanéité de bonne résolution qui me frappèrent vivement. Je crus, pendant une quinzaine, qu’il réparerait tout et qu’il lutterait véritablement pour tout réparer. Je me méfiais de son énergie, elle fut au-dessous de ce que j’attendais. La persécution ne se relâcha à l’égard de quelques-uns que pour peser plus cruellement sur le grand nombre. Une prétendue, une fausse raison d’État frappa d’impuissance l’homme de sentiment qui déplorait, dans le principe, les moyens dont on s’était servi pour lui donner le pouvoir, qui paraissait en ignorer les excès, être prêt à les désavouer. Il ne désavoua rien et accepta avec une lâche douleur les meurtres de la me et les iniquités de la persécution dans toute la France. Lui, sans haine et sans ressentiment, chevaleresque au besoin quand il s’agissait d’oublier une injure personnelle, il servit les haines aveugles, les vengeances odieuses, je ne dirai pas d’une classe de citoyens, ce ne serait pas vrai, mais de la légion de ces gens de proie qui, dans toute localité et en toute circonstance, sont sur la brèche dans les mauvais jours pour dénoncer, maudire et calomnier leurs ennemis personnels ou seulement les adversaires dont ils redoutent l’influence et la moralité. C’est à ces meneurs de réaction qu’au grand scandale et à la grande tristesse des honnêtes gens de tous les partis, l’aveugle souverain, grisé par le succès du premier plébiscite et n’en comprenant pas les causes profondes, se fit l’esclave et l’obligé des moyens apparents de son succès. Il ne comprit pas qu’il pouvait être humain sans danger. En cela comme en tout, il se trompait. Il se trompait comme se trompait le parti radical en attribuant l’élan du vote des campagnes à la pression des meneurs. Cette pression existait, mais elle était parfaitement inutile. La légende napoléonienne et l’effroi d’une république sans force et sans union servaient l’empire en dépit de ses agissements sans pudeur.

L’Empire était proclamé, je ne saurais dire fondé ; le titulaire en sapait la base lui-même en montant sur ce pavois souillé que lui tendaient les mauvaises passions. Né honnête homme, il se faisait porter en triomphe par des ambitieux dépourvus de tout scrupule. Ce qu’il y avait d’impur dans la nation française allait travailler pour lui et le rendre solidaire de tout le mal commis et à commettre. La France passa condamnation. Et alors il se crut grand et fort. Il entreprit de grandes choses qui ne pouvaient aboutir. Il parut devoir mener à bien tout ce qui répondait au sentiment public. Homme à principes erronés, il gouverna une nation qui manquait de principes et qui mettait un idéal de prospérité romanesque à la place de la vraie civilisation, le succès et la chance à la place du droit et de la justice. C’est donc par le sentiment seul qu’il pouvait la conduire ; il l’avait compris un instant en voulant sauver l’Italie. Il manqua de confiance pour son dénouement et tomba au dernier acte. Dès lors son étoile pâlit, et il ne la vit plus. Peut-être cessa-t-il d’y croire, peut-être cet illuminé devint-il sceptique ; son intelligence ne pouvait survivre à une telle transformation. Il commença à mourir durant la guerre du Mexique. La France l’avait trop accepté, elle était devenue chimérique comme lui, elle partagea sa décadence en la précipitant. Elle se trouva désorganisée, anarchique et sans conscience d’elle-même. Elle le maudit avec excès quand elle se vit perdue, l’implacable colère ne s’avoua pas qu’elle était trop tardive pour être digne.

Une colère plus logique et plus noble fut celle de Victor Hugo, qui dès le début lança le plus éloquent de ses anathèmes à Napoléon, le Petit. Mais le grand poète romantique n’eut pas ici le sens suffisant de la réalité. Son chef-d’œuvre restera comme un monument littéraire, il n’a pas de valeur historique. Napoléon III ne mérita jamais « ni cet excès d’honneur ni cette indignité » d’être traité comme un monstre. Il ne mérita pas davantage d’être rabaissé jusqu’à l’idiotisme. Il eut, comme homme privé, des qualités réelles. J’ai eu l’occasion de voir en lui un côté vraiment sincère et généreux. Il eut aussi un rêve de grandeur française qui ne fut pas d’un esprit sain, mais qui ne fut pas non plus d’un esprit médiocre. Vraiment la France serait trop avilie si elle avait subi pendant vingt ans la toute-puissance d’un crétin travaillant pour lui seul. Il faudrait désespérer d’elle à tout jamais. La vérité est qu’elle prit ce météore pour un astre et ce songeur silencieux pour un homme profond. Puis, quand elle le vit succomber à des désastres qu’elle eût dû prévoir et prévenir, elle le prit pour un lâche.

Il ne l’était pas, il avait un courage froid et je ne crois pas qu’il tînt à la vie. Il se sentit écrasé, désillusionné de son rôle, peut-être las de lui-même.

… Il s’est cru l’instrument de la Providence. Il ne fut que celui du hasard. Le parti, d’abord minime, et tout à coup immense, qui le porta au faîte du pouvoir ne fut même pas un parti, si, par là, on entend une fraction de nation obéissant à une doctrine, à un système, à une croyance quelconque. Ce fut un essaim d’aventuriers d’abord, et puis une réunion d’intéressés spéculant sur l’aventure, et puis l’engouement soudain des masses, dégoûtées d’une république en dissolution. La France, devenue industrielle sous Louis-Philippe, n’était pas redevenue politique ; ne sachant pas se gouverner elle-même, elle se jeta dans l’inconnu. La république s’était suicidée en juin par une effroyable scission entre le peuple et la bourgeoisie. Nous n’étions plus dignes de la liberté. L’inconnu étrange, triste, poli et froid, passait dans la rue sur un cheval dressé à faire des courbettes. Je lui trouvai, ce jour-là, le profil de Don Quichotte. Des gens, arrivés à ce spectacle pour le siffler, l’acclamèrent, je n’ai jamais su pourquoi. Une sorte de vertige s’était emparé de ce Paris des boulevards qu’il avait mitraillé la veille. Ce fut un triomphe. Il en parut étonné, et peut-être, car il avait ses moments d’esprit et de malice discrète, comprit-il qu’il devait cette ovation à la grâce de son cheval Paris est artiste. Paris est enfant. Paris est sublime et niais, admirable aujourd’hui, absurde demain. Il vit cela et il osa, lui qui avait un grand fonds de timidité modeste. On le voulait impudent, il le fut. Il commanda, dit-on, son manteau impérial. Des ouvrières étaient occupées à en broder les abeilles d’or, qu’il disait encore à ceux qui le poussaient en avant : « Non, je ne trahirai pas la République ! » Et le merveilleux de l’affaire, c’est qu’il le disait de bonne foi. Il était dupe de lui-même jusqu’au dernier moment. On le persuadait tout d’un coup, en lui montrant le succès obtenu en dépit de son inaction, de ses scrupules ou de sa gaucherie. Il se disait alors : « C’est ma destinée, donc c’est mon devoir. » Et rien ne comptait plus dans sa conscience ni dans sa mémoire. C’était le fanatisme d’un autre siècle mettant l’aigle dans le nimbe à la place du calice. Il ne connaissait pas le remords, pouvant toujours se dire : « Ce n’est pas moi qui l’ai voulu ; c’est la fatalité qui me commande. » Ce portrait n’a pas la prétention de s’imposer à l’histoire. Il sera nié, discuté, refait de mille manières ; moi, je le crois non bien fait, mais ressemblant. Je l’ai reconstruit en me promenant dans les bois et en me rappelant l’ensemble des détails qui m’ont frappé… Ni la haine ni l’engouement n’ont pu le juger.

De grandes prospérités apparentes, cachant des plaies profondes et des cataclysmes imminents, caractérisent les deux règnes des deux Napoléon, essentiellement dissemblables. La ressemblance, c’est que l’étoile des Napoléon est terrible. C’est le fatalisme oriental servi par la légèreté française, et si l’on me dit que j’ai parlé du trépassé de Sedan avec trop d’indulgence, je répondrai ceci pour me résumer : « Le grand coupable, c’est l’esprit aventureux de la France… »

George Sand avait consacré un article au Jules César de Napoléon III, que l’auteur lui avait envoyé avec un ex-dono autographe fort aimable, tout comme il l’avait fait pour ses Idées napoléoniennes et l’Extinction du paupérisme. L’article de George Sand, très adroit, peut être appelé un chef-d’œuvre d’aimable impartialité. Effectivement, tout en signalant les mérites sérieux de l’œuvre, Mme Sand en note aussi les quelques défauts, surtout un certain parti pris dans la manière de conter l’histoire du grand ambitieux romain. Cet article parut en 1865.

Les bonnes relations de Mme Sand avec le prince Jérôme ainsi qu’avec la princesse Mathilde, la princesse-dilettante la plus originale qui ait jamais existé, un esprit rare, mais un type de femme des plus étranges, durèrent jusqu’à sa mort. C’est entre 1858 et 1870, et surtout entre 1860 et 1867, que Aime Sand fréquenta le salon de la princesse et, au dire d’un de leurs amis communs que j’avais connu, elle y était toujours invitée avec Manceau, son compagnon inséparable d’alors : la princesse n’avait pas de préjugés ni de morgue, mais elle détestait la médiocrité, surtout la médiocrité féminine. On retrouve dans les papiers de George Sand bon nombre de lettres de la princesse.

Nous avons déjà dit que George Sand fit la connaissance du prince Jérôme par l’intermédiaire de sa fille Solange et du comte d’Orsay, en 1852. L’amitié fut vite établie à partir de cette époque et une correspondance suivie s’engagea entre eux. Le prince aida beaucoup Mme Sand dans ses démarches en 1852 comme en 1858 en faveur de Périgois et de Patureau-Francœur. Il contribua aussi, cette même année, à faire décorer Maurice Sand. Cette amitié avec le prince, commencée sous les auspices de Solange, n’en continua pas moins lors de la liaison du prince avec Rachel. Mme Sand nota dans son journal intime que le 18 mars 1853 elle dîna chez le prince dans son appartement de garçon avec Rachel, Cabarrus, Dumas fils, de Girardin, etc., etc. Puis, à la date du 13 septembre de cette même année elle écrivit : « Rachel vient à onze heures du matin en grande calèche découverte avec Napoléon et les larbins galonnés… » Et lorsque la grande tragédienne fut remplacée auprès du prince par la charmante comédienne, Mme Arnould-Plessy, femme aussi adorable qu’elle était fine artiste, l’amitié de Mme Sand pour le prince ne put que s’accroître, car, dès 1847, George Sand avait voué un attachement tout maternel à la jeune veuve, et Mme Arnould adora toujours Mme Sand, comme on le voit par ses lettres.

Cette amitié survécut à la rupture survenue entre le prince et Mme Arnould, elle s’accrut même et se fortifia, car Mme Sand eut, à ce moment tragique, à secourir la pauvre Sylvanie et lui donner du courage. Puis, pour la détourner de son désespoir et de ses réflexions amères et pour ne plus lui permettre de se ronger le cœur et l’esprit, elle sut lui faire prendre goût aux sciences naturelles, la poussa à lire sérieusement, lui fit, en un mot, oublier sa personnalité, chose que George Sand avait toujours et sans relâche prêchée dans ses romans et dans la vie réelle[238].

Il y eut plus tard un moment où cette longue amitié sembla se refroidir et s’éclipser, ce fut lorsque Mme Arnould devint assez subitement une catholique pratiquante, entièrement soumise à ses directeurs de conscience, surtout au père Hyacinthe Loyson, non encore séparé de l’Église. Mme Sand et Mme Arnould échangèrent alors des lettres fort curieuses, et il faut avouer que dans ces lettres c’est à Mme Arnould qu’appartient le plus beau rôle. Mme Sand, qui était à ce moment particulièrement excitée contre le clergé — à cause de l’influence alors croissante en France du cléricalisme, — et qui avait par contre beaucoup de sympathie pour le protestantisme, traite dans ses lettres avec une grande véhémence et en des termes désagréablement âpres cette évolution dans la vie de son amie. Mme Arnould-Plessy lui répond avec grande douceur et respect que, quelles que fussent ses croyances, quelque méritée que fût la désapprobation de la part de Mme Sand, elle ne cessera jamais de l’aimer et de la vénérer. Il est de toute curiosité que le père Loyson prit lui-même part à cette polémique et qu’il écrivit à Mme Sand une lettre où il lui expliquait qu’elle avait tort de le croire dominé par un esprit de prosélytisme effréné et par le désir de tendre des pièges à l’âme de sa fille spirituelle. Ces correspondances sont encore inédites, mais nous trouvons déjà des allusions à cet épisode — qui mit durant quelque temps un certain froid dans les rapports entre la grande romancière et la gracieuse actrice, — dans la Correspondance imprimée de George Sand, seulement, tous les noms propres y ont été omis[239]. Les lettres de Mme Arnould à George Sand forment une série de pages ravissantes, de tendres épanchements, dignes d’être publiés intégralement. Les réponses de George Sand sont en partie imprimées dans la Correspondance et rappellent par leur manière ses lettres à Mme Augustine de Bertholdi, sa cousine, qui ne se lisent certes pas avec un moindre plaisir. C’est bien de ces deux correspondances qu’on aura raison de dire que George Sand s’y montre vraiment maternelle.

Nous semblons nous être éloignés de notre sujet. Cela n’est pas. C’est justement grâce à Mme Plessy que l’amitié du prince Jérôme pour Mme Sand devint plus forte. Charles Edmond fut aussi un trait d’union entre eux. Le prince fit sa première apparition incognito à Noliant en 1857. Nous apprenons par les lettres inédites de George Sand qu’elle avait dû prendre toutes ses mesures pour éviter les trop grandes indiscrétions de la curiosité provinciale, mais elle n’y put réussir, et la visite du prince eut sa légende. C’est ainsi qu’on assurait qu’au moment où le prince Jérôme, accompagné de Charles Edmond, entra dans la cour du château, Mme Sand vint à sa rencontre, lui disant de la manière la plus familièrement irrévérencieuse : « Hé ! bonjour, mon vieux, il était grand temps », etc., etc., ce qui aurait été entendu par « un espion invisible » qui se cachait ou ne sait trop où, dans cette même cour. C’était à Charles Edmond que George Sand avait adressé la bienvenue, justement afin de ne pas parler d’abord au prince qui tenait à garder son incognito[240].

Nous voyons par une lettre de Mme Arnould-Plessy à George Sand que le prince fut taquiné à Compiègne à propos de ce voyage à Nohant, mais qu’à ce même moment arriva une lettre de George Sand à l’impératrice[241], cette dernière se mit à s’enthousiasmer sur le compte de la grande romancière et comprit parfaitement l’engouement de son cousin.

Après cette première visite, le prince Jérôme vint à Nohant plusieurs fois encore. C’est ainsi qu’il s’y rendit en 1868, le jour du baptême protestant des petites-filles de George Sand, il fut même le parrain d’Aurore ; il y assista aussi à des représentations des célèbres marionnettes ; il joua au jeu de l’oie et aux dominos dans le grand salon de Nohant ; il vint enfin, prévenu par un télégramme de Maurice Sand, le 10 juin 1876 pour assister aux funérailles de sa vieille amie. Le prince avait été lié tout autant, ai ce ne fut plus encore, avec Maurice Sand qui devint l’hôte familier de sa maison, et fut son compagnon de voyage en 1861, à bord du Jérôme-Napoléon, voyage décrit par Maurice Sand dans son livre Six mille lieues à toute vapeur dont George Sand écrivit la préface.

Dans la correspondance de Mme Sand, ses lettres au prince Jérôme sont des plus intéressantes ; elles touchent aux questions sociales, politiques, littéraires et personnelles les plus diverses et nous montrent que leur auteur oubliait parfaitement qu’elle avait affaire à un cousin de l’empereur ; elle le traitait avec la même simplicité, avec la même franchise attrayante, la même sincérité que les jeunes amis qui l’entouraient dans ses vieux jours.

En terminant cette histoire des relations de George Sand avec les descendants de celui dont l’éclat avait projeté ses rayons sur son enfance[242], nous ne pouvons nous abstenir de faire connaître au lecteur — s’il ne le connaît déjà par une allusion du Journal des Goncourt — un fait du plus parfait comique. Lorsqu’en l’année terrible on brûla et pilla les Tuileries, on trouva dans le cabinet de travail de Napoléon III l’extraordinaire épître qui suit :

Grande chancellerie. Cabinet de l’Empereur. 29 MAI 1869 21 MAI 1869

Le baron Casimir Dudevant, ancien officier du premier Empire, à Sa Majesté F Empereur des Français.
Sire,

Après avoir déposé aux pieds de Votre Majesté l’hommage de mon dévouement et de ma respectueuse fidélité, j’ai l’honneur de vous exposer ce qui suit :

Je suis fils de M. François Dudevant, colonel sous le premier Empire, créé baron par Napoléon Ier, membre du Corps législatif, chevalier de Saint-Louis et de l’ordre impérial de la Légion d’honneur.

Sorti officier de l’école de Saint-Cyr en 1815, au retour de l’île d’Elbe j’ai eu l’honneur de faire partie de l’armée de la Loire. Depuis rentré dans la vie privée, j’ai rempli pendant quarante ans les fonctions de maire soit à Nohant (Indre), soit à Pompiey (Lot-et-Garonne). Il y a quelques années, j’ai été honoré de la médaille de Sainte-Hélène.

Pendant cette période de quarante années passées à l’administration de deux communes, j’ai servi avec dévouement et honneur les différents pouvoirs qui ont régi la France ; mais par les souvenirs et les inclinations naturelles, je suis demeuré invariablement attaché à la dynastie impériale, et n’ai cessé d’appeler son retour de tous mes vœux.

Sire, jusqu’à présent je n’ai rien sollicité pour les services que je peux avoir rendus à mon pays ; mais au moment où Votre Majesté annonce qu’Elle veut célébrer dignement le jubilé national du centenaire du glorieux fondateur de votre dynastie, en répandant un peu de bien-être sur les vieux compagnons d’armes de l’Empereur, au moment où la France convoquée dans ses comices, va ratifier, en 1869, ce qu’elle a fait en 1851 par une manifestation si éclatante et à laquelle je suis fier d’avoir pris part, j’ai pensé que l’heure était venue de m’adresser au cœur de Votre Majesté pour en obtenir la récompense honorifique que je crois avoir méritée.

Sur le soir de mes jours j’ambitionne la crois de la Légion d’honneur. C’est là la faveur suprême que je sollicite de votre magnificence impériale.

En demandant cette récompense, je m’appuie non seulement sur mes services, depuis 1815, au pays et au pouvoir établi, services sans éclat, insuffisants peut-être, mais encore sur les services éminents rendus par mon père depuis 1792 jusqu’au retour de l’île d’Elbe. Bien plus, j’ose encore invoquer des malheurs domestiques qui appartiennent à l’histoire[243]. Marié à Lucile Dupin, connue dans le monde littéraire sous le nom de George Sand, j’ai été cruellement éprouvé dans mes affections d’époux et de père, et j’ai la confiance d’avoir mérité le sympathique intérêt de tous ceux qui ont suivi les événements lugubres qui ont signalé cette partie de mon existence.

Sire, je n’ai plus aujourd’hui à mettre au service de l’Empereur et de la France des lumières et des forces que l’âge, les infirmités et les malheurs m’ont retirées à jamais ; mais je conserve dans le cœur un patriotisme que les années n’ont pas affaibli, et un attachement inaltérable à votre Auguste Personne et à votre dynastie.

C’est dans ces sentiments que j’ai la confiance que Votre Majesté accueillera avec faveur mon humble requête.

J’ai l’honneur d’être, Sire, de Votre Majesté, le très fidèle sujet.

Dudevant.
Barbaste (Lot-et-Garonne), le 16 mai 1869,

Ce curiosissime document apporte sa pointe de comique dans l’histoire des rapports de George Sand avec l’Élysée ; c’est comme une farce jouée après une grande pièce.

Nous avons toutefois tort de faire emploi de ces termes de tréteaux, le seul qui convienne à propos des relations de George Sand avec le promoteur du coup d’État, c’est le mot « tragique ».

Nous nous demandons ce que pouvait faire, à ce moment, une femme contre ce régime établi contre lequel les hommes les plus courageux, les plus belliqueux, étaient impuissants ? Artiste, elle devait s’efforcer, en ces noires années d’abattement général, de poursuivre le culte du Bien, du Bon et du Vrai. Femme, elle sentit avant tout la nécessité d’aider, de secourir, de réconforter, de consoler et de sauver immédiatement ceux qu’on pouvait encore sauver.

Nous nous inclinons devant Jeanne d’Arc, son oriflamme en mains, volant au-devant des ennemis de son pays. Nous admirons Mme de Staël déclarant bravement la guerre à outrance au souverain de l’Europe. Mais combien nous semble plus adorable cette sainte Élisabeth, son tablier rempli de pain pour les mendiants, s’acheminant doucement, mais courageusement vers les indigents, malgré la défense sévère de son seigneur et maître, visitant les hôpitaux et y subissant les injures des moines, représentants de cette même doctrine du Christ qu’elle venait prêcher par son apostolat sublime. Si les discours passionnés de George Sand en 1848, ses bulletins, ses articles resplendissent du feu de l’enthousiasme, de l’ardeur militante, quelle douce chaleur, quel souffle de charité, de pitié s’exhale des innombrables paperasses qui sont comme le monument manifeste de ses relations, en 1852, avec Napoléon et son entourage d’une part, et avec ses amis républicains d’autre part. Les républicains outrés condamnèrent George Sand tout aussi férocement que le landgrave de Hesse qui arracha furieusement le tablier des mains de sa femme ; ils ne comprenaient pas mieux ce qu’elle faisait et ils crurent qu’elle dérogeait, comme les moines thuringiens qui ne comprenaient pas comment une princesse pouvait s’abaisser au point de servir la vile multitude. Et la sainte landgrave fut déclarée folle, enfermée, délaissée par tout le monde. Mais les années s’écoulèrent, et la mémoire de la grande sainte resplendit et fleurit toujours, comme les roses qui tombèrent de son tablier… Le lointain historique change les points de vue, il apaise les passions, les indignations, les colères. Et toutes ces feuilles jaunies, ces listes, ces « mémoires », ces demandes et ces réponses officielles nous apparaissent autant de saintes roses qui ceignent la tête de George Sand de la plus belle couronne que puisse porter une femme, la couronne de pitié, de charité et de miséricorde !


CHAPITRE X

LE THÉÂTRE DE GEORGE SAND

Gabriel. — Les Mississipiens. — Cosima. — François le Champi. — La Commedia dell’ arte et les Marionnettes à Nohant. — Le Château des Désertes. — L’Homme de Neige et Narcisse. — Le Roi attend. — Molière et Mariette. — Claudie. — Le Pressoir. — L’époque théâtrale à Nohant (1860-1856). — Maître Favilla et deux lettres de Charles Baudelaire. — Le Mariage de Victorine. — Les Vacances de Pandolphe. — Mont-Revêche et le Démon du foyer. — Françoise. — Comme il vous plaira et Rouvière. — Lucie. — Pièces tirées de romans : Mauprat, Flaminio, Les Beaux messieurs de Bois-doré. — Le Pavé. — Le Drac. — La Nuit de Noël. — Marguerite de Sainte-Gemme. — La Laitière et le pot au lait. — Un bienfait n’est jamais perdu. — L’Autre.


C’est Gabriel qu’il faut considérer comme le premier essai de George Sand dans l’art dramatique, quoiqu’elle l’ait intitulé simplement « roman dialogué ». Ne voulant pas reprendre une seconde fois l’analyse de cette pièce, nous récapitulerons seulement ce que nous en avons dit dans notre volume II[244], nous trouvons que par ses qualités littéraires, autant que par la puissance de son action dramatique cette œuvre mérite d’être jouée bien plus que beaucoup de pièces de George Sand les plus prônées. Rappelons que Balzac, aussi, avait prié l’auteur de mettre ce drame en scène. On a retrouvé dans les papiers de George Sand une ébauche de scénario tiré de Gabriel. Mais cette pièce ne fut jamais jouée. On nous a dit que Mme Sarah Bernhardt avait eu l’idée de jouer Gabriel, que M. Henri Amic avait essayé de l’arranger pour le théâtre. Mais puisque ces projets restèrent inexécutés nous exprimons le vif désir de voir jouer un jour Gabriel, sans changement aucun, rien qu’avec quelques coupures peut-être. Nous désirons surtout qu’on garde intact le sombre et poétique dernier acte avec cette scène émouvante où, après le monologue de Gabriel-Gabrielle, dont la douleur et le désespoir aboutissent à une indifférence générale, à une apathie absolue, Gabrielle meurt assassinée. Ce dénouement émeut ; il doit satisfaire le spectateur, parce qu’il apparaît comme une nécessité : Gabrielle ne peut plus vivre, elle a vécu tout ce qu’un cœur humain peut supporter, il ne lui reste plus de force. Si ce bravo ne la tuait pas par méprise, elle mourrait quand même, elle attraperait une maladie, un coup de vent l’emporterait, le plus petit ruisseau suffirait pour la noyer, car le souffle de vie, l’esprit qui fait lutter et se défendre, ne l’anime plus. Elle est donc à la merci du moindre hasard. Nous conseillerions beaucoup à l’auteur qui voudrait mettre Gabriel à la scène de ne rien retoucher à ce dernier acte, de ne le point gâter par des arrangements, et nous sommes sûr que tous les spectateurs seront de l’avis de Balzac.

La seconde pièce de George Sand fut un proverbe : Les Mississipiens. Nous avons dit ailleurs[245] quels types incomparables présentent le vieux duc et la marquise de Puymontfort. Ce sont des portraits vivants. C’est au milieu des personnages de ce grand monde à son déclin que s’écoulèrent les premières années d’Aurore Dupin chez son aïeule Marie-Aurore de Saxe, dans son élégant petit salon rue des Mathurins et plus tard rue Thiroux, George Sand prétendit qu’ayant entrepris le prologue des Mississipiens, avec l’intention d’en faire une pièce de théâtre, la donnée lui parut peu convenir à la scène, l’action assez embrouillée se passant au temps de John Law, la passion de l’argent et l’affolement de la spéculation dominaient son sujet plus qu’il ne lui plaisait. Plus tard, cependant, Balzac composa son Mercadet sur une donnée semblable, mais il la modernisa, Mme Sand intitula donc ses Mississipiens « nouvelle dialoguée ». Malgré cette réserve les Mississipiens appartiennent certainement à la littérature dramatique, et nous partageons entièrement l’avis de M. Caro qui prétend que Gabrielle, les Sept cordes de la lyre et les Mississipiens sont comme un spectacle idéal que Mme Sand a donné à son imagination. C’est pour cela qu’ils demeurent étroitement liés à toutes ses œuvres dramatiques : ce sont ses premiers essais.

La troisième œuvre dramatique de George Sand : Cosima, fut certainement écrite pour être jouée. Ce drame dont le sous-titre est la Haine dans l’amour fut, comme nous le savons déjà, représenté en avril 1840. Au dire de Heine, la pièce n’obtint qu’un succès d’estime ; il écrivit même plus tard et non sans raison que ce fut un vrai four. Et ce fut justice. Quoique George Sand déclarât, dans sa Préface, que le froid accueil du public n’était nullement mérité, et qu’elle défendît son droit d’essayer une manière, de faire une pièce qui intéresserait non pas par des coups de théâtre et de grands effets de situations, mais par l’analyse seule de sentiments intimes, de petits événements de famille, et quoique George Sand elle-même d’une part et de l’autre le célèbre critique éreinteur Senkowski, qui se divertit extrêmement à la lecture de cette nouvelle œuvre de Georgius Sand » aient démontré que Cosima était bien la propre sœur d’Indiana et de Lélia, — mais idée et exécution, vouloir et pouvoir sont deux. Faisant montre comme Gabriel d’un boursouflage de style et d’un romantisme outré, rappelant toutefois comme Gabriel encore, certaines pièces de Hugo et de Musset, Cosima nous paraît notamment une œuvre de pure convention théâtrale, irréelle, ennuyeuse.

L’insuccès de Cosima fit pour longtemps abandonner le théâtre à George Sand, mais M. Caro a encore raison de dire que « cet effort infructueux avait irrité sa passion du théâtre plus encore qu’il ne l’avait découragée ».

Et voici qu’un beau soir d’automne de 1846, alors que toute la famille de Nohant passait la veillée dans le grand salon, tandis que Chopin pianotait en sourdine une de ses œuvres inachevées, au bruit des conversations, et que Mme Sand cousait près de la table, la jeunesse soudain eut l’idée de se costumer. Aussitôt dit, aussitôt fait. Tous disparurent. Une demi-heure après, le vieux salon Louis XV fut envahi par une bruyante compagnie : marquis, hidalgos, ogres, pierrots, soubrettes et princesses. À peine le grand pianiste s’en aperçut-il, que sans perdre une seconde, il attaqua un boléro improvisé, au son duquel tous ces soi-disant Espagnols et Gitanos se mirent à exécuter les pas les plus fantastiques que l’on puisse imaginer. Puis, vint un autre air de ballet ; de nouvelles danses s’improvisèrent. Et l’artiste de génie et les jeunes danseurs se sentirent grisés par leur succès. Le lendemain, le spectacle improvisé recommença : le corps de ballet de la veille hasarda plusieurs soli et même quelques scènes mimées, tantôt drôles, tantôt sentimentales. Dès que l’un des danseurs changeait de costume, confectionné avec autant de spontanéité que de simplicité (quelques défroques de couleur en faisaient les frais), aussitôt Chopin adaptait son jeu à ce nouvel aspect du danseur, et cette nouvelle improvisation inspirait à son tour quelque nouveau pas aux jeunes disciples de Terpsichore[246]. On se mit à jouer des pantomimes entières accompagnées par cette adorable musique. Puis, on exécuta, outre les danses, des scènes dialoguées improvisées. Lorsque Chopin reprit ses leçons à Paris, on continua pendant quelque temps les danses, Mme Sand s’étant chargée du piano ; puis on abandonna les danses et on s’adonna à de vrais spectacles dans le genre de l’ancienne commedia dell’ arte italienne, on joua des pièces improvisées d’après un scénario arrêté et discuté d’avance par tous les acteurs. Bientôt on ne pensa et on ne parla plus d’autre chose à Nohant. Généralement le sujet de la pièce du soir était débattu pendant le dîner : l’un ébauchait un scénario, les autres son développement, on rejetait une idée, on en proposait une autre et le soir ou le lendemain on jouait[247]. La troupe primitive grandit bientôt. Emmanuel Arago y débutait pendant ses vacances en 1846. L’imprésario, c’est-à-dire Maurice Sand, envoyait une invitation aux Duvernet père, mère et fille, ou aux Dutheil, père et deux fils. Quant à Mme Sand, comme nous l’avons dit au chapitre vi, de spectatrice elle devint actrice et joua les rôles les plus divers : jeunes premiers, jeunes premières, pères nobles, sorciers et reines[248]. Dans le premier des deux grands albums de Maurice Sand, qui demeurent comme une histoire du théâtre de Nohant magnifiquement illustrée, nous trouvons plusieurs lavis à l’aquarelle, représentant George Sand dans différents costumes d’homme et de femme. Nous donnons la reproduction de celui qui la représente dans le rôle de Pietro Colonna dans Une nuit à Florence. Mais c’est certainement dans le Château des Désertes, dont nous avons aussi parlé plus haut[249], que l’on trouve l’écho le plus fidèle de ces spectacles improvisés, de leurs préparatifs et des débats qui précédaient chaque représentation, relatifs au scénario, au caractère général de chaque rôle et aux analyses critiques des œuvres littéraires qui servaient de trame à ces pièces improvisées.

Puis les années 1847 et 1848 arrivèrent et tous les spectacles prirent fin. La gaie Augustine, la belle Solange, Fernand des Préaulx, Arago, Borie, n’étaient plus à Nohant. Mais lorsque Mme Sand se retrouva dans sa vieille maison, ce fut encore l’art dramatique, cette fois sous la forme des marionnettes, qui consola l’illustre femme, que le drame survenu dans sa vie privée et la tragédie politique connue sous le titre de « révolution de 1848 » laissaient désespérée. Maurice Sand, esprit si prompt à créer et à mettre debout une œuvre artistique, voyant le visage de sa mère constamment assombri et la sachant passionnée de théâtre, eut recours, pour la distraire, à cette passion favorite. (Le lecteur se soutient que l’arrière-petite-fille de Mlle de Verrières s’amusait dès l’âge de douze ans à arranger des pièces de Molière pour les représentations du couvent des Anglaises.)

Un soir Maurice se cacha avec son ami Lambert derrière le dos d’un grand fauteuil, habilla ses mains d’un mouchoir et fit son début d’imprésario de Guignol, en jouant à l’aide de ses dix « petits Poucets » une vraie petite comédie. Et comme il possédait un véritable talent d’improvisation, il mit dans cette petite pièce tant d’entrain, de verve, de gaieté que non seulement il fit

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rire sa mère jusqu’aux larmes, mais qu’elle y prit un plaisir sérieux.

Le lendemain, Maurice confectionna quelques marionnettes en bois sommairement taillées et habillées de chiffons. Peu à peu il se composa toute une petite troupe d’acteurs, joua d’abord derrière le classique paravent — cette rampe consacrée du Guignol — ensuite construisit un vrai petit théâtre.

Ses petits acteurs n’étaient point de vulgaires et stupides fantoches se ressemblant tous, dont on tire les bras et les jambes avec des ficelles. Les marionnettes de Maurice Sand avaient toutes une physionomie très marquée, justement adaptée au type qu’elles devaient personnifier. Elles ne se mouvaient point à l’aide de fils ni d’aucune mécanique et n’étaient point dirigées d’en haut : Maurice Sand se tenait au-dessous des tréteaux, comme le patron du Guignol forain, et passant son index dans l’intérieur de la tête de la marionnette, son pouce dans l’un de ses bras et le grand doigt dans l’autre, il dirigeait à son gré les mouvements des petites poupées qui semblaient sous ses doigts des êtres animés. Il savait changer sa voix suivant les personnages qu’il faisait mouvoir. Et comme lui et Lambert ne jouaient point seulement l’éternelle histoire de Pierrot, mais tantôt quelque drame romantique, tantôt une folle bouffonnerie italienne, la troupe était fort nombreuse. Aussi lorsque l’un des acteurs achevait sa tirade et qu’un autre, et quelquefois plusieurs autres personnages, entraient en scène, Maurice accrochait prestement sa petite poupée à un piton se trouvant au fond de la scène, de sorte qu’il pouvait entrer en scène autant de personnages à la fois qu’il était nécessaire à l’action. Si le fantoche ne s’accrochait pas d’emblée à son piton, il faisait manquer l’entrée, la sortie, ou la réplique d’un autre personnage. Manquer son piton ou avoir le piton devint synonyme d’une entrée ratée, ou d’une réplique oubliée et cela pour les acteurs du grand théâtre de Nohant aussi bien que pour les marionnettes. Les acteurs de l’Odéon qui y séjournèrent plus tard empruntèrent cette locution, et durant plusieurs années on disait derrière le rideau du second théâtre Français à chaque accroc survenu : il a le piton ou il a manqué son piton. Qui aurait cru que les acteurs de l’Odéon se souvenaient ainsi des petits sujets de bois de Maurice Sand ! Lui, entre temps, faisait avec ces derniers de vrais miracles. Grâce à son talent de peintre et sa science de la perspective, il brossa pour son théâtre de beaux décors très variés, soigna ses éclairages et, à force d’adresse et de combinaisons spirituelles, il poussa à la perfection tous les effets dits « scéniques », tous les trucs : éclairs, tonnerre, levers de soleil et de lune, jets d’eau, cascades, etc., etc. ; il arrivait à donner une illusion scénique complète. Et toujours, toujours il inventait pour les représentations de ses pupazzi quelque nouveau scénario captivant. Tous ceux qui assistèrent à ces représentations, à commencer par Mme Sand elle-même, disent que l’impression produite par ce théâtre de marionnettes était vraiment surprenante, merveilleuse, impossible à décrire. Éclairées d’une manière fantastique, groupées par Maurice avec une adresse incroyable et se mouvant le plus naturellement du monde, ces poupées paraissaient animées. Leurs yeux (figurés par des clous ronds enfoncés dans leurs têtes en bois), brillaient et semblaient voir, la voix de Maurice imitait tous les timbres, tous les accents, tous les tics des personnages, et les spectateurs pleuraient ou riaient aux larmes, comme à un vrai spectacle. « Personne ne sait ce que je dois aux marionnettes de mon fils, » écrivit plus tard George Sand, et elle n’exagéra point. Les marionnettes la sauvèrent du désespoir et de l’apathie morale, puis donnèrent une nouvelle impulsion et une nouvelle direction à son activité littéraire.

À côté des marionnettes la fin de 1848 et le commencement de 1849 virent ressusciter à Nohant les spectacles improvisés. Et non seulement ils ressuscitèrent, mais ils prirent encore un essor tout nouveau, un éclat inattendu. Chaque jour comptait quelque progrès : au lieu du « paravent tendu de papier bleu[250] », qui servit primitivement de décor et de rideau, Maurice et Lambert brossèrent de vrais décors, puis il y eut une rampe, des herses ; les costumes improvisés furent peu à peu remplacés par des costumes inventés et même commandés d’avance. Et bientôt les spectacles à Nohant prirent tant d’éclat que les acteurs s’enhardirent à jouer en public ; d’abord devant leurs amis de La Châtre ou des châteaux voisins (Papet du château d’Ars ou les Duvernet du Coudray), puis devant un public moins connu, habitants des alentours, et finalement Maurice et consorts eurent l’audace de jouer devant des amis, des connaissances et des acteurs venus de Paris, par exemple devant Bocage. D’autre part plusieurs actrices et acteurs, avec lesquels Mme Sand se lia d’amitié, prirent part à ces représentations. Grâce à ces séjours à Nohant beaucoup d’artistes parisiens devinrent des familiers et de vrais amis des Sand, mère et fils. Sans parler de Bocage et de Mme Sylvanie Arnould-Plessy, ceci se rapporte surtout à Sully-Lévy, Marie Lambert, Mlle Bérangère et M. et Mme Albert Bignon qui, tous, entre 1852 et 1860, furent souvent les hôtes de Nohant soit aux vacances d’automne, soit en été et même en hiver. Plus tard ce fut le tour de Thiron et de Clerh. Et cela dura presque jusqu’aux dernières années de Mme Sand. Tel fut le commencement de ce « Théâtre de Nohant », qui devint non seulement le passe-temps favori des habitants de Nohant, mais qui joua aussi un rôle très important dans la vie privée de Mme Sand et dans l’histoire de ses créations.

Ces représentations inspirèrent à George Sand le désir de tenter un nouvel essai théâtral. Nous avons vu qu’au milieu de la tourmente révolutionnaire elle avait écrit pour le « Théâtre du Peuple » son prologue le Roi attend, qui nous intéresse surtout comme la première des pièces de Mme Sand où elle mit en scène Molière. (Nous verrons à l’instant qu’il y en eut plusieurs.) L’année suivante, Mme Sand abandonna la politique pour revenir à l’art vrai, elle écrivit François le Champi, pièce tirée du roman de ce nom et représentée à l’Odéon en automne 1849. Cette comédie remporta un très grand et légitime succès[251], car, à l’encontre de presque toutes les œuvres dramatiques tirées de romans, généralement inférieures aux livres, cette comédie nous paraît, sous certains rapports, mieux composée que le roman. Quoique beaucoup de pages charmantes et de fines analyses psychologiques y manquent forcément, — ainsi toutes celles qui nous peignent la confusion et l’émoi de François devant l’amour qui l’envahit et qu’il ignorait, — mais l’action est serrée, et ne souffre pas des illogismes qui choquent le lecteur du roman. Elle s’engage au moment du retour de François, déjà adulte, dans la maison de Madeleine Blanchet, devenue veuve, malade et ruinée par sa rivale. Ceci supprime cette situation si déplaisante de l’enfant qui disait « ma mère » à celle qui le portait dans ses bras, devint amoureux d’elle, en fut aimé et l’épousa.

Revenue dans son Berry, encouragée par le succès du Champi et inspirée par l’atmosphère théâtrale qui l’entourait alors dans sa vieille maison de Nohant, Mme Sand se mit à écrire toute une série de pièces. Ce furent d’abord des comédies champêtres, genre qui avait paru si attrayant au public de la Comédie-Française. Puis elle se tourna vers la « comédie de mœurs » et même vers ce qu’on appelle les « pièces à thèse ».

Les années 1849-1851 doivent être considérées comme le temps où Mme Sand se tourna d’une manière très marquée vers la littérature dramatique. L’art dramatique sous toutes ses formes règne alors en autocrate à Nohant ; comédies après drames, drames après comédies s’entassaient sur le bureau de George Sand ; dans la salle voûtée du rez-de-chaussée, dite la salle du prieuré, la commedia dell’ arte succédait aux représentations de pièces apprises par cœur, ou aux spectacles des marionnettes. On s’y prépare toute la journée, on coud les costumes, on peint les décors, on fabrique avec du papier doré et de la colle des armures magnifiques ; à déjeuner et à dîner on discute les scénarios, on se dispute à propos du caractère de certain rôle.

En écrivant le Roi attend George Sand s’était souvenue de certains épisodes dramatiques de la vie de Molière. Elle écrivit pour les spectacles de Nohant une pièce tirée de la biographie de ce père du Théâtre français, et lui donna pour titre l’anagramme défectueuse de son nom — Marielle[252] ; puis Mme Sand fit une vraie pièce de théâtre — Molière, dans laquelle elle s’efforça de réhabiliter la mémoire du grand homme et de faire justice de certaines histoires répandues dans le public et portant atteinte à son honneur ; elle leur trouvait une explication psychologiquement vraie.

En outre, lors de ses recherches sur la genèse du théâtre de Molière, George Sand s’engoua de la Comédie italienne, se mit à étudier en compagnie de son fils l’histoire de ces « bandes » d’acteurs-improvisateurs, l’histoire des « masques », à faire des recherches sur les auteurs de leur époque, et se plongea complètement dans cette étude ; elle consacra un article spécial au Théâtre italien, elle en parla dans la préface de sa pièce les Vacances de Pandolphe, enfin, elle écrivit une préface pour l’étude de Maurice Sand sur les Masques et bouffons. C’est un travail extrêmement intéressant, traitant de la genèse, de l’évolution et des types principaux de ce théâtre et de cet art dramatique sui generis ; il est d’un grand attrait également pour ceux qui étudient l’histoire de la culture, pour les amis de Thalie et de Melpomène ou simplement pour tout lecteur passionné d’art. Entre autre, Maurice Sand a « découvert » un auteur oublié de ces comédies — un certain Beolco. Il a recueilli et narré sur cet auteur dramatique et sur ses œuvres des détails fort curieux. Quant à ses illustrations représentant les types traditionnels ou caractères de cette comédie italienne, elles en donnent une très vivante et très précise reproduction.

Les représentations théâtrales de Nohant eurent donc une action très importante sur l’activité littéraire de George Sand. Il en fut de même dans sa vie privée. Ces spectacles la reposaient de son labeur obstiné, jamais interrompu ; elle y oubliait les pénibles et tragiques impressions du dernier quart de sa vie ; elle y essayait ses nouvelles pièces destinées à quelque théâtre de Paris ; elle y puisa la donnée de plusieurs de ses romans[253]. Enfin le grand et le petit théâtre de Nohant, en ramenant George Sand à l’art dramatique, apportèrent de grands changements même dans sa vie. Il fallut faire des démarches pour placer les pièces, aller à Paris, assister aux répétitions, élargir le cercle de ses connaissances, fréquenter le monde artistique. Les observations qu’elle y fit engendrèrent une série de romans, dont les héros appartiennent à ce monde des tréteaux, tels sont : Pierre qui roule et le Beau Laurence, Adriani, Narcisse, etc., etc.

En 1851 Mme Sand fit une surprise à son fils : en son absence on reconstruisit la salle de spectacle. À son retour, Maurice trouva une vraie scène de théâtre parfaitement aménagée. Mme Sand en parle ainsi dans sa lettre du 24 février à Augustine de Bertholdi :

Oui, le théâtre a épaté Maurice. Il est arrivé le matin, il y a environ trois semaines. Le théâtre était fermé. Le soir je lui ai bandé les yeux et je l’ai conduit dans le billard. Il a vu la toile se lever, le décor de Claudie en place, tout bien propre, bien éclairé. Tu juges de sa surprise. On a joué deux fois seulement, depuis son retour. Je ne laisse jouer que tous les quinze jours, parce qu’après tout, il faut travailler. Hier a été une représentation splendide. Une pièce dans le goût des Pilules du Diable, moitié parlée, moitié pantomimée, avec des surprises, des diables, des pétards à chaque scène. Il y avait soixante personnes au public. Ça pirouettait un peu, mais on criait, on trépignait, et les acteurs étaient électrisés…

Le 28 avril Mme Sand écrit à la même correspondante :

Nous allons jouer ma dernière pièce[254]. Ah ! comme tu nous serais nécessaire ! Me voilà condamnée à faire les jeunes premières, la figure va encore quand je suis bien plâtrée, mais c’est un obstacle invincible pour moi de me persuader que je suis jeune, et ne me sentant pas la personne que je représente, je ne peux pas bien jouer. C’est au mois d’août que tu nous viens, n’est-ce pas ? Va-t-on s’en donner !…

Le 19 juillet Mme Sand annonce qu’elle est libérée de la nécessité de remplacer Augustine dans ces rôles qui lui conviennent si peu : ils sont désormais joués par une certaine Mlle Souchois, parente de Mme Duvernet, fort jolie personne. Toutefois, au dire de Mme Sand, cette jeune personne

réussit dans la partie naïve et enfant de son rôle, elle a été très insuffisante et très froide dans les endroits dramatiques. Mais on ne pouvait exiger davantage sur nos planches et Maurice a eu dans le rôle d’amoureux les mêmes qualités et les mêmes défauts, Manceau a eu en vieillard un grand succès. Lambert et Villevieille[255] ont bien joué aussi. En somme notre représentation a été très gentille et m’a bien donné l’idée de ma pièce, ce qui était pour moi la chose importante. Nous tâcherons d’en avoir une autre (une autre pièce) pour ton séjour ici. Solange est ici depuis une quinzaine avec sa petite qui est ravissante. On est très gai et tout va bien. Elle passera encore un mois avec nous…

Dans une lettre inédite de Mme Sand à Pauline Viardot, datée du 16 octobre de cette même année 1851, nous trouvons aussi les lignes suivantes, très intéressantes et qui nous peignent la manie théâtrale régnant alors à Nohant, aussi bien que le rôle du théâtre de Nohant dans la genèse des pièces de George Sand, destinées aux scènes parisiennes.


Nohant, 16 octobre 1851.

…Nous menons une vie de cabotins. Nohant n’est plus Nohant, c’est un théâtre ; mes enfants ne sont plus des enfants, ce sont des artistes dramatiques ; mon encrier n’est plus une fontaine de romans, c’est une citerne de pièces de théâtre. Je ne suis plus Mad. Sand, je suis un premier rôle marqué. Tout cela se passe bien gaiement, comme vous pouvez croire ; nous avons tout l’amusement et rien des déboires de l’art. Le théâtre est grand comme un mouchoir de poche, le public se compose de cinquante personnes ni plus ni moins, tous amis intimes, domestiques ou paysans du voisinage. La troupe se compose de Maurice et moi, de Manceau et Lambert, de Duvernet et sa femme, d’un bon enfant fort laid que vous ne connaissez pas et du menuisier de la maison, qui est le machiniste, le souffleur et l’utilité. La jeune première est Augustine au temps des vacances, et une autre que vous ne connaissez pas, dans d’autres moments. Nous faisons même venir de jeunes garçons, élèves du Conservatoire, quand nous avons besoin d’un amoureux, car ici, personne n’aime cet emploi-là. Enfin j’ai fait trois pièces cet été, dont deux ont été jouées par nous, refaites et rejouées. Cela m’est bien utile, je vois ma pièce et je la juge, et quand je n’en suis pas contente, je la bouleverse. Vous verrez, je pense, mes trois pièces eet hiver. Deux sont placées. Quant à l’autre, jetais dans la même situation que Gounod ; je comptais sur Bocage, et je savais que Bocage comptait sur lui. Mais le Marc Fouruier, nouveau directeur de la Porte-Saint-Martin, après m’avoir demandé ma pièce, m’a évincée sous divers prétextes dont le seul vrai, c’est que le Foucher[256] lui a défendu de me jouer. Espérons que cette persécution ne s’étendra pas à Ponsard[257] et à la musique de Gounod, d’autant plus que voilà le Foucher tombé dit-on[258]. Moi, je suis en course, par les jambes d’Hetzel, pour placer la dite pièce je ne sais encore où. La première est au Gymnase, la seconde au Vaudeville, si j’y puis avoir les acteurs sérieux que je veux dans les rôles que je leur destine. Mais tout cela est affreusement difficile et ennuyeux, et quand le plaisir d’écrire, et de jouer à Nohant est fini, l’ennui de se faire jouer à Paris commence.

Quand est-ce que vous viendrez passer quelque temps avec nous et vous amuser avec nous à ce jeu-là, chère fille ? Nous en avons un plus amusant, c’est d’improviser à l’italienne, sur des canevas assez compliqués parfois, et nos enfants font des tours de force d’à-propos et de dialogue comique. Il y a aussi la pantomine. Oui, quelque jour vous serez des nôtres, promettez-le-moi. Gounod tiendra le piano, et on fera un rôle de chasseur pour Viardot. Au besoin on lui mettra des perdrix empaillées sur le théâtre.


Les trois pièces auxquelles Mme Sand fait allusion dans cette lettre comme écrites en été 1851, sont : le Mariage de Victorine, les Vacances de Pandolphe et Nello le violoniste plus tard rebaptisé en Maître Favilla. Quant à l’année 1851 — où cette lettre et ces trois pièces furent écrites — il faut considérer cette date comme le vrai commencement de la carrière dramatique de George Sand, car c’est en janvier de cette année que fut jouée la première de toute une série de pièces que George Sand écrivit et mit en scène sans discontinuer, pendant quelque cinq années, jusqu’en 1856 à peu près. C’est ainsi que le 11 janvier 1851 fut jouée à la Porte-Saint-Martin par l’ami de l’auteur, Bocage, une pièce champêtre, Claudie, comme qui dirait un conte berrichon de George Sand mis en scène. Elle eut un grand succès. Le 10 mai de la même année on représenta, à la Gaieté, Molière. Puis viennent : le Mariage de Victorine, représenté au Gymnase le 26 novembre 1851, les Vacances de Pandolphe, comédie qui eut sa première le 3 mars 1852 au même Gymnase et qui est écrite dans le style des masques italiens sur lesquels Mme Sand fit un article en cette même année. Le 1er septembre 1852 on joua le Démon du foyer, au Gymnase. Une année plus tard, en septembre 1853, année où parurent les Maîtres sonneurs, on représenta, toujours au Gymnase, le Pressoir, drame champêtre dans le genre du Champi et de Claudie. Deux mois plus tard, le 28 novembre 1853, on donna, à l’Odéon, une pièce tirée par George Sand de Mauprat. Moins d’une année après, le 31 octobre 1854, George Sand revint au Gymnase avec Flaminio, tiré du roman de Teverino, (nous en avons parlé au chapitre vu du volume précédent). Onze mois plus tard, on joua, à l’Odéon, Nello-Favilla ; six mois après lui, le 16 février 1856, au Gymnase, Lucie ; le 3 avril de la même année, à l’Odéon, Françoise (destinée d’abord sous le titre de l’Irrésolu à la Comédie-Française). Enfin neuf jours à peine après cette dernière pièce, le 12 avril 1856, on représenta à ce Théâtre-Français le Comme il vous plaira de Shakespeare, arrangé par George Sand. C’est ainsi que de la fin de 1850 au commencement de 1856 George Sand écrivit et mit en scène douze pièces et la treizième, Marielle, prototype de Molière, fut imprimée dans la Presse vers la fin de 1851. Et combien de pièces encore ne virent pas le feu de la rampe à Paris et ne furent écrites que pour Nohant !

Nous ne dirons rien de Claudie. Le lecteur trouvera l’analyse de cette pièce et le récit de nos impressions personnelles lors de sa représentation à la fête du centenaire en 1904, dans le dernier chapitre de ce volume[259]. Rappelons seulement quelques curieux détails sur l’apparition de Claudie au théâtre en 1851, (Elle fut reprise en 1859, 1863, 1886, 1904 avec un succès toujours croissant). Or, au dire même de Mme Sand lors de sa première mise en scène :

… « Claudie a été un triomphe et non pas un succès, grâce aux mauvais tours politiques et autres, grâce aux vols de l’administration ; la gloire y est, mais non l’argent[260]… »

… J’ai énormément travaillé depuis Claudie, écrit Mme Sand à Mme de Bertholdi le 28 avril 1851, Claudie m’ayant fait faux bond quant à l’argent, grâce aux mauvais tours de fripons qu’on a joués à Bocage et à moi, il m’a fallu faire vite une autre pièce qui est en répétition à la Gaieté maintenant, c’est Molière joué par Bocage. De plus, j’ai fait encore une pièce ces jours-ci, pour parer à une défaite, si Molière est persécuté et trahi comme Claudie l’a été. Voilà bien des luttes. Heureusement je les prends avec beaucoup de calme à présent et ne m*étonne plus de rien…

Les luttes et les ennuis qui échurent en partage à Claudie et aux pièces qui la suivirent, eurent pour cause le passé politique de leur auteur, passé très récent. La presse réactionnaire, la police et le pouvoir considéraient George Sand comme un auteur dangereux, une socialiste, une rouge, ce qui leur fit découvrir même dans cette innocente pièce de Claudie des tendances subversives. De nos jours elle semble « fade » et « à l’eau de rose » à bien des personnes, en 1851 on la considéra comme une œuvre destinée à faire crouler l’édifice social, himmelsturmend, comme disent les Allemands. La réhabilitation d’une fille perdue, les diatribes d’un ouvrier journalier contre le riche paysan Denis Ronciat, l’hymne au travail — tout cela effraya les puissants de ce monde et les bourgeois.

M. Ladislas Mickievricz, alors que ce chapitre était déjà terminé et copié, nous communiqua un extrait d’une Correspondance de Paris publiée dans le Goniec Polski (journal polonais paraissant à Poznan), à la date du 8 janvier 1851, où nous trouvons les lignes suivantes, fort curieuses, se rapportant à cet épisode :

On doit représenter ces jours-ci sur une scène parisienne une pièce de George Sand intitulée : Claudie. Comme George Sand a la réputation d’être un écrivain socialiste, la police a usé avec une sollicitude particulière de son droit de censure. Entre autres on a supprimé les passages suivants que Ton a trouvés éminemment menaçants p ourla religion, la famille, la société et la propriété. « Justice se fera, Dieu l’a promis et il tiendra sa promesse ; » « la gerbe de blé est l’oreiller du peuple », Ce ne serait que ridicule si ces chicanes policières dénotaient non pas seulement l’esprit policier de M. Carlier, mais encore les dispositions de la moitié de l’Europe qui entend sauvegarder ainsi la religion et l’ordre social.

Claudie ne se soutint pas longtemps sur les planches et les sentiments hostiles ou sceptiques de différents cercles de la société parisienne contre son auteur trouvèrent, entre autres, leur expression dans une parodie qui parut peu de temps après sous le titre de : Claudine ou les Avantages de l’Inconduite, étude pastorale et berrichonne par Siraudin et de Beauplan (Paris, 1851, Giraud, in-12).

Gustave Planche en analysant Claudie appela Mme Sand « une élève de Sedaine » et lui conseillait, dans son article, d’étudier cet auteur si injustement oublié. Ces paroles firent-elles relire à George Sand « le bon papa Sedaine » qui avait toujours été l’un de ses auteurs préférés (comme elle l’assura plus tard, dans une de ses lettres de 1876), ou bien un volume de Sedaine lui tomba-t-il simplement entre les mains parmi les dizaines de vieux auteurs qu’elle relisait alors à la recherche d’un canevas, pour quelque spectacle improvisé de Nohant, peu importe ! Le fait est que le Philosophe sans le savoir, qu’elle n’avait « jamais bien connu auparavant, ne l’ayant vu deux fois que dans son enfance » et qu’on venait justement de reprendre à la Comédie-Française, attira son attention ; elle s’enthousiasma tellement pour Sedaine, qu’elle écrivit le Mariage de Victorine qui est une suite du Philosophe tout comme le Mariage de Figaro est celle du Barbier de Séville. Est-ce ce lien intime entre les deux pièces qui fait que chaque reprise de la comédie de Sedaine rappelle immédiatement à tout le monde la pièce de George Sand, et vice versa, ou bien parce que le Mariage de Victorine s’adapte admii-ablement aux vieilles traditions du théâtre français, ce qui est certain c’est que le Mariage de Victorine resta au répertoire du Théâtre-Français, excitant non seulement l’enthousiasme du gros public, mais l’approbation exaltée de connaisseurs aussi fins que Flaubert. Lorsqu’on 1876, peu avant la mort de l’auteur, on reprit le Mariage de Victorine à la Comédie-Française, Flaubert, cet ami nouveau, mais peut-être le plus chéri de George Sand pour la sincérité de l’amitié respectueuse et tendre qui l’attachait à elle, lui écrivit qu’il ne comprenait pas comment elle avait pu faire sa charmante comédie d’après la pièce « assommante, oui, assommante de Sedaine ». George Sand fut horripilée et se récria contre un jugement aussi irrévérencieux sur son « bien-aimé papa Sedaine », en défendant la simplicité, la candeur, la délicatesse de ses personnages si touchants ; elle ne pouvait pas même prétendre, disait-elle, y atteindre. Flaubert ne se le tint pas pour dit, et dans une seconde lettre redit encore une fois que lui et Mme Viardot s’étonnaient comment George Sand « avait pu faire ceci de cela » ; tout en rendant justice à la délicatesse de sentiments et à la noblesse des principes des personnages de Sedaine, il n’assurait pas moins que la pièce de Sedaine était « insupportablement fade, fade comme du laitage » ; qu’il ne suffisait pas qu’une œuvre fût remplie de bons sentiments pour rester éternelle ; il fallait qu’elle fût bien écrite, que son style tût immortel ; c’est pour cela que le Mariage de Victorine était adorable et le Philosophe vieillot et assommant. On est excessivement étonné de lire un jugement aussi enthousiaste sur le Mariage de Victorine, écrit par l’auteur de Madame Bovary. C’est évidemment la partialité amicale de Flaubert (qui nommait Mme Sand avec un tendre respect « sa chère Maître » ) qui le lui dicta[261].

Nous n’avons jamais vu jouer le Mariage de Victorine ; à la lecture il nous produisit l’effet, — disons-le sans ambages et avec la franchise de ce galopin du conte d’Andersen, qui osa ne pas voir les prétendus beaux habits royaux, — il nous produisit l’effet d’une de ces sucreries sentimentales, de ces médiocrités dramatiques conventionnelles, hissées sur des échasses et théâtralement routinières qui faisaient les délices des spectateurs vers 1850, mais qui sont insupportables pour les yeux, les oreilles et le goût du spectateur contemporain même le moins exigeant en ces matières.

Cette routine de théâtre nous choque bien moins dans la pièce qui suivit le Mariage, dans les Vacances de Pandolphe, peut-être parce que l’auteur y fait mouvoir non des caractères réels, mais justement des types de convention ; ce sont les types traditionnels de la comédie italienne, auxquels George Sand revint encore dans son article, paru deux ou trois mois à peine après la représentation de Pandolphe. Nous y voyons apparaître et le docteur, et Léandre (prototype d’Almaviva), et Pédrolino ou Pierrot, et le classique Pascariel, et l’ingénue Violette (participant et de Rosine et de ZerUne), et Isabelle, et Colomhine et une duègne, bref, tous les personnages des bandes de comédiens d’avant Molière avec tous leurs traits typiques et routiniers, toutes leurs allures et particularités. On ne les juge pas, ni eux, ni leurs actions, selon la logique et la fidélité à la vraie vérité, mais seulement selon la concordance de leurs faits et gestes avec les traditions bien connues. Les Vacances de Pandolphe pourraient servir d’excellent livret pour un opéra ou un ballet style dix-huitième siècle, si en vogue de nos joins, et nous le signalons à l’attention de MM. les compositeurs. George Sand écrivit une petite chanson en vers pour la scène finale de Pandolphe, dans le goût de la naïveté de convention de toute cette pièce de poupées, et elle l’a mise en musique elle-même en écrivant, au-dessous, quelques mesures de mélodie tout aussi primitive, aux sons de laquelle les deux amoureux de la pièce se jurent fidélité et « Pandolphe essuie une larme à la mélomanie ». Toute la pièce peut être jugée sur cette dernière « remarque ».

Les Vacances de Pandolphe furent suivies par une comédie en trois actes : Le Démon du foyer, dont la première eut lieu le 1er septembre 1852. Et le 12 octobre de la même année commençait à paraître dans le Pays le roman de Mme Sand, Mont-Revêche. Il est très curieux de comparer ce roman et cette pièce : tous les deux ont pour héroïnes trois sœurs ; dans le roman ce sont les trois filles de M. Dutertre, dans la pièce les trois sœurs Corsari, et la donnée générale est presque identique. Mme Sand avait dès le principe eu l’intention de dédier ce roman à son ami le comte d’Orsay, mais le comte mourut le 4 août 1852 et le roman resta sans dédicace. Or, George Sand esquissa dans la pièce la silhouette du comte, et dans la comédie comme dans Mont-Revêche on retrouve aussi, reflétée, la personnalité de l’amie de d’Orsay, la propre fille de l’auteur, Solange. Seulement elle est une dans la pièce et divisée en deux dans le roman, où elle a servi de modèle à Fauteur pour dessiner les deux filles aînées de M. Dutertre, Nathalie et Éveline. La première, une glaciale beauté pétrie d’esprit, personnifie la méchanceté, l’hypocrisie, la couardise et les calomnies de Solange, qui, dans le roman comme dans la vie réelle font le désespoir de sa famille, sont la source d’une série de chagrins, de querelles, presque de meurtres et, en tous cas, causent, dans le roman, la mort prématurée de la belle-mère de cette diabolique enfant. Dans la seconde sœur, Éveline, nous reconnaissons d’autres traits de Solange, moins repoussants, plutôt bizarres, et quelquefois même attrayants ; nous voyons devant nous Vautre Solange, l’extravagante, la capricieuse, la mal équilibrée, la dominatrice, « la sublime princesse » de Nohant, habituée à l’adoration universelle, éprise de chiffons, de rubans, de luxueuses toilettes, de cavalcades et de grands titres, tantôt fantasque, adonnée à de folles entreprises, cherchant les émotions violentes, tantôt se mourant d’ennui et de désœuvrement. Dans la pièce c’est le petit « démon » lui-même la Flora, qui est certes silhouettée d’après Solange. Cette beauté glaciale, égoïste jusqu’au bout des ongles, voit et cherche un adorateur dans chaque homme qui l’approche. Elle ne comprend pas qu’on puisse ne pas l’admirer, elle se morfond et se désole de mener une modeste et tranquille existence dans la maison de sa sœm* aînée, Nina ; elle jalouse cruellement sa sœur cadette, Camille, brillante cantatrice, elle se décide d’abord à fuir de la maison en compagnie d’un vieux dandy-mécène qu’elle n’aime point, dans le seul but de s’amuser, de pouvoir briller, de se libérer de la tutelle des cœurs aimants ; plus tard, pour le seul plaisir de sa vanité et de son amour-propre sans frein, elle est prête à briser froidement la vie de sa sœur, en exigeant que celle-ci lui sacrifie son amour. Quant au grand seigneur « ami des artistes », c’est le personnage le plus réussi de la pièce, un type soutenu dans les moindres détails. On se demande ce qui se cache derrière l’élégance de ses manières, sa parfaite tenue, son aimable moquerie et son froid scepticisme, si c’est un noble cœur qui veut sauver l’écervelée Flora des suites néfastes de son escapade et si à cette fin il devient son protecteur, ou bien si c’est un vieux roué blasé qui veut abuser de l’innocence de cette coquette jeune fille, moins pervertie qu’elle ne le paraît. Nous venons de dire qu’en ce même été 1852 mourut l’ami de l’auteur, le paternel protecteur de Solange, le comte d’Orsay, auquel le roman dont fut tirée cette pièce devait être dédié. L’auteur biffa la dédicace, mais le portrait du vieux beau, « ami des artistes » protecteur de la froide fille sans cœur, resta, et c’est, répétons-le, le personnage le plus intéressant de la pièce. Toutefois, deux de ses tirades dédaigneuses, très caractéristiques et parfaitement d’accord avec le type de grand seigneur ami des arts, tant soit peu hautain, que l’auteur voulait peindre, furent très mal accueillies par la critique, et comme en ce moment-là, profitant des tendances réactionnaires du moment, la critique en général ne manquait aucune occasion d’attaquer George Sand, Jules Lecomte, entre autres, pubUa à l’occasion du Démon du foyer, un article indigné contre Mme Sand. Il déclarait que la romancière vivant à la campagne et entourée d’une cohue de flatteurs et de parasites qui la poussaient par leur adoration outrée à l’oubli complet de toute mesure et de toute critique de soi, était arrivée au comble de l’orgueil ; il prétendait que dans sa préface aux Vacances de Pandolphe, George Sand avait appelé Gustave Planche « le seul critique sérieux de ce temps-ci », parce que lui seul avait apprécié le Mariage de Victorine et qu’à présent, dans son Démon du foyer, elle se permettait de dire des choses vraiment impossibles : c’est ainsi par exemple, qu’elle appelait tous les critiques « des gazetiers », tous ses confrères les journalistes « des chenapans », tous les directeurs de théâtre « des suborneurs », et qu’elle avait offensé cruellement tous les représentants de la presse par les deux phrases que son prince prononçait dans le premier et le deuxième acte.

George Sand releva le gant et répondit dans la Presse du 10 septembre 1852 par une longue lettre, dans laquelle elle soutenait son droit de faire parler à chacun de ses personnages, les fats, les chenapans et les vauriens, un langage et de leur faire dire des choses qui, justement, les peignent comme des fats sans pudeur, des chenapans sans principes et des vauriens sans savoir, incapables d’apprécier eux-mêmes et les autres. En même temps George Sand prouvait que le devoir de la critique honnête était de ne pas prendre toutes ces sorties pour des opinions propres de l’auteur, et de comprendre que les sots et les vauriens, en vertu même de leur défaut, jugent les autres tout de travers. Au début de cette lettre Mme Sand signalait à Jules Lecomte avec grande dignité combien il était indécent pour un critique de parler de la vie intime d’un auteur vivant, aux secrets duquel il n’était pas initié : il parle de choses qu’il ne connaît pas ; ou bien, s’il y est initié, alors il est indiscret. Le critique ne doit parler que des œuvres d’un auteur et en parler avec impartialité. Or, Jules Lecomte avait poussé si loin sa partialité qu’il citait inexactement même les phrases de la pièce et les arrangeait à sa guise. Et comme preuve à l’appui, George Sand citait les deux passages incriminés.

Nous les citerons en entier : dans l’article de George Sand ils sont un peu changés. Au premier acte le prince dit à Flora en réponse à ses lamentations d’être « perdue », ayant cédé à ses conseils de fuir avec lui de la maison de ses sœurs :

Est-ce que je vous fais des conditions ? Me prenez-vous pour un gazetier ou pour un directeur de théâtre[262]. Je suis l’ami des artistes, et assez bien pourvu de tout ce qui fait la vie agréable pour être un ami désintéressé. Est-ce que j’ai cherché à vous séduire ? Je ne me suis pas aperçu de ça…

Au second acte, répondant de nouveau à une phrase de Flora qui déclare qu’on l’avait calomnié auprès d’elle, disant qu’il était capable de la mal conseiller, le prince réplique :

Ah ! cette bonne Nina ! Elle croit encore aux roués de la Régence. Oui, elle les connaît… de réputation. Elle les a vus représenter au théâtre ou dans les romans par un tas de chenapans qui leur font dire et faire des choses les plus bêtes[263]. C’étaient de grands sots, nos aimables aïeux, s’ils se conduisaient avec les femmes comme on les fait agir dans la littérature moderne…

Et Mme Sand ajoutait :

« Qui sait écrire doit savoir lire, et qui sait lire, doit savoir entendre, » puis elle demandait ironiquement « si c’étaient les auteurs modernes ou les types fictifs de leurs roués de la Régence qui étaient traités de chenapans et qui faisaient toutes les choses les plus bêtes »…

Mais, continue-t-elle, si même l’auteur avait fait dire à l’un de ses personnages les choses les plus exorbitantes, des énormités, ne fallait-il pas considérer le public comme apte à comprendre de lui même, sans qu’on lui dise comme aux enfants : « Celui-ci est le traître, il dit du mal de la vertu. Celui-là est l’insolent, il méprise tout ce qui n’est pas lui ! » Puis en parodiant l’exclamation de Jules Lecomte : « Ah, madame, ah, madame ! insulter la critique ! » elle s’écriait : « Ne pas comprendre une chose si niaise ! Ah ! monsieur le critique ! un critique ! » Et elle terminait sa Lettre en déclarant que pour rien au monde elle ne suivra son conseil et ne changera pas un seul mot à sa pièce, parce que, si elle le faisait, « ce serait une sottise, une lâcheté et un mensonge », elle aurait l’air d’avouer d’avoir eu des intentions haineuses et rancuneuses contre quelqu’un, et il n’en était rien.

Au lendemain de cette lettre ouverte à M. Jules Lecomte, le 11 septembre 1852, George Sand écrivait à son fils à Paris :

Le succès du Démon me fait beaucoup de plaisir à cause du jugement faux des articles sur la pièce, qui a été démenti, et de la rage des journaux qui devient inutile. Lafontaine[264] m’a écrit. C’est un peu tard. N’importe ! Bocage m’a écrit des choses superbes, il s’est décidé à voir jouer une pièce à moi. Frédéric[265] m’a écrit encore qu’il court après toi pour les costumes et les décors de Nello. Compose et décide. Peut-être pour la scène du violon Frédéric aura-t-il quelque idée bonne à entendre sur la composition du décor. Je désirerais pourtant qu’il ne changeât rien sans ton avis[266]. Est-ce qu’on a retranché du Démon les gazeiiers, les chenapans et tout ce qui a fait la fureur des journalistes ? J’en serais fâchée. Réponds à cela[267]

Un an après le Démon du foyer, le 13 septembre 1853, George Sand fit représenter au Gymnase son Pressoir et deux mois plus tard, le 28 novembre, Mauprat tiré du roman de ce nom. Le vieil ami de Mme Sand, Eugène Delacroix, écrivait dans son journal à la date du 28 novembre, le soir même de la première de Mauprat, quelques lignes, à propos des deux pièces qu’il comparait : « Absence de talent dramatique, mots charmants, tous trop vertueux ; bon début, milieu se traîne, paysans vertueux assommants, manque de goût. »

Si tout le monde ne souscrit pas absolument à la première de ces assertions, on trouvera les dernières remarques parfaitement justes, surtout en les rapportant au Pressoir. Cette pièce est insupportablement ennuyeuse à la lecture et justement grâce à cet excès de sacrifice et de vertu « assommante » de la part de tous, « d’eau de rose » à profusion. Dans la Préface pour l’édition de la pièce en volume George Sand dit qu’elle voulait y mettre en scène non des paysans, mais des villageois : des artisans, des ouvriers, de petits marchands vivant à la campagne et ayant déjà un peu goûté à la civilisation, parlant souvent un langage qui n’est plus celui des paysans, qui n’est pas encore celui des citadins et tout plein de mots savants, employés tout de travers. Il faut convenir que les conversations de ces personnages (de deux vieux voisins, un menuisier et un charpentier et de leurs proches), produisent l’effet de quelque chose de factice (à l’exception de quelques locutions bien certainement transcrites par l’auteur comme il les a entendues ou vues écrites, tel le procès-verbal dressé par un expert villageois). Et la « vertu assommante » des personnages rend même les héros principaux peu intéressants. Au contraire le type du coq de village, le bellâtre Noël Plantier (comme un écho radouci et bon enfant du sans-cœur et égoïste Denis Ronciat dans Claudie), ce type, disons-nous, est très comique, tracé avec une fine moquerie et c’est la seule figure que notre mémoire retienne parmi la multitude de tous ces villageois archi-vertueux. On en dirait peut-être autant de la figure de son père, un vieux grognon et cupide ; mais il est composé d’une manière trop sommaire et naïve. Pour toutes ces causes le Pressoir ne peut en aucune façon aller de pair avec les autres pièces champêtres de George Sand, ni avec le Champi, ni avec Claudie.

Quant à Mauprat, quoique ce drame eût toujours du succès, lors de sa première mise en scène comme lors de chacune de ses reprises, et quoique George Sand défendît dans la Préface le droit de l’auteur de créer avec les mêmes données deux œuvres différentes (elle souligne le mot), malgré tout cela nous devons dire que peut-être aucune autre pièce de George Sand ne prouve autant que Mauprat la thèse qu’il ne faut jamais refaire un roman en drame. Combien il y est peu resté de ce beau roman ! Combien peu on y retrouve cette fine, cette merveilleuse analyse psychologique et par contre, quel mélodrame, marchant sur des échasses, quelle routine dramatique !  ! Du reste, de nos jours, ni grossiers mélodrames, ni échasses romantiques, ni coups de théâtre à outrance ne choquent plus personne, grâce à l’influence… bienfaisante des cinémas ! Il est probable que Mauprat-drame est juste selon le goût du public moderne et peut-être qu’un beau soir, dans quelque salle sombre et bourrée de monde à s’y asphyxier, aux sons faux d’un piano exécutant un pot-pourri ravissant où la valse de la Veuve joyeuse s’enchaîne bravement à la Mort d’Iseult et la Marche funèbre de Chopin à la Petite Tonkinoise, on verra vaciller et trembloter sur l’écran un « extrait concentré » de cette pièce, tirée et taillée dans l’un des plus charmants romans de George Sand, pièce farcie à l’excès de toutes sortes d’invraisemblances, de disparitions, d’apparitions soudaines de personnes sortant d’un mur, de passages « par-dessus des abîmes » sur des poutres à demi brûlées, de coups de fusil partis d’on ne sait où, d’arrivées de gendarmes, etc., etc. Quelle misère !

Nous avons déjà analysé une autre œuvre dramatique de George Sand faite d’après un roman — Flaminio tiré de Teverino. Cette pièce non plus n’a rien ajouté aux lauriers de son auteur.

Les quatre pièces jouées en 1855 et 1856 présentent beaucoup plus d’intérêt. Nello le violoniste fut primitivement destiné au théâtre de Nohant. Puis Mme Sand le remania sur les indications de Bocage qui voulait le jouer à la Porte-Saint-Martin. Un peu plus tard Nello fut refait pour Bouffé. Puis, Mme Sand le remania encore pour Frederick Lemaître qui devait le jouer aux Variétés[268]. Puis le titre fut changé et la pièce fut imprimée par Hetzel, en 1853, sous le nom de la Baronnie de Muldorp {ou de Muhldorf). Remaniée une fois encore et dédiée à Joseph Dessauër, cette œuvre prit le nom de Maître Favilla. Dès lors on appela toujours de ce nom Dessauër chez les Sand, car c’est lui qui servit de prototype au héros. Finalement dédiée à Rouvière, la pièce fut jouée à l’Odéon en 1855. Maître Favilla, peint d’après Joseph Dessauër, rappelle en même temps un personnage de Hoffmann, C’est comme un tribut payé par Mme Sand à la mémoire du célèbre auteur romantique allemand dont les œuvres l’enthousiasmèrent toujours. Dans la préface du Secrétaire intime, George Sand avait déjà proclamé son admiration pour Hoffmann. Nous avons dit dans notre premier volume que lors du séjour de Liszt et de la comtesse d’Agoult à Nohant, en 1837, on y lisait à haute voix les œuvres du conteur allemand et nous avons cité la page du Journal de Piffoël montrant combien George Sand avait été profondément émue par les idées de Hoffmann sur la musique. Mme Sand était aussi très enthousiaste de la « Maison déserte », tant prônée par Hoffmann, elle écrivit à deux reprises sur ce thème : une première fois en 1836 sa Dixième lettre d’un voyageur, ayant pour sous-titre Sur Lavater et une Maison déserte, et une seconde fois en 1856 la Maison déserte, extrait publié dans le Magasin pittaresgue. (Nous en parlons au chap. xi.)

Favilla est donc un vrai personnage de Hoffmann, une espèce de Kreyssler, un artiste avant uniquement dans le monde de l’harmonie et du rêve ; dans la vie pratique c’est un grand enfant, généreux, désintéressé, mais toujours distrait et bizarre et que l’on prend volontiers pour un fou. C’est cette distraction qui, dans la pièce, est la cause des malheurs de Favilla et de toute sa famille : son vieil ami mourant, le baron de Muhldorf lui enjoint de vive voix de garder dans sa baronnie l’ordre de choses et le train qu’on y menait de son vivant, et surtout de secourir toujours les inférieurs, de venir en aide aux indigents ; et dans son testament écrit, il lui lègue toute la fortune des Muhldorf. Favilla, qui adoucit les derniers moments de son ami en lui jouant une cantate de Haendel, brûle par distraction ce testament. Il en résulte que le neveu du baron (qui n’avait point d’enfants), le commerçant Keller, se considère comme l’héritier de la fortune des Muhldorf ; c’est ce que pensent aussi tous les autres. Or, Favilla parle et agit en seigneur et maître de la baronnie. De là, une série de malentendus, tantôt comiques, tantôt tragiques et qui causent le malheur des enfants de Favilla et de Keller, Marguerite et Hermann : le vieux Keller défend à ce dernier d’épouser cette jeune fille, à son dire, la fille d’un violoniste italien, mendiant et fou. Et voilà qu’au moment, où, voulant exécuter à l’anniversaire de la mort du baron la même cantate de Haendel et se mettant à la même place où il se tenait alors, Favilla, comme cela arrive souvent à chacun de nous, se souvient tout à coup comment, dans un accès de douleur, il a allumé le papier timbré à une bougie, puis l’a jeté dans la cheminée et laissé brûler. C’est ainsi que l’existence bien réelle du testament est prouvée et qu’on reconnaît que ce n’est pas lui, Favilla, qui se trouve être hébergé au château de Keller, mais bien Keller chez lui. Ce dernier, s’ennuyant déjà à la campagne, se dispose à revenir à ses boutiques, et les jeunes gens se marient. La scène mimique finale, lorsque, aux sons d’un orchestre invisible jouant la cantate de Haendel, Favilla prend son violon et, se mettant à l’ancienne place, tout à coup rejette son violon, prend sa tête dans ses mains, commence à se ressouvenir, et revient à une entière lucidité d’esprit, fut un triomphe pour Rouvière, auquel le rôle du vieux Favilla, idéaliste, bizarre et demi-fou, dans le goût du héros d’Hoffmann, convenait de tous points.

George Sand assista avec Manceau aux répétitions et à la première de Favilla, qui eut lieu le 15 septembre 1855. Elle raconte ses impressions et surtout celles que lui laissa le jeu de Rouvière dans ses lettres inédites à son fils, du 13, 15 et 17 septembre. Les voici :

Paris, 13 septembre 1855.

Je t’écris un peu à l’hazard, ne sachant où tu es. Je pense que le beau temps t’a décidé à faire ton petit voyage, à moins qu’il ne pleuve, vente et tonne à Nohant. Ici il n’y a pas eu d’orage et nous avons trouvé Paris sec et propre. Favilla va bien. Je trouve Rouvière admirable. Le public sera-t-il de mon avis. Les uns disent oui, les autres non, ceux-ci auront tort. Il joue cela comme un inspiré. Barré[269] est bon, Mme Laurent ravissante. On dit que nous passerons lundi. J’en doute. Il y a demain spectacle gratis, le Champi, dans le jour, je crois que ça nous retardera.

Paris, 15 septembre 1855.
Samedi après la pièce.

Favilla a été admirablement joué et admirablement accueilli…

Je te bige encore. Rouvière, Barré et Mme Laurent ont été magnifiques.

Paris, 17 septembre 1855.

… Ce soir a eu lieu la seconde de Favilla ; Bérengère a perdu son enfant durant la première. EUe ne l’a su que dans la nuit. Vaez[270] est bien triste et elle est bien accablée. Son rôle a été doublé pour aujourd’hui par la petite Maria Rey qui le savait et qui n’a pas été trop mal. Mais elle aurait été mal, que la pièce n’en aurait pas été moins bien. Les petits rôles sont courts et on les écoute sans impatience, car l’on est entraîné par Rouvière, Barré et Mme Laurent qui sont excellents et encore plus aujourd’hui que samedi. Rouvière est d’une beauté dont je ne peux pas te donner l’idée. Il est calme, doux, tendre, enthousiaste, lyrique, c’est l’idéal du personnage et la salle croule sous les applaudissements du dernier acte. Il ne joue plus de violon, c’est Juliette qui joue un solo de harpe (censé) et Anselme qui joue du violon ensuite. Tout cela dans le fond avec des musiciens postiches, et pendant ce temps-là, Rouvière fait une pantomime ébouriffante qu’on applaudit à tout rompre. Il m’a fallu tâtonner cet effet, mais il est venu magnifique. Pour moi ce n’est pas là le merveilleux du talent de l’acteur, c’est la diction des moindres mots qui sortent de lui suaves et profonds. C’est le plus grand acteur qui existe aujourd’hui à Paris, et je crois que le public arrive à s’en apercevoir. Avec cela il est arrangé à ravir. Il est pâle, propre, doux, fantastique, beau comme un Kreysler d’Hoffmann. Quel joli personnage à peindre ! Les artistes en sont fous. La représentation de ce soir a été superbe comme argent et comme succès (d’Odéon). La presse est bonne jusqu’à présent et on croit à un vrai succès. Quel qu’il soit quant au profit, il est réel et certain dans l’opinion, et le ministre demande une nouvelle pièce pour les Français. J’ai vendu le manuscrit à la Librairie Nouvelle. Je vas m’occuper de Charton[271] et de Falempin[272] pour toi, voir l’industrie, voir Mirés[273] qui fait enrager M. Collier[274], dîner chez Girardin, etc. Je ne crois pas pouvoir partir avant lundi prochain, car je n’ai encore pu rien faire en dehors de Favilla. Tu sais qu’à l’Odéon il faut s’occuper de tout. Ils sont plus fafiots et lambins que jamais, mais toujours si gentils qu’on ne peut se fâcher…

… Manceau t’embrasse, sa colique de première représentation est passée. Porte-toi bien.

George Sand exprimait presque dans les mêmes termes son admiration pour le jeu de Rouvière dans la Préface pour l’édition de la pièce qu’elle lui dédia à cette occasion. L’auteur y remercie l’artiste surtout pour avoir par son jeu rendu véridique, réel et possible ce type idéal de Favilla, d’avoir, d’un personnage que l’auteur avait fait simple et bon, fait un personnage grand et poétique, doué d’ « une physionomie que les poètes et les peintres ont comparée avec raison aux types saisissants et touchants des plus belles légendes d’Hoffmann » et d’avoir ainsi rendu un grand service moral à l’auteur qui voulait, avant tout, réfuter l’opinion courante que ses personnages n’étaient ni vivants, ni réels. Cette dernière allusion visait Jules Janin qui avait attaqué George Sand à propos de Favilla et surtout à propos de l’avant-dernière version de cette pièce, la Baronnie de Muhldorf, point jouée, mais imprimée à Bruxelles. Jules Janin prétendait que dans toutes ses pièces George Sand sacrifiait les honnêtes bourgeois aux artistes déréglés et vagabonds, et en exhaussant ces derniers, détestait et maudissait les premiers, mais que, surtout, elle peignait des idéalistes, n’existant pas dans la vie réelle.

George Sand répondit par une lettre[275], dans laquelle elle défendait son droit de peindre des types positifs ou négatifs dans toutes les classes de la société et de les peindre avec les traits caractéristiques adhérents à chacun : un bourgeois ou un marchand, comme un homme prosaïque, sec, mais honnête, un musicien exalté, comme un homme fantaisiste et peu pratique, mais aussi honnête et adorant l’idéal ; et, avant tout, elle défendait son droit de peindre au milieu d’un siècle adonne à la poursuite fiévreuse du gain, des hommes artistes ou bourgeois, peu importe ! qui sont entièrement guidés par le sentiment du devoir, lui apparaissant sous quatre formes : l’honneur, le devoir professionnel, la fidélité dans l’amour, le culte de l’idéal.

À l’époque de la mise en scène de Favilla se rattache un épisode fort intéressant et presque inconnu même des connaisseurs de l’histoire littéraire :

Lors de la première de Claudie le rôle de la Grand’ Rose fut joué par Mlle Daubrun, « la belle Daubrun », comme Mme Sand la nommait dans sa Préface pour l’édition de Claudie, où elle disait beaucoup de choses flatteuses sur cette artiste. Et c’est justement à cette actrice et à son désir de jouer dans Favilla aussi, que se rapporte une série de documents fort curieux que nous avons retrouvés dans les papiers de George Sand. Premièrement c’est une lettre que Mlle Daubrun écrivit à Mme Sand le 4 janvier 1852, lorsque après l’événement du 2 décembre 1851 la Porte-Saint-Martin fut fermée et que cette demoiselle passa à la Gaieté ; elle priait Mme Sand de lui donner la permission de jouer Claudie à son bénéfice du 10 janvier ; or, tous les droits sur cette pièce appartenaient à Bocage, et Mlle Daubrun invoquait la bonté si connue de jVIme Sand et la suppliait de lui venir en aide, vu sa position pécuniaire très difficile. Et elle signait

« Votre humble servante et toujours reconnaissante

« Grand’ Rose-Marie Daubrun. »

Trois ans plus tard, au mois d’août 1855, au moment où on était en train de répéter Favilla, Mme Sand reçut à propos de cette même demoiselle Daubrun une très intéressante lettre de la part d’un auteur, alors inconnu, plus tard immensément célèbre, lettre que nous devons publier, ne fût-ce qu’au nom de la vérité et de l’équité. Voici cette lettre :

Mardi, 14 août 1855.
Madame,

J’ai un bien grand service à vous demander et vous ne connaissez même pas mou nom. S’il est une position embarrassante, à coup sûr c’est celle d’un écrivain obscur contraint à recourir à l’obligeance d’un écrivain célèbre. Je pourrais me recommander près de vous des noms de quelques amis illustres, mais à quoi bon ? J’estime que le récit de mon affaire vaudra mieux que tout, puis je pense que demander un service à une femme pour une femme, ce n’est plus une humiliation, c’est presqu’une joie. J’espère donc ne pas vous déplaire en vous avouant que malgré votre haute position littéraire, je n’éprouve en m’adressant à vous ni trop d’embarras, ni trop de timidité.

Votre drame va être mis en répétition à l’Odéon. Rouvière, un de mes meilleurs amis, un comédien de génie, joue le principal rôle. Il y a un rôle (La femme de Rouvière) que l’on destinait primitivement à Mlle Daubrun. Vous souvenez-vous d’elle ? Elle jouait un rôle remarquable dans Claudie. On était presque d’accord. Narrey, le désirait, le régisseur insistait pour elle, M. Vaez avait l’air de le désirer ; quant à M. Rouvière qui s’y connaît, il l’aime presque autant que moi. Mlle Daubrun est à Nice, elle revient d’Italie où son directeur a fait faillite. Elle s’était sauvée de la Gaieté pour des raisons non seulement fort excusables, mais même fort louables. Hostein[276] a dit qu’il ferait un procès à un théâtre du boulevard qui la prendrait, mais qu’il n’en fera pas à l’Odéon. M. Narrey s’était chargé de lever cette difficulté et en somme on pouvait la considérer comme levée. D’ailleurs il suffit de quelques heures pour arranger cela. Hier matin, à dix heures, je rencontre M. Vaez qui me demande vivement si tout est fini ; je lui dis que Mlle Daubrun accepte avec joie, mais qu’elle désire une légère, très légère augmentation dans les appointements ; si légère, madame, que je n’ose pas vous le dire. M. Vaez me dit de venir le retrouver à deux heures. À deux heures, M. Narrey[277] s’était chargé de la commission désagréable de m’annoncer que tout était rompu, que toute négociation était inutile, que les journées s’écoulaient, etc. Il y a trois jours d’ici à Nice, et l’Odéon ne s’ouvre, je crois, que le 15 septembre.

Ai-je besoin de vous dire, madame, avec quelle joie je voyais Mlle Daubrun rentrer honorablement à Paris, dans un ouvrage de vous, et réparer rapidement dans un théâtre qui lui convient les douleurs et les accidents de l’année précédente ? J’ai dit alors que j’acceptais pour elle, sans la consulter, les conditions offertes. Mais cette porte de refuge m’a été fermée. Dans tout cela, madame, il n’avait pas été question de votre désir ni de votre opinion ; c’est cette réflexion si simple qui m’est apparue comme une chance de salut, et qui me fait vous écrire.

Non seulement, je vous demande votre opinion, une opinion favorable, mais je vous prie, vous l’auteur, vous le maître, d’excuser une pression qui annule la pression inconnue que je n’ai pas su deviner. Je vous supplie, à moins que vous n’ayez des projets arrêtés à l’avance, d’écrire quelques mots à ces messieurs, particulièrement à M. Royer. Vous le voyez, madame, je fais comme ces malheureux, mécontents du Cadi et qui cherchent partout le sultan ; ils comptent sur sa bonté et sur sa justice. Que vous m’accordiez ou que vous me refusiez, ayez la bonté de cacher le moyen excentrique dont j’ai osé me servir. Maintenant, il serait vraiment trop bête que je vous parlasse de mon admiration pour vous et de ma reconnaissance. J’attends votre réponse avec une certaine angoisse. Veuillez agréer, madame, l’expression de mon parfait respect.

Ch. Baudelaire.
27, rue de Seine.

Si, au moins, je pouvais vous faire rire en vous racontant un petit embarras qui m’a fait hésiter trois heures avant d’envoyer cette lettre, peut-être y gagnerais-je un peu. J’ignorais votre adresse ; j’ai imaginé absurdement que Buloz devait la connaître. Il corrigeait les épreuves et en entendant votre nom, il m’a fort rudoyé. De plus je ne savais comment écrire votre nom ; Madame Sand, Mme Dudevant ou Mme la baronne Dudevant ? Je craignais avant tout de vous déplaire. Enfin, le dernier nom, m’a fait l’effet d’une impertinence pour le génie et j’ai pensé que vous préfériez le nom par lequel vous régnez dans le cœur et l’esprit de votre siècle.

C. B

Si, après avoir lu ces lignes si respectueuses, si diplomatiquement insinuantes, si savamment flatteuses, on les met en regard des commentaires hostiles et méchamment mordants dont leur auteur accompagne la réponse, de George Sand, datée du 16 août 1855 (imprimée par M. Crépet à la page 220 des Œuvres posthumes et Correspondance inédites de Charles Baudelaire, in-8°, Quantin 1887), ou éprouve un sentiment de vrai malaise devant cette désinvolture morale, pour ne pas dire plus, du poète. Et que cette lettre de Mme Sand méritait une autre « note en marge » de la part de Baudelaire, tout le monde sera d’accord, nous n’en doutons pas.

À Charles Baudelaire.
Nohant, 16 août 1855.
Monsieur,

C’était une chose convenue. J’ignorais qu’elle fût rompue et j’ignore encore pourquoi. Je regretterais beaucoup Mlle Daubrun et si je puis faire qu’on revienne à elle, je le ferai certainement : je vais écrire de suite.

Agréez l’expression de mes sentiments distingués.

George Sand.

Baudelaire écrivit au-dessus de ces lignes : « Remarquez la faute de français : de suite pour tout de suite. »

C. B

et au-dessous :

« La devise marquée sur la cire était : Vitam impendere vero. Mme Sand m’a trompé et n’a pas tenu sa promesse. Voici dans l’Essai sur le principe générateur des révolutions ce que De Maistre pense des écrivains qui adoptent cette devise. »

C. B

Et voici maintenant la réponse de Baudelaire que nous avons retrouvée aussi dans les papiers de Mme Sand :

19 août 1855.
Madame,

J’ai reçu votre excellente lettre le 17. Je ne m’étais donc pas trompé en invoquant votre obligeance. J’ai écrit immédiatement à Mlle Daubrun pour l’instruire de ce que j’avais fait sans la consulter et afin qu’elle sût à qui adresser ses remerciements dans le cas où ces messieurs, grâce à vous, renoueraient directement avec elle. Quant à moi, il est présumable qu’ils ne me rappelleront pas, à cause de la manière un peu brusque et bizarre dont ils ont rompu. Si vous avez quelque nouvelle heureuse ou désagréable, soyez assez bonne, madame, pour m’écrire deux mots. Veuillez agréer avec mes remerciements l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.

Ch. Baudelaire.
27, rue de Seine.

Il paraît que les démarches de Baudelaire et de Mme Sand n’aboutirent à rien, car le rôle de « la femme de Bouvière », c’est-à-dire celui de Marianne, la femme de Maître Favilla, fut (comme on le sait par la liste des acteurs mise en tête de cette pièce dans le volume III du Théâtre de George Sand et par ses lettres inédites à son fils), joué non pas par Mlle Daubrun, mais par Mme Marie Laurent, qui, alors, commençait à peine sa si brillante carrière.

C’est encore Bouvière qui, déjà admis à la Comédie-Française, y créa l’année suivante le rôle de Jacques dans le Comme il vous plaira de Shakespeare, adapté par George Sand, ce même Jacques misanthrope pour lequel Mme Sand avait, dès ses plus jeunes années, eu un faible, comme nous le savons, et qu’elle avait toujours considéré comme le prototype d’Alceste. Mme Sand revenait à cette ressemblance entre les deux personnages dans la Préface pour l’édition de sa pièce ; or, dans cette préface elle s’excusait devant l’opinion publique, d’avoir osé « adapter », « arranger », « corriger » et… amender Shakespeare et louait le jeu des acteurs, mais surtout Rouvière. Il paraît que Mme Sand chantait alors à qui voulait l’entendre des louanges de Rouvière comme artiste et comme personnalité ; ce fut un prétexte plausible pour une petite notice très venimeuse parue dans le Figaro du 20 janvier 1856 à propos de la prochaine première de Comme il vous plaira, petit article où on entremêlait traîtreusement des allusions à la dédicace de Favilla à Rouvière et au roman archi-fantastique de Mme Sand paru, au début de janvier, sous le titre d’Evenor et Leucippe (dont nous parlons plus loin), et des moqueries sur les « corrections » infligées à Shakespeare et enfin sur l’amitié extrême de Mme Sand pour Sylvanie Arnould-Plessy :

Comme il vous plaira ! un beau titre qui a séduit Mme George Sand et elle nous le fera bien voir. Mme Sand, par parenthèse… (Mais ouvrons-la, cette parenthèse ! Mme Sand trouve qu’on ne la répète pas assez vite, et elle parle de retirer Françoise ! Mme Arnould-Plessy n’a pu représenter Mlle Mohlière dans l’à-propos du 1er janvier et cela parce qu’elle est veuve. Espérons qu’elle ne trouvera dans sa vie privée aucune circonstance qui l’empêche de jouer Françoise !) Donc, Mme Sand va écrire Comme il vous plaira pour le comédien Rouvière, comme aussi elle écrira, dit-on, la Conversion de saint Paul pour le même comédien Rouvière.

Seulement Mme Sand n’est pas contente de la version de Shakespeare. Dans Shakespeare, le rôle du comédien Rouvière, Jacques le Mélancolique, ne domine pas assez. Et puis Shakespeare a laissé le poumon à droite et le cœur à gauche et puis Jacques le Mélancolique n’est pas assez vertueux pour le comédien Rouvière. Cela manque d’Arcadie, d’Astrée, de Sylvanie et d’Evenor et Leucippe. Nous allons changer tout cela. Maintenant, sans le comédien Rouvière et sans la philosophie point de salut !

Ce n’est pas sans malice que l’auteur de cet entrefilet faisait une allusion à l’admiration de Mme Sand pour la créatrice du rôle de Celia dans l’adaptation de la pièce de Shakespeare, Mme Sylvanie Arnould-Plessy était, comme nous l’avons vu, une amie intime de Mme Sand. Ce fut pour elle que furent écrites une comédie en un acte Lucie et la pièce en quatre actes, citée par le chroniqueur, Françoise. Cette dernière pièce avait d’abord été écrite en cinq actes et s’appelait l’Irrésolu. On ne sait pas trop pourquoi, aucune de ces deux pièces ne fut jouée à la Comédie-Française, l’auteur, en effet, « reprit Françoise » et la fit représenter au Gymnase, Le rôle de Françoise, jeune fille prête à se sacrifier à son bien-aimé, destiné d’abord à Mme Arnould, fut joué par la célèbre Rose Chéri ; le rôle de l’irrésolu — ou pour mieux dire de l’égoïste veule, aussi incapable de se dévouer à la femme aimée que de faire un mariage de raison en épousant une riche bourgeoise — fut créé par le non moins célèbre Francis Berton, et le rôle de cette « jeune bourgeoise », mi-enfant terrible, mi-petite raisonneuse pratique, par la charmante « ingénue comique » qui fut plus tard une jeune première très applaudie, Mlle Marie Delaporte,

Delacroix, à propos de Maître Favilla et à propos d’autres pièces encore, reprochait à Mme Sand, ainsi qu’à Dumas père, de faire entrer dam le drame sentimental des personnages comiques et vice versa, ce qui lui paraissait un grand défaut et une grave erreur. Selon nous, dans Françoise, tout aussi bien que dans Claudie et dans le Pressoir, les personnages les mieux réussis ce ne sont point les héros vertueux et sentimentaux, mais justement les personnages comiques, les Denis Ronciat, les Noël Plantier, etc., etc. Tels, aussi, les parents de Cléonice Dubuisson, la fiancée bourgeoise de l’irrésolu, le papa qui s’enorguellit de sa provenance paysanne et de ce qu’il a gagné ses millions en geignant, et la maman qui voudrait faire oublier cela et pose à la grande dame. Le caractère le mieux venu toutefois est bien celui de l’irrésolu. Disons plus, Françoise est peut-être la plus intéressante de toutes les pièces de George Sand, grâce à ce rôle d’Henri de Trégénec. Ce personnage offre de grandes ressources à l’artiste qui le jouerait. Il est tout en nuances, en scènes mimiques, en brusques changements d’âme. Lorsqu’on parle des œuvres dramatiques de George Sand, on cite le Champi, Claudie, Mauprat ou le Marquis de Villemer et l’on passe sous silence l’irrésolu. Nous croyons qu’avec quelques changements dans les détails, quelques petites adaptations à notre époque, avec quelques coupures de fadaises trop « sucrées » (dans les rôles par trop vertueux de l’héroïne et de l’ami de l’irrésolu, La Hyonnais), on pourrait donner cette pièce avec grand succès. Le rôle d’Henri de Trégénec, nous le répétons, est un rôle fait pour tenter les artistes jouant les «neurasthéniques » modernes.

Ni Lucie, ni Françoise, ni Comme il vous plaira n’obtinrent de vrais succès, quoique George Sand, dans ses lettres à ses amis, parle gaiement de leurs premières représentations.

C’est ainsi qu’elle écrit à M. et Mme Charles Duvernet le 3 avril 1856 :

Mes chers amis, Françoise a eu un grandissime succès ce soir au Gymnase. C’est admirablement joué et monté, avec un luxe qui va toujours de plus en plus fort à cet heureux théâtre. Je vous ai bien regrettés et je vous trouve bien heureux d’être au pays par ce beau soleil.

G. Sand.

Le 13 avril de la même année Mme Sand écrit à Mme Augustine de Bertholdi :

Je t’écris ce soir en revenant du Théâtre-Français. On vient de jouer mon Comme il vous plaira, tiré et imité de Shakespeare. La pièce a été médiocrement jouée par la plupart des acteurs. Les décors et les costumes splendides, le public très hostile, composé de tous les ennemis de la maison et du dehors. Néanmoins, le succès s’est imposé sans que personne ait pu marquer sa malveillance, et Shakespeare a triomphé plus que je n’y comptais. Moi, j’ai trouvé le public bête et froid, mais tout le monde dit qu’il a été très chaud pour un public de première représentation à ce théâtre et tous mes amis sont enchantés.

Françoise va très bien et le succès augmente tous les jours[278].

À l’époque où l’on répétait Lucie, Françoise et le Comme il vous plaira se rapporte la première entrevue de Mme Sand avec Charles Dickens, le grand romancier anglais qui la raconta lui-même dans une lettre à W. Macready. Nous savons que c’est à ce dernier que George Sand avait, peu d’années auparavant, dédié son Château des Désertes. Cette lettre ds Dickens contient, de plus, un curieux portrait de George Sand, à l’âge de cinquante-deux ans, elle devait les atteindre six mois après :

À M. W. L. Macready.
Champs-Élysées, 12 janvier 1806.

J’ai dîné chez la sœur de Malibran, l’admirable Mme Viardot, dont je suis de plus en plus amoureux, avant-hier soir 10 janvier, pour y rencontrer, par faveur spéciale, la très grande, très illustre, très célèbre George Sand. Hélas ! encore une de mes illusions fauchée par la réalité cruelle. L’auteur de tant d’œuvres brûlantes ne ressemble pas du tout au romanesque portrait que je m’en étais fait. Si on me l’avait montrée à Londres, dans la rue, je l’aurais prise pour une des sages-femmes de la reine ; elle est joufflue et respectable, elle est brune avec une légère moustache et des yeux noirs tranquilles ; elle n’a rien du bas-bleu si ce n’est une petite façon finale de faire cadrer vos opinions avec les siennes, qu’elle doit tenir de Nohant, maison de campagne où elle vit en souveraine, dominant et tyrannisant un cercle étroit d’adorateurs. En un mot, brave femme, très ordinaire comme figure, comme conversation, comme manières. Pour ce qui est de son esprit, on le dit très brillant ; mais je n’ai pu en juger ; elle n’a pas daigné le sortir. Le dîner était excellent sans prétention aucune ; il y avait nous, Mme Dudevant et son fils, les deux Scheffer, les Sartoris et une lady quelque chose, nouvellement arrivée de Crimée, qui porte une redingote et fume des cigarettes. Les Viardot ont une maison dans le nouveau Paris ; ils ont absolument l’an d’avoir emménagé la semaine dernière et de devoir déménager la semaine prochaine ; pourtant voici huit ans qu’ils habitent la même demeure. Rien d’ailleurs n’y rappelle l’art de la grande cantatrice. Je n’y ai pas vm de piano. Le mari s’occupe de littérature étrangère. C’est le meilleur des hommes. Quant à elle, j’aime mieux n’en rien dire, sinon qu’elle est parfaite et que je suis son esclave. Je suis obligé d’aller à Londres pour quelques jours ; mon magazine me réclame et l’ami Wills me fait des signes désespérés.

Mme Sand tenta plus tard d’adapter pour la scène française une pièce d’un autre auteur classique encore, Tirso de Molina, en écrivant d’après sa tragédie El Condenado por disconfiado (le condamné pour avoir manqué de foi), un drame intitulé Lupo Liverani. Mais, ayant été trop loin dans ses « arrangements » Mme Sand intitula son drame « nouvelle dialoguée » et elle ne la donna pas au théâtre, mais l’imprima simplement dans la Revue des Deux Mondes. Cette œuvre est très caractéristique et très intéressante ; c’est une version contemporaine de la légende favorite du moyen âge sur le pécheur repentant, ému d’une foi sincère, qui obtient la grâce de Dieu en se sacrifiant par amour du prochain, tandis qu’un moine qui passe sa vie en actes de contrition et d’ascétisme, ne songeant qu’à son propre salut, est condamné aux tourments éternels et tombe dans les griffes du diable.

Les attaques que George Sand eut à soutenir à propos de Favilla, de Comme il vous plaira et de Françoise l’éloignerent-elles de l’art dramatique ? Y eut-il à son silence quelque autre raison ? Nous ne pouvons le dire, mais la pièce suivante, Marguerite de Sainte-Gemme, ne fut représentée qu’en 1859.

Ces trois ans peuvent être considérés comme la seconde période de la passion de George Sand pour les marionnettes. Ce fut l’époque de l’épanouissement définitif de cet art à Nohant.

Les amis de Mme Sand qui la visitèrent dans les derniers dix ans de sa vie ont beaucoup écrit et beaucoup raconté sur les marionnettes de Nohant. Parmi tous ces récits, le plus intéressant est celui de notre vieil ami très regretté, Edmond Plauchut[279]. Dans ses Souvenirs[280], M. Plauchut fait faire au lecteur la connaissance de toute la troupe des marionnettes, le célèbre Balandard en tête, ce petit bonhomme d’une si grande notoriété, présenté plus tard à Flaubert, à Alexandre Dumas fils, à Tourguéniew et au prince Napoléon.

George Sand elle-même écrivit à plusieurs reprises sur les marionnettes de son fils. C’est ainsi qu’on lit dans le Diable aux champs une description pleine de couleur d’un spectacle de marionnettes donné par Maurice et ses amis dans la salle du prieuré, et qu’on peut même faire la connaissance d’une de ses marionnettes, « le diable[281] ».

Puis, en lisant l’article de George Sand Sur les marionnettes de Maurice Sand (publié peu avant la mort de l’écrivain dans le Temps, réimprimé dans le volume des Dernières pages), on peut étudier toute la genèse de ce petit théâtre.

George Sand consacra en outre tout un roman aux aventures d’un imprésario d’un théâtre de marionnettes. C’est l’Homme de Neige, un des romans les plus romanesques de George Sand, qui, avec le Diable aux champs, est un document des plus précieux pour reconstruire l’histoire de cette seconde époque du règne de la passion théâtrale à Nohant, l’époque du théâtre de Guignol, comme le Château des Désertes est un document à l’aide duquel on peut aisément étudier la première et la troisième période de cette passion, celles de la commedia dell’arte.

Qu’aurait fait Hamlet si, au lieu d’une troupe d’acteurs ambulants, il n’avait eu à sa disposition qu’un montreur de marionnettes ? Il aurait probablement profité, pour arriver à ses fins, du secours de ces petits bonshommes de bois. Imaginez maintenant qu’Hamlet lui-même est cet imprésario de marionnettes. Un oncle criminel s’est emparé de son héritage, a tué non seulement son père, mais aussi son grand-père ; il a contribué à faire dépérir sa mère et tenté enfin de tuer Hamlet lui-même dans son enfance. Le malheureux petit a été enlevé du château de ses pères, emmené en Italie, élevé là par un vertueux archéologue et par sa femme. Il se montra à l’instar de Maurice Sand sans goût pour les humanités, ennemi de toutes les études suivies, mais passionné d’histoire naturelle et de collections de toutes sortes. Il devient imprésario de guignol ambulant, voyage à travers toute l’Europe et finalement, par la volonté du sort et de l’auteur, arrive en Dalécarlie dans le château de l’oncle meurtrier pour y donner ses représentations de pupazzi devant me foule d’invités, venus pour y passer les fêtes de Noël. Bien entendu tout cela ne s’effectue pas sans le secours d’un « vieux serviteur », le vertueux Stenson, d’une somnambule, ancienne confidente de feu la mère du malheureux enfant, la paysanne Karina, d’un mystérieux juif Manassé, toujours présent dès qu’on a besoin de lui, et enfin d’un avocat spirituel qui découvre, juste au moment nécessaire, un document important et de vieilles lettres jaunies, pour réintégrer dans ses droits la vertu opprimée et confondre les criminels. Il va sans dire aussi qu’Hamlet — pardon ! l’impresario des marionnettes, a, comme cela est de rigueur pour tout honnête héros du répertoire des marionnettes, une dizaine de noms ; il s’appelle tour à tour, Cristiano Goffredi, puis Cristiano del Lago, puis Monsieur Dulac, Christian Waldo, Christian Goeflé, etc., etc., tandis qu’il se trouve définitivement être le baron Adelstan-Christian Waldemora, neveu du baron criminel Olai, héritier du château de Stelleborg et l’involontaire vengeur de la mort de sa mère, de son père et de son grand-père.

Il va sans dire encore qu’on ne nous fait pas grâce d’un bravo italien poursuivant le jeune Christian à travers toute l’Europe, ni de portes cachées dans la boiserie des murs, etc., etc., etc. Mais ainsi que dans les pièces du répertoire des marionnettes, auxquelles George Sand avait emprunté le canevas archi-embrouillé et naïf de son roman, les affaires n’arrivent jamais très vite à bonne fin. Même après la mort du glacial baron Olai surnommé l’Homme de Neige, et déjà fiancé à l’intrépide jeune comtesse Marguerite, le héros doit subir encore une série d’épreuves et d’aventures. Il chemine vers les contrées septentrionales, voyage en Laponie et jusqu’à Arkhangel, mène la ve d’un pêcheur de poisson et d’un chasseur de fauves, puis devient ouvrier mineur dans les mines de Boraa, manque d’y périr, mais il y rencontre sa fiancée, venue pour visiter ces mines, et finalement il y apprend de la bouche du bienfaisant avocat que le roi a jugé son procès en sa faveur. C’est ainsi que Waldo devient riche et titré et n’a plus à se préoccuper que de pouvoir, un jour, jouer les pièces de marionnettes, pour son propre plaisir et celui de ses enfants. Ce rêve de Christian Waldo fut un jour réalisé par celui qui servit de modèle à Mme Sand.

Les spectacles des marionnettes de Nohant expliquent seuls qu’en 1859, alors que les romans de Balzac, de Flaubert et d’autres réalistes couraient le monde, George Sand, après avoir écrit d’aussi simples histoires que celles de Germain le fin laboureur et de la Petite Fadette, et l’Histoire de ma vie, si vraie, si pleine de couleur, ait pu écrire de telles fadaises. Empressons-nous d’ajouter pourtant que ces fadaises sont contées avec tant de verve, de talent, d’entrain, que nous avons dévoré les trois volumes de l’Homme de Neige fort prestement et avec le plus vif intérêt. Comme biographe de George Sand nous sommes surtout intéressés en observant dans ce roman, comment l’imagination de l’écrivain savait avec des bribes de choses observées dans la vie réelle et des impressions de quelques lectures, construire ses propres œuvres, créer des choses nouvelles.

Nous avons trouvé dans le journal suédois Upsala de 1879 les lignes suivantes très flatteuses pour George Sand, à propos de l’Homme de Neige :

George Sand a dû emprunter la matière de son roman l’Homme de Neige à quelque source suédoise. L’action principale est placée en Dalécarlie durant la guerre d’indépendance. La lutte des partis entre les Hettar et Mössor (les Chapeaux et les Bonnets) remplit le récit et forme l’arrière-fond social La situation politique est tracée d’une manière si vraie et si frappante que cela aurait fait honneur même au jugement d’un auteur suédois. La couleur locale est bien observée, même dans les détails. Il serait intéressant de savoir de quelle source l’autoresse tira ses informations géographiques et historiques. George Sand, comme cela est bien connu, était descendante d’Aurore de Kœnigsmark, un personnage historique de la Suède, et pouvait ainsi prétendre à des aïeux suédois. Cette circonstance aussi n’aurait-elle pas dirigé sou attention sur cet épisode marquant de nos annales nationales ?

Il suffit toutefois d’ouvrir le volume IV de la Correspondance de George Sand pour voir que Mme Sand n’avait nullement tiré de sources suédoises des connaissances paraissant aussi approfondies de l’histoire et de la géographie de la Suède. Elle s’était contentée de la lecture hâtive de quelques livres de voyages. Et le catalogue de la bibliothèque de George Sand et de Maurice Sand (dressé au moment où, en 1889, après la mort de Maurice Sand, Mme Maurice Sand avait dû, à son corps défendant, s’éloigner temporairement de Nohant, c’est alors que cette précieuse bibliothèque fut vendue), ce catalogue nous donne le nom des ouvrages sur la Suède que George Sand avait consultés pour son roman. Ce sont : 1° Suède et Norvège, par Le Bas (avec de nombreuses gravures et cartes, 1841) ; 2° E. Meyer, Contes de la mer baltique (1855) ; 3° Struensée par le même ; 4° Frédérique Brémer : Scènes de la vie dalécarlienne (1847) ; 5° Mémoires de la princesse Frédérique-Sophie de Prusse, sœur de Frédéric II ; et enfin Voyage dans les mers du Nord, par Charles Edmond. C’est cette dernière œuvre, parue en 1857, qui serrât de point de départ à la création de l’Homme de Neige[282]. Disons à ce propos quelques mots sur ce nouvel ami de George Sand.

Lorsque la petite Jeanne Clésinger mourut dans un pensionnat, le père de l’une de ses condisciples renvoya à Mme Sand un objet ayant appartenu à Jeanne et qui était resté entre les mains de sa fillette à lui. Ce père était l’émigré polonais Charles-Edmond Choïechi[283], très connu sous le pseudonyme de son prénom, comme auteur dramatique et rédacteur de la Presse et du Temps, secrétaire intime du prince Napoléon, et enfin sénateur. Cette preuve touchante de sa compréhension des choses de l’âme lui ouvrit d’emblée le chemin du cœur de Mme Sand et, comme en 1852 Mme Sand s’était déjà liée d’amitié avec le patron de Choïecki, le prince Jérôme, l’écrivain polonais devint bientôt un ami de Mme Sand, un familier de sa maison et son homme d’affaires littéraire. En 1856 et 1857 le prince Jérôme fit un grand voyage en Scandinavie, dans l’Océan glacial, à l’île de Spitzberg, en Islande, au Groenland et à l’île Jean May en. Charles Edmond, qui y accompagna le prince, publia à son retour son journal de voyage[284]. Hé bien ! c’est en lisant ce récit de ses impressions polaires, toutes ces descriptions d’aurores boréales, de champs de glace, d’ice-bergs flottants, de chasses aux ours blancs, etc., etc., que George Sand s’engoua du Nord. Et comme elle s’était, de plus, depuis l’époque où elle écrivait Consuelo et avait lu la biographie d’Ulrique de Suède, intéressée à l’histoire de cette contrée, elle créa immédiatement dans son imagination ce canevas d’un « roman suédois » et elle se mit à en développer les détails. Le 20 novembre 1857 elle écrit déjà à Charles Edmond :


Cher ami,

Avant de vous parler d’affaires, je veux vous dire que je me suis enfin mise, ces jours-ci, à lire votre relation du grand voyage, et que, sans aucun compliment ni prévention d’amitié, j’en ai été ravie. J’avais peur d’entamer le gros volume et de le laisser en chemin. Aussi je n’ai pas voulu seulement l’ouvrir avant d’être sûre que je n’aurais plus une comédie de trois actes à faire toutes les semaines pour le théâtre de Nohant. Je suis tranquille à présent et je vous suis à travers les banquises…

Je vas vous suivre en Suède, où, précisément, j’ai posé mon nouveau roman. J’ai feuilleté un peu, avant de lire bien, cette partie du livre. Je vois que vous n’avez pas été en Dalécarlie, où j’ai planté ma tente en imagination. Dites-moi si vous connaissez en français, en italien ou en anglais (je ne sais pas d’autre langue), un ouvrage sur cette partie de la Suède, et un peu de détails sur son histoire au dix-huitième siècle, sous Frédéric Adolphe, le mari d’Ulrique de Prusse. Vous me feriez bien plaisir de me le prêter. Ou indiquez-moi quelque chose que je puisse lire sur ce pays et cette époque ; ou enfin faites-moi un petit précis de quelques pages, si vous avez cela dans la mémoire…

Parlons d’affaires ; ce sera bientôt fait. Vous prendrez le temps qu’il vous faudra pour la publication nouvelle ; vous me donnerez seulement quelque argent si je viens à en avoir besoin, en échange du manuscrit. Voici le titre sauf votre avis : Christian Waldo. Vous me direz que Waldo n’est pas un nom suédois ; c’est possible, mais c’est là justement l’histoire. Ce nom intrigue, même celui qui le porte. Annoncez, si vous voulez, que le roman se passe au dix-huitième siècle, afin qu’on ne croie pas qu’il s’agit de quelque parent de Pierre Waldo, le chef des Vaudois. Ou bien encore, le roman peut s’appeler, si vous croyez le titre plus alléchant : le Château des Étoiles. C’est un Stelleborg de fantaisie qu’un personnage s’est bâti en Dalécarlie, à l’imitation de celui d’Uranienborg dans l’île du Haven[285]. Dans ce château, il se passe des choses bizarres. Espérons qu’elles seront amusantes ; je crois, toute réflexion faite, que ce titre plaira mieux. Décidez. N’annoncez pas une peinture de la Suède ni du dix-huitième siècle ; car le cadre réel sera moins étudié que celui de Bois-Doré[286]. J’y ferai de mon mieux ; mais c’est surtout un roman romanesque que je fais cette fois…

Le 8 décembre elle écrit au même :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous êtes bien l’obligeance personnifiée, d’avoir pensé à mes bouquins en dépit des ennuis, des inquiétudes et du mal de tête. Envoyez-moi des ouvrages que vous me citez, ceux que vous me croirez utiles, mon sujet donné. Il me faut une couleur locale de la Dalécarlie au dix-huitième siècle et une couleur historique de la cour, de la ville et de la campagne sous les deux règnes qui précèdent celui de Gustave III. Je ferai bien cette couleur avec les événements ; mais je n’en sais pas le détail, et tout ce que je peux consulter chez moi passe sous silence, ou peu s’en faut, l’affaire des chapeaux et des bonnets.

J’ai les travaux de Marmier publiés dans les vingt-cinq premières années de la Revue des Deux Mondes ; mais ce que je cherche ne s’y trouve pas. Si son Histoire de la Scandinavie ne traite que des temps anciens, elle ne me tirera pas d’affaire. Décidez et faites comme pour vous.

Le 2 janvier 1858, elle lui écrit encore :

…Oui, je vous promets le Château des Étoiles (par parenthèse, il m’amuse beaucoup à griffonner ; est-ce bon signe ?), si ça peut vous être utile, je le promets à vous, pas à d’autres. Si vous quittez, je ne reste pas[287]. Mais vous savez que je serai obligée de vous demander de l’argent, tout l’agent peut-être, en vous livrant le manuscrit ; quelle que soit l’époque rapprochée où il sera prêt. Voyez si c’est possible ; car, pour moi, le contraire de ce possible serait l’impossible.

Je vis au jour le jour depuis vingt-cinq ans, et ça ne peut pas être autrement, et ça n’est pas ma faute ; si bien que je n’ai pas pu acheter un manteau et une robe d’hiver cette année, parce que l’accident de la Presse a dérangé mon ordre, ordre très réel dans ce que les avares appellent mon désordre. Je sais me priver moi-même et de tout, même quelquefois du nécessaire ; mais je ne veux pas qu’un chat s’en ressente et s’en aperçoive autour de moi. Ainsi voilà, entre nous : faites que Ton soit de parole ; on en a manqué pour le Bois-Doré, et j’ai attendu un reliquat de compte qui m’aurait permis de me vêtir en raison de la froidure ; et surtout d’en vêtir d’autres, qui n’ont pas, comme moi, la ressource d’acheter une couverture de laine en guise de ouate et de soie.

Donc, grâce à la couverture de laine, je m’emballe demain matin pour faire douze lieues au grand air. Je vais voir la belle Creuse et ses petites cascades glacées. C’est votre faute si je gèle, à force de lire le Groenland, je me suis amourachée des glaciers, des nuits polaires, des tempêtes et des banquises[288].

[Manceau à qui je vous Us à la veillée espère que nous rencontrerons des ours blancs et il a envie de démolir sa chaumière[289] pour la faire garnir de peau de phoque sur toutes les coutures. Nous serons de retour dans bien peu de jours, écrivez-moi donc comme si de rien n’était.

Dieu veuille que mon Maurice soit gentil, qu’il s’amuse et qu’il n’ennuie pas les autres à la pantomime. S’il n’est pas gêné et intimidé, il sera charmant, mais il lui faudrait sa musique, c’est-à-dire sa maman, pour suivre ses fantaisies ; c’est là où il brille. Or sa maman ne peut aller le faire danser, faute de quibus. Mais ça ne fait rien, je penserai à lui, à vous et je serai bien contente si vous avez un bon moment d’oubli et de gaîté. Moi je ne m’ennuie jamais et nulle part ; il ne faut donc me plaindre que d’être privée de vous voir][290]. Bonsoir.

Nous lisons dans une lettre inédite du 4 janvier 1858, adressée à Maurice qui, séjournant alors à Paris, y avait transplanté son théâtre de marionnettes et s’y amusait à arranger des spectacles de société dans les salons (comme on le voit par les deux lettres précitées et par la lettre du 16 janvier 1858 à Charles Duvernet)[291] :

Je suis contente de te savoir arrivé sans trop de froid, ni d’ennui, mon cher garçon. Dieu merci, car le froid est rude depuis ton départ et aujourd’hui il pince rude… Nous nous portons bien, comme tu nous as laissés, les poules, Manceau et moi. Trianon[292] est tout ratissé et cristallisé. J’ai lu le livre sur la Suède que Choïecki m’a envoyé. Dis-lui que je l’ai reçu, que je l’en remercie et paye-lui une petite dette qu’Émile te remettra, s’il n’a déjà payé. Je vois que la Presse ne reparaît pas et que l’amnistie ne viendra pas[293]. Je me suis remise aujourd’hui à écrire Christian Waldo

Donc partie avec Manceau le 10 janvier pour Gargilesse, par un grand froid, George Sand décrit ainsi son voyage à Maurice :

Nous sommes partis par un brouillard noir et un verglas superbe, Manceau jurant que le soleil allait se montrer, mais plus nous allions, plus le brouillard s’épaississait ; si bien que nous sommes arrivés à la descente du Pin, voyant tout juste à nous conduire. Mais tout d’un coup la Creuse glacée et non glacée par endroits, cascadant, et cabriolant au milieu, tandis que ses bords blancs étaient soudés aux rives, s’est montrée devant tout isolée du paysage, si bien que, si nous n’avions pas su ce que c’était, nous aurions cru voir un mur tout droit de je ne sais quel marbre gris et blanc avec un mouvement fantastique. Et puis, un peu plus loin, sur le brouillard gris-noir de la rivière on voyait des bouffées de brouillard blanc, comme si le ciel, un ciel d’orage, était descendu sous l’horizon. C’était superbe en somme : ça donnait l’idée de l’Écosse, vu qu’au milieu de tout cela apparaissaient des vallées, des petits coins de verdure et des maisons avec leurs feux allumés. Il faisait très doux. Henri[294] conduisait le cheval par la bride sur le chemin tout rayé de glace, et je m’endormais en rêvant que j’étais dans les Highlands…

C’est ainsi que pour écrire son roman suédois, dont la fable est tirée d’un scénario composé par Maurice pour ses marionnettes et dont le personnage principal est comme lui un imprésario de Guignol, lui ressemblant de plus par maint trait de son caractère et de son existence, il avait suffi à George Sand de se pénétrer des impressions d’une excursion hivernale à Gargilesse, jointes aux tableaux des pays septentrionaux, dans le journal de Charles Edmond et à quelques pages de renseignements sur la Suède et la Norvège. Or, nous avons vu combien la critique suédoise avait favorablement jugé ce roman et elle trouva même que l’auteur se connaissait en histoire et en couleur locale suédoises. C’est ainsi que les grands esprits créateurs des savants peuvent, d’après un fragment de poterie ou un débris d’ossature, reproduire la beauté d’une antique amphore ou toute la structure de quelque animal antédiluvien disparu à tout jamais.

Et lorsqu’on lit l’Homme de Neige il est très captivant de rencontrer au milieu des aventures romanesques de Christian Waldo tantôt le reflet de quelques traits ou de quelque habitude de Maurice Sand, tantôt la marionnette favorite de tout Nohant, Stentarello, ou enfin de lire comment Waldo (lisez : Maurice), quelques heures à peine avant la représentation, rebrosse ses décors, dans le but de leur donner plus de ressemblance avec le vrai paysage au milieu duquel se passèrent les événements réels de l’existence de ses parents ; ou encore de lire comment avant le lever du rideau, il se concerte avec un aide que le hasard lui envoie, sur les détails du scénario, ou enfin d’y retrouver les impressions d’une course en traîneau, par une journée glacée, le long d’une rivière dalécarUenne (!) qui tantôt apparaît soudain au milieu d’un brouillard, tantôt y disparaît avec ses rives escarpées, pendant qu’un jeune cocher descend du siège et conduit le cheval par la bride et que le héros s’endort, entouré des bouffées de brouillard et bercé par le pas du cheval ; puis, tout à coup, il se réveille, le brouillard se déchire et il se voit au bord d’un abîme, au-dessus de la rivière noire. Et quoique l’auteur s’efforce de ne pas trop s’éloigner des renseignements des petits bouquins prêtés par Charles Edmond, le paysage que Waldo aperçoit révèle par maint détail que ce n’est pas une vraie rivière suédoise qui ne resterait pas « bouillonnante » mais serait sûrement immobile au milieu des brumes hivernales, et que cet hiver aussi n’est pas un vrai hiver du Nord aux rudes gelées, enchaînant de ses glaces, recouvrant de ses neiges épaisses tout le pays, mais simplement une journée assez froide du doux hiver berrichon, avec une petite gelée bénigne, un peu de neige et de glace aux sommets, dits « sibériens « , de la vallée de la Creuse, fl y a même un petit détail très local qui trahit le romancier : Waldo voit, çà et là, des feux allumés, mais ce ne sont ni des brasiers auxquels se réchauffent de pauvres voyageurs des pays du Nord, ni même de ces bûches allumées par des cochers, comme on le voit à Saint-Pétersbourg, lorsque le thermomètre marque 20° Réaumur au-dessous de zéro, non ! on allume ces feux… seulement pour préserver du froid les arbres fruitiers, comme cela se pratique dans les pays du Midi, lorsque l’hiver est exceptionnellement rigoureux. Il est très certain que cette « Dalécarlie » là ne se trouve pas bien loin de Gargilesse, tout bien observée que soit la couleur locale suédoise. Il est d’autant plus surprenant que George Sand ait su si bien peindre les tableaux de la vie suédoise : les bruyantes et allègres fêtes de Noël dans un vieux castel aux bords d’un lac gelé ; de gaies parties de plaisir éclairées par des torches et les reflets de l’aurore boréale ; des courses de vitesse en traîneaux ; des chasses à l’ours ; que par deux ou trois traits rapides, par quelques phrases jetées en l’ah* pendant un bal ou pendant les préparatifs d’un pique-nique, elle sût esquisser toute une époque historique, la lutte des bonnets contre les chapeaux, c’est-à-dire la lutte de la Suède progressive, portée vers l’alliance avec la France, et de la vieille Suède, des courtisans rétrogrades qui couvent l’idée d’une convention avec la Russie. Il va de soi que le « malfaiteur », le baron Olai et son alliée, la tante de la comtesse Marguerite, sont pour la Russie et pour les chapeaux, tandis que Marguerite elle-même, Christian Waldo et tous ses amis fraîchement acquis, de jeunes officiers suédois, pour la France et les bonnets démocratiques. Grâce à tout cela et malgré l’incroyable romantisme de la donnée générale, ce roman se lit avec grand intérêt. Il est surtout intéressant dans le cadre du présent chapitre, comme une œuvre nous renseignant pleinement sur le théâtre de marionnettes de Nohant, nous peignant la passion de George Sand pour ce théâtre et prenant place à côté du Diable aux champs et de l’article Sur les marionnettes.

George Sand fit plus tard un tour de force : elle écrivit un roman dont les héros sont les marionnettes de Nohant devenues hommes : le célèbre Balandard, Moranbois, Ida, Isabelle, Léandre, etc., qui, pour être devenus hommes et acteurs d’une troupe ambulante, n’en gardent pas moins leurs caractères et leurs traits typiques traditionnels, connus de tous les spectateurs du théâtre de Nohant. De plus, ces poupées animées ont à passer par toutes les aventures et toutes les épreuves habituelles aux pièces de pupazzi de Maurice Sand, jusqu’à un voyage dans un royaume des Balkans ! Ce roman, dont la première partie s’appelle Pierre qui roule et la seconde le Beau Laurence, parut en 1869 et fut dédié au célèbre acteur Berton père. Il ne peut nullement être compté parmi les chefs-d’œuvre de Mme Sand.

La course aux bords de la Creuse par une journée d’hiver fut comme un dernier coup d’épaule dans la création du roman suédois. Les visites de plus en plus fréquentes vers 1855 au théâtre de La Châtre, alors que quelque troupe de province ou des acteurs parisiens en tournée y jouaient, enfin les relations avec divers acteurs, trouvèrent leur écho dans un roman qui parut la même année que l’Homme de Neige, Narcisse. Ce nom n’appartient pourtant nullement à quelque cabotin amoureux de lui-même, c’est le nom d’un modeste restaurateur de province, dont l’établissement se trouve adossé d’un côté au théâtre et de l’autre à un couvent de religieuses. Les habitants de La Châtre n’eurent point tort de reconnaître leur ville bienheureuse dans le prétendu bourg de la Faille sur Gouvre[295] où l’action de ce roman est censée se jouer, car non seulement tous ceux qui visitèrent La Châtre reconnaîtront d’emblée cette ville par ce détail topographique, mais aussi chaque lecteur de l’Histoire de ma vie se souviendra, d’abord confusément, d’avoir lu quelque part la description d’un théâtre adossé à un couvent de religieuses ou se trouvant même sous le même toit que cette communauté. Et en ouvrant l’Histoire il retrouvera effectivement dans le chapitre vii, p. 204-205, du volume premier et p. 55-56 vol. III la description de ce même emplacement qu’on voit dans Narcisse. Or, le roman aurait pu prendre le titre de la toute première œuvre de George Sand[296], la Comédienne et la Religieuse, car ses deux héroïnes sont : l’actrice Julia — passionnée, désordonnée, ne sachant point se maîtriser, nous dirions « hystérique », et la jeune « chanoinesse », Juliette, qui, quoiqu’elle n’ait point pris le voile, a quitté le monde et s’est dévouée à élever des orphelines. Elle manque de devenir la rivale de Julia, en aimant le même homme, un acteur dévergondé, elle le sauve pourtant, par la force de ses raisonnements et ses soins maternels, d’un abaissement définitif, et le ramène dans la bonne voie. Quant à elle, elle meurt n’ayant pu supporter le choc de la dure prose de la vie. Elle épouse in extremis Narcisse qui l’aimait depuis longtemps avec abnégation. Ce qui est le plus intéressant dans le roman, c’est sans doute le commencement où nous voyons peints en traits réalistes (et il faut noter ce reflet du naturalisme, alors à ses débuts), les mœurs et les us de La Châtre, les soirées de théâtre dans cette ville et enfin les deux natures d’artistes-viveurs : la Julia dépourvue d’équilibre, se jetant toujours dans les extrêmes, et Albani vivant aux dépens des autres, se drapant toujours dans de grands sentiments, mais vaniteux, superficiel et veule.

Nous rencontrons, plus sympathique et mieux dessiné, ce même type d’actrice sans frein dans ses entraînements, passionnée, emportée, mais au fond bonne et charitable en la personne de la Mozzeli dans le roman de Constance Verrier. La Mozzeli raconte son existence orageuse à ses deux amies, dont Tune est bourgeoise, Constance Verrier, jeune fille pleine de foi dans la vie, et l’autre — grande dame, la duchesse d’Évreux, beauté glaciale et sceptique se livrant en secret à toutes ses fantaisies amoureuses, ne croyant plus à l’amour, désenchantée par les épreuves de sa vie conjugale, portant le masque hypocrite de la vertu, mais se contentant d’en sauver les apparences. La Mozzeli et la duchesse médisent également de l’amour et des hommes, dont toutes les deux ont souffert, tandis que Constance glorifie l’amour fidèle et éternel, parce qu’elle a un fiancé qu’elle aime et dont elle est aimée depuis de longues années déjà. Il se trouve que la Mozzeli et la duchesse ont été toutes les deux, dans la même quinzaine, les maîtresses du fiancé de Constance. Celui-ci, malgré cela, prétend n’avoir jamais cessé d’aimer la jeune fille, mais ses voyages et la durée de ses fiançailles l’ont empêché d’observer une complète abstinence. Constance est sur le point de mourir de désespoir, puis finalement elle pardonne et épouse son infidèle Raoul… L’histoire est assez dégoûtante et, grâce à d’interminables discussions sur l’amour, extrêmement ennuyeuse. Il n’y a d’intéressant que le portrait de la Mozzeli, sûrement peint d’après nature, car il rappelle par maint trait et maint détail Marie Dorval, et celui de la duchesse, dont les théories de l’amour sont évidemment transcrites d’après les discours entendus de la bouche de la glaciale Solange et de la sceptique comtesse d’Agoult. Il est très curieux de noter aussi que toutes ces dames se rencontrent dans le salon d’une certaine Mme Ortolani (lisez : Marliani) qui, elle aussi, est peinte sur le vif. Donc dans Constance Verrier nous rencontrons de nouveau un type entrevu dans le milieu cabotin, ce qui est naturel, car ce roman fut écrit à l’époque du plus grand engouement de George Sand pour le théâtre, en 1859.

Deux autres romans de George Sand doivent également leur existence à cette passion pour tout ce qui est théâtre, dans deux sens différents : la Filleule, publiée en 1853, reflète cet amour de l’auteur pour le théâtral, le romanesque à outrance qui, malheureusement, trouvait une pâture toujours renouvelée dans les comédies improvisées et les pièces de marionnettes, jouées à Nohant ; Adriani est l’histoire d’une pauvre femme qui se meurt de désespoir après la mort de son mari et que le chant inspiré d’un artiste ramène à la vie. Il y a tel trait de caractère de cet Adriani qui rappelle le grand chanteur Nourrit ; désireux de donner son art et son talent gratis à ceux qui sont capables d’en jouir et d’en profiter, il voudrait en même temps se dérober aux ovations de la foule et il est insensible à la vanité. Mais ce n’est pas lui, ni la malheureuse Laure qu’il console, qui nous intéressent dans ce roman, c’est son valet de chambre, Comtois.

Ce bonhomme-là qui, entré au service d’Adriani, nous raconte à sa manière dans un journal qu’il tient ad hoc, tous les événements de la vie de son maître, c’est lui qui nous ravit, on éprouve un si grand plaisir à lire ses amusantes élucubrations, que lorsque au cours du roman, elles sont de plus en plus souvent interrompues par la narration des amours de Laure et Adriani[297], puis leur font définitivement place, on le regrette sincèrement. Et le biographe de George Sand doit, à ce propos, noter une fois de plus l’infiltration inconsciente du réalisme dans les œuvi-es du plus romanesque des romanciers.

En 1859, année de la publication de Constance Verrier, fut jouée Marguerite de Sainte-Gemme. On trouve, au début de la pièce, certaines données qui, mieux développées, auraient pu servir à rendre intéressants les deux personnages principaux, mari et femme (à ce propos il faut remarquer que l’auteur nous laisse ignorer jusqu’au bout pourquoi cette dame continue à s’appeler de son nom de jeune fille après tant d’années de vie conjugale avec le sieur Désaubiers). Il y a, dans les rôles de ces deux personnages, des détails curieux, surtout dans celui de Désaubiers, ancien viveur, léger, mais bon garçon au fond ; malgré sa cinquantaine, un fils adulte de son premier mariage et sa seconde femme, il ne peut abandonner ses fredaines, se croit toujours jeune, et végète sous la pantoufle de son énergique épouse, charmante, pleine d’esprit et de bon sens, mais vertueuse à faire peur ! Cette donnée pouvait donner matière à une jolie comédie. Il n’en fut rien, la pièce est dépourvue de tout mouvement dramatique et de tout intérêt.

Après 1859, toutes les pièces de George Sand, à l’exception de Lupo Liverani dont nous avons parlé plus haut, sont ou des « nouvelles dialoguées », destinées à n’être jouées qu’à Nohant et non sur les théâtres parisiens et seulement plus tard refaites à cet usage, avec, ou sans le consentement de leur auteur, par d’autres personnes (tels sont le Drac, le Pavé, Plutus, la Nuit de Noël, la Laitière et le Pot au lait, Un bienfait n’est jamais perdu[298], ou bien ce sont des pièces tirées de ses romans en collaboration avec d’autres (Maurice Sand, Paul Meurice, Cadol, Dumas fils, tels le Lis du Japon, tiré d’Antonia, le Marquis de Villemer, Cadio, Mlle La Quintinie), ou même simplement elles sont écrites d’après ses romans par des étrangers sans sa participation (par exemple les Beaux Messieurs de Bois-Doré[299]. Ce n’est que l’Autre, la toute dernière œuvre dramatique de Mme Sand, qui fut écrite par elle seule et jouée en 1870 (il faut noter que le rôle de la jeune fille y fut créé par une (( toute jeune actrice à la voix d’or », Mlle Sarah Bernhardt). Selon nous, si l’on excepte le Marquis de Villemer, dont nous parlons plus loin, et Mlle La Quintinie qui, du vivant de l’auteur, ne vit jamais la rampe[300], il n’y a d’intéressant parmi toutes ces œuvres dramatiques que la nouvelle dialoguée d’après Hoffmann, la Nuit de Noël, une version de ce même poème en prose qui fit écrire à Tchaïkowski une si ravissante musique de ballet — le Casse-noisettes.

George Sand redit encore une fois dans la Préface de cette pièce qu’elle s’était, dès sa jeunesse, toujours enthousiasmée pour les poétiques créations de Hoffmann, où le fantastique se mêle d’une manière si naturelle au réel ; elle dit avoir admiré de tout temps son Maître Floh ; elle se sentait attirée par le personnage de Pérégrinus. En en faisant le héros principal de sa pièce et en gardant plusieurs scènes de Hoffmann : les joujoux animés, le bal des souris et l’apparition du spectre, George Sand plaça au centre de l’action sa thèse favorite : la victoire du sentiment sur la froide raison, de la foi sur le doute, du sacrifice et de l’amour spontané sur l’égoïsme et la réflexion. Il est fort probable que la Nuit de Noël, écrite en 1863, doit son existence à la reprise de la correspondance de Mme Sand avec son vieil ami Dessauër, « le maître Favilla » chéri qui avait toujours semblé à Mme Sand l’incarnation des types de Hoffmann ; il vint même bientôt faire une petite villégiature à Nohant. La Nuit de Noël fut représentée sur le théâtre de Nohant et le rôle de Pérégrinus joué par Manceau. Dans sa lettre à Édouard Cadol qui commençait alors sa carrière d’auteur dramatique et s’était récemment lié d’amitié avec Mme Sand et toute sa famille, George Sand écrit le 9 février 1863 : « Nous avons joué notre pièce ( « merveilleusement joué, » dit-elle plus haut) et fermé le théâtre. Je regrette que vous n’ayez pas vu Manceau dans le rôle de Pérégrinus ; c’est un idéal de naïveté poétique et fantastique. Clerh nous a tous surpris, il a été excellent. »

Manceau lui-même, comme nous allons le voir plus loin, rappelait par maint trait de son caractère le type de Hoffmann qu’il représentait, un cœur simple, pensant aux autres plus qu’à lui-même, nature rêveuse et un peu fantasque[301].

George Sand lui dédia une autre pièce destinée au théâtre de Nohant, Plutus d’après Aristophane. Elle écrit à propos de cette pièce à Ed. Rodrigues (nous parlons dans le prochain chapitre de la correspondance amicale de George Sand avec Ed. Rodrigues qui ne fait point partie des six volumes de sa Correspondance imprimée) :

28 novembre 1862.

Je viens de traduire en français une traduction en vilain français du Plutus d’Aristophane et j’y ai mis une fable, une sauce dans la couleur, pour en faire une de ces pièces de fantaisie que nous jouons ici en famille. C’est assez curieux à la lecture et je le publierai[302]. On y voit, dans tout ce qui est réellement d’Aristophane, une poésie terre-à-terre, toute de bon sens pratique et dans le goût du stoïcisme antique mitigé, qui est fort curieuse et toujours acceptable, par beaucoup d’endroits. Pourtant cela est suranné et va trop loin, dans le sens de la proscription des richesses. Il ne serait pas bon que l’homme actuel se condamnât à ne pas sortir de la possession du strict nécessaire. Les arts et les sciences n’y gagneraient pas et la civihsation se trouverait fort entravée. C’est ce que j’ai fait entendre dans un prologue de ma façon[303].

Il faut dire en général que le temps fut plus implacable envers les pièces de George Sand qu’envers ses romans : elles ont beaucoup plus vieilli. Et pourtant, au moment de leur apparition sur la scène, eUes excitaient souvent par leur « audace » des horions, et Mme Sand dut mainte fois défendre cette « audace » dans ses Préfaces et entrer en polémique ouverte avec MM. les critiques. Cela eut lieu comme nous avons vu à propos du Démon du foyer, lorsque le critique de l’Indépendance belge, Jules Lecomte, déchaîna ses foudres contre elle ; ce fut la même chose à propos de Maître Favilla, critiqué à outrance par Jules Janin, ainsi que toutes les autres pièces de George Sand. Or, George Sand voulait bien admettre avec sa modestie habituelle[304] qu’elle était dénuée de talent dramatique, elle observait cependant que les procédés qu’on employait pour la juger ne relevaient pas du domaine de la critique : les jugements portés sur ses pièces étaient empreints de parti-pris. Elle écrit à ce propos à Édouard Charton dans sa lettre du 20 novembre 1858 :

Que vous dire de moi, maintenant, à propos de théâtre ? je ne sais pas. C’est un jour oui et un jour non. Ai-je du talent pour cela ? Je ne crois pas ; j’ai cru qu’il m’en viendrait, je me dis encore quelquefois sous mes cheveux gris, qu’il peut m’en venir. Mais on a tant dit le contraire que je n’en sais plus rien, et que j’en aurais peut-être eu pure perte. Si les auteurs sont rares et mauvais, comme vous le dites, c’est peut-être bien la faute du public, qui veut de mauvaises choses, ou qui ne sait pas ce qu’il veut Montigny m’écrivait dernièrement : « Que faut-il faire pour le contenter ? Si on lui donne des choses littéraires, il dit que c’est ennuyeux ; si on lui donne des choses qui ne sont qu’amusantes, il dit que ce n’est pas littéraire. Le fait m’a paru constant dans ces dernières années. On se plaignait de voir toujours la même pièce ; mais toute idée nouvelle était repoussée ? Que faire. N’y pas songer et écrire quand le cœur vous le dit. » C’est ce que je ferai quand même…

Il est très curieux aussi de noter que, tandis que le vieil ami de Mme Sand, Eugène Delacroix, toujours à propos de Favilla, écrivait dans son journal à la date du 12 janvier 1856 : « Excellente donnée que la pauvre amie n’a pas fait ressortir, » et ajoutait :

Cette obstination à poursuivre un talent qui lui manque, la classe dans un rang inférieur. Il est bien rare que les grands talents ne soient pas portés d’une manière presqu’invincible vers les objets qui sont de leur domaine. On peut s’abuser dans sa jeunesse, mais plus tard non…

Tandis que cet ami jugeait si sévèrement Mme Sand, ce fut Émile Zola, l’ennemi du romantisme, qui défendit et le talent dramatique de George Sand et son droit à introduire dans des œuvres dramatiques des éléments que l’on prétend impropres pour la scène, et en général le droit de sortir du cadre convenu en littérature dramatique. Et à ce propos nous lisons dans le volume Auteurs dramatiques de Zola les lignes suivantes :

…Longtemps on lui a refusé tout talent dramatique, comme on en refuse d’ordinaire chez nous aux romanciers ; pour la critique, quiconque écrit un livre ne peut écrire un drame. Seulement après de grands succès, George Sand dut être reconnue pour un dramaturge, sinon très habile, du moins très large de facture et d’une émotion profonde. Elle triomphe au théâtre par son honnêteté, le sentiment calme et tendre qu’elle avait des passions.


On ne peut dire mieux pour juger George Sand, auteur dramatique, et c’est par ces lignes impartiales, équitables et justes que nous terminons le chapitre du Théâtre de George Sand.



CHAPITRE XI

1855-1862


Œuvres autobiographiques de George Sand. — Le plan primitif des Lettres d’un voyageur. — Le Journal de Piffoël. — La Lettre d’un oncle. — Un Voyage au Mont-Dore et l’Histoire de ma vie. — Existence à Nohant de 1849 à 1855. — Alexandre Manceau. — Nini Clésinger. — Terre et Ciel de Jean Reynaud et Evenor et Leucippe. — Voyage en Italie en 1855. — Impressions italiennes et la Daniella. — Charles Edmond et la PresseLes Beaux Messieurs de Bois-Doré, les Dames vertes. — Gargilesse et La Villa Algira. — Labeur sans trêve. — Entomologie, botanique et minéralogie. — Jean de la Roche. — Maladie et voyage à Tamaris en 1861. — Valvèdre, Flavie, Antonia et M. Rodrigues. — M. Francis Laur et Louis Maillard. — Le Marquis de Villemer. — Tamaris. Edmond Plauchut. — Autour de la table et Promenades autour d’un village. — La Famille de Germandre. — Alexandre Dumas.


Chacun sait que dans les graves et tragiques moments de la vie : face à face avec la mort, lors d’une maladie sérieuse, après la perte d’un être chéri ou après une rupture définitive avec un ami, involontairement on revit ses joies et ses peines, un examen de conscience s’impose, on se juge et parfois on se condamne. Si l’on est écrivain, ces moments sont la cause et la source première de Confidences et de Confessions. Maintes fois des tristesses, des événements tragiques éveillèrent chez George Sand le désir d’expliquer son être intime, de raconter les actes extérieurs qui le révélèrent. Plusieurs fois ce projet lui vint et presque toujours son génie créateur lui fit abandonner son plan primitif ; elle écrivit alors des œuvres qui n’étaient que mi-autobiographiques, des pages où à la Wahrheit (la vérité) se substituait la Dichtung (la fiction).

Si on laisse de côté les romans de Mme Sand contenant des détails autobiographiques (que nous avons notés chaque fois que nous les analysions) tels qu’Indiana, Valentine, Mattéa, Lélia, Elle et lui, le Toast, Lucrezia, Spiridion, Isidora, le Poëme de Myrza, le Diable aux champs, etc., etc., etc.), on doit considérer comme une tentative d’autobiographie les Lettres d’un voyageur. Voici ce que George Sand en dit elle-même :

Je viens de relire les Lettres d’un Voyageur de septembre 1834 et de janvier 1835 et j’y retrouve le plan d’un ouvrage que je m’étais promis de continuer toute ma vie. Voici quel était ce plan suivi au début de la série, mais dont je me suis écartée en continuant et que je semble avoir tout à fait perdu de vue à la fin. Cet abandon apparent veut surtout dire que j’ai réuni sous le même titre de Lettres d’un voyageur diverses lettres ou séries de lettres qui ne rentraient pas dans l’intention et la manière des premières[305]. Cette intention et cette manière consistaient dans ma pensée première à rendre compte des dispositions successives de mon esprit d’une façon naïve et arrangée en même temps… Je créai donc au hasard de la plume et me laissant aller à toute fantaisie un moi fantastique très vieux, très expérimenté et partant très désespéré. Ce troisième état de mon moi supposé, le désespoir, était le seul vrai, et je pouvais, en me laissant aller à mes idées noires, me placer dans la situation du vieil oncle[306], du vieux voyageur que je faisais parler… En un mot je voulais faire le propre roman de ma vie et n’en être pas le personnage réel, mais le personnage pensant et analysant…


Le Journal de Piffoël, dont nous avons plusieurs fois cité des extraits et qui ne fut jamais publié en entier, excepté le petit épisode intitulé la Fauvette du docteur[307], présente comme une suite de ces Lettres d’un voyageur, écrite de nouveau au nom d’un prétendu « vieux docteur », pessimiste et désabusé.

Cette histoire de sa vie était trop incomplète pour satisfaire George Sand, elle décida dès lors d’écrire ses mémoires.

Dans une note au bas d’un article de 1857 de Charles de Mazade sur l’Histoire de ma vie, Buloz dit que George Sand avait dès l’époque qui suivit sa rupture tragique avec Musset, vers 1835-36, l’intention sérieuse d’écrire ses mémoires, et qu’on peut en retrouver le plan et des détails dans les lettres de Mme Sand qu’il a gardées dans ses cartons :

… « Nous n’avons pas oublié non plus que dans l’hiver de 1835 Mme Sand eut pour la première fois l’idée d’écrire quatre volumes seulement de mémoires, qui ne devaient paraître qu’après sa mort. Quand il nous arrive de feuilleter encore les trois ou quatre cents lettres de Mme Sand qui nous restent entre les mains, nous y trouvons non seulement crayonné le plan de ces mémoires, mais quelques-uns même des éléments de ce livre posthume, pendant les dix premières et plus belles années de la vie littéraire de l’auteur… »

Mais bien avant 1835-36, vers 1827, en récapitulant probablement sa vie de jeune fille et de jeune mariée, sous l’impression de la trahison de son mari, de sa rupture morale avec lui et de son amour pour Aurélien de Sèze, George Sand avait songé à écrire son autobiographie.

Ce prototype de l’Histoire de ma vie s’appelle Voyage en Auvergne et en Espagne, fut écrit pour Zoé Leroy et fut, comme nous l’avons dit, imprimé, déjà après la mort de George Sand, dans le Figaro de 1888. L’original est écrit sur de petits cahiers in-8° et présente une série de très petits chapitres, parfois de deux ou trois lignes, qui sont comme un sommaire de ses futurs mémoires. Voici le commencement et quelques extraits de ce très intéressant écrit très important pour nous, où — cinq années entières avant la naissance de la future George Sand — se reflètent avec une étonnante intensité toutes les faces de son admirable talent. Ce qui est absolument typique c’est le style, c’est la forme de cette première œuvre autobiographique, c’est le récit spontané, familier des événements tantôt plein d’humour, de verve, et tantôt de profond sentiment, ce sont des digression, des plaintes amères sur son sort, des réflexions d’une puissance extraordinaire sur des thèmes généraux, de poétiques paysages, des excursions de naturaliste, des épisodes comiques dialogues, des esquisses satiriques de personnages burlesques ou étranges, des pages alertes et gaies rappelant ses lettres intimes et d’autres écrites en sonores périodes évoquant le style de Lélia. Il est très curieux de noter le fait surprenant que George Sand avait, dès lors, ébauché en lignes générales le plan de son Histoire de ma vie tel qu’il fut exécuté plus tard.


Mont-Dore, dimanche 12 août.

J’arrive. Que c’est bête un voyage d’amateur. Je suis exténuée ! Que suis-je venue faire ici ?

Chercher la santé ? où est-elle la santé ? Je suis d’une humeur de chien.

Lundi. — C’est bizarre, une vie comme celle-ci. C’est même plaisant. Je me réconcilie. Cependant, je ne me sens pas encore assez d’aplomb pour rester au salon. Nouvelle débarquée, tous les regards se portent sur moi. Que c’est sot de faire attention à moi ! Je viens dans ma chambre…

…Çà, que faire ? Il pleut. Jamais je n’ai eu tant envie de me promener. Je suis fantasque aujourd’hui. Je fais la jolie femme. Ah ! pour femme, pas trop ! Jolie encore moins. C’était bon il y a dix ans. Je n’ai pas de livre qui me plaise.

Ce que j’ai emporté est absurde. C’est égal, cela me donnera un maintien pour sortir seule.

J’aurai l’air de lire, de penser à quelque chose et je pourrai à mon aise ne penser à rien.

À rien ! Quand ne pense-t-on à rien ? Qu’on serait heureux si, un quart d’heure dans la vie, on pouvait ne penser à rien ! Mais en dormant même, on rêve !…

…Ah ! il y a un bénitier auprès de mon lit. C’est une attention, cela me rappelle le couvent. Comment donc ! mais c’est charmant, un bénitier ! Me voilà bien, si j’écrivais à quelqu’un ? oui, à ma mère, par exemple ! à ma mère, ah Dieu ! Ô ma mère, que vous ai-je fait ? pourquoi ne m’aimez-vous pas ? Je suis bonne pourtant. Je suis bonne, vous le savez bien. J’ai cent défauts, mais je suis bonne dans le fond. J’ai mes violences et elles sont terribles. Mais vous en aperçûtes-vous jamais ? Oh ! que j’étais facile à mener ! Un mot de vous détruisait toutes mes résolutions. Je vous avouais tout ce qu’en tenant caché j’aurais pu faire servir à adoucir mon sort. Mais, chose étrange, vous saviez également me faire peur et m’attendrir.

Quand vous étiez en colère, je tremblais, j’étais pâle et me sentais mourir. Quand vous m’entouriez de vos séductions, j’arrosais vos mains de pleurs… Oh ! que je vous aurais aimée, ma mère, si vous l’aviez voulu ! Mais vous m’avez trahie, vous m’avez menti, ma mère, est-ce possible ? vous m’avez menti ! Oh ! que vous êtes coupable ! Vous avez brisé mon cœur. Vous m’avez fait une blessure qui saignera toute la vie. Vous avez aigri mon caractère et faussé mon jugement.

Vous m’avez mis dans l’âme une sécheresse, une amertume que je retrouve dans tout.

Croyez-vous que j’ai oublié tout cela quand maintenant vous me caressez ? Oh ! vos caresses me font du mal. Quand vous m’embrassez, mon cœur se gonfle et, si j’osais pleurer devant vous, je pleurerais ! Et quand je vois une autre fille dans les bras de sa mère, heureuse, adorée, protégée, je me tords les mains et je pense à vous qui m’avez abandonnée. Ma mère, Dieu vous pardonne ! Il vous pardonnera. Dieu est parfait. Mais vous m’avez fait bien du mal.

Je voudrais me venger, je voudrais pouvoir vous faire du bien. Vous verriez que je ne suis pas une mauvaise fille ! Ah ! je n’étais pas née pour cela !!!

Voilà ma lettre ; l’enverrai-je ?

Pauvre mère ! que de chagrin elle vous ferait ! Vous êtes légère, mais vous n’êtes pas méchante. Non, vous ne l’êtes point. Vous n’êtes que bizarre. Ah ! je ne vous ferai jamais de reproches. Je pleurerai en silence. Vous vieillirez tranquille.

Je me sens très mal à présent. À quoi ai-je été songer ! Si j’allais consulter le médecin ? Encore quelque âne ! Je n’irai point, qu’ai-je à faire de lui ?

Mais, mon Dieu, à qui écrirai-je donc ? Je sais bien à qui je n’écrirai pas[308].

À Adolphe[309] ? C’est un ami despote. Je n’aime pas la tyrannie. À Stéphane[310] ? C’est un fou, un vrai pédant. Je déteste la science. À Gustave[311] ? C’est une bête. Les bêtes m’ennuient. À mon père[312] ? L’excellent cœur ! Mais que lui dirai-je ? Lui raconter ce que j’ai vu à Clermont ? l’éternelle relation obligée ! Mais je n’ai rien vu ! J’ai été partout. J’ai attrapé un coup de soleil au Puy-de-Dôme. Je me suis éreintée à cheval, époumonée à pied. Et tout cela pourquoi ? Si, je le sais !… Il n’y a pas là de quoi faire une lettre. Mon Dieu, qu’on est bête quand on a de l’humeur.

Je vas écrire à Zoé[313], Elle est si bonne ! C’est un ange. Oui, mais elle montrerait ma lettre et je ne veux pas qu’on se souvienne de moi[314]. À Jane[315] plutôt. C’est une reine. Oh ! je lui ferais horreur dans ce moment-ci.

Décidément je n’écrirai pas, mais qu’est-ce que je fais donc à présent ?…

Puis, la jeune femme se désespère de l’inutilité de sa vie, elle songe au suicide, mais n’a pas le courage de se tuer, à cause du petit Maurice ; elle voudrait pourtant mourir, se débarrasser a de la corvée de la vie », elle s’ennuie et ne sait que faire… Puis, tout à coup elle esquisse le portrait de M. Garrick, le gardien de l’établissement balnéaire, qui, pour tuer le temps, fait avec ses fils des collections minéralogiques, estropie les noms latins d’une manière épouvantable, mais au fond ne dit « guère plus de bêtises que beaucoup de savants de ma connaissance, » et à ce propos la jeune pessimiste lance une phrase toute Georgesandesque :

Je déteste les grands mots et le grand savoir en manchettes et en jabot. Je les aime à la folie en casquette et en sabots.

Puis elle ajoute : « Garrick est fort aimable et je ne m’étonne pas des bontés de M. Ramond pour lui. » (M. Ramond — soit dit par parenthèse — c’est Raymond Aurélien de Sèze, qui apparaît plus loin sous le pseudonyme transparent de M. Lesène et qui apparaîtra dans Indiana sous celui de Raymon de la Ramière.) Et enfin elle dessine en quelques traits bouffons la société de la petite ville d’eaux et ses établissements thermaux.

Mais avec tout cela, le temps n’avance guère.

…On ne dînera que dans deux heures. Il m’est impossible de m’amuser de rien avec suite aujourd’hui. J’ai la tête fort malade. En vain j’ai cherché tous ces jours passés à m’étourdir par la fatigue. Ce chagrin, ce chagrin ne sait pas dormir et ne veut pas se taire. Ô angoisse !…

Au fait, si je me plaignais à moi-même ? Comme ce serait nouveau, ce pourrait me distraire.

Si je me racontais mon histoire ? C’est une bonne idée. Écrivons des mémoires. C’est un genre à la portée de tout le monde, et cela fera bon effet. Les pensées d’hier feront diversion à celles d’aujourd’hui. Mais surtout pas un mot du présent. Je l’écrirais avec une plume de feu trempée dans du fiel. Aussi bien, puisque me voilà écrivant mon voyage, je suis bien aise qu’il y ait de tout, et que la chose dont il soit le moins question soit précisément mon voyage. Commençons.

Ferai-je une préface ? Oui. Il en faut une. C’est indispensable et je veux faire un ouvrage complet. Passons à la préface.

Mémoires inédits.
Préface

J’écris mon histoire pour me désennuyer (Fin.)

Bien. Je ne vois pas ce qu’on peut dire de plus et de mieux. Cela est véritable, positif, clair, concis. On voit tout d’abord ce que je veux dire. — Passons au chapitre premier, pour suivre les règles de l’art, il faudrait faire un peu l’histoire de mes parents et même remonter à celle de leurs parents à la seconde ou troisième génération. Mais comme je n’ai pas le temps et que je prétends finir mon ouvrage avant de dîner, je passe à ma propre histoire.

I

Je naquis dans la rue Mélée (sic) l’an XII de la république. Ma mère était au bal. J’arrivais entre la chaîne anglaise et la queue du chat.

On n’eut que le temps de m’envelopper dans un fichu de crêpe rose et de m’emporter. C’était d’un bon augure, dit-on. Les augures ne se justifient que quand ils annoncent le mal.

Le lecteur voit que dès le début c’est là en abrégé la vraie Histoire de ma vie qui ne présente qu’une version développée de ces mémoires premiers. Nous y trouvons notamment et « l’histoire des parents et même celle de leurs parents à la seconde et troisième générations », histoire qui doit expliquer et faire prononcer l’absolution sur bien des faits de la vie de l’auteur, et le « premier chapitre » commençant par le récit de sa naissance en « l’an XII de la République », et même, au vol de la plume, la remarque amèrement ironique sur ce que les pronostics gais et roses accompagnant la venue au monde de l’auteur de Lélia et du Journal de Piffoël et lui prophétisant un avenir riant, ne se sont pas justifiés. Puis vient une série de petits chapitres qui ne présentent pour le lecteur qui connaît l’Histoire de ma vie et l’histoire réelle des premières années de George Sand, qu’un précis de tout ce qu’il a lu ; c’est pour cela que ces petits chapitres nous intéressent. C’est l’Histoire de ma vie en germe :

II

Je fus mise en sevrage à Chaillot, pendant que ma mère partit pour l’Italie[316]. Clotilde et moi demeurâmes là chez une bonne femme jusqu’à deux ou trois ans.

On nous apportait le dimanche à Paris sur un âne, chacune dans un panier avec les choux et les carottes qu’on vendait à la halle.

III

Ma grand’mère me prit et fit de moi une demoiselle. J’arrivais d’Espagne. J’avais la fièvre, la gale et des poux. On m’apprit à lire, on me décrassa. Je devins gentille, un peu colère pourtant.

IV

Je jouais à colin-maillard, à traîne ballet, à la main-chaude, voire à l’oie. J’avais un précepteur.

Le chapitre V manque.

Il est évident qu’Aurore Dudevant saute sa vie de couvent, ce qu’elle n’évita pas lorsqu’elle parla de sa vie plus tard. Mais en 1827 il est probable qu’elle ne voulait pas parler à la légère de ses impressions pieuses. Donc, immédiatement après le chapitre IV, vient le chapitre VI.

VI

Quand j’eus seize ans, on s’aperçut comme j’arrivais du couvent que j’étais une jolie fille.

J’étais fraîche quoique brune. Je ressemblais à ces fleurs de buisson, un peu sauvages, sans art, sans culture, mais de couleurs vives et agréables. J’avais une profusion de cheveux presque noirs qui sont devenus depuis presque blonds. En me regardant dans une glace, je puis dire pourtant que je ne me suis jamais fait grand plaisir. Je suis noire, mes traits sont taillés et non pas finis. On dit que c’est l’expression de ma figure qui la rend intéressante. Et je le crois car en me regardant de sang-froid, comme je me regarde toujours, je n’ai jamais pu comprendre comment on a fait attention à moi. Mes yeux, qu’on a vantés souvent, me semblent froids et bêtes. D’où je conclus qu’il faut qu’une femme s’aime beaucoup pour avoir de l’expression dans la figure lorsqu’elle se regarde et pour se trouver jolie. Si je me voyais dans les yeux de quelqu’un que j’aime, je serais sans doute plus contente de l’ouvrage de ma mère.

On retrouve bien dans l’Histoire de ma vie ce même portrait, rien qu’un peu modifié selon l’année un peu ultérieure où il fut tracé, 1847, année où l’Histoire de ma vie fut commencée.

VII

J’avais l’humeur gaie et pourtant rêveuse. Car il y a des contrastes dans tous les caractères et surtout dans le mien. L’expression la plus naturelle à mes traits était la méditation.

Et il y avait, disait-on, dans ce regard distrait, une fixité qui ressemblait à celle du serpent, lorsqu’il fascine sa proie. Du moins c’était la comparaison ampoulée de mes adorateurs de province. Un d’eux surtout s’y laissa prendre, tandis que je lui préférais Colette.

VIII

J’eus dix-sept ans. En vérité, ai-je jamais eu dix-sept ans ? C’est si loin que si l’on ne m’assurait qu’il est une époque dans la vie où personne ne peut passer sans compter dix-sept ans, je croirais que je n’ai jamais vu cette belle saison.

Je commençais les veilles et les larmes.

IX, X et XI

Je perdis ma bienfaitrice, mon bonheur et ma beauté.

X

Ma mère…

XI

Ma sœur me repoussa et me trahit.

XII

Mon frère… fut toujours bon, mais faible. Il ne sut pas me défendre.

XIII

On chassa André, on m’ôta tous ceux que j’aimais. Arrachée à Nohant ma patrie, seule et désolée, il me restait un pauvre chien qui m’égayait par ses folies. On m’ôta mon pauvre chien[317].

XVI OU XVII

Quand je fus mariée, j’eus un fils, et il y a encore un ou deux chapitres qui me sont absolument sortis de la mémoire. Si l’on me montrait quelque chose qui eût rapport à ce temps-là, je tressaillerais peut-être d’effroi ou de douleur.

Mais si l’on ne m’en parle pas, je n’y songe pas. Je n’ai pourtant pas le don de l’oubli. J’ai le sentiment du passé si je n’en ai le souvenir. Hélas ! et quand je regarde mon teint flétri, ma vieillesse anticipée[318], quand je sens dans mon cœur éteint, glacé, quand je sens dans mon corps des douleurs affreuses, fruits amers du désespoir, des sanglots renfermés et des tristes veilles, je vois bien que j’ai vécu. Je n’ai pas besoin de me rappeler quels jours commencèrent ma ruine et quels jours la finirent.

XX

Le cœur demeura pur comme le miroir.

Eh ! ogni respiro appanna.

Il fut ardent, il fut sincère, mais il fut aveugle ; on ne put le ternir, on le brisa.

XXI

Je partis pour les Pyrénées… Qu’est-ce que j’entends là ? Déjà le dîner ? J’ai donc bien rêvassé au lieu d’écrire ! Oui, j’ai fait une pause après chaque chapitre et les deux heures sont écoulées, et je n’en suis qu’à la moitié. Que dis-je ? Je ne fais que commencer… Allons, ce sera pour un second volume, en attendant, envoyons celui-ci à un libraire, à M. Panckouke ou à M. Ladvocat ? À M. Ladvocat :

Monsieur, je vous envoie mon ouvrage. Il est bon, c’est moi qui vous le dis.

Je suis avec considération…


C’est par cette allègre drôlerie que les mémoires se terminent soudain : plus loin on y voit la suite du journal du voyage, jour par jour, l’auteur jase avec une spontanéité toute prime-sautière sur tous les « baigneurs » et tous les incidents survenus dans la petite ville d’eaux ; nous voyous apparaître quantité de personnages plus ou moins comiques (MM. Lesène, Ramond et même un Russe qui porte le nom estropié de Kologrigoff et, on ne sait pas trop pourquoi, parle français avec un accent allemand !). Et au milieu de toutes ces petites scènes bouffonnes, voilà que surgissent tout à coup deux épisodes ou deux morceaux fort poétiques : une page lyrique adressée à l’âne qui portait la petite Aurore sur son dos de Paris à Chaillot, et une autre page que l’auteur prétend être fortuitement trouvée dans son journal, intitulée les Corbeaux et écrite dans un style parfaitement imité de Chateaubriand ou… de Lélia. Puis, dans la Seconde partie : Voyage en Espagne, Aurore Dudevant raconte à peu près tout ce qu’elle conta plus tard dans l’Histoire de ma vie du voyage qu’elle fit avec sa mère pour rejoindre M. Dupin en Espagne et toutes ses impressions enfantines d’alors. Nous ne nous arrêterons point sur cette fin de la première partie du Journal de voyage, surtout important comme témoignage du talent inné et spontané de George Sand. Il se dégage de ces lignes écrites au courant de la plume, tant de précision dans les expressions, tant d’observation des caractères, tant de puissance poétique, d’humour et tant de nostalgie désespérée qu’on a peine à croire que leur auteur n’était qu’une femme de vingt-trois ans, mariée à un hobereau médiocre, passant ses vacances dans mie ville d’eaux, au milieu d’un tas d’adorateurs ennuyeux, et qui joue de sa plume comme d’autres jouent de l’éventail. Nous avons déjà noté cet éveil spontané du talent de George Sand ; ce qui nous importe c’est de marquer la ressemblance des Souvenirs d’Auvergne avec l’Histoire de ma vie. Ce n’est pas seulement le plan général, mais même la manière de raconter, le procédé et le point de départ sont identiques. Il est vrai que la jeune femme de vingt-trois ans ne peint que ses sentiments personnels et ses propres pensées, tandis que la femme de quarante-trois trouve nécessaire de mêler à son récit des réflexions et des raisonnements sur des thèmes généraux. Mais, dès que la narration touche à des événements trop intimes, nous voyons apparaître à la place de George Sand, l’auteur du Voyage au Mont-Dore. Si on n’envisage que les deux préfaces, on peut croire que les deux auteurs avaient deux buts différents. « Pourquoi ce livre ? » Aurore Dudevant répond : pour tuer le temps, George Sand prétend que le récit sincère et véridique de la vie de chaque homme peut servir à tous les hommes : la loi de la solidarité oblige chacun à partager avec les autres les fruits de son expérience, de ses réflexions et de ses peines… Mais lorsque l’auteur commence son récit et nous conte l’histoire de ses parents, de ses ancêtres, sa naissance, son enfance à Paris et à Chaillot, son voyage en Espagne, les efforts de sa grand’mère « à faire une demoiselle » de la petite sauvageonne qu’elle était, les « excentricités » de sa mère, la liberté dont elle jouissait à Nohant et ses jeux au grand air, puis nous parle d’Hippolyte, de Deschartres, de son couvent, du retour à Nohant, quand elle évoque les lectures nocturnes, la mort de l’aïeule, le divorce moral avec sa mère (jusqu’à l’exil du petit chien inclusivement), son désespoir de jeune fille, son mariage, la naissance de Maurice, alors nous reconnaissons que l’auteur suit de point en point le plan tracé dans le Voyage en Auvergne. Après quoi, soudain l’auteur de l’Histoire, comme l’auteur du Voyage, s’interrompt uniquement pour dire au lecteur : « Il y a ici encore un ou deux chapitres fort intéressants, mais ils sont absolument sortis de ma mémoire… »

Nous lisons dans les Souvenirs d’Auvergne des lignes mystérieuses sur les « jours qui commencèrent ma ruine et ceux qui la finirent », c’est-à-dire sur les malheurs conjugaux d’Aurore Dudevant, sur son amour non moins malheureux pour Aurélien de Sèze, et immédiatement après : « Je partis pour les Pyrénées… » Tout cela apparaît dans l’Histoire de ma vie sous la forme des lignes non moins mystérieuses sur « l’être » qui aida Aurore « à supporter sa solitude », sur sa rupture finale avec lui, ou des pages consacrées au voyage dans les Pyrénées, pleines d’ellipses mentales, de sous-entendus, d’allusions à « Bordeaux », aux « chênes de Montesquieu, » à la « Brède » à l’Esprit des lois[319]. Et à travers tout cela dans les deux versions, des mémoires passe comme un fil rouge la même pensée :

« Le cœur resta pur, comme le miroir, il fut ardent, il fut sincère, mais aveugle, on ne put le ternir, on le brisa »… dit l’auteur du Voyage en Auvergne.

« Voici le récit de mes désillusions, de mes chagrins, de mes erreurs, mais le cœur resta pur et sincère, il ne connut pas le bonheur, je ne trouvais que des bonheurs… je me suis abusée, on ne put ternir mon cœur, on le brisa » semble aussi dire l’auteur de l’Histoire. C’est ainsi que le bilan et le résumé des deux ouvrages est le même.

« Je partis pour les Pyrénées… Qu’est-ce que j’entends là ?… Déjà le dîner ?… » Est-ce que mainte page de l’Histoire de ma vie n’est pas la copie exacte de ce tour d’idées, de cette phrase si brusquement et on dirait si spontanément interrompue ? Combien de fois le lecteur de l’Histoire, arrivant à un épisode décisif de la vie de l’auteur, s’attend à voir ses pensées profondes aboutir à une vraie confidence…

Mais non ! Qu’est-ce que j’entends là ? Déjà le dîner ? ou bien : Il y a encore un ou deux chapitres fort intéressants, mais ils sont absolument sortis de ma mémoire ! C’est ainsi que le récit à peine commencé du voyage de Venise et de la maladie de Musset est soudain coupé par la description des théâtres vénitiens et par des phrases jetées au hasard sur la célèbre Pasta, sur le séjour du peintre Robert et du chanteur Geraldi dans cette ville, puis vient une série d’anecdotes sur la police autrichienne et ses forfaits et le chapitre sur Venise est clos !

Ou bien, le compte-rendu des désaccords matrimoniaux se termine par la page lyrique adressée au grillon[320] tout comme le Voyage au Mont-Dore se termine par les digressions lyriques adressées à l’âne et aux corbeaux. Et la fin même de l’Histoire de ma vie est de point en point le pendant de la conclusion du Voyage en Auvergne : l’auteur arrive à 1846, il dit quelques mots assez vagues sur la rupture avec Chopin, sur 1849, puis il esquisse le portrait de plusieurs amis et connaissances, rencontrés dans la ville d’eaux… pardon ! au milieu du Paris politique et artistique et puis « Déjà le dîner ? » et c’est fini !

« Je n’avais pas eu de bonheur dans toute cette phase de mon existence… J’avais eu des bonheurs, c’est-à-dire des joies dans rameur maternel, dans l’amitié, dans la réflexion et dans la rêverie… je sens ma conscience assez saine et ma religion assez bien établie, pour saisir le vrai jour dans le passé… mon cœur, deux fois brisé, cent fois navré, s’est défendu de l’horreur du doute… »

Ni dans ses Lettres d’un voyageur, ni dans le Journal de Piffoël, George Sand ne s’approcha autant de ce plan projeté de ses Mémoires qu’elle le fit dans l’Histoire de ma vie. Ceci est digne de toute signification, de toute remarque. Ceci prouve l’unité de conception de la jeune femme qui n’a encore ni écrit, ni vécu, et de l’écrivain arrivé tout ensemble au seuil de la vieillesse et au faîte de la gloire, croyant après tant d’épreuves avoir fait à l’amour ses adieux. « Voici ce que la vie et les hommes firent de l’enfant rêveur », semble dire George Sand au lecteur dans les deux versions. Mais dans l’Histoire elle ajoute : « Et voici comment je me façonnai moi-même, voici le chemin que je parcourus depuis le berceau jusqu’à l’âge mûr, voici les étapes de ma pensée, voici comment s’élargirent mes horizons… » Et d’accord avec ce plan général l’écrivain divise toute sa narration en rubriques qui correspondent aux étapes de ce chemin spirituel, et les intitule :

   Histoire d’une famille de Fontenoy à Marengo,
   Mes premières années.
   De l’enfance à la jeunesse.
   Du mysticisme à l’indépendance.
   Vie littéraire et intime.

Nous ne suivons plus l’histoire du développement moral de G. Sand tel qu’il est peint dans l’Histoire de ma vie, ainsi que les faits de sa vie intime ou extérieure : le lecteur connaît tout cela.

Quant à rendre compte de ce que contient cette œuvre, c’est impossible : ce chapitre prendrait la dimension du livre même, parce qu’il faudrait alors, page par page, démontrer comment le récit de la guerre d’Espagne, par exemple, donne à l’auteur le prétexte de faire une digression sur le patriotisme espagnol • le nom d’Alexandre Ier — celui de mettre en doute le patriotisme des Russes et les causes de incendie de Moscou, — le système d’éducation pratiqué par la grand’mère — d’émettre ses propres théories pédagogiques ; les fables de La Fontaine — de polémiser avec Jean-Jacques Rousseau ; le nom de son ami Rollinat — de parler de sa manière de comprendre l’amitié et les idées étranges que les anciens, Grecs et Romains, avaient là-dessus, etc., etc., etc., jusqu’à des chapitres entiers consacrés à Maurice de Saxe, Marie Dorval ou à la polémique contre les doctrines d’Armand Carrel et de Jules Favre. Il n’est possible ni de redire ni de résumer tout cela. C’est une vraie petite encyclopédie de pensées, d’opinions, de doctrines, de sentiments, d’impressions. Mais il est peu d’œuvres de Geoi^e Sand qui attirent, enchantent et subjuguent autant le lecteur. Ce roman de sa vie est plus intéressant que tous ses romans imaginés, il est écrit avec une maestria incomparable, et il est tout à fait impossible en le lisant de ne pas être captivé par le charme de la femme et de l’écrivain. Il suffit de lire l’Histoire de ma vie pour s’éprendre de George Sand, et nous comprenons parfaitement que lorsque ces Mémoires parurent George Sand reçut de tous les points de la France des lettres enthousiastes, lui répétant les mêmes choses ; « Vous vous êtes révélée à nous, nous vous aimons, nous vous comprenons, parlez encore, parlez-nous de vous-même, vous nous êtes chère et proche… »

Nous avons entre les mains un gros paquet de ces lettres adressées à George Sand à l’occasion de l’Histoire de ma vie et on ne peut pas les lire sans être profondément ému. Il est grandement attrayant de voir que l’écrivain a trouvé le chemin du cœur de ses lecteurs et selon le mot de Tolstoï sut rendre ses sentiments et ses pensées « contagieux », Un lien étroit s’établit entre l’écrivain et ceux qui le comprirent. Nous avons lu des lettres de femmes du monde, de simples fantassins, de sous-officiers, de travailleurs, de généraux, d’amies de couvent qui se sont reconnues dans les portraits tracés, de curés de village dont les uns protestent contre les idées qu’elle a émises, et les autres l’en remercient. Quelques-unes de ces lettres se rattachent à certains faits de l’autobiographie de Mme Sand. Un docteur de la Rivière prétendait, au nom de la famille de Rome, que le premier mari de Marie-Aurore de Saxe, le comte de Horn, n’était point un bâtard de Louis XV, ni d’origine suédoise et que son nom s’écrivait avec un e final. La comtesse Fanny d’Huteau, née de la Marlière, rectifiait certains détails établissant les relations de sa mère avec l’aïeule et le père d’Aurore Dudevant, que cette dernière n’avait pas esquissées assez exactement dans le chapitre où sont portraiturées toutes les « vieilles comtesses » du salon de cette aïeule ; la comtesse d’Huteau envoya à George Sand les lettres autographes de Marie-Aurore Dupin de Francueil et de son fils adressées à Mme de la Marlière. De même M. Vieillard, Mlle Virginie Caseau, M. Vallet de Villeneuve, le baron Pétiet, et d’autres, firent parvenir à George Sand des documents et des renseignements très intéressants, pour rectifier différentes erreurs de sa narration, par rapport à son grand-oncle l’abbé de Beaumont, au vieux M. Pierret, au général Pétiet, au maître de calligraphie M. de Lhomond, et d’autres. George Sand garda toutes ces lettres dans une enveloppe spéciale avec cette inscription : « À consulter pour l’édition définitive de l’Histoire de ma vie. » Quant aux renseignements se rapportant en particulier à son grand-oncle, Godefroy, bâtard de Bouillon, plus tard abbé de Beaumont, elle en fit usage en écrivant sa petite biographie qui, parue dans le Temps, en 1875, sous le titre de Mon grand-oncle, sert d’appendice aux chapitres iii (vol. Ier, 2e partie) et ii (vol. II, 3e partie) de l’Histoire de ma vie et devrait au fond y être incluse comme est inclus le chapitre sur Maurice de Saxe[321].

Bref, nous voyons que chacune des lignes de l’Histoire de ma vie trouvait un écho parmi les lecteurs. Sans parler des sorties véhémentes de Pontmartin, nous devons noter que beaucoup de personnes même parmi les amis de Mme Sand — François Liszt entre autres — furent choquées par la franchise avec laquelle elle parle du passé de sa mère et condamnaient — peut-être avec raison — cet excès de franchise. D’autres, comme Charles Mazade, relevaient, avec justesse aussi, les « anachronismes psychologiques » de l’Histoire de ma vie, que nous avons aussi notés dans le premier chapitre de notre premier volume : en effet, lorsque George Sand écrivait ses Mémoires dans les derniers mois de 1847 et les premières semaines de 1848, à la veille de la Révolution, et lorsqu’elle les continua plus tard, immédiatement après la débâcle de la deuxième République, au moment oii ses adeptes, amis de l’auteur, se morfondaient en exil, ou même étaient déportés et malheureux, elle était en proie aux sentiments les plus républicains et démocratiques, vibrante d’indignation et de protestation contre le parti conservateur. Elle transporta alors tous ces sentiments dans le passé, jugeant beaucoup de faits et d’événements de ses jeunes années à travers le prisme de ses impressions du moment ; elle décrivit ainsi beaucoup de faits anciens l’esprit influencé par 1848 ; elle donna à ses sorties juvéniles, très crânes, dictées le plus souvent par les élans de sa nature indépendante et libre, la signification de républicanisme conscient, de démocratisme et même de socialisme. Nous avons déjà fait allusion à cela dans le chapitre iv du volume F^, lorsque nous avons parlé de la vie d’Aurore Dupin à la campagne et de ses disputes avec Deschartres sur la propriété rurale et même toute propriété en général. D’autre part il est hors de doute que les relations amicales de George Sand et de Maurice Sand, fraîchement liés en 1852, avec le prince Jérôme et le rapprochement avec les napoléonides en général se reflétèrent aussi rétrospectivement d’une manière très prononcée dans les pages de l’Histoire ; tout ce qu’il y avait de bonapartiste dans le milieu qui entourait Aurore Dupin et plus tard Aurore Dudevant est comme souligné : les services rendus à Mme Sand par le baron Haussmann lors de l’enlèvement de Solange par son père, en 1837, sont notés avec une complaisance bien marquée, de même l’amitié avec Mme Rose-Anne (ou Rozanne) Bourgoing (Mme Curton, plus tard) et l’impression sympathique et favorable produite, en 1834, par un jeune homme rencontré chez elle, inconnu alors, trop connu plus tard — M. Fialin de Persigny, etc.

D’autres critiques encore déploraient l’étendue des chapitres préliminaires de l’Histoire, ce qui est aussi vrai. Mais nous avons déjà noté dans le chapitre ii de notre premier volume avec quelle maîtrise George Sand avait, justement dans ces chapitres prétendus inutiles, préparé pour ses futurs biographes les matériaux et les éléments qui servent à éclaircir ses traits héréditaires et les particularités qu’elle a déjà apportées en elle en venant au monde.

D’autres encore s’indignaient contre les continuels passages tacites (que nous avons notés) ou les sauts par-dessus une quantité d’épisodes fort intéressants. Mais nous avons déjà dit dans les toutes premières pages de notre travail que George Sand comme Catherine II, en sa qualité de femme, ne pouvait et ne devait pas parler de toutes choses avec la franchise de Jean-Jacques ; c’aurait été cynique et inutile. L’Histoire de ma vie, telle qu’elle est, est un livre extrêmement instructif, outre qu’il est rempli de pensées et de sentiments profonds. Nous sommes sûrs qu’il sera lu avec plaisir et enthousiasme, même s’il vient un jour où les autres œuvres de George Sand sont oubliées. C’est le récit d’une âme, le journal d’un grand cœur, le miroir où se reflète une série d’étapes traversées par un esprit profond et chercheur dans sa poursuite de la vérité et de la justice sur cette terre, dans son désir de trouver la solution du problème universel. Mais remarquons encore que si George Sand n’a pas conté elle-même toute sa vie, elle a, en toute conscience, pris ses mesures pour qu’on le fît après elle ; si eUe avait réellement voulu tirer le rideau sur certains épisodes de sa biographie, elle n’aurait pas gardé dans ses archives certaines correspondances. Or, non seulement elle les garda, mais encore elle en munit plusieurs d’inscriptions ainsi conçues : « À prendre des dates », « à consulter pour l’édition définitive de l’Histoire de ma vie », « à garder et à consulter », « à publier ». Cela prouve combien George Sand désirait que son histoire vraie et entière fût écrite un jour et combien elle en avait soigneusement préparé tous les éléments.

Dans l’Histoire de ma vie, commencée en 1847, le récit n’est suivi que jusqu’en 1844. Dans les toutes dernières pages, comme nous avons vu, il y a quelques lignes obscures sur les événements de 1846 (la scène dans le petit bois à propos de la rupture morale avec Chopin)[322], puis il y est dit quelques mots sur la mort de Chopin et d’Hippolyte en 1849, mais nous n’y trouvons déjà absolument rien sur 1847 et 1848. Dans la Conclusion on peut encore lire quelques lignes vagues sur les malheurs qui déchirèrent la vie de l’auteur « en 1847 et en 1855 », — cette dernière date est celle de la mort de la petite Jeanne Clésinger.

Comme épilogue on a ajouté à l’édition de l’Histoire de ma vie de Lévy une lettre de George Sand à Louis Ulbach, datée du 26 novembre 1869 et qui est censée peindre la vie de l’auteur pendant les « vingt-cinq dernières années »[323]. Mais il ne faut nullement prendre cette expression au pied de la lettre, parce que ce n’est plutôt qu’une digression à propos de la vie à Nohant durant ces vingt-cinq années et non pas sa description réelle. Nul homme ne raconterait une existence de vingt-cinq ans en trois pages in-18, même si elle avait été monotone et dépourvue de tout événement. Or ce n’est pas précisément de monotonie qu’on peut taxer la vie de George Sand. Voici pourquoi nous avons tâché de raconter dans les trois chapitres précédents les événements de la vie et l’histoire de la pensée de Mme Sand, de 1846 à 1852, d’après des documents tant imprimés qu’inédits. Puis, nous nous sommes arrêtés sur le Diable aux champs comme sur une œuvre autobiographique, nous peignant la vie paisible de Nohant entre 1848 et 1855, et surtout comme sur un livre qui résume les idées, les espérances et les opinions de George Sand après la tempête de 1848-1851.

Le Château des Désertes dont nous avons parlé et l’Homme de Neige présentent comme des appendices au Diable aux champs.

À partir de 1848 Maurice Sand commença à passer une partie de l’année à Paris. Depuis 1850 il y passait presque tout l’hiver ; en quittant Nohant en septembre, il restait à Paris jusqu’à Noël ou même jusqu’au 1er janvier, revenait à la campagne pour une couple de semaines, puis repartait jusqu’en avril, mai, quelquefois jusqu’en juin. En 1848 il ne vint pas du tout pour les fêtes de Noël auprès de sa mère, et elle fêta la nouvelle année en compagnie de Lambert et de Borie. En 1851, avec Lambert et Manceau. Mme Sand décrit dans une lettre à son fils sur un ton badin cette veillée solitaire et raconte comment on avait tiré pour Maurice les petites surprises qui lui étaient destinées et comment on fit présent à Mme Sand elle-même d’un petit « Maurice » en carton qui surgit soudain d’une boîte, lorsqu’on en pressa le couvercle. Mais on sent dans cette lettre le chagrin et le dépit refoulés de ne pas avoir vu réaliser son espérance d’embrasser son fils. Avec le temps ces séjours de Maurice à Nohant s’abrégèrent de plus en plus, de sorte qu’il ne passait hors de Paris que deux ou trois mois, de juillet à la fin de septembre, et encore employait-il une partie de ces vacances à visiter son père à Guillery où l’attirait la chasse. En 1857, Mme Sand écrit à son fils dans sa lettre du 12 août : « Sais-tu que je ne t’ai pas vu deux mois entiers depuis près d’un an… »

Solange venait encore plus rarement auprès de sa mère. Mme Sand passait donc presque toute l’année sans sa famille. Il est vrai qu’entre 1852 et 1855 séjournait fréquemment à Nohant sa petite-fille Jeanne (ou Nini) avec laquelle Mme Sand jouait des heures entières ; elle se promenait ou piochait au jardin avec la petite qu’elle adorait ! De plus, après la Révolution et surtout la réaction et le coup d’État de 1851, y séjournaient, les uns temporairement, les autres plus longuement : Fulbert Martin, Émile Aucante, Eugène Lambert, Victor Borie et Alexandre Manceau. Puis peu à peu, ils retournèrent à Paris ou à l’étranger, et à partir de 1855 George Sand serait restée toute seule si Manceau n’était pas demeuré à Nohant. Ce dernier, graveur de profession et camarade de Maurice à l’atelier de Delacroix, était un homme d’humble provenance, mais de grande hauteur morale, bon, désintéressé, capable d’un dévouement à toute épreuve, prêt à tous les sacrifices pour ceux qu’il aimait. S’étant lié avec Maurice, il devint son camarade dévoué, partagea tous ses goûts, participa à tous ses amusements, mais aussi à tous ses travaux[324]. Dès que Maurice Dudevant entreprenait quelque édition dans le genre des Visions à la campagne, ou d’illustrations de l’histoire de Napoléon Ier, — un sujet fort bien choisi après 1851 ! — que voyons-nous ? Maurice ébauchait en quelques heures un croquis ou une aquarelle, et Manceau, abandonnant ses travaux, qui lui assuraient le moyen de vivre, se mettait à graver, pendant de longs jours ou des semaines, les planches de l’édition de son camarade. Maurice, qui s’intéressait toujours à l’entomologie, s’occupa vers 1850 plus sérieusement de cette science, fit un livre sur les papillons (dont sa mère écrivit la préface[325]. Il collectionnait les lépidoptères, leurs chrysalides et leurs chenilles, se passionnant à observer leurs métamorphoses. Mais ses fréquentes absences de Nohant s’accordaient mal avec des observations suivies sur les chenilles sortant de la graine, sur leurs travaux à se construire un cocon et enfin sur la venue au monde des insectes. Manceau fit alors la chasse aux papillons et aida Maurice à construire toute sorte de boîtes avec des parois de verre, viviers ou serres chaudes portatives pour les chenilles ; puis lorsque Maurice s’en allait à Paris, il s’évertuait le plus attentivement possible à nourrir toutes ces chenilles, à observer leurs transformations, à transpercer, selon la règle des collectionneurs, d’une aiguille brûlante celles qui sont prêtes pour la collection et à inscrire sur un registre le jour, l’heure ou la minute de la naissance de quelque Algira, Gordius ou Apollon. Maurice se passionna ensuite pour le théâtre, et Manceau l’aida à brosser les décors, à exécuter les spectacles des marionnettes, et lorsque Mme Sand désireuse de faire une surprise à son fils — ayant l’espoir peut-être de le fixer à Nohant — voulut reconstruire la salle de spectacle et lui bâtir un vaste atelier, Manceau prit la direction de tous ces travaux. Peu à peu il commanda toutes les constructions nouvelles et les réparations de Nohant. Puis, voyant que Mme Sand ne pouvait suffire à mener de front son gigantesque travail littéraire et diriger sa maison, il se mit à surveiller le ménage et à veiller à toute la vie matérielle. C’est ainsi que, selon les propres paroles de Mme Sand, il n’oublia jamais de s’assurer, le soir, s’il ne manquait pas sur son bureau de cahiers de son papier favori et, à côté, le verre d’eau sucrée qu’elle avait coutume d’avaler d’un trait lorsque, tard dans la nuit, tombant de fatigue et à moitié endormie déjà, elle passait de sa table à écrire sur son lit. Bref, Manceau l’entourait de dévouement tout filial et de soins attentifs. Il remplit auprès d’elle les fonctions de secrétaire : il les partagea d’abord avec Aucante, puis, après le départ d’Aucante qui prit à sa charge toutes les démarches et les transactions de Mme Sand auprès des éditeurs à Paris[326], il s’en chargea seul : il classait le courrier, dressait la liste des lettres, notait celles qui demandaient des réponses, écrivait parfois au nom de Mme Sand, copiait ses manuscrits, faisait les comptes, etc., etc. George Sand dans ses lettres à Maurice signale souvent de combien de soucis et de tracas Manceau la préserva, avec quel dévouement sans défaillance et avec combien de bonne volonté il sacrifia son temps, son travail afin de faire prospérer les affaires ou de préparer les plaisirs de Maurice toujours engoué tantôt d’une chose, tantôt d’une autre, ce qui l’empêchait d’acquérir par un labeur sans trêve une maîtrise véritable.

À Maurice à Paris.
Nohant, 13 avril 1852.

En effet, mon vieux, ce n’est pas facile de trouver de l’ouvrage, et même en habitant Paris, il faudrait peut-être bien des mois et des années pour t’assurer un entrain de commandes. Je ne m’étonne donc pas que tu partes le matin pour rentrer le soir sans résultat. C’est en se faisant connaître, sans gagner d’argent d’abord, qu’on arrive à en gagner. Je suis fâchée que tu n’ayes pas traité avec l’Illustration pour une partie de tes costumes italiens[327], ou pour tout autre chose. Mais je crois que quand tu seras ici, tu pourras leur donner quelques séries qui réussiront toujours avec un texte de moi, et si peu qu’elles soient payées, elles te donneront la publicité qui est la première condition pour être demandé. Le travail dans les arts ne se trouve jamais quand on le cherche.

Je ne vois pas que tu puisses faire seul une pièce. Quand même l’action en serait bonne, tu ne sais pas assez écrire pour faire un bon dialogue et d’ailleurs ce n’est pas à Paris que tu feras de la littérature. C’est à Nohant je crois que les conditions seraient meilleures. Je voudrais qu’à Paris tu songes à travailler, sinon la peinture si tu y renonces, du moins le dessin qui te servira toujours, et que tu ne peux pas avoir la prétention de savoir parfaitement. Je crois que tu n’aurais pas raison de renoncer à la peinture, si tu pouvais l’étudier à Paris. Le peux-tu ? et le veux-tu ? La question n’a jamais été résolue encore. Il ne faudrait pas y dépenser 500 ni même 400 francs par mois. Nous n’avons pas ce moyen-là, quand le séjour se prolonge. Il ne faudrait pas louer un appartement avec atelier, de 7 à 800 francs, pour n’y pas travailler sérieusement. Tout cela toi seul peux le résoudre. Je ferai à cet égard avec toi les essais que tu voudras, mais, si, au bout de quelques mois, ces sacrifices ne servaient à rien, et si tu conservais l’habitude de flâner, tu es trop raisonnable au fond pour vouloir que cela durât, et que mon travail de nègre ne servît qu’à te faire perdre ton temps.

Rien de nouveau ici, je travaille beaucoup. Je fais vingt pages par jour d’un roman qu’on me paye fort peu quoi qu’en dise Hetzel. Mais ne lui en parle pas, il fait pour le mieux, les arts sont au rabais…

Reviens quand tu voudras, puisque tu prétends toujours que c’est moi qui t’empêche de travailler à Paris. Seulement songe que je ne peux pas t’y entretenir à 500 francs par mois, que cela fait une rente de 6 000 francs et que c’est bien l’impossible. Et puis tâte-toi bien, et vois si vraiment tu y employés ton temps, utilement pour le présent ou pour l’avenir, je m’en rapporte à toi-même, et ferai ce que tu voudras, quelque ennui que j’éprouve à être séparée de toi.

Nohant, 20 avril 1852.

Où en est ta pièce avec Rochery ? Est-ce que vous y travaillez sérieusement ? Il faudra venir l’essayer ici ? ou qu’il vienne l’achever avec toi…

…Tu fais aussi bien d’être à Paris si tu t’y amuses. Ici le spleen me consume, et je suis malade depuis plusieurs jours. Je me croyais pourtant guérie, je l’étais au commencement, mais je n’ai plus de force pour travailler et cela me désespère. Il faut pourtant piocher ou mourir.

Tu t’expliqueras avec Manceau de ton affaire d’images, je n’ai pas voulu lui en parler. Je vois seulement que tu voudrais lui faire vendre les planches faites, et cela me paraît détruire tout un projet qui était bon, pour toucher fort peu de chose.

Ce ne serait pas, je pense, dans son intérêt, et son intérêt, en cela, doit peser plus que le tien, puisque tu donnes à ce travail quelques jours par année, tandis qu’il y donne des semaines et des mois d’assiduité. S’il s’en dérange beaucoup, la faute en est à moi, qui l’emploie à mille soins dont il me soulage, à des copies, à des rangemens sans fin, et je me trouve bien de l’obligeance infatigable avec laquelle il accepte ces corvées. Je ne vois donc pas que personne ait à lui en faire reproche, toi moins que tout autre, puisque c’est de la peine qu’il m’épargne et du tems qu’il me fait gagner…

Nous avons un froid atroce depuis deux jours… Aujourd’hui j’ai gardé le lit toute la journée. Le soir nous lisons du Cooper avec Martin et Manceau, et je fais la tapisserie pour ta cheminée ; nous montons à 10 heures et demie et je travaille jusqu’à 3 heures, je reprends mon travail le jour de une heure à six.

Toccante[328] me débarrasse des interminables dérangemens des paysans et des ouvriers…


Nohant, 28 avril 1852.

Je ne conçois pas, mon enfant, que tu ne reçoives pa mes lettres. Je t’ai écrit la veille du jour où Manceau t’a écrit.

… Je te parlais de Manceau dans cette lettre, je te disais que je n’avais pas voulu lui parler de ton désir de vendre les quatre planches de Napoléon avant les sujets religieux et autres de la collection, je crois qu’il ferait tout ce que j’exigerais de lui, mais je ne crois pas devoir exiger que, d’une affaire où il met la meilleure partie de son tems et où tu ne mets en somme que quelques heures du tien de tems en tems, affaire qui peut être bonne dans son ensemble, il fasse pour vous procurer plutôt quelques sous, une affaire manquée pour l’avenir. Il n’y renonce pas, je le sais, puisqu’il s’y est remis, après avoir fait un immense rangement dont je l’avais chargé. Tu te plains du tems qu’il perd à autre chose, qu’est-ce que cela te fait ? tu ne peux le considérer comme un manœuvre à la solde, puisque tes avances sont nulles ; mais moi je peux le considérer comme un ami et serviteur volontaire qui me rend mille petits services très profitables : copies de manuscrits, de lettres, comptes tenus en ordre, surveillance de détails auxquels je ne peux me consacrer sans perdre un temps précieux pour mon travail, je disais donc que tu aurais tort de lui reprocher cela, puisque j’en profite, et que tu ne peux trouver que très bien et très bon qu’on m’allège une partie des soins qui m’écrasent et auxquels ma santé ne suffit plus.

Je te disais aussi que j’étais prête à faire tous les articles que tu voudrais pour l’Illustration… Enfin je crois que je te parlais théâtre et que je te disais que je faisais un roman. J’ai fait le premier volume en quinze jours, des volumes de deux cent cinquante pages comme celles de cette lettre ! Je fais le deuxième volume qui sera fini à la mimai. Aussitôt après je me remettrai au théâtre. Je te disais aussi d’amener Rochery, quand tu voudrais, répète-le-lui. Le temps me manque pour lui écrire…

Manceau tâchait donc de préserver Mme Sand de tous les soucis matériels, en prenant sur lui les soins dont généralement dans les familles des grands écrivains se préoccupent leurs femmes ou leurs enfants. En même temps il faisait tout ce qu’il pouvait pour Maurice (comme nous le verrons encore plus loin par des lettres inédites de 1855, 1857 et 1858), Bien plus, en mourant, Manceau légua à son bien-aimé camarade tout son petit avoir. Cet homme au cœur simple comprenait les choses, comme on voit, autrement que bien des messieurs qui ne se souciaient pas de puiser à pleines mains dans la bourse toujours ouverte pour tous les nécessiteux et pour tous ceux dont les affaires étaient embrouillées, cette bourse de George Sand qui secourait d’innombrables amis recourant à son aide, et une quantité de personnes connues et inconnues vivant souvent à ses dépens. Manceau qui reçut pendant plusieurs années l’hospitalité à Nohant, non seulement l’en remercia par son travail, mais il crut encore de son devoir de donner à Maurice ce qu’il avait gagné pendant ces années, et toutes ses œuvres non vendues.

Après ce qui a été dit, il est simplement étonnant que Maurice Sand ait accepté ce labeur et ces soins rien que comme une chose due, et au lieu d’apprécier, aussi peu que ce soit, ce dévouement et tout ce que Manceau faisait pour lui, et souvent à sa place pour sa mère, il s’habitua à le traiter en homme à tout faire. Bien plus, s’autorisant de ces fonctions innombrables que Manceau assumait volontairement, il le traitait presque comme une sorte de domestique. Enfin, après la mort même de Manceau il en parlait comme d’un factotum d’un ton qui induisit en erreur beaucoup d’amis de George Sand. Ceux-ci commencèrent, d’après son dire, à parler de ce compagnon fidèle d’un ton presque méprisant. Il suffit toutefois de regarder le portrait de George Sand gravé par Manceau d’après le dessin de Couture, et ses autres œuvres, pour sentir son talent. C’est bien ainsi que le jugèrent tous les fervents de l’art qui l’approchèrent : les Goncourt, la princesse Mathilde[329], le comte d’Orsay (qui fut lui-même un sculpteur dilettante), Alexandre Dumas fils et beaucoup de critiques d’art contemporains. D’autre part ce serait une injustice impardonnable et un mensonge de la part du biographe de se contenter de se taire ou de dire quelques mots négligents sur son compte. Durant dix ans Manceau consacra sa vie à Mme Sand. Son dévouement, son attachement ne se démentirent jamais. Les lettres de Mme Sand, — les vraies et non les lettres tronquées, — disent de lui bien autre chose que ce que disait Maurice, ou l’aristocrate Solange, ou encore des personnes qui répètent, ce qu’elles n’avaient jamais ni vu, ni su. Manceau rappelait beaucoup ces personnages d’origine populaire que George Sand aimait tant à peindre dans ses romans : cœurs simples, spontanés, désintéressés et prêts à se sacrifier pour les autres. Ce qui fut plus important que toute la sollicitude de Manceau pour le bien-être matériel de Mme Sand, c’est qu’enfin elle trouva à ses côtés un homme qui pensait à elle plus qu’à lui-même, un cœur plein d’attachement sans bornes. N’oublions pas que Mme Sand lui dédia cinq de ses œuvres, nombre dépassé seulement par celles qu’elle dédia à son fils ; aucun autre de ses amis ne reçut d’elle tant de marques d’amitié.

La vie paisible passée à Nohant entre 1850 et 1855 vouée au travail (surtout à la littérature dramatique), aux spectacles improvisés ou joués par les camarades de Maurice, et les soins donnés à la petite Nini (lorsqu’elle y résidait, soudainement intégrée chez son aïeule par un brusque revirement d’idées de ses parents), vie rarement interrompue par des voyages périodiques à Paris pour les répétitions de ses nouvelles pièces, fut soudain brisée par la mort de cette petite Jeanne, survenue le 13 janvier 1855. Le chagrin plongea Mme Sand dans une torpeur, une prostration complète ; elle souffrit d’étouffements, abandonna tout travail, bien que durant toute sa vie elle trouva toujours en écrivant une consolation à ses maux.

La douleur ressentie par Mme Sand et sa fille après la mort de la pauvre petite fut grande, mais il ne faut pas s’exagérer l’importance des changements survenus par cette mort dans la manière de vivre de toute la famille. C’est ainsi que simultanément avec la lettre à Charton désespérée (imprimée dans la Correspondance), nous lisons dans une lettre inédite de Mme Sand adressée à Sully Lévy (qui avait envoyé une paire de gants blancs pour les mettre sous le moulage des mains de la petite défunte), les paroles suivantes, raisonneuses, s’accordant peu avec le ton ému de cette lettre de remerciements, étonnante dans la bouche d’une femme qui vient de perdre son petit enfant, et qui, selon son dire, est « hébétée par la douleur » :

… Je ne peux pas encore m’en consoler[330], j’en suis malade. On m’a saignée deux fois et je ne suis que faible, mais sans pouvoir éloigner l’idée fixe. Le temps et la volonté en viendront à bout, et je ne dis pas à Maurice, combien ce sera long et difficile. Il s’est beaucoup affecté aussi de ce malheur et de ceux qui l’ont accompagné.

Il n’est pas bien robuste et il a toujours été malade depuis notre retour de Paris. Il l’est encore depuis deux jours, aussi je le pousse vers l’Italie, dont il a vraiment besoin…

Dans sa lettre à Maurice, datée du 23 février, en racontant à son fils les observations qu’elle fit sur les sauts des salamandres dans le petit étang presque gelé, elle ajoute :

… Ton dîner chez le prince n’a pas dû être moitié si animé, et on n’a pas dû s’y permettre de pareilles cabrioles. Raconte-moi ce qu’on t’a dit d’agréable, et si le prince raconte des choses intéressantes de cette guerre. Est-ce vrai que l’empereur y va en personne ? je ne lis pas de journaux depuis quelques jours et d’ailleurs je pense bien que ce n’est pas un secret d’État. Je ne me porte pas mal, surtout aujourd’hui par ce beau temps.

Solange était-elle bien belle et bien peinte à ce dîner ?

Quand tu recevras ma lettre, tu auras sûrement fait des courses et vu du monde, écris-moi. Je suis dans la phase de bêtise et de tristesse où je voudrais voir les objets de mon affection du matin au soir…

Il est plus étonnant encore que, dès juillet, on recommença à Nohant les spectacles, comme on le voit par une lettre à Duvernet datée du 15 juillet ; et quoique Mme Sand dise qu’elle ne le fait que pour Maurice, il est étrange qu’elle put simplement songer en ce moment à « relever le moral » de Maurice, que Maurice ne s’abstint de ce passe-temps bruyant, par sollicitude pour sa mère, et enfin que cela ne fût pas insupportable à cette dernière. Nous avons dit aussi dans le chapitre vi du précédent volume que l’écho littéraire de l’état d’âme de George Sand après la mort de sa petite-fille, ce morceau intitulé : « Après la mort de Jeanne Clésinger » qui fait partie des Souvenirs et idées, nous semble justement trop littéraire et il est incompréhensible que la vraie douleur se soit exprimée d’une manière aussi réfléchie et sous la forme d’images aussi jolies, usuelles à la fantaisie créatrice d’un écrivain.

Quoi qu’il en soit, Maurice, inquiet pour la santé de sa mère et désirant lui-même faire un séjour dans le Midi, lui suggéra l’idée de voyager et de quitter temporairement Nohant[331]. Mme Sand donne à Victor Borie le détail suivant, qui ne manque pas de valeur biographique et caractérise la manière d’être de ceux qui entouraient alors Mme Sand. Elle affirme ne pas pouvoir accepter les conditions offertes par la Revue de Paris, avec laquelle Borie était en pourparlers, étant trop gênée pour le moment sous le rapport financier, elle ajoute :

Je me prépare au départ pour Paris et l’Italie. Sans Manceau, qui me prête sa pauvre petite bourse, il me serait bien impossible de bouger avec tout ce que j’ai à payer avant de partir. Ce qui m’effraye ce n’est pas d’être sans le sou, j’y suis habituée ; c’est de me sentir incapable de travailler depuis la mort de cet enfant. Si je restais comme cela, il me faudrait pourtant bien secouer le fardeau qui pèse sur mes épaules… Maurice part, je crois, après-demain…

Le 23 février elle annonce à Maurice, déjà parti à Paris, que :

Manceau, qui a définitivement fini son image, commence à ranger, écrire, étiqueter tout ce qu’il faut mettre en ordre pour le départ. Je l’aide et nous ne tarderons pas à te rejoindre…

Le 26 elle lui dit :

Cher enfant, nous partons toujours le 28, la malle pour l’Italie est faite, je fais demain celle pour Paris afin de n’avoir pas à refaire des paquets…

Le 28 février 1855 George Sand et Manceau quittèrent donc Nohant, Maurice les rejoignit à Paris et, tous les trois, gagnèrent le Midi de la France, puis l’Italie, Mme Sand visita de nouveau Nîmes, Marseille, Toulon, et, par Gênes, Pise, se rendit à Rome et séjourna assez longuement aux environs de Frascati. Maurice ne resta que peu de temps, il fit un tour en Suisse et dans le Dauphiné, après quoi il alla chez son père à Guillery où il demeura jusqu’en juillet ; Mme Sand et Manceau quittèrent Frascati le 20 mai, ils revinrent par la Spezzia, Gênes et passèrent quelques jours à Paris afin de s’entendre avec des éditeurs et des directeurs de théâtre[332] avant de rentrer à Nohant.

Le changement d’air, le pays étranger, les œuvres d’art, les impressions surtout de la vie italienne, très différentes de celles de son premier voyage (1833-34), aidèrent Mme Sand à combattre son chagrin. C’est en Italie qu’elle se remit au travail. D’autre part l’intensité même de sa douleur lui fit recevoir avec calme la nouvelle de la mort de son ami le Malgache (Jules Néraud), survenue en avril 1855. Elle avait, selon son ancienne habitude, collectionné pour lui des plantes rares aux environs de Marseille et de Rome. Dans sa lettre à Ernest Périgois, gendre de Jules Néraud — (marié à sa fille Angèle et devenu vers cette époque l’ami de toute la famille Sand) — Mme Sand disait qu’avant de partir en Italie elle avait relu les lettres de son cher Malgache et que l’idée lui était venue d’en publier une partie, avec son autorisation, comme appendice à l’Histoire de ma vie.

Dans sa Correspondance imprimée et dans son Histoire, George Sand dit que lors de sa double douleur le livre de Jean Reynaud Terre et Ciel[333] lui fut d’une grande consolation. Les doctrines philosophiques de l’auteur se rattachaient aux doctrines qui avaient régné sur son esprit et la firent revenir à son point de départ, la philosophie de Leibnitz. Ce qui lui fut précieux dans le livre de Reynaud ce sont les preuves de l’immortalité de l’âme, la doctrine du développement progressif, de l’ascension graduelle de chaque âme individuelle, c’est-à-dire l’immortalité personnelle et les étapes par lesquelles passe chaque âme pour se rapprocher du Principe Divin. Cette croyance adoucit la douleur aiguë de la double séparation qu’elle venait de subir. Que de deuils depuis 1848 ! Hippolyte Chatiron, Chopin, la tante Maréchal, Gabriel de Planet, la petite Jeanne et Néraud[334]. Et si Mme Sand, cruellement éprouvée par les douleurs personnelles aussi bien que par les événements politiques, put supporter, coup sur coup, ces deux morts, ce fut grâce à sa croyance d’être réunie un jour à ses chers disparus. Répétons-le, le livre de Reynaud lui fut d’un grand secours.

Nous retrouvons aussi le reflet des idées de Reynaud et surtout de sa théogonie dans une œuvre de George Sand qu’on devrait passer sous silence par respect pour l’écrivain, tellement elle est médiocre ; son excessive étrangeté et la cause qui la fit écrire arrête pourtant notre attention. Agricol Perdiguier, réfugié à Genève après le coup d’État de 1851, recherchait des moyens d’existence. C’est alors qu’il s’adressa à George Sand au nom de l’éditeur Collier. Celui-ci affirmait son droit de priorité sur le titre inventé par lui pour une série d’études romantiques : les Amants illustres. Il était aussi fier de cette invention que s’il avait découvert la vapeur ou l’électricité. Perdiguier pria George Sand d’écrire une série d’histoires amoureuses ; si elle y consentait, en sa qualité d’intermédiaire, il devait gagner quelques sous. On devait consacrer chaque volume à l’histoire de deux amants illustres : Agnès Sorel et Charles VII, Marie Stuart et Rizzio, Héloïse et Abélard, Antoine et Cléopâtre, etc., etc., etc. Mme Sand entreprit ce travail à Nohant, à son retour d’Italie, et comme elle n’avait sous la main ni matériaux ni renseignements nécessaires, M. Paulin Limayrac se chargea du travail préparatoire, Il devait compulser les bibliothèques de Paris, faire des résumés, copier des citations, et envoyer tout cela à Nohant. Avec tout ce fatras de notes, George Sand devait créer une œuvre homogène et artistique. De plus, elle situa le premier roman de cette série — Evenor et Leucippe — à l’époque des premiers hommes. C’était encore tenter l’impossible. Soit que l’œuvre fût trop remplie de géologie, de biologie, etc., alors qu’elle devait être toute romanesque, soit que justement cette époque préhistorique n’ait pas été traitée et reconstruite assez scientifiquement, le résultat fut que le roman fut manqué. Il est aussi incroyable qu’ennuyeux. C’est la seule œuvre de George Sand que nous ayons lue avec une sorte d’ennui mêlé de dégoût. C’est une bouillabaisse de faits scientifiques, d’êtres mythologiques, d’une idylle dans le goût de Daphnis et Chloé, d’interminables élucubrations philosophiques sonnant faux, parce qu’elles sont mises dans la bouche des hommes… antédiluviens. Parfaitement ! des premiers hommes, car Evenor et Leucippe ne sont autres qu’Adam et Ève présentés de façon nouvelle. Dans une première esquisse ils apparaissaient même sous leurs vrais noms. Nous préférons la version biblique, naïve et colorée.

Dans la préface d’Evenor et Leucippe, George Sand donne un résumé serré et précis de l’histoire cosmique de la terre et de tous les cataclysmes qu’elle subit pendant des milliards d’années. Nous préférons, aussi, étudier cette histoire dans des ouvrages de géologie et non dans un roman. On trouve là l’écho de l’enthousiasme de Mme Sand et de Maurice pour les études géologiques et minéralogiques aussi bien que pour les autres sciences naturelles.

Puis, passant à la genèse et à la propagation de la vie organique sur la terre, l’auteur fait un peu de polémique contre Darwin, n’admettant pas que nous puissions avou* pour ancêtres des quadrumanes. Plus loin encore, George Sand émet ses opinions sur l’immortalité de l’âme et l’aptitude de la nature humaine à toujours progresser.

Puis, brusquement, elle commence l’histoire la plus ennuyeuse parmi les ennuyeuses et la plus incroyable parmi les incroyables.

Evenor, ce nouvel Adam, n’est pas le premier homme, non ! c’est l’enfant d’une peuplade quelconque qui existait déjà à l’époque où la Terre subissait encore les convulsions de sa formation. Evenor-Adam n’est pas un jouvenceau créé subitement, c’est un enfant qui grandit comme tous les autres enfants, il jouit d’une certaine autorité parmi ses camarades, cette autorité est d’autant plus grande qu’Evenor est l’inventeur de la langue parlée. Il nomme par leur vrai nom tant de choses que son papa et sa maman ne peuvent pas encore nommer, qu’il finit par s’enorgueillir et fait preuve d’autorité sur ses camarades ; lorsque certains lui refusent obéissance, il en est si vivement offensé qu’il s’enfuit, abandonne sa peuplade et se réfugie dans un désert. À notre époque de tels garçonnets, « point appréciés » par leurs copains, après avoir proféré la menace de s’en aller chez les Peaux-Rouges ou chez les Boërs, reviennent généralement au bout de peu de temps, remis à la raison par l’heure du dîner. Il est probable qu’Evenor aurait suivi leur exemple. Mais, hélas ! il vivait à l’époque antédiluvienne ou ternaire, nous ne savons pas au juste ! Il ne peut pas revenir : un cataclysme survient et le vallon d’où il avait fui se trouve obstrué par des rochers écroulés, un volcan surgit, la mer se déplace, et Evenor reste seul dans un désert. Privé de toute « communion avec les hommes » (pour avoir péché en se séparant volontairement de ses semblables, il doit expier par une espèce de réclusion solitaire), peu à peu il devient sauvage, oublie la parole et redevient un primitif. C’est alors qu’il rencontre une jeunesse, Leucippe. Celle-ci ne vit pas seulette — ça ne serait pas décent pour une jeune fille des temps antédiluviens — mais bien sous la tutelle d’une vieille duègne… pardon ! d’une vieille dive ! Avant les hommes, la terre avait été habitée par la race des dives, êtres mystérieux, obéissant à Dieu, espèces de voyants vivant sans passions jusqu’à deux cents ans, supportant la vie et acceptant la mort avec la même résignation. Cette dive, du nom de Télia, entreprend l’éducation d’Evenor et Leucippe et finalement bénit leur union. Nous supposons qu’au temps lointain des haches de silex ou de bronze on goûtait aux fruits de l’arbre du bien et du mal fort simplement. Or, la dive trouve indispensable de « préparer les âmes » de ses disciples en leur débitant une telle profusion d’élucubrations philosophiques et nébuleuses qu’il fallait être un androïde de l’ « âge de pierre » pour les entendre. Quant à les lire au vingtième siècle sans dégoût, impossible ! Nous ne suivrons pas Evenor et Leucippe dans leurs extraordinaires et horripilantes aventures qui tendent toutes à faire vaincre l’égoïsme d’Evenor et à le faire rentrer dans la « communion » avec le reste de l’humanité. Or, cette race humaine, divisée en trois tribus (comme dans la version biblique) avait été en proie aux guerres civiles, sous la néfaste influence de l’orgueilleux Sat et du non moins criminel Mos. L’arrivée de la douce et aimante Leucippe les réconcilie tous et « tout rentre dans l’ordre accoutumé ».

On ne peut pas comprendre comment l’auteur de l’alerte et spirituel Diable aux champs ou des Maîtres sonneurs respirant la fraîcheur des bois non paradisiaques, mais bien berrichons, a pu écrire cette œuvre où les hommes préhistoriques parlent comme des beaux esprits de salon, où notre vieil Adam, naïf et un peu bêta, apparaît sous les traits d’un bachelier es lettres et la gentille petite Ève à la fois comme une précieuse, pédante et une ingénue de théâtre.

George Sand jugea fort équitablement cette œuvre étrange en disant dans son avant-propos : « Elle peut paraître aux uns trop remplie de données scientifiques, aux autres trop fantastique. » Nous disons, à notre tour, qu’elle pêche par les deux côtés, mais surtout qu’elle appartient au genre prohibé par Diderot, étant justement du genre… ennuyeux.

Ayant ainsi commencé cette série de romans par celui d’Adam et d’Eve, George Sand n’alla pas plus loin. M. Paulin Limayrac refusa sa collaboration, voyant qu’il aurait trop à faire, et Mme Sand n’insista probablement pas sur la continuation de ce travail en commun, reconnaissant que cette manière d’écrire ne lui convenait pas.

Quant à l’idée générale de ce roman c’est le thème favori et perpétuel de George Sand : la purification, l’élévation d’un être par l’amour. Mais prêter un langage philosophique aux êtres de l’âge d’or, c’est faire renaître le maniérisme suranné des romans de Mlle de Scudéry.

Disons à ce propos que les romans de Mlle de Scudéry ont quelque rapport avec une autre œuvre de George Sand, écrite un peu ultérieurement — avec les Beaux Messieurs de Bois-Doré[335]. L’étude des visions berrichonnes et des légendes se rattachant à toutes les mares, forêts, tours et châteaux des environs de Nohant conduisit George Sand à écrire, entre autres, deux romans dont l’action se passe en Berry ; l’un de ces deux romans est tout fantastique, les Dames vertes[336], où l’on voit apparaître des revenants ; l’autre, les Beaux Messieurs de Bois-Doré — l’un des peu nombreux romans liistoriques de George Sand — peignant avec beaucoup de verve, d’esprit et de finesse l’époque transitoire entre les mœurs austères des chevaliers du moyen âge et les mœui^s des nobles de la cour de Louis XIII, lorsque sous l’influence de la mode et de l’amour naissant pour la culture intellectuelle se propagea la passion du bel esprit et des romans, entre autres de ceux de Mlle de Scudéry et de l’Astrée d’Urfé. C’est à cette époque que les gentillâtres simples et brutaux se changèrent en de mélancoliques et bucoliques rêveurs, soupirant après le pays du Tendre, et devinrent, sans s’en apercevoir eux-mêmes, grâce à l’influence de ces lectures, plus policés et plus humains.

Un autre roman de Mme Sand paraît avoir un rapport secret avec la série des Amants illustres, c’est Elle et lui[337], il présente la réalisation de l’idée de Musset « d’écrire un jour l’histoire de leur amour qui sera aussi connue que l’histoire de Roméo et Juliette, d’Héloïse et Abélard »[338]. Or, la série des Amants illustres devait aussi comprendre l’histoire d’Héloïse et d’Abélard. Il est fort possible, qu’indépendamment de la mort de Musset survenue en 1857, lorsque George Sand avait mentalement tracé le plan de cette série de romans, il lui était venu alors, par association d’idées, la pensée de raconter cette histoire amoureuse.

Nous avons dans notre volume II assez parlé d’Elle et lui ainsi que de la préface de Jean de la Roche[339] où George Sand avait avec tant de dignité répondu à ses ennemis et spécialement à Paul de Musset. Jean de la Roche appartient à la série de romans de Mme Sand se rattachant à l’histoire naturelle ; nous en parlerons tout à l’heure. Mais n’anticipons pas sur les événements et revenons à 1855.

Mme Sand revint d’Italie avec une ample provision d’observations et d’impressions de deux genres très différents. D’une part les fleurs d’Italie éveillèrent l’intérêt de l’écrivain déjà revenu à cette époque à la passion de ses jeunes années : la botanique, les sciences naturelles ; au fond, elle ne leur avait jamais été infidèle. Mais à partir de 1855 elle se met avec ardeur à herboriser, à définir et à classer les spécimens des végétaux divers trouvés par elle, Maurice ou Manceau, à les dessiner, à transplanter dans le jardin de Nohant, dans le but de les acclimater, des fleurs, des arbres les plus divers poussant dans les alentours à l’état sauvage, ou des plantes exotiques, pour observer les changements opérés par la culture, etc., etc., etc. Dès lors George Sand adresse continuellement à ses correspondants la demande de lui trouver, d’apporter ou d’envoyer un exemplaire de tel ou de tel autre genre ou famille de plantes croissant « probablement » dans leur pays, ou bien elle remercie ses correspondants pour l’envoi d’une de ces plantes. C’est aussi à partir de ce temps qu’elle tâche de soutenir le moral de ses amis ou amies, frappés par quelque épreuve sentimentale ou de quelque malheur personnel, en leur suggérant le goût des sciences naturelles, ayant acquis par expérience la conviction que c’est en ne se permettant pas l’analyse de son propre moi et en contemplant la nature qu’on trouve le meilleur remède moral. On lit dans les lettres de George Sand à différentes personnes, mais surtout dans ses lettres à Mme Amould-Plessy, à Solange, à M. Henri Amic, Francis Laur, et autres, des conseils et des indications sur ce qu’il faut faire et comment il faut s’y prendre. Cette pensée directrice apparaît dans beaucoup de romans de George Sand écrits durant cette période de sa vie, tels que : Flavie, Artonia, Valvèdre ; nous en trouvons aussi l’écho dans Jean de la Roche. Mais des réminiscences de botanique, de minéralogie, d’entomologie et de géologie se laissent en général noter dans presque toutes les œuvres de Mme Sand à partir de cette époque et jusqu’à ses derniers jours : roman, drame (par exemple le Lis du Japon tiré d’Antonia) ou même conte pour ses petits-enfants. C’est aussi un écho de cette passion pour la botanique et des impressions italiennes de 1855 que présentent les articles : la Villa Pamphili, les Jardins en Italie, les Bois, Giovanni Freppa et les maïoliques florentines[340]. »

D’autre part c’est la Daniella qui est comme le résumé des souvenirs de son séjour à Rome et à Frascati aussi bien que de ses observations sur les mœurs italiennes. Et on peut conclure, en lisant les articles précités ainsi que ce roman, que les impressions italiennes de George Sand furent plutôt négatives.

Dès son premier voyage en Italie avec Musset, George Sand avait avoué qu’elle était souvent lasse d’admirer les marbres antiques et qu’une petite fleur modeste ou l’eau glacée d’une fontaine lui donnaient plus de joie que les œuvres d’art. Cette note-là, plus accentuée encore, se retrouve dans les lettres de George Sand datées du second voyage italien, en 1855 :

Frascati, mars 1855.

… D’ailleurs, Rome, à bien des égards, est une vraie balançoire ; il faut être ingriste pour aimer et admirer tout, et pour ne pas se dire, au bout de trois jours, que ce qu’on a à voir est absolument pareil à ce qu’on a déjà ti sous le rapport de l’aspect, du caractère, de la couleur et du sentiment des choses. Ensuite, on peut entrer dans le détail des ruines, des palais, des musées, etc., et, là, c’est l’infini ; car il y en a tant, tant, tant, que la vie d’un amateur peut bien n’y pas suffire. Mais, quand on n’est qu’artiste, c’est-à-dire voulant vivre de sa propre vie, après s’être un peu imprégné des choses extérieures, on ne trouve pas son compte dans cette ville du passé, où tout est mort, même ce que l’on suppose encore vivant.

C’est curieux, c’est beau, c’est intéressant, c’est étonnant ; mais c’est trop mort, et il faudrait savoir sur le bout des doigts, non seulement ce fameux livre de Rome au siècle d’Auguste, mais encore l’histoire de Rome à toutes les époques de son existence ; il faudrait vivre là dedans, l’esprit tendu, la mémoire mirobolante et l’imagination éteinte.

Il fut un temps, sous l’Empire, où l’on s’asseyait sur le tronçon d’une colonne, pour méditer sur les ruines de Palmyre ; c’était la mode, tout le monde méditait. On a tant médité, que c’est devenu fort embêtant et que l’on aime mieux vivre. Or, quand on a passé plusieurs journées à regarder des urnes, des tombeaux, des cryptes, des colombarium, on voudi’ait bien sortir un peu de là et voir la nature. Mais, à Rome, la nature se traduit en torrents de pluie jusqu’à ce que, tout d’un coup, viennent la chaleur écrasante et le mauvais air. La ville est immonde de laideur et de saleté ! c’est La Châtre centuplée en grandeur ; car c’est immense et orné de monuments anciens et nouveaux qui vous cassent le nez et les yeux à chaque pas, sans vous réjouir, parce qu’ils sont étouffés et gâtés par des amas de bâtisses informes et misérables. On dit qu’il faut voir cela au soleil ; je ne dis pas non, mais il me semble que le soleil ne peut pas raccommoder ce qui est hideux.

La campagne de Rome si vantée est, en effet, d’une immensité singulière, mais si nue, si plate, si déserte, si monotone, si triste, des lieues de pays en prairies, dans tous les sens, qu’il y a de quoi se brûler le peu de cervelle qu’on a conservée après avoir vu la ville…[341]

Frascati, 14 avril 1855.

…La nature y est belle, surtout jolie ; car ne croyez pas un mot de la grandeur et de la sublimité des aspects de Rome et de ses environs. Pour qui a vu autre chose, c’est tout petit ; mais c’est d’un coquet ravissant. Entendons-nous pourtant, c’est le petit dans le grand ; car cette campagne romaine, tout unie, est immense comme une mer environnée de montagnes. Mais les détails, les ruines, les palais, les églises, les collines, les lacs, les jardins, tout cela paraît hors de proportion avec la scène qui les continue.

…Le jour de Pâques a été aussi un beau jour très chaud ; nous l’avons passé à Rome, où nous avons reçu la bénédiction urbi et orbi. C’est une cérémonie très vantée, mais qui n’est pas miso eu scène avec art. Le goût français manque à toute chose, ici comme ailleurs. La nature s’en moque. Elle nous prodigue les fleurs que l’on cultive dans nos jardins avec respect. Ici, en plein désert, on marche sur le réséda, sur les narcisses, sur les cyclamens et mille autres fleurs adorables dont je vous fais grâce, à vous qui ne connaissez que les tulipes[342]

…Ici tout est différent, depuis a jusqu’à z, de ce qui est chez nous. Hommes et bêtes, coutumes, idées, besoins, terre, plantes, air, c’est uu autre monde. Je ne sens pas la puissance de séduction de ce pays autant qu’on me l’avait annoncé. Trop de choses sont en désaccord avec notre manière de voir et de sentir ; mais je reconnais qu’il est bon de l’avoir vu, ne fût-ce que pour aimer davantage cette douce France au ciel gris, où les hommes, si peu hommes qu’ils soient, sont encore plus hommes que partout ailleurs…

Même en ce qui regardait la nature italienne, la flore, les effets de lumière et d’ombre, Mme Sand ne partageait pas les admirations et les enthousiasmes reçus des « italianomanes ». Selon elle la flore — ou plutôt les arbres dans le sens exact du mot « sont durs, âpres de tons, trop gigantesques ; les plantes vertes ne sont pas doucement balancées par la brise, mais seulement secouées par les tempêtes, les troncs de cyprès ressemblent aux colonnes en faisceaux des cathédrales, les oliviers, les lauriers, les raja-tes et les orangers — tout cela manque de grâce, de douceur, est trop dur de ton et de lignes, comparé à la flore de l’Europe centrale ». George Sand le répète sur tous les tons dans ses articles les Bois et la Villa Pamphili. Seules les fleurs d’Italie la ravissaient, les sauvages comme celles qu’on cultivait dans les jardins, et elle en parle avec admiration dans le dernier de ces deux articles, dans les pages intitulées les Jardins en Italie et dans ses lettres privées. Dans ce dernier article elle décrit encore avec beaucoup de sympathie ces fantaisies du dix-huitième siècle qui sont restées à peu près intactes dans les jardins des villas romaines : « ruines », cascades et cascatelles, lacs artificiels et arbres chantants, escaliers gigantesques menant à quelque papillon minuscule, grottes, portiques, colonnades, etc., etc. Il est évident que toutes ces bâtisses et tous ces ornements si naïvement romantiques avaient fait vibrer la corde sensible de George Sand, son amour de tout ce qui était quelque peu empreint d’un romantisme d’opéra. Au contraire elle resta froide à l’égard de l’antiquité classique, et en décrivant Rome et ses monuments avec une dose très visible de critique et de scepticisme, elle parle avec enthousiasme de toutes ces villas, ces palais abandonnés et ces ruines aux environs de Frascati et Albano où elle passa quelques semaines avec Maurice et Manceau.

… Mais ! mais, quand on est sorti de cette immensité plate, quand on arrive au pied des montagnes, c’est autre chose. On entre dans le paradis, dans le troisième ciel. C’est là que nous sommes.

… Le lieu où nous sommes est si beau, si étrange, si curieux, si sublime et si joli en même temps, que j’en aurai pour toute une saison à te raconter. Réjouis-toi donc de notre fortune présente ; car nous sommes enfin payés de nos fatigues et de nos déceptions, payés avec usure. Tu peux lire ma lettre à Solange. Tu sauras comment nous sommes campés ; mais nos promenades, rien ne peut en donner l’idée. C’est à chaque pas une découverte. Aujourd’hui, par exemple, nous avons passé la journée dans un immense palais entièrement abandonné au haut d’une colline. J’ai pensé à toi, mon petit Lambert. Ah ! qu’on serait heureux d’être riche et d’associer tous ses enfants aux Tais plaisirs que l’on rencontre. Que de souterrains, que de fleurs, que de ruisseaux, de cascades, d’arbres monstrueux, de ruines, de cours abandonnées, de rocailles brisées, de statues sans nez, d’herbes folles, de mosaïques couvertes de gazon et d’asphodèles ! C’est à en rêver ; et des galeries et des escaliers sans fin qui s’en vont du ciel au fond de la terre, un tas de constructions inexplicables, les vestiges d’un luxe insensé ensevelis sous la misère ; et tout cela au sommet d’un panorama de montagnes, de terres, de mers à donner le vertige. C’est trop beau[343].

Toutes ces ruines romantiques et les villas frascatanes : Piccolomini, Taverna, Falconieri, Mondragone, George Sand les décrivit dans son roman la Daniella.

Quant aux impressions de la vie et des mœurs italiennes, Mme Sand, malgré toute sa sensibilité artistique et son don d’observation, regardait tout ce qui se déroulait devant elle avec un certain parti-pris empreint des doctrines émancipatrices du dix-huitième siècle et de celles de Leroux. Au lieu de simplement noter sur le vif les mœurs, les particularités pleines de couleur, les us et coutumes de la population et des hautes classes italiennes, ou de s’extasier sur la beauté des pierres antiques, George Sand introduisit d’emblée dans ses observations un élément de douleur et d’indignation « civique » sur le « paganisme » et le « cléricalisme » ; elle vit dans la misère, la paresse, la malpropreté et les superstitions demi-païennes des méridionaux, les fruits de la domination des « calotins » ; elle attribua à tout le peuple la filouterie, la mendicité, la fainéantise et l’avidité des bas-fonds urbains, qui sont surtout en rapports avec les étrangers ; elle se déclara indignée par la promiscuité des ruines antiques avec les haillons pittoresques et les banales demeures modernes des indigents romains, et, selon le proverbe russe, « elle ne vit pas la forêt pour avoir trop regardé les arbres » : elle ne sentit pas le parfum de cette vraie antiquité de la Ville éternelle, son immuabilité au milieu de cette accumulation incomparable de tous les styles, de toutes les époques, de tous les siècles, dont chacun éprouve l’enchantement sur les ruines du Forum, dans la basilique de San Paolo fuori le mura, à San Pietro in Montorio, sur l’arène du Colisée, dans quelque palais romain du moyen âge ou sous les voûtes de l’édifice colossal de Bramante. Et ce parti-pris se refléta dans ce roman où nous est raconté l’amour romanesque du peintre Jean Valreg pour une certaine stiratrice du nom de Daniella, c’est-à-dire simplement pour une blanchisseuse frascatane, histoire compliquée par la jalousie de l’ex-maîtresse de ladite stiratrice, miss Médora, et les aventures fantastiques du libre-penseur italien comte de Monte-Corona, que la police papale poursuit, ainsi que Valreg. Les impressions négatives, produites sur l’auteur par la vie italienne contemporaine se reflétèrent tellement dans la Daniella que, lorsque ce roman parut, le vieil ami de Mme Sand, Luigi Calamatta, lui adressa des reproches, lui disant qu’il s’étonnait comment elle pouvait, d’une part, ne pas comprendre les beautés du Colisée et de tous les merveilleux monuments antiques, et, d’autre part, attaquer la malheureuse Italie opprimée, souffrant sous le double joug : étranger et clérical. George Sand répondit immédiatement à Calamatta par la lettre pleine de signification que voici :

Nohant, 6 avril 1867.

Tu ne sais pas ce que tu dis avec ton Colisée, ton forum, ton grand peuple et ton cri de vengeance que l’on doit crier sur les toits. Je te passe ton goût d’artiste, c’est ton droit, et je ne dispute pas arec ceux qui ont leur puissance (une véritable puissance) dans leur point de vue. Je serais bien fâchée de les ébranler, si je le pouvais, et, comme je ne le peux pas, mes notions et mes instincts, cà moi, sont le droit de ma thèse, sans aucun danger ni dommage pour ceux qui sont forts avec la thèse contraire.

Quant à ce que je devais dire sur les martyrs de la cause, je l’ai dit ; mais cela doit rester dans le tiroir jusqu’à nouvel ordre. Tu crois donc que l’on est libre de dire quelque chose ? Je te trouve beau, toi, avec tes mains dans tes poches, sur le pavé de Bruxelles ! J’ai essayé, au dernier chapitre du roman, de faire pressentir quelque chose de ma pensée ; mais il n’est pas dit encore que cela passe.

Trois lignes sur Lamennais ont été coupées à propos des capucins de Frascati, chez lesquels il avait demeuré, et pourtant la Presse fait son possible pour laisser vivre le rédacteur ; ma ! nous sommes dans le royaume de la mort !

Donc, puisque l’on ne peut parler de ce qui, à Rome, est muet, paralysé, invisible, il faut éreinter Rome, ce que l’on en voit, ce que l’on y cultive, la saleté, la paresse, l’infamie. Il ne faut faire grâce à rien, pas même aux monuments qui consolent les stupides touristes, faux artistes sans entrailles, sans réflexion, sans cœur, qui vous disent : « Qu’est-ce que ça fait, les prêtres et les mendiants ? ça a du caractère, c’est en harmonie avec les ruines, on est très heureux ici, on admire la pierre, on oublie les hommes. »

Eh bien non, je ne veux rien admirer, rien aimer, rien tolérer dans le royaume de Sat^n, dans cette vieille caverne de brigands. Je veux cracher sur le peuple qui s’agenouille devant les cardinaux. Puisque c’est le seul peuple dont il soit permis de parler, parlons-en ! celui dont on ne parle pas est hors de cause. Si quelqu’un prend, grâce à moi, Rome, telle qu’elle est aujourd’hui, en honneur et en dégoût, j’aurai fait quelque chose. J’en dirais bien autant de nous, si on me laissait faire ; mais on a les mains liées, et je n’insiste jamais, pour que d’autres s’exposent à ma place.

Et puis, d’ailleurs, nous autres Français, nous ne sommes jamais si laids qu’un peuple dévot et paresseux. Nous nous trompons, nous nous grisons, nous devenons fous. Mais pourrait-on, faire de nous ce que l’on a fait de Rome ? Chi lo sa ? peut-être ! Mais nous n’y sommes pas.

Il est donc bon de dire ce qu’on devient quand on retombe sous la soutane, et j’ai très bien fait de le dire à tout prix. Cela doit fâcher des cœurs italiens ; s’ils réfléchissent, ils doivent m’approuver[344].

Mais presque simultanément, précédant de peu de jours la lettre privée de Calamatta à Mme Sand, parut dans le Siècle un article d’Anatole de La Forge qui adressa à ]lme Sand une lettre ouverte au nom de MM. Henri Martin, Manin, Ary Scheffer, du général Ulloa et autres. Ces messieurs déclaraient leur chagrin à propos des expressions dont George Sand s’était servie en parlant de l’Italie, George Sand répondit sur-le-champ par une lettre adressée au directeur politique du Siècle, M. Havin, et envoya une copie de cette lettre à Charles Edmond, pour l’imprimer dans la Presse. Dans sa lettre inédite du 14 mars 1857 à ce même Charles Edmond, nous trouvons à ce propos les lignes suivantes :

Cher ami, je vous envoie ci-contre la copie d’une lettre que je vous prierai de faire insérer dans la Presse, dès que le Siècle l’aura publiée, et même avant, si le Siècle, qui ne m’aime pas du tout, tarde trop à faire son devoir. J’y ai joint un en-tête, note explicative que vous arrangerez ou retrancherez si vous le jugez à propos, mais qui me paraît cependant utile pour préciser la question. Vous voyez qu’on m’attaque beaucoup parce que je me suis permis de dire la vérité sur l’état de la population romaine, et que l’on veut sottement me faire crime de ce dont on devrait me faire un remerciement. J’ai eu le courage de dire ce que l’Église fait des hommes qu’elle gouverne spirituellement et politiquement, et de protester contre les touristes sans entrailles qui pardonnent à l’abaissement de la race humaine, à cause de la beauté de l’air et des pierres, du pittoresque des haillons et de la mise en scène pontificale (choses souillées ou ratées bien réellement).

Il devient donc bien nécessaire que nous nous entendions au phis vite sur le résumé de hi fin et que vous me le laissiez aussi entier que possible. Autrement vous me livreriez aux bêtes, et vous êtes trop chevalier slave pour le vouloir.

Cependant si vous croyez pouvoir me donner plus de liberté en mettant en note que vous n’endossez pas, en tant que journal (opinion collective) la responsabilité de mon dire, vous ne me fâcherez pas : faites.

Émile[345] a dû vous voir pour nos affaires. Je travaille donc toujours pour vous[346] ; à vous de cœur.

G. Sand.

Ne négligez pas de me répondre pour cette conclusion du roman, il le faut absolument.

Quant à sa lettre même, adressée aux journaux, elle est ainsi conçue :

À Monsieur Havin, directeur politique du « Siècle »

Monsieur,

Veuillez me permettre de dire, dans votre honorable journal, que si MM. Henri Martin, Manin, Ary Scheffer et le général Ulloa pensaient avoir un reproche à m’adresser, ils ne se fussent pas servis de la plume d’un intermédiaire. Je connais assez leur loyauté pour être très certaine qu’ils n’ont chargé personne de la rédaction d’un manifeste contre moi.

En ce qui touche particulièrement M. Henri Martin, qui veut bien m’honorer depuis longtemps de son amitié, j’affirme qu’une discussion affectueuse et réfléchie m’eût été présentée par lui dans une lettre particulière, sans jamais prendre la forme d’un procès de tendance à la voie des journaux.

Je n’ai donc point à répondre à la lettre de votre correspondant, et je me fie à votre délicatesse pour l’insertion immédiate de la mienne dans les colonnes du Siècle.

Agréez, monsieur, l’expression de mes sentiments très distingués,

George Sand.
Nohant, 14 mars 1857[347].

En réponse à ces lignes vint de la part de MM. Manin, Ulloa et Ary Scheffer la confirmation d’avoir en effet chargé M. de Laforge de donner voie à leur protestation. Alors George Sand fit paraître, toujours dans le Siècle, une seconde lettre adressée cette fois directement à MM. Manin, Ulloa et Ary Scheffer.

Messieurs,

Puisque vous avez cru devoir signer la déclaration suivante publiée dans le Siècle :

a Nous déclarons avoir autorisé M. Anatole de la Forge à exprimer nos regrets à Mme Sand, à propos des expressions dont elle s’est servie en parlant de l’Italie. »

Permettez-moi de vous demander s’il vous convient de signer la déclaration complète.

À savoir qu’il résulte de la lecture entière du roman intitulé la Daniella.

« Que les opinions de Mme Sand ont subi une triste métamorphose ; qu’elle insulte à l’infortune d’un peuple opprimé ; qu’elle prête l’appui de sa plume aux détracteurs de l’Italie ; qu’elle ajoute sa signature au bas de l’acte d’accusation que dressent contre l’Italie d’aveugles et injustes persécuteurs ; que les amis de l’Italie sont affligés de la rencontrer dans les rangs de ses adversaires ; enfin, que de gaieté de cœur, elle lance l’outrage aux fronts sur lesquels elle devrait placer des couronnes. »

Vous devez, messieurs, cette déclaration à M. Anatole de la Forge, ou vous me devez, à moi, une réparation d’honneur. Ce n’est pas parce que je suis une femme que vous auriez bonne grâce à me la refuser.

Mais s’il vous plaît d’assumer la responsabilité des expressions dont s’est servi votre interprète en parlant de moi, et de faire connaître que ses sentiments sur mon compte sont les vôtres, je me le tiendrai pour dit et ne répondrai pas un mot, n’ayant plus alors qu’à pardonner une horrible injustice à des hommes qui ont beaucoup fait, l’un pour son art, les autres pour leur patrie.

Ce silence et ce pardon seront de ma part une justification plus frappante que des paroles. Les cœurs droits n’y verront point une fin de non-recevoir, mais un acte de respect envers vous, aussi bien qu’envers moi-même.

Agréez, Messieurs, l’expression de mes sentiments très distingués.

George Sand.
Nohant, 19 mars 1857.

Ce même jour, le 19 mars, elle écrit à Charles Edmond :

Cher ami, vous ne m’écrivez pas, vous m’envoyez mes épreuves sans dire ce que vous comptez retrancher. Vous ne pouvez, sans me blesser et m’affliger beaucoup, me laisser désarmée devant l’insulte que m’infligent MM. Manin, Ary Scheffer et Ulloa. Je vous prie donc de ne rien retrancher de ce que je marque au crayon, ou je serai forcée de sommer le Siècle, qui ouvre ses colonnes à l’outrage, de publier le chapitre à ses risques et périls. Comment trouvez-vous ces exécuteurs des hautes œuvres ?

Mais votre silence me tourmente. Songez que la querelle devient grave pour moi.

À vous de cœur,
G. Sand.

Enfin le 2 avril elle inséra une dernière lettre à ces messieurs, ainsi rédigée :

Messieurs,

Je dois accepter vos explications, bien qu’elles ne me satisfassent pas complètement. Quant à M. Ary Scheffer, qui n’a pas dans les malheurs ou les travaux de sa vie politique les mêmes excuses à une trop vive susceptibilité, je pardonne à l’artiste, ainsi que je l’ai promis, et je le mets hors de cause.

Quant à vous, messieurs, je persiste à trouver votre alarme mal fondée, et votre empressement à la laisser traduire eu paroles publiques très irréfléchi. Je n’ai pas besoin que l’on m’enseigne ce que je dois de respect et d’affection aux martyrs de l’Italie ; je le sais.

En disant que l’Italie ne saurait être purifiée[348], j’ai fait parler un personnage de roman qui doute de la femme qu’il aime et qui, dans une heure de spleen, l’identifie avec le milieu qu’elle habite, avec la terre à laquelle elle appartient. Quelques chapitres plus loin, il retrouve, dans la pureté de cette femme, l’espoir et la foi qui lui manquaient. C’est ce qui m’a fait dire qu’un roman ne devait pas être lu comme un recueil de sentences. Les hommes politiques ne sont pas forcés de savoir ce que c’est qu’un roman, et comment le fait y répond, parfois mieux que les paroles, aux axiomes placés dans la bouche des personnages. Mais aussi les hommes politiques ne sont pas forcés de lire ces sortes d’ouvrages et de les juger. Ce n’est pas leur état.

En disant qu’un peuple a le gouvernement qu’il mérite[349], j’ai très nettement et très clairement désigné et spécifié le lazzaronisme napolitain. Mais quand même j’aurais appliqué la sévère parole de M. de Maistre à toute l’Italie, ce qui, par rapport à la politique d’invasion de l’Autriche n’est pas et ne peut pas être, je n’aurais fait que rendre plus d’hommage aux minorités qui protestent.

Les expressions dont on s’est servi à mon égard, sont donc blessantes pour le plaisir de l’être, et resteront comme une grave erreur dans la vie du jeune homme qui s’en est fait un mérite à vos yeux. Vous ne les avouez pas, je le crois bien ! Mais en faisant si bon marché de mon mécontentement et en me disant que le débat n’est pas là, vous vous trompez. Il est là et non ailleurs, car je n’admets pas qu’il y ait discussion entre nous sur la question italienne au point de vue où il vous plaît de la placer.

Quant aux paroles de mon ami M. Henri Martin, avec lesquelles vous désiriez conclure, comme dans une lettre particulière il m’a déclaré n’avoir pas lu le roman, je suis certaine qu’il m’autorise à changer cette conclusion et à dire que, non seulement j’ai servi et servirai encore la cause de l’Italie, mais que je la sers aujourd’hui mieux que jamais.

Agréez, messieurs, l’expression de mes sentiments très distingués.

George Sand.
Nohant, 29 mars 1857.

Mme Sand ajouta, de plus, à l’adresse de M. Manin seul, les lignes suivantes :

Nohant, 30 mars 1857.
Monsieur,

Au moment d’envoyer cette lettre au Siècle, je reçois celle que vous me faites l’honneur de m’adresser en particulier. Je vous en remercie ; mais il ne me convient pas de vous en remercier en secret. On s’est piqué d’assez de franchise envers moi pour que je puisse réclamer un peu de sincérité. C’est donc avec sincérité et devant tout le monde, que je consens à vous serrer la main.

George Sand.

Toutefois Mme Sand « tendit la main », même à Manin, pas très franchement, mais bien avec un dépit rentré, comme on le voit par sa lettre inédite à Charles Edmond datée de ce même 30 mars. Après y avoir vanté Nefftzer qui avait fait preuve d’un grand courage personnel en cette affaire et témoigné beaucoup d’amitié à Mme Sand, et après avoir parlé de l’entreprise d’Émile Aucante qui avait fondé à Paris un bureau littéraire dans le but de faciliter les relations entre les écrivains et les éditeurs, Mme Sand ajoute que les éditeurs devraient eux-mêmes comprendre l’utilité d’une telle entreprise.

Mais, dit-elle, qui est-ce qui comprend quelque chose ? Ce n’est pas Manin qui comprend le français, ni Ary Scheffer qui comprend l’italien, ni notre gouvernement qui comprend la papauté comme il faut. Comprenez que je suis à vous de cœur et chargez-vous de mon billet pour M. Nefftzer.

C’est ainsi que cet incident fut enfin clos. Mais Mme Sand avait accumulé en son âme beaucoup d’amertume. Ces lignes écrites à Charles Poncy le 20 avril en sont la preuve :

Nohant, 20 avril 1857.

…Je suis bien aise que Daniella vous ait amusé. La danse a fini par un coup de balai que la police m’a donné dans les jambes, pour m’apprendre à dire que le pape était un fichu souverain et sa prêtraille une clique. La police est si pieuse ! Et puis, quelques Italiens bêtes m’ont cherché noise, ce qui m’a forcée de me moquer d’eux. Vous avez dû voir tout cela dans le Siècle. Si vous ne l’avez pas lu, par hasard, ne le cherchez pas, ça n’en vaut pas la peine…

C’est ainsi que Daniella causa à son auteur beaucoup d’ennuis et d’inquiétudes. Il faut d’autre part noter, dès à présent, que l’excitation extrême de Mme Sand contre le catholicisme et le clergé — qui se fait déjà sentir dans la Daniella et dans les lettres d’Italie et se laisse de plus en plus remarquer chez elle dès cette époque, — arriva à son apogée dans la décade suivante, de 1860 à 1870, et se fit voir dans des œuvres littéraires ainsi que dans certains faits notoires de sa vie privée, dont nous parlons plus loin.

Les ennuis causés par Daniella ne se bornèrent toutefois point à cette polémique de journaux. La Presse, où parut ce roman, reçut deux avertissements successifs, parce que les tendances anticléricales de l’auteur, ainsi que la narration des exploits accomplis par Jean Valreg en compagnie des membres d’une société secrète, le prince de Monte-Corona et son médecin, pour déjouer la surveillance de la police et pour s’échapper heureusement ne pouvaient être du goût des ministres et censeurs napoléoniens, La Presse reçut donc, en décembre, un troisième avertissement l’exposant à la suspension sans autre forme de procès. Mme Sand, sentant que les deux premiers avertissements l’atteignaient, fut effrayée à l’idée de voir un millier de travailleurs, prêtes et autres, jetés sur le pavé, si le journal était suspendu. Elle comprit que le roman mécontentait surtout l’impératrice Eugénie, protectrice des cléricaux, et elle s’adressa bravement à cette dernière, implorant sa protection et sa miséricorde pour les malheureux ouvriers innocents[350].

En 1859, lors de la guerre pour l’indépendance italienne, George Sand a fait paraître deux articles par lesquels elle semble avoir voulu effacer l’impression déplaisante produite sur les lecteurs italiens de Daniella par certaines de ses pages. D’autre part Mme Sand semble avoir voulu aussi faire la paix avec M. de La Forge et lui faire oublier la polémique de 1857. Dans son article Garibaldi, en racontant la vie de ce grand homme d’après plusieurs de ces biographes, elle citait, après M. F.-T. Perrens, huit lignes de M. Anatole de la Forge. Et après avoir transcrit quelques lignes de lui, peignant la vie de Garibaldi au milieu de sa famille sur l’île de Caprera, elle recitait encore une fois M. de La Forge (son article paru le 26 mai 1859 dans le Siècle), en faisant précéder cette citation de ces mots flatteurs :

« Nous citerons encore avec plaisir M. A. de La Forge pour dire… » etc., etc.

Et dans son article la Guerre, George Sand consacrait au pays qu’elle avait si sévèrement jugé dans Daniella les lignes enthousiastes que voici :

… Oui, chère Italie, sœur de la France, on naît chez nous avec ton amour dans le cœur. C’est un instinct passionné qui lutte et qui souffre comme le tien lutte avec l’amour de la liberté. Quand on met le pied sur ton sol et que l’on te voit éteinte et comme morte sous le poids de l’étranger, on est tenté de te maudite et l’odeur de tes sépulcres vous navre et vous glace. Mais, si tu fais un mouvement, si tes morts ressuscitent, si tes enfants accablés se relèvent, si tu jettes en cri d’appel et de détresse vers nous, à son tour, notre sang se ranime et bouillonne.

Oui, c’est bien une voix du sang, et nous volons vers toi, entraînés par une puissance qui ne raisonne plus, et qui fait bien de ne pas rai sonner.

Raisonner sur quoi ? Elle est tombée par sa faute, cette infortunée ? elle nous a méconnus souvent ? elle a été victime de mille erreurs ? elle a été égarée par la superstition, paralysée par le dégoût, vaincue par les délices de son climat, endormie par les pompes de son culte et l’orgueil de ses beaux-arts ! Soit, c’est possible, mais la voilà qui souffre et qui crie. Entendez-vous ? on la brise, on la torture, cette reine déchue de l’ancien monde, cette déesse de l’intelligence, source immortelle du feu sacré des nations ! Cornons, il faut la sauver… Si rien n’est plus déplorablement illogique que l’Italien asservi, rien n’est plus beau que de le contempler dans le retour de sa volonté et de sa force. Comme le Français, l’Italien ne sait rien être à demi…

Nous nous sommes longuement arrêtés sur la polémique provoquée par Daniella, justement parce qu’elle avait éveillé tant de bruit en son heure, mais aussi parce que ce roman résume les impressions italiennes de George Sand en 1855 et qu’il est, en même temps, l’écho de ses sympathies démocratiques et progressistes que ni les circonstances ni les années ne parvenaient à étouffer[351]. Comme œuvre littéraire, la Daniella ne mérite pas tant d’attention. La fable se distingue non seulement par un entassement d’improbabilités romantiques, d’une quantité excessive de bandits, de souterrains, de capucins et d’espions, mais encore d’un certain manque de goût spécial, qui caractérise les œuvres contemporaines de ce que nous appelons l’époque théâtrale de Nohant. Dans les pièces de marionnettes, ainsi que dans les pièces improvisées du théâtre de Nohant, toutes sortes de meurtres arrivaient à chaque moment, et certes il était bien indifférent pour les spectateurs combien de pupazzi Balandard ou Pierrot assommaient de leur latte ou combien de malfaiteurs le héros de la commedia dell’ arte transperçait de son épée, les enfilant comme des cailles sur une broche. Tout cela était si risiblement invraisemblable que cela n’excitait aucune émotion. Mais lorsque Jean Valreg et d’autres héros du roman de George Sand qui, comme tous les romans possibles, tâchent avant tout de donner au lecteur l’illusion de la réalité, lorsque ces héros, dès le premier chapitre, tantôt fracassent la tête d’un bandit ou jettent au bas d’un mur un espion, frère de l’héroïne, ou tirent un coup de fusil à bout portant sur quelqu’un d’autre encore, alors le lecteur éprouve une gêne et s’étonne infiniment que la plume de George Sand ait pu écrire de telles scènes et aventures, bonnes pour des romans de petite presse et paraissant surtout déplacées au milieu de pages remplies de fines analyses psychologiques et de poétiques tableaux de la nature. Cela manque de tact et de goût ; et la cause de cette aberration du goût, nous sommes positivement enclins à la voir dans l’engouement simultané de Mme Sand pour les bouffonneries et les mélodrames outrés de marionnettes, dans son habitude de la redondance et des trucs de la comédie italienne.

Le séjour en Italie réveilla chez Mme Sand son ancienne passion des voyages, mais n’ayant ni les moyens ni le temps d’entreprendre tous les ans quelque grand voyage à l’étranger, elle se borna l’année suivante à faire en compagnie de Manceau une excursion dans sa chère forêt de Fontainebleau.

Dans sa lettre à Charles Poncy, du 23 juillet 1856, nous trouvons à ce propos les lignes suivantes, très intéressantes pour nous :

… J’ai tant manqué à mes espérances, que je ne veux plus fixer de but à mes courses.

Celle que je méditais l’hiver dernier s’est résolue en quelques jours d’avril dans la forêt de Fontainebleau, une des plus belles choses du monde, il est vrai, mais si près de Paris, qu’on n’appelle même pas cela une promenade. J’aspire pourtant toujours à l’absence. L’absence pour moi, c’est le petit coin où je me reposerais de toute affaire, de tout souci, de toute relation ennuyeuse, de tout tracas domestique, de toute responsabilité de ma propre existence. C’est ce que j’avais trouvé l’autre année, à Frascati pendant trois semaines, et à la Spezzia pendant huit jours. C’est là ce que je demande au bon Dieu de retrouver pendant six mois quelque part, sous un ciel doux et dans une nature pittoresque ; rêve bien modeste, mais qui passe devant moi dix ans de suite sans se laisser attraper…

L’année suivante, en 1857, Mme Sand réussit à « attraper » son rêve et à réaliser son éternelle aspiration, vivre dans une « maison déserte » ou dans une « chaumière »[352].

À la fin de juin de cette année Mme Sand s’en vint avec Manceau et avec le naturaliste M. Depuiset faire une petite excursion aux bords de la Creuse ; elle la refit au commencement de juillet — après le départ de M. Depuiset pour Paris et le retour de Maurice, — avec ce dernier et avec l’actrice Bérangère qui passa, cet été, quelques semaines à Nohant.

Lors de ces deux excursions Mme Sand se prit d’amour pour le petit village de Gargilesse situé au bord de la petite rivière du même nom, confluent de la Creuse, dans une vallée profonde, protégée de tous côtés par des montagnes. Les environs de Gargilesse attiraient Mme Sand par leur pittoresque et par la richesse de leur flore et faune. On y attrapait souvent des spécimens rares de papillons et d’autres insectes qui ne se rencontrent qu’au Midi de la France ou en Algérie, ce qui s’explique par la température constante et assez élevée de ce petit vallon. L’eau de la rivière paraissait à Mme Sand souveraine pour les maladies d’intestins et de reins. Enfin la possibilité de se cacher pour plusieurs jours dans un endroit où n’arrivaient ni les lettres demandant des réponses, ni les visiteurs importuns, où l’on pouvait, en toute liberté, travailler dans un calme absolu et dans le milieu le plus primitif, dans une maisonnette déserte tant recherchée par George Sand, — tout cela fit qu’elle se prit à rêver d’habiter Gargilesse, ne fût-ce que pendant une dizaine de jours, ou de pouvoir s’y réfugier de temps à autre.

Alors Manceau, toujours prompt à se décider quand il s’agissait de faire plaisir à autrui ou de rendre service à quelqu’un de ses proches, prêt surtout à tous les sacrifices pour Maurice et pour sa mère, acheta l’une des maisonnettes qui plaisait à Mme Sand. On commença immédiatement à la réparer et à l’arranger, afin que chacun y eût son petit coin, lors des séjours à Gargilesse.

Ces excursions aux bords de la Creuse par les journées brûlantes de juillet, les chasses aux lépidoptères et aux scarabées, faites par les jeunes entomologistes en plein midi, les causeries avec le pêcheur de l’endroit, Moreau du Pin, les déjeuners champêtres au bord de la rivière, les escalades des rochers et des pics, bref, tout le séjour à Gargilesse et l’acquisition de la maisonnette, George Sand le décrivit avec une verve, un entrain et une poésie incomparables dans une série d’esquisses intitulées Promenades autour d’un village, mais imprimées d’abord sous le titre de Courrier de village dans le Courrier français de 1857.

Selon une habitude de théâtre, George Sand y fit apparaître tous ses compagnons de voyage, non pas sous leurs vrais noms, mais sous leurs noms de guerre ou sobriquets. C’est ainsi que Manceau s’appelle du nom d’un rare papillon attrapé par lui : Amyntas, Depuiset — toujours à la recherche des chrysalides — Chrysalidor, Maurice : Parthénias ; Mlle Bérangère doit à sa blancheur de teint et à sa pureté le nom de Herminea, Mme Sand elle-même voulait aussi s’appeler du nom d’un papillon rare trouvé par elle, mais « ne le fit pas par modestie ».

Cette habitude de donner des sobriquets et des noms d’emprunt à tous et à tout et de travestir les choses les plus simples d’une teinte de fiction un peu théâtrale, était invétérée à Nohant. Son reflet paraît dans les œuvres littéraires de Mme Sand. C’est ainsi que la maisonnette de Gargilesse fut baptisée du nom de la villa Algira. Nohant lui-même s’appela château de la Chimère ou château de la Plume. Et lorsque George Sand commença en 1856 dans la Presse une série d’esquisses de critique[353], elle les écrivit sous forme de dialogues et de causeries se passant, il est vrai, autour de la Table, confectionnée par le menuisier nohantais fort réel, Pierre Bonnin, mais dans une famille imaginée, les Montfeuilly. Tous les habitants de Nohant y apparaissaient sous de faux noms : Julia — « la généreuse et enthousiaste fille du voisin », Louise de Montfeuilly, l’aïeule, Théodore, — l’aîné des Monfeuilly, — l’abbé et l’auteur, qu’on prétendait n’être ni l’aîné ni le chef de la famille. Grâce à tout cela, ces esquisses ne sont ni une vraie œuvre d’imagination, ni de la vraie critique ; elles appartiennent au genre hybride et manquent de la signification qu’elles auraient, si elles étaient présentées comme l’expression franche et directe des opinions critiques de George Sand.

Nous nous sommes d’ailleurs écartés du sujet en parlant de l’habitude qui s’était développée chez Mme Sand de tout théâtraliser dans son entourage, à commencer par les noms propres.

Revenons à l’installation à Gargilesse : voici ce que nous lisons dans les Promenades autour d’un village :

…Nous rêvions, nous autres qui ne sommes pas forcés de vivre à Paris, de nous arranger un pied-à-terre au village. La maisonnette où nous avions dormi était à vendre pour ce prix modeste de cinq cents à mille francs dont on nous avait parlé. Amyntas la voulait pour lui. Moi, j’avais envie de la maisonnette renaissance.

Tout se passa en projets ce jour-là.

… On a beaucoup discuté une question fort simple que j’appellerai, si l’on veut, le secret de la chaumière.

Tous artiste aimant la campagne a rêvé de finir ses jours dans les conditions d’une vie simplifiée jusqu’à l’existence pastorale, et tout homme du monde se piquant d’esprit pratique à raillé le rêve du poète et méprisé l’idéal champêtre. Pourtant il y a une mystérieuse attraction dans cet idéal, et l’on pourrait classer le genre humain en deux types : celui qui, dans ses aspirations favorites, se bâtit des palais, et celui qui se bâtit des chaumières.

Quand je dis chaumière, c’est pour me conformer à la langue classique. Le chaume est un mythe à présent, même dans notre bas Berry. … Va pour chaumière ! Trouverai-je mon idéal dans ce village ? Non, un idéal, cela ne se trouve nulle part.

Combien j’ai salué, en passant, de ces chaumières décevantes dans des sites séduisants ! Combien j’en ai dessiné dans ma tête, enfouies dans des solitudes à ma fantaisie ! Je n’avais jamais songé à les placer dans un village.

Mme Sand dit plus loin qu’elle eut le désir de s’initier à l’existence des paysans, en vivant chez eux, dans leur village. À l’entendre, idéalistes et réalistes[354] peignent en bien ou en mal des paysans aussi fantastiques les uns que les autres. Ni des êtres aussi sales ou grossiers, ni « des bergers roses et frisés » qu’ils nous présentent n’ont jamais existé[355]. Puis, elle revient à l’acquisition de la maisonnette de Gargilesse :

… Amyntas s’est décidément épris de la maisonnette où nous sommes logés. Il y rêve une installation possible, un pied-à-terre tolérable au milieu du monde enchanté des fleurs, des ruisseaux et des papillons. Pourquoi pas ? Il à bien raison[356].

J’avais grande envie aussi de cette chaumière, bien qu’elle ne réalise pas mon ambition pittoresque. Vingt autres sont plus jolies ; mais c’est la seule en vente, et j’allais m’en emparer… Mais notre ami réclame la priorité de l’idée. Il nous demande de lui laisser arranger cette chaumière à son gré et de devenir ses hôtes dans nos excursions sur la Creuse. Nous retirons nos prétentions.

Il échange quelques paroles avec Mme Rosalie. Le voilà propriétaire d’une maison bâtie à pierres sèches, couverte en tuiles, et ornée d’un perron à sept marches brutes ; d’une cour de quatre mètres carrés ; d’un bout de ruisseau avec droit d’y bâtir sur une arche, plus d’un talus de rocher ayant pour limite un buis et un cerisier sauvage.

À partir de ce moment, je vois bien que l’insouciant Amyntas n’est plus le même.

Après le souper, car nous n’avons dîné qu’à neuf heures, le voilà qui lève des plans, qui mesure ses deux petites chambres, plante en imagination des portemanteaux, creuse des armoires dans l’épaisseur de son mur, et dit à chaque instant : Ma maison, ma cour, mon rocher, mon buis, mon cours d’eau, mes voisins, mes impôts, — il en aura pour deux francs vingt-cinq centimes ! — mes droits, mes servitudes, mon acte, ma propriété, enfin ! C’est tout dire !

— N’en riez pas, dit-il ; qui sait si ce n’est pas là que, par goût ou par raison, je viendrai terminer mes jours ?

Ah ! qui sait, en effet ? La même idée m’était venue pour mon compte, quand je lorgnais cette splendide acquisition à laquelle il me faut renoncer.

Mais l’aimable acquéreur s’en fait un si grand amusement, que je suis dédommagée de mon sacrifice.

Revenue à Nohant à la nuit tombée le 14 juillet, Mme Sand repartit pour Gargilesse le 26 juillet, avec Herminea seule, car

… Parthénias était dans le Midi [chez son père à Guillery] et Amyntas est parti avant-hier pour son village, afin de mettre les ouvriers en besogne à sa villa. Il nous permet cependant d’y passer encore une bonne journée avant de leur céder la place…

Cette fois on passa à Gargilesse trois jours ; on y rencontra le peintre Grandsire qui dessina beaucoup de sites dans les environs de Gargilesse et esquissa un petit tableau représentant le déjeuner champêtre de George Sand et de ses compagnons dans un pré, au bord de la rivière. Ce petit tableau existe encore.

Malheureusement, le 29 déjà, il fallut repartir pour laisser la villa d’Amyntas aux réparations urgentes.

Nous ne reviendrons qu’à l’automne, et c’est alors seulement que nous deviendrons assez citoyens de ce village pour en pénétrer les mœurs et les coutumes…

…Nous partons ; car il nous faut, pour une plus longue station, d’humbles conditions d’établissement qui nous permettent de ne pas mener tout à fait la vie d’oisifs au milieu de ces gens laborieux.

Tous les détails et renseignements que nous avons puisés dans les Promeyiades autour d’un village sont de tous points confirmés par les lettres inédites de Mme Sand, écrites aux mêmes dates de juin et de juillet 1857 et adressées à Maurice à Paris et à Guillery :

Retour de Gargilesse, 27 juin 1857.

Cher minon, j’ai reçu ta lettre avant-hier en passant à La Châtre, pour aller à Crozant où nous n’avons pas été. Nous nous sommes laissés séduire par Gargilesse, qui dans cette saison est un paradis terrestre ; au moment de le quitter après l’avoir traversé, nous avons appris de Moreau (du Pin) notre ancien guide (l’homme aux mulets à puces) qu’il y avait une bonne auberge et des petites chambres. Nous y donnons un coup d’œil, c’est d’une pauvreté primitive, mais ô surprise ! c’est propre. Nous nous décidons à y rester, on nous fait de la cuisine excellente, et nous y serions encore sans la nécessité pour Depuiset de retourner demain matin à Paris, si bien que nous venons d’arriver ce soir, pas trop fatigués malgré une dizaine de lieues à pied en deux jours sous un soleil des tropiques, à preuve que Manceau y a pris un papillon d’Afrique et un autre du Midi de la France : Algira et Gordius. Mais je ne te parle pas des papillons, Depuiset, bouleversé de ces deux prises dans l’Indre, doit t’exprimer son enthousiasme. Il a été du reste très sensible à la beauté du pays que nous avons arpenté de la belle manière. De Châteaubrun à Gargilesse par les bords de la Creuse il y a un joli bout de chemin, quatre heures de marche sans chemins frayés, ça compte. Mais c’était l’heure de l’effet[357]. C’est un pays féerique et que malgré toutes nos courses nous ne connaissions pas. La région de Gargilesse, où nous n’avions fait autrefois que passer par d’assez mauvais tems[358], est une serre chaude même en hiver, et quand le soleil y donne comme dans ce tems-ci, c’est beaucoup, beaucoup plus chaud que Tusculum. Je ne crois pas avoir jamais eu si chaud, je suis cuite comme une brique, et le jardinier me dit qu’il n’a pas fait très chaud aujourd’hui à Nohant. Mais quelle végétation dans ces petites gorges de la Gargilesse où nous avons été ce matin ! Manceau a compris que nous n’étions pas enchantés de la gorge de Marino et des rives de la Nemi[359]. Quant à Depuiset il se croyait au sommet des Alpes, je t’ai bien regretté, mais nous faisons des châteaux en Espagne pour avoir là une cabane et quelles belles chasses tu y feras !

Je savais déjà ton succès de Bissextre et de lupins[360] par Angèle et son mari, qui y ont trouvé littéralement une foule. Ils ont été se faire photographier chez Nadar qui leur a dit que tu avais un grand succès, qu’il trouvait cela charmant et qu’il te soignerait dans un article pour je ne sais plus quel journal. Il leur a dit aussi qu’il ne te connaissait pas, mais qu’il t’aimait à cause de moi ; va donc le voir et sois gentil avec lui.

Mme Villot aussi est charmante pour toi et parle de te fane avoir une médaille. Elle dit que ce serait justice…

Nous savons par les Promenades autour d’un village qu’au commencement de juillet Mme Sand fit une nouvelle excursion à Gargilesse, et plus tard, après le départ de Maurice pour Gallery, une troisième, ce qu’elle raconte à son fils dans sa lettre du 30 juillet 1857 :

Nous recevons les lettres du 27. Je te bige à mort. Nous voilà reposés. Il fait bien moins chaud ici décidément. Nous avons eu avant-hier matin un peu d’orage et de pluie à Gargilesse. Ici presque pas.

…Nous avons renvoyé Jardinet à Gargilesse pour conduire les travaux de Manceau qui se paie trois cents francs de réparations à forfait. Il n’y a pas moyen de l’empêcher d’arranger sa baraque beaucoup plus pour nous que pour lui. Il en fait une cabine de navire en mesurant les centimètres pour que chacun ait tout son fourniment, chacun son clou, son pot, la place de chaque botte, etc. etc. Il ne veut plus que tu ailles coucher au château ; nous avons appris sur la saleté qui y règne des détails à faire vomir un chien. En somme ce sera très amusant, et il satisfait à son gré ses deux passions, le dévouement et le bibelotage. Je me dis cela pour me consoler de le voir obstinément dépenser ses petits profits. Il a donné son rocher à Bérangère, qui déjà le menace d’un procès, parce qu’il ne veut pas qu’elle aille à coquiller dans son ruisseau, elle prétend en avoir le droit. C’est bien ennuyeux que tu ne sois pas là dans ces bonnes promenades. Reviens bientôt. On fera revenir Jardinet. Caroline et Marie arriveront peut-être ces jours-ci et on jouera la comédie.

Nohant, 12 août 1857.

Cher enfant, j’écrirai encore en tems et lieu pour les médailles. On en est encore aux grandes médailles pour les grands ouvrages, et je suis sûre que Mme Villot agira quand il faudra. Je vais rappeler à Choïecki l’encouragement qu’on a demandé à Saint-Victor.

… Sais-tu que je ne t’ai pas vu deux mois entiers depuis près d’un an ?

… J’ai fait une relation de nos courses à Gargilesse pour le Courrier de Paris. Tu devrais écrire un mot à Pelletan. De toi à lui ce serait plus convenable que venant de moi. Tu enverrais la lettre à Émile[361] qui la lui remettrait.

…Manceau est toujours assidu aux chenilles et aux papillons. Ses travaux de Gargilesse avancent, on aura Jardinet pour le théâtre quand il faudra.

L’écurie s’achève, c’est très beau et pour longtemps.

Ma toquade actuelle serait d’apprendre la minéralogie, ce n’est pas difficile à comprendre, mais il faudrait quelqu’un pour nous faire toucher du doigt les différences sur les échantillons… Ça paraît très amusant.

… Nous avons été nous promener à la Motte-Feuilly et à Montlevic, c’est très beau, la Garenne, et il doit y avoir du papillon. Le farouche châtelain a été très gracieux pour nous… Bonsoir, cher enfant. Je te bige mille fois. Bérangère t’envoie une poignée de main. Manceau t’embrasse.

Au commencement de janvier, tandis que Maurice était reparti à Paris exercer sa verve d’imprésario, donner dans les salons d’amis ses représentations de marionnettes et arranger des spectacles de société, et que Mme Sand passa l’hiver à la campagne, avec son fidèle compagnon Manceau, elle entreprit de nouveau, à Gargilesse, une excursion qu’elle décrit dans sa lettre à Maurice (nous l’avons citée dans le chapitre précédent, à propos de l’Homme de Neige.) Elle trouva la maisonnette de Gargilesse arrangée et meublée avec cette sollicitude qui caractérisait son « fidèle tête-à-tête »[362]. Et les impressions de cette excursion hivernale furent si intenses qu’elles lui inspirèrent son « roman septentrional ». Elle écrit à son fils :

Nohant, le 6 janvier 1858[363].

…Nous nous portons bien, comme tu nous as laissés, les poules, Manceau et moi. Trianon est tout ratissé et cristallisé. J’ai lu le livre sur la Suède que Choïecki m’a envoyé. Dis-lui que je l’ai reçu, que je l’en remercie et paie-lui ma petite dette qu’Émile te remettra, s’il n’a déjà payé. Je vois que la Presse ne reparaît pas et que l’amnistie ne viendra pas. Je me suis remise aujourd’hui à écrire Chmtiun Waldo. Bordone a reparu avec éclat à La Châtre. Il dit avoir gagné à Limoges 200 000 francs. Paiera-t-il ses dettes ? Certain voyage que l’on médite, va-t-il coïncider avec cette réapparition ?

Nohant, 9 janvier 1858[364].

Nous allons à Gargilesse décidément. La barounette (le baromètre) ne dit rien, mais le temps est doux et le ciel rose. Nous partons à huit heures et nous revenons dans deux ou trois jours. Je donne Tordre, si S… vient, qu’on la fasse chauffer et déjeuner, et dîner et coucher si bon lui semble. Mais je n’ai pas répondu, parce que je ne peux pas dire oui ; et que si j’avais dit non, on m’aurait répondu je m’en fiche. Inutile donc de se faire péter au nez. Bonsoir, mon mignon, je te bige bien fort, je te raconterai nos voyages dans les banquises de la Creuse. Je ne pense pas que nous y trouvions beaucoup de papillons,

Manceau t’embrasse.

Dans cette même lettre du 14 janvier, dont nous avons donné au chapitre x la description d’une course le long des bords gelés de la Creuse par une journée brumeuse et « un froid de Sibérie », Mme Sand décrit ainsi tout ce voyage et ce séjour à Gargilesse :

Nohant, 13 janvier 1858[365].

Cher Bouli,

Nous arrivons de Gargilesse. Partis ce matin à onze heures de l’hôtel Malasset, nous étions ici à six pour dîner, après avoir passé trois heures chez Vergue à Beauregard… Donc que je te parle de Gargilesse. La barounette (le baromètre) nous a menti comme de coutume. Nous sommes partis par un brouillard noir et un verglas superbe… Arrivée à Gargilesse, je trouvai la maison chaude, propre, commode au possible, toute petite qu’elle est ; des lits excellents, des armoires, des toilettes, enfin toutes les aises possibles. La petite salle à manger de l’auberge est charmante, aussi propre qu’un cabinet de restaurant propre, bonne cuisine. On a de petites lanternes pour rentrer chez soi et le village est beaucoup moins sale qu’une rue de Paris, pour les pieds.

Le lendemain, demi-brouillard et pas de soleil. Mais la terre assez sèche et l’air assez doux. Promenade de deux heures, travail à la maison et bésigue le soir. Le surlendemain, c’est-à-dire hier, même temps, promenade de cinq heures. Nous avons passé sur l’autre rive et suivi toutes les hauteurs, montant et descendant sans cesse. Nous avons escaladé les crêtes des rochers vis-à-vis de l’endroit où nous avions fait la friture au bord de l’eau. Là, il a fallu s’arrêter : la Creuse a mangé le chemin.

Enfin ce matin nous sommes partis par un soleil magnifique et un temps assez froid. Somme toute, comme dit M. Letac, soleil ou non, hiver ou été, le pays est toujours ravissant. Il est même plus beau en hiver, plus vaste et mieux dessiné. Les silhouettes d’arbres et de rochers ont plus de sérieux, le village est plus pittoresque, les petites cascades glacées sont très amusantes. Nous avons vu la maison de Vergne, très amusante aussi, une boîte à compartiments ; l’endroit est très joli. Je n’ai pas eu froid, je me porte bien, voilà. Le pays est abrité et doux. Les sommets sont sibériens, mais on n’y reste pas…

Entre temps la suspension de la Presse — probablement grâce à l’intervention de Mme Sand — fut levée. Charles Edmond continuait à lui demander son roman suédois pour ce journal ; elle lui répondit :

…Quant au Château des Étoiles, ça ne peut pas s’arranger comme ça. Comment passerai-je l’été avec deux mille francs ? Rappelez-vous Nohant : il y a du monde et de la dépense. Pour m’arranger du budget que vous m’offrez, il faudrait aller vivre à Gargilesse, ce qui ne serait pas très désagréable, mais ce qui n’est possible que dans nos courts moments de vie de garçon. Donc, cherchez un autre problème, cher ami, ou dites-moi de chercher un autre titre à annoncer dans la Presse. J’aurai largement le temps de vous faire un roman pour l’époque où vous en aurez besoin, et je pense, d’ici à une quinzaine, vous dire mon titre. Voilà, quant au Château en question, l’ultimatum non de ma volonté, mais de ma caisse…


L’affaire avec la Presse ne s’arrangea pas et le Château des Étoiles fut publié dans la Revue des Deux Mondes, à laquelle George Sand revint ainsi après une querelle de dix-huit ans (car quoique le Château des désertes y parût en 1851, l’auteur n’y fut pour rien, le manuscrit ayant été cédé à cette revue par un autre éditeur qui l’avait acheté)[366]. L’Homme de neige parut dans la Revue des Deux Mondes du 1er juin au 15 septembre. Cette affaire fut arrangée par Émile Aucante, le secrétaire de Mme Sand, l’ami de toute sa famille et l’hôte constant de Nohant de 1848 à 1858[367].

L’Homme de Neige terminé, Mme Sand, à partir de 1858, revint souvent à Gargilesse pour y séjourner « en garçon », parfois pour quelques jours, parfois pour quelques semaines. Elle écrit par exemple le 23 avril 1858 à Ernest Périgois, à Tourin, où il vivait exilé, après l’incident Orsini, et où Solange voulait aller le retrouver :

« …Sol. s’apprête à partir le 26 ; elle est souffrante et je l’engage à attendre deux ou trois jours de plus. Je ne sais si elle m’écoutera… J’ai tant d’envie d’aller vous rejoindre. Mais je ne peux pas encore, et toute la campagne que je vais faire se bornera pour le moment à Gargilesse. » Revenue de Gargilesse, Mme Sand écrit à son fils à Paris :


28 avril 1858.

Cher enfant, nous partons demain pour Gargilesse pour vingt-quatre heures ou huit jours, selon le temps qu’il fera… Si tu avais quelque chose de pressé et d’important à me faire savoir il faudrait envoyer ta lettre sous l’enveloppe de Jean Renaud, jardinier à Nohant, eu lui disant que tu désires que cela me soit envoyé de suite. Alors Sylvain ou Meo Patacca car le nom lui est resté[368], me l’apporterait puisque je laisse toujours un des deux frères et un des trois chevaux à la maison. Que ce soit entendu une fois pour toutes.


Nohant, 3 mai 1858.

J’arrive ce soir, nous avons eu froid et pluie en route, mais je crois que tout ça fait du bien quand on y va volontairement et sans y prendre garde. J’ai trouvé une lettre de Sol. qui me dit aller mieux. Je ne trouve rien de toi. As-tu fait ta course à Compiègne ? As-tu été mouillé ? Ceci me paraît inévitable. Écris-moi. Je compte retourner là-bas à la fin du mois. Et toi, quand y viendras-tu ? Envoie de suite ma lettre à Émile pour qu’il sache que je suis de retour et qu’il m’envoie des sous s’il en a. Je te bige mille fois. Écris-moi.


Nohant, 8 mai 1858.

Je commençais à m’inquiéter de toi, mon Bouli. Je vois que pendant que je revenais par le froid et la pluie de nos rochers pittoresques tu errais dans les forets par le même temps. À présent nous avons le déluge et un froid de chien.

Il a fallu rallumer le calorifère et l’on n’est pas sans crainte d’une ou de deux gelées qui feraient bien du dégât. Jamais récoltes en tout genre, blé, vin, foins et fruits, ne se sont annoncées si splendides… »

Elle note dans son Journal, à la date du 29 mai 1858 :

Je reste à la maison et finis mon roman Thérèse (Elle et Lui) commencé le 4 mai, 620 pages en 25 jours. C’est un joli coup de collier. Je n’ai jamais travaillé avec autant de plaisir qu’à Gargilesse. J’ai fait ici 200 pages malgré les longues promenades[369].

Mme Sand avait bien raison de dire que ses séjours à Gargilesse lui permettaient d’accomplir le double, le triple de son labeur ordinaire. C’est ainsi qu’elle écrivit de 1857 à 1862, non seulement treize romans (la Daniella, les Dames vertes, les Beaux Messieurs de Bois-Doré, l’Homme de Neige, Narcisse, Flavie, Jean de la Roche, Elle et Lui, Constance Verrier, la Ville noire, le Marquis de Villemer, la Famille de Germandre et Valvèdre), mais encore toute une série d’articles pour ses deux recueils : Promenades autour d’un village et Autour de la table[370], le texte pour deux albums de dessins de Maurice Sand : Visions à la campagne et Masques et Bouffons et enfin trois pièces : Marguerite de Sainte-Gemme, le Pavé et le Drac.

Et en effet, rien que par les lettres de Mme Sand à Maurice, de mai-juillet 1858, on voit combien ce calme refuge à Gargilesse, plus encore que sa vieille maison de Nohant, lui permettait de travailler beaucoup, sans trop de fatigue.


Nohant, 19 mai 1858.

Cher fanfan, j’ai reçu ta lettre ce matin, je pars après-demain, c’est-à-dire demain jeudi 20 (car il est minuit passé) pour la Villa Algira, où je finirai probablement le roman court que j’ai en train[371]. J’y resterai huit jours. Donc, dans le milieu de la semaine prochaine je serai revenue et je trouverai, j’espère, les explications nécessaires pour me mettre à ton texte fantastique[372] ; car celles que tu me donnes sont encore insuffisantes. Est-ce quinze cents lettres pour chaque sujet ? je le présume, mais d’après la phrase, on croirait que c’est quinze cents lettres pour huit sujets. Quand faut-il que ce soit livré ? tu sais qu’il me faut les points sur les i et qu’alors je suis exacte comme un chemin de fer.

Dis à Émile de ne pas m’envoyer d’autre argent (s’il ne l’a fait) d’ici à jeudi de la semaine prochaine. Mais s’il y avait quelque chose de pressé à me faire savoir, qu’il écrive sous l’adresse de Manceau : À monsieur Manceau, propriétaire à Gargilesse, par Eguzon (Indre). À présent le facteur y passe tous les jours. Écris-moi z-y, toi, pour que je ne sois pas huit jours sans nouvelles de toi, ce qui me gâte un peu mes délices de Gargilesse. Ne fût-ce qu’un mot. Et puis, je suis bien aise de voir si, de là, on peut correspondre avec Paris, au besoin. Ne donne à personne et dis à Émile de ne donner à personne mon adresse pour ce pays-là, et ne mettez pas mon nom sur la lettre, car les ennuyeux m’y poursuivraient de leurs épîtres en vers et en prose. Tu me disais dans ta lettre d’avant-hier, que j’aurais à faire seize feuilles pour tes huit lithographies. Une feuille dans notre argot, c’est seize pages, tu vois donc bien que je ne serais pas fixée par de telles indications et qu’il me faut une de ces notes techniques et précises comme Émile sait le faire.

Nous allons donc encore écheniller sans toi les buissons fleuris de la Creuse ! Manceau emporte de quoi charger un navire, en boîtes de toutes sortes. Il emporte même une énorme boîte à éclosions pour que son absence ne soit pas fatale à sa progéniture, et qu’il puisse la transpercer paternellement d’un fer rouge, dès qu’elle aura vu la lumière. Encourage-le dans ses travaux et recherches, car il y a des moments où il dit : Pourvu que ça amuse encore Maurice, les bêtes ! Et il mérite d’être payé du mal de chien qu’il se donne pour la science, par une mention honorable de son patron. Il a fini et refini sa planche. Il va faire le savant et le propriétaire, moi je vais refaire mes expériences sur l’eau de source de Gargilesse qui est je crois, plus souveraine que toutes celles qu’on me prescrit[373]. J’étais guérie là-bas, et je ne le suis pas ici par l’eau de Vichy. À mon retour, je prendrai le régime Philips que tu m’envoies, et me priverai d’asperges avec délice. Bonsoir, mon Bouli, je te bige et te regrette. J’espère que tu te portes bien, pauvre Parisien. Je voudrais pouvoir t’envoyer la campagne dans ton atelier.

Villa Algira, 24 mai 1858.

Nous sommes à Gargilesse, mon Bouli, et nous n’y avons pas beau tems, bien que nous nous soyons mis en route par un soleil magnifique. Mais ce mois de mai ne veut pas se décider à tenir les promesses du mois d’avril. On dit que c’est excellent pour les biens de la terre, à la bonne heure !

Heureusement la maisonnette est bien close et bien habitable, quelque temps qu’il fasse, et j’y travaille quand il pleut. Aujourd’hui c’était grande fête ici : nous avons vu, en déjeunant, une procession très pittoresque sur le chemin qui descend devant la fenêtre de l’hôtel Malasset ; les enfants en avant, puis les hommes, puis les femmes et ensuite une foule de femmes, de vieillards et d’enfants par trois et quatre à la fois sur des chevaux et sur des ânes, sans selle ni bride. Nous avions à déjeuner la famille Vergne, avec qui nous avons fait ensuite une belle promenade par un tems couvert ; nous sommes rentrés au moment où la pluie commençait, et, ce soir, tous les vents de la montagne sont déchaînés et le ruisseau grossi par la pluie chante comme un perdu.

J’ai été malade en arrivant ici, je ne sais de quoi. J’ai dormi dix-huit heures et je suis tout à fait vaillante, car j’ai marché comme un Basque aujourd’hui. Ce pays est toujours attrayant ; tous les jours on y découvre des sites superbes ou des recoins charmants et bizarres. Ma petite chambre microscopique me plaît beaucoup. De mon lit je vois la lune se coucher dans un bois tout noir au haut de la colline. Et puis on est très aimable pour nous dans le village. Nous en sommes, tout à fait, à présent. Tous les enfants chassent la chenille et apportent souvent des choses intéressantes. Manceau les met à l’ordre et donne des récompenses selon la trouvaille, rien si la chenille n’est pas apportée fraîche et bien portante dans une feuille, rien si elle est commune. Un beau jour, tout le village fera partie de la Société entomologique.

Nous ne savons pas au juste quel jour nous repartirons. Mais à la fin de la semaine nous serons à Nohant, tu peux nous y écrire alors. Mais j’espère recevoir de tes nouvelles ici auparavant. Il faut écrire par Eguzon. Autrement, c’est un jour de retard à Argenton. J’ai beaucoup pensé à tes sujets fantastiques la nuit que j’étais malade, et que je ne dormais pas. Il y avait dans le ciel et sur l’horizon, les animaux les plus bizarres dans les nuages et dans les silhouettes des branches ; et je voyais très bien tous les dessins en nature.

Bonsoir, mon cher Bouli, travailles-tu bien ? Moi, j’espère finir ici mon roman. Manceau, qui n’a pas voulu sortir un instant pendant que j’étais patraque, a dessiné des chenilles eu quantité et dans une grande perfection de fini et d’exactitude. Marie des poules[374], soigne celles qui sont à Nohant, on lui a appris. La boîte à éclosions est ici et la chasse continue.

J’ai reçu hier des nouvelles de Sol, elle va bien. Dis à Émile que j’ai corrigé et renvoyé à Buloz des masses d’épreuves[375].

Elle écrit à Poncy à la fin de sa lettre du 19 juin 1858 :

Manceau vous envoie toutes ses tendresses. Nous avons passé l’hiver ici tous les deux, allant de temps en temps passer la semaine dans une chaumière qu’il a achetée, moyennant la somme de huit cents francs, au bord de la Creuse, dans un pays enchanteur, bien que la distance ne soit que de douze lieues. Nous rêvons voyages. Si une certaine circonstance se réalisait, nous irions passer l’automne ou l’hiver en Afrique et alors, certes, nous nous verrions. Mais, il y a toujours le triste mais ! nous ne faisons encore qu’espérer.

Nous avons déjà noté que presque toutes les œuvres de George Sand de 1850-1860 reflètent son goût pour l’histoire naturelle. Notons aussi que dès ses tout premiers romans — à commencer par l’ « encyclopédique » princesse Cavalcanti adonnée entre autres à l’entomologie — George Sand montrait très souvent ses héros et ses héroïnes s’occupant de différentes branches de la science, ceux-ci de botanique, celles-là de minéralogie, les troisièmes de géologie, d’autres encore collectionnant des papillons, des minéraux, des coquillages pétrifiés. Cette passion pour les sciences naturelles domine à présent tous les romans de Mme Sand. La plupart de ses personnages adorent dame Nature autant que leurs maîtresses ou leurs fiancées. Allant à un rendez-vous, ils remarquent les couches géologiques des rochers, ils ramassent des pierres ou attrapent des lépidoptères, en attendant le moment bienheureux où leur adorée les mettra eux-mêmes sous sa pantoufle.

C’est ainsi que nous voyons dans Flavie des entomologistes, des ornithologues, des minéralogistes et des oiseaux empaillés, et des boîtes de fer-blanc, et des chrysalides, et des papillons, et, au milieu d’eux, la ravissante et pimpante chrysalide et papillonne Flavie, la spirituelle et coquette fille de M. ***. M. *** s’occupe à collectionner des oiseaux empaillés ; son père est un peu maniaque, comme tous les collectionneurs ; il est un fort mauvais chaperon pour une jeune personne aussi légère et aussi volontaire. Il veut la marier au jeune lord Malcolm, autant parce que ce seigneur et sa mère, la belle lady Rosemonde, sont des gens charmants, que parce que lord Malcolm a la passion de l’histoire naturelle, mais surtout parce qu’il est l’ami d’une célébrité future, d’un certain savant extraordinaire, M. Émilius.

Cet homme est une vraie encyclopédie vivante, s’occupant d’ophtahnologie et de zoologie, et d’ornithologie et d’entomologie en particulier. Il a de plus voyagé en Afrique, en Sibérie, dans les Indes, et il arrive dans les environs de Rome, juste au moment où lady Rosemonde et Flavie s’y trouvent en partie de plaisir. Flavie est entourée d’adorateurs et flirte avec tous. C’est une jeune fille très moderne, tellement moderne par son entrain, son bagout, sa crânerie, son indépendance et ses spirituelles sorties que le roman semble écrit, non en 1857, mais en 1917 ! Bien loin d’être sentimentale, Flavie se croit incapable de tout entraînement passionnel : il lui plaît de voir tout le monde à ses pieds, mais elle veut garder sa liberté et se promet bien de ne jamais devenir la femme d’un savant. Fi, quelle horreur ! Elle soupçonne Malcolm d’être quelque chose comme cela. Elle décide donc de faire la leçon à son fiancé en l’effrayant ; mais, comme cela arrive toujours, elle est attrapée, comme un papillon. Son aplomb, son flirt éternel et sa légèreté lui jouent un mauvais tour. Elle croit que Malcolm veut l’espionner, la soumettre à une surveillance secrète, tandis que l’ami de Malcolm, le savant Émilius, s’adonne simplement à la poursuite d’une noctuelle, car la « Flavie » dont Malcolm s’entretient avec son ami Émilius, n’est point elle, mais un papillon jaune à corsage de velours. Or Flavie croit que le monde entier ne s’occupe que d’elle ! La jeune fille commet alors une série de bévues et d’erreurs. Elle se met à faire la coquette avec Émilius, mais c’est elle qui s’éprend de lui passionnément. Dès lors elle abdique toute haine pour les sciences naturelles et « les gens qui se promènent sans gants ». Elle s’efforce même de tenter Émilius par l’offre de sa grande fortune. Cette fortune faciliterait ses recherches biologiques et physiologiques. Mais, hélas ! le savant reste fidèle à son unique passion : la science ! Il dit franchement à Flavie que ses charmes ne l’enchaîneraient pas longtemps, qu’elle a besoin d’un amour et d’une adoration non partagés, exclusifs ; s’il l’épousait il la rendrait malheureuse ; ne le voulant pas, il la repousse. Ce coup terrible devient néanmoins pour la jeune fille jusqu’alors dominée par un amour-propre excessif la cause d’un changement moral bienfaisant. Il lui révèle le prix des choses et lui fait comprendre quel est le vrai bonheur de la femme. Elle abandonne ses caprices, sa légèreté, ses flirts et finit par épouser, non pas le savant Émilius, mais M. Émile Vaureponne, décidée à devenir son épouse dévouée et fidèle. Quant à lord Malcolm, lui aussi guérit de son amour pour cette jeune personne inquiétante et trouve le bonheur en se mariant avec sa petite cousine Anna qui l’adore depuis son enfance.

Peu de nouvelles de George Sand sont écrites avec plus de grâce, de verve, d’esprit ; peu sont aussi remplies de fines observations que Flavie. Elle respire la fraîcheur comme si elle avait été écrite hier ; ni Mme Gyp, ni M. Marcel Prévost — qui reproduisent si incomparablement le jargon et toutes les allures des jeunes demoiselles contemporaines, sportives, pleines d’aplomb et d’amour-propre, — n’auraient pu rendre avec plus de précision et de drôlerie le style alerte, typique et personnel en même temps de Flavie dans ses lettres : le roman est écrit sous forme de lettres. Quant à l’idée générale du roman, c’est un des thèmes favoris de George Sand : le changement, l’élévation, la renaissance d’une âme sous la bienfaisante influence du véritable amour ; et en même temps la suprématie des hommes adonnés aux grandes idées, à l’étude, sur les gens qui ne sont occupés que de leur propre moi.

Nous trouvons la même idée dans Jean de la Roche. Dans la Préface même — qui est une réponse au livre indigne de Paul de Musset — Mme Sand dit que « ce pamphlet » lui remplaça son herbier oublié lorsqu’elle suivait la trace de ses héros dans les montagnes du Puy de Dôme et du Sancy et « les pages du livre infâme furent purifiées par le contact des fleurs, suaves choses de Dieu qui lui firent oublier les fanges de la civilisation ».

Dans ce roman qui se passe en Auvergne — le héros, absorbé par sa personnalité, analyse ses sentiments, ceux de sa fiancée, la jeune Anglaise Love Butler, et se trouve inférieur à cette jeune fille sans expérience, parce que celle-ci, dès son plus jeune âge, a travaillé sérieusement, étudié la nature, et que sa vie n’a été qu’un acte de dévouement : elle a acquis ainsi, pour lutter contre toutes les épreuves de la vie, une force morale que Jean, malgré son intelligence, son âge, sa sensibilité, ne possède pas, son amour n’étant qu’une passion égoïste. Love Butler, ainsi que son père et l’ami de la maison, le ridicule savant Junius Black, sont tous, bien entendu, épris de minéralogie, de botanique et collectionnent avec fureur.

De même dans Valvèdre (dédié à Maurice) Mme Sand dit dans sa Préface qu’elle a mis, dans ce roman, une idée savourée en commun : « la nécessité de sortir de soi » en étudiant la nature, au lieu de se complaire à l’éternelle analyse de ses sentiments ou de ses sensations. En effet, la coquette et nonchalante Alida de Valvèdre, et le poète dilettante Valigny, êtres futiles et égoïstes, se meurent d’ennui. Leur passion seule compte pour eux et ils se trouvent ainsi entraînés à commettre une foule de mensonges, de tromperies, de forfaits sans nombre et doivent finalement baisser pavillon devant le mari d’Alida — Valvèdre — un homme déjà âgé, entièrement voué à la science, devant Mlles Obernay, habituées, dès leur jeune âge, à s’intéresser aux choses sérieuses et devant le vieil Israélite Moserwald, qui, malgré tous ses travers, tout son prosaïsme bourgeois, est capable de sacrifice et de vrai amour, tandis que ces deux amants aptes à jouer uniquement la comédie de la passion, ont voué au malheur la famille des Valvèdre.

On dit souvent que Valvèdre est la contre-partie de Jacques, que c’est la défense des vieux maris trompés, que c’est le procès fait à la liberté d’aimer, tandis que Jacques en est le plaidoyer. Il y a là une erreur. Jacques est une apologie de l’amour tout-puissant ; Valvèdre est un jugement prononcé contre l’amour passe-temps, né du désœuvrement.

Ce Moserwald — soit dit par parenthèse — est un des très rares Israélites que l’on trouve dans les romans de George Sand. Mme Sand avait peu de sympathie pour la race d’Israël, la trouvant antisociale, empreinte d’esprit bourgeois. C’est ainsi que dans une lettre à Victor Borie (du 16 avril 1857) elle dit à propos du poème d’Edouard Grenier, le Juif errant :

…Son poème est très remarquable. Moi, je vois dans le Juif errant la personnification du peuple juif, toujours riche et banni au moyen âge, avec ses immortels cinq sous, qui ne s’épuisent jamais, son activité, sa dureté de cœur pour quiconque n’est pas de sa race, et en train de devenir le roi du monde et de tuer Jésus-Christ, c’est-à-dire l’idéal. Il en sera ainsi par le droit du savoir-faire, et, dans cinquante ans, la France sera juive. Certains docteurs israélites le prêchent déjà. Ils ne se trompent pas…

L’antipathie de Chopin pour les juifs a aussi un peu son écho dans les œuvres de Mme Sand. Dans les Sept cordes de la lyre on voit paraître un juif avide : c’est un usurier sordide.

Moserwald, lui, représente un autre type de juif, un bourgeois riche, un sac à or, croyant que tout s’achète. Mais sous l’influence de son amour malheureux pour Alida, il comprend, lui aussi, qu’avec de l’argent on peut, tout au plus, conjurer des désastres matériels, que l’argent est un instrument pour faire le bien, mais qu’il peut aussi faire le mal.

Le héros de Valvèdre s’appelle Francis. Ce roman parut en 1861. Or, au commencement de 1862, George Sand fit la connaissance d’un israélite, auquel elle soutint, d’une part, que la richesse, l’argent, gâtent les hommes ; qu’étant riche il fallait posséder une grande force d’âme pour rester bon, et d’autre part c’est à propos de cet israélite, venu si délicatement en aide à un certain Francis fort réel, que Mme Sand demandait à Dumas fils s’il avait remarqué… « qu’avec les juifs il n’y avait pas de milieu ; quand ils se mêlent d’être généreux et bons, ils le sont plus que les croyants du Nouveau Testament ». Nous dirons bientôt qui était ce représentant d’Israël.

En 1860, la même année où fut écrit Valvèdre, parut un roman, qui, s’il n’eut pas autant d’éclat que les premières œuvres de George Sand, lui attira néanmoins de nouveau les sympathies générales et devint l’un de ses livres les plus aimés et toujours relus. Ce fut le célèbre Marquis de Villemer.

Hélas ! au risque d’encourir l’anathème de tous les fidèles sandistes, nous devons confesser que nous ne partageons pas cet engouement ; sans parler des premiers romans de George Sand, nous trouvons même parmi ses toutes dernières créations des œuvres qui nous attirent infiniment plus par la profondeur de la pensée et la vivacité du récit. Nous qui n’étions pas nés lorsque Villemer éveilla cette admiration unanime, nous trouvons son exposition à la fois naïve et froide. Cette histoire d’une « pauvre mais noble » lectrice qui gagne le cœur du mélancolique fils cadet d’une vieille douairière nous parait peu intéressante, et son dénouement rappelle singulièrement les vertueuses et touchantes nouvelles anglaises des journaux pour adolescents.

Nous devons avouer pourtant que peu de romans se lisent avec autant de plaisir que la première partie de Villemer ; peu de types littéraires restent aussi nettement gravés dans la mémoire que celui de cette vieille marquise, du duc d’Aléria, de Mme d’Arglade, de la vieille duchesse de Dunières, de l’alerte et résolue Diane de Xaintrailles. Tous ces personnages sont des types tracés magistralement, avec vigueur et en même temps avec un fini merveilleux, avec cette science à saisir les détails caractéristiques qui est le propre des grands maîtres de l’art. Or, parmi tous les représentants de l’ancien faubourg Saint-Germain que l’auteur de la Marquise savait si bien portraiturer, il faut donner la palme à la marquise de Villemer. Quel curieux être humain que cette vieille dame qui sait avec tant de simplicité, par point d’honneur, payer les dettes de son fils, et accepter avec tant de philosophie sa ruine, tout en ne pouvant se résoudre à monter dans une voiture de louage ! Il n’y a qu’à lire une page des conversations entre la marquise et Caroline ou avec ses fils pour comprendre que c’est dans le salon de son aïeule, Marie-Aurore de Saxe, ou au château de son cousin René de Villeneuve, ou encore dans les familles de ses amies de couvent, Mlles de La Rochejaquelein, de Grammont, de Wismes, que la future George Sand entendit de semblables entretiens, et certainement pas dans l’appartement bourgeois de sa mère, ni chez ses amis politiques et littéraires de la dernière période de sa vie. Et ce langage, toutes les allures de la vieille dame sont rendus avec un art incomparable, ils lui donnent ce je ne sais quoi qui la distingue d’une quantité de personnages de romans. Malgré tous ses travers, ses façons d’être singulières, — sa personnalité humaine, son âme demeurent visibles, et nous ressentons pour cette curieuse représentante d’un monde suranné un sentiment de chaude sympathie, de même que toutes les sorties étranges et les brusqueries du vieux prince Bolkonsky dans la Guerre et la Paix de Tolstoï, ne peuvent nous cacher sa vraie âme, grande et belle, et ne nous empêchent pas de l’aimer avec passion. La vivacité, l’activité extrême de son esprit et même sa mondanité expliquent la préférence de la marquise pour son fils aîné, le duc d’Aléria, né d’un premier mariage. Celui-ci est le type du viveur charmant, du mauvais sujet adoré des femmes. Par contre, son frère Urbain, est le type de l’amoureux vertueux, morne et discoureur, souvent ennuyeux. Ces deux hommes se croient un moment rivaux : tous deux aiment Caroline, mais non du même amour, et cette passion est le point culminant de l’œuvre. Or, le duc d’Aléria, ce fils prodigue, est cher à sa mère comme au lecteur ; ce dernier comprend parfaitement que Diane de Xaintrailles préfère ce brillant et spirituel quadragénaire à son jeune frère vertueux. De plus, le duc trahit par maint trait ses ancêtres espagnols remontant au grand Cid, et sa vieille noblesse française. Ces doubles traits de race lui donnent beaucoup de relief.

Quant aux héros principaux, Urbain et Caroline, nous ne pouvons rien en dire : ils nous laissent indifférents et froids, malgré toutes leurs vertus, ou à cause de cet excès de vertus.

Par contre, la vive, décidée et un peu audacieuse Diane traverse les dernières pages du roman comme une ravissante silhouette. Malgré sa naïveté classique et son rire obligatoire d’ingénue de dix-sept ans, elle est aussi marquée de traits de race typique qui en font plus qu’une pensionnaire de convention. C’est bien une petite échappée du couvent, espiègle et rieuse, mais c’est aussi une fille de qualité, sachant apprécier à leur juste valeur les hommes et les choses.

Tous ces traits typiques qui caractérisent les personnages, le ton admirablement soutenu de la première partie font le charme du roman. C’est comme un beau tableau hollandais où tout : effets de lumière, détails d’intérieur, figures principales et secondaires sont peints avec une précision, un réalisme, une vérité de coloris merveilleux. Ce sont ces qualités-là qui font pardonner au Marquis de Villemer la naïveté de sa fable, la pâleur des deux héros, toutes les invraisemblables aventures de la seconde partie et son ennuyeuse conclusion.

Le Marquis de Villemer fut mis à la scène et joué au théâtre de l’Odéon en 1864. La pièce eut le même succès que le roman. C’est une des comédies les plus connues de George Sand : elle resta au répertoire. Nous pensons néanmoins qu’elle est très inférieure au roman.

On dit que c’est Alexandre Dumas fils qui donna à George Sand l’idée première de sa pièce, et l’aida à en établir la construction. En quoi consista cette aide ? il est impossible de le dire à présent, car le manuscrit qui existe est écrit ou plutôt copié de la première jusqu’à la dernière ligne de la main de George Sand et le brouillon ou plutôt les brouillons (car Mme Sand refit au moins deux fois toute la pièce de fond en comble) furent détruits[376]. Quant à Alexandre Dumas, il se dédit en faveur de George Sand de toute part de collaboration : il refusa toujours de donner un seul renseignement sur ce qui était dû à sa plume. « C’est un service qu’on se rend entre confrères, cela ne vaut pas la peine d’en parler », avait-il coutume de répondre lorsqu’on le questionnait plus tard à ce sujet. On dit couramment que cette part consista à émailler de mots le rôle du duc d’Aléria. Mais lorsque nous avons mot à mot comparé la pièce au roman, nous nous sommes, à notre grand étonnement, convaincus que le duc ne s’y montrait ni plus gai, ni plus spirituel. Au contraire, beaucoup de traits fins, de mots et de petites reparties manquent dans la version théâtrale. Ainsi, nous préférons le premier dialogue de Caroline et du duc, tel qu’il se trouve dans le roman, à celui de la comédie. Le commencement de cette scène : la conversation de Caroline avec un inconnu, qui se trouve au dernier moment être le duc ; les quiproquos et les situations comiques qui en proviennent ; la soudaine prière, si touchante, de cet inconnu qui demande à Caroline de lui tendre la main ; la crainte visible de cet homme mondain de ne pas être trouvé digne d’un simple shake-hands, et ses dernières paroles, prononcées d’une voix tremblante : « Ayez soin de ma mère, » tout cela est changé et gâté dans la pièce. Dans le roman ce n’est qu’à ce moment que Caroline s’écrie : « Ah ! Je sais à présent qui vous êtes. Vous êtes le duc d’Aléria. » Dans la comédie, elle sait tout de suite à qui elle parle ; c’est pour cela que ni la prière du duc, ni la réponse de Caroline, ni les paroles finales ne produisent sur le spectateur cette impression inattendue, troublante et touchante. Le dialogue est privé de cet arôme d’inconnu, de mystérieux, de mélancolique, qu’on devine malgré l’apparente gaieté du duc. On y sent une noble âme souffrant de ses propres péchés et ne portant que le masque de l’insouciance. Dans la pièce, ce trait est à peine perceptible ; ce n’est que le jeu d’un bon acteur qui peut y remédier.

Le rôle de Mme d’Arglade n’a pas moins souffert. Dans le roman c’est une bourgeoise vaniteuse qui se faufile, grâce à son babil, à sa feinte naïveté et à son habileté à se plier aux goûts de n’importe qui, dans le monde restreint du Faubourg. Et c’est un type comique et déplaisant, plein de caractère, fait de main de maître. Il est réduit dans la comédie à une banale intrigante de convention.

Nous savons que la scène entre les deux frères produit au théâtre une impression profonde. Nous trouvons cependant que les nécessités dramatiques lui enlèvent de la vérité, du naturel. L’unité de lieu entraîne certaines impossibilités fâcheuses. Xous voyons, entre autres, Diane de Xaintrailles arriver chez la marquise de Villemer à une heure matinale impossible. Nous regrettons aussi de voir la lettre si incomparablement écrite de la duchesse de Dunières et cette charmante vieille dame elle-même remplacées par le personnage volontairement comique et les propos burlesques du duc de Dunières. Tout ceci fait s’envoler la fine analyse psychologique des sentiments, des états d’âme que George Sand savait peindre si excellemment.

Nos lecteurs trouvent peut-être que nous jugeons trop sévèrement cette pièce[377] et se demandent comment elle a pu avoir un tel succès. Nous croyons que ce succès est dû au roman. Mais justement ce qui fait le charme du roman ne se retrouve pas dans la pièce. Pour nous c’est le premier acte qui est le mieux réussi ; la couleur du roman y est mieux maintenue, ainsi que la fidélité des personnages aux types qu’ils représentent dans le roman ; enfin la plupart des dialogues sont gardés tels que.

Il est douteux que George Sand ait pu travailler autant en ces années, si elle ne s’était périodiquement retirée dans « son village », à Gargilesse. Or, ces excursions aux bords de la Creuse eurent une autre signification pour l’œuvre de l’écrivain. Les légendes et les récits sur le château de Briantes lui suggérèrent l’idée d’écrire les Beaux Messieurs de Bois Doré. Le château de Sarzay lui servit de prétexte pour écrire un autre roman dont l’action se passe à Gargilesse même et dans les environs. C’est la Famille de Germandre qui parut en 1861.

Dans l’une de ses Promenades autour d’un village. George Sand avait raconté comment elle et ses compagnons avaient découvert une curieuse famille de gentilshommes ruinés descendants de la brillante maison des Montmorency-Fosseux, devenus paysans et vivant à Gargilesse où l’on pouvait entendre un simple villageois crier : « Dites à Mlle de Montmorency d’apporter de l’eau » et voir ladite Mlle de Montmorency puiser l’eau, porter des seaux et traire les vaches, tout comme dans ce village russe peuplé de princes décrit par Herzen, où un paysan criait : « Hé ! prince Ivan, viens donc labourer. » Et le prince de répondre du bout de son champ : « J’y cours, prince Wassili, » tous les deux n’étant nullement des princes laboureurs par principe, comme Tolstoï, mais de vrais paysans pauvres et insignifiants.

Cette demoiselle de Montmorency et sa famille apparaissent dans le roman de George Sand sous le nom de Mlle Corisande de Germandre et de son frère, le chevalier de Germandre, laboureur, qui arrivent au château de Germandre en qualité d’héritiers, devant assister, avec toute leur parenté titrée, à l’ouverture du testament du chef de leur famille, le marquis de Germandre, prétendu maniaque. Naturellement les représentants démocratisés de la noble famille sont, sous tous les rapports, supérieurs à leurs aristocratiques cousins, et il va de soi que, grâce à son esprit observateur et à ses connaissances multiples, le chevalier-laboureur devine le secret du mystérieux coffret, secret dont la découverte donne droit à tout l’héritage du marquis maniaque, d’après son testament.

Lorsque George Sand travaillait, à la fin de l’automne 1860, à cette Famille de Germandre, elle tomba subitement malade du typhus et presque immédiatement elle perdit connaissance. Elle resta longtemps alitée, entourée de Maurice et de Manceau épeurés et de sa parente Mme Pauline Villot qui se trouvait par hasard à Nohant avec son fils Lucien. Eh bien, l’écrivain nota plus tard le fait curieux qu’au milieu des divagations de la fièvre, elle voyait à tour de rôle les personnes se tenant auprès de son lit, et les héros de son roman, avec lesquels elle se promenait à travers des châteaux et des rochers inconnus, et que même à demi évanouie elle continuait à développer le fil de sa narration. Cela prouve à quel point le travail de son imagination était incessant et comment George Sand avait habitué son esprit à ne jamais rester inactif : elle pensait à tout, excepté à elle-même.

Tout le train de vie établi et maintenu à Nohant depuis 1851 (exception faite du voyage d’Italie en 1855) fut bouleversé par cette maladie de Mme Sand. Sur le conseil de son médecin, elle dut quitter le Berry à la fin de février 1861 et se transporter dans le Midi de la France, où elle passa tout le printemps à Tamaris, près de Toulon. Elle y fut accompagnée par Maurice, Manceau et le jeune Lucien Villot, très aimé de tous les Sand, mais prématurément mort peu de temps après, en 1862. Ce séjour à Tamaris provoqua la création du roman qui porte ce nom et parut l’année suivante. Il est surtout intéressant par ses descriptions et les types des indigènes. De plus, c’est lors de ce séjour dans le Midi que George Sand eut l’idée du Drac. La pièce a pour sujet la croyance provençale au lutin nommé le drac, rappelant le korrigan breton, le trilby suisse et l’erco vénitien jadis chanté par George Sand. Cette comédie fut plus tard remaniée par Paul Meurice pour les théâtres de Paris (la version de George Sand ne fut jouée qu’à Nohant et imprimée dans le volume du Théâtre de Nohant).

C’est quand Mme Sand était à Tamaris, se guérissant au soleil du Midi, qu’y arriva Edmond Plauchut, avec lequel elle était en correspondance depuis 1849[378].

Dès leur première entrevue avec Plauchut, Mme Sand et son fils apprécièrent cette âme droite, ce cœur chaleureux, et Mme Sand lui voua une sympathie maternelle qui se changea vite en une amitié à toute épreuve. Plauchut devint un fidèle de Nohant et un vrai ami dévoué à toute la famille Sand. Ce dévouement ne changea jamais, ni durant la vie de Mme Sand, ni après sa mort. Il resta l’ami des enfants et petits-enfants de George Sand jusqu’à sa dernière heure et fit toujours preuve pour la mémoire de sa grande amie d’une piété fervente. Il fut, selon son vœu, enterré au cimetière de Nohant et fit graver sur sa tombe : « On me croit mort, mais je suis ici. »

Au mois de mai, Maurice, qui s’ennuyait à Tamaris, partit avec le prince et la princesse Jérôme en Algérie, puis en Espagne, au Portugal et enfin en Amérique. Il décrivit son voyage, qui dura jusqu’au mois de novembre, dans le volume Six mille lieues à toute vapeur, dont George Sand écrivit la préface, comme nous l’avons dit. Elle revint avec Manceau vers le 8 juin à Nohant, après un petit voyage en Savoie et dans le Dauphiné (où elle venait de placer l’action de Valvèdre, imprimé au printemps dans la Revue des Deux Mondes, et où elle fit une visite au directeur de ladite revue, Buloz). Puis, en continuant sa route, elle s’arrêta à Montluçon où elle revisita les usines et les mines, ayant pour guide un ingénieur de ses amis[379].

Dans Flavie, dans Valvèdre et dans Jean de la Roche, les lépidoptères, les couches « tertiaires » ou « dévoniennes », les « ombellifères » et les « labiées » n’apparaissent que comme les marottes des héros. Dans Antonia, c’est une fleur rare qui est pour ainsi dire l’héroïne du roman.

L’Antonia est un spécimen de liliacées merveilleux, à grand’peine obtenu par la culture et possédée par Antoine Thierry, vieux célibataire avare et maniaque, riche commerçant du dix-huitième siècle. La secrète passion de sa vie est la culture des fleurs rares. L’Antonia, cette merveilleuse fleur, devient donc le point de départ d’une série d’aventures compliquées. Antoine Thierry ne pardonne pas à sa belle-sœur, la veuve du célèbre peintre Thierry, d’avoir refusé de l’épouser. Il se venge sur elle et sur son fils, peintre aussi, en les faisant souffrir de leur indigence. Il les tient dans la dépendance de sa générosité, et, finalement, il les opprime tout à fait, lorsqu’il apprend que le jeune Thierry est aimé par la jeune marquise qui vient encore de le repousser. Or, par ce mariage il voulait la sauver des poursuites de sa méchante belle-mère et des créanciers de son mari défunt. Pour comble de malheur, voici que dans un accès d’enthousiasme, le jeune peintre brise l’Antonia qu’il venait de peindre pour son oncle. Cette peinture lui avait presque fait regagner le cœur de ce dernier.

Tout est perdu. Antoine Thierry chasse sa belle-sœur et son neveu de la maison qu’ils habitent. La marquise ne voulant pas être la cause de la ruine de celui qu’elle aime feint de le repousser et se retire au couvent. Un autre neveu, un jeune robin. Marcel Thierry, s’efforce en vain d’amadouer son oncle. Chacun fait assaut de désintéressement et de noblesse d’âme. Soudain tout est changé. Revenue à Paris, la marquise accorde à son amoureux un rendez-vous criminel, résolue à se noyer après. Son amant la sauve, le procureur déjoue les ruses de son oncle et arrange tout pour le bien général. L’Antonia a fleuri de nouveau. Antoine Thierry baptise la fleur du nom de la marquise, puis, en oncle de comédie, il consent au mariage de son neveu et lègue au jeune couple toute sa fortune.

Tout cela serait simplement ennuyeux, n’étaient les caractères des personnages secondaires, finement tracés et maintenus : par exemple Marcel Thierry, robin du dix-huitième siècle, sournois et peu enclin aux finesses sentimentales ; puis, quelques traits — assez caricaturés — de l’oncle ; mais surtout la peinture, pleine de détails typiques de ce que George Sand représentait avec un charme et une vérité de ton et de couleur incomparables : la vie et les hommes du grand monde de la fin du dix-huitième siècle. La marquise Antoinette, sa famille, son amie, sa soubrette, leurs propos, leurs manières, leurs attifages et falbalas, leurs propos, tout cela est frappant de pénétration dans l’esprit de l’époque et extraordinaire comme science et savoir. Si la vieille Mme Dupin de Francueil, née de Saxe, avait pu ressusciter et lire Antonia, elle aurait certes beaucoup reconnu de ce qui l’avait entourée jadis, ou de ce qu’elle avait raconté à sa petite-fille. La belle-mère de Casimir Dudevant, la méchante, sèche et revêche baronne Dudevant, aurait aussi pu — avec bien moins de plaisir ! — se reconnaître sous les traits de la belle-mère du feu mari de la marquise : à l’instar de la baronne _ Dudevant, celle-ci tâchait, par amour de l’art, de faire toutes les méchancetés et tous les désagréments possibles à sa belle-fille[380].

Ce roman est dédié à Edouard Rodrigues, ex-saint-simonien, très riche, mécène et amateur de musique qui fut l’aide de George Sand dans une quantité de bonnes œuvres, comme par exemple l’éducation d’enfants pauvres, le soutien de jeunes gens nécessiteux, la distribution de petites sommes à cette troupe de malheureux qui fourmillait toujours près de George Sand, vrais ou prétendus indigents qui exploitaient sa confiance.

George Sand écrivit en tête d’Antonia :

À monsieur Edouard Rodrigues.

À vous qui adoptez les orphelins et qui faites le bien tout simplement à deux mains et à livre ouvert, comme vous lisez Mozart et Beethoven.

Dans ces lettres à Rodrigues, Mme Sand écrit qu’elle aurait voulu lui « dédier non pas Antonia », mais un roman « qui exprime mieux une idée générale et personnelle en même temps »[381], c’était Mademoiselle La Quintinie, qu’elle écrivait alors, mais elle « n’a pas osé », ne voulant pas « mêler le nom de M. Rodrigues au torrent d’injures que certaine presse va vomir contre elle »[382], et aussi, paraît-il, pour ne pas dédier à Rodrigues un roman « à tendance », lui qui appréciait surtout en elle la consolatrice venant dissiper par son divin talent les tristesses et les dégoûts de notre existence, tandis qu’elle s’estimait surtout un soldat, un champion de la vérité.

Je suis soldat, lui écrit-elle un autre jour, et mon devoir est la guerre quand l’on envahit la patrie de mon idée[383]

George Sand fut néanmoins profondément émue en apprenant quelle influence bienfaisante elle avait exercée sur M. Rodrigues :

Mon cœur est tout pénétré, monsieur, de cette amitié si bonne et si vraie que vous me témoignez. En me la révélant, mon cher Alexandre (Dumas) savait bien que dans la vie littéraire digne et croyante, le public n’est pour nous qu’un très petit nombre d’âmes choisies auxquelles nous sommes heureux de plaire. Le reste profite s’il peut et s’il veut de ce que nous tâchons de dire de bon et de vrai, mais nous ne le connaissons pas et si nous le consultions, il nous égarerait comme il égare tous ceux qui lui font des concessions intéressées. Mais le petit nombre qui pense comme nous et qui dirait comme nous s’il voulait dire, celui-là nous soutient et nous donne une force intérieure dont nous devons le remercier. Aussi, monsieur, je vous remercie de cœur, ainsi que cette chère malade[384], dont Alexandre m’a parlé. Mais ce n’est pas moi qui vous ai rendu bon, c’est tout au plus si je vous ai fait sentir que vous l’étiez. Pour cette bonté je chéris votre suffrage et j’y penserai désormais pour me rendre meilleure moi-même. Vous voyez que l’échange sera égal et complet et que si je vous ai fait du bien, vous me le rendez pleinement…

Le fait est que Rodrigues disait d’elle à Dumas fils et écrivait à George Sand elle-même qu’il se considérait comme son débiteur parce qu’elle avait exercé une influence salutaire sur toute sa vie : grâce à elle il devint meilleur.

Voilà une récompense qui échoit rarement aux poètes, voilà le but vers lequel tendent tous ceux qui voudraient « exhausser les âmes par le son de leur lyre », voilà le prix des efforts constants et incessants de George Sand à peindre dans ses romans des natures bonnes, élevées, idéales.

…Je connais quelques natures aussi bonnes que celle que j’invente, — écrivait George Sand un peu plus tard à M. Rodrigues, — et c’est là ce qui soutient ma foi. On ne rêve pas ce qui n’est pas, et à ceux qui me reprochent d’être optimiste, je réponds qu’ils sont bien malheureux de n’avoir pas rencontré des cœurs d’or dans leur triste vie. Dans la jeunesse j’étais sceptique aussi : c’était frayeur de l’inconnu et manque d’expérience ou expérience mal faite. Quand on a vécu, il n’est pas permis de juger ainsi et c’est à recouvrer le sens de la justice que la vieillesse est bonne.

Vous voyez bien que j’ai raison de croire puisque vous voilà devant moi, cher monsieur, et si, en vous écrivant, je me rappelais qu’il existe des égoïstes. Dieu me crierait : « À quoi songes-tu ? C’est bien le moment !…

La correspondance entre George Sand et Rodrigues se noua à l’occasion de l’éducation d’un jeune garçon, M. Francis Laur, qui, adolescent encore, gagnait sa vie et soutenait sa mère, en servant de secrétaire et de guide à un vieil ami de Mme Sand, M. Charles Duvernet, subitement devenu aveugle[385]. Mme Maurice Sand nous avait raconté que Francis Laur, tout enfant encore, avait d’emblée gagné la confiance et les sympathies de Mme Sand un jour, qu’aidant à faire un rangement dans la maison, il avait soudain découvert au grenier, au milieu des vieilles paperasses, les naïfs et touchants bouquets de fleurs sauvages que, dans les jours bienheureux de jeunesse, en 1834, le docteur Pagello cueillait de grand matin pour Mme Sand, au pied des Alpes vénitiennes, et lui présentait à son réveil ; elle les avait soigneusement séchés et gardés au milieu de ses souvenirs, mais les croyait perdus et les revit avec joie. Mme Sand s’intéressa au sort du jeune garçon laborieux ; elle y intéressa Rodrigues et celui-ci lui donna les moyens de faire de bonnes études à domicile, de passer ses examens, afin d’entrer dans une école supérieure, et de devenir ingénieur. C’est M. Louis Maillard, ingénieur des colonies, naturaliste et voyageur, un parent d’Alexandre Manceau et un grand ami de Mme Sand qui, vers 1860, prit une vive part à cette bonne œuvre-là. Ayant passé plusieurs années à l’île de la Réunion-Louis Maillard écrivit une série d’études sur sa faune, sa flore et sa formation géologique ; revenu en France, il voua son temps et ses efforts à l’éducation de deux enfants noirs qu’il eut d’une femme des colonies, et son épouse l’y seconda généreusement. Mme Sand plaça chez Maillard Francis Laur, puis son petit-neveu Simonnet (fils de sa nièce Mme Léontine Simonnet, née Châtiron) et il se forma autour de Louis Maillard comme un petit pensionnat qu’il dirigeait. C’est ainsi que Mme Sand fit participer M. Louis Maillard à la bonne œuvre de M. Rodrigues, Or, elle se lia d’une si grande amitié avec lui qu’elle le nomma l’un de ses trois exécuteurs testamentaires par rapport à la conservation et à la publication de sa correspondance avec Musset. (Voir notre vol. II, p. 177). Mme Sand écrivit aussi deux fois sur Maillard, ayant consacré deux articles sympathiques : l’un à son livre sur Vile de la Réunion et l’autre à la description faite par M. Deshayes de ses collections conchyliologiques. Ces articles parurent tous les deux en 1863 dans la Revue des Deux Mondes, et font maintenant partie du volume Questions d’art et de littérature[386].

Quant aux lettres multiples de Mme Sand à Louis Maillard, écrites de 1862 à 1865, elles occupent une place marquante dans sa correspondance et sont extrêmement précieuses pour sa biographie, mais elles ne sont pas imprimées dans sa Correspondance. Une partie en fut publiée déjà après la mort de Maurice Sand, comme appendice aux lettres de Mme Sand à Rodrigues et à Francis Laur. Toutes ces correspondances parurent sous le titre de Autour d’un enfant dans la Revue de Paris de 1899. La préface, écrite par M, Henri Amie, contient beaucoup de faits et de détails fort précieux, et par quelques lignes chaleureuses évoque dans l’esprit du lecteur cette atmosphère de l’amour du prochain que George Sand créait autour d’elle. Cette correspondance est l’une des pages les plus sympathiques de l’histoire de George Sand ; elle nous initie, une fois de plus, à ce charme que l’écrivain exerçait sur ceux qui l’approchaient, et nous montre comment Mme Sand attirait ses amis dans le cercle magique de cette « bonté active » où elle vivait et agissait.

Au printemps de cette année de 1862 où parut Antonia, Maurice Sand remplit enfin le désir ardent et constant de sa mère : Il se maria. L’apparition à Nohant d’une jeune maîtresse de maison apporta de grands changements dans la vie de Mme Sand et signala le commencement d’une période nouvelle de son existence, la dernière et peut-être la plus heureuse. Nous en parlerons dans le chapitre suivant. Nous allons clore celui-ci par quelques extraits de lettres de George Sand à Dumas fils. Disons quelques mots à propos de la correspondance entre George Sand et Dumas dont la partie la plus intéressante se rapporte à 1860-1863. Ces lettres nous renseignent complètement sur la ce véritable histoire du Marquis de Villemer », tant de fois racontée et commentée de toutes les manières, mais en réalité restée ignorée, inconnue ou — ce qui pis est — faussée. De plus, il y a parmi ces lettres des pages qui sont comme le résumé de la vie morale et intellectuelle de George Sand pendant ces douze dernières années ; elles sont importantes aussi comme l’expression de son opinion sur son « fidèle tête-à-tête » Manceau.

Quoique lié d’amitié avec Mme Sand dès 1851, Dumas fils n’est venu pour la première fois à Nohant que le 9 juillet 1861 et il y est resté jusqu’au 10 août. Il était à ce moment malade, nerveux, très abattu après l’échec de l’une de ses pièces, les complications de sa vie intime et les ennuis de sa vie d’écrivain, pourtant si « veinarde ». Mme Sand — qui lui avait déclaré, dès l’article qu’il écrivit sur Flaminio, en imitant le parler de miss Barbara[387] : « je adopte vous pour un fils de moâ, » — tâcha de remonter le moral à ce « cher grand fils lumineux », alors pessimiste et découragé, de lui rendre avant tout la confiance en ses propres forces. Elle s’efforça aussi à lui insuffler la foi à l’idéal et l’optimiste panthéisme auquel elle était arrivée. En septembre, Dumas revint encore une fois à Nohant, accompagné cette fois par Mme Narishkine et Mlle Olga Narishkine, ainsi que par le peintre Marchal. Ces dames étant parties, Dumas resta jusqu’au 9 octobre, en compagnie du peintre Véron, qu’on nommait V’ron et de Mlle Marie Lambert, du Gymnase, portant le sobriquet de Mlle Drac, en allusion à cette œuvre de Mme Sand, dédiée à Dumas.

Dumas s’était beaucoup plu à Nohant, cette vie simple, partagée entre le travail et les amusements naïfs, la bonne humeur qui régnait entre tous les habitués de la maison, l’amitié de Mme Sand et l’admiration enthousiaste de Manceau lui rendirent le calme moral, et finalement ce séjour lui fit le bien qu’il en attendait. Dès sa première venue, Dumas avait emporté avec lui le volume de Villemer, avec l’idée d’en tirer une pièce. Au bout de très peu de temps, il envoya, en effet, à Mme Sand un scénario de la pièce à faire et un premier acte tout fait[388].

Mme Sand fut étonnée et émerveillée à la fois de cette facilité et de ce savoir-faire dramatique. Et dès ce moment, pendant deux ans, de septembre 1861 à octobre 1863, presque toutes les lettres entre Dumas et George Sand contiennent des détails extrêmement curieux et précieux sur la genèse de cette pièce, sur le travail accompli par chacun des deux collaborateurs, et enfin sur les scrupules de Mme Sand à signer à elle seule cette pièce, faite par eux deux, et à en accepter tous les profits futurs, scrupules que Dumas finit par vaincre tous en avançant comme suprême argument le fait que Mme Sand avait fait toute la partie descriptive de l’Affaire Clemenceau, et que lui, Dumas, l’avait pourtant signée seul. Cette correspondance entre Dumas et Mme Sand réfute, à elle seule, d’une manière absolue, presque tous les « faits » se rapportant à Villemer, racontés dans les Mémoires récemment parus de M. Duquesnel, Mais nous allons encore démontrer dans le chapitre suivant que presque tout ce que cet auteur avance sur n’importe quel fait de cet épisode de la vie de Mme Sand n’est que… de « l’histoire telle qu’on l’écrit ».

À monsieur Alexandre Dumas fils.
Nohant, 26 août 1861.

Tant mieux et vive le fer, si vous vous en trouvez bien : moi, j’y crois, ayant vu de vrais miracles sortir de l’officine de mon vieux ami[389]. On vous embrasse et on vous aime. Continuez à faucher. Voilà un remède qui seconde diablement l’effet du fer ! Les bains d’arrosoir, c’est bon aussi. Le travail aussi, la campagne aussi. Tout est bon quand le jugement est sain et le cœur honnête. Avec ça et de la jeunesse, et du talent vrai, on surmonte tout. Je suis bien curieuse de ce qui va sortir de Villemer. Ça m’amuse un peu de penser que la moelle va se détacher sans que j’aie la peine de découper le morceau et qu’à mon réveil un de ces matins, je verrai se produire un nanan auquel je n’aurai pas mis la main.

Vous savez nos conventions auxquelles il ne faut pas revenir dire non. Nous partageons les profits, s’il y en a, et je crois qu’il y en aura. Je crois aussi que la chose faite et lancée, il faudra que je vous donne un petit écrit, parce que je suis vieille, et que je peux mourir, et que plus tard, ça fait des si et des mais ennuyeux. Ne riez pas de ma régularité, c’est une habitude que j’ai, surtout depuis ma maladie si subite et si bête, de tenir mes affaires en ordre comme si je devais partir le lendemain. Ne me répondez pas à ce projet-là. Comme Manceau naturellement dévore vos lettres avec moi et que mes idées de mort l’attristent toujours, il ne faut pas les lui remettre sous les yeux. Pour moi ce ne sont pas des idées tristes. J’ai, sur la mort, des croyances très douces et très riantes, et je m’imagine n’avoir mérité qu’un sort très gentil dans l’autre vie. Je ne demande pas à être dans le septième ciel avec les séraphins et à contempler à toute heure la face du Très-Haut D’abord je ne crois pas qu’il y ait ni face ni profil, et puis si c’est une grande jouissance d’être aux premières places, ce n’est pas pour moi une nécessité. Il y a tant de jolis petits mondes à habiter ! fût-ce même un autre coin de celui-ci, sous une autre forme ! que de bonheurs cachés peut-être dans l’inconnu des autres existences ! Et qui nous dit que la nôtre soit la meilleure ?

J’ai passé bien des heures de ma vie à regarder pousser l’herbe, ou à contempler la sérénité des grosses pierres au clair de lune. Je vous ai dit ça, je crois. Je m’identifiais tellement au mode d’existence de ces choses tranquilles, prétendues inertes, que j’arrivais à participer à leur calme béatitude. Et de cet hébétement sortait tout à coup de mon cœur un élan très enthousiaste et très passionné pour celui, quel qu’il soit, qui a fait ces deux grandes choses : la vie et le repos, l’activité et le sommeil. Ah ! nous voilà dans les nuages, moquez-vous de votre m’man, mais aimez-la tout de même, sa toccade n’a rien de mauvais.

Donnez de vos nouvelles, quand ça ne vous ennuie pas, et revenez sitôt que le cœur dira : allons.

Je ne vous charge de rien pour ceux qui vous entourent : mais vous savez que j’aime qui vous aime.

Manceau pionce, mais je ne jurerais pas qu’il ne pensât à vous quand même en rêve.

En voilà un que vous pouvez estimer sans crainte de déception. Quel être tout cœur et tout dévouement ! C’est bien probablement les douze ans que j’ai passés avec lui du matin au soir qui m’ont définitivement réconciliée avec la nature humaine. Il y a aussi Maurice marchant toujours droit et sagement dans son chemin tracé — et puis il y a moi qui suis capable de reconnaissance et d’appréciation. Alors, je me disais dans mes restes de vieux spleen : Eh bien, si nous sommes trois bous cœurs pas bêtes au fond, il y en a certainement d’autres, et probablement beaucoup d’autres, car nous ne pouvons pas avoir la prétention d’être des exceptions de tous points. Nous serions alors des monstres ! Suivez mon raisonnement ! Bonsoir.

… On veut que je sois un personnage. Moi, je ne veux être que votre maman. Vous avez du cœur, puisque vous m’aimez et je ne vous demande que ça. Je ne me suis jamais aperçue de ma supériorité en quoi que ce soit, puisque je n’ai jamais pu faire ce que j’ai conçu et rêvé que d’une manière très inférieure à mon idée. On ne me fera donc jamais croire, à moi, que j’en sais plus long que les autres. Restée enfant à tant d’égards, ce que j’aime le mieux dans les individualités de votre force c’est leur bonhomie et leur doute d’elles-mêmes. C’est, à mon sens, le principe de leur vitalité, car celui qui se couronne de ses propres mains a donné son dernier mot. S’il n’est pas fini, on peut du moins dire qu’il est achevé et qu’il se soutiendra peut-être, mais qu’il n’ira pas au delà. Tâchons donc de rester tout jeunes et tout tremblants jusqu’à la vieillesse et de nous imaginer, jusqu’à la veille de la mort, que nous ne faisons que commencer la vie ; c’est, je crois, le moyen d’acquérir toujours un peu, non pas seulement en talent, mais aussi en affection et en bonheur intime. Ce sentiment que le tout est plus grand, plus beau, plus fort et meilleur que nous, nous conseiTe dans ce beau rêve que vous appelez les illusions de la jeunesse, et que j’appelle, moi, l’idéal, c’est-à-dire la vue et le sens du vrai élevé par-dessus la vision du ciel rampant. Je suis optimiste en dépit de tout ce qui m’a déchirée, c’est ma seule qualité peut-être. Vous verrez qu’elle vous viendra. À votre âge j’étais aussi tourmentée et plus malade que vous au moral et au physique. Lasse de creuser les autres et moi-même, j’ai dit un beau matin : « Tout cela m’est égal. L’univers est grand et beau. Tout ce que nous croyons plein d’importance est si fugitif que ce n’est pas la peine d’y penser. Il n’y a dans la vie que deux ou trois choses vraies et sérieuses, et ces choses-là, si claires et si faciles, sont précisément celles que j’ai ignorées et dédaignées, mea culpa ! Mais j’ai été punie de ma bêtise, j’ai souffert autant qu’on peut souffrir ; je dois être pardonnée. Faisons la paix avec le bon

Dieu !… »

CHAPITRE XII

1862-1866


Mariage de Maurice. — Lina Sand. — Protestantisme. — Mademoiselle La Quintinie. — Le Marquis de Villemer au théâtre. — Palaiseau. — Mort de Manceau. — Monsieur Sylvestre. — Le Dernier amour. — Sainte-Beuve. — L’Académie. — Flaubert. — Cadio. — Réinstallation à Nohant.


Dès 1853-55, c’est-à-dire après la trentième année de Maurice, Mme Sand se montre de plus en plus souvent préoccupée de marier son fils. Lui, il choisit tantôt une jeune fille, tantôt une autre, mais ne ressentant pour aucune d’amour sérieux et n’ayant qu’un médiocre désir de se créer une famille, Mme Sand s’adressa à ses amis : Boucoiran, les Duvernet etc., etc., leur demandant de chercher un bon parti pour Maurice et débattit avec eux le pour et le contre de plusieurs mariages.

En 1858, Maurice semble avoir fait choix d’une profession, il veut se consacrer à l’illustration. Mme Sand, heureuse de voir que ses efforts maternels sont enfin atteints, lui écrit :

Nohant, 25 avril 1858.

… Je vois avec plaisir que tu te tires d’affaire, quand besoin est, avec ton travail. Dieu soit loué, c’est tout le but que je poursuivais dans ton enfance quand je te répétais qu’il fallait avoir son gagne-pain au bout des bras, quand même on avait un petit patrimoine assuré. C’est encore la situation sociale la meilleure que celle où tu te trouves…

… Tout serait bien si tu pouvais compléter la vie par un mariage assorti à ta situation et sympathique à ton esprit et à tes sentiments. Mais tu cherches peu ou mal et je ne veux en rien te pousser à prendre un parti si grave. Ma seule conclusion est toujours la même : Aime, ou n’épouse pas[390]

Enfin, en 1862, le sort de Maurice fut décidé. Il arrêta son choix non pas sur quelque « charmante inconnue », non pas sur quelque « bon parti », ni sur une jeune personne qui « conviendrait surtout aux rôles de « jeune première »[391] dans les spectacles improvisés, mais sur une jeune fille que lui et sa mère connaissaient depuis son enfance.

À monsieur Jules Boucoiran.
Nohant, 3 mai 1862.

Mon cher ami, bonne nouvelle ! Maurice se marie selon son cœur et selon son gré. Il épouse la charmante fille de mon vieux et digne ami Calamatta. La fortune qu’il eût demandé à une personne inconnue, il ne la demande pas à celle qui vaut par elle-même, et il a raison. Il est dans le vrai et je suis pleine de bonheur et de satisfaction… Nos fiancés sont à Paris avec Calamatta pour quelques jours[392]

À Charles Poncy.
Nohant, 3 mai 1862.
Cher ami et chers enfants,

Bonne nouvelle ici. Depuis plusieurs semaines mon cœur est dans un grand tralala. Enfin, c’est arrêté ! Maurice épouse la fille d’un de mes plus anciens et plus chers amis, le graveur Calamatta, directeur de l’École de dessin de Milan. C’est une petite Italienne, née et élevée en partie à Paris et que nous chérissons comme un enfant de la famille, depuis qu’elle est au monde. Elle est gentille, charmante, intelligente et chaude patriote romaine. Nous sommes heureux et joyeux. Le père pourra vivre une bonne partie de l’année près de nous. C’est un bonheur de plus. Nous ne savons encore si nous faisons le mariage à Paris ou à Nohant et le jour n’est pas fixé. Mais c’est très prochain, car nous publions les bans.

… Je vous prie de faire part de notre événement de famille à tous nos amis de là-bas, M. et Mme Trucy, M. Gouin, le docteur Aubon, Courdonan, etc. J’écris aux Margollé.

Amitiés et tendresses de Manceau.

À Ludre Gabillaud[393].
Nohant (15) mai 1862.

Demain alors, mon ami. Tâchons que le contrat soit signé à 4 heures et que le mariage ne se fasse pas plus tard que 5. Est-ce possible ? Notre fillette se fait des idées sur le mariage à la nuit comme un mauvais présage.

Caressons l’enfantillage en bonnes gens que nous sommes. Encore un bon coup de collier, mon bon Ludre. Chargez-vous d’amener l’adjoint et le notaire, ce dernier témoin de Maurice avec Duvernet. Vous, témoin de Calamatta. Nous dînons ensemble après. Dimanche, le lendemain, vous revenez dîner avec nous et vous nous amenez votre femme. Est-ce convenu ? Dites à Sylvain si c’est oui sous tous les rapports[394].

G. Sand.

Donc, le 16 mai 1862, Maurice Dudevant se maria avec la fille du graveur connu Luigi Calamatta, Caroline-Marceline Calamatta (ou « Lina », comme on l’appela désormais), petite-fille de l’égyptologue célèbre Raoul Rochette et arrière-petite-fille de Houdon. Le vieux Nohant vit dans ses murs une jeune maîtresse de maison qui non seulement prit sur elle tous les soins, tous les soucis du ménage et des devoirs mondains, mais qui devint bientôt l’aide de Mme Sand dans toutes ses œuvres de bienfaisance[395], son amie, sa vraie fille dévouée et bien-aimée. Dans une lettre que Mme Sand lui adressa au moment de la demande en mariage faite par Maurice Sand, en parlant de la vieille amitié qui unissait les Sand avec le père de Lina, le vieil ami Calamajo, et en suppliant la jeune fille de se fier à l’amour de Maurice et de sa mère, elle lui disait carrément : « Je sens bien que je te serai une mère véritable, car j’ai besoin d’une fille[396]… » Et cette fille Mme Sand la trouva effectivement dans cette « petite Italienne — nera, nera, chantant adorablement de sa voix de contralto fraîche et veloutée, nature chaude et généreuse, bonne et emportée, toujours prête à rire ou à pleurer, » cœur spontané, esprit éveillé, s’intéressant à toutes les questions scientifiques ; tantôt lisant avec ardeur des traités d’archéologie, des brochures politiques et des romans à clef, Darwin et Flaubert, Renan et Lyell, et tantôt s’adonnant avec la même ardeur à l’art culinaire, à la confection de robes d’enfants, à la préparation de toutes sortes de surprises pour tous ses proches, se livrant à des sorties véhémentes contre tout ce qui lui paraissait « obscurantisme » et défendant avec la même véhémence les idées qui lui étaient chères. Oui, cette nouvelle fille fut de tous points une fille selon le cœur de Mme Sand. Quant à Lina, elle disait plus tard franchement : « Oh ! j’ai bien plus épousé George Sand que Maurice Sand, je me suis mariée avec lui, parce que je l’adorais, elle. » Et cette adoration, cette vénération, ce chaud amour filial, Lina le garda pour George Sand tant qu’elle vécut et même après sa mort ! Elle voua sa vie entière à son service, au culte de sa mémoire. Mme Sand trouva par elle et en elle tout ce qui lui avait tant manqué depuis la mort de son aïeule, ce que ni sa mère, ni son mari, ni même son fils, ni surtout sa fille n’avaient su lui témoigner : une sollicitude toujours égale et active, un souci constant de la préserver des ennuis matériels de la vie, des soins ininterrompus, continuels, la volonté de prévenir tous ses désirs. Mme Sand trouva en Lina quelque chose de plus encore : la réalisation de ce qu’elle prêchait dans ses œuvres et de ce qu’elle prenait comme thème favori de ses romans : un être s’oubliant pour les autres, et cependant nullement ordinaire, nullement effacé, un cœur d’une loyauté rare, une nature d’élite se distinguant par ses goûts artistiques, ses aspirations intellectuelles, sa spontanéité, sa sincérité, son abnégation. Lina Sand se disait avec tant de bonne foi « la plus ordinaire, la plus simple des femmes », elle se croyait si sincèrement au-dessous de tous ceux qui l’entouraient, elle se tenait si humblement dans l’ombre, qu’elle induisit en erreur beaucoup, beaucoup de personnes, même parmi ses plus proches ! Et tandis que l’on ne parle de Maurice Sand que sur un ton dithyrambique, qu’on s’extasie toujours sur ses multiples talents, d’aucuns — et ils sont assez nombreux — parlent de « Mme Maurice » avec une condescendance méprisante ou bienveillante.

Or, ceux qui eurent le bonheur de connaître cette femme exceptionnelle pensent tout autrement. Ils se souviendront sans cesse avec une admiration émue de cette âme vibrante, prête à s’enthousiasmer, à se sacrifier pour toutes les nobles causes. Ils se rappelleront à tout jamais le rôle qu’elle joua dans l’existence de George Sand, dans la dernière période de sa vie ; qu’elle fut la gardienne de la glorieuse mémoire de sa « bonne mère » adorée. Ils savent aussi tout ce que George Sand lui doit et comment elle l’appréciait ; ils peuvent donner mainte preuve du dévouement infatigable, des soins pieux dont Lina l’entourait dans ses dernières années, veillant sans cesse à son bien-être. On sait aussi que George Sand l’initiait à tous ses intérêts et que dans son testament elle légua tout son héritage littéraire à Maurice et, en cas de mort, à sa femme Lina et non pas à sa propre fille, ni à personne d’autre.

Les lettres de George Sand durant les quatorze dernières années de sa vie sont toutes remplies d’expressions de tendresse pour sa « Linette », d’admiration devant cette nature spontanée et généreuse, de satisfaction pour le bonheur de Maurice et de joie d’avoir trouvé dans sa femme une jeune amie aussi dévouée, aussi « compréhensive ».

La toute première lettre de Lina Calamatta gagna d’emblée le cœur de Mme Sand. En réponse à son consentement de devenir la femme de Maurice, Mme Sand lui écrivit donc :

Paris, 10 avril 1862.

Ma fille bien-aimée, tu dois avoir reçu hier la lettre de Maurice, aujourd’hui je viens t’embrasser de toute mon âme, au milieu de mes préparatifs de départ pour Nohant, où Maurice me rejoindra pour attendre votre arrivée. Quelle charmante lettre tu m’écris, ma diavolina ! Oui, j’en suis sûre, tu veux nous rendre heureux. Cela t’est bien facile, ma chérie, il ne s’agit que d’être heureuse toi-même, puisque nous n’avons pas d’autre pensée et d’autre besoin que celui-là. Si tu es l’enfant terrible, tu sais aimer. J’aime mieux l’énergie du cœur et de la tête que la moutonnerie de l’habitude et l’absence de volonté. Si tu crois en nous et si tu nous confies ta vie, c’est que tu nous aimes de ton propre mouvement et sans être influencée par des convenances vulgaires.

Dieu nous tiendra compte à tous trois de notre foi, car le mariage est un acte de foi en Lui et en nous-mêmes. Les paroles du prêtre n’y ajoutent rien. Elles sont là pour la forme, car bien souvent il ne croit pas lui-même à ce qu’il dit. Nous nous entendrons sur ce point, nous autres, et à l’église, pendant que le prêtre marmottera, nous prierons le vrai Dieu, celui qui bénit les cœurs sincères et qui les aide à tenir leurs promesses. Qu’il me tarde de t’embrasser, ma chère fille. Et ton bon père aussi que j’aime tant. Embrasse-le pour moi en attendant et reçois toutes les bénédictions de mon cœur.

George Sand.
Jeudi.

Après-demain soir je serai à Nohant[397].

En annonçant le mariage prochain de Maurice à son vieil ami Armand Barbès, George Sand lui écrivait :

Je veux vous annoncer le prochain mariage de mon fils avec la fille de mon vieux et cher ami Calamatta. C’est une charmante enfant et un esprit généreux. Cette union est un vœu de mon cœur enfin accompli.

Et à sa sœur naturelle Mme Caroline Cazamajou, George Sand écrit à son retour de Paris, après le mariage :

Je te disais que le mariage devait avoir lieu, il y a eu aujourd’hui quinze jours. Nos jeunes mariés sont déjà très habitués à leur nouvelle situation qui leur plaît mutuellement, car ils n’ont pas voulu venir passer quarante-huit heures avec moi à Paris, d’où je suis arrivée hier. Je les ai trouvés bien portants, travaillant ensemble et très gais. Je suis bien heureuse, ma nouvelle fille est charmante et nous nous aimons depuis longtemps. Elle a vingt ans, elle est très enfant et en même temps très raisonnable. Je n’ai plus d’autre occupation et d’autre désir que de la rendre heureuse…


À Jules Boucoiran Mme Sand écrivait dans sa lettre du 28 juin 1862 :

Mon jeune ménage va très bien, Maurice pioche, sa petite femme est la grâce et le charme en personne. Nous l’adorons…


Et plusieurs mois plus tard, lorsque sa jeune bru était à Paris avec Maurice pour « voir le monde et se laisser voir », comme disent les bonnes gens, sa belle-mère lui écrivait également :

À Lina Sand.
Nohant, 14 février 1863.

Ma cocotte chérie, j’ai été heureuse ce matin et je suis heureuse pour toute la journée d’avoir une lettre de toi. C’est fête, et elle est bonne et charmante comme toi, ta lettre. Tout en la lisant et en déjeunant, je me suis aperçue que je pleurais dans mon chocolat et comme ce n’étaient pas des larmes tristes, bien au contraire, mon chocolat ne m’en a paru que meilleur.

Tu as bien raison de m’aimer, va, car je ne vis que pour toi et Maurice et je me persuade si bien que je t’ai mise au monde, que je ne fais pas de différence de plus ou de moins entre vous deux.


Or, par une lettre du 20 février de cette même année, adressée à Édouard Cadol qui, alors à ses débuts dramatiques, venait d’obtenir un grand succès avec la Germaine, refaite sur les conseils de George Sand, et venait de quitter Nohant où il avait séjourné plusieurs semaines et gagné tous les cœurs, par cette lettre nous voyons que Mme Sand disait de Lina aux autres la même chose qu’à elle-même :

…Vous êtes gentil de me dire que ma Lina s’amuse et va bien, car elle n’a guère le temps de m’écrire. Je ne le lui dis pas, pour ne pas mettre un cheveu dans ses confitures, mais la maison me paraît bien morne sans elle…

Et encore deux mois plus tard Mme Sand écrit à Ed. Rodrigues :

…En fait de jouissance musicale, je n’ai que le chant de ma petite belle-fille italienne, mais elle en vaut cent. C’est la voix la plus délicieusement fraîche et veloutée qui existe et un sentiment d’une individualité exquise. Chez elle le chant révèle tout l’être. Avec cela, elle coud elle-même toute une layette à elle seule. Elle s’occupe d’histoire naturelle avec son mari et moi, et elle s’apprête bravement à nourrir son enfant…


Lorsque cet enfant — Marc-Antoine Sand — était déjà né et que Mme Sand, séjournant à Paris, visita Mme Arnould-Plessy dans sa loge lors de la première de Penharvan, elle raconta, dans une lettre à Maurice et à Lina, comment on la questionna sur sa « Lina « et comment elle répondit :

…Elle m’a fait mille questions sur vous et tout le monde aussi : « Mme Maurice est-elle artiste ? Est-elle intelligente ? S’intéresse-t-elle aux occupations de son mari ? » — « Oui, certainement, elle chante comme un amour et réconcilie son mari avec la musique, et puis elle s’intéresse à tout ce qu’il fait et même à la science, et elle connaît déjà les coquilles fossiles comme un vieux professeur, et ça ne l’empêche pas de nourrir son mioche aussi bien qu’une vraie paysanne, et de se relever la nuit, et d’ourler ses langes et de tailler ses brassières, etc. » Alors on fait des cris d’admiration et Fromentin s’extasie…


En 1863 George Sand dédia à sa jeune bru son roman Laura ou Voyage dans le cristal où s’était reflété l’expansion de l’auteur non plus pour la botanique, mais la minéralogie et la géologie et où elle parle, sous la forme d’un conte fantastique, de géodes, de druses, de cristallisations et autres choses scientifiques. Cette dédicace est non seulement l’expression du tendre attachement de l’auteur pour la jeune femme de Maurice, mais c’est aussi l’écho des études communes « en géologie » des deux femmes, dirigées par leur mari et fils.

« Vous trouverez dans ma Lina une adepte coiffée aussi de géologie et de fossiles », écrit Mme Sand le 7 février 1863 à Louis Maillard.

Et les expressions de tendresse, les mots émus, les épithètes louangeuses se poursuivent à travers les années et se retrouvent dans toutes les lettres de Mme Sand où il est question de sa belle-fille.

Maurice est heureux en ménage — écrit George Sand à L. Viardot le 11 avril 1867 — il a un vrai petit trésor de femme, active, rangée, bonne mère et bonne ménagère, tout en restant artiste d’intelligence et de cœur. Nous avons un seul petit enfant, une fillette de quinze mois qui s’appelle Aurore et qui annonce aussi beaucoup d’intelligence et d’attention. La gentille créature semble faire son possible pour nous consoler du cher petit que nous avons perdu[398].


Quelques mois plus tard Mme Sand dit à Flaubert dans sa lettre du 24 juillet 1867 :

Ma fille Lina est toujours ma vraie fille. L’autre se porte bien et elle est belle, c’est tout ce que j’ai à lui demander[399].


Encore quelques mois plus tard, au moment où Mme Maurice Sand s’attendait à la venue de son troisième enfant et lorsque la vie du jeune ménage était devenue une part intégrale et indivisible de l’existence de Mme Sand, où les lettres de cette dernière devinrent véritablement des épîtres d’une grand’mère, elle parle en termes que voici de ses « deux enfants » Maurice et Lina, dont l’un venait de la divertir par une pièce de marionnettes extraordinaire et prophétique intitulée « 1870 », où apparaissaient Isidore et sa femme Euphémie :

…Maurice me donne cette récréation dans mes intervalles de repos qui coïncident avec les siens. Il y porte autant d’ardeur et de passion que quand il s’occupe de science. C’est vraiment une charmante nature et on ne s’ennuie jamais avec lui. Sa femme aussi est charmante, toute ronde en ce moment, agissant toujours, s’occupant de tout, se couchant sur le sofa vingt fois par jour, se relevant pour courir à sa fille, à sa cuisinière, à son mari, qui demande un tas de choses pour son théâtre, revenant se coucher, criant qu’elle a mal et riant aux éclats d’une mouche qui vole ; cousant des layettes, lisant des journaux avec rage, des romans qui la font pleurer ; pleurant aussi aux marionnettes quand il y a un bout de sentiment, car il y en a aussi. Enfin c’est une nature et un type ; ça chante à ravir, c’est colère et tendre, ça fait des friandises succulentes pour nous surprendre et chaque journée de notre phase de récréation est une petite fête qu’elle organise[400].

Et le 23 mars 1868, après une série de reproches et de conseils à sa nouvelle amie Mme Juliette Lamber qui souffrait alors d’insomnies nerveuses et se laissait en général trop émouvoir et trop abattre, Mme Sand dit à sa jeune correspondante :

…Ma Lina ne se pique pas de calme, mais elle a de grands mouvements de vouloir et de raison qui se succèdent et se rattachent les uns aux autres après qu’une émotion vive a semblé les briser ; c’est une nature rare, une grande force dans une exquise finesse. Elle est toute disposée à vous aimer, mais elle n’est pas expansive, elle est plutôt timide à première vue et observant plus qu’elle ne songe à montrer. Elle eût été une artiste, si elle n’eût été avant tout une mère. Ce sentiment-là a absorbé toute sa vie depuis six ans. Elle y a mis toute son âme[401].

En 1872, félicitant cette même Juliette Lamber (devenue Mme Adam) du mariage prochain de sa fille adorée Alice, surnommée Topaze et fiancée à M. Paul Segond, le célèbre médecin, Mme Sand écrit à cette amie, le 16 octobre :

…Que votre gendre soit pour vous ce que Lina est pour moi, et vous serez bien récompensée de votre amour pour cette charmante Alice[402]

Enfin le 1er janvier 1873, George Sand écrit à Charles Poncy :

…Lina est toujours la perle de la maison. Toutes les qualités et toutes les grâce ?…[403].

Et combien encore de ces lignes enthousiastes et de jugements émus et tendres sur sa Lina sont disséminés dans les lettres de George Sand des quatorze dernières années de sa vie ! Or, après la mort de Lina elle-même, Mme Séverine écrivit sur elle entre autres les lignes que voici, justes et vraies :

…Son horreur des ténèbres, du mensonge, se renforçait du souvenir toujours vivant en elle. Avec un tact admirable elle sut tout concilier ; ne pas souffrir de son effacement, ne faire souffrir personne ; être le lien obscur, mais solide, entre des personnalités marquées, être la bonne fée secourable à l’intimité.

Dans les souvenirs du grand écrivain, dans tous les livres publiés sur Sand et sur Nohant on la voit passer discrète, bienfaisante, répandant autour d’elle l’ordre sans lequel il n’est pas de foyer…


Le mariage de Maurice Sand ne fut d’abord conclu que devant le maire[404] et ce ne fut que plus tard, lorsque les jeunes époux avaient déjà un fils, qu’ils furent bénis selon les rites de l’Église, non pas catholique, mais protestante, quoique tous les deux fussent catholiques[405]. Ce fut ainsi autant par désir personnel de Maurice qui voulait assurer la liberté de conscience à lui et à ses futurs enfants[406] qu’en raison des idées libératrices de sa mère et de ses croyances religieuses et philosophiques arrivées vers cette époque à une synthèse définitive. Puis, en dehors de l’esprit général de protestation qui s’accentua de plus en plus en France contre le cléricalisme à outrance gagnant tous les jours du terrain, au moment où le second Empire était arrivé à son apogée — ce qui joua bien certainement le rôle d’un argument ab adverso dans la décision de Maurice Sand, ce fut le fait que la mère de Lina Calamatta, Mme Anne-Joséphine Calamatta, une femme charmante et une nature d’élite, une vraie artiste[407], cette distinguée personne, catholique fervente dès sa jeunesse, tomba peu à peu sous l’influence exclusive des prêtres. (Plus tard, après la mort de son mari, elle se fit même religieuse et mourut le 10 décembre 1893 sous le nom de sœur Marie-Josèphe de la Miséricorde.) Luigi Calamatta et sa fille, durant bien des années, souffrirent d’incidents pénibles et révoltant leurs idées, leurs sentiments d’époux et de fille. L’intransigeance de Mme Joséphine les froissait, et sous les traits de différents pères spirituels, confesseurs de Mme Calamatta, le cléricalisme envahissait leur foyer.

George Sand, ayant depuis longtemps franchi toutes les étapes de Spiridion, et acheté au prix de grandes souffrances morales sa foi libre, son credo, rejetait toutes les pratiques et toutes les formalités du culte. Elle niait la divinité du Christ, l’existence du diable et de l’enfer — qu’elle appelait une monstruosité, « une imposture et une barbarie » — et protestait surtout contre le dogme du châtiment éternel[408]. Il est tout naturel qu’elle fût révoltée et douloureusement peinée de tout ce qui se passait alors autour d’elle. La domination spirituelle absolue, annihilante, exercée par leurs confesseurs sur des jeunes femmes et des jeunes filles inconnues ou connues exaspérait Mme Sand. Autrefois, lors du séjour de sa fille dans un pensionnat, elle s’était efforcée de mettre Solange en garde contre le culte extérieur masquant la religion même, elle voulait la préserver du mysticisme sensuel du catholicisme et ne pas lui laisser prendre pour de la réalité certaines manifestations du culte et certains actes symboliques[409]. Mme Sand écrit en ce sens à M. Bascans :

… Soyez bien persuadé cependant qu’en confiant son éducation à des étrangers et hors de chez moi, je surveillerai le programme de son propre travail. Je ne veux pas qu’on la fatigue, ni qu’on remplisse de trop de choses son esprit si impressionnable ; je ne veux pas non plus qu’on la pousse trop en dehors des voies de la philosophie et de la religion naturelle, et j’entends qu’elle reçoive une éducation religieuse qui ne soit ni routinière, ni absurde. L’image de Dieu a été entourée par le culte de tant de subterfuges et d’inventions étranges, que je désire qu’autant que possible sa pensée n’en soit pas imprégnée. Je tolérerai qu’elle suive, mais seulement jusqu’à sa première communion, les exercices de piété en usage dans la maison. Le mysticisme dont la religion, ainsi qu’on nous la présente, a enveloppé la figure sublime du Christ, dénature tout à fait les causes premières de la grande mission qu’il avait à remplir sur la terre, mission qu’on a travestie pour la faire servir à des intérêts et à des passions de toutes sortes. L’étude philosophique et vraie de sa vie a démontré, au contraire, le néant de la plupart des traditions qui sont venues jusqu’à nous sous son nom, et je ne veux pas pour Solange d’un enseignement de ce genre trop prolongé, et dans lequel elle pourrait puiser, et conserver dans un âge plus avancé, des principes d’exclusivisme et d’intolérance, dont je crois qu’il est de mon devoir de la garantir.


Un an plus tard, Mme Sand écrivait au même :

Mon cher monsieur Bascans, nous voici dans la Semaine Sainte. L’année dernière, je n’ai pas été fâchée que Solange vît le spectacle du culte catholique ; mais maintenant que la pièce est jouée pour elle, je ne vois pas de nécessité, et je trouverais même beaucoup d’inconvénients, à ce qu’elle en suivît davantage les représentations. Il ne me convient pas qu’elle s’habitue à l’hypocrisie des génuflexions et des signes de croix, ni à l’adoration de l’idole sous laquelle on déshonore la sainte figure du Christ.

Solange est bien plus sceptique que je ne le voudrais. Je crois donc que la vue de toutes ces cérémonies, dont le sens primitif est perdu, et qu’aucun prêtre orthodoxe de nos jours ne saurait lui expliquer dignement, est d’un mauvais effet sur elle. Je craindrais que cette vue ne détruisît à jamais en elle le germe d’enthousiasme que j’ai tâché d’y mettre pour la mission et la parole de Jésus, si singulièrement expliquée dans les églises. Je vous prie donc de la tenir à la maison pendant toutes ces dévotions. Je ne veux pas qu’on lui mette de la cendre au front, ni qu’on lui fasse baiser des images. Je ne l’ai pas élevée pour l’idolâtrie, et si elle est destinée un jour à faire quelque emploi de son intelligence, ce sera probablement pour travailler, selon la mesure de ses forces, à la destruction de l’idolâtrie. Vous m’obligerez même beaucoup, désormais, de lui supprimer entièrement la messe comme un temps fort mal employé, puisqu’elle n’y songe qu’à railler la dévotion d’autrui.

Cependant, s’il entrait dans vos vues, comme je vous l’avais demandé l’année dernière, de lui expliquer la philosophie du Christ, de l’attendrir au récit de ce beau poème de la vie et de la mort de l’homme divin, de lui présenter l’Évangile comme la doctrine de l’égalité, enfin de commenter avec elle ces évangiles si scandaleusement altérés dans les traductions catholiques, et si admirablement réhabilités dans le Livre de l’humanité de Pierre Leroux, ce serait là pour elle la véritable instruction religieuse dont je désirerais qu’elle profitât durant la Semaine Sainte, et tous les jours de sa vie. Mais cette instruction ne peut lui venir que de vous, non des « comédiens sacrés », iunctos samiones, comme disaient les Hussites…

Tout à vous de cœur.

G. Sand.

Plus tard elle agit de m^me envers le jeune Francis Laur, désireuse de le préserver des pratiques religieuses, voire même de toute espèce de culte. Dans ses lettres à Louis Maillard elle écrit ;

Nohant, 17 février 1863.

… Mme Maillard va à la messe, c’est bien, elle y croit ; mais j’espère que Francis et René n’y vont pas. Le jour où ils feraient alliance avec le prêtre, je leur tirerais ma révérence. Les garçons qui font ce pacte n’ont plus besoin de personne, et on n’a plus qu’à se méfier et se préserver d’eux.

Nohant, 22 février 1863.

Enquête faite, dites-vous, les enfants ne vont pas à la messe. Mais je n’ai pas ouï dire qu’ils y eussent été ? Si j’ai pensé à la messe, c’est que vous m’écriviez : Mme Maillard est à la messe et Francis crie la faim. D’où j’ai conclu naturellement que Mme Maillard allait à la messe, ce qui est fort bien vu et ne me regarde pas ; mais ce qui m’a fait penser à vous dire je ne sais plus quoi, en général, sur mes deux garçons de chez vous. Je sais qu’il y a une propagande organisée qui s’empare tant qu’elle peut des jeunes esprits pour les fausser ; j’étais déjà assez mécontente que ma nièce eût mis ses fils chez les prêtres. Elle s’en mord les doigts à présent. Je crois que René les juge bien, ces bons messieurs, et en somme je n’ai guère d’inquiétude qu’ils aient déteint sur lui.

Mais quant à accuser quelqu’un de chez vous de faire du zèle religieux, je crois que personne n’y a songé et qu’il n’y avait pas d’enquête à faire. Ils n’auront pas su ce que cela voulait dire…

Mme Sand niait la religion catholique, elle se méfiait également du protestantisme officiel. C’est pour cela que Maurice lui ayant confié son désir de faire son fils protestant et de se marier préalablement devant un pasteur, elle se mit activement à la recherche d’un représentant d’une Église libre. Mme Sand craignait que son fils et sa future famille ne tombassent de Charybde en Scylla et n’échappassent à la religion officielle que pour se soumettre à la règle d’une petite Église intolérante ; c’est pour cela que Mme Sand réfléchit longtemps avant d’arrêter son choix, et ne se décida qu’après de longs pourparlers, de longs débats sur toutes sortes de questions. On peut suivre ces péripéties en lisant les nombreuses lettres, tant imprimées qu’inédites, adressées par Mme Sand à MM. Coquerel, Leblois à Strasbourg, Guy à Bourges, Schœffer à Colmar. Les plus remarquables sont celles qu’elle adressa à M. Schæffer, deux sont imprimées aux pages 342 et 349 du volume IV de la Correspondance (sans indication du nom du destinataire et ne portant que « M*** » ) et une troisième parut dans l’Amateur d’autographes[410]. Nous ne transcrirons point ici les deux premières, mais nous trouvons indispensable de citer cette dernière lettre d’autant plus que cette revue est peu connue.

À monsieur Ad. Schæffer, ministre protestant à Colmar.
Monsieur,

J’ai beaucoup tardé à vous répondre. Un heureux événement de famille m’a ôté tout loisir pour la lecture et la correspondance.

J’ai enfin lu votre livre et allant droit au fait avec la franchise que commande l’estime fraternelle, je vous dirai pourquoi je n’ai pas parlé du protestantisme avec une entière sympathie. C’est parce que, dans le présent, le protestantisme n’a pas fait sur toute la ligne, comme on dit d’une armée, le pas décisif et nécessaire qu’il devait, qu’il doit faire, sous peine de tomber dans le même discrédit que le catholicisme. Le protestantisme, à qui je pardonnerais jusqu’à un certain point de concevoir la divinité de Jésus, parce que ce dogme ne choque que la raison et trouve son excuse dans le sentiment, — le protestantisme, dis-je, n’a point abjuré le dogme de l’enfer qui révolte la raison, la conscience et le sentiment.

Depuis que j’ai publié Mademoiselle La Quintinie, j’ai reçu beaucoup de lettres et d’écrits protestants. J’ai été renseignée sur la situation des esprits et des cœurs dans l’Église réformée et j’ai vu avec une grande satisfaction qu’un assez grand nombre de ses membres avait accompli le double progrès que réclamait ma conscience. Je le dirai à l’occasion.

Vous dites d’excellentes choses dans votre Essai sur la tolérance.

Vous les dites bien, avec noblesse et simplicité. Toutes vos critiques du catholicisme portent juste et sur la question historique, tout ce qui est digne du nom d’homme vous donne aujourd’hui raison.

Mais vous arrivez à la doctrine de tolérance proclamée par Jésus-Christ, et je vois là, dans le texte sacré, des monstruosités qui m’arrêtent. Jésus croit à l’enfer et il aime à y croire. Son régime de douceur et de miséricorde, il en croit l’homme capable, puisqu’il le lui enseigne, mais il le refuse à Dieu. Il compte que son père le vengera, il espère que la vertu de ses disciples amassera des charbons ardents sur la tête de leurs persécuteurs, il condamne ceux-ci à la géhenne du feu. Enfin, s’il a dit les paroles qu’on lui prête, sa mansuétude ne serait qu’une politique habile, et son cœur, transportant le châtiment de ses adversaires dans l’éternité, eût recelé des trésors d’intolérance et de colère : ou Jésus-Christ n’a jamais dit ces paroles, ou Jésus-Christ n’est pas Dieu. Il faut choisir, et vous deviez ici nous enseigner et vous prononcer. Ôtez l’enfer et vous qui comprenez si bien le pardon des injures sur la terre, ne faites pas Dieu au-dessous de votre image. Si Jésus est le fils de Dieu, affirmez qu’il n’est pas au-dessous de son père et que ce qu’il a défié sur la terre est délié dans le ciel. Affirmez qu’on l’a outragé en remplissant sa bouche de menaces et de malédictions.

S’il n’est pas Dieu, pardonnons-lui d’avoir eu les superstitions et le imperfections de son temps et de son milieu, mais ne passons point à côté d’une question si grave. Il n’y a pas de tolérance qui tienne et vos propres arguments contre l’impossibilité de tolérer l’intolérance sont ici dans toute leur force. Détrônons ce faux dieu, ou déchirons les pages sacrées qui le calomnient.

Vous ouvrez la porte à la liberté d’interprétation, je le sais, mais pour que les esprits éclairés et les âmes vraiment aimantes se rallient à votre Église, il faudra bien l’ouvrir toute grande, cette porte au delà de laquelle on veut voir le vrai Dieu. Ministres de la foi, vous la tenez entre-bâillée, cette porte du ciel, elle n’est ni ouverte ni fermée. Prenez-y garde, les nouvelles générations n’y passeront pas si l’enfer est au seuil.

Pardonnez-moi de vous dire tout cela, mais soyez sûr que ce n’est pas ma croyance personnelle qui veut entrer en lutte avec la vôtre. Je porte en moi la conscience du genre humain. Elle est en vous également, consultez-la, écoutez-la, elle vous dira qu’il faut qu’une des deux Églises qui se partagent les croyances actuelles fasse un pas décisif dans la vérité et la justice. Il y a mille à parier contre un que l’Église romaine périra sans transiger tandis qu’il semble aujourd’hui que le protestantisme commence à s’ébranler devant le monde affamé, enfiévré de progrès. Si vous êtes du côté de ce mouvement qui peut nous sauver du matérialisme[411], je suis avec vous, monsieur, et rien d’irrémédiable ne nous sépare. Sinon ne vous étonnez pas qu’avec tous les libres penseurs de mon temps, je ne veuille être ni avec les protestants, ni avec les catholiques.

Et croyez quand même à mes sentiments affectueux et distingués.

George Sand.
Nohant, 21 août 63.

Le baptême protestant du petit Marc-Antoine est raconté dans une série de lettres du printemps 1864, époque de la première de Villemer et de l’installation de Mme Sand à Palaiseau ; nous donnerons plus loin ces lettres intégralement, sans en rien citer ici.

En 1866 Maurice Sand eut une fille, Aurore, et en 1868 une seconde fille, Gabrielle. Ces deux enfants, également, ne furent point baptisées dès leur naissance, on ne les baptisa protestantes que lorsque l’aînée avait presque trois ans et l’autre huit mois ; le prince Jérôme et Mme Sand furent le parrain et la marraine d’Aurore ; le neveu de Mme Sand, M. Simonnet et Mlle Nancy Fleury ceux de Gabrielle. À ce propos George Sand écrit à Flaubert, de Nohant, le 20 novembre 1868 :

… Vers le 15 décembre, ici, nous baptisons protestantes nos deux fillettes. C’est l’idée de Maurice qui s’est marié devant le pasteur et qui ne veut pas de persécution et d’influences catholiques autour de ses filles…

Et à Mme Adam, le baptême déjà accompli, Mme Sand écrit le 20 décembre 1868 :

Je n’ai pas eu un instant pour vous répondre. Nohant a été sens dessus dessous pour les fêtes de nos baptêmes spiritualistes, je ne veux pas dire protestants, bien que le premier sens du mot soit le vrai ; avec cela il fallait finir un gros travail…

Si nous faisons encore remarquer que lorsque moins de six mois plus tard, le 9 mars 1869, mourut le vieux Calamatta et que sa femme quitta presque immédiatement après le monde pour prendre le voile, projet préparé de longue date par ses confesseur et directeur, on comprend aisément que les sentiments hostiles et l’indignation de Mme Sand et de sa famille ne faisaient que croître. Et George Sand, comme il arrive souvent dans les temps de polémique, se passionnait de plus en plus contre le catholicisme. Sur ce sujet George Sand écrivit une très curieuse lettre en janvier 1863, — l’année même où parut Mademoiselle La Quintinie — à Mlle Leroyer de Chantepie. En lui disant qu’elle considérait comme une chose très néfaste l’état de doute et d’indécision dans lequel se trouvait son ancienne correspondante, celle-ci ne pouvant ni se résoudre à se passer de la confession, ni se confesser sans hésitation, Mme Sand lui conseillait d’accomplir cet acte de foi simplement et de tout son cœur, plutôt que de rester dans cet état de doute. Elle lui avouait néanmoins sincèrement qu’elle était arrivée elle-même à des idées très libres en ces matières :

Il n’y a pas, je crois, d’âme plus généreuse et plus pure que la vôtre, et elle ne serait pas sauvée ! Ce dogme catholique vous tue et, si je vous dis qu’il faut en sortir, vous n’aurez peut-être plus ni amitié pour moi, ni confiance. Pourtant c’est ma conviction, le dogme de l’enfer est une monstruosité, une imposture, une barbarie. Dieu, qui nous a tracé la loi du progrès et qui nous y pousse malgré nous, nous défend aujourd’hui de croire à la damnation éternelle ; c’est une impiété que de douter de sa miséricorde infinie et de croire qu’il ne pardonne pas toujours, même aux plus grands coupables.

Je vous croyais autrefois heureuse par la foi catholique et les croyances douces et tranquilles dans les belles âmes me paraissent si sacrées, que je vous disais : « Allez à tel prêtre ou à tel philosophe chrétien, ou à tel ami qui vous semblera propre à vous rendre l’ancienne sérénité où vos nobles sentiments ont pris naissance et force. » Mais voilà que le doute est entré en vous, et que la voix du prêtre vous jette dans une sorte de vertige. Quittez le prêtre et allez à Dieu qui vous appelle et qui juge apparemment que votre âme est assez éclairée pour ne pouvoir plus supporter un intermédiaire, sujet à erreur.

Ou, si l’habitude, la convenance, le besoin des formules consacrées vous Ment à la pratique du culte, portez-y donc cet esprit de confiance, de liberté et de véritable foi, qui est en vous… Dieu ne veut pas que l’on doute de soi-même, car c’est douter de lui[412].

Elle lui écrivait encore :

… Allez à Dieu sans intermédiaire et sans prêtre : ou si la confession vous paraît un devoir, remplissez-le naïvement et sans examen. Confessez-vous de votre mieux et même des fautes involontaires ; de cette façon, rien ne manquera à votre sincérité de cœur, et le confesseur vous grondât-il plus que de raison, soyez sûre que Dieu appréciera avec plus de clarté et d’indulgence.

Je vous avoue que pour mon compte, j’en suis venue à regarder le prêtre comme l’agent du mal en ce monde, mais je ne discute pas les convictions de doctrine chez des personnes de votre mérite. Ce que je blâme avec tout le respect qui vous est dû, c’est que vous restiez dans l’impasse du doute, sans faire d’effort suprême pour en sortir. Acceptez complètement l’Église si vous vous y croyez obligée ; ne discutez rien et vous retrouverez la paix[413]

Ces lignes deviennent très significatives, surtout confrontées aux lettres passionnément indignées, parfois même désagréablement âpres et mordantes, que Mme Sand écrivit en automne 1868 à Flaubert, à Mme Arnould-Plessy et au père Hyacinthe Loyson[414]. Nous avons parlé de ces lettres de Mme Sand au chapitre ix à propos de la « conversion de Mme Arnould-Plessy » [415]. En anticipant un peu sur Tordre chronologique, disons dès à présent que lorsqu’en 1872, — juste au moment où l’on était en train de faire jouer Mademoiselle La Quintinie, tirée du roman du même nom, — le père Loyson se prononça contre le célibat du clergé, se maria tout en restant prêtre et entra en dissidence ouverte avec l’Église romaine, George Sand acclama cet acte de courage et de foi par un article dans le Temps (réimprimé plus tard comme le numéro xvii de ses Impressions et souvenirs). Et c’est dans cet article qu’elle émit la pensée qui choqua tant de ses contemporains et qui, de nos jours encore, est souvent citée par des auteurs orthodoxes comme l’abomination de la désolation. Le père Loyson affirmait ne pas être protestant, et George Sand lui refusait le droit de se croire catholique du moment où il n’admettait pas le célibat des prêtres. Cette distinction entre l’Église latine et l’Église romaine lui semblait « assez arbitraire, elle y retrouvait une subtilité de prêtre ». Elle écrit : « Pour nous il est un hérétique parfait et nous l’en félicitons, car les hérésies sont la grande vitalité de l’idéal chrétien… »[416]

Toutes ces idées et tous ces sentiments anti-orthodoxes de George Sand trouvèrent leur écho dans Mademoiselle La Quintinie, roman qui paiiit trois ans après le Marquis de Villemer, fit beaucoup de bruit en son temps et souleva un grand courant de sympathie pour Mme Sand de la part de la jeunesse des écoles et de tous les gens avancés. C’est l’un de ses romans militants et lorsqu’on fait le bilan de ses tendances libératrices et de ses romans à thèse, on lui donne l’une des premières places. Mademoiselle La Quintinie, c’est comme une conclusion ou un commentaire à Spiridion. Seulement il n’est point écrit sous la forme fantastique et romanesque de Spirdion, c’est un roman parfaitement réaliste, se rapprochant presque des romans naturalistes par sa manière et par le développement de l’action et ne s’en distinguant que par l’absence des scènes grossières.

Nous venons de dire que ce roman fit beaucoup de bruit. Il sépara les lecteurs en deux camps : les uns admiraient outre mesure cette courageuse protestation contre le clergé alors au faîte du pouvoir, les autres s’indignèrent et appelèrent sur la tête de l’auteur les foudres de l’Église. Ce qui les horripilait surtout, c’était le fait que le héros du roman était un prêtre, l’abbé Moréali.

George Sand se rendait très bien compte de tout cela ; nous trouvons dans ses lettres inédites d’intéressants passages qui le prouvent.

À Alexandre Dumas fils
Nohant, 1er janvier 1863.

… Buloz a entendu dire que le roman de Monsieur Dumas était fini. « M. Dumas » ne lui avait-il pas promis la préférence ? « M. Dumas » devrait bien penser à lui, etc., etc. Enfin Buloz est impatient de lire et il est bien avéré pour moi que c’est chez lui un désir sincère de pouvoir rehausser sa replie de votre nom. Mais voudra-t-il de nos petites élucubrations ? Moi, j’ai là un millier de pages contre les cagots, lesquelles, malgré sa demande, lui paraîtront contenir neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pages de trop. N’importe, essayons la littérature sans hypocrisie, dans cette même revue qui a publié Sibylle[417].

Deux mois plus tard, elle écrit à Boucoiran :

Nohant, 8 mars 1863.

… J’ai fait un roman peu catholique qui commence à paraître dans la revue et qui m’attirera bien des injures. Maurice a fait un roman aussi, qui paraîtra aussitôt après le mien dans la même revue.

Manceau fait de tout et tout le monde vous aime et vous embrasse…


Nous lisons enfin dans la lettre de Mme Sand à Ed. Rodrigues, dont nous avons cité un passage au chapitre xi :

J’ai donc bien fait de ne pas vous dédier ce roman qui va m’attirer des horions ? Vous voyez, je n’ai pas été trop bête, cette fois, pour moi. Vous vous inquiétez de me voir rentrer en campagne, mais c’est mon état, cher ami. Je suis soldat et mon devoir est la guerre quand l’on envahit la patrie de mon idée. Mais ce n’est pas de politique que je m’occupe, sachez-le. Vous me demandiez aussi le sujet de ce roman qui m’occupe si fort ? Je vous l’ai dit, je crois. C’est la guerre aux hypocrites. Cela vous inquiétait pour moi. Pourquoi cela, mon ami ? La mission douce et persuasive que vous m’attribuez n’a de valeur que si elle est sincère et brave à l’occasion.

…La préoccupation qui nous lie, celle de donner du bonheur aux autres, est la mise en commun de ce qu’il y a en nous de meilleur et de plus important… »


La jeunesse des écoles apprécia à sa juste valeur cette « bravoure de soldat » et à la première occasion — qui fut la première de Villemer à l’Odéon — fit des ovations très démonstratives à l’auteur de Mademoiselle La Quintinie.

Lorsque ce roman parut on fit des tentatives pour en trouver la clef, pour découvrir les personnes réelles que George Sand avait mises en scène, on avait tâché de dévoiler aussi les noms des héros. On demandait même dans les colonnes de l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, si sous les noms du « père Onorio », de « l’abbé Moréali » se cachaient des personnages réels, à quelle époque ils avaient vécu ou si ce n’étaient que des êtres créés par l’imagination de l’auteur. On alla jusqu’à dire que le sermon du père Onorio à la suite duquel Lucie La Quintinie abjure la religion catholique, n’était que la reproduction presque textuelle des « anathèmes » de Louis Veuillot contre le père Passaglia dans son Parfum de Rome.

Quoi qu’il en soit, Mademoiselle La Quintinie souleva une grande tempête, et lorsque neuf ans plus tard, en 1872, George Sand fit des démarches pour mettre à la scène un drame tiré de ce roman, elles n’aboutirent pas malgré l’appui de ses amis. Le comité de censure dramatique, tout en déclarant « que la pièce était un chef-d’œuvre, qu’on n’avait rien à y reprendre, qu’elle était de la morale la plus élevée, la plus irréprochable »[418], n’osa pas prendre la responsabilité de la représentation et déclara qu’il « fallait que la pièce allât plus haut », c’est-à-dire chez le ministre des Beaux-Arts et des Cultes. C’était alors Jules Simon. Il n’osa prendre aucune résolution. Interdire cette pièce appartenant à la plume d’un écrivain d’une si grande popularité et tirée d’un de ses romans les plus connus, c’était soulever une tempête d’indignation parmi les Parisiens. L’autoriser c’était « se mettre à dos les cléricaux de la Chambre », c’était à ce moment son portefeuille de ministre menacé. Jules Simon envoya la pièce au gouverneur militaire de Paris, car on était alors en état de siège et toutes les questions étaient soumises au gouverneur, le général Ladmirault, il visait toutes les œuvres dramatiques. Apprenant que le héros de la pièce de George Sand était un prêtre, et que l’action se jouait autour de son amour pour la demoiselle La Quintinie, le général Ladmirault déclara qu’il « ne se gênerait pas pour passer son sabre au travers du corps de Mlle La Quintinie » et qu’il interdirait une pièce à tendances aussi subversives, révoltantes pour tous les bons catholiques. Or, Jules Simon voulut éviter à tout prix ces mesures coercitives.

Charles Edmond que Mme Sand avait pris pour arbitre des changements à faire dans sa pièce et M. Félix Duquesnel, alors directeur de l’Odéon, contèrent plus tard avec beaucoup de verve et d’esprit comment Jules Simon réussit à sortir de cette impasse : ni permettre, ni interdire la pièce, mais… la faire mourir d’inanition. Voici la version de Duquesnel : Le ministre fit venir M. Duquesnel, lui expliqua dans quelle impasse il se trouvait : il aurait bien voulu pouvoir contenter les loups et les brebis à la fois, mais surtout, oh ! surtout ! il protesta de son désir d’éviter tout sujet d’ennui à l’auteur et pour cela… pour cela il priait M. Duquesnel de comprendre ce qu’il avait à faire. M. Duquesnel le comprit effectivement à sa manière. Il eut recours à un moyen… de théâtre. Lafontaine qui devait remplacer dans le rôle de Moreali Charles-Francisque Berton, devenu subitement fou, Lafontaine, au dire de M. Duquesnel, eut une attaque de goutte. On ajourna les répétitions. Puis, la jeune première prétendit avoir la fièvre. On attendit encore. Une autre artiste fut malade. Le printemps arriva sur ces entrefaites. On remit la pièce à l’automne prochain. Mme Sand se désolait de tous ces contretemps sans se douter de la ruse employée par Jules Simon. L’automne venu on lambina encore. Puis, d’après M. Duquesnel, il se trouva dans l’obligation de remplir la promesse donnée à deux autres auteurs. Enfin il proposa à George Sand de reprendre Mauprat, et Mademoiselle La Quintinie tomba dans l’oubli. À l’entendre, le manuscrit fut égaré. Le temps passait, Mme Sand, occupée par de nouveaux travaux, ne pensa plus à sa pièce. On ne s’en souvint plus qu’après sa mort. C’est ainsi que racontèrent la chose M. Duquesnel et d’autres après lui.

Si on lit les lettres imprimées et inédites de George Sand se rapportant à sa tentative de faire jouer Mademoiselle La Quintinie, on verra que les détails de cette histoire, — prétendue spirituelle, — contée par M. Duquesnel, ne sont pas très exacts. George Sand ne fut nullement aussi naïve et ne se laissa pas leurrer par toutes ces inventions, tous ces « moyens de théâtre ». Bien plus, c’est elle-même qui ne voulut pas mettre Jules Simon dans une position inextricable et arrêta toutes ses démarches. On peut le voir par ses lettres imprimées du 29 novembre et de décembre 1872 et par les lignes de sa lettre inédite à Charles Edmond du 9 janvier 1873 :

À Flaubert.
29 novembre.

…Je ne crois pas qu’on joue Mademoiselle La Quintinie. Les censeurs ont déclaré que c’était un chef-d’œuvre de la plus haute et de la plus saine moralité, mais qu’ils ne pouvaient pas prendre sur eux d’en autoriser la représentation. Il faut que cela aille plus haut, c’est-à-dire au ministre qui renverra au général Ladmirault ; c’est à mourir de rire. Mais je ne consens pas à tout cela et j’aime mieux qu’on se tienne tranquille jusqu’à nouvel ordre. Si le nouvel ordre est la monarchie cléricale, nous en verrons bien d’autres. Pour mon compte, ça m’est égal qu’on m’empêche, mais pour l’avenir de notre génération…[419].

Nohant, 9 janvier 1873.

B… (Plauchut) ne se rend aucun compte de mon aversion pour le combat et de mon absence d’illusions. D’après ce qu’il m’a raconté de votre entretien avec Duquesnel et vous avant son départ de Paris pour Nohant, j’ai compris (s’il a bien compris lui-même) que 1° La Quintinie ne pouvait aboutir cette année et que ce n’était la faute à personne de nous : c’est la faute au parti sacerdotal. S’il y avait devoir de lutter contre lui en ce moment, je lutterais malgré mon horreur pour le combat. Le devoir jusqu’à la mort et le repos après. Mais, selon moi, mon devoir est de me tenir tranquille. Que dirais-je à Jules Simon ? « Risquez tout pour me satisfaire. » Il me répondrait : « Encourager le combat dans ce moment où nous tenons à un fil, c’est précipiter une crise qui aura peut-être pour dénouement le ministère de Mgr Dupanloup. » Et comme je lui dirais, moi : « Ne risquez point cela pour moi, » notre explication serait parfaitement inutile. Attendons et ne pensons pas à La Quintinie.

Quant à la reprise de Mauprat, c’est à Duquesnel de juger si elle peut lui être avantageuse dans une situation où il lui faut un grand succès à tout prix. S’il en juge autrement et qu’il l’ajourne, il fait bien, et je l’engage encore une fois à sauver l’Odéon sans se tourmenter de moi. Si après lui avoir rendu le service de plaider sa cause[420] j’exigeais qu’il se ruinât pour m’en récompenser, mon exigence serait injuste et le service rendu ne serait qu’un calcul égoïste dont il aurait le droit de ne pas me savoir gré… »

Un peu avant l’époque où Mme Sand écrivit le roman de MademoiseUe La Quintinie, vers 1860, elle s’était reprise à correspondre assidûment avec Sainte-Beuve. D’abord elle s’était adressée a lui avec la prière de faire obtenir le prix Montyon à un certain Verbet[421] et aussi à propos d’une affaire toute personnelle : son désir de publier sa correspondance avec Musset. Sainte-Beuve se montra, en cette circonstance, bien digne de la confiance que son illustre amie avait en son inaltérable amitié. Peu à peu, comme au bon vieux temps, G « orge Sand se mit à parler à son vieil ami de toutes ses affaires littéraires et privées et à le consulter sur toute chose. Lui, voyant combien cette « illustration de son époque » était obligée de travailler de façon constante, désireux de lui venir en aide et d’alléger un peu le poids de son fardeau, eut l’idée de demander pour George Sand un prix d’Académie, le prix Gobert (20 000 francs). Nous avons parlé de ces démarches au chapitre vii de notre premier volume. Nous avons signalé combien Mérimée s’était montré chevaleresque en lui donnant sa voix, tandis que Sandeau, diplomatiquement, n’assista pas à la séance, et le prix fut décerné à Thiers. Tous les détails de cette histoire se lisent dans le livre de M. Nisard, Souvenirs et notes biographiques, et dans le livre du vicomte de Spoelberch : la Véritable histoire de Elle et Lui, on peut aussi y lire toutes les lettres échangées à ce propos entre Sainte-Beuve, Sandeau, Mérimée et autres, et savoir quels académiciens étaient présents ou absents ce jour-là[422].

Il paraît qu’on fut très attristé à la cour de Napoléon III de l’échec de Mme Sand ; on le prit tellement à cœur qu’on eut ridée de l’en dédommager en proposant à l’auteur du Marquis de Villemer une somme prise sur la cassette de l’empereur, égale à celle du prix académique. Le prince Jérôme fut, paraît-il, l’auteur de cette idée. Mais il se peut aussi qu’elle lui fût soufflée, ainsi qu’à la princesse MathUde, par Sainte-Beuve, l’ami commun de l’auteur et de ces princes. Cet épisode se trouve relaté dans la lettre de Mme Sand à sa cousine Mme Pauline Villot, très liée avec le prince Jérôme et sa famille grâce à la position de son mari. On voit par la lettre suivante que George Sand refusa d’avance, et nettement, la « grâce » dont elle était menacée. Elle écrivit à ce propos de Tamaris :

Chère cousine,

Vous êtes bonne comme un ange de vous occuper de moi si gracieusement et de vous tourmenter de cette affaire qui me tourmente si peu. Lucien a dû vous dire pour combien de raisons très vraies et très logiques j’aurais désiré qu’il ne fût pas question de moi. Je n’ai pas voulu désavouer les amis qui m’avaient portée, d’autant plus que j’avais et que j’ai encore la certitude qu’ils doivent échouer.

J’ai trop fait la guerre aux hypocrites pour que le monde officiellement religieux me le pardonne. Et je ne souhaite pas être pardonnée. J’aime bien mieux qu’on me repousse vers l’enfer, où ils mettent tous les honnêtes gens.

Mais à propos de cette affaire de l’Académie, il en est une autre dont je veux vous parler, Buloz, qui n’a pas toujours un style très clair, m’écrit que quelqu’un est venu le trouver pour lui dire de me sonder pour savoir si j’accepterais de l’empereur un dédommagement, offert d’une façon honorable et équivalant au prix de l’Académie, dans le cas où il ne me serait pas accordé.

J’ai répondu que je ne désirais absolument rien, mais j’ai bien chargé Buloz de présenter mon refus sous forme de remerciement très sincère et très reconnaissant ; or, comme une commission de cette nature, quelque explicite et franche qu’elle soit, peut, en passant par plusieurs bouches, être dénaturée, je vous demande de voir le prince, qui est net et vrai, lui, et de lui dire ceci : « Je ne mets aucune sotte fierté, aucun esprit de parti, aucune nuance d’ingratitude, à refuser un bienfait de l’empereur. Si j’étais malade, infirme et dans la misère, je lui demanderais peut-être pour moi ce que j’ai plusieurs fois demandé à l’impératrice et aux ministres pour les malheureux. Mais je me porte bien, je travaille, et je n’ai pas de besoins. Il ne me paraît pas honnête d’accepter une générosité à laquelle de plus à plaindre ont des droits réels. Si l’Académie me décerne le prix, je l’accepterai, non sans chagrin, mais pour ne pas me poser en fier-à-bras littéraire et pour laisser donner une consécration extérieure à la moralité de mes ouvrages prétendus immoraux. De cette façon, les généreuses intentions de l’empereur à mon égard seront remplies. Si, comme j’en suis bien sûre, je suis éliminée, je ne me regarderai pas comme frustrée d’une somme d’argent que je n’ai pas désirée et dont je suis toute dédommagée par l’intérêt que l’empereur veut bien me porter. » Voilà !

À présent j’ai tout dit cela mi cas que… car j’ignore si Buloz a bien compris ce qu’on lui a dit et s’il est vrai que l’empereur se serait ému de cette petite affaire. Buloz m’a dit que la princesse Mathilde se chargeait de tout, sans plus d’explications. Si la princesse Mathilde est seule en cause, le prince le saura et lui dira tout ce que dessus, comme disent éloquemment les notaires. S’il me le conseille, j’écrirai à cette excellente princesse pour la remercier et à l’empereur, s’il y a lieu. Ajoutez, pour le prince, que je l’aime de toute mon âme, que j’irai demain visiter son bateau, dans la rade de Toulon…

En 1863 courut le bruit, vrai ou faux, qu’on se proposait d’élire George Sand à l’Académie. Vers la même époque parut une brochure intitulée : les Femmes à l’Académie. L’auteur, qui se cachait sous la simple initiale S, y décrivait une prétendue séance de l’Académie, se passant, en l’an de grâce ***, où une certaine Mme X…, unanimement élue membre de la vénérable compagnie, échangeait avec l’académicien Y… d’élégants discours de réception obligatoires. Puis, l’auteur anonyme disait qu’il était bien temps d’abolir la loi Chapelain vieillie, prohibant l’admission des femmes à l’Académie, il prouvait combien l’Académie gagnerait à leur admission, car elles contribueraient à adoucir les opinions et y apporteraient un certain esprit de mansuétude. Il prétendait qu’on avait eu tort en n’élisant pas Mmes de Staël et de Girardin, brillants astres littéraires, au lieu d’élire des ducs, souvent fort peu versés en littérature.

Mme Sand répondit immédiatement à cette brochure par une brochure, très remarquable par ses idées, son ton général et même son titre : Pourquoi les femmes à l’Académie ?

L’Académie, — y disait Mme Sand, — est une institution purement littéraire, appelée à être l’arbitre de l’art et du bon goût. Ceci n’était possible que lorsque les assises de la loi, de la politique, de la philosophie et de la morale étaient immuables. À présent la lutte des opinions et le doute ont envahi même ce sanctuaire. Désormais il est impossible aux académiciens de juger une œuvre du point de vue purement littéraire. Ils jugent selon leurs opinions religieuses, politiques, etc., etc. En ce moment-ci leur critérium est conservateur. Mais les temps peuvent changer. De nos jours la profession de foi académique rappelle le contrat qu’un certain éditeur[423] aurait voulu faire signer à ses collaborateurs : « Je souscris de ne toucher dans mon œuvre ni à la politique, ni à la religion, ni à la famille, ni à la propriété. » L’Académie dit : « Évitez les nouvelles opinions, » et elle ajoute : « L’absence d’opinions nouvelles, c’est là l’opinion des honnêtes gens. » Ou voit que quelque damasquinées et quelque ornées de fleure oratoires que soient les lames à l’Académie, on n’en porte pas moins des coups fort rudes, car les gens qui ont des opinions nouvelles sont déclarés « malhonnêtes ».

Pourquoi donc les femmes aspireraient-elles à faire partie de ce corps illustre ? Là, comme partout ailleurs, on lutte, on se bat. Or, s’il y a lutte, il n’y a plus d’unité. Donc à l’Académie les choses en sont au même point que dans toutes les autres institutions possibles. À présent quarante hommes du plus grand talent ne peuvent ni faire accroître, ni diminuer la valeur d’un quarante-unième talent, même secondaire, s’il émet, tant bien que mal, une idée nouvelle ou généreuse que la foule écoute. À présent chacun est son roi et son pape. Ne voulant nullement amoindrir la valeur de l’Académie, en lui accordant au contraire sans contredit le droit de ne pas admettre dans son milieu d’éléments en désaccord avec ses opinions ; en admettant que si ce ne sont pas là quarante génies, il se trouve toujours parmi eus quelques esprits de premier ordre et beaucoup d’hommes de grand talent et de grand savoir, il faut néanmoins convenir que l’Académie n’a plus sa raison d’être. Chaque écrivain a le droit de discuter avec elle et d’en appeler à l’opinion publique. À présent encore il y a bon nombre de gens qui, n’étant pas parvenus à être admis à l’Académie, s’écrient : « Ces raisins sont trop verts. » Non, conclut George Sand : « Ces raisins sont déjà trop mûrs… »

Les raisons intéressantes qui poussèrent George Sand à répondre à l’auteur anonyme de la première brochure citée, sont données dans sa lettre à Sainte-Beuve, du 16 juin 1863 :

… J’ai dit à Aucante de vous envoyer une mince brochure que, j’ai été mise en demeure de faire en réponse à une autre brochure sur l’admission de la femme à l’Académie. J’espère qu’on ne verra là aucun dépit personnel. Je n’ai pas le temps d’avoir de mauvaises passions ; mais je me devais de ne pas me laisser attribuer une brochure signée d’un S, et de n’avoir pas l’air de me laisser pousser à un honneur par trop invraisemblable. Déjà, on m’en attribuait la pensée, et j’étais comme l’homme qui reçoit de l’ours, son ami, un pavé en pleine figure. Le pavé était très paré de fleurs, n’importe, c’était un pavé.

Je devais d’ailleurs dire ce que je pense de toute situation de ce genre et je ne pouvais le dire qu’avec mon sentiment révolutionnaire Ne me grondez pas ; je suis sur une pente où mon âme entière est emportée et si vous pouviez lire en moi comme mes instincts sont tendres, vous ne me jugeriez pas folle.

L’apparition de cette brochure en la même année que Mademoiselle La Quintinie ne put certes que renforcer la réputation de libre-penseur et de révoltée qui était alors définitivement acquise à George Sand. M. Marcel Prévost a, d’ailleurs, justement remarqué que dans sa jeunesse George Sand était considérée comme un écrivain de l’extrême gauche[424]. Or, si cette réputation effrayait les dévots et le beau monde vertueux, elle exhaussa extrêmement le prestige de l’écrivain aux yeux de la jeunesse et de tous les représentants de l’opposition.

Sainte-Beuve en analysant le roman d’Octave Feuillet, Sibylle, auquel Mme Sand fait allusion dans sa lettre à Dumas, citée plus haut, dit dans son article quelques mots aimables à l’adresse de l’auteur de Mademoiselle La Quintinie, roman que tout le monde considérait alors comme « une réponse donnée par George Sand à Feuillet ». George Sand écrivait à Sainte-Beuve à ce propos le 8 juin 1863 :

… J’ai lu un article excellent de vous sur Feuillet qui finit par un mot trop brillant sur moi. Je suis un bien vieux aigle pour emporter les jeunes talents et en faire une bouchée[425]. Je regrette beaucoup que Buloz n’ait pas publié la préface de mon livre. J’y rendais justice au talent et à la bonne foi de l’auteur de Sibylle ; cette préface paraîtra du reste[426].

Mais j’ai déjà oublié Mademoiselle La Quininie et j’ai ce nouveau projet qui m’enchante, comme tout ce qui ne s’est pas encore heurté aux difficultés de l’exécution. Si je pouvais en causer avec vous, cela me ferait un bien immense. Il est quelquefois étouffant de se trouver en face de sa propre responsabilité…

Le « nouveau projet » auquel George Sand fait allusion dans les lignes précédentes, était le projet d’écrire un roman dont le héros fût « un fils de Jean-Jacques », l’un de ses enfants abandonnés, élevé aux Enfants trouvés. L’action du roman devait se passer pendant la grande Révolution et ce fils de Rousseau devait être spectateur et acteur des événements dont son père était l’auteur moral. Ce fils de Jean-Jacques aurait hérité des traits moraux, des aspirations, des tendances et du génie de son père, sans son talent littéraire ; il penserait et il sentirait comme aurait senti et pensé Rousseau, s’il était témoin des événements arrivés après sa mort. Selon l’idée de George Sand ce « fils » aurait été profondément malheureux en voyant à quelles horreurs sanguinaires aidaient abouti les grandes idées libératrices et humanitaires de son « père », le grand Jean-Jacques, dégénérées entre les mains des hommes de partis à vue basse, en doctrines extrêmes[427].

Si Rousseau « avait pu voir ce que l’on a regardé comme l’application du Contrat social », eût-il décliné son livre, abjuré sa croyance ? Non, mais il se fût voilé la face devant l’échafaud et il eût dit : « Voilà le contraire de ce que j’ai voulu. » Ce qui me frappe et me contriste quand je fis les beaux livres de mes amis sur la Révolution[428], c’est cette philosophie de parti-pris qu’on pourrait appeler la philosophie du destin. Il semble que la Révolution n’eût pas pu se faire sans ses fureurs et ses violences. Je l’ai cru longtemps et puis, dans le calme de mon cœur, comme dans le déchirement de mon cœur, après les journées de Juin, je me suis demandé si le progrès ne s’était pas fait malgré et non parce que et si on ne pouvait pas être ultra-révolutionnaire avec le courage de dire aux siens : « Vous avez commis des crimes et vous êtes dès lors sortis de la doctrine du vrai. »

Il faut du courage pour le leur dire, et il faut de l’habileté pour le dire sans mettre un pied dans le camp opposé. Du courage, j’en ai ; de l’habileté j’en manque, mais Dieu me viendra en aide, j’ai cette superstition.

Mettez-vous un peu avec le bon Dieu et dites-moi que j’en viendrai à bout sauf à me dire après que cela ne vaut pas le diable[429]

Sainte-Beuve apprit à George Sand que lui aussi s’était une fois laissé inspirer de l’idée de faire « un fils à Jean-Jacques » et qu’en 1837 déjà il avait publié dans son recueil, Pensées d’août, une histoire en vers, « Monsieur Jean », qui n’est autre qu’un fils de Rousseau.

George Sand répondit au grand critique que cette coïncidence de leurs thèmes et surtout la lecture de la pièce en vers ne l’arrêteraient nullement dans son projet, au contraire elles la fortifiaient dans sa résolution, lui ouvrant de « vastes horizons ».

Cela me fait réfléchir beaucoup et entrer avec confiance dans mon sujet, car c’est le propre des belles choses de stimuler et de féconder. Elle voulait même introduire dans son roman l’épisode que voici : « Monsieur Jacques rencontrerait une fois dans son existence monsieur Jean », son frère inconnu, un autre fils de Rousseau. Mais ce projet ne fut pas réalisé, Mme Sand n’écrivit point ce roman.

Revenons à l’époque du mariage de Maurice Dudevant et au récit de la rie de George Sand depuis 1862. Peu de temps après leur noce les jeunes mariés allèrent passer quelque temps chez le « papa Dudevant », et George Sand alla, comme à l’ordinaire, s’installer pour quelques jours à Gargilesse à la villa Manceau (comme elle le dit dans sa lettre du 21 juin 1862). Elle y fut accompagnée cette fois, outre Manceau, par Dumas fils. Lorsque Maurice et sa femme revinrent, Mme Sand alla à Paris. Au commencement de 1863, au contraire, les jeunes époux y passèrent quelque temps et Mme Sand resta à Notant. Elle quittait ainsi Nohant de temps en temps et y laissait à dessein le jeune couple tout seul, afin de les habituer, comme elle disait, « à se passer d’elle et à savoir gouverner eux-mêmes leur existence ». Elle continuait donc à séjourner de temps à autre à Gargilesse, tantôt pendant quelques jours, tantôt plus. C’est ainsi qu’elle y passa quelques semaines du printemps 1863 après le retour de ses enfants à Paris et y écrivit la délicieuse bleuette Ce que dit le ruisseau, citée au chapitre précédent. Ce petit conte, imbu d’un profond panthéisme, est tout aussi charmant qu’une autre étude, également inspirée par le doux murmure de la Gargilesse et simplement intitulée le Ruisseau que nous avons aussi mentionnée au chapitre xi.

L’auteur, prenant encore une fois le pseudonyme de ce Théodore[430] que nous connaissons déjà par les dialogues Autour de la table, rencontre aux bords du ruisseau une nymphe, qui lui défend d’écouter « ce que dit le ruisseau ». Mais Théodore n’obéit pas à la nymphe.

… Il faut vous dire qu’il eût été difficile de rencontrer un plus joli ruisselet. Mince comme un fuseau et clair comme un diamant, il apparaissait tout à coup, sortant des buissons, dans une superbe touffe de primevères, et, se laissant tomber tout droit de roche en roche, il se cachait sous une pierre moussue, doucement inclinée, d’où il sortait en bouillonnant, et s’en allait vite frissonner sur un lit de sable fin qui le portait sans bruit dans la belle rivière. Car c’est peut-être la plus belle rivière du monde que la Creuse au mois d’avril en cet endroit-là. Elle dessine de grandes courbes immobiles et transparentes dans de hautes coupures taillées en amphithéâtre et tapissées de l’éternelle verdure des buis. De loin en loin elle rencontre des blocs et des gradins de rochers noirs et tranchants, où elle mugit et se précipite. Là où j’étais elle ne disait mot et sa grande clameur perdue ne m’empêchait pas d’entendre le babil de la petite source.

De beaux chênes occupés à développer et à déplier lentement au soleil leurs jeunes feuilles encore gommeuses et encore plus roses que vertes donnaient déjà un clair ombrage. Les gazons étaient littéralement semés de pâquerettes, de violettes blanches et bleues, de scilles, de saxifrages et de jacinthes. Dans le lit du ruisseau, la cardamine des prés attirait les charmants papillons aurore qui portaient son nom. Partout sur les âpres rochers granitiques le lierre dessinait de mystérieuses arabesques, et les grands cerisiers sauvages tout en fleurs semaient de leur neige légère les petits méandres de l’eau courante.

Mais au fait, que disait-il ce ruisseau jaseur, si gai, si pressé, si sémillant dans son lit de mousse et de cresson ?

L’ami de Théodore, Lotario (c’est-à-dire Manceau), un sage natui-aliste, se moque de la fantasie de Théodore de vouloir comprendre et traduire en langue humaine le langage de la nature. Une dispute surgit. Lotario prouve que l’homme seul donne un sens et une expression à tout ; la natiu’e est muette, toutes les choses en ce monde sont silencieuses. Puis il s’enfuit, courant après une libellule, et Théodore continue à écouter le murmure du ruisseau. Il lui semble d’abord que l’eau et les pierres chuchotent : Nous sommes muets, muets ! N’entends-tu pas que nous sommes muets ! Théodore, vexé, est prêt à s’en aller, mais la nymphe du ruisseau l’a enchaîné à la place où il était assis, et il ne peut la quitter avant d’avoir deviné la voix mystérieuse de la nature. Il se rend très bien compte que la nymphe et ses paroles ne sont qu’une création de sa fantaisie, mais qu’importe !

« Tous les linguistes et tous les musiciens de l’univers seraient ici à lui jurer que le langage de ce ruisseau ne peut être ni traduit ni noté », qu’il ne le croirait pas.

Tout parle et chante sous le ciel et probablement dans le ciel ; qui osera décider que, dans la nature, il y ait une voix inutile, un chant qui n’exprime rien ? Non, il n’y a pas même un cri, un souffle, un rugissement, un murmure, une explosion, un bruit enfin qui ne signale ou ne traduise une action, un mode d’existence ou un accident logiquement survenu dans le cours de la vie universelle… Oui, tout chante et tout parle dans l’univers pour proclamer incessamment l’éternelle vitalité de l’univers. L’homme seul, en ce monde-ci, sait affirmer une existence par beaucoup de vérités et beaucoup de mensonges. Tout le reste des êtres et des choses exprime le fait de l’existence sans le comprendre. Tout ce que la terre fait dire aux innombrables voix qui émanent d’elle, est donc pur et d’une logique indiscutable, puisque c’est la logique même de son ordonnance qui parle en elle. Nous, ses plus hardis enfants, nous cherchons à travers mille erreurs une affirmation raisonnée qui réponde sciemment au sens profond et divin des choses, une affirmation qui nous he non seulement à la planète notre mère mais à l’univers entier notre patrie, malheureusement nous sommes encore loin de comprendre notre destinée sublime tandis que le monde des êtres secondaires et des choses appelées à les constituer proclame, en dehors des combinaisons de l’intelligence, une vérité qui nous écrase par sa persistante splendeur.

Respectons-les dans leurs profondes manifestations, ces choses et ces êtres qui ne comprennent pas Dieu comme nous le comprenons, mais qui le sentent peut-être mieux que nous ne le sentons. C’est le monde sans souillure et sans défaillance où la mort n’est pas encore connue, puisqu’elle n’excite ni crainte ni désir, c’est le monde où la lassitude, où le suicide ne sont jamais entrés, où l’erreur et l’imposture n’ont point de place et ne peuvent rien changer, rien déranger, rien retarder dans les lois de la vie elle-même, dans son développement sans lacune et dans son renouvellement sans entraves. C’est la progression du grand tout qui s’accomplit à son propre insu, et dont la sainte ignorance est la base de toute sécurité dans l’univers.

Oui, oui, petit ruisseau, tu chantes et tu parles, et ce que tu dis, tu ne peux ni ne dois t’en rendre compte qu’à toi-même, puisque ton moi est un avec l’infini…

… Et ce que tu dis dans une langue qui n’est pas une langue ne sera jamais compris que de Dieu ou des anges ; mais l’intelligence humaine peut sans audace le préjuger, et sans folie l’interpréter dans le sens du vrai immuable.

Et quel est-il, ce vrai immuable ? C’est que rien n’est mort, c’est que tout renferme la vie formulée ou expectante, c’est que tout l’exprime, la rumeur comme le silence, l’activité comme le sommeil, le chaut comme la parole, et le simple bruissement de l’onde comme la parole du sage et comme le chant du rossignol.

Oui, l’immuable vrai, c’est l’incoercible mouvement, c’est l’éternelle mutation progressive des êtres et des germes qui les contiennent, germes répandus partout et que nous appelons des choses, faute d’un nom qui caractérise leurs fonctions multiples et indiscernables. Et ce ruisseau n’est pas seulement une veine dans le grand système physiologique de la terre, il est aussi une veine dans le système de toute l’animalité terrestre. Qui sait par quelle série de transformations il a passé depuis le jour oîi, émanation gazeuse du monde primitif, il est monté et descendu, remonté et redescendu, par d’innombrables voyages de la tene au ciel et du ciel à la terre, pour occuper enfin cette petite place où je le vois ? Ruisseau qui fus nuage, qui nous dira tout ce que tu as fécondé dans ta vie errante ? Tes flancs ont sans doute plus d’une fois recelé le fluide électrique, et la foudre déchiré tes masses Uvides un instant après répandues en franges roses sous le riant regard du soleil. Tu as vu passer dans le voile bienfaisant de tes épanchements humides les phalanges altérées des oiseaux voyageurs ; tu étais alors l’écho des hautes régions de l’atmosphère, et tu nous renvoyais, stridente ou plaintive, la voix de ces poétiques émigrants agents eux-mêmes d’une fécondation sans limites. Pluie secourable, combien de moissons n’as-tu pas sauvées, combien de fleurs charmantes et suaves n’as-tu pas fait revivre, combien d’existences humbles ou superbes n’as-tu pas conservées ou renouvelées ! Dans combien de poitrines n’as-tu pas fait rentrer la vigueur, dans combien de nerfs l’élasticité, dans combien de tissus la circulation, dans combien de cerveaux la lucidité, dans combien de cœurs l’espérance ! Ô nuage béni ! si petit que tu fus, tu as fait de grandes choses, et la parole te serait refusée pour le dire ?

Théodore refuse de le croire.

…Quoi, n’es-tu plus qu’un mince filet d’eau enchaîné à cette roche, contenu dans l’urne de cette naïade et condamné à faire pousser un tapis de jacinthes ou à développer la hampe des hautes primevères ?…

— Non pas ! non pas ! répondit le ruisseau… Je suis ici et je suis ailleurs ! Je féconde ce qui vit sous tes pieds, et je suis fécondé moi-même à toute heure en remontant dans le libre domaine de l’air. Mon évaporation est comme une sueur de vie qui se répand sur tout ce qu’elle touche et qui se reforme en nuage pour courir encore sur la cime des grands chênes. Je ne puis dire où je vais et où je ne vais pas, soit que je retourne au ciel, soit que perdu dans les embrassements de la belle rivière, j’aille me dilater dans les bassins des grandes mers ; mais Dieu les connaît, mes beaux voyages, et toute la nature en profite ; et moi, je m’en réjouis sans cesse, et toujours je ris, je cours, je chante, je raconte, je confie, je révèle, je bois et donne à boire, je sème et je récolte, je prends et je donne ; tout me nourrit, même ton haleine, et je nourris tout, même ta pensée. Petit courant, je suis une des manifestations particulières du grand fluide vital ; petite vapeur je suis aussi vivant et aussi nécessaire que le grand fleuve et le grand océan, et que le grand troupeau des nuées qui accompagne et revêt la terre dans son voyage à travers l’infini.

Et le ruisseau dont j’avais traduit le langage, me fit connaître que je ne l’avais pas fait mentir, car j’entendis qu’il disait distinctement, comme un résumé de mes hypothèses : Toujours, toujours partout, dans tout, pour tout, toujours ! Et il recommençait sans se lasser, car c’est tout ce qu’il pouvait dire et il ne pouvait rien dire de plus beau…

On entend encore le murmure et le clapotis d’une eau qui court « sans se lasser jamais » dans la Nouvelle lettre d’un voyageur, dédiée à Manceau et écrite également « au mois d’avril et à Gargilesse » mais un an plus tard, en 1864. Seulement cette fois-ci George Sand parle de la Creuse, dans laquelle se jette la Gargilesse.

La Creuse, notre grand torrent, ne se calme pas du tout. Il gronde aujourd’hui, comme il y a vingt ans et nous ne souhaitons pas du tout qu’il s’apaise. Nous ne saurions courir aussi vite que lui ; mais nous aimons passionnément à le regarder passer.

Et à ce torrent fougueux « que ne saurait suivre l’humble voyageur » qui, par une belle journée d’avril, dans un pays doux et caché, se laisse paisiblement aller à la joie de vivre, en admirant et le réveil de la nature et le gai chant d’un geai, et un beau livre, et les instincts raisonnables de ses deux petits chevaux, c’est à ce torrent bouillonnant, disons-nous, que George Sand compare Victor Hugo, dont le livre Sur Shakespeare, lu en route

pour Gargilesse, l’a ravie. Oui, ce grand poète est aussi un élé
Illustration
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ment de la nature, toujours jeune, il ne s’apaise jamais, il se

précipite toujours en avant, il entraîne par son enthousiasme, par le feu inextinguible qui brûle dans sa poitrine. Cette fois-ci, il a pris pour sujet Shakespeare et il emporte le lecteur par l’admiration naïve et sans bornes qu’il professe pour le génie.

Le génie est une entité comme la nature, et veut, comme elle, être accepté purement et simplement… et quant à moi, j’admire tout, comme une brute, dit-il.

Cette ravissante Lettre d’un voyageur dont le sous-titre est Impressions de lecture et de printemps, commence par quelques mots adressés à Manceau :

Tu veux savoir l’emploi de mes quatre journées de voyage. Ce n’est pas long, le récit d’un voyageur qui ne voyage plus, et le mien pourrait se résumer en quatre mots : j’ai fait douze lieues en lisant, j’ai écouté chanter un oiseau, j’ai vu couler la Creuse, j’ai dormi à Gargilesse, j’ai herborisé un peu, je suis revenu par le même chemin, lisant le même livre. J’ai fait halte sous le même arbre où chantait le même oiseau…

… Je suis donc parti ce matin, mercredi, par un temps magnifique, dans la petite voiture ouverte que traînent les deux petits chevaux blancs conduits par le pacifique Sylvain, et j’ai ouvert le livre…

Et alors commence une analyse, merveilleuse de finesse, de toutes ses observations de la nature, des choses, gens et bêtes rencontrés en voyage, ainsi que de toutes ses observations faites sur elle-même, sur le dédoublement de sa raison qui, simultanément, est entraînée par la lecture d’un livre extraordinaire du grand poète, et examine minutieusement le monde ambiant.

À la fin de cette Lettre, George Sand signale que, revenue à la maison, elle apprend avec ébahissement que le banquet en l’honneur de l’anniversaire du troisième centenaire de Shakespeare est interdit par la police de Paris.

J’apprends, en arrivant, qu’on a empêché les gens de lettres, les théâtres et les artistes de Paris de célébrer l’anniversaire de Shakespeare. Qui a fait cela ? Pour plaire à qui ? Par crainte de quoi ? Qui en a eu l’idée ? Qui l’a permis ?… Est-ce parce que Shakespeare est protestant ?

Ce doit être cela. L’année prochaine, il sera défendu de fêter

l’anniversaire de Molière : un comédien doit être excommunié ; mais Napoléon aussi fut un grand homme. Il a bien parfois contrarié les ultramontains : on avisera à supprimer sa fête.

— Mais non, me dit-on, c’est autre chose. Vous ne devinez pas ?

Non, je ne devine pas le rapport qui peut exister entre Shakespeare et la police de sûreté. Moi qui défendais le dix-neuvième siècle ! Mon Dieu, mon Dieu, qu’elles sont longues, les racines du moyen âge ! Mais que t’importe le banquet, ô divin Shakespeare ? Tu as le livre de Victor Hugo…

Et Mme Sand termine sa Lettre par ce passage tout pareil à celui du commencement :

Moi je reviens, non d’un banquet fameux, mais d’un fameux banquet, la nature en fête, le mois d’avril dans une oasis, et j’en rapporte un grand bien-être, beaucoup de parfums dans la tête et d’harmonies dans les oreilles. Il n’y a pas jusqu’aux grelots rythmiques de ces petits chevaux blancs qui ne m’aient bercé d’une riante chanson. Au fond de tout cela, sans doute, il y avait l’impression produite par le livre ; je ne sais quoi de fort émane pour moi de ces grandes audaces de personnalité…

Cette Lettre est datée du 25 avril 1864. Or le 24 avril parut, dans le Temps, une lettre de Mme Sand À propos du banquet shakespearien qui devait être lue au banquet, et George Sand s’y adressait à ses « frères en Shakespeare » qui avaient eu l’excellente idée de se réunir pour fêter « un grand mort », elle les priait de

porter en son nom la santé du divin Shakespeare, celui de nous tous qui se porte le mieux, car il a triomphé de Voltaire quand même et il est sorti sain et sauf de ses puissantes mains…

Une autre fois — continuait George Sand — nous fêterons Voltaire quand même, vu qu’il a triomphé de bien d’autres. Notre gloire à nous sera d’avoir replacé nos maîtres dans le même panthéon et d’avoir compris que tout génie vient du même Dieu, le Dieu à qui tout beau chemin conduit et dont la vérité est le temple…

C’est ainsi qu’en 1864 George Sand parla par deux fois de Shakespeare, ce qui n’est point étonnant si l’on considère qu’elle avait toujours admiré le grand poète britannique. Rappelons qu’en 1837, presque au début de sa carrière, elle écrivit une petite étude sur Antoine et Cléopâtre qui parut dans le recueil d’étrennes les Femmes de Shakespeare[431], qu’en 1845 elle consacra quelques pages éloquentes à Hamlet[432] et qu’en 1855 elle adapta pour la scène française le Comme il vous plaira, dont le héros, Jacques le Mélancolique, avait, dès sa jeunesse, été son héros favori[433].

Les lignes enthousiastes de Mme Sand sur le livre de Victor Hugo William Shakespeare, venant à la suite d’un article publié dans la Presse six mois plus tôt, en août 1863, et consacré au livre de Mme Hugo, Victor Hugo par un témoin de sa vie, flattèrent extrêmement le grand exilé. Il répondit à George Sand, en liant à tout jamais par un vers célèbre le nom de l’illustre femme à celui du ruisseau sur les bords duquel elle avait lu le livre sur Shakespeare. Notamment son morceau Amour de l’eau (où il disait que chaque cours d’eau attirait sur ses bords ceux qui chantent, oiseaux et poètes qui, comme l’eau, courent devant eux sans chemin et sans besogne, mais vont toujours vers un but), il le termine par ces mots :

George Sand a la Gargilesse
Comme Horace avait l’Anio.

Ces deux vers attirèrent pour leur part une réponse de George Sand à Hugo, Elle publia en 1865 dans l’Avenir national un petit article sur les Chansons des rues et des bois[434]. Dès les premières lignes elle y rejetait avec une douleur et une amertume profonde l’honneur « d’avoir la Gargilesse », car, disait-elle :

George Sand n’a rien, pas même l’eau courante et rieuse de la Gargilesse, c’est-à-dire le don de la chanter dignement, car ces choses qui appartiennent à Dieu, les flots limpides, les forêts sombres, les fleurs, les étoiles, tout le beau domaine de la poésie, sont concédées par la loi divine à qui sait les voir et les aimer. C’est comme cela que le poète est riche. Mais moi, je suis devenue pauvre…

Et George Sand raconte les malheurs et les chagrins qui plongèrent le pauvre « voyageur » dans une morne apathie, firent taire son humble voix qui avait jadis chanté et la Gargilesse et même l’Anio.

À la fin de cette Nouvelle lettre d’un voyageur, George Sand parle de l’influence bienfaisante qu’un poète de génie peut exercer sur ses lecteurs, même lorsqu’ils sont plongés dans la douleur, par son don didn, par le charme et l’harmonie de ses vers puissants. Puis elle trace en quelques lignes symboliques, comment un soir qu’elle rêvait au coucher du soleil dans le jardin du Luxembourg, un lugubre tonnerre, les sons d’un « tam-tam sinistre », s’élevant soudain des tours de Saint-Sulpice, chassèrent sa douce méditation. Les enfants jouaient et les jeunes gens se promenaient sagement, car de nos jours les étudiants sont devenus graves et ne ressemblent pas plus à l’ardente et bruyante jeunesse d’autrefois, que les larges rues silencieuses du Quartier Latin moderne aux petites rues tortueuses, mais remplies de rires sonores et de gaies chansons de jadis. C’est de nos jours — ajoute l’ex-voyageur d’autrefois, — de nos jours où l’on n’entend que la voix rauque de rairain, « cloches et canons », apportant la tristesse et l’effroi dans les cœurs, c’est maintenant qu’il nous faut surtout entendre la voix du poète : cette voix célébrant quand même et toujours la beauté, la nature ; gaie ou mâle, elle nous rend la vaillance, le courage, nous appelle au combat, nous inspire l’enthousiasme, la foi dans la victoire finale du beau et du vrai.

Nous reviendrons encore à certains passages de cette Lettre d’un voyageur de 1865, très importants pour le biographe, mais écrits sous de tout autres impressions que les gaies impressions de lecture et de printemps, ressenties aux bords de la Creuse et de la Gargilesse en avril 1864. Durant cette année beaucoup d’eau a passé, non seulement dans ces deux petites rivières, mais aussi dans la vie de l’auteur. Nous allons conter les événements qui causèrent ce changement d’humeur du « voyageur ».

Notons en passant que le dernier écrit de George Sand consacré à Victor Hugo, son poète préféré en tout temps (nous savons qu’Aurore Dudevant se disait hugolâtre avant d’être George Sand)[435], fut sa Lettre à Victor Hugo sur la reprise de Lucrèce Borgia en 1870. L’auteur y raconte comment trente-sept ans plus tôt il avait assisté à la première de Lucrèce, assis à côté de Bocage, qu’il ne connaissait pas. « À la fin du drame, quand le rideau se baissa sur le cri tragique : « Je suis ta mère ! » nos mains furent vite l’une dans l’autre. Elles y sont restées jusqu’à la mort de ce grand artiste, de ce cher ami… » Puis Mme Sand conte ses impressions sur le jeu des artistes et surtout l’impression produite par l’illustre Marie Laurent, cette incomparable « mère tragique ».

George Sand parla encore de l’Année terrible de Hugo dans le numéro xiv de ses Impressions et souvenirs (mais elle ne lui consacra pas ce chapitre entier, y parlant aussi des poésies de Bouilhet — l’ami de Flaubert — et des traductions d’Eschyle, faites par Leconte de Lisle). Enfin elle parla du volume des Contemplations dans ses articles d’Autour de la table.

Revenons maintenant à 1864-1865.

Les événements arrivés en ces deux années sont si importants qu’il faut s’y arrêter plus longuement : d’autant plus que les lettres qui s’y rapportent sont presque toutes tronquées dans la Correspondance et quant à celles de 1865 elles y figurent à peine.

Au commencement de janvier 1864, Mme Sand laissant à Nohant Maurice avec sa femme et son enfant, alla habiter avec Manceau pendant quelque temps « la cambuse » de Maurice à Paris, afin d’assister à la première d’une petite pièce de Manceau : Une journée à Dresde, puis aux répétitions du Marquis de Villemer, et enfin pour s’entendre avec quelque directeur de théâtre sur les pièces à tirer, en collaboration avec Maurice, de quelques-uns de ses romans, entre autres de l’Homme de neige.

Une série de lettres à Maurice et à d’autres est donc remplie de détails de ces répétitions, de changements survenus dans la distribution des rôles, de récits sur les acteurs et les actrices. Ces lettres nous renseignent aussi :

1° Sur le zèle déployé par Mme Sand pour trouver un pasteur protestant dont la doctrine garantisse la plus grande liberté de conscience possible à Maurice et à sa famille, au petit Marc en particulier ;

2° Sur les recherches d’un pied-à-terre dans les environs de Paris qui aboutirent à l’achat d’une maisonnette à Palaiseau et à l’installation de Mme Sand dans ce petit village.

Enfin, 3° sur son changement d’appartement : quittant le numéro 3 de la rue Racine, Mme Sand prit un petit logement au numéro 97 de la rue des Feuillantines.

À monsieur Edouard Cadol.
Nohant (?) 3 janvier 1864.

Je vous remercie de ce que vous me dites de mes affaires mais je crois que tout est arrangé et Berton jouera ma pièce. S’il y avait un empêchement imprévu pour cette année, je remettrais à l’année prochaine, car c’est une chose convenue entre lui et moi que lui seul jouera ce rôle[436]. M. Brindeau m’a déjà fait parler, mais trop tard, et sa bonne volonté pourra me rendre service une autre fois[437].

Vous avez été gentil dans votre réponse à Manceau, et je m’y attendais bien. Mais vous n’êtes pas gentil de n’avoir pas cru ce que je vous disais ; cent fois à Nohant, que vous ne deviez pas travailler la nuit…

…Bonne année, prompte guérison et bon courage.

G. Sand.
À Maurice.
Paris, 9 janvier 1864.

Mes enfants chéris, je vais très bien. Le changement d’air ou le mouvement m’ont remise sur pied. Nous avons fait un excellent voyage…

J’ai vu Berton, j’ai vu Larounat[438], j’ai vu mes acteurs, j’ai vu l’Odéon et voilà tout jusqu’à présent. On joue Manceau mercredi, on lit Villemer aux acteurs mardi. Jeudi je verrai probablement Mélingue ou vendredi. J’ai vu Buloz qui est gentil pour moi autant qu’un Buloz peut l’être… Manceau vous envoie ainsi qu’à (Marc) toutes ses plus belles amitiés. Sa pièce est déclarée parfaite à l’Odéon par les acteurs et tous les gens de la maison. Saint-Léon y est excellent. Ils ont beaucoup d’acteurs à présent, quelques-uns très drôles. J’ai une Diane de Saintrailles charmante[439]. C’est toujours ça…

À Maurice.
Paris, 12 janvier 1864.

… Souffrez-vous du froid ? Ici je n’en souffre pas du tout. Ma mansarde à deux cheminées est très chaude, et même je n’y allume qu’un feu à la fois. Je sors très peu le jour, on agit auprès de M. de Beaufort[440], et Doucet[441] s’en occupe avec zèle. On me dit que demain ce sera arrangé, j’attends à domicile le résultat des négociations. Manceau rage à ses répétitions.

L’Odéon est toujours la boutique au laisser-aller et Larounat est un flâneur, un enfant.

C’est égal Marceline se joue après-demain et ira bien, j’espère. J’ai vu Sainte-Beuve, Fromentin[442], les Borie, Cadol, Gustave Doré, qui est très gentil etc., etc.

J’ai été deux fois à l’Odéon. Diane aux bois c’est très joli, et le satyre joue d’une façon très originale. Les Relais c’est spirituel et voilà tout.

J’ai été ce soir au Français. Penarvan[443], c’est très mauvais, Mme Plessy y est très belle. Nous avons été la voir dans sa loge.

Je pense que jeudi ou vendredi nous n’aurons plus d’embargo pour Villemer et alors je m’occupe de Mélingue[444] que je veux tenir en tête à tête une demi-journée. Bonsoir, mes chers enfants, je vous embrasse mille et mille fois. Amitiés de Manceau et de tous,

G. S.
À Lina.
Paris, 14 janvier 1864.

Mes chers enfants, excellent succès de Marceline, c’est-à-dire Une journée à Dresde. Pas l’ombre d’un murmure, d’une critique, d’une malveillance quelconque dans le public, et des salves d’applaudissements à toutes les tirades, des larmes, de l’attendrissement continuel. Ensuite grand succès littéraire dans les foyers et satisfaction complète sur toute la ligne. Camille Doucet n’en tarissait pas. Le prince et la princesse avec son monde avaient loué la loge des auteurs, bien que nous ne les eussions prévenus de rien. Si bien que Manceau n’ayant plus de place, était un vrai cheval de trompette dans l’orchestre des musiciens, et pas ému du tout. Le prince l’y a guigné, l’a appelé dans la loge par-dessus les têtes, en bon bourgeois, et l’a comblé de compliments. Il m’a cherché ensuite dans les couloirs, mais j’avais quitté ma baignoire et je cherchais Manceau sur le théâtre, sans quoi le prince se fût trouvé nez à nez dans ma loge avec Popotte[445]. J’ai vu Marchal[446], Dumas et ses dames, les dames Fleury que je n’ai pu joindre, Arrault[447], Gautier de loin, et tout le ban et l’arrière-ban de la critique, qui, ces jours-là, remplit le vaste Odéon. Le personnel du théâtre était enchanté du succès, car, avec les étudiants, les premières représentations de ? pièces en un acte sont souvent mal accueillies. La pièce a été bien jouée sauf par Marceline qui est jolie comme un ange dans un costume empire exact, mais qui est trop nerveuse, Saint-Léon, Frémann excellent, le héros, jeune débutant, très joli garçon, bien costumé et très ému jusqu’à être sérieusement malade, a été très applaudi et très sympathique, Wagner très bien, la gouvernante très drôle, c’est un succès très réel, autant qu’une pièce en un acte peut le comporter.

Mon affaire à moi n’est pas encore dénouée, c’est toujours pour demain.

Mais c’est demain tout de bon que j’attends la petite maman à Cocote et je vais bien parler de vous trois ; j’ai dîné aujourd’hui avec Alexandre.

J’ai vu M. Rodrigues, j’attends demain le prince avec qui je joue aux barres et Émile que je n’ai pas encore vu. Je me porte très bien, Manceau est enrhumé comme un chien, mais il est content et il vous envoie ses amitiés.

Vous ne m’écrivez pas souvent, méchants enfants, j’espère que vous allez bien et que mon Cocoton n’est plus enrhumé, je verrai Mélingue, soyez tranquilles. Je vous bige à mort tous les trois. Avez-vous froid à Nohant ? Ici je n’en souffre pas du tout, mais je m’embête de ne pas avoir de solution pour Berton qui est aux prises avee son brigand de directeur[448].

Paris, 16 janvier 1864.

L’affaire Beaufort, c’est le directeur du Vaudeville qui nous empêchait de conclure avec Berton pour le duc d’Aléria. Le dit Beaufort nous le marchandait, et enfin c’est arrangé après dix ou douze rendez-vous évasifs dudit personnage. Berton y a fait de son mieux, il est épris de son rôle. Lundi enfin, Manceau va lire aux acteurs, et on commencera les répétitions. Dès lors, mardi ou mercredi je m’occupe de Mélingue et je pars tout de suite après s’il ne survient aucun embargo nouveau à l’Odéon.

… La pièce de Manceau va très bien, on en est enchanté partout, c’est un très bon début de jeune auteur qui passe maître versificateur, du premier coup. J’ai vu le prince qui va venir tout à l’heure et qui vient aussi passer la soirée dimanche. Il m’a parlé de toi avec la plus grande et la plus aimable amitié, beaucoup de questions sur ton petiot, sur Lina, beaucoup de compliments etc., il est enthousiasmé de la pièce de Manceau. Il dit que c’est superbe, rien que ça. Je lui ai offert pour toi des cailloux, mais on nous a interrompus et je ne sais pas ce qu’il m’a répondu, je lui en reparlerai aujourd’hui.

Je suis un peu grippée, tout le monde l’est…

Mancel est grippé aussi par-dessus le marché et tousse affreusement[449].

J’ai vu hier la petite mère à Lina, toujours grasse et fraîche. Vous pensez bien que nous avons parlé de vous et de Cocoton deux heures sans désemparer ; elle revient dimanche.

À Maurice.
Paris, 20 janvier.

Mes chers enfants, me voilà sur pied. J’ai eu une crise de grippe très rude avec la livre et les nerfs bien excités, j’ai été bien soignée, je me lève. J’espère avoir le sang tout à fait calme demain.

Manceau a le torticolis. La pièce va bien. La mienne est en répétition. J’attends une réponse de la Porte-Saint-Martin.

Je vous aime, je vous bige, je suis bien faible, demain ça ira bien. Je bige et je rebige mon Cocoton. La petite maman à Lina va bien.

Je ne peux te rien dire encore du jour de mon départ. Trop faible.

Ces démarches auprès de la Porte-Saint-Martin et autres théâtres étaient très urgentes, car le budget de Mme Sand (après sa maladie de 1860-61, le séjour à Tamaris et le voyage de Maurice avec le prince Jérôme) était, comme nous le verrons tout à l’heure, dans un état de déséquilibre complet, son fonds d’argent épuisé elle devait faire tous ses efforts pour ajouter un petit surplus à ses revenus ordinaires, ce qui correspondait toujours chez elle à un surcroît de travail.

Elle s’efforçait donc alors à faire pièce sur pièce et à les placer. Elle voulut aussi diminuer sa dépense. C’est pour cela qu’elle se décida à quitter son logement de la rue Racine et se mit à chercher deux petites chambres dans les alentours de l’Odéon.

Paris, 22 janvier 1864.

… Moi je m’occupe de trouver ici un pied-à-terre plus commode pour plus tard, il paraît que c’est facile…

… Amitiés du pauvre Mancel qui a passé deux nuits à me veiller et qui, à son tour, est sur le flanc. Marie résiste, bien qu’elle tousse, son tour tiendra quand nous aurons fini…

… Pour le pasteur à Bourges, il faudrait bien savoir s’il impose la divinité de M. J. C. ou s’il laisse la liberté d’y croire — ou non. Je saurai ça. On dit que M. Coquerel qui est le pape du progrès protestant irait à Nohant très bien pour une si belle occasion. Ne vous pressez pas. Il est très bon que ça se passe à Nohant, moi présente ; et qu’on sache bien qu’on peut avoir une religion sans tomber sous le joug du pape et des jésuites. Répondez à M. Guy que vous m’attendez pour prendre une résolution, que mes affaires me retiennent à Paris quelques semaines et que vous lui êtes très reconnaissants, mais si vous aimez mieux que cela se passe sans solennité et sans moi, comme venant de vous seuls, avisez et faites comme vous dira la conscience. Moi je trouve que, d’une manière ou de l’autre, c’est un bon exemple à donner et une chose sage à faire, pourvu que vous n’ayez pas affaire à une secte protestante intolérante comme Rome, car il y en a, et il faut s’en méfier, vous auriez alors tout le monde contre vous et avec raison…

Le 23 janvier elle annonce à ses enfants qu’elle va mieux, mais que « tout Paris tousse, le public au théâtre et Berton y compris », ce qui retarde les répétitions. D’autre part Mme Sand voulait à cette époque se faire faire un râtelier. Elle resta donc à Paris pendant tout le temps que durèrent les répétitions, d’autant plus que sa grippe lui avait fait perdre beaucoup de temps.

À Maurice.
Paris, 25 janvier 1864.

Il paraît, mes enfants, que je vais très bien ; je ne m’en aperçois pas, je me sens très malade, un mal de cœur, une défaillance continuels, lassitude de tout et envie de rien. J’ai été en voiture aux Champs-Élysées aujourd’hui. Je ne fais rien, je n’avance à rien. Patience, il faut que ce mal passe.

Je ne m’étonne pas de l’imbécillité de nos voisins devant le catholicisme. Je les trouve nature, c’est-à-dire crétins. M’attendez-vous pour votre cérémonie ? Moi, je partirai quand je pourrai, ce n’est pas le plaisir qui me retient ici. J’y suis dans un état de marasme complet au moral et au physique… Puisque vous ne voyez pas moyen de vivre à Nohant avec le revenu de la terre, nous allons aviser à mettre un gardien et à faire maison nette à la saint Jean. Moi je cherche un coin où je puisse vivre pour cinq cents francs par mois. C’est-à-dire je chercherai, car, pour le moment, je ne cherche qu’à me tenir sur mes deux jambes.

26 janvier.

Mes chers enfants, je vais mieux, puisque je n’ai plus que de courts accès de fièvre. Mais je ne suis bonne à rien… Manceau n’est pas plus chouette que moi… Ce n’est pas ma pièce qui me retient, j’y ai été voir deux fois et je vois du reste qu’on n’y aura pas besoin de moi ou que l’on ne m’écoutera guère… Ce qui me retient c’est que j’ai quatre dents à faire arracher et que je n’ose pas, tant que j’aurai des accès de fièvre, ce serait beaucoup risquer…

J’attends toujours la réponse de la Porte-Saint-Martin… Attendez-moi pour le mariage et le baptême…

28 janvier 1864.

Mes enfants, je vais enfin mieux aujourd’hui, j’ai dormi la nuit dernière. Je ne peux pas encore manger autre chose que du potage et des huîtres. J’ai la bouche toute malade et enflée en dedans et en dehors. Pas de dentiste possible encore. Je ne vois presque personne… Tous les autres me croient partie ou plus malade. Je me préserve de l’envahissement. Dans le jour je vais à la répétition. Rien de nouveau pour l’Homme de neige. J’en dois parler avec Berton demain si nous pouvons trouver un instant tranquille au théâtre. Il m’a appris qu’on avait apporté à la Gaîté, il y a deux ou trois ans (il croit) un Homme de neige de M. Judicis, l’auteur des Cosaques. C’était très mauvais ; on a refusé. À présent Berton est à la Gaîté, il est seulement prêté à l’Odéon jusqu’au mois de novembre prochain, et il n’a pas de pièce de rentrée. Il ne serait pas impossible de s’entendre avec lui pour qu’il jouât Waldo, en mûrissant un peu le personnage. Il est toujours charmant et il a du talent comme il n’en a jamais eu. Il a fait fureur dans les Diables noirs. C’est un charmant homme, sans caprices, sans rouerie et de parole. Je verrai ce qu’il me dira, tout en ne lui cachant pas que j’ai fait faire une démarche auprès de la Porte-Saint-Martin dont j’attends le résultat.

Quant à nos arrangements futurs, je ne les vois pas possibles avec moi à Nohant, autrement que censée en visite ou à la veille de voyages ; je ne pourrai jamais me dépêtrer des visites de longue durée, et puis les devoirs sans nombre de ma situation en Berry, c’est impossible à moins de retomber dans l’esclavage des services à rendre, des lettres à écrire etc., etc. Si vous n’êtes pas plus habiles que moi pour y vivre en liberté et selon vos moyens actuels, il faudra bien errer un peu pendant quelques années, jusqu’à ce que je me sois remise au niveau de mes affaires littéraires. C’est dans votre intérêt autant que dans le mien, et je prétends me cacher en perchant d’un lieu à l’autre, comme cela m’est arrivé plusieurs fois dans un but semblable. Si vous voulez percher aussi, plutôt que de vous charger de Nohant, vous vous rapprocherez de mon arbre. Mais comme mon perchage peut ne pas vous plaire, nous serons indépendants les uns des autres. Il faut cela avant tout. Qu’est-ce qu’il faut pour que j’y aille et vienne comme tout le monde ? pour que je retrouve mes enfants et mon Cocoton, n’importe où ? — Un peu d’argent en dehors des dépenses indispensables, et j’en aurai, dès que certains budgets écrasants ne me seront plus imposés. Il est certain que nous ne mettrons pas l’Océan entre nous et que je ne vois pas le rêve solennel de la séparation et de l’isolement se dresser entre nous, ce serait envenimer pour moi une situation chagrinante (la fatigue actuelle et l’équilibre détruit dans mes produits) que de montrer comme conséquence la famille brisée et le nid jeté au vent. Ce n’est pas si grave que cela, espérons-le, car si je devais le croire, j’aurais plus de peine à me rétablir et à reprendre la force dont j’ai besoin. Donnez-m’en au lieu de m’en ôter, vous qui êtes jeunes et à l’avenir de qui je travaille sans relâche. Je vous bige tendrement, mes enfants chéris. Portez-vous bien…

À Maurice.
30 janvier 1864.

Manceau t’a écrit tantôt un mot relatif à la jument et aussi pour que tu ne sois pas inquiet de moi, j’étais occupée à l’heure de la poste et ne pouvais t’écrire. J’ai commencé les pourparlers avec le baume d’acier du dentiste… Ma pièce n’est pas enrayée. Tout va, sauf la marquise qui n’ira jamais… On m’a annoncé aujourd’hui qu’une cabale religieuse s’organisait contre ma pièce, et une autre en sens contraire pour la défendre. Nous verrons bien…

Après avoir parlé à son fils d’un projet de pièce champêtre pour le Palais-Royal, dont Luguet, gendre de Marie Dorval, lui avait proposé le sujet, Mme Sand revient à ses affaires personnelles.

Cadol s’est très mal conduit avec Manceau, je te conterai ça. L’Odéon est toujours une… et Larounat une chiffe déplorable. Je fais mon purgatoire, mes pauvres enfants, et je n’ai pourtant pas de gros péchés à expier. Je patiente de mon mieux. J’ai reçu la visite de M. Coquerel, qui est un homme charmant et très avancé. Il craint que vous ne vous entendiez pas avec le consistoire de Bourges qui fait partie de la vieille Réforme. Nous parlerons de cela, je crois qu’il serait, lui, à notre disposition, bien qu’il ne me l’ait pas offert. Mon Cocoton se calme-t-il ? Je m’ennuie bien de ne pas le voir. Bigez le mille fois pour moi et bigez-vous l’un l’autre pour votre maman. Manceau vous envoie respects et amitiés. Il va un peu mieux aujourd’hui. Marie est la plus vaillante. Elle nous fait de bons pots-au-feu, car nous ne mangeons que cela. Elle vous envoie toutes ses révérences. Nous n’allons pas au spectacle. Ça nous échine trop.

Le portrait de Cocoton est superbe[450].

Paris, 9 février 1864.

… Ma grippe m’a rendu le service de rester quinze jours sans voir personne et à présent je jouis encore du bénéfice de ce prétexte. On me laisse assez tranquille, ruminer un roman au coin du feu, et par bonheur mon grand atelier-salon est très chaud, mais il faut être au théâtre de 11 heures à 4 heures, par conséquent ne pas trop veiller. Je n’ai donc le temps de rien écrire que des raccords…

… Manceau a loué à Palaiseau une maisonnette toute petite avec un jardin tout jeune. Mais c’est joli et propre et dans un pays délicieux, le chemin de fer à deux pas, la solitude et le silence tout d’un coup. Il s’arrange avec un tapissier ami de Maillard qui lui vend des meubles (il n’en faut guère) pour une petite somme à verser annuellement, il s’arrangera probablement de même pour la maison s’il voit qu’il me plaît de l’habiter. On trouve aujourd’hui des facilités étonnantes pour éteindre son loyer par une acquisition lente, et tous les artistes se casent ainsi. Ça vaudra mieux pour lui, à coup sûr, que d’engloutir le produit annuel de son travail dans la dépense de Nohant. Je prends avec lui des arrangements pour ne pas lui être à charge et il y a à tout cela pour moi une si grande économie que j’espère bien me remettre au courant de mes affaires en peu d’années et avoir encore de quoi aller à Nohant si vous vous y fixez.

Il n’y a guère plus loin de Paris à Nohant par le chemin de fer comme temps, que de Gargilesse à Nohant, et comme la maisonnette de Palaiseau est servie par le chemin de fer je n’aurai pas besoin de voiture, de cheval et de cocher. Si je veux faire une course dans les bois environnants, il y a une espèce de Matron[451] dans le village avec des carrioles. Je me suis informée s’il y avait des appartements meublés dans le cas où vous viendriez me voir, il y en a. Il y a un très bon médecin à notre porte, boucher, boulanger etc., la vie moins chère qu’à Paris et un pays de braves gens, pas dévots et par conséquent pas voleurs ; on vit les portes ouvertes ; enfin de tout ce que j’ai vu, c’est le mieux et c’est même très bien…

Paris, 18 février 1864.

J’ai reçu le canevas de Waldo, j’attends M. Harmant dimanche. Viendra-t-il ? C’est un grand personnage à présent, il est à la tête de la direction de quatre théâtres réunis et il est si occupé qu’on ne sait où le prendre…

Il est question de jouer Villemer le 26…

…On m’annonce une cabale de jésuites. Mais j’ai aussi un public pour moi à ce que l’on assure et un public chaud, nous verrons bien. Le prince et la princesse ont retenu la loge de la direction et on s’arrache les places. C’est un événement que Villemer.

Un autre événement c’est la vente de Delacroix qui atteint des prix fabuleux. Le pauvre homme qui nous donnait si généreusement des peintures, qui vendait pour rien et qui n’avait pas de fortune en laisse une à ses héritiers. Certaines toiles atteindront 50 000 francs. Il y en a à Nohant pour de l’argent et le tableau de fleurs atteindrait, dit-on, un beau prix. Peut-être avez-vous là de quoi compenser le mauvais côté des affaires de Guillery…

Effectivement Delacroix était mort peu auparavant, en 1863, et, comme cela arrive souvent, sa mort occasionna une explosion de sympathie et d’admiration générales, il devint soudain tellement en vogue que la moindre de ses esquisses se vendit trois ou quatre fois le prix obtenu de son vivant pour ses grandes toiles. La famille Sand étant très à court d’argent, George Sand proposa à Maurice de vendre plusieurs peintures qui se trouvalent à Nohant. Delacroix, durant son séjour au château, y avait laissé plusieurs tableaux représentant des sujets tirés des romans de George Sand et d’autres, des portraits et des dessins. Une série de ses lettres datées de février est consacrée aux indications données relativement aux tableaux que Mme Sand voulait garder. D’autre part Villemer était toujours à la veille d’être joué, on remettait de jour en jour la première. Le 21 février Mme Sand écrit à ses enfants. (Cette lettre est tronquée dans la Correspondance. Nous donnons entre crochets les passages coupés) :

Chers enfants,

Je croyais avoir répondu à votre question. Comment, si je veux être marraine de mon Cocoton ? Je crois bien ! Si c’était comme catholique, je dirais : « Non ! ça porte malheur. » Mais l’Église libre, c’est différent, et vous ne deviez pas douter un instant de mon adhésion.

On commence à travailler sérieusement à l’Odéon. Mais on a perdu tant de temps, que nous ne serons pas prêts avant la fin du mois, et peut-être le 2 ou le 3 mars. Voilà ce qu’ils reconnaissent aujourd’hui. [Mais Larounat est si braque que demain ce sera peut-être encore changé. Aujourd’hui on a essayé un très beau décor, mais il avait oublié de commander le plafond et l’antichambre. Enfin je ne veux pas vous ennuyer de mes ennuis ; ils ne sont pas minces, et vous seriez étonnés de la provision de patience que je fais tous les matins pour la journée.]

J’ai été voir le prince hier matin, j’ai demandé à voir son fils ; il a fait dire à la bonne de l’amener. L’enfant est arrivé avec une personne en petite robe de laine écossaise que j’ai failli ne pas regarder, quand je me suis aperçue que c’était la princesse elle-même qui m’amenait son jeune homme, toute seule et très gentiment. L’enfant est très beau et très joli, avec un air mélancolique et timide.

Il tiendra de sa mère plus que de son père. Il est très mignon et obéissant comme une fille.

Je me porte bien, toujours sans appétit ; ça ne pousse pas à Paris.

[Manceau va mieux malgré un froid de loup. J’espère que vous allumez le calorifère. Le café est parti.]

La vente de Delacroix a produit près de 200 000 francs en deux jours. Les moindres croquis se vendent, 2, 3 et 400 francs. Ce pauvre homme vendait des tableaux pour ce prix-là !

Bonsoir, mes enfants chéris ; je vous bige bien tendrement, [respects et amitiés de Manceau.]

Samedi soir.

[J’ai dû veiller à la toilette de Mlle de Saintrailles qui aurait été habillée comme une portière. Je l’ai fait arranger et composer par une couturière du dernier chic, et j’ai dit à ma petite actrice de lever des patrons de ses trois toilettes, pour que ma Cocotte ait la dernière mode à consulter.]

Paris, 23 février 1864.

Pense bien Mauricot à ce que je vais te dire.

… Les tableaux qui garnissaient l’atelier de Delacroix, ses cartons, ses dessins, le moindre chiffon oîi il a fait le croquis d’une tête à côté d’une note de blanchisseuse, tout cela s’arrache et fait fureur. On en est à 250 ou 300 000 francs et il y en a encore, et plus on va, plus ou se dispute à qui paiera plus cher. On dit que cette rage ne durera pas et que peut-être tout cela tombera rapidement. Nous avons chez nous des valeurs réelles qu’un incendie peut dévorer et qu’aucune compagnie d’assurance ne nous paierait convenablement. Si tu veux vendre, c’est Vheure, ce n’est pas dans dix mois, dans un an, c’est tout de suite. Avise. Je me réserverais le Centaure, ma vie durant. C’est son dernier cadeau, et la Confession du Giaour, c’est le premier. Restent la Sainte Ame, les Fleurs, la Cléopâtre, deux Lélia, la Chasse au lion, les Carrières, plusieurs ébauches, des chevaux, des coins de jardin, des croquis, un lion aquarelle, le portrait de Mickieivicz etc. Il y a là une somme, je ne sais laquelle, réalisable tout de suite, qui peut mettre dans ta vie une rente très agréable, 3 000 francs s’il y en a seulement pour 60 000 francs, et qui peut rester dans tes mains une richesse stérile…

Le 28 février, Mme Sand écrit encore :

Mes chers enfants, c’est demain le grand jour ! Quand vous recevrez cette lettre, j’aurai des bravos ou des sifflets, peut-être l’un et l’autre. Ribes ne va pas mieux ; il joue quand même et très bien. La pièce est mal sue, mais bien comprise et bien jouée.

Le duc, Berton ; Villemer, Ribes ; Caroline, Thuillier ; la marquise, Ramelli ; Pierre, Rey, sont excellents. Diane de Saintrailles, charmante, un peu maniérée ; Mme d’Arglade, un peu faible, et Clerh, Benoit, qui dit quatre mots, ne gâtent rien.

Le théâtre, depuis le directeur jusqu’aux ouvreuses, dont l’une m’appelle notre trésor, les musiciens, les machinistes, la troupe, les allumeurs de quinquets, les pompiers, pleurent à la répétition comme un tas de veaux et dans l’ivresse d’un succès qui va dépasser celui de Champi. Tout ça, c’est la veille, il faut voir le lendemain ; s’il y a déroute, ce sera autre chose. On annonce toujours une cabale. Les uns la disent formidable ; les autres disent qu’ils n’y aura rien ; nous verrons bien. Le moment du calme est venu pour moi qui n’ai plus rien à faire que d’attendre l’issue. La salle sera comble et il y en aura autant à la porte. De mémoire d’homme l’Odéon n’a vu une pareille rage. L’empereur et l’impératrice assisteront à la première ; la princesse Mathilde en face d’eux, le prince et la princesse Napoléon au-dessous. M. de Morny, les ministères, la police de l’empereur nous prennent trop de place, et ce n’est pas le meilleur de l’affaire. Nous aimerions mieux des artistes aux avant-scènes que des diplomates et des fonctionnaires. Ces gens-là ne crèvent pas leurs gants blancs contre une cabale. Il n’y a que le prince qui applaudisse franchement.

Enfin, nous y voilà ! Les décors sont riches et laids. L’orchestre sera rempli de mouchards, rien ne manquera à la fête. Marchai ne demande qu’à étriper les récalcitrants. Le parterre est pris par des gens en cravate blanche et en habit noir. À demain des nouvelles. J’ai vu enfin M. Harmant à l’Odéon. Il m’a dit qu’il viendrait me voir après la pièce. Mario Proth va faire un article sur Callirhoé.

On voit déjà par cette lettre que les événements qui eurent lieu le jour de la première de Villemer se préparaient en grande partie à l’avance ; ils ne dépendirent pas du succès ou des qualités de cette pièce, ils avaient leur source dans l’excitation générale de la sallo, dans l’humeur batailleuse des deux camps ennemis, qui se communiqua à tous les spectateurs et même à la foule du dehors. La prévision de Mme Sand se réalisa complètement. Voilà ce qu’elle écrivit à son fils et à sa belle-fille la nuit du 29 février au 1er mars :

Paris, mardi 1er mars 1864.
2 heures du matin.
Mes enfants,

Je reviens escortée par les étudiants aux cris de : « Vive George Sand ! Vive Mademoiselle La Quintinie ! À bas les cléricaux ! » C’est une manifestation enragée en même temps qu’un succès comme on n’en a jamais vu, dit-on, au théâtre.

Depuis dix heures du matin les étudiants étaient sur la place de l’Odéon, et, tout le temps de la pièce, une masse compacte qui n’avait pu entrer occupait les rues avoisinantes et la rue Racine jusqu’à ma porte. Marie a eu une ovation et Mme Fromentin aussi, parce qu’on l’a prise pour moi dans la rue. Je crois que tout Paris était là ce soir. Les ouvriers et les jeunes gens, furieux d’avoir été pris pour des cléricaux à l’affaire de Gaëtana d’About, étaient tout prêts à faire le coup de poing. Dans la salle, c’étaient des trépignements et des hurlements à chaque scène, à chaque instant, en dépit de la présence de toute la famille impériale. Au reste, tous applaudissaient, l’empereur comme les autres, et même il a pleuré ouvertement. La princesse Mathilde est venue au foyer me donner la main. J’étais dans la loge de l’administration avec le prince, la princesse, Ferri[452], Mme d’Abrantès. Le prince claquait comme trente claqueurs, se jetait hors de la loge et criait à tue-tête. Flaubert était avec nous et pleurait comme une femme. Les acteurs ont très bien joué, on les a rappelés à tous les actes.

Dans le foyer plus de deux cents personnes que je connais et que je ne connais pas sont venues me biger tant et tant que je n’en pouvais plus. Pas l’ombre d’une cabale, bien qu’il y eût grand nombre de gens mal disposés. Mais on faisait taire même ceux qui se mouchaient innocemment.

Enfin, c’est un événement qui met le Quartier Latin en rumeur depuis ce matin ; toute la journée, j’ai reçu des étudiants qui venaient quatre par quatre, avec leur carte au chapeau, me demander des places et protester contre le parti clérical et me donnant leurs noms.

Je ne sais pas si ce sera aussi chaud demain. On dit que oui, et, comme on a refusé trois ou quatre mille personnes faute de place, il est à croire que le public sera encore nombreux et ardent. Nous verrons si la cabale se montera. Ce matin, le prince a reçu plusieurs lettres anonymes où on lui disait de prendre garde à ce qui se passerait à l’Odéon. Rien ne s’est passé, sinon qu’on a chuté les claqueurs de l’empereur à son entrée, en criant : À bas la claque ! L’empereur a très bien entendu ; sa figure est restée impassible.

Voilà tout ce que je peux dire ce soir ; le silence se fait, la circulation est rétablie et je vais dormir.

Mme Sand décrit la seconde de Villemer dans la lettre écrite également à 2 heures de la nuit du 1er au 2 mars. (Cette lettre est encore tronquée et changée dans la Correspondance. Nous donnons en italiques les passages coupés.)

Mes enfants,

La seconde de Villemer a été ce soir encore plus chaude que celle d’hier. C’est un triomphe inouï, une tempête d’applaudissements d’un bout à l’autre, à chaque mot, et si spontanée, si générale, qu’on coupe trois fois chaque tirade. Le groupe des claqueurs quand il essaye de marquer des points de repère à cet enthousiasme ne fait pas plus d’effet qu’un sac de noix. Le public ne s’en occupe pas, il interrompt où il lui plaît, et c’est le tonnerre. Jamais je n’ai rien entendu de pareil. La salle est comble, elle croule ; la tirade de Ribes, au second acte, provoque le délire. Dans les entr’actes, les étudiants chantent des cantiques dérisoires, crient : « Enfoncés les Jésuites ! Hommes noirs, d’où sortez-vous ? et Nous les fessons, de Béranger. » On rappelle les acteurs à tous les actes. Ils ont de la peine à finir la pièce. Ces applaudissements les rendent ivres. Berton, ce matin, l’était encore d’hier, lui qui ne boit jamais que de l’eau rougie. Ce soir, il me suivait dans les coulisses en me disant qu’il me devait le plus beau succès de sa vie, et le plus beau rôle qu’il eût jamais joué !

Thuillier et Ramolli étaient folles. Il faut dire qu’elles ont joué admirablement. Ribes n’a pas le même ensemble : il est laid, disgracieux, pas cabotin du tout ; mais par moments il est si sympathique et si nerveux, qu’il électrise le public et recueille en bloc les bravos que les autres reçoivent en détail. Je vous raconte tout ça pour vous amuser. Si vous voyiez mon calme au milieu de tout ça, vous en ririez, car je n’ai pas été plus émue de peur et de plaisir que si ça ne m’eût pas regardé personnellement, et je ne pourrais pas expliquer pourquoi. Je m’étais préparée à ce qu’il y a de pire, c’est peut-être pour ça que l’inattendu d’un succès si inconcevable, en ce qui me concerne, m’a un peu stupéfiée. Il faut voir le personnel de l’Odéon autour de moi. Je suis le bon Dieu. Je dois leur rendre cette justice que, tout le temps des répétitions, ils ont été aussi gentils que le jour de la victoire ; que, la veille, ils n’ont pas été pris de la panique ordinaire qui fait qu’on veut mascander la pièce parce qu’on a peur de tout. Ils vont faire de l’argent, je l’espère. En ce moment ils pourraient faire quatre mille francs par soirée ; mais ils tiennent à laisser entrer les écoles, beaucoup d’ouvriers, de bourgeois libre penseurs, enfin les amis naturels et ceux qui lancent le succès par conviction. En cela, ils agissent bien, et ils sont honnêtes gens.

Il y a eu ce soir encore un peu de tapage sur la place. On voulait recommencer la promenade d’hier au soir, car je ne savais pas hier quand je vous ai écrit tout ce qui s’était passé. Six mille personnes au moins, les étudiants en tête, ont été à la porte du club catholique et de la maison des jésuites, chanter en fausset : Esprit saint, descendez en nous ! et autres cantiques, en moquerie.

Ce n’était pas bien méchant ; mais comme tous ces enfants s’étaient grisés par leurs cris et leur queue de douze heures sur la place, on craignait de les voir aller trop loin, et la police les a dispersés. Quelques-uns ont été bousculés, déchirés et menés au poste. Ni coups ni bléssures pourtant. On s’attendait à du bruit et on avait consigné deux régiments, avec l’ordre d’être prêts à monter à cheval. Les jeunes gens avaient résolu de dételer mes chevaux du sapin et de m’amener rue Racine. On a, Dieu merci, empêché et calmé tout. Ou a un peu engueulé l’impératrice en lui chantant le Sire de Framboisy. Mais l’empereur a bien agi, il a applaudi la pièce, il est sorti à pied jusqu’à sa voiture, que la foule empêchait d’arriver. Il n’a pas voulu que la police lui fît faire place. On lui en a su gré et on l’a applaudi.

Il devrait bien faire supprimer l’escouade de mouchards qui l’acclament à son entrée, et auxquels les étudiants ont imposé silence hier ; je suis sûre que, sans elle, toute la salle l’applaudirait.

Les journaux d’aujourd’hui racontent de mille manières ce qui s’est passé hier ; mais ce que je vous raconte à bâtons rompus est exact. Aujourd’hui il y avait dans la salle pas mal de catholiques qui essayaient de prendre des airs dédaigneux et embêtés. Mais ils ne pouvaient pas seulement cracher, et la moindre parole de leur part eût fait éclater une tempête. Décidément tout le monde ne les aime pas, et ils n’oseront pas broncher. Ils se vengeront dans leurs journaux, soit.

J’ai encore un jour ou deux à donner à Villemer ; et puis j’ai à voir M. Harmant, et puis la pièce de Dumas, qui vient samedi, et quelques affaires de détail à terminer ; l’impression de mon manuscrit de Villemer à livrer, c’est-à-dire la correction d’un manuscrit conforme à la mise en scène ; ma photograpMe chez Nadar. J’espère avoir fini tout cela la semaine prochaine et comùr vers vous et mon Gocoton qui pousse bien, j’espère, pendant que je pioche, ce cher petit amour. Je vous bige mille fois. Parlez-moi de vous et de lui.

J’ai les patrons en question, mais ce n’est pas ce qu’il feut à Cocotte pour le moment. Ce sont des choses d’été, parce que lu pièce se passe en été. Ce qu’il faut faire pour la robe de moire, c’est un corsage collant et montant avec de gros boutons, pointe par devant et par derrière…

(Vient une longue description de la mode d’alors avec un dessin à la plume de deux corsages.)

Amitiés de Manceau qui commence à se rassurer un peu. A-t-il-eu peur à ma place ! et le mal de ventre comme toujours ! Si vous avez besoin d’argent ou que le temps radouci et la bonne santé de Cocoton vous donnent envie de voir le succès de Villemer, prenez à Sylvain. Prenez en tout cas si vous avez quelques dépenses à faire. L’Odéon ne m’enrichira pas, il n’enrichit personne, mais il me permettra de n’être plus si gênée. Vous avez dû recevoir une dépêche de Manceau pour vous annoncer le triomphe. Montigny y était. Il est venu m’embrasser, mais il avait la figure un peu allongée. Je vais avoir beaucoup à faire. Je ne vous écrirai ces jours-ci que quelques petits bulletins.

Paris, 2 mars 1864.

Troisième de Villemer aussi nombreuse, aussi excellente que les deux autres, le succès est lancé, constaté, assuré ; une cabale ne ferait plus que du bien si elle se montrait à présent. Le public payant commence à trouver place. Le premier jour on n’a fait que 700 francs grâce aux entrées de faveur, aux ministères et aux amis ; le deuxième jour 1 200, aujourd’hui 3 000, demain il y a déjà 4 000 à la location ; c’est un chiffre inouï pour le pauvre Odéon, et il y a déjà pour samedi et lundi 6 000 francs de location.

Aussi il n’y a plus de place même pour moi. Manceau qui n’est pas gros se fourre dans le violon d’Ancessy, mais moi je suis libre d’entrer dans les coulisses. J’y ai passé la soirée à écouter rugir et crouler la salle. Je vais courir un peu demain pour échapper aux visites, aux lettres, aux cartes, aux bouquets. Tout le monde est charmant dans le succès. C’est toujours comme ça. Le prince est venu aujourd’hui. Il est dans un enthousiasme indescriptible. Il dit que c’est la plus belle chose qui ait été faite eu ce siècle, excusez du peu…

Paris, 3 mai-s 1864.

Ce soir 4 300 francs de recette à l’Odéon, c’est fabuleux, pas une entrée de faveur, pas même à moi. Nous aidons donc affaire au publie payant, libre de toute influence, et nous n’avons pas eu moins de rappels, pas moins de bravos, pas moins d’interruptions enthousiastes. Les claqueurs sont impuissants à régler les répliques à effet. La salle part comme un seul homme, à chaque instant, et des larmes et une attention magnifique. Et tout cela c’est eu haut, en bas et au milieu de la salle. Il y avait tant de beau monde que les équipages tenaient de l’Odéon au boulevard Sébastopol et que pour rentrer chez moi il m’a fallu faire un grand tour. Ça n’empêchait pas les dernières loges du centre d’être pleines, jusqu’à celles de côté où on ne voit absolument rien, et pleines de gens payants. L’impératrice m’a envoyé aujourd’hui Bon secrétaire des commandements pour me complimenter.

La pièce est jouée de mieux en mieux, et si elle se soutenait comme ça, Larounat y ferait sa fortune. Mais à l’Odéon il faut encore s’estimer heureux quand on fera une moyenne de 1 500 francs…

… Je me lève à 9 heures demain pour être chez Nadar à 11 ; j’ai été le voir aujourd’hui. Il recommencera mon portrait jusqu’à ce qu’il le réussisse[453]… On imprime aujourd’hui le premier acte de Villemer. Les journaux sont jusqu’ici très louangeurs. J’ai reçu vos lettres ce matin, je suis contente, chers enfants, que vous soyez contents. Je voudrais que vous vissiez une de ces belles soirées où je triomphe enfin sur toute la ligne à la barbe des cagots, des envieux et des gazetiers.

À monsieur Oscar Cazatnajou.
Paris, mars 1864.

…J’ai eu un succès dont rien ne peut donner l’idée et que je ne croyais jamais avoir au théâtre. La pièce fait à présent un argent fou. Je ne sais pas si ça durera, mais c’est superbe pour le moment…

À Maurice.
Paris, 5 mars 1864.

On n’a pas joué la pièce hier, à cause du vendredi… On la jouera le dimanche pour se dédommager…

… Aujourd’hui on a dû faire salle comble, car j’ai demandé pour des amis deux places qu’on ne pourra pas me donner, même en payant, avant mercredi. L’Odéon est illuminé tous les soirs… J’ai été hier chez Nadar, on m’a portraiturée seize fois, j’espère que nous aurons quelques épreuves réussies dans le nombre.

… J’ai beaucoup de choses à vous dire sur le protestantisme. Il s’y passe une mauvaise réaction. On vient de destituer Coquerel qui pense comme M. Leblois. Il y a deux partis en guerre. Les protestants de M. Guy qui sont aux trois quarts catholiques et ceux qui veulent la tolérance. Il paraît que le pasteur de Bourges est dans le parti arriéré et je ne vous approuverais pas de quitter le catholicisme pour une religion qui se déclare tout aussi intolérante et qui impose la divinité de Jésus sous peine de l’enfer. Ce ne serait pas le moment de faire une protestation en faveur de Calvin et du bûcher de Servet, Il vaudrait mieux faire venir M. Leblois, et si vous le voulez, je m’en charge.

À l’heure qu’il est, entrer dans une Église qui persécute ferait un mauvais effet pour nous tous. Ne vous pressez pas. Tout viendra à point. Villemer peut bien payer votre mariage et le baptême de Marco.

Paris, 8 mars 1864.

Villemer va toujours merveilleusement. La grande presse est encore plus élogieuse que la petite, et cela sans restrictions. Ces messieurs qui m’avaient déclarée incapable de faire du théâtre, me proclament très forte. L’Odéon fait tous les soirs 4 000 francs de locations et de 5 à 600 francs de bureau. Il y a file de voitures toute la journée pour retenir les places, puis autre file le sou* et queue au bureau.

L’Odéon est illuminé tous les soirs. La Rounat en deviendra fou. Les acteurs sont toujours rappelés entre tous les actes. C’est un succès splendide, et comme il n’est plus soutenu par personne que le public payant, il est si unanime et si chaud que jamais les auteurs n’en ont vu, disent-ils, de pareil…

Les épreuves de ma photographie n’ont pas encore très bien réussi chez Nadar j’y retombe demain. M. Harmant rient pour sûr mercredi. Il m’a envoyé une loge pour ce jour-là, car il faut bien que je connaisse son théâtre. Je voudrais aussi voir Villemer que je n’ai encore fait qu’apercevoir à moitié. J’ai demandé hier trois places, pas une qui ne soit louée jusqu’à samedi.

Paris, 9 mars 1864.

J’ai enfin vu M. Harmant deux fois aujourd’hui. Le succès croissant de Villemer (nous arrivons à 5 000 francs de recette) a décidé ce potentat qui gouverne tous les théâtres de drame, à faire les avances. Il demande l’Homme de neige pour le mois de novembre prochain au plus tard, afin de le jouer en janvier… J’ai encore été chez Nadar, je ne verrai le résultat que demain… La vente de Delacroix a produit 500 000 francs, on en a pour 70 ou 80 000, j’en réponds, si la fièvre ne tombe pas, mais il faudrait prendre un parti et pas trop tard. Ça en vaut la peine. Tu y songeras… Le succès de Villemer a ramené chez moi la foule. Manceau en perd la tête. La sonnette ne s’arrête pas. Je me porte bien quand même… Dis à Darchy, à Moulin, à Mme Ludre que je n’ai pas le temps de les remercier. J’ai reçu cinq cents lettres depuis Villemer :

Mercredi soir.
À Maurice.
Paris, 10 mars.

… Le succès de Villemer va toujours crescendo. La recette de ce soir est de 5100 fr, 50. On n’a jamais fait de pareilles recettes à l’Odéon depuis le temps de Robin des bois en 1826 ou 1827. La rue Racine est obstruée le soir par des équipages de luxe sur trois de front. Les restaurateurs sont encombrés ; on ne reconnaît plus le Quartier Latin. Les belles dames font queue dans le jour à la location. Il y a des sergents de ville dès le matin au bureau, et toujours à la représentation eu entend les mêmes rires, les mêmes bravos, et les nez qui se mouchent, parce qu’on pleure. Ce succès est tel que je ne peux pas croire que ça me regarde.

Au même.
Paris, 12 mars.
Mes chers enfants,

Manceau vous a écrit ce matin aussitôt que nous avons pu fixer notre départ et je n’ai qu’à vous répéter que nous partons mercredi matin… J’ai encore passé la matinée chez Nadar, afin d’avoir une bonne série de portraits et je vous porterai tout ça, les mauvais et les bons… J’ai été ce soir voir enfin Villemer d’une bonne place d’où j’ai pu saisir l’ensemble ; c’est très bien mis en scène et les acteurs jouent beaucoup mieux que le premier jour. On a fait encore 5 090 francs de recette, 10 francs de moins que jeudi, parce que j’avais pris deux places, c’est-à-dire que la salle fait tout ce qu’elle peut faire et tient tout ce qu’elle peut tenir. On a supprimé l’orchestre et on a renvoyé ce soir plus de quatre cents personnes. C’est loué comme ça jusqu’à Pâques. C’est fabuleux. Je vais demain dire adieu au prince, il était encore ce soir à Villemer ; je me porte bien, mais il faut vous attendre à me trouver maigrie. Je ne mange pas. L’appétit ne reviendra qu’à Nohant. Je trouve superbe la négociation de Duvernet. Il est un peu arriéré, le cher homme ! À Paris, de plus gros bourgeois que lui lâchent les curés et les jésuites. Bonsoir, mes chéris. Je vous bige à mort.

Samedi soir.

Entre temps les recherches d’un pasteur allaient leur train. Enfin la chose fut décidée et le 10 avril Mme Sand écrivait à Jules Boucoiran qui devait être le parrain du fils de son ancien élève :

Nohant, 10 avril 1864

Nous mangeons les bonbons. C’est moi qui les donnerai quand viendra le baptême. M. Guy a craint de se compromettre et il n’a pas répondu. Je ne crois pas qu’Athanase Coquerel[454] puisse marier et baptiser maintenant. Il m’a dit : « Je ne suis plus pasteur. » Mais nous irons à M. Peschoux à Paris, ou mes enfants iront à Nîmes en allant chez M. Dudevant… Je serai toujours votre commère. Je dérange sans la détruire ou plutôt je rarrange mon existence de Nohant. J’y dépense trop et je me fais vieille. Il faut trop de travail pour maintenir une si large installation. Je loue un petit pied-à-terre, tout cela plus économique que mon appartement et mes quatre étages de la rue Racine. Je passe ainsi une partie de l’année à Paris, plus à portée des affaires de théâtre qui demandent une surveillance, et l’autre partie à Nohant avec mes enfants, mais avec moins de visites, de dépense et de personnel. Je garde les plus vieux domestiques, Marie et Sylvain entre autres. Mais mon jardinier me demande trop cher pour rester…

Nous savons que, rentrée à Nohant, Mme Sand alla passer quelques jours à Gargilesse d’où elle adressa sa Nouvelle lettre d’un voyageur datée du 24 avril, à Manceau, qui était reparti pour Paris. Puis elle se mit à faire les préparatifs de départ pour Palaiseau, et dans sa lettre à Charles Poncy, tout en lui donnant sa nouvelle adresse à Paris, elle dit carrément que sa vraie résidence sera Palaiseau.

À monsieur Charles Poncy.
Nohant, 4 mai 1864.

Cher enfant, c’est à Paris que nous nous verrons. Il faut que j’y sois à la fin de ce mois ou au commencement de l’autre, et qu’auparavant j’aille à Gargilesse, car je suis, nous sommes tous à la veille d’un décampement. Nous voulons nous rapprocher et nous éloigner de Paris, c’est-à-dire y être un peu installés, tout auprès, sur un chemin de fer, pour y faire nos affaires sans y demeurer. Maurice et sa femme doivent aller d’abord à Nérac et je ne crois pas que nous soyons de retour à Nohant avant l’automne.

Donc à Paris informez-vous de nous, rue des Feuillantines 97, où j’ai une chambre, et laissez-y votre adresse pour que je vous retrouve, si ce jour-là je suis en course. Mon vrai pied-à-terre sera à Palaiseau. Mais j’ignore si j’y serai installée alors… Peut-être Lina sera-t-elle à Paris en même temps que moi avec son poupon qui est ravissant. À vous de cœur, mes chers enfants, amitiés de Manceau.

G. S.

Si la cause réelle de ce changement d’existence doit être attribuée au désir de Mme Sand de mettre le jeune ménage dans la nécessité de diriger seuls leur maison et leur propriété, aussi bien qu’à son envie de se créer un asile, de fuir Nohant pour travailler (ainsi qu’elle le fit en 1840-41, où elle resta une année entière à Paris, sans aller à Nohant, et plus récemment, en 185862, à Gargilesse), ce départ de Mme Sand fut amené aussi par une circonstance particulière. La santé de Manceau l’inquiétait de plus en plus, les symptômes phtisiques devenaient chaque jour plus évidents. Les consultations des célébrités médicales de Paris s’imposaient. En dehors de cela il y eut une histoire assez désagréable à Nohant : les rapports entre Maurice et Manceau — depuis longtemps cordiaux de la part d’un seul — s’envenimèrent soudain tout à fait. Marie Caillaud fit naître ce différend. Comme tous les serviteurs trop gâtés par leurs maîtres, elle se permit un jour de ne pas remplir un ordre. L’un des deux jeunes gens prit son parti, l’autre se fâcha. Une querelle s’ensuivit, rappelant celle de Maurice et de Chopin. Manceau quitta immédiatement Nohant et partit pour Paris. Si Mme Sand le suivit ce ne fut pas, comme on le prétendit plus tard, par crainte qu’on ne fît des comparaisons entre les événements et les faits qui s’étaient passés lors de la maladie et la mort de Chopin, mais pour une raison d’un ordre bien plus élevé : Maurice était père de famille, il n’avait plus besoin de sa mère comme autrefois. Le pauvre malade, au contraire, avait besoin d’elle, il était menacé de mourir seul, lui qui avait voué sa vie au bien-être de Maurice et de Mme Sand. Cette dernière ne le voulut pas. Elle tint à ce que sa chère Lina ne sût pas la vraie cause de ce départ précipité, déclara qu’elle abandonnait Nohant à ses enfants et alla s’installer à Palaiseau[455].

Le départ de Mme Sand causa un étonnement général et chagrina tout le petit monde de La Châtre. On en chercha les vraies raisons, on en trouva de tout à fait fantastiques. Mais aucun des amis de Mme Sand ne crut que la seule raison financière décida cet éloignement de sa maison. Tous s’émurent et l’accablèrent de questions : qu’était-il arrivé ? quelle était la Taie raison de son départ ? Un malheur ? un chagrin ? etc., etc. Les lettres publiées dans la Correspondance[456] montrent que George Sand s’efforça de calmer l’inquiétude de ses amis de toutes les manières possibles, tantôt sérieusement, tantôt avec ironie. Elle disait que « si les gens de La Châtre n’avaient pas incriminé selon leur coutume, c’est qu’ils auraient été malades ». Elle assurait qu’outre « son désir de mettre Nohant sur un pied économique » et « les scrupules bons et tendres de ses enfants à gouverner Nohant tout seuls sans elle », rien ne se cachait derrière sa décision. Dans la lettre à Mme Augustine de Bertholdi, Mme Sand parlait même assez ironiquement de

« ces bons Berrichons qui la faisaient rire qnmid ils lui disaient : « Vous allez donc nous quitter ? Comment ferez-vous pour vivre sans nous ? » Il y a assez longtemps qu’ils vivent de moi. Duvemet sait Uen tout cela et je m’étonne qu’il s’étonne.

Le succès de Villemer me permet de recouvrer un peu de liberté dont j’étais privée tout à fait à Nohant dans ces dernières années, grâce aux bons Berrichons qui, depuis les gai-des champêtres de tout le pays jusqu’aux amis de mes amis, et Dieu sait s’ils en ont ! voulaient être placés par mon grand crédit. Je passais ma vie en correspondances inutiles et en complaisances oiseuses. Avec cela ces visiteurs qui n’ont jamais voulu comprendre que le soir était mon moment de liberté et le jour mon heure de travail. J’en étais arrivée à n’avoir plus que la nuit pour travailler et je n’en pouvais plus. Et puis, trop de dépenses à Nohant, à moins de continuer ce travail écrasant. Je change ce genre de vie, je m’en réjouis et je trouve drôle qu’on me plaigne. Mes enfants s’en trouvent bien aussi, puisqu’ils étaient claquemurés aussi par les visites de Paris et… que nous nous arrangerons pour être tout près les uns des autres à Paris, et pour revenir ensemble à Nohant quand il nous plaira d’y passer quelque temps.

La veille de son départ les ouvriers de La Châtre lui adressèrent une lettre collective où ils lui exprimaient leur vénération profonde, leur gratitude, leurs regrets de la voir partir, lui témoignant combien ils avaient apprécié ses aspirations démocratiques et libératrices[457] :

Madame,
Chère et illustre compatriote,

À la nouvelle de votre départ prochain, les ouvriers de La Châtre se sont sentis émus et affligés. Et ce n’est pas seulement, croyez-le bien, les bienfaits que votre main a toujours semés autour d’elle, qui leur rendent cette privation douloureuse.

Votre génie est une lumière qui brille sur le monde entier, mais votre cœur a toujours su se faire entendre des âmes simples et populaires. Unis à vous toujours par leurs principes et leurs sentiments dans la sainte communion de la démocratie et du progrès, ils tiennent à vous exprimer, à cette occasion, leurs sympathies et leurs regrets.

Absente, notre pensée vous suivra toujours. Souvenez-vous aussi de nous. Que ces hommages ne soient pas des adieux ; qu’à ces regrets se mêle l’espérance de votre retour.

Si tous ne peuvent aller serrer votre main généreuse, ce témoignage vous dira que vous ne laissez pas derrière vous des indifférents ou des ingrats. Agréez-le du même cœur que nous vous l’offrons. La récompense d’un devoir accompli est dans la conscience même. Mais il est doux aussi d’apprendre qu’on a été compris. Que ses efforts pour éclairer et servir le peuple n’ont pas été stériles et méconnus. Emportez cette conviction, madame, et pensez que, séparés, nous vous aimerons encore et nous applaudirons à vos glorieuses destinées.

De tous ceux qui savent lire, vos pages éloquentes ont fait des admirateurs sincères ou des amis inconnus.

Aux étrangers vous avez fait aimer et connaître notre cher pays. Qui vous sera donc plus reconnaissants que ses enfants ? Si votre nom en est l’éternel honneur, votre gloire se rattache au sien par ses plus belles œuvres. On ne comprend pas George Sand sans les horizons du Berry, loin de Nohant et loin de nous. Que le souvenir de cette solidarité intime vous accompagne comme un parfum de l’air natal et vous ramène bientôt à vos amis anciens.

Laissez-nous en finissant vous remercier de ce qu’il y a pour nous de plus particulier dans vos écrits. Nous y retrouverons avec bonheur l’image fidèle et cependant embellie de la terre de notre enfance, de nos pères, leur honnêteté, leur indépendance, leurs vertus modestes. En la comprenant mieux, nous l’aimons davantage et par ce petit coin, comme par le foyer de famille, nous nous attachons avec plus d’ardeur à la grande patrie.

Surtout personne n’a su ainsi que vous, madame, honorer le travail et la dignité du pauvre aux champs ou à la ville, consoler, ne fût-ce que par de beaux rêves, ceux qui portent courageusement la peine de chaque jour. Vous leur avez consacré tout un livre, le Compagnon du Tour de France, Par l’enseignement de l’exemple vous nous avez prêché la sagesse avec le dévouement, le devoir avec la justice. Vous nous avez révélé l’ensemble, l’humanité et la nature. Nous vous devons la patience et l’espoir.

Fermes dans la même foi, nous avons dans les temps difficiles suivi le même drapeau. Aujourd’hui que, seul ou le premier, l’auteur de Mademoiselle La Quintinie lutte et triomphe encore pour la vérité contre les idées rétrogrades, nous nous rangeons de nouveau avec lui au nom de la liberté.

Pourrions-nous mieux faire que d’emprunter vos propres paroles pour vous saluer de nos derniers souhaits :

« Ils se souviendront que tu fus leur mère féconde, leur nourrice robuste et leur église militante. Ils répandront ce baume sur tes blessures et ils te feront de la terre rajeunie et embaumée un lit où tu pourras enfin te reposer.

« En attendant le jour du Seigneur, torrents et forêts, montagnes et vallées, landes qui fourmillez de petites fleurs et de petits oiseaux, chemins sablés d’or qui n’avez pas de maîtres, laissez-la, laissez-la passer la bonne Déesse, la Déesse de la pauvreté[458] ! »

Collot, drapier ; Cornette, ébéniste ; Bruneau, cordonnier ; Bougeriot, serrurier ; Lelièvre, Édouard ; Vallet ; Moreau ; Guillemat ; Salmon ; Lebeau ; Zalade Lour ; Bahuet ; Mercier ; Renard ; Daud ; Frédéric ; Pibot, sabotier ; Cluvau ; Béjard, charbonnier ; Robin-Levert ; Pierre Julot, sabotier ; Despruneaux ; Me Trotignon ; Robin-Petit.

La Châtre, 6 juin 1864.

Mme Sand répondit à cette missive par la lettre de remerciements datée du 11 juin 1864 jet adressée à l’un de ceux qui avaient signé la lettre précédente, M. Guillemat, qu’on peut lire au volume V de la Correspondance. Elle y réfutait une fois de plus tous les on-dit à propos de chagrins personnels qui lui seraient arrivés et promettait de ne point oublier La Châtre, car elle avait l’intention, disait-elle, de souvent revenir dans son Berry.

À la même date, le 11 juin, elle annonça son départ à son avoué à La Châtre, M. Ludre Gabillaud, et à son ami Duvernet :

Nohant, 11 juin 1864.

Adieu et au revoir, mon bon Ludre ; embrassez pour moi votre chère femme. J’espère revenir cet automne. Quand vous tiendrez à Paris, venez me voir, sachez d’abord rue des Feuillantines, 97, si je ne suis pas à Paris. Je compte y aller toutes les semaines. Si je n’y suis pas, je serai à Palaiseau (Seine-et-Oise). Ce n’est guère plus loin qu’une course dans Paris. Je reste à vous de cœur, comptant sur vous, comme j’espère que vous comptez sur moi. Si je peux faire quelque chose pour vous ou pour Antoine à Paris, ne m’épargnez pas, j’en serai contente… »

À la fin de cette lettre Mme Sand donnait des indications sur la manière d’agir envers son fermier, etc., etc.

Et à Charles Duvernet, ne voulant pas lui dire les vraies causes de son départ précipité, elle écrit :

Nohant, 11 juin.

Chers amis, une lettre de Buloz avec qui j’ai rendez-vous car il vient exprès de Savoie, me fait partir demain matin. J’espère revenir à Nohant cet automne et y rejoindre mes enfants. Je vous bige tous bien tendrement ; comportez-vous bien, comme on dit chez nous, en mon absence, et que je vous retrouve tous frais comme des roses et m’aimant toujours.

G. Sand.
Palaiseau (Seine-et-Oise.)

C’est le 12 juin 1864 que Mme Sand partit pour Palaiseau.

Elle s’empressa d’annoncer ce jour même son arrivée à bon port à ses enfants :

Mes chers enfants, me voilà installée à Palaiseau après avoir bien dîné et contemplé la maisonnette qui est ravissante de propreté et de confortable. Je ne suis pas fatiguée ; J’ai une bonne chic, le jardinet est charmant, quoi qu’en dise Manceau : c’est une assiette de verdure avec un petit diamant d’eau, au milieu, le tout placé dans un paysage admirable, un vrai Ruysdael. C’est très joli et la maison est commode au possible. Je vous dirai les avantages et les inconvénients de la vie ici quand je les saurai, mais l’habitation est parfaite. J’ai passé une heure dans mon logement de Paris ; figurez-vous un wagon divisé en trois pièces ; mais c’est charmant tout de même, une maison flambant neuve, propre, reluisant comme une assiette qu’on vient de laver. J’ai vu Maillard qui m’attendait à une gare et qui m’a conduite à l’autre (peu distantes l’une de l’autre) ; avec une grande heure passée dans le logement de Paris où j’aurais eu le temps de dîner, si j’avais eu faim, nous nous étions rendus à 3 heures dans la cambuse de Palaiseau. Vous voyez que tout ça n’est pas loin.

Maillard a reçu l’argent de Maurice et lui a écrit ce matin.

Dites-moi si la lettre de ce matin (de Guillery) vous appelle tout de suite ou vous retarde de quelques jours, tenez-moi au courant… Manceau envoie ses hommages à Mlle Carabiac et bige Bouli et Cocoton. Amitiés à Marie.

Palaiseau, 14 juin 1864.

Je ne sais pas, mes enfants, si vous n’êtes pas au milieu des paquets jusqu’au cou. Je pense que demain j’aurai de vos nouvelles et que je saurai si vous filez droit sur Nérac ou sur Nîmes.

Je ne peux encore rien vous dire de la vie à Palaiseau. Je sais que l’endroit est charmant, la mangeaille très bonne, la petite maison très comme et qu’on y a toutes ses aises. Mais je n’ai encore fait que déballer et ranger. On y dort bien, c’est le silence de Gargilesse la nuit comme le jour… On y héserbe à la main des champs de légumes à perte de vue… Les arbres sont superbes, les prés et les blés splendides, et la culture excessive n’empêche pas que sur les marges des sentiers et des ruisseaux il n’y ait beaucoup de plantes. J’ai fait un petit tour ce matin et j’ai déjà rapporté des consoudes roses, bleues et lilas que nous n’avons pas chez nous. Ce que je voudrais vous envoyer, c’est une spirée rose de mon jardinet, qui est un arbuste ravissant…

Puis viennent des instructions par rapport à un ananas qu’on devait ne pas trop laisser mûrir dans les serres de Nohant pour le lui envoyer à Palaiseau. Il est évident que tenir Nohant sur un pied aussi large devait coûter pas mal de nuits de travail à George Sand et que rien que pour avoir la tranquillité de ce travail assuré, elle devait soupirer après le silence absolu de Gargilesse et de Palaiseau.

Dumas fils a écrit dans la préface de son Fils naturel une magnifique page consacrée au séjour de George Sand à Palaiseau. Mais George Sand elle-même dépeignit dans le roman Monsieur Sylvestre d’une manière cent fois plus poétique, vraie, simple et touchante sa maisonnette au haut d’une colline, la vue qui se découvrait de ses fenêtres sur la vallée fleurie et cultivée et sur le versant opposé couvert de potagers et de vergers, ainsi que son existence rêveuse dans le petit bourg tranquille. Inoubliables surtout les pages — bien certainement vécues par l’auteur — où il laisse son héros, arrivé à Vaubuisson (lisez : Palaiseau) et récemment installé dans une maisonnette « au bas du village », apercevoir tous les soirs, lorsque tout dort autour de lui, au haut de la colline opposée un petit feu brillant dans la nuit noire.

Il y a donc, dans cette maisonnette inconnue, quelqu’un qui travaille où rêve aussi ? Les deux maisonnettes semblent comme deux étoiles, des deux versants opposés, se regarder pardessus la vallée. C’est là un tableau ravissant, poétique : on se souvient de cette impression plus que du roman même.

Il y a en outre des descriptions charmantes dans ce roman, l’une d’elles fut même citée parle traducteur de Virgile, M. Benoist, en guise de commentaire à la description de son domaine faite par Virgile, surtout comme un commentaire de lapis nudus et de magna satis[459] par lesquels l’illustre poète romain peint son pré, parsemé de grandes pierres nues.

Cette page de George Sand — la description d’une prairie arrosée d’un petit ruisselet, parsemée de blocs de granit et fleurie de cette même spirée-reine-des-prés à laquelle Mme Sand fait allusion dans la lettre précitée à son fils — se trouve au chapitre xxxviii de Monsieur Sylvestre.

En me voyant il (M. Sylvestre) a posé son attirail à terre. (Il était équipé poiu’la pêche à la ligne, et la pêche à la ligue requiert la solitude et le silence), et, s’asseyant sous une saulée à la lisière d’un pré, il me dit d’un air confiant et amical : « Causons ! »

L’endroit était charmant : le pré, doucement incliné vers l’eau, était tout parsemé de spirée-reine-des-prés et de grandes salicaires pourpres qui dépassaient princièrement la foule pressée des vulgaires plantes fourragères. Nous avions pour sièges et pour lits de repos de larges blocs de grès, masses hétérogènes, descendues jadis de la colline et enfouies dans la terre, que leur dos usé et arrondi perce de place en place. Ces beaux grès propres et sains semés dans l’herbe, sous un clair ombrage, invitent au repos et Termite les connaît bien.

— Voilà, me dit-il, un des riches et moelleux boudoirs que dame Nature met à ma disposition. Il faut aussi que j’en remercie la généreuse hospitalité de mes semblables, car tout le monde n’est pas autorisé à pénétrer dans ces herbages. En qualité de pauvre discret, j’ai la permission d’aller partout. On sait comme j’aime la beauté des plantes, comme je dirige et mesure mes pas pour ne pas fouler l’herbe, et comme je respecte les petits rejets des arbres. N’est-ce pas là un privilège quasi royal ? Toute la vallée m’appartient, et quand le paysan jaloux et un peu despote vient à moi d’un air menaçant, sitôt qu’il me reconnaît, il sourit et me confirme mon droit en disant : « Tiens, c’est vous, monsieur Sylvestre[460] ? Alors, c’est bon, c’est bon, restez tranquille, on ne vous dit rien. »

Je vous demande un peu quel est le potentat à qui Jacques Bonhomme a jamais d’aussi bon cœur prêté foi et hommage ?

C’est ici, continua-t-il, une de mes retraites favorites. Voyez, à cent pas de nous, comme le ruisseau est gracieux en se laissant tournoyer mollement dans cette déchirure de terrain ! C’est lui qui a dévasté cette petite rive ; il lui a plu, après avoir glissé doux et muet dans les prairies, de faire ici une légère pirouette et d’y amasser un peu de sable pour y sommeiller un instant avant de reprendre sa marche silencieuse et mesurée. Tout s’est prêté à son innocente fantaisie : la berge s’est élargie, les iris et les argentines se sont approchées pour jouer avec l’eau ; les aulnes se sont penchés pour l’ombrager, et l’homme, en établissant là un gué, lui a permis de s’étendre et de repartir sans effort. Il y a dans tout cela une mansuétude que l’on ne trouve pas dans la grande culture des plaines ou dans la lutte avec les grands cours d’eau. La petite culture a bien ses ennemis ; mais elle s’arrange avec eux et leur cède quelque chose pour recevoir quelque chose en échange. Si ce ruisseau était mieux réglé dans son cours, ce pré serait moins frais et moins vert, de même que, si ces roches qui en mangent une partie étaient extirpées du sol, le sol, effondré par les pluies, s’en irait combler et détourner le lit du ruisseau. Plus tard… (vous voyez je dis toujours ce mot-là qui est tout mon fond de réserve contre les choses mauvaises du présent), plus tard, l’homme comprendra qu’il ne faut pas tant dénaturer la terre pour s’en servir, et que l’on pourra concilier le beau avec l’utile ; mais ce n’est pas d’agriculture que je voulais vous parler. J’ai en tête, depuis quelques jours, de savoir où vous en êtes, et de reprendre avec vous notre discussion sur le bonheur.

— En bien, monsieur Sylvestre, je crois à présent que le bonheur existe…

Quant au roman même, ce qui y est surtout intéressant — outre les réminiscences autobiographiques de l’auteur — ce sont d’abord les causeries et les discussions sur des thèmes philosophiques et sociaux entre le héros du roman, Pierre Sorède, — représentant la jeunesse sceptique — et M. Sylvestre, un vieux rêveur, anachorète ayant déserté la vie et par la bouche duquel parle l’auteur lui-même.

Les deux interlocuteurs tiennent à préciser : en quoi consiste le bonheur humain ?

L’auteur, avec son ami Rollinat, croyait jadis que le bonheur consistait à être un juste à la manière des anciens. À présent le héros de son roman dit :

… Pratiquer la justice ! nous disaient les anciens. Quelle justice ? A-t-elle assez changé la justice humaine, depuis Platon et Aristote ! Obéir aux lois ? Où sont-elles les lois durables ? Que sont devenus les devoirs de l’esclave ? Et puis si vous parlez de justice, de morale et de vertu, vous me parlez de toute autre chose que du bonheur : vous confondez le travail avec la récompense…

M. Sylvestre, lui, est contre la société en général. Mais Sorède est d’un autre avis :

…Tu sais, écrit-il à son ami, que je ne comprends pas le blâme déversé à un état général qui n’est que le résultat de l’imperfection des individus. Il me semble que, pour réaliser le rêve de la fraternité universelle, il faut commencer par inculquer l’idée de fraternité à tous les hommes. C’est bête comme tout, mais je trouve encore plus bête qu’on veuille s’y prendre autrement et même j’avouai à M. Sylvestre que vouloir imposer des lois idéales à un peuple positif me paraissait inique et sauvage. C’est la doctrine du terrorisme : fraternité ou la mort ; c’est aussi celle de l’inquisition : hors de l’Église point de salut. La vertu et la foi décrété ne sont plus la foi et la vertu ; elles deviennent haïssables. Il faut donc laisser aux individus le loisir de comprendre les avantages de l’association et le droit de la fonder eux-mêmes, quand les temps seront venus. Ceci ne fait pas le compte des convertisseurs, qui veulent recueillir le fruit personnel, gloire, pouvoir ou influence ou qui se plaisent tout au moins à jouer le rôle d’apôtres purifiés au milieu d’une société souillée… Il est ATai que M. Sylvestre répond à cela : « On a raison de se moquer des orgueilleux et de se méfier des ambitieux, mais il ne faudrait pas regarder comme tels tous ceux qui demandaient avec impatience le règne de la vérité. »

On voit par ce dialogue combien les idées de l’auteur ont changé depuis les jours, déjà lointains, où il adressait à Rollinat la Lettre d’un voyageur contenant le portrait du juste[461], mais surtout depuis 1848, lorsqu’il enseignait à son fils, le maire de Nohant, comment il fallait « révolutionner » les habitants de Vie et de Nohant et les exciter à saluer l’avènement bienheureux de la République, une et omnipotente, et lorsque l’auteur lui-même, oubliant tous ses malheurs personnels, se déclarait parfaitement heureux grâce à ce simple changement de régime, et prêchait carrément dans ses Bulletins et dans ses articles une politique rectiligne et un esprit de parti bien tranché[462].

Oh ! oui, M. Sylvestre ne cherche plus du tout son bonheur dans des événements ou des doctrines politiques, et les idées du jeune Sorède à ce sujet ne sont point aussi absolues que celles de la correspondante de Mme d’Agoult datées de 1836. (Voir sa « Recette pour être heureuse »)[463].

Je sens, dit Pierre Sorède — (il est évident que c’est Mme Sand, l’ermite de Palaiseau, qui parle par sa bouche) — je sens dans la prise de possession de moi-même un grand bien-être, une sorte de joie douce et tranquille. Je me dis : Voilà le bonheur ! Salut, hôte inconnu ! permets-moi d’examiner ta figure, de t’interroger, d’éprouver ta puissance et ta durée… Mais je suis un enfant de mon siècle, un chercheur et un sceptique. Ne prends pas le bon accueil que je te fais pour une idolâtrie aveugle. Je sais très bien que tu es inconstant et que, comme Ahasvérus, tu ne peux t’arrêter ni chez moi, ni chez le voisin. Tu es une chose de ce monde, mon aimable hôte, une chose humaine, tu ne peux pas me promettre le paradis, tu ne le connais pas mieux que moi et prends garde que je ne te connaisse trop moi-même, car je pourrais bien apercevoir que tu n’es qu’une création de ma pensée, un état de mon esprit, un souffle, une ombre, un parfum…

Et de même M. Sylvestre, si croyant qu’il soit, défend le droit à l’existence des athées.

Place aux athées ! dit-il. Ne sont-ils pas comme nous (spiritualistes) tournés vers l’avenir ? Ne combattent-ils pas comme nous les ténèbres de la superstition ? Et faut-il qu’au lieu de terrasser l’ennemi commun. nous perdions le temps et dépensions l’énergie à nous exclure les uns les autres du champ de bataille ? Non… les sceptiques et les athées sont nos frères ; ils apportent des matériaux pour le nouveau temple. Ne dites pas que la négation ne crée rien. Elle crée la notion de la liberté de conscience qui est la base sans laquelle on ne constituera jamais rien… Plutôt que de croire à la méchanceté de Dieu, nie son existence. Redeviens incrédule plutôt que de te faire égoïste. Dieu n’aime pas les enfants lâches.

George Sand est, en disant tout cela, bien près de l’idéal de scepticisme, d’examen critique et de doux éclectisme que lui prêchait jadis Sainte-Beuve. Il n’est point étonnant que l’auteur de Monsieur Sylvestre ait inscrit sur la couverture de ce volume envoyé à Sainte-Beuve les paroles que nous avons déjà citées dans notre tome I : À Sainte-Beuve, douce et précieuse lumière dans ma vie.

Il est très curieux de noter, aussi, dans les personnages et les dialogues du riche banquier espagnol M. Gédéon-Nunez et le pauvre juif M. Diamant le reflet de la correspondance entre l’auteur de ce roman et le capitaliste israélite M. Édouard Rodrigues, correspondance où les questions sociales, économiques, mais surtout le rôle bienfaisant et néfaste du capital étaient si souvent débattues.

Quant à la fable du roman et à ses autres personnages (entre autres la négresse Zoé avec son jargon nègre obligatoire : je vous aimer, la maîtresse dormir etc., etc.), ils sont fort peu intéressants. Toutes les péripéties arrivées aux héros sont oubliées du lecteur aussi vite que s’oublient les histoires où quelque charmante demoiselle (et le lecteur avec elle) doit ignorer jusqu’au dernier chapitre qu’elle n’est pas la fille de son père, mais celle d’un autre homme et qu’elle ne s’appelle pas Mlle une telle, mais bien Mlle Chose.

Pierre Sorède ne peut pas définir en quoi consiste le bonheur. Il le trouve finalement dans l’amour d’une jeune fille forte, pure, aimante et dévouée. Le bonheur est en nous et en dehors de nous et au-dessus de nous, dit-il, et M. Sylvestre lui conseille de ne jamais se fier à son bonheur et de veiller à sa sécurité. Pour confirmer ses mots il assure que toutes les âmes se divisent en deux catégories :

… âmes actives qui cherchent leur jouissance dans celle des autres, et les âmes délicates et molles qui demandent le bonheur sans savoir le donner… La vie des premiers se passe à oublier de vivre afin d’entretenir chez les autres l’éclat et le feu de la vie : peine inutile ! ceux-ci acceptent le sacrifice et n’en profitent pas. Voilà l’écueil du bonheur dans la région du sentiment : trop de dévouement d’une part, trop d’ingratitude de l’autre…

On devine derrière ces lignes un thème très personnel et une allusion à la manière de prendre la vie d’êtres très proches de l’auteur.

Monsieur Sylvestre et sa suite le Dernier amour parurent lorsque Mme Sand était déjà bien loin des impressions douces et idylliques de son séjour à Palaiseau. Elle y vécut de juin 1864 à janvier 1867, ne quittant sa maisonnette que de temps à autre, appelée à Paris pour ses affaires littéraires ou désireuse de passer quelques semaines ou même quelques jours à Nohant, ou encore pour de petits voyages. Puis, elle alla une fois à Nérac, dans la résidence de son ex-mari, M. Dudevant, et ceci en une triste circonstance : à peine installée à Palaiseau, elle dut partir en toute hâte pour Guillery où venait de mourir le petit Marc-Antoine emporté par une maladie cruelle ; on l’enterra dans la tombe de son arrière-grand-père, le baron Dudevant, à côté du tombeau de la première enfant de Solange, morte aussi à Guillery[464].

Mme Sand envoya ses enfants désespérés faire un tour dans le Midi, les confiant aux soins du vieil ami Boucoiran, puis elle revint à Palaiseau. Elle alla en automne et en hiver passer quelques jours à Nohant avec Maurice et sa femme, mais toujours elle retourna à Palaiseau.

Le 23 janvier un nouveau coup la frappa : son ami Louis Maillard mourut presque subitement, emporté en quelques heures par une péritonite. Cette mort fut un horrible chagrin pour Mme Sand et pour Manceau qui était cousin de Maillard.

George Sand fit part de ce malheur à Maurice dans ses lettres du 24 et 25 janvier 1865[465] et cette seconde lettre est surtout importante, comme l’expression de ses idées en matières religieuses et relativement aux enterrements civils :

Paris, 25 janvier 1865.

Nous avons conduit aujourd’hui notre pauvre ami au Père-Lachaise. Nous étions nombreux et unanimes en affection et en regrets. La cérémonie sans prêtre, a été touchante et sérieuse. Nous vous raconterons les détails.

J’ai parlé aussi, par l’organe de Galle qui a lu[466]. Que de gens excellents il y avait là pour pleurer. Mes amis y sont venus aussi, Dumas, Lambert, Borie, Aucante, etc. Cadol y est venu aussi, nous nous sommes embrassés et lui et Manceau aussi[467]. Quelle rude journée !… Nous avons fait au moins deux heues… Nous voulions tous y être, et véritablement il était aimé. Nous repartons après-demain matin pour Palaiseau.

Si tu as quelques papiers d’affaires chez Maillard (nous avons déjà repris tes lettres) tout sera dépouillé et restitué par Boutet qui est son exécuteur testamentaire. Bonsoir, mes enfants chéris, je vous bige mille fois ; je ne suis pas malade, malgré beaucoup de fatigue, d’émotion et de chagrin. Quel voyage ! Manceau va bien aussi, il est soutenu par les devoirs qu’il a à remplir. Mme Maillard a décidé qu’elle retournerait à Bourbon avec les deux créoles, c’est leur désir à tous trois. Ce sera peut-être la guérison de la pauvre petite qui a un courage et un dévouement vraiment sublimes. On s’occupe dans la société des Amis de la famille (la Société de Sainte-Colombe) d’ajouter à la moitié de pension de son mari, afin de lui laisser un peu d’aisance, et sa résolution de retourner Là-bas rendra son existence possible. On obtiendra le passage gratuit avec les deux enfants. Cette société de débris saint-simoniens est chose touchante et respectable. Tout le monde devrait ainsi s’associer par groupes d’amis pensant de même et se passer des bénédictions du prêtre et de l’aumône de l’État

Cette lettre est à retenir. Un an plus tôt Mme Sand avait déjà écrit, absolument dans le même ordre d’idées, une lettre à propos de l’enterrement civil de Fulbert Martin, l’un des jeunes républicains que George Sand avait, comme nous l’avons vu[468], hébergés et cachés à Nohant en 1849-51. Voici quelques lignes de cette lettre adressée à M. Hippolyte Magen qui avait envoyé un portrait de Fulbert Martin à Mme Sand, en lui faisant part de la mort de ce dernier, survenue à Madrid, et lui avait dit aussi que, connaissant les opinions de sou ami, il avait insisté pour qu’on l’enterrât civilement.

Nohant, 24 avril 1864.

Une absence de quelques jours m’a empêchée, monsieur, de répondre à votre excellente lettre et de vous dire toute ma gratitude pour les détails que vous me donnez.

Vous adoucissez autant que possible la douleur de l’événement, en me disant que notre ami n’a pas eu à lutter contre la crise finale et que les derniers temps de sa vie ont été heureux. Sa compensation a été bien courte, après une vie de lutte et de souffrance. Mais je suis de ceux qui croient que la mort est la récompense d’une bonne vie, et la vie de ce pauvre ami a été méritante et généreuse. Les regrets sont pour nous et votre cœur les apprécie noblement.

J’ai envoyé votre lettre à Mme Y…, sœur de Fulbert, et je lui ai fait le sacrifice du portrait photographié. S’il vous était possible de m’en envoyer un autre exemplaire je vous en serais doublement obligée. Mme Y… compte vous écrire pour vous remercier aussi de l’affection délicate que vous portiez à son frère et pour vous confier, je pense, la mission que vous offrez si généreusement de remplir.

Quant aux détails de l’enterrement j’ignore ce qu’elle en pense, je la connais fort peu ; mais je vous remercie, moi, pour mon compte, de la suprême convenance de votre intervention.

Vous avez fait respecter le vœu qu’il eût exprimé, lui, s’il eût pu vous adresser ses dernières paroles.

Merci encore, monsieur, et bien à vous.

G. Sand.
Nohant, par La Châtre (Indre).

Il est à regretter que cette seconde lettre ne fut publiée qu’après les funérailles de George Sand et que le contenu de la première disparut complètement de la mémoire de celui à qui elle avait été adressée. Mme Sand y exprimait cependant d’une manière très nette que « tout le monde devrait s’associer ainsi par groupes et se passer de la bénédiction du prêtre et de l’aumône de l’État ». On signala fort judicieusement cet oubli des idées de George Sand sur les enterrements civils, dans un article de l’Événement en 1876, après l’enterrement religieux de la femme illustre. Les amis de Mme Sand savaient cet enterrement en contradiction directe avec ses opinions. Sa rupture complète non seulement avec le catholicisme, mais aussi avec tout culte officiel, leur était connue. Or, tout ce qu’elle disait dans ces deux lettres citées plus haut fut oublié ou négligé par son fils et par sa fille. Et elle, qui avait si obstinément protesté contre le « dogme honteux de l’enfer », contre toute espèce « d’idolâtrie », contre le clergé, croyait le catholicisme « une religion finie », fut, par l’inertie et le manque de mémoire des uns, l’amour de la pompe, l’ostentation de piété et le snobisme des autres, enterrée selon le rite catholique. Lorsqu’on raconte ce fait on prétend habituellement qu’on ne voulut pas froisser la population rurale. En disant cela, on oublie qu’il fallait respecter avant tout la foi libre, la brave franchise de toute la vie de George Sand. De nos jours, le sort qui se montre généralement fort peu clément envers les grands hommes, rendit — de par la docte voix du Saint-Synode — un grand service à Tolstoï, et son imposant enterrement « sans prêtre » ne fut point en désaccord avec sa foi et sa volonté. Si Mme Sand avait vécu jusqu’à ce jour-là, elle eût certes confirmé ce qu’elle avait écrit lors des enterrements civils de Maillard et de F. Martin, en y ajoutant peut-être en toute précision : « Je veux qu’il en soit ainsi pour moi-même… » [469].

Mais revenons à l’année 1865.

Presque immédiatement après la mort de Louis Maillard la santé de Manceau alla brusquement en décroissant. Dès 1861, dans toutes les lettres de Mme Sand à Maillard, Dumas fils, Oscar Cazamajou et d’autres, se trouvent des lignes témoignant de l’inquiétude constante qu’inspirait à Mme Sand la maladie chronique de Manceau. Tantôt il y a un peu de mieux, tantôt la toux et la fièvre augmentent. Perpétuellement on consulte des médecins, on change de régime ou de traitement, on recourt à quelque nouveau remède. Mais Mme Sand semble nourrir l’espoir que tous les symptômes alarmants ne sont que passagers, que l’organisme robuste de Manceau, sa volonté de guérir, sa belle humeur constante et des soins se rendront maîtres du mal. Cette espérance fut déçue. Dès le printemps de 1865, Mme Sand comprit que son ami était condamné. Il semble l’avoir compris lui-même.

On n’a publié dans la Correspondance que quinze lettres de 1865. On n’en trouve aucune écrite entre le 29 juin et le 27 septembre. (Celle qu’on a publiée dans la Correspondance entre ces deux dates comme une Lettre à Sainte-Beuve de 1865 n’est point une lettre à Sainte-Beuve et n’est pas de 1865, — comme nous le signala feu M. de Spœlberch, — mais bien une Note destinée à une revue avant 1862. Et voici pourquoi : il est question dans cette page, écrite seulement d’un côté du feuillet, comme on le fait lorsqu’on écrit pour l’impression, ce que George Sand ne faisait jamais dans ses vraies lettres, — il y est donc question d’un roman anonyme, « Un amour du Midi », paru en 1860. En 1862 ce roman parut chez Dentu sous le nom de l’auteur G. Petano, et avec une préface de Janin. Donc en 1862 la roman n’étant plus anonyme, la Note doit être écrite avant 1862.) Eh bien ! entre le 29 juin et le 27 septembre 1865 il n’y a pas une seule lettre dans la Correspondance. Or, Mme Sand passa pendant ces trois mois par une rude épreuve : Manceau se mourait lentement et il mourut le 21 août. Et tandis que la Correspondance se tait, les lettres inédites de George Sand écrites pendant cette période sont vibrantes, pleines de douce pitié, d’anxiété, de douleur, de compassion, d’angoisse, de désespoir, puis d’une prostration, d’une apathie désolées. Il y a cinquante-quatre lettres inédites copiées, se rapportant à ces trois mois d’été de 1865, et en tout cent cinquante-six lettres inédites, formant le dossier de 1865.

Nous ne citerons intégralement ni des extraits ni des lettres de cet été, de mai au 21 août, triste chronique du lent dépérissement du pauvre Manceau. Dans les premières on lit, à la suite de projets littéraires, de discussions de scenario à tirer d’un roman de Mme Sand ou de l’analyse des défauts et qualités d’une œuvre nouvelle de Maurice Sand, le compte-rendu, jour par jour, des progrès de la maladie. Ces détails attristants remplissent de plus en plus les lettres de ]Ime Sand ; le ton devient toujours plus angoissé, puis ce ne sont plus que des billets, l’état de son cher malade est désespéré. Tous les efforts pour sauver le malheureux furent vains, il mourut le 21 août à la première heure.

Nous trouvons absolument indispensable de citer intégralement quelques-unes des lettres ultérieures à cet événement et de donner des extraits de quelques autres, afin de mettre en lumière et d’apprécier à sa vraie valeur cet épisode de l’existence de Mme Sand. Il fut très souvent raconté avec des sous-entendus malveillants, des allusions équivoques. On s’efforça de profiter du silence de la Correspondance pour faire croire que George Sand fit preuve d’une légèreté inconcevable ou même d’une absence de tout sentiment à l’occasion de la mort de son ami dévoué. Le lecteur jugera lui-même la valeur de ces racontars.

À Maurice.
Palaiseau, 21 août 1865.

Notre pauvre ami a cessé de souffrir. Il s’est endormi à minuit avec toute sa lucidité. Toute la nuit il a dormi et quand nous avons voulu l’éveiller à 5 heures pour lui faire prendre quelque chose il a essayé de parler sans suite comme dans un rêve. Il a tenu sa tasse, il a voulu être soulevé et il est mort sans en avoir aucune conscience et sans paraître souffrir. Je remercie Dieu, au milieu de ma douleur, de lui avoir épargné les horreurs de l’agonie. Il en a eu une de quatre à cinq mois, c’est bien assez. Il s’est bien senti mourir heure par heure, constatant chaque progrès de son mal, mais se faisant encore de temps en temps des illusions et se soignant comme un homme qui ne s’abandonne pas un instant. Je suis brisée de toutes façons, mais après l’avoir habillé et arrangé moi-même sur son lit de mort, je suis encore dans l’énergie de volonté qui ne pleure pas. Je ne serai pas malade, soyez tranquilles, je ne veux pas l’être, je veux aller vous rejoindre aussitôt que j’aurai pris tous les soins nécessaires pour ses pauvres restes, et mis en ordre ses affaires et les miennes qui sont les vôtres.

Apprends avec ménagement cette triste nouvelle à ma chérie. Du reste elle devait bien s’y attendre. Je ne me faisais plus d’illusion et je vous le disais.

Je vous embrasse mille fois, aimez-moi bien.

À monsieur Oscar Cazamajou[470].
Palaiseau, 22 août 1865.

Cher enfant, je l’ai perdu, cet admirable compagnon de ma vie depuis quinze ans, ce soutien dévoué de ma vieillesse. Il est mort hier matin sans agonie, et, je l’espère, sans savoir qu’il mourait, quoiqu’il connût et sentît bien depuis longtemps la gravité toujours croissante de son mal. Mais il avait encore beaucoup de moments d’illusion que j’ai entretenus avec tout le courage dont je suis capable. Il a eu bien du courage aussi pour s’efforcer de vivre ; il est resté debout jusqu’à ce qu’il n’ait pas pu se porter. J’ai pensé deux fois à t’écrire, mais cette fin inévitable n’avait pas de terme qu’on pût fixer, et je ne voulais pas t’enlever à ta femme souffrante[471] et à tes affaires pour un temps indéterminé. J’ai été bien entourée et soutenue par de bons amis. Pourtant ta présence m’eût fait plus de bien, et j’ai failli t’envoyer un télégramme. Mais j’ai craint d’être égoïste et puis je suis si étroitement logée à Palaiseau ! Dormir plusieurs nuits sur un canapé est trop pénible, j’ai résisté à mon envie de te voir.

Il est là, ce pauvre ami, calme, pâle et comme rajeuni par la mort. Je le garde jusqu’à demain encore. Je crains tant les inhumations précipitées. Je l’ai couvert de fleurs. J’ai été choisir au cimetière une belle place. Je me soutiens par la volonté de m’occuper de lui jusqu’à ce qu’il faille le perdre de vue. Mais je suis brisée de fatigue, moi seule l’ai veillé et soigné à toute heure depuis le commencement, depuis trois mois, et il était bien difficile à soigner. Mes domestiques auraient peut-être perdu patience. Mais je les ai soutenus, ils ont été parfaits.

J’irai à Nohant dans une huitaine. Si je ne suis pas trop fatiguée, je veux aller vous voir ensuite. Je vous embrasse tendrement ainsi que ma sœur. Elle appréciait cet excellent ami qui vous aimait bien.

Ta tante.

À Maurice.
22 août 1865.

Quels tristes jours, quels détails navrants ! Dumas, Marchal, Larounat et Borie sont venus me voir aujourd’hui. Marchal a dîné avec moi et m’a distrait un peu. Francis est ici, il vient d’enterrer sa mère à Nevers. Il est arrivé comme notre pauvre ami venait d’expirer. Les Boutet sont excellents pour moi et m’aident dans les tristes soins à remplir. Nous le conduisons demain au cimetière. Me voilà seule depuis deux nuits auprès de ce pauvre endormi qui ne se réveillera plus. Quel silence dans cette petite chambre où j’entrais sur la pointe du pied à toutes les heures du jour et de la nuit ! Je crois toujours entendre cette toux déchirante ; il dort bien à présent, sa figure est restée calme, il est couvert de fleurs. Il a l’air d’être en marbre, lui si vivant, si impétueux ! Aucune mauvaise odeur, il est pétrifié. Son imbécile de sœur est venue ce matin et n’a pas voulu le voir, disant que cela lui ferait trop d’impression. Elle m’avait écrit pour le supplier de lui amener un prêtre. Tu penses bien que je l’ai reçue de la belle manière… dès lors il est damné et on ne veut pas lui donner un dernier baiser. La mère n’a pas paru, c’est elle surtout qui voulait qu’il se confessât, sans craindre de lui porter un coup mortel : une mère ! Voilà les dévots. Nous ne le portons pas à l’église, comme tu penses ; dès lors le bedeau nous refuse le brancard et le drap mortuaire. Mais les ouvriers du village, qui l’adoraient, veulent le porter avec un drap blanc et des fleurs. Nos amis de Paris viendront. Si le prince est de retour, connue on me l’a dit ce soir, il viendra certainement. Il l’aimait beaucoup et lui a témoigné dans sa maladie le plus grand intérêt.

Moi je ne peux pas encore me reposer, j’ai trop perdu le sommeil pour le retrouver tout de suite ; mais je ne suis pas du tout malade, j’ai bien de la force. Je pense toujours vous aller voir dans huit jours. Il faudra après-demain que je voie aux affaires avec Boutet. Tout est en ordre, mais il faut prendre connaissance de tout, et que je sois mise en possession du petit avoir qu’il nous laisse. J’y ai mis du mien aussi, mais sous son nom, afin que ce soit bien à toi, sans partage avec personne. Je ne sais pas quelles formalités il y aura à remplir, si tu dois signer une acceptation. Je saurai cela.

Dis à Marie Caillaud que j’ai à elle des papiers qui constituent les titres de propriété de ses petites économies. Elle avait chargé Maillard de les faire valoir et tout cela a dû être très bien fait. À sa mort Manceau a repris les titres. Il faut qu’elle me dise ce qu’il faut en faire. Je ne peux pas me charger de cela, n’entendant absolument rien aux affaires, et Boutet, qui est écrasé d’occupations, n’a pas de raisons pour prendre ce nouveau soin. Qu’elle me dise donc si elle a quelqu’un à Paris à qui elle veut que je remette ses titres ou s’il faut les lui envoyer. Il faut qu’au plus tôt ils soient dans les mains de la personne qui surveille ses intérêts.

Bonsoir, mes enfants chéris, ne soyez pas inquiets de moi, je suis bien entourée, et j’ai des domestiques d’un dévouement parfait. Je vous aime et j’irai revivre en vous embrassant.

À Lina.

Ma fille chérie, comme la vue de Maurice m’a fait du bien ! J’ai enfin pu pleurer à cœur ouvert, il m’a aidé à conduire au cimetière ce pauvre cher ami ; je m’en retournerai avec lui, dans trois jours, quatre tout au plus, je compterai parcimonieusement les heures où je te sépare de lui et où je te laisse seule, ma pauvre petite ! Je suis si brisée de fatigue et si ahurie d’esprit que je ne peux pas partir demain, sans cela je partirais. Je me dépêcherai, sois-en sûre ; c’est toi qui, la première, lui a dit : « Va chercher ta mère ; » je le sais, je t’en remercie et je te bénis. Maurice va bien.

À Lina.
Palaiseau, 25 août 1866.

Ma fille chérie, Maurice t’écrit de son côté à Paris, que nous partons pour te rejoindre dimanche matin ; je ne pourrai passer cette fois avec vous qu’une quinzaine.

Je serais restée davantage, s’il m’avait laissée ici plus longtemps, mais il veut me remmener et je ne veux pas que tu restes seule. Je t’embrasse mille fois.

Ta mère.

Il m’a lu ta lettre, qu’elle est gentille et bonne !

À Charles Poncy.
Palaiseau, 25 août 1865.

… Il y a quatre mois que nous n’avons mis le pied à Paris. Il y a quatre mois qu’il se meurt. Les intervalles d’espérance étaient illusoires. Il y a six semaines que je le sais, et pourtant, on espère jusqu’à la dernière heure.

À présent c’est fini. Je l’ai conduit au cimetière le 23. Il est mort le 21. Il a eu une rapide agonie après un lourd et profond sommeil. Mais pour en venir là, comme il s’est vu mourir, jour par jour, heure par heure !

Maurice est accouru pour m’aider à l’ensevelir, et nous partons ensemble demain pour Nohant où je passerai quinze jours. Je reviendrai pour affaires. Je retournerai là-bas pour les couches de ma belle-fille. Mais je vivrai à Palaiseau avec mon cher et profond souvenir.

Je suis brisée de fatigue. Que de soins, que de veilles, que d’angoisses. Rien n’a pu le sauver. Tout avait, tout a été essayé. L’iode ne faisait rien. Rien ne faisait… Vous qui savez ce que c’est que de disputer un être chéri à la mort, vous apprécierez mon immense douleur.

À monsieur André Boulet.
Nohant, 28 août 1865.

Chers excellents amis, je vous donne de mes nouvelles, selon ma promesse. Je me porte bien. Je suis arrivée sans fatigue de voyage ; j’ai dormi, j’ai mangé, j’ai causé avec mes enfants, j’ai repris la vie comme si de rien n’était, je n’en suis pas moins brisée et j’éprouve au physique comme au moral, la lassitude de quelqu’un qui sortirait de la torture. Il me faudra, je pense, quelque temps pour me retrouver et me reconnaître.

À votre tour de me parler de vous, des chers enfants et des bienaimés parents, chère famille qui s’est faite mienne avec tant de cœur et de bonté. Je vous embrasse tous tendrement, et mon Bouricoïdès[472] aussi.

G. Sand.

Je prie Boutet de consacrer une ou deux heures encore à l’examen de ce cabinet dont il a la clef… S’il était nécessaire de hâter mon retour à Paris… appelez-moi, sinon je reste jusqu’au 15 septembre…

À monsieur et Mme E. Périgois.

Nohant, 2 septembre 1865.

J’ai été soutenue auprès de ce mourant et de ce mort par un courage nécessaire. À présent, je sens la fatigue du chagrin et des insomnies. J’ai un besoin de repos stupide, invincible, je dormirais sur un tas de pierres. Je ne peux même plus parler de lui ; j’aurai une réaction de déchirement, je le sais, mais les bonnes amitiés et la tendresse de mes enfants de Nohant me soutiendront, j’espère.

Merci pour vos affectueuses paroles et pour le bon souvenir que vous gardez de mon pauvre ami. Il vous aimait bien aussi et vous appréciait tous deux. Je suis ici pour quinze jours. Je reviendrai pour les couches de Lina au mois de décembre, plus tôt si je peux. Au revoir donc, chers amis, je vous aime.

George Sand.
À monsieur André Boutet.
Nohant, 3 septembre 1865.

…Ma santé se remet, le sommeil revient, c’était la grande souffrance, l’insomnie. Mes enfants paraissent tout à fait contents de leur existence. Ma petite Lina est une ménagère modèle et tout va au mieux…

Au même.
Nohant, 9 septembre.
Cher ami, je partirai d’ici le 16, pour être à Paris le même jour.
À monsieur Charles Poncy.
Palaiseau, 24 septembre.

Mon cher enfant, j’ai été à Nohant passer trois semaines et me voilà revenue à Palaiseau pour régler mes affaires que mon pauvre ami a laissées dans un grand désordre durant cette longue et cruelle maladie. Moi, je ne suis pas malade, ne vous inquiétez pas de moi.

Maurice et Lina vont bien. Ils font marcher Nohant ou ne peut mieux. La chère petite femme est enceinte, forte, active, bonne ménagère, aimable et charmante. Maurice s’occupe de ses terres tout en faisant de la science et des romans. Il y a donc du bonheur pour moi de ce côté-là. Mais quel bonheur est assuré sur la terre ?…

À la fin de la lettre du 28 août 1865 à M. André Boutet, que nous venons de citer, Mme Sand le priait d’examiner tous les papiers de Manceau et exprimait ses craintes que le testament de Manceau ne lui causât des ennuis au cas où la famille de Manceau, surtout son père, réclamerait une forte pension annuelle et surtout si on allait attaquer les droits de Maurice sur la terre de Palaiseau et sur une partie de la maisonnette, léguées à lui par Manceau. Toute une série de lettres de Mme Sand à Maurice, Lina et M. Boutet (du 3, 9, 17 septembre — deux lettres écrites à la même date — du 21, 23, 24, 29, 30 septembre 2, 3 et 5 octobre) sont consacrées aux questions : Faut-il ou ne faut-il point accepter ce legs ? Comment parer aux exigences de la famille Manceau, en cas de réclamations de leur part ? Devait-on ou ne devait-on pas consentir à lui payer jusqu’à 1 000 francs par an ? (diminués graduellement à 500, 300, 200 francs par an et enfin réduits à une proposition à Mlle Laure Manceau, de la part de Mme Sand seule, de lui donner une petite rente annuelle, qui ne serait pas à la charge de Maurice après la mort de Mme Sand). Dans le cas où l’on refuserait l’héritage, on ne serait tenu de payer ni les dettes de Manceau, ni le médecin, ni le pharmacien, etc., etc., mais alors Mme Sand risquait de perdre la maisonnette qui lui était chère par ses souvenirs et lui permettrait de travailler tranquillement isolée. On voit là combien Mme Sand craignait que Maurice n’acceptât point cet héritage, elle insistait pour qu’il lui envoyât en toute hâte une procuration ; sa lenteur, son hésitation à faire un petit sacrifice, afin de terminer au plus vite cette affaire sans procès, la fâchaient. Mme Sand reproche aussi à son ami défunt de « n’avoir aimé, personne ces six derniers mois » et ne plus s’être inquiété de son avenir à elle et de lui avoir donné tant de soucis par son testament.

Toutes ces craintes et toutes ces préoccupations — fort déplaisantes au fond — étaient vaines. Les dames de la famille Manceau ne demandèrent pour leur part que quelques pauvres hardes et la montre de leur fils et frère — comme des reliques à garder — et le père de Manceau déclara que Mme Sand avait bien assez fait pour eux et qu’il n’avait aucune prétention sur quoi que ce soit. L’affaire fut donc heureusement terminée et le 30 octobre Mme Sand écrivait à Maurice :

Paris, 3 octobre 1866.

J’étais en colère contre toi, mais ta lettre m’a fait tant rire avec les aiguilles à tricoter de ce monsieur de chaque côté de sa gueule, que je n’y pense plus. Et puis ta procuration est arrivée à temps et Boutet a signé pour toi ; c’est une affaire finie. Il n’a pas été question de pension ni de transaction d’aucun genre. J’ai accepté les dettes de la succession qui ne dépassent pas la somme qui figure dans la note que je t’ai envoyée, et on a compris que c’était bien assez. J’ai donné la montre à Laure et voilà. Le père a été très bien, il ne voulait même pas entendre la transaction ni le testament, disant qu’il venait pour signer et non pour discuter, qu’il me devait tout et n’avait rien à me réclamer. C’est plutôt la mère qui aurait réclamé quelques misères. Mais, en somme, tout est terminé, et sans te coûter, dans le présent ni dans l’avenir, un centime. Tu vois que les craintes de nos amis et les nôtres étaient chimériques et que Manceau connaissait mieux que nous l’inoffensivité de ses parents. Le danger d’un mauvais conseil n’en existait pas moins, et il ne l’avait pas prévu. Je redoutais cela, j’étais pressée d’en finir. La conclusion est excellente pour toi, car si j’ai laissé gaspiller beaucoup d’argent il ne t’en reste pas moins un immeuble qui représente la moitié au moins du produit de Villemer, et sur lequel nous pourrions gagner en le vendant plus tard, si nous le voulons tous deux. Les parents ont renoncé purement et simplement à leur droit, sans autre compensation que de n’avoir pas à payer les quelques dettes qui me restent à Palaiseau, et que je vais acquitter au plus tôt ; je leur ai promis les vieux souliers et les outils de graveur ! J’ai mis de côté pour toi les plus beaux burins et diverses choses qui pourront te servir. Enfin j’ai cédé la montre avec plaisir, heureuse d’en être quitte à si bon marché. Je ferai quelque chose pour Laure, mais sans prendre aucun engagement et sans que cela te retombe sur le dos en aucune façon. Dors donc en paix seigneur de Nohant, Palaiseau et Gargilesse. Prévost fait recopier la transaction pour te l’envoyer, tu verras qu’elle est très bien faite et que Ludre l’approuvera de tous points… J’ai couru hier toute la journée avec Alexandre de chez Prévost au Sénat, et puis chez Magny où il m’a donné à dîner ; je dîne aujourd’hui chez Popotte, qui me mène au Français. Je retourne à Palaiseau demain. Je me porte bien et je vous bige mille fois tous deux.

Mardi soir.

À Lina.
Palaiseau, 5 octobre 1885.

Bige ton Bouli pour moi, ma Cocotte, me revoilà à Palaiseau. J’ai grâce à sa procuration, — pas la procuration de Palaiseau, mais celle de Bouli — terminé pour le mieux, bien mieux qu’on ne pouvait l’espérer ! — cette ennuyeuse affaire. Vraiment ces gens ne sont pas de mauvaises gens, et ils n’ont pas conclu en se faisant tirer l’oreille, mais en déclarant qu’ils me devaient tout et que je ne leur devais rien. Ils ont dit la vérité et fait leur devoir, sans doute, mais ça n’est pas si répandu que ça de^Tait l’être, cette façon d’agir. Me voilà donc tranquille sur l’avenir de ce petit coin où je ne comptais pas m’enterrer, mais où j’ai été clouée par le chagrin et la pitié. Je ne sais pas si je m’y plairai dans les conditions de solitude où me voilà. Jusqu’à présent j’ai eu tant d’activité que je ne sais guère si je suis en l’air ou sur terre. J’ai terminé un tas de choses. J’ai renouvelé pour cinq ans mon traité avec Buloz dans de bonnes conditions. J’ai tiré au clair la question des médecins et pharmaciens qui m’effrayait. Morère, 130 francs ; Camille ne veut rien ; l’oxygène 80 ou 100 francs, c’est peu, comme tu vois. Fustes voulait 500 francs pour une visite et trois lettres. Je lui donnerai 50 francs et, s’il n’est pas content, il se couchera auprès. J’ai vu un tas d’appartements, rien qui nous convienne à moins de 3 000 francs au moins dans les alentours de l’Odéon, avec la rue du Luxembourg.

… Je me décide à rester cette année où je suis, en y ajoutant un rez-de-chaussée de 250 francs ; juste au-dessous de mon entresol, un salon double du mien, une salle à manger idem, avec une grande alcôve où on pourrait mettre deux lits, une cuisine double de la mienne, avec une petite cour de deux mètres par derrière. Je mangerai et je recevrai donc en bas ; je dormirai et je travaillerai à l’entresol. Quand Bouli viendra me voir je pourrai le loger et le faire manger, s’il ne veut pas courir d’un bout à l’autre de Paris. Plus tard, quand tu pourras y venir, nous aviserons à nous arranger mieux. Mais je ne suis pas en mesure maintenant d’avoir un loyer de 1&#8239 ; 500 francs, et autour de l’Odéon et du Luxembourg il faut 1&#8239 ; 500 francs pour avoir l’équivalent de ce que j’ai maintenant rue des Feuillantines pour 850 ; pour 1 500 francs vous n’auriez pas non plus ce que vous avez maintenant… Je vous conseillerai fort de vous loger dans ma maison. Il y a pour 900 francs et 1 000 francs des appartements très jolis et doubles du vôtre.

… J’ai été au spectacle, j’ai vu l’ouverture de l’Odéon… Pièce d’ouverture stupide, jouée par Mme Duche. Elle est bien mise, voilà tout… J’ai vu les Deux sœurs avec Boutet, c’est mauvais, insensé, ennuyeux à avaler sa langue. J’ai vu hier au Français avec Sylvanie le Supplice d’une femme[473], c’est émouvant, c’est bien joué, c’est d’une facture habile, et bien qu’on soit un peu en colère contre la pièce[474] on ne peut pas s’empêcher de pleurer beaucoup. Je n’ai pas vu Buloz, je sais qu’il n’a pas encore lu le Coq[475], il m’écrira… Je vais passer ici quelques jours, il est temps que je me remette à travailler. Je vais me coucher d’abord et dormir, car je suis un peu lasse. Mais j’ai bien employé mon temps. J’ai parlé de toi tout plein avec Sylvanie qui t’embrasse. À présent parle-moi de toi, mignonne chérie. Tu sais tout ce qui me concerne. Je me porte bien, je dors. Ma jambe marche un peu, elle saute et veut danser, mais c’est de l’inquiétude plutôt que de la souffrance. Enfin je m’étourdis de mon mieux et il n’y a pas d’amertume dans mon regret de ce pauvre malheureux qui m’a donné bien du mal, qui a failli me laisser bien des ennuis, mais qui vous aimait bien au fond et qui croyait si bien faire. J’ai bien fait mon possible aussi pour lui adoucir cette fin terrible.

Soyez heureux, mes enfants chéris. Je serai contente encore de vivre ; je voudrais gagner de l’argent et vous ôter tous vos petits soucis, j’espère, car j’ai encore ma tête, et je suis ton exemple, je me rends compte de tous les détails de la vie. Je vois qu’on peut ne pas tout dépenser, c’est même très facile de dépenser peu. E faut le vouloir. Bige encore… Bige ton papa pour moi quand tu lui écriras.

Jeudi soir.

Mme Sand ne voulut donc pas ou ne put point se décider à quitter son Palaiseau où l’ombre de son pauvre ami semblait planer encore. Elle y retourna. Elle y resta plus d’un an, jusqu’au commencement de 1867, passant quelques jours à Paris, allant de temps à autre à Nohant, mais revenant quand même dans la maisonnette située sur la colline.

Le 27 septembre Mme Sand écrivait à ce propos à Louis Ulbach qui venait de lui envoyer son livre :

À monsieur Louis Ullach, à Paris.
Palaiseau, 27 novembre 1865.

Vos livres me sont arrivés dans un moment affreux, cher monsieur, laissez-moi plutôt dire ami. J’ai été morte, je ne sais pas si je suis vivante, bien que mon corps marche et agissse. Était-ce une bonne disposition pour vous lire ? Pourtant je viens de lire Louise Tardy

Vous me traitez de maître, c’est vous qui passez maître, et, moi, je passe je ne sais quoi. Je double le cap de l’amertume, et j’entre dans les mers inconnues de l’Isolement. N’importe ! dans la douleur ou dans le calme, je vous applaudirai toujours du cœur et des deux mains. Merci d’avoir pensé à moi ; je lirai le Parrain, bien sûr. Cette femme de lettres que vous peignez si bien, elle est jeune, et on peut s’imaginer, au premier abord, que son état l’a blasée sur les choses de la vie ; mais, si elle était vieille, vous eussiez pu la peindre tout de suite comme aiguisée et surexcitée, et disposée à souffrir plus que les autres. Au reste, vous avez conclu. Vous avez montré que notre travail d’analyse, à vous, à moi, à tous les artistes qui prennent leur tâche au sérieux, pousse au besoin de se dévouer et de se défendre, deux sollicitations contraires qui rendent la ne plus difficile à nous qu’aux autres. Quelle affaire que la vie ! et la mort, quel abîme !

À Flaubert.
Palaiseau, 22 novembre 1865.

… Me voilà toute seule dans ma maisonnette. Le jardinier et son ménage logent dans le pavillon du jardin, et nous sommes la dernière maison au bas du village, tout isolée dans la campagne qui est une oasis ravissante. Des prés, des bois, des pommiers comme en Normandie ; pas de grand fleuve avec ses cris de vapeur et sa chaîne infernale ; un ruisselet qui passe muet sous les saules ; un silence… Ah ! mais il me semble qu’on est au fond de la forêt vierge ; rien ne parle que le petit jet de la source qui empile sans relâche des diamants au clair de la lune. Les mouches endormies dans les coins de la chambre se réveillent à la chaleur de mon feu. Elles s’étaient mises là pour mourir, elles arrivent auprès de la lampe, elles sont prises d’une gaieté folle, elles bourdonnent, elles sautent, elles rient, elles ont même des velléités d’amour ; mais c’est l’heure de mourir, et, paf ! au milieu de la danse, elles tombent raides. C’est fini, adieu le bal !

Je suis triste ici tout de même. Cette solitude absolue, qui a toujours été pour moi vacance et récréation, est partagée maintenant par un mort qui a fini là, comme une lampe qui s"éteint et qui est toujours là. Je ne le tiens pas pour malheureux, dans la région qu’il habite ; mais cette image qu’il a laissée autour de moi, qui n’est plus qu"un reflet, semble se plaindre de ne pouvoir plus me parler.

N’importe ! la tristesse n’est pas malsaine : elle nous empêche de nous dessécher. Et vous, mon ami, que faites-vous à cette heure ? Vous piochez aussi, seul aussi, car la maman doit être à Rouen. Ça doit être beau aussi, la nuit, là-bas. Y pensez-vous quelquefois au « vieux troubadour de pendule d’auberge, qui toujours chante et chantera le parfait amour ? » Eh bien, oui, quand même ! Vous n’êtes pas pour la chasteté, monseigneur, ça vous regarde. Moi, je dis qu’elle a du bon, la rosse. Et sur ce, je vous embrasse de tout mon cœur et je vais faire parler, si je peux, des gens qui s’aiment à la vieille mode. Vous n’êtes pas forcé de m’écrire quand vous n’êtes pas en train. Pas de vraie amitié sans liberté absolue.

À Paris, la semaine prochaine, et puis à Palaiseau encore, et puis à Nohant…

On voit, rien que par ces deux lettres, la douleur profonde et cachée de Mme Sand. Mais cela peut se voir encore mieux si on lit la Lettre d’un voyageur à propos des Chansons des rues et des bois de Victor Hugo, datée également de « novembre 1865 », dont nous avons déjà parlé plus haut et dont nous citerons à présent quelques passages — le lecteur ne nous en voudra point, car ce sont des pages merveilleuses.

George Sand a la Gargilesse Comme Horace avait l’Anio,

Selon vous — s’adresse-t-elle au grand poète. — poésie ! Horace avait beaucoup de choses et George Sand n’a rien, pas même l’eau courante et rieuse de la Gargilesse, c’est-à-dire le don de la chanter dignement… je n’ai plus à moi qu’une chose inféconde, le chagrin, champ aride, domaine du silence. J’ai perdu en un an trois êtres chers qui remplissaient ma vie d’espérance et de force. L’espérance c’était un petit enfant qui me représentait l’avenir[476] ; la force, c’étaient deux amitiés, sœurs l’une de l’autre[477], qui, en se dévouant à moi, ravivaient en moi la croyance au dévouement utile. Il me reste beaucoup pourtant : des enfants adorés, des amis parfaits. Mais quand la mort vient frapper autour de nous ce qui devait si naturellement et si légitimement nous survivre, on se sent pris d’effroi et comme dénué de tout bonheur, parce qu’on tremble pour ce qui est resté debout, parce que le néant de la vie vous apparaît terrible, parce qu’on en vient à se dire : Pourquoi aimer, s’il faut se quitter tout à l’heure. Qu’est-ce que le dévouement, la tendresse, les soins, s’ils ne peuvent retenir près de nous ceux que nous chérissons ?…

Oh ! maître poète ! comme je me sentais, comme je me croyais encore riche quand, il y a un an et demi, je vous lisais au bord de la Creuse, et vous promenais avec moi en rêve le long de cette Gargilesse honorée d’une de vos rimes, petit torrent ignoré qui roule dans des ravines plus ignorées encore. Je me figurais vraiment que ce désert était à moi qui l’avais découvert à quelques peintres et à quelques naturalistes qui s’y étaient aventurés sur ma parole et ne m’en savaient pas mauvais gré. Eux et moi nous le possédions par les yeux et par le cœur, ce qui est la seule possession des choses belles et pures. Moi, j’avais un trésor de vie, l’espoir, l’espoir de faire vivre ceux qui devaient me fermer les yeux, l’illusion de compter qu’en les aimant beaucoup, je leur assurerai une longue carrière. Et, à présent, j’ai les bras croisés comme, au lendemain d’un désastre, on voit les ouvriers découragés se demander si c’est la peine de recommencer à travailler et à bâtir sur une pierre qui toujours tremble et s’entr’ouvre pour démolir et dévorer.

À présent je suis oisif et dépouillé jusqu’au fond de l’âme. Non, George Sand n’a plus la Gargilesse ; il n’a plus l’Anio, qu’il a possédé aussi autrefois tout un jour, et qu’il avait emporté tout mugissant et tout ombragé dans un coin de sa mémoire, comme un bijou de phis dans un écrin de prédilection. Il n’a plus rien, le voyageur ! Il ne veut pas qu’on l’appelle poète, il ne voit plus que du brouillard, il n’a plus de prairies embaumées dans ses visions, il n’a plus de chants d’oiseaux dans ses oreilles, le soleil ne lui parle plus ; la nature qu’il aimait tant, et qui était bonne pour lui, ne le connaît plus. Xe l’appelez pas artiste, il ne sait plus s’il l’a jamais été. Dites-lui ami, comme on dit aux malheureux qui s’arrêtent épuisés, et que l’on engage à marcher encore, tout en plaignant leur peine.

Marcher ! oui, on sait bien qu’il le faut, et que la vie traîne celui qui ne s’aide pas. Pourquoi donner aux autres, à ceux qui sont généreux et bienfaisants, la peine de vous porter ? N’ont-ils pas aussi leur fardeau bien lourd ? Oui, amis, oui, enfants, je marcherai, je marche, je vis dans mon milieu sombre et muet comme si rien n’était changé. Et, au fait, il n’y a rien de changé que moi ; la vie a suivi autour de moi son com-s inévitable, le fleuve qui mène à la mort. Il n’y a d’étrange en ma destinée que moi resté debout. Pourquoi faire ? pour chanter, cigale humaine, l’hiver comme l’été.

Chanter ! Quoi donc chanter ? La bise et la brume, les feuilles qui tombent, le vent qui pleure ? J’avais une voix heureuse qui murmurait dans mon cerveau des paroles de renouvellement et de confiance. Elle s’est tue, reviendra-t-elle ? Et si elle retient, l’entendrai-je ? Est-ce bientôt, est-ce demain, est-ce dans un siècle ou dans une heure qu’elle reviendra ?…

… Au fort de la bataille tous sont braves ; c’est si beau le courage ! Ayez-en, vous dit-on, tous en ont, il faut en avoir. Et on répond : « J’en ai ! » Oui, on en a quand on vient d’être frappé et qu’il faut sourire pour laisser croire que la blessure n’est pas trop profonde. Mais après ? Quand le devoir est accompli, quand on a pressé les mains amies, quand on a dissipé les tendres inquiétudes, quand on reprend sa route sur le sol ébranlé, quand on s’est remis au travail, au métier, au devoir ; quand tout est dit enfin sur notre infortune et qu’il n’est plus délicat d’accepter la pitié des bons cœurs, est-ce donc fini ? Non, c’est le vrai chagrin qui commence, en même temps que la lutte se clôt. On avance, on écoute, on voit vivre, on essaie de vivre aussi ; mais quelle nuit dans la solitude ! Est-ce la fatigue qui persiste ou s’est-il fait une diminution de vie en nous, une déperdition de forces ? J’ai peine à croire qu’en perdant ceux qu’on aime on conserve son âme entière. À moins que…

Cet « à moins que » en dit tant ! C’est comme le célèbre vers coupé de Pouchkine : « Mais si… » terminant sa merveilleuse Épître à une Inconnue, d’une douleur si passionnée et d’une jalousie concentrée et ardente. George Sand interrompt par ces mots le cours de ses confessions toutes personnelles ; elle termine cette Lettre d’un voyageur, comme nous l’avons vu, par des aperçus généraux et objectifs sur la jeunesse et l’état des âmes contemporaines, puis elle adresse à Victor Hugo — dont la mission est en opposition directe avec le chauvinisme et le cléricalisme du moment — la supplique de réveiller les idées généreuses et les sentiments enthousiastes par ses belles chansons lumineuses.

Mme Sand reçut, après la mort de Manceau, les plus grandes marques de sympathie et un soutien tout fraternel de la part de Flaubert. C’est précisément à 1865-66 que se rapporte l’éclosion de cette illustre amitié. Flaubert avait, dès 1847, tenté de faire la connaissance de George Sand par l’intermédiaire de Théophile Thoré, la priant d’écrire une préface à un de ses livres. Thoré le recommandait à Mme Sand comme étant un « neveu de Saint-Just ». La réponse de George Sand à Thoré a été publiée à la page 367 du volume II de sa Correspondance. Elle refusa disant que ses préfaces n’avaient jamais porté bonheur à personne ; qu’il en serait de même pour Flaubert, si son livre est mauvais ; et que s’il est bon, il n’a besoin ni de sa recommandation ni de sa protection. Leur rencontre date de 1863. Us furent présentés l’un à l’autre à un des dîners Magny, par Dumas et Sainte-Beuve. En 1864, Flaubert témoigna tant de sympathie chaleureuse à l’auteur de Villemer, lors de la première de cette pièce, que ces relations se changèrent vite en une vraie amitié. En 1865, à la mort de Manceau, Flaubert prouva que cette amitié ne se bornait pas à des protestations ou de vaines paroles. Tantôt seul, tantôt avec Lambert et Mme Arnould-Plessy, il alla plusieurs fois à Palaiseau, s’efforçant sinon de consoler, du moins de distraire Mme Sand par sa causerie, ses récits, ses drôleries ; il lui fit promettre de venir lui faire une visite dans sa maisonnette de Croisset, où il vivait avec sa mère, et il fit preuve à sa chère maître, comme il appelait toujours George Sand, de toutes les marques de l’admiration la plus respectueuse, de la sympathie la plus cordiale, d’un attachement très sincère. À partir de cette époque leur correspondance devient celle de deux bons camarades, avec une teinte de vénération enthousiaste de la part de Flaubert, de tendresse maternelle, avec des gronderies et des réprimandes toutes maternelles aussi, de la part de George Sand. Nous n’allons point nous arrêter ou nous étendre sur cette amitié. Elle servit de thème à beaucoup d’études littéraires et d’articles de critique. La correspondance entre les deux amis est aussi fort connue.

Les lettres de Flaubert à Mme Sand furent publiées deux fois. C’est Maupassant, d’abord, qui les fit paraître en volume, en 1892, avec sa superbe préface. Les lettres de George Sand, publiées en partie dans sa Correspondance générale, parurent encore dans la Revue Nouvelle. En 1904 cette correspondance double parut en entier, avec une préface d’Henri Amic et une petite Notice de Paul Meurice. Cette édition avait été préparée par Mme Maurice Sand ; elle se réjouissait à l’idée de pouvoir enfin publier intégralement au moins l’une des correspondances de George Sand avec des réponses et des dates précises. Malheureusement la mort l’empêcha de mener à bout cette édition, et cette correspondance fut publiée d’une manière très désordonnée, incomplète et mal soignée. Beaucoup de lettres de George Sand déjà imprimées dans la Correspondance y manquent ; d’autres sont publiées à de fausses dates ou point à leur place ; les réponses ne suivent pas les lettres auxquelles elles se rattachent ; la préface de Maupassant qui devrait à tout jamais ne faire qu’un avec les lettres de Flaubert à Mme Sand en est absente. Fort heureusement la préface d’Henri Amie profondément sentie, juste et chaleureuse, dédiée à la mémoire de Lina Sand, raconte au lecteur ce que Mme Maurice avait voulu faire pour la mémoire de George Sand et combien cette femme modeste, si prématurément partie pour un autre monde, avait travaillé à réaliser son dessein.

C’est à Flaubert aussi que George Sand dédia le roman paru en 1866, le Dernier amour, faisant suite à Monsieur Sylvestre. Ou pour mieux dire : le Dernier amour dont M. Sylvestre est le héros, devrait servir de prologue ou de première partie au roman de ce nom, car les événements de la vie précédente de M. Sylvestre y sont racontés, ainsi que les épreuves qui firent de lui un philosophe tolérant, doux et plein de quiétude. Or, à l’exception du nom du héros, il n’y a aucun lien entre les deux romans. Il y a dans le Dernier amour très peu de réflexions et beaucoup d’action, et non pas dans le sens d’accumulation d’aventures invraisemblables, mais d’un conflit psychologique toujours croissant.

M. Sylvestre, homme déjà mûr, épouse Félicie Morgeron, la sœur coquette de son ami, propriétaire alpestre, Jean Morgeron, une demoiselle… ayant un certain « passé ». Félicie est troublée par un excès de tempérament ; depuis longtemps elle se laisse courtiser par un adolescent, Tonino, le filleul de son frère qui l’a élevé. Elle devient maintenant la maîtresse de Tonino, et malgré son sincère attachement et son respect pour son mari, elle le trompe de la manière la plus effrontée. M. Sylvestre découvre peu à peu la vérité, mais il maîtrise son désespoir et s’efforce d’empêcher sa femme vicieuse de se perdre complètement. En apprenant que son mari sait tout, blessée dans sa fierté, incapable de supporter les remords de sa conscience et la jalousie provoquée par le mariage de son amant avec une jeune villageoise, la Vanina, elle meurt désespérée.

Si Monsieur Sylvestre résout la question du bonheur, le Dernier amour répond à celle-ci : Comment venger l’amour trahi ? Par l’amitié et l’oubli, c’est le pire des châtiments pour le coupable.

Rien dans ce roman, ni le développement du sujet, ni la façon de le traiter, ni le ton général lui-même, ni le sentiment qui le pénètre, ne rappelle Monsieur Sylvestre, ou la manière même des œuvres de George Sand. La précision réaliste de la donnée générale, la puissante peinture du caractère de l’héroïne : nature basse, mais point traitée en « traître de mélodrame » ; la manière dont est campé son amant italien : volage, calculateur, passionné et rusé ; son frère, honnête mais borné ; l’éveil de la jalousie, les soupçons croissants de M. Sylvestre, si crédule d’abord, puis forcé d’ouvrir les yeux, tout cela produit une impression toute moderne. Si ce roman n’était pas signé George Sand, nous ne pourrions dire quel fut son auteur. Il est dédié : à mon ami Gustave Flaubert. Ce fait, le perpétuel commerce et échange d’idées avec l’auteur de Madame Bovary, explique peut-être ce changement très prononcé dans la manière littéraire de George Sand. Il faut toutefois noter que dans Monsieur Sylvestre, déjà, on pouvait lire le passage que voici, très curieux sous la plume de George Sand :

Laissez-moi l’inconnu. Ce mot ne blesse pas ma raison, et il n’enlève pas toute lueur de poésie à mon cerveau. Voilà aussi pourquoi je ne cède pas encore au désir de me promener aux rares heures on le soleil me convie. J’ai peur de découvrir dans ce vallon charmant des détails laids ou ridicules, et de ne pouvoir les oublier, quand je me reporterai à la vue de l’ensemble. Je reconnais que ce n’est point là une idée conforme à ma théorie réaliste. Il faudrait tout accepter dans la nature comme dans la vie, ne rien dédaigner, et savoir peindre l’horreur d’une voirie avec autant de plaisir — le plaisir de la conscience satisfaite — que la suavité d’un jardin rempli de fleurs.

Mme Sand avait consacré quelques pages à l’analyse de Madame Bovary dans ses Promenades autour d’un village[478] (enlevées lors de la réimpression de ces articles en volume et publiées dans le volume des Questions d’art et de littérature sous le titre de « Réalisme » ).

Elle écrivit plus tard des articles sur Salammbô et sur l’Éducation sentimentale, qui parurent dans la Presse en 1863 et dans la Liberté en 1869[479] et firent grand plaisir à Flaubert.

Les derniers chapitres du Dernier amour parurent dans le numéro du 15 août de la Revue des Deux Mondes et au commencement d’août Mme Sand se rendit à la prière de Flaubert dans sa propriété de Croisset ; elle y passa quelques jours et y fit la connaissance de Mme Flaubert mère, puis elle alla, accompagnée de son ami, admirer tous les monuments et curiosités de Rouen.

Ce même automne George Sand mit à exécution son plan depuis longtemps projeté, elle écrivit un roman se passant sous la Révolution. Cette œuvre — Cadio — devait être d’abord une pièce de théâtre. Son point de départ avait été un drame joué en 1860 sur le théâtre de Nohant, juste au moment où Mme Sand commençait sa grande maladie. Cette pièce portait le nom ultra-romantique de Pied sanglant.

Le 24 octobre 1862, Mme Sand écrivait à Maillard :

… Nous jouons la comédie, le fameux Pied sanglant, anniversaire (à peu près) de ma maladie d’il y a deux ans et qui n’avait pas été repris ; on le joue dimanche et mercredi prochain[480]

Quatre ans plus tard, de passage à Paris, revenant de chez Flaubert à Palaiseau et arrêtée par le mauvais temps, à Paris, Mme Sand écrivit à Maurice qu’elle songe à réaliser l’idée de faire une vraie pièce de leur pièce mi-improvisée :

Paris, 10 août 1866.

… Je suis arrivée hier à 4 heures chez moi… Je n’ai pas pu vous écrire hier en arrivant : j’ai trouvé Couture qui m’attendait chez mon portier avec un manuscrit sous le bras…

Nous avons été dîner chez Magny et, en rentrant, j’ai avalé le volume… J’étais bien fatiguée tout de même, et après ça, j’ai dormi… Ah ! il faut vous dire que dès le matin, j’avais encore couru la ville avec Flaubert. Croisset est un endroit délicieux, et notre ami Flaubert mène là une vie de chanoine au sein d’une charmante famille.

… Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors, et je ne songe même pas à aller à Palaiseau par ce déluge. Parlons donc de ce que nous allons faire. Il faut faire ce Pied sanglant[481] ; il faut le faire ensemble, d’entrain et vite. Mais il faut voir la Bretagne.

Dites-moi tout de suite si vous voulez y venir ; car si c’est non, inutile que j’aille à Nohant pour repartir de là et doubler la fatigue et les frais de voyage. Si vous y venez avec moi, c’est différent, j’irai vous prendre.

Si vous ne voulez pas, j’irai y passer huit jours et j’irai ensuite à Nohant d’où nous pourrons aller ailleurs…

Maurice lui ayant signalé les difficultés qu’on aurait à vaincre pour faire une pièce dont l’action se passerait à l’époque de la guerre de Vendée, et surtout de faire, comme il l’avait d’abord conseillé, un héros de Cadio ou Cadiou, une espèce d’innocent ou même de fou, Mme Sand répondit à son fils la très intéressante lettre que voici ; nous trouvons indispensable de la donner presque intégralement, quoiqu’elle soit imprimée dans la Correspondance :

Je ne me décourage pas comme ça, moi. Les difficultés d’un sujet doivent être des stimulants et non des empêchements. Je ne suis pas obligée de faire la peinture de la Révolution. Il me suffit d’en tirer la moralité, et ça n’est pas malin, puisque tout le monde est d’accord sur 89. En mettant les passions dans la bouche d’un fou que nous rendrons intéressant quand même, nous ne choquerons personne.

Pourquoi Cadiou ne serait-il pas une espèce de Marat et de Robespierre en même temps ? Pourquoi n’aurait-il pas des instincts sublimes et misérables ? Il faut voir ici les choses de plus haut que l’histoire écrite. Il y avait en France alors des milliers de Bonaparte, des milliers de Marat, des milliers de Hoche, des milliers de Robespierre et de Saint-Just, lequel, par parenthèse, était un fou aussi. Seulement ces types, plus ou moins réussis par la nature, et plus ou moins effacés par les événements, s’appelaient Cadiou, Motus, ou Riallo ou Garguille ; ils n’en existaient pas moins. Les idées et les passions qui remirent un peuple en émoi, une société en dissolution et en reconstruction, ne sont pas propres à un homme ; elles sont résumées par quelques hommes plus tranchés que les autres. Tu m’as donné l’idée de faire de Cadiou le héros de la pièce, c’est une idée excellente. Laisse-moi l’envisager comme elle me vient et en tirer parti. Il sera l’image et le reflet du passé et de l’avenir, il traversera le présent sans le comprendre, comme un homme ivre. Ce sera très original et très beau. Je me fiche bien de ce que l’auteur aura à expliquer de sa pensée au public. Il faut que l’auteur disparaisse derrière son personnage et que le public fasse la conclusion. Tout le difficile est de la lui rendre facile à faire. Il faut essayer et ne jamais reculer devant ce qui vous a ému et saisi.

Aide-moi pour le cadre, les événements nécessaires à mon sujet. Un coin de la Vendée et de la chouannerie ensuite, un tout petit coin ; il faut que le drame soit grand et la scène petite. Pioche, sois fort sur les dates, les événements ; je prendrai où j’aurai besoin de prendre, et tu m’aideras pour arranger le scénario. Mais laisse-moi rêver et créer Cadiou. Pour ça, il faut que j’aille voir un petit coin de la Bretagne ; réponds vite, si tu veux y aller. Sinon, je pars, et je vais ensuite à Nohant du 10 au 15. Voilà !

Je vous aime et vous bige.

Ce petit voyage eut effectivement lieu : George Sand alla en cet automne de 1866 « courir avec ses enfants » en Bretagne, y visitant les coins les plus pittoresques et les plus sauvages de ce pays si curieux, observant les us et coutumes, les mœurs, les costumes et les visages de ses habitants.

Le 21 septembre, Mme Sand écrit à Flaubert : « Je viens de courir douze jours avec mes enfants… Nous avons eu un beau soleil en Bretagne. »

Après cette petite excursion Mme Sand se mit à écrire son drame de verve, mais elle dt bientôt qu’il y avait plus de « développements que ne le comportait une pièce de théâtre », trop d’analyses psychologiques et autres, et ayant terminé Cadio sous la forme d’un « roman dialogué », avec la liste des personnages et la division en actes, comme dans un vrai drame, elle le publia moins d’une année après dans la Revue des Deux Mondes du 1er septembre au 15 novembre 1867. Un an plus tard M. Paul Meurice l’adapta à la scène, et Cadio fut joué à la Porte-Saint-Martin en 1868.

L’action de Cadio se joue en Vendée et en Bretagne, à l’époque de la chouannerie. Cadio est un « simple », un paysan qui devient à son insu un héros, un vrai héros, en se sacrifiant. Il paraît que ce personnage et les principaux événements de sa vie furent inspirés à l’auteur par les récits entendus dans la maison d’une de ses amies de couvent, la comtesse Louise de La Rochejaquelein, dont la mère, marquise de La Rochejaquelein, avait été elle-même une héroïne des guerres vendéennes. Veuve de son premier mariage avec M. de Lescure, et enceinte de deux enfants, au moment où les bleus vengeaient leurs premières défaites sur les blancs, la marquise de La Rochejaquelein dut se cacher sous un costume de paysanne et le nom de Jeannette dans les hameaux et les bois. Un jour, sur le désir de sa mère, et pour échapper aux poursuites et à la, fureur des bleus, elle fut forcée de conclure un mariage avec un de ses ex-vassaux, le paysan Pierre Riallo. Ce brave homme lui promit de détruire le contrat de mariage et ne songea jamais à faire valoir ses droits sur la personne de sa femme, son ex-suzeraine. Seulement, au moment de lui dire adieu, après l’avoir conduite en un lieu sûr, les larmes aux yeux il lui passa un anneau d’argent au doigt ; elle le garda toujours en mémoire de lui.

George Sand cite ce touchant épisode dans l’Histoire de ma vie ; elle raconte qu’allant rendre visite à son amie, elle trouva dans le somptueux salon de sa mère une nombreuse et élégante compagnie, très empressée auprès de la vieille marquise, et au milieu de ce beau monde, un simple paysan vendéen qui se tenait avec une parfaite aisance et se couvrit de son large chapeau avant d’être sorti du salon, tandis que Louise de La Rochejaquelein et sa sœur filaient ostensiblement leurs quenouilles au milieu de ces belles dames décolletées. Mais l’antichambre était pleine de valetaille et le concierge avait grossièrement apostrophé Mme Aurore Dudevant venue en simple fiacre. Quel tableau de mœurs ! George Sand ajoute :

… Mais que fût-il arrivé si le mariage eût été conclu et que Pierre Riallo se fût refusé à la suppression frauduleuse de l’acte civil ? Certes, la noble Jeannette fût morte plutôt que de consentir à ratifier cette mésalliance monstrueuse. On était bien alors, par le fait, l’égale, moins que l’égale du pauvre paysan breton. On était une pauvre brigande, bien heureuse de recevoir cette généreuse hospitalité et cette magnanime protection. Sous la Restauration, on ne l’avait pas oublié sans doute. On recevait dans son salon le premier paysan venu, pourvu qu’il eût au coude le brassard sans tache. On filait la quenouille des bergères, on avait des touchants et affectueux souvenirs ; mais on n’en était pas moins Mme la marquise, et cette fausse égalité ne pouvait pas tromper le paysan. Si le fils de Pierre Riallo se fût présenté pour épouser Louise ou Laurence de La Rochejaquelein, on l’aurait considéré comme fou. Le fils des croisés, M. de La Rochejaquelein, aujourd’hui orateur politique, ne serait pas volontiers le beau-frère de quelque laboureur armoricain. Eh bien, Pierre Riallo, c’est bien là réellement comme un symbole pour personnifier le peuple vis-à-vis de la noblesse. On se fie à lui, on accepte ses sublimes dévouements, ses suprêmes sacrifices, on lui tend la main. On se fiancerait volontiers à lui aux jours du danger, mais on lui refuse, au nom de la religion monarchique et catholique, le droit de vivre en travaillant, le droit de s’instruire, le droit d’être l’égal de tout le monde ; en un mot, la véritable union morale de castes, on frémit à l’idée seule de la ratifier[482].

Oui, que fût-il vraiment arrivé si l’humble et dévoué paysan s’était indigné de cette manière de le traiter ?

Cette question sert de thème au développement psychologique du caractère et des actes de Cadio-Riallo dans le roman de George Sand. L’élévation naturelle de son âme se cache sous les dehors d’un « simple «, quasi un niais, et fait de lui un héros d’abnégation, mais son amour pour la jeune aristocrate (appelée Louise de Sauvières — en souvenir de Louise de La Rochejaquelein), — et la fureur qu’il ressent en voyant qu’on use de lui — son sauveur, lui qui a sacrifié sa vie pour cette jeune fille, — comme d’un moyen de salut, font de cet être mi-conscient, de ce doux innocent, un républicain extrême, un fanatique, un ennemi sanguinaire et implacable de tous les blancs. Un autre personnage, an contraire, commet une série de cruautés et court à sa perte parce qu’au lieu d’agir selon sa conscience il se laisse guider par une doctrine politique aveuglément acceptée.

C’est le héros du parti ennemi, le chouan Saint-Gueltas de La Roche-Brûlée.

Enfin George Sand peignit dans Henri de Sauvières, cousin de l’héroïne, un jeune aristocrate, sincère et naïf, généreusement enrôlé dans l’armée républicaine pour défendre sa patrie. Ce personnage ressemble beaucoup au père de l’auteur, ce fringant et joyeux officier des guerres de la République, que les catastrophes politiques n’ont ni brisé, ni endolori, mais entraîné seulement dans leur sillon.

Dans ces trois représentants des groupes sociaux et des types de l’époque, George Sand montre l’influence très différente des faits historiques sur les individus. Elle montre aussi que dans la tourmente les hommes se laissent souvent emporter malgré eux par les passions politiques et commettent des forfaits, parfois même des crimes, absolument en désaccord avec leur propre nature. Tel est le double but que l’auteur se proposa en écrivant ce roman. Il est dédié à M. Henri Harisse.

George Sand dit dans la préface de Cadio qu’elle s’était « dispensée de faire comparaître les morts célèbres et de leur attribuer des sentiments et des idées complaisamment adaptés à sa fantaisie, — ce qui est toujours d’usage dans les romans dits historiques », et qu’elle avait simplement « tâché de reconstituer par la logique les émotions de l’époque », sous une forme concise et artistique, de peindre les petits faits souvent horribles qui passent inaperçus de l’histoire, tout eu reflétant la puissance néfaste des grands mouvements historiques. Et pour souligner ce pouvoir hypnotisant des époques sanguinaires sur les particuliers les plus inoffensifs, elle cite comme preuve à l’appui de ce qu’elle avance, un fait inconnu s’étant passé lors des terribles « journées de Juin ».

Aux journées de Juin de notre dernière révolution, la garde nationale d’une petite ville que je pourrais nommer, commandée par des chefs que je ne nommerai pas, partit pour Paris sans autre projet arrêté que celui de rétablir l’ordre, maxime élastique à l’usage de toutes les gardes nationales, quelle que soit la passion qui les domine. Celle-ci était composée de bourgeois et d’artisans de toutes les opinions et de toutes les nuances, la plupart honnêtes gens, d’humeur douce, et pères de famille. En arrivant à Paris au milieu de la lutte, ils ne surent que faire, à qui se rallier et comment passer à travers les partis sans être suspects aux uns, écrasés par les autres. Enfin, vers le soir, rassemblés dans un poste qui leur était confié et honteux de n’avoir pu serar à rien, ils arrêtèrent un passant qui, pour son malheur, portait une blouse ; ils étaient deux cents contre un. Sans interrogatoire, sans jugement, ils le fusillèrent. Il fallait bien faire quelque chose pour charmer les ennuis de la veillée. Ils étaient si peu militaires, qu’ils ne surent même pas le tuer ; étendu sur le pavé, il râla jusqu’au jour, implorant le coup de grâce.

Quand ils rentrèrent triomphants dans leur petite cité, ils avouèrent qu’ils n’avaient fait autre chose que d’assassiner un homme qui avait Vair d’un insurgé. Celui qui me raconta le fait me nomma l’assassin principal, et ajouta : « Nous n’avons pas osé empêcher cela. »

Voilà pourtant un fait historique des mieux caractérisés ; il résume et dénonce une époque : aucun journal n’en a parlé, aucune plainte, aucune réflexion n’eût été admise. La victime n’a jamais eu de nom ; le crime n’a pas été recherché ; l’assassin a vécu tranquille, les bons bourgeois et les bons artisans qui l’ont laissé déshonorer leur campagne à Paris se portent bien, vont tous les jours au café, Usent leurs journaux, prennent de l’embonpoint et n’ont pas de remords.

Ceci est une goutte d’eau dans l’océan d’atrocités que soulèvent les guerres civiles. Je pourrais en remplir une coupe d’amertume ; mais ces choses sont encore trop près de nous pour être rappelées sans faire appel aux passions et aux ressentiments ; tel n’est pas le but du travail d’un artiste.

Cette Préface fit sensation. Plusieurs journaux la réimprimèrent, entre autres le Nain jaune et le Soleil. Un mandat a été lancé contre les rédacteurs, MM. Castagnary, Ranc et Émile Faure, qui ont dû comparaître devant un juge d’instruction. Mme Sand fit alors publier dans la Liberté[483] une « Lettre » dans laquelle elle protestait avant tout contre le fait que ce n’était pas elle, l’auteur du roman, qu’on poursuivait judiciairement, mais bien des « journalistes » qui en avaient reproduit des fragments. Puis eUe disait :

Il est facile, en lisant toute la préface et tout le roman de Cadio, de voir que le but de l’ouvrage est diamétralement contraire à cette intention ; que l’auteur s’est, pour ainsi dire, absenté de son travail afin de laisser passer l’histoire, et l’histoire prouve du reste que les plus saintes causes sont souvent perdues, quand le délire de la vengeance s’empare des hommes.

Si jamais l’horreur de la cruauté, de quelque part qu’elle vienne, a endolori et troublé une âme, je puis dire que le roman de Cadio est sorti navré de cette âme navrée, et que pour conserver sa foi, l’auteur a dû lutter contre le terrible spectre du passé. E est impossible d’étudier certaines époques et de revoir les lieux où certaines scènes atroces se sont produites sans être tenté de proscrire tout esprit de lutte et d’aspirer à la paix à tout prix. Mais la paix à tout prix est un leurre et celle qu’on achète par des lâchetés n’est qu’un écrasement féroce qui ne donne même pas le misérable bénéfice de la mort lente. Ce n’est donc pas par le sacrifice de la dignité humaine que Ion pourra préparer les hommes à traverser les luttes sociales sans éprouver l’horrible besoin de s’égorger les uns les autres. Laissez donc la discussion s’établir sérieuse pour qu’elle devienne impartiale. Tout refoulement de la pensée, tout effort pour supprimer la vérité soulèveront des orages, et les orages emportent tôt ou tard ceux qui les provoquent.

…Et puis, eu somme, prenez garde à des poursuites contre l’histoire, car en voulant empêcher qu’elle se fasse, vous la feriez vous-mêmes avec une publicité, un éclat et un retentissement que nous n’avons pas à notre disposition. Nul ne peut nourrir l’espérance de supprimer le passé ; Dieu même ne pourrait le reprendre. À quoi ont servi les poursuites acharnées de la Restauration contre vous, messieurs, qui êtes aujourd’hui au pouvoir ? Elles vous ont rendu le service de faire de vous des victimes et d’amener à vous le libéralisme de cette époque.

Ne faites donc pas de victimes, à moins que vous ne vouliez vous faire des amis. Laissez l’histoire se faire aussi d’elle-même par la discussion et par l’enseignement, par la polémique ou par la littérature ; là seulement elle éclora avec le calme que vous prescrivez. Ne l’obligez pas à sortir armée de chaque bouche avec la terrible preuve à l’appui, njy en aurait trop, et vous seriez effrayés vous-mêmes des documents que le présent a mis en réserve pour l’avenir. L’histoire se ferait trop vite et nous sommes les premiers à souhaiter qu’elle vienne à son heure, comme toute évolution sérieuse de la conscience humaine[484].

En 1866, alors que Mme Sand travaillait à Cadio avec ardeur, elle quitta Palaiseau pour aller à Nohant fêter Noël. Mais de passage à Paris, elle tomba malade et fut si longtemps souffrante que ce n’est que le 10 janvier 1867 qu’elle arriva chez ses enfants. Depuis ce moment Nohant redevint sa résidence habituelle. Maurice, et surtout Lina, la supplièrent de ne plus retourner à Palaiseau, ne pouvant supporter l’idée qu’elle pût retomber malade toute seule, privée des soins de ses proches, car l’état de sa santé était devenu chancelant depuis son typhus de 1860, et elle souffrait souvent d’étranges attaques entéro-gastriques. Ce furent, hélas ! les symptômes ds la maladie qui l’emporta plus tard. Mme Sand vendit sa maisonnette de Palaiseau, deux ans plus tard. Elle écrit à Flaubert le 9 janvier 1867, de Paris :

Cher camarade.

Ton vieux troubadour a été tenté de claquer. Il est toujours à Paris. Il devait partir le 25 décembre ; sa malle était bouclée, ta première lettre l’a attendu tous les jours à Nohant.

Enfin le voilà tout à fait en état de partir et il part demain matin avec son fils Alexandre, qui veut bien l’accompagner. C’est bête d’être jeté sur le flanc et de perdre pendant trois jours la notion de soi-même et de se relever aussi affaibli que si on avait fait quelque chose de pénible et d’utile. Ce n’était rien, au bout de compte, qu’une impossibilité momentanée de digérer quoi que ce soit.

Froid, ou faiblesse ou travail, je ne sais pas. Je n’y songe plus guère… Je médite d’aller un peu au Midi quand j’aurai vu mes enfants. Les plantes du littoral me trottent par la tête. Je me désintéresse prodigieusement de tout ce qui n’est pas mon petit idéal de travail paisible, de vie champêtre et de tendre et pure amitié. Je crois bien que je ne dois pas vivre longtemps toute guérie et très bien que je suis. Je tire cet avertissement du grand calme, toujours plus calme, qui se fait dans mon âme jadis agitée…

… La solitude ne te pèse pas. Je pense bien qu’elle n’est pas absolue, et qu’il y a encore quelque part une belle amie qui va et vient, ou qui demeure par là. Mais il y a de l’anachorète quand même dans ta vie et j’envie ta situation. Moi, je suis trop seule à Palaiseau, avec un mort ; pas assez seule à Nohant avec des enfants que j’aime trop pour pouvoir m’appartenir ; et à Paris on ne sait pas ce qu’on est, on s’oublie entièrement, pour mille choses qui ne valent pas mieux que ça…

Le 15 janvier elle écrit à Barbes, à La Haye :

… Merci pour votre sollicitude. Tout va bien autour de moi. Maurice vous aime toujours ; il est bien marié, sa petite femme est charmante. Ils sont tous deux actifs et laborieux. La petite Aurore est un amour que l’on adore. Elle a eu un an le jour de mon arrivée ici, la semaine dernière. Je suis chez eux maintenant, car je leur ai laissé toute la gouverne du petit avoir et j’ai le plaisir de ne plus m’en occuper ; j’ai plus de temps et de liberté. J’espère guérir bientôt, et sinon, je suis bien soignée et bien choyée. Tout est donc pour le mieux… !

Le 11 avril 1867 Mme Sand écrit à Louis Viardot :

… Me voilà mieux et très calme, à Nohant, où j’ai passé presque tout l’hiver. Maurice est heureux en ménage ; il a un trésor de femme, active, rangée, bonne mère et bonne ménagère, tout en restant artiste d’intelligence et de cœur. Nous avons un seul petit enfant, une fillette de quinze mois qui s’appelle Aurore et qui annonce aussi beaucoup d’intelligence et d’attention. La gentille créature semble faire son possible pour nous consoler du cher petit que nous avons perdu. Maurice est devenu grand piocheur, naturaliste, géologue et romancier par-dessus le marché. Moi, j’ai peu travaillé cet hiver, j’ai été trop détraquée…

Ce moment — le jour du premier anniversaire de la petite Aurore Dudevant où Mme Sand revint à Nohant — doit être considéré comme le début de la plus heureuse et dernière période de la vie de George Sand.


APPENDICE AU CHAPITRE XII

Voici les principales inexactitudes des souvenirs de Duquesnel à noter et corriger.

M. Duquesnel dit, entre autres :

1) « À la troisième galerie, à côté du chef de claque, se trouvait Flaubert qui tapait comme un sourd. » — Flaubert se trouvait à la première de Villemer dans la loge de l’administration, avec le prince Jérôme, la princesse Clotilde, George Sand, le général Ferri-Pisani et Mme d’Abrantès, comme on le voit par la lettre du 1er mars 1864 de George Sand elle-même, que nous donnons à la page 464.

2) Qu’au moment où Dumas fils, en 1863, aidait Mme Sand à tirer une pièce de son roman le Marquis de Villemer, « Mme Sand habitait encore les Feuillantines ». — Mme Sand n’alla habiter les Feuillantines, c’est-à-dire s’installer dans la maison numéro 97 de cette rue, qu’après le succès de Villemer, en juin 1864. L’appartement minuscule fut loué en mai et ce ne fut que le 12 juin qu’elle avait, pour la première fois, passé quelques heures dans cet appartement ; elle le comparait à « un wagon divisé en trois pièces ».

3) Que « le roman Marquis de Villemer date de 1863 ». — Il date de 1860.

4) Les « tapisseries » que M. Duquesnel vit dans le logement de Mme Sand lui semblèrent être « dues à l’aiguille de Solange Clésinger, brodeuse incomparable, doigts de fée (???) etc., etc. » — Nous ne pouvons que mettre trois signes d’interrogation, suivis d’autant de points d’exclamation en réponse à cette assertion, ainsi ???!!! Solange détestait les ouvrages de femme, et jamais, nulle part, nous n’avons trouvé d’indication qu’elle ait, devenue adulte, brodé quoi que ce fût pour sa mère, si ce n’est des… histoires.

5) Selon M. Duquesnel, « Mme Sand aurait lu, en 1863, chez elle à Paris, les quatre actes de sa pièce, tels qu’elle les avait conçus ; la lecture dura toute la nuit », etc., etc. — On voit par les lettres de Mme Sand à Dumas, et de Dumas à Mme Sand qua c’était en septembre 1861, lors du séjour de Dumas à Nohant, et pendant que Maurice Sand voyageait avec le prince Jérôme, que Dumas fils avait lui-même lu la pièce qui était en cinq actes, et qu’en partant pour Paris il l’avait emportée avec lui, et de Paris il avait envoyé à Mme Sand son projet de changements et de refonte complète de la pièce, qui, après de nouveaux changements faits par l’auteur, devint enfin une pièce en quatre actes.

6) « Quand Dumas retourna aux Feuillantines avec le manuscrit mis au point et copié, elle ne se tint pas de joie », etc. — On voit par ce qui précède combien cette phrase comporte d’assertions fantastiques de tous points.

7) « Lors de la première toutes les places avaient été prises par les étudiants qui s’en donnaient à cœur-joie… » etc. — On voit par la lettre de Mme Sand du 28 février que nous donnons à la page 463, que George Sand se plaignait que lors de la première de Villemer trop de places étaient prises par la cour, la police, les ministres, les employés de tous les rangs. Les ouvriers et les étudiants qui avaient fait du tapage et des ovations à Mme Sand se trouvaient surtout en dehors de la salle, sm* la place et dans les rues voisines.

8) M. Fernand Bourgeat a déjà signalé que M. Duquesnel a encore avancé une assertion erronée en disant que « Dumas fils avait touché un quart de la part des droits d’auteur » — tandis qu’il n’avait effectivement rien touché.

9) M. Duquesnel trouve que « l’invention (dans les romans de George Sand) ne tient qu’une place accessoire… » — Si le lecteur se souvient de l’Homme de neige, de Pierre qui roule, de la Comtesse de Rudolstadt et de Consuelo, de la Confession d’un jeune fille et de Flamarande, il se récriera contre cette remarque. George Sand a toujours péché dans ses romans par un excès d’invention.

10) M. Duquesnel prétend que « Cosima fut représenté pour la première fois le 2 mai 1840 ». — Non, la première eut lieu le 29 avril 1840. (Voir notre volume III, pages 161-166 et surtout le passage de la Lettre parisiènne de Henri Heine du 30 avril et la lettre de George Sand du 1er mai que nous y citons.)

11) À propos de le Roi attend M. Duquesnel dit : « George Sand qui vivait alors dans l’intimité de Michel de Bourges (!), de Ledru-Rollin, de Jules Favre (!), de Flocon, voire de Barbès et de Sobrier (!), était éprise de l’idée révolutionnaire… » etc., etc. — Nous prions le lecteur de relire ce que George Sand dit dans l’Histoire de ma vie des rapports presque hostiles qui existaient alors entre elle et son ex-ami, ainsi que ce que nous disons aux chapitres x et xi du volume II et le chapitre viii du présent volume pour se convaincre que cette énumération de noms n’est pas seulement toute fortuite, mais, qu’en ce qui concerne les trois noms soulignés par nous, elle est encore absolument contraire à la vérité historique. George Sand ne voyait plus Michel de Bourges depuis 1837, elle l’attaquait indirectement dans ses Bulletins en 1848, elle employa même son influence auprès du gouvernement provisoire contre Michel lorsqu’il s’agit de le déléguer à l’Assemblée. Il savait fort bien qu’elle l’avait desservi et pour cause ; elle le trouvait tiède et peu sûr, ce n’était pas un « républicain de la veille », mais rien qu’un du lendemain, selon elle.

12) M. Duquesnel assure que le Marquis de Villemer fut une pièce écrite « après un silence de cinq ou six ans après Maître Favilla ». — Or nous savons qu’après Maître Favilla, joué le 15 septembre 1855, on joua la Lucie de Mme Sand en janvier 1856 ; Françoise, le 3 avril de la même année ; Comme il vous plaira, le 18 avril toujours de cette même année ; Marguerite de Saint-Gemme, le 23 avril 1859. S’il y eut en effet une lacune de cinq ans entre la dernière pièce présentée par Mme Sand aux théâtres de Paris et le Marquis de Villemer, ce fut entre Marguerite de Saint-Gemme et Villemer : 1859-1864 ; mais il ne faut pas oublier en outre qu’en 1861 Mme Sand imprima le Drac et le Pavé dans la Revue des Deux Mondes et que la seconde de ces deux pièces fut encore représentée en 1862 au Gymnase, sans la participation de l’auteur.

13) Et pour finir remarquons que M. Duquesnel fait partout précéder le nom de Mademoiselle La Quintinie d’un de : « Mlle de la Quintinie », tandis que le nom de cette demoiselle — héroïne du roman de George Sand et de la pièce du même nom qui ne fut jamais jouée du vivant de l’auteur est simplement La Quintinie.


CHAPITRE XIII

1867-1876


Vieillesse sereine. — Les amis. — Les petites filles. — La vie à Nohant entre 1867 et 1876. — Les marionnettes. — Les contes d’une grand’mère. — Les articles pédagogiques. — 1870. — La Guerre et la Commune. — Le Journal d’un voyageur pendant la guerre. — Francia. — Nanon. — Nouvelles lettres d’un voyageur. — Impressions et souvenirs. — Synthèse philosophique et religieuse. — Les derniers romans : Césarine Dietrich, Marianne Chevreuse, — La série des histoires d’un enfant : la Filleule, la Confession d’une jeune fille, l’Autre, Ma soeur Jeanne, Flamarande et les Deux frères, la Tour de Percemont, Albine. — La maladie et la mort. — Les obsèques.


Cette dernière période — les dernières neuf années de la vie de George Sand — peut être caractérisée en deux mots : vieillesse sereine. Oui, sereine et lumineuse, elle le fut. Étant, après de cuisants doutes, de longues recherches et souffrances, arrivée à une synthèse complète de l’univers, à un idéal religieux précis, Mme Sand vécut tranquillement ses neuf années, de 1867 à 1876, entourée de la vénération générale, de l’admiration de ses amis, de l’adoration de son fils, sa belle-fille et ses petites-filles et les adorant elle-même. Les amis de sa jeunesse étaient à cette époque tous, ou presque tous, partis pour un monde meilleur, ou la vie les avait éloignés. Hippolyte Chatiron était mort en 1848, de Latouche en 1851, Planet en 1853, Jules Néraud en 1855. Il lui restait Fleury, Papet, Rollinat et Duvernet. Mais Fleury, depuis son exil et sa rentrée en France, se tenait à l’écart, désapprouvant les rapports de George Sand avec les descendants de Napoléon ; Rollinat, depuis son mariage, ne quittait guère Châteauroux et venait rarement à Nohant, quoiqu’il partageât comme par le passé les chagrins et les joies de son « Oreste », il ne la voyait que de loin en loin. La mort de ce « cher Pylade », arrivée en 1867, tout en portant un coup douloureux au cœur de Mme Sand, n’apporta aucun changement visible dans son existence. Quant à Duvernet, aveugle depuis plusieurs années, il ne pouvait plus, comme autrefois, être un aide et un soutien pour sa « vieille amie Aurore ». Il continuait cependant à prendre à cœur tous les événements de sa vie. Mais la mort l’emporta en 1874, Sainte-Beuve l’avait précédé en 1869, Barbes, Mme Émilie Chatiron et Mme Laure Fleury en 1870, Pierre Leroux en 1871. Enfin en 1875 mourut son vieil ami Jules Boucoiran, l’ex-précepteur de Maurice, le confident de jadis. Mme Sand le connaissait depuis 1831, alors qu’elle s’apprêtait à quitter le foyer conjugal.

Mais il s’était formé autour de Mme Sand un nouveau cercle de jeunes amis ; ceux-ci, de même que ses vieux amis d’autrefois, lui portaient une tendre sollicitude, un respect tout filial, un dévouement sans bornes. Nous savons que depuis 1850, ou à peu près, des relations très amicales s’étaient liées entre elle et Émile Aucante, Victor Borie, Eugène Lambert. Peu à peu s’y joignirent Dumas fils, le prince Napoléon, Charles Edmond (Choïecki), Edmond Plauchut, Mme Pauline Villot, Édouard Rodrigues, Louis Maillard, le gendre de Jules Néraud — Ernest Périgois, Flaubert et Henry Harrisse, un Américain naturalisé en France, auteur de plusieurs ouvrages sur Christophe Colomb, et l’un des habitués des dîners Magny et du salon de la princesse Mattulde. Il faut y ajouter une série de tout jeunes — des enfants et petits-enfants — Lucien Villot, Maxime Planet ; les trois petits-fils d’Hippolyte Chatiron, enfants de sa fille : René, Edme et Albert Simonnet ; puis Francis Laur, André Boutet, Paul Albert, le petit-fils de l’amie de Mme Sand, Mme Lebarbier de Tinan ; le fils d’un vieil ami des Dudevant vers 1830, M. de Vasson, M. Paulin de Vasson et sa femme qui était une cousine de Papet et de Périgois ; et enfin, dans les dernières six années de la vie de Mme Sand, le jeune Henri Amie qui commençait alors à peine sa carrière d’écrivain et dont il faudrait dire, en énumérant tous ces nouveaux amis de Mme Sand, le mot de Shakespeare : the last but not the least, car il devint bientôt l’un des plus fidèle et des plus dévoués amis de Mme Sand et de tous les siens[485].

Mme Sand se lia aussi entre 1860 et 1870 avec la jeune autoresse Juliette Lamber, mariée en premières noces avec M. Lamessine, puis ayant épousé l’homme politique fort connu, M. Edmond Adam et ayant, sous ce nouveau nom de Mme Adam, acquis une célébrité hors ligne comme écrivain, maîtresse d’un salon brillant, politique et littéraire, amie de Gambetta, et amie avant la lettre de l’alliance franco-russe.

Ses deux petites-filles firent revivre à Mme Sand comme une seconde maternité, avec toutes ses grandes joies et angoisses, ses petits chagrins et ses triomphes. Les lettres de George Sand durant cette période, fussent-elles adressées au prince Jérôme ou à Barbes, à Sainte-Beuve, Dumas fils, Flaubert ou Mme Adam, sans parler de Boucoiran, de Poncy, de Charles Edmond ou des acteurs des Français et de l’Odéon sont, au beau milieu des nouvelles sociales politiques ou littéraires, des réflexions sur quelque discours à la Chambre ou sur la dernière pièce du Gymnase, toutes pleines d’adorables mots, de rires et de pleurs enfantins, de premiers pas ou des premières petites dents, de poupées ou d’arlequins cassés, de détails sur la rougeole, la coqueluche ou quelque autre petit bobo, d’admiration devant l’esprit d’observation de l’une, sachant distinguer une couleuvre d’une vipère ; devant une remarque spirituelle de l’autre à propos des actes sanguinaires de Jéhovah ou des fraudes des rois bibliques ou grecs.

Tout cela lui paraissait « admirable », « surprenant », « merveilleux », prouvant des capacités presque géniales, ou du moins les qualités morales incomparables de ces deux enfants qu’aucun être au monde ne pouvait égaler.

Cette grand’mère-là, comme cette illustre aïeule couronnée qui, dans ses lettres à Grimm, se pâmait d’admiration devant chaque fait et geste de son adoré « Monsieur Alexandre », ne se distinguait en rien des milliers de grand’mères aimantes ; peut-être eût-elle été capable, ainsi qu’une autre aïeule, que nous connaissions, de raconter à tous avec enthousiasme que sa petite-fille était une enfant extraordinaire parce qu’elle pouvait, toute seule, regarder une lampe !

Ces dernières années de la vie de George Sand sont les mieux connues. Dans une quantité de livres consacrés à la « Bonne Dame de Nohant », ou à « George Sand grand’mère », et dans une masse de « Souvenirs » de tous les genres[486], nous avons lu et nous lisons des descriptions de la vie à Nohant.

Levée tard, Mme Sand ne descendait qu’après déjeuner, et elle paraissait distraite, un peu endormie après son long travail de la nuit, comme demeurée encore dans son rêve. Après déjeuner, une promenade dans le parc ou au verger, avec toute sa famille, les amis ou les connaissances qui se succédaient perpétuellement à Notant.

Nous lisons à ce propos dans les Souvenirs de Mme Adam : « Après le déjeuner qui a lieu à midi, on va au jardin, un jardin comme il n’y en a nulle part au monde. Mme Sand y a fait des « clans » de plantes récoltées partout au cours de ses voyages et qu’elle a acclimatées à Nohant[487]. Il n’y a pas une fleur de ces plantes qui ne lui rappelle une page de sa vie et quel plaisir on prend à l’interroger dans ce jardin. Mme Sand ne permet pas qu’on cueille l’une de ces fleurs. C’est dehors qu’on va chercher celles qui ornent les grands vases de vieux Chine de la cheminée. La conversation de Mme Sand à Nohant, dans l’intimité de ceux qu’elle aime et connaît bien, est une perpétuelle surprise ; on éprouve pour elle une constante admiration, tant ses idées sont personnelles et élevées. Les discussions approfondies qu’elle appelle en riant creuses, sont rares, parce qu’elle préfère les délassements de la gaieté. Dehors, où l’on passe plusieurs heures après le déjeuner jusqu’au bain dans l’Indre, la moindre bestiole intéresse Mme Sand, et comme elle en parle !…

Mme Sand adorait les bains froids jusque dans sa vieillesse, et dès que le temps était beau, on se baignait dans l’Indre. « Une pêche dans l’Indre agrémentée de baignade générale dans des costumes indescriptibles nous amuse follement. Mme Sand est celle qui prend le moins de poissons, mais qui « barbote » le plus[488]… »

Les jours ordinaires et lorsqu’il n’y avait pas de monde à Nohant, Mme Sand remontait chez elle pour travailler jusqu’au dîner. Et l’écrivain-grand’mère n’était nullement incommodée d’avoir un arlequin sur chaque bras et un ménage de poupée installé sur ses genoux. Elle écrivait tranquillement, même lorsque ses « chères adorées » interrompaient son travail par les questions les plus diverses, les remarques les plus inattendues. Bien plus, sans abandonner le cours de ses pensées ou la trame de son roman, elle observait en même temps les jeux de ses petites-filles, trahissant leur caractère ou leur activité intellectuelle[489]. Puis venait un gai dîner au milieu de rires et de farces de toutes sortes que les amis de la maison et les camarades de Maurice se faisaient les uns aux autres. Ces farces, ces gais propos, « sans façons », les hâbleries les plus inimaginables et quelquefois même d’un goût très douteux, semblaient à beaucoup de personnes qui aimaient et vénéraient Mme Sand fort plats et insipides.

On peut trouver quelques spécimens de ces farces et de ce babillage à outrance des Nohantais dans les Souvenirs de Mme Adam, seulement l’auteur n’a recueilli que les plus… décents et innocents. On verra que Mme Sand non seulement y prenait souvent une part active, mais qu’elle attribuait à la « gaieté » des vertus toniques pour l’âme et le corps. Voici par exemple ce que nous lisons dans le livre de Mme Adam à propos d’une excursion faite par Mme Sand, lors de son séjour au golfe Juan, à l’abbaye de Mont-Rieux où l’on déjeuna sur l’herbe.

… La troupe se compose d’Edmond Adam, de Maurice Sand, du capitaine Talma[490], d’Edmond Plaucbut, de Planet, de Mme Sand, de Topaze et de moi.

Mme Sand a toute sa verve. Elle constate que notre union est complète, que nous pouvons devenir le noyau d’une abbaye de Thélème, et cette abbaye, elle la construit en imagination semblable à celle de Mont-Rieux. On discute sur les heures du lever, du coucher, sur ce que chacun fera et à quoi il est propre. On me confiera le ménage, le bien manger.

« Et le bien boire », ajoute Maurice sensible au bon vin français.

Planet, Plauchut, le capitaine Talma approuvent. Ma fille, qui fait merveilleusement le « pifferaro », distraira la société par ses danses et arrangera les fleurs, art dans lequel elle excelle. Maurice installera les marionnettes et fera une collection de papillons, que nous vendrons très cher aux Anglais. Adam lira les journaux pour tenir l’abbaye au courant des choses du dehors et fera oua ! oua ! pour nous garder des intrus qu’il n’aime guère. Plauchut voyagera pour nous rapporter des épices rares, pour nous gagner de l’argent par ses trafics, mais il ne fera plus naufrage ! ajoute Adam[491].

Le capitaine fournira le poisson. Planet s’occupera de vêtir la communauté à la condition qu’il ne nous habille pas couleur tabac, sa couleur favorite, et qu’il n’oblige aucun des membres masculins de l’ordre à porter des pantalons à petit ponts et des cravates mirifiques. Mme Sand « propre à tout », dit-elle, ne fera plus d’écritures mais beaucoup d’essais pour transformer les plantes sauvages en plantes potagères.

Comment l’abbaye de Thélème s’évanouit-elle en fumée et comment à la fin du déjeuner s’était-elle transformée en une roulotte avec laquelle nous visitions la France tout entière et donnions des représentations de pièces inédites portant tour à tour les noms des auteurs : George Sand, Maurice Sand et Juliette Lamber ? L’explique qui pourra !

On parle de gaieté et Mme Sand déclare qu’il est lu-gent de créer des cours de gaieté pour les générations nouvelles, que les jeunes, comme Planet, se portent mal parce qu’ils ne sont pas assez gais.

La gaieté est la meilleure hygiène de l’esprit et du corps, dit Mme Sand ; se porter bien n’a pas d’autre raison que la gaieté.

Et la discussion commence pour n’en finir plus. Le capitaine Talma et Edmond Adam, tous deux mélancoliques, protestent contre la gaieté perpétuelle. L’un des deux, approuvé par l’autre, a l’imprudence de dire que l’extrême gaieté comme l’entendent parfois Mme Sand et Maurice « entame la dignité ». C’est un haro, un tollé.

Mme Sand devient tout à coup très sérieuse. Elle est éloquente et prouve qu’il n’y a de bonté durable qu’alimentée par la gaieté, que les tristes ne sont pas foncièrement bons.

— La gaieté c’est comme la bonté, dit Talma, pas trop n’en faut !

— Mais, malheureux ! sans bonté les sociétés se rongent, se dévorent.

— Les sociétés vivent par l’intelligence.

— L’intelligence sans bonté fait des brutes, des plus brutes que mon chien Fadet qui est bon.

— Et que fait la bonté sans intelligence ?

— Il n’y en a pas ; n’est pas bon qui n’est pas intelligent.

— Mais votre chien Fadet ?

— Il est comme moi ; bon d’abord, intelligent ensuite. La bonté, ajoute Mme Sand, c’est l’atmosphère dans laquelle se vivifient les sociétés, c’est l’attirance du divin sur la terre. Il n’y a que bonté dans les voies de la vie supérieure. Si l’on étudiait les lois de la bonté, on y trouverait jusqu’aux attractions des mondes les uns pour les autres. Il me semble qu’ils s’entr’aident avec bonté entre eux, pour maintenir les équilibres et l’ordre dans la matière, ajoute-t-elle en riant.

— Oh ! ça, c’est trop fort, c’est du charabia, s’écrie le capitaine.

— C’est de la noyade, ajoute Adam. Voilà ce qui arrive à ceux qui piquent des têtes dans l’universel.

— Que ces gens-là, dit Maurice, en désignant le capitaine et Adam, ont comme qui dirait leurs crânes trop étroits pour avoir celui de s’ingurgiter les idées de la colonelle ; pour quoique l’un est marsouin et l’autre pékin ? Fusilier Plauchut, ajouta le sergent, fusilier Planet, cantinière Juliette, saluez notre chef, George Sand, et un pied de nez à ces autres-là !

Le tout fut fait en trois mouvements.

Puis Maurice nous donna, à Mme Sand, à Alice, à moi un panier vide, tandis qu’il chargea outre mesure celui des fusiliers Plauchut, Planet et le sien. La colonelle me prit le bras, tandis que Talma et Adam causaient en arrière, que Topaze et Maurice conversaient en langage « pioupiou ».

Un peu plus loin, Mme Adam raconte comment ce même jour, George Sand ayant approuvé l’une des idées que Juliette Adam avait émises et l’ayant embrassée tandis qu’Adam roucoulait et disait des phrases vraiment « sucrées » à sa femme, Maurice l’avait promue de cantinière qu’elle était au grade de lieutenant-colonel.

Ce fut le signal des goguenardises de Maurice qui déclara que puisque la colonelle, lui, le sargent, les fusiliers Plauchut et Planet, même le capitaine marsouin Talma et le pékin Adam avaient pour ainsi dire comme une satisfaction de la conduite de la cantinière Juilliette (on m’appelle « Juilliette »), il la proposait à l’avancement comme lieutenant-colonel…

Nous lisons dans le livre de Mme Adam à propos des farces que les habitués de Nohant se jouaient les uns aux autres, encore ceci :

Dès que l’un de nous est envoyé ici ou là pour chercher quelque chose, il peut être certain qu’on trame une farce contre lui.

Nous nous y prêtons tous avec belle humeur, sauf Adam que les farces horripilent, la nuit surtout quand on le réveille.

Un soir on a mis un coq dans le coffre à bois de notre chambre. Je le savais ; voilà qu’à une heure ou deux, le matin, ce satané coq chante. Adam allume sa bougie.

— Bien sûr ce coq est dans notre cheminée, s’écrie-t-il, mais par où a-t-il passé ?

Alice, dont la chambre donne dans la nôtre, et moi, nous nous cachons sous les draps pour ne pas trop rire bruyamment. Adam continue à regarder dans la cheminée, mais avec prudence, craignant que, passé par le toit, le coq ne lui tombe sur la tête.

Le coq recommence : Cocorico ! Mme Sand, Lina, Maurice, Plauchut, Planet sont derrière la porte, entendent les réflexions d’Adam ; ils le voient se promener en simple costume de nuit, se pencher dans la cheminée. Mais tout à coup, furieux, Adam lance un juron formidable et s’écrie :

— Il est dans le coffre à bois. Je parie que c’est Maurice qui l’y a mis.

Il ouvre le coffre. Le coq, pas content d’avoir été enfermé, lui saute à la poitrine. Nouveau juron, plus violent encore. Il tente d’attraper ce maudit coq, tandis que je m’enfonce de plus en plus sous mes draps. Enfin, le coq, las de voler, se perche sur le bois de la tête du lit d’Adam, qui a toutes les peines du monde à le saisir. Il l’attrape, toujours sacrant et va le jeter par la fenêtre qu’il a ouverte, lorsque le coq en se débattant éteint la bougie, s’échappe et vole dans la cour.

Est-ce lui, est-ce Maurice qui chante à nouveau : Coricoco !

— Que le diable emporte l’idiot qui a inventé cette farce ! s’écrie Adam.

Les rires derrière la porte redoublent. Adam la ferme à clef et se recouche.

Il ne m’a pas adressé la parole, soupçonnant bien que je suis complice.

L’église est en face de notre chambre. Je dors volontiers le matin et je parierais que Maurice ou Plauchut ont payé le père Carnat[492] — le sonneur-fossoyeur — pour qu’il sonne l’angélus à toute volée. Adam à cette heure-là fait sa toilette. C’est à mon tour de grogner. Je donne 5 francs au père Carnat pour qu’il sonne moins fort. Maurice ou Plauchut lui persuade qu’il doit sonner plus fort et plus longtemps pour que je lui donne davantage.

Le lendemain Adam demande à Plauchut de lui céder son pavillon au fond du parc. Il dit qu’il s’y barricadera, achètera un revolver à La Châtre et recevra les farceurs « à balle ». Quand ce sont les autres qu’on berne, Adam trouve les farces drôles, mais il n’admet pas qu’on lui en fasse, parce qu’il n’en fait pas lui-même.

Le docteur Pestel qui soigna Mme Sand dans sa dernière maladie et laissa des Notes très intéressantes sur la maladie et la mort de Mme Sand et sur les Médecins de Nohant, dit entre autres, dans ce dernier écrit,

« qu’à rencontre de ce qui existe dans beaucoup de maisons où le médecin finit par vieillir avec les membres de la famille, dont il devient quelquefois l’ami et le confident, les médecins, à Nohant, du temps de George Sand, ne vivaient pas longtemps », un médecin suivait un autre.

Et pour expliquer cette circonstance le docteur Pestel dit une chose qui donnera peut-être la clef du fait qu’il s’était intronisé à Nohant, ou ne sait trop quoi : une vraie gaieté, une hilarité, une verve faisant faire des farces sans fin, ou bien simplement l’habitude de débiter des hâbleries perpétuelles, des blagues les plus incroyables, tantôt pleines d’esprit, tantôt absolument plates et niaises :

« Mme Sand ne portait pas en elle un grand fond de gaieté, elle éprouvait le besoin d’être égayée. Lorsqu’elle quittait son cabinet de travail, il lui fallait du monde, du bruit, des rires, au besoin des hommages, et même de la flatterie auxquels elle était fort sensible. Sérieuse, causant peu, elle aimait les causeurs, voire même les bavards. Les histoires les plus folles, les plus impossibles, racontées avec verve, la faisaient rire aux larmes, et les conteurs de ces blagues insensées étaient de tous ceux qui avaient auprès d’elle le plus de succès. Chez Mme Sand l’impression première était toute puissante. À première vue, on lui plaisait ou on lui déplaisait. C’est ainsi que le plus souvent elle jugeait son monde. Bien rarement revenait-elle sur ses jugements ainsi portés. Cette manière d’apprécier ses semblables expose à bien des erreurs, car outre que les apparences sont trompeuses chez un grand nombre d’individus, celui-là même qui procède ainsi jugera différemment un jour qu’un autre la même personne suivant qu’il sera plus ou moins lucide, ou qu’il sera sous l’impression de la souffrance, de la contrariété, du bien-être, de la joie, etc.

Ce n’est pas trop sa faute, après tout, si elle était ainsi faite, elle agissait d’instinct et en quelque sorte malgré elle. Dans une organisation aussi éminemment impressionnable que l’était la sienne, l’impression était maîtresse du raisonnement de même que le sentiment devait l’emporter quelquefois sur la raison. »

Nous nous contentons de citer cette observation du Dr Pestel, nous abstenant de la contredire ou de la confirmer.

Après le dîner tous les habitants de Nohant se rendaient dans le vaste salon Louis XVI gardé tel qu’il était au temps de l’aïeule de Mme Sand, et s’asseyaient « autour de la table », énorme table ovale, confectionnée par Pierre Bonnin[493]. Les uns faisaient une partie de dominos, les autres jouaient aux échecs, d’autres encore dessinaient ou peignaient à la détrempe. On parlait du nouveau roman de Flaubert, de la dernière pièce de Dumas ou de Cadol, du livre de Darwin ou de Renan. Et des discussions ardentes et bruyantes s’élevaient, tandis que Mme Sand, aidée de Lina, cousait des robes d’enfants ou des costumes pour les marionnettes. Durant toute sa vie, jusqu’à son dernier jour, Mme Sand garda l’habitude de ne jamais rester oisive ; d’autre part elle conserva aussi cette adresse des mains, héritée de sa mère, pour toutes sortes de petits travaux et de procédés manuels. Elle faisait beaucoup de broderies[494], aidait Maurice à classer ses collections minéralogiques ou entomologiques, faisait des herbiers, découpait à la main des silhouettes de plantes ou de fleurs, petits chefs-d’œuvre d’adresse et de finesse qui ne peuvent être comparés qu’à des ouvrages chinois ou japonais. Elle faisait encore des dendrites. On sait qu’on nomme dendrites, en minéralogie, des empreintes de plantes dans des cassures de pierres, ou même des restes de plantes pétrifiées. En examinant un beau soir un dessin fantastique, créé par le hasard d’un pâté de couleur, qu’on avait écrasé par mégarde entre deux feuilles de papier, George Sand remarqua que ce dessin reproduisait merveilleusement une pareille dendrite. Elle voulut répéter cet essai, et, ayant écrasé ainsi plusieurs pâtés de couleur entre deux feuilles de papier, elle tâcha de faire ce que chacun avait fait dans son enfance : de compléter et de préciser par quelques traits de crayon ou de pinceau les images qui se présentent dans un pâté d’encre écrasé. Il en résulta un petit tableau, un paysage avec des figures fantastiques. Mme Sand s’engoua de ce genre de peinture et on lui prépara d’avance des pâtés de couleurs écrasées sur des feuilles de papier, afin qu’elle s’amusât, le soir, à peindre ses dendrites, soit à l’huile, soit à l’aquarelle[495]. … Quelquefois on lisait à haute voix un conte, écrit la veille par George Sand pour l’une de ses petites-filles, car, comme une vraie grand’mère, c’est pour ses petites-filles qu’elle semble avoir écrit alors de préférence. C’est ainsi qu’entre 1872 et 1875 elle écrivit treize contes : le Château de Pidordu, la Reine Coax, le Nuage rose, les Ailes du courage, le Géant Jéous, le Chêne parlant, le Chien et la fleur sacrée, l’Orgue du Titan, Ce que disent les fleurs, le Marteau rouge, la Fée poussière, le Gnome des huîtres et la Fée aux gros yeux[496]. George Sand s’essaya donc, outre le roman, le théâtre, les articles de politique ou de critique, à ce nouveau genre littéraire : la littérature pour enfants, ou même, proprement dit : aux contes d’enfants. Du reste elle avait déjà écrit plusieurs œuvres dans ce genre. En 1837 elle écrivit pour Solange le Roi des neiges, conte resté inédit. En 1850, comme nous l’avons indiqué plus haut[497], elle usa du dicton populaire sur Gribouille qui se jette à Veau de peur d’être mouillé comme d’un thème pour écrire son Histoire du véritable Gribouille[498]. En 1859, George Sand publia, dans le Figaro, encore un petit conte, la Fée qui court. Et enfin en 1865 elle dédia à Manceau un grand conte fantastique et symbolique, la Coupe. D’autre part, voulant créer à l’usage de la petite Aurore la meilleure méthode possible pour apprendre à lire et à écrire, Mme Sand remania pour elle le système tiré par Jules Boucoiran de la célèbre méthode Laffore, pour l’enseignement de Maurice. Mme Sand, avec infiniment d’esprit et un tact pédagogique admirable, sut encore faciliter et simplifier cette méthode. De plus, elle trouvait nécessaire que l’enseignement de la lecture marchât de front avec les premières connaissances enseignées à l’enfant sur toutes choses. Il est très instructif de lire ses réflexions et ses observations sur ce sujet dans les chapitres xi, xii et xiii de ses Impressions et souvenirs, ayant pour sous-titre : « Pensées d’un maître d’école ». « Le maître d’école, c’est moi », dit-elle, car durant toute sa vie elle a toujours eu quelques élèves à qui eUe enseignait l’a & c : ses enfants, sa nièce, ses petits-enfants et des filles de village adultes, des servantes et des serviteurs, bref des élèves de tout âge et de toute condition ; ces pages sont donc le résultat de son expérience et de ses observations. Quand, dans sa jeunesse, elle apprit à lire à ses enfants, George Sand ignorait encore beaucoup de choses en matière d’éducation qui ne lui devinrent claires qu’avec l’expérience et le raisonnement, et surtout la patience ; elle dit avoir commis alors beaucoup de fautes, dont elle se préserva plus tard. Ces trois articles présentent effectivement une série d’observations infiniment précieuses pour tout pédagogue, comme pour toute personne s’intéressant aux questions d’enseignement et d’éducation primaires. Quand on les lit, on ne peut pas ne pas être d’accord avec l’auteur sur lef ond des choses. Le premier de ces articles est consacré non pas précisément à l’enseignement de la langue, mais bien à ces exercices préparatoires qui devraient précéder toute étude. On y trouve, de plus, une foule de conseils inappréciables sur l’éducation en général. Cet article devrait servir de manuel à tous les pédagogues, psychologues, parents, et à tous ceux qui osent entreprendre cette œuvre sacrée : l’éducation d’un homme. En lisant ces fines observations et ces remarques psychologiques profondes, qid respirent une pénétration infinie de l’âme humaine en général et de l’âme enfantine en particulier, on s’explique parfaitement l’amour que Mme Sand inspira à tous les enfants dont elle s’était tant occupée, et l’influence qu’elle exerça toujours sur ceux d’entre eux à qui elle avait voué une attention particulière : la petite Jeanne Clésinger, Aurore, Gabrielle, les petits Simonnet, Oscar Cazamajou, les enfants de Mme Bertholdi, le jeune Francis Laur, etc., etc. Quelle connaissance de l’âme enfantine, de ses capacités, de ses défaillances se laisse deviner dans ces pa^es ! Combien humaine la manière de traiter l’enfant, et quel extraordinaire savoir-faire pour s’identifier à lui, pour profiter de chaque petit fait, afin de gagner de l’autorité sur cet être impressionnable ! Quelle profondeur d’amour pour tous ces petits hommes ! George Sand rejette, cela se comprend, non seulement toute brutalité, toute punition et toute privation pour l’enfant, mais elle érige tout son système suivant les grandes lois psychiques en général, en les appropriant aux exigences et au caractère de chaque enfant en particulier. Elle parle de l’art de diriger l’esprit, le cœur et la volonté de l’enfant vers un seul but : lui apprendre à aimer le travail, à aimer le savoir et à aimer dans le strict sens du mot. George Sand donne une série de conseils fort utiles à ce propos ; on voit qu’en vrai virtuose, elle savait jouer sur les cordes les plus tendres du cœur enfantin, les faisant toujours vibrer le plus harmonieusement possible.

Les deux autres articles sont consacrés à l’analyse de la « méthode lafforienne », créée et publiée dès 1826 par M. de Bourrousse de Laffore, ainsi que de la méthode employée par George Sand elle-même pour faire apprendre à lire et à écrire à ses élèves.

La lettre à Charles Edmond sur la ponctuation (le numéro VI des Impressions et souvenirs) se rattache à ces deux articles et présente aussi une série de pensées très intéressantes sur l’enseignement de la langue et de la grammaire.

Les contes de George Sand ont aussi une signification, surtout pédagogique ; ils ne se distinguent pas tant par leurs qualités poétiques que par la moralité qu’ils renferment : ils tendent, avant tout, par des allégories et des symboles transparents, à inculquer aux enfants les mêmes principes et à diriger leur activité psychique vers les trois mêmes buts : l’amour pour le travail, le désir d’apprendre et l’amour du prochain, George Sand conseillait de les développer chez tout élève, avant de lui enseigner à Ih-e.

Au risque d’être taxé d’hérétique littéraire, nous déclarons que ces contes manquent de vraie poésie, surtout si on les compare aux contes d’Andersen ou aux contes des écrivains allemands et slaves. La plupart d’entre eux sont en outre peu faits pour être compris des enfants ou leur faire plaisir. Notre critique s’adresse surtout au plus long de ces contes : le Château de Pictordu. Au fond c’est là simplement un petit roman, peignant, sous une forme fantastique, le réveil et l’éclosion d’un talent inné, ce thème ne convient pas à un conte d’enfants. George Sand l’avait déjà plusieurs fois traité : dans la Fille d’Albano, Carl, Consuelo, etc., etc. Le Château de Pictordu contient un très intéressant et très remarquable caractère, celui du père, un peintre à la mode peignotant de petits portraits bien léchés ; et à côté de ce père grandit et se développe le talent prime-sautier et original de sa fille, une fillette rêveuse, maladive, mais poursuivant âprement la vérité dans l’art, aspirant à y atteindre la perfection, y cherchant son propre chemin et finissant par arriver à la célébrité.

Ébauché en deux ou trois traits de plume, le portrait de la seconde femme du peintre, Mme Laure, une coquette fanfreluchée, ruinant son mari et s’apprêtant à vivre aux dépens de sa belle-fille, est également très réussi. Cette Mme Laure nous paraît une vraie héroïne du second Empire, très ressemblante à ses sœurs les héroïnes de Zola, Daudet, etc. George Sand sut saisir et peindre en peu de mots, avec un art extraordinaire, ce nouveau type, ressemblant si peu aux héroïnes de sa jeunesse. Les « grandes coquettes » et les dissipatrices ont existé de tous les temps, George Sand les a peintes dans ses premiers romans, mais Mme Laure possède un si naïf cynisme, elle bat monnaie avec une facilité merveilleuse qui ne se voyait que chez les petites dames contemporaines de Mie de Montijo. Intéressants et très bien peints également, le vieux comte de Pictordu et sa fille. Ces deux personnages reflètent le monde de vieilles comtesses où Aurore Dupin vécut sa toute première jeunesse, et de celui de ses aristocratiques amies de couvent. Très curieux type aussi le docteur, ami des arts, il est le porte-parole de l’auteur lui-même. Il estime qu’un vrai talent fera toujours son chemin, qu’il ne faut que le diriger, mais point le cultiver comme une fleur de serre. Il est partisan de l’élément fantastique dans l’existence de l’enfant[499]. C’est pour cela qu’il laisse la jeune artiste se libérer peu à peu elle-même de sa croyance aux visions fantastiques — aux apparitions de la « muse de Pictordu », etc. La fillette devine que toutes ses visions n’étaient que de vagues élans de sa fantaisie créatrice : elle ne savait pas encore la manière de les réaliser en une forme plastique. Tout cela est entremêlé de descriptions adorables du vieux château et du jardin, ce qui permet à George Sand de briller, comme toujours, par ses connaissances botaniques. Et « l’élément fantastique », toutes ces apparitions de la fée du château, de la statue parlante, sont si poétiquement vagues, et plus tard se laissent s’expliquer d’une manière si naturelle, qu’elles ravissent le lecteur le plus « rationnel », aussi bien que les enfants.

Mais nous le répétons, le Château de Pictordu n’est point une histoire pour de petits lecteurs, mais un roman minuscule, ou même une étude psychologique, basée sur des observations et des remarques si fines qu’elles ne peuvent être comprises que par des adultes.

Les soirées où Maurice donnait à Nohant ses représentations de marionnettes étaient de vraies petites fêtes. On en a des descriptions pleines de verve et de couleur dans les livres de MM. Amie, Mes Souvenirs, Plauchut, Autour de Nohant et dans le volume II des Souvenirs de Mme Adam, dont nous avons déjà cité mainte page, et enfin dans l’article de Mme Sand elle-même : les Marionnettes de Maurice Sand (le dernier article publié du vivant de George Sand), que nous avons cité au chapitre x.

Tout ce qu’on raconte sur l’impression produite par ces représentations sur les spectateurs nous semble — ainsi qu’à tous ceux qui n’y ont point assisté — si inexplicable et si peu probable que nous emprunterons encore au livre de Mme Adam la description de l’une de ces soirées. Le témoignage d’une personne y ayant assisté pourra peut-être faire comprendre au lecteur quelle était la cause mystérieuse de l’action incompréhensible exercée par ces fantoches sur tous les habitués de Nohant. En racontant comment on fêta l’anniversaire de Mme Sand en 1868, — et selon les traditions non pas le 1er, mais le 5 juillet, — Mme Adam dit :

On déjeune gaiement, on se promène toute l’après-midi, on goûte et l’on ne dîne pas, car on doit souper après les marionnettes.

Enfin nous allons assister à une représentation de ces marionnettes qui passionnent tant notre curiosité. Nous connaissons par leurs noms, avant de les voir : Balandard, Coq-en-Bois, le capitaine della Spada, Isabelle, Kose, Céleste, Ida, et tous, toutes. Alice rêve du monstre vert, Belsébuth, Elle demande qu’il apparaisse.

Nous sommes en costume de grande première, décolletées. Le programme de la soirée est affiché partout. Les marionnettes jouent Alonzo-Alonzi le bâtard ou le brigand de las Sierras. Maurice passe vingt nuits pour amuser une heure son adorée mère. Notre impatience est grande. Mme Sand n’est pas la moins occupée de cette « première ». Elle questionne Maurice curieusement. Il reste muet.

— Songez, me dit-il, comme le risque d’une chute est grand pour celui qui tient le rôle des acteurs au bout de ses doigts, qui est l’auteur de la pièce, le décorateur, le machiniste, le directeur. Et si Adam allait faire oua ! oua ! Si Topaze et sa mère étaient comme qui dirait rasées !

— Ce sera exécrable ! marmotte le fusilier PLauchut.

Mme Sand se fâche, presque sérieusement.

— Trente jours d’arrêts au fusilier Plauchut, en rentrant à Paris, prononce avec dignité le sargent.

— Endossés, les trente jours, à la condition que tu viennes me les faire faire, sargent, répond le fusilier.

Enfin, le moment solennel arrive. Nous défilons gravement, selon le rang que Mme Sand nous assigne. Nous entrons dans la salle de théâtre que nous ne connaissons pas encore et qui est brillamment éclairée. À gauche, la grande scène, où l’on joue la grande comédie, en face, le théâtre des marionnettes avec un rideau étonnant, peint par Maurice, bien entendu.

Le rideau se lève ; la toile de fond a des perspectives extraordinaires. Nous voilà transportés en Espagne dans las Sierras.

Nous sommes prévenus qu’il est permis d’interpeller les acteurs, que l’action et le dénouement lui-même peuvent être influencés par les spectateurs. Maurice n’ayant de respect que « pour ce genre de suffrage universel ».

Balandard, directeur de la troupe, entre et nous apprend ce que je viens de dire : le personnage à la fois gourmé et sympathique ajoute : « On va s’amuser. »

Oh ! Balandard ! sa redingote, son gilet blanc impeccable, son immense chapeau qui le couvre ou qu’il tient à la main avec tant de dignité ! C’est George Sand qui est son tailleur, et il s’en vante à tout propos.

Dans la crainte que nous ne sachions pas lire les affiches, Balandard est venu nous répéter le titre de la pièce. « Je compte, ajoute-t-il, que vous m’honorerez de votre indulgence ; je vous la rends. »

— Ran tan plan ! répond Plauchut qui continuerait si un vigoureux : « Silence dans les rangs tan plan ! » ne l’arrêtait.

La pièce commence. Elle est abracadabrante. Les spectateurs demandent des explications. On dénonce les traîtrises à la victime menacée. Le public s’impatiente de ses propres interruptions et s’emporte. Maurice répond à qui l’interroge, réenchaîne l’action, improvise, fait tête à tous les imprévus.

Est-ce la merveille des physionomies des marionnettes, taillées et peintes presque toutes par Maurice ? Est-ce l’art avec lequel il les fait mouvoir, les met en lumière ? Sont-ce leurs gestes stupéfiants de réalité, la promptitude qu’elles mettent à aller, à venir, à entrer, à sortir, à rentrer, est-ce la merveilleuse réalité avec laquelle elles sont habillées dans le plus petit détail par Mme Sand, est-ce le tout ? Mais ces poupées parlantes auxquelles on s’adresse, qui vous répondent, prennent à tel point les apparences de la vie qu’au bout d’un temps très court on les croit réelles.

Les « habitués » du théâtre qui connaissent les personnages pour ainsi dire en dehors de leurs rôles ou dans l’ensemble de ces rôles, dans leur caractère que Maurice respecte, dans leur genre, car ils ont chacun leur emploi déterminé et ne jouent jamais un rôle en désaccord avec leur talent, avec leur moralité ou leurs vices ; les habitués, dis-je, accordent déjà une part de vie à ces personnages dès qu’ils apparaissent. Chacun a ses préférences, voire ses faiblesses pour tel ou tel. On sait que Plauchut ne peut voir Mlle Olympia Nantouillet sans un plaisir qu’il manifeste. Lina chérit Balandard. Lime Sand a un goût marqué pour le doge de Venise et Gaspardo, le meilleur pêcheur de l’Adriatique. Planet courtise Mlle Ida. Pour moi, un choix s’impose. Coq-en-Bois n’a jamais aimé personne. Il dédaigne le sexe et lui manque souvent de respect. Nous avons le coup de foudre l’un pour l’autre. Je lui fais une déclaration publique, il y répond.

— Comment, toi, Coq-en-Bois, jusqu’ici fidèle à ton nom, toi aussi, malheureux, te voilà pincé ! s’écrie Lina.

Et Coq-en-Bois, après une déclaration brûlante, m’invite à souper « à nous deux » chez Brébant, en cabinet particulier.

Adam proteste et s’écrie : « Ah ! non, par exemple ! »

Nous éclatons de rire. Mme Sand, ravie, déclare qu’Adam s’est laissé prendre, que c’est l’un des plus grands succès de Maurice.

Plus tard, à souper, la pièce finie au milieu de bravos, de rappels, Mme Sand interroge à nouveau Adam sur son interruption,

— Je n’ai pas cru Coq-en-Bois vraiment en vrai, nous dit-il, mais pourtant sa déclaration et sa proposition m’ont en…nuyé !

Le lendemain nous visitons le théâtre, les costumes d’une vérité infinie auxquels Mme Sand travaille depuis plus de vingt ans. Elle est une costumière, une habilleuse incomparable.

Les marionnettes n’ont pas un mètre de hauteur, Édouard Cadol et Eugène Lambert ont seuls aidé Maurice ; le premier à les sculpter, le second à les peindre. Leur visage, leur buste[500], leurs bras, sont garnis de peau, les femmes peuvent être décolletées et les hommes lutter à demi nus. Elles ont des cuirasses en carton de façon à ce qu’elles se tiennent ferme, tantôt assises, tantôt posées sur des supports. Ces supports très curieux sont des tiges de fer avec un bouchon au bout, ce qui fait que la moindre chiquenaude de Maurice les agite et que lorsqu’il y a un grand nombre de personnages en scène tous ont l’air d’écouter et de tressaillir au besoin à un récit.

Dans certaines pièces militaires, Maurice met en ligne avec un art de perspective inimaginable, des milliers d’hommes qui manœuvrent. Quant à la pluie, à l’orage, c’est à s’y méprendre, et la réalité en est complète, il tonne, des éclairs sillonnent la scène, l’eau tombe.

Ces centaines de marionnettes, on voudrait les nommer toutes, car toutes, à un moment, on les a aimées ou détestées. Il y a des traditions pour plusieurs. Ainsi les entrées en scène du facteur sont toujours désopilantes. Dans les moments les plus dramatiques, il raconte ses peines de cœur. Et Bassinet, le garde champêtre ! Et Purpurin, et le comte des Andouilliers et Mlle Eloa ! Et Chalumeau, et Friturin : quelle pléiade de comiques ! Et la comédie italienne au complet, et Bamboula, la négresse, Rosalie, la femme de chambre qu’on retrouve sans cesse, le colonel Vertébral, la comtesse de Bombricoulant. J’en oublie la moitié ; qu’elles me pardonnent ! Les trucs du théâtre des marionnettes de Maurice Sand ont étonné tous les directeurs des plus grandes scènes de Paris.

Tous les hivers, ou plutôt au commencement du printemps, Mme Sand allait à Paris pour voir ses amis aux célèbres dîners Magny ou pour placer une pièce nouvelle. On trouve dans le Journal des Goncourt ainsi que dans le livre de Mme Adam pas mal de croquis pleins de coloris, dépeignant l’apparition de Mme Sand à ces dîners, sa sauvagerie et son air dépaysé au milieu de tous ces écrivains naturalistes et gens de lettres par excellence[501], ses idées et ses discours ressemblant si peu à ce qui s’y disait, lorsqu’elle ouvrait la bouche, et son silence au milieu d’eux, le plus souvent. Ils notent même ses toilettes : un jour Mme Sand apparut au dîner Magny en robe « fleurs de pêcher, une toilette, je crois bien, tout en l’honneur de Flaubert », comme le remarquent les Goncourt avec malice[502].

Presque tous les ans Mme Sand entreprenait quelque petit voyage. C’est ainsi qu’en 1866 elle alla, comme nous l’avons vu, « courir avec ses enfants » en Bretagne, pour peindre sur nature des esquisses pour Cadio. Avant cette excursion et après, Mme Sand alla par deux fois en Normandie, à Croisset, chez Flaubert qui désirait lire à sa « chère maître » quelques chapitres nouveaux de son Saint Antoine, et chez les Lambert et les Dumas à Saint-Valéry.

C’est au commencement de 1868 que Mme Sand séjourna quelques semaines avec Maurice, Plauchut et Maxime Planet au Golfe Juan chez Mme Adam. Lorsque Mme Sand se disposait à partir pour Bruyères, elle mit une « condition » à Mme Adam : c’était de n’y rencontrer ni Solange, ni Mérimée. Mérimée qui vivait à proximité et venait souvent aux Bruyères, dès qu’il sut que George Sand allait venir, pria avec beaucoup de tact Mme Adam de le prévenir, afin de se tenir à distance. Quant à Solange, Mme Sand avait, à cette époque, refusé de voir et de recevoir sa fille. Voici ce que Mme Maurice Sand nous avait dit à ce propos :

« Lorsque je n’étais pas encore mariée, je voyais quelquefois Solange, parce que mon père la connaissait dès son enfance. Mais quand j’ai épousé Maurice, Mme Sand me dit : « Mon enfant, tu ne dois pas la voir, parce que si elle vient chez toi, cela voudra dire qu’elle nous fâchera tous les uns contre les autres, c’est ainsi qu’elle est. » Je ne la voyais donc pas, d’autant plus que Maurice me l’avait défendu[503]. Il ne la voyait pas alors, non plus. On ne se vit qu’en 1870, au moment de la guerre… » Et lorsque la jeune Mme Lina avait prié Mme Sand de recevoir Solange, disant qu’elle avait peut-être changé en mieux et n’était peut-être « pas si mauvaise » qu’on le croyait, George Sand refusa longtemps d’acquiescer à cette prière, disant : « Prends garde, il n’en résultera rien de bon, mais sûrement beaucoup d’ennuis… »

Après la mort de Mme Émilie Chatiron, Solange acheta à sa fille, Mme Simonnet, Montgivray et s’y installa à proximité de Nohant. Ce voisinage inquiéta beaucoup Mme Sand. Effectivement, Solange apparaissait de temps en temps à Nohant et chacune de ces « apparitions » était signalée par quelque ennui. Elle critiquait tout ce qui se faisait à Nohant, trouvait mauvais tout ce que faisait sa mère : tout le monde était sur le qui-vive quand elle était là. Les années suivantes elle prit l’habitude de venir de grand matin, elle passait par l’entrée de service et s’introduisait auprès de sa mère endormie, lui disant plus tard : « Ah ! maman, tu es bien mal gardée, je suis venue t’embrasser, mais on aurait pu t’assassiner que tu ne l’aurais pas entendu. » Mme Sand avait en effet un sommeil très dur. Ces propos lui étaient très désagréables. De plus, elle était très confiante, ne cachait rien, et Solange, en entrant chez elle, lisait ce qu’il y avait sur la table. Les domestiques laissaient passer Mme Clésinger, comment ne pas laisser passer la fille de la maison qui vient embrasser sa mère ? ! Et comment dire aux servantes de ne pas la laisser entrer ? Mme Sand était très mécontente, et d’autre part c’était très désagréable pour Maurice et pour Lina. Afin de remédier à cela, la petite Aurore se levait de très grand matin, s’asseyait près de la porte de sa bonne mère et ne laissait entrer personne chez elle, pas même Solange, malgré toutes ses instances…

En 1868, George Sand avait donc refusé de voir sa fille. Mme Adam ne la fréquentait pas, mais au moment où Mme Sand allait arriver aux Bruyères, Solange vint à Cannes « en bonne fortune », c’est-à-dire accompagnée d’un monsieur qui la « promenait ». Mme Adam s’empressa de tranquilliser Mme Sand.

Pour Solange, je l’ai en sainte horreur, car c’est elle qui répand le plus de calomnies sur vous et qui se plaît avec un art de méchanceté inouïe, à les faire rebondir quand elles sont lancées. Pour Mérimée je sais qu’il vous évitera avec plus de soin que vous n’en mettrez à l’éviter.

Mais Solange s’empressa de déclarer à l’un des amis de Mme Adam qu’elle saurait bien empêcher sa mère de venir chez Mme Adam, Mme Sand refusant de la voir depuis une année, il lui était impossible d’admettre qu’elle lui infligeât ici cette humiliation.

Mme Sand, ajoute Mme Adam, après avoir transcrit ces mots, m’avait parlé plus d’une fois de sa fille. Elle souffrait cruellement de sa conduite. Le pire est que des questions d’argent étaient parfois mêlées à ses liaisons. Mme Sand qui était rien moins que riche, ayant toujours tout donné et si peu gardé, lui faisait une rente de 6 000 francs pour qu’elle n’ait pas le prétexte de la pauvreté pour commettre certains actes. J’ai plusieurs fois rencontré Mme Clésinger. Elle est grande, très belle personne, avec des traits masculins ; elle ne peut passer inaperçue tant elle frappe par quelque chose de personnel, d’original, de particulier. Elle a beaucoup d’esprit, trop cru, dit-on. L’intelligence éclate dans sa physionomie et la hardiesse dans ses yeux… Après sa séparation, Solange, qui n’avait jamais été bonne, était devenue mauvaise.

Chaque fois qu’elle arrivait à Nohant, me disait Mme Sand, il ne lui fallait pas huit jours pour nous rendre à tous la vie impossible. Elle entre-croisait de façon si perfide et si habile ses dénonciations de chacun à chacun que l’on finissait par se détester sans pouvoir en trouver une raison majeure. Jusqu’aux coqs devenaient plus batailleurs, jusqu’aux chiens étaient plus hargneux durant le séjour de Solange…

Cela fait que le 12 janvier 1868 George Sand écrivit à Mme Adam qu’outre le grand froid et le désir de ne point abandonner seule à Nohant sa Lina (qui attendait alors la venue de son troisième[504] enfant, Gabrielle), il y avait encore une raison spéciale qui retardait le voyage aux Bruyères :

« … Il y a quelqu’un à Cannes (une personne qui me touche de près) et près de qui je n’aime pas à me trouver en province. Vous me comprenez. J’attends donc qu’elle parte, que chez moi on se porte bien et que moi-même je sois en état de partir sans maux d’entrailles, chose très grave pour moi. Tout cela n’est pas ma faute et mon désir d’aller à vous n’est pas moins vif, au contraire. J’irai, mais fixer le jour est encore impossible. J’ai fort à faire à Paris et je ne puis m’y rendre…

… La personne dont je vous parlais m’a écrit pis que pendre sur votre climat, sur votre habitation perchée dans les airs, etc. N’allez pas croire que je me soucie de cela. S’il fait froid aussi dans le Midi — et je m’y suis toujours attendue — je m’en moquerai bien quand je me porterai bien… »

Mme Sand va enfin venir. Elle me prie de m’informer de la personne qui accompagne Mme Clésinger. Je lui écris que c’est le prince X… qui la « promène ». Et elle me répond :

« Justement le promeneur actuel de cette dame est le plus grand fou et le plus grand sot qui existe, malgré beaucoup d’esprit, de talent et de bonté… En outre il n’a aucune idée des convenances morales quelconques et ne manquerait pas de venir me parler comme si de rien n’était. Il faut absolument qu’ils soient partis pour que je parte. Mes paquets sont toujours là qui me regardent d’un air d’impatience. Avertissez-moi, chère enfant, dès que ces voyageurs seront en route. Je vous aime et je vous embrasse tous les trois… »

Je confesse que j’aurais volontiers envoyé au diable Solange et son « promeneur ».

Enfin la difficulté fut levée : Lina Sand, malgré sa grossesse avancée, insista pour que Maurice accompagnât sa mère. Maurice « au besoin saurait empêcher les persécutions et les bravades ». Et puis il se trouva que « le monsieur » n’était pas celui qu’on pensait », disait George Sand dans sa lettre du 7 février 1868.

C’est ainsi que vers la mi-février George Sand put se rendre aux Bruyères, avec Maurice et Maxime Planet. Plauchut, qui séjournait chez son frère à Nice, les rejoignit chez Mme Adam.

On lit avec un plaisir extrême la description de ce séjour de George Sand au Golfe Juan dans le livre de Mme Adam : Mes sentiments et nos idées avant 1870, dont nous avons cité tant de belles pages. On y apprend non seulement tout l’historique des relations entre les deux femmes illustres, on y lit encore une quantité de lettres inédites de George Sand des plus curieuses, des résumés presque sténographiques des causeries entre George Sand et Juliette Adam ou Juilliette des Bruyères, soit chez elle, soit à Nohant, durant les séjours qu’elle et sa famille y firent en 1868, 69 et 70. On y trouve aussi de magnifiques pages émues et profondément senties, caractérisant George Sand comme écrivain et comme femme, « bienfaitrice et bienfaisante » par ses idées, ses tendances, aspirant toujours à s’élever plus haut et à aider les autres à acquérir une plus haute conception de la vie. Enfin on lit dans ce livre charmant le récit d’un voyage que M. et Mme Adam et Mlle Alice Lamessine firent avec Mme Sand et Plauchut dans les Ardennes, à la frontière belge, où ils visitèrent les célèbres grottes de Han, le champ de Waterloo et les Dames de Meuse. George Sand plaça dans ce pays l’action de son roman Malgrétout.

Puis, Mme Sand revisita encore une fois l’Auvergne et la Savoie, toujours en vue de chercher un cadre pour ses nouveaux romans. En 1872 elle alla à Cabourg afin « d’y plonger » un reste de coqueluche dont ses petites-filles et elle-même avaient été atteintes cet été.

Nous avons déjà dit (voir notre volume Ier) que ces paysages, ces montagnes, ces vallées et ces hameaux consciemment « pris sur nature » tout à fait comme par un adepte de l’école naturaliste ne produisent jamais l’impression ineffaçable laissée par les descriptions du Berry ou de Venise, qui s’étaient imprégnées inconsciemmemt dans le souvenir de la grande romancière.

La vie paisible à Nohant, vouée exclusivement aux intérêts scientifiques et artistiques, fut brusquement interrompue par la guerre de 1870 et les horreurs de la Commune et de sa répression.

Mme Sand accueillit l’ouverture des premières hostilités avec un sentiment de révolte et de profonde indignation.

Je trouve cette guerre infâme, — écrit-elle le 26 juillet à Flaubert, — cette Marseillaise autorisée, un sacrilège. Les hommes sont des brutes féroces et vaniteuses ; nous sommes dans le deux fois moins de Pascal ; quand viendra le plus que jamais ? [505].

Nous avons ici 40 et 45 degrés de chaleur à l’ombre. On incendie les forêts : autre stupidité barbai-e ! Les loups viennent se promener dans notre cour, oîi nous les chassons la nuit, Maurice avec un revolver, moi avec une lanterne. Les arbres quittent leurs feuilles et peut-être la vie. L’eau à boire va nous manquer ; les récoltes sont à peu près nulles, mais nous avons la guerre, quelle chance ! L’agriculture périt, la famine menace, la misère couve en attendant qu’elle se change en Jacquerie ; mais nous battrons les Prussiens. Malborough s’en va-t-en guerre !

Tu disais avec raison que, pour travailler, il fallait une certaine allégresse ; où la trouver par ce temps maudit ? Heureusement, nous n’avons personne de malade à la maison. Quand je vois Maurice et Lina agir, Aurore et Gabrielle jouer, je n’ose pas me plaindre, de crainte de perdre tout.

Je t’aime, mon cher vieux, nous t’aimons tous…

C’est absolument la même indignation douloureuse, le même regret de voir deux peuples chrétiens piétiner toutes les lois humaines et divines, qui se laissent voir dans les notes de George Sand journellement jetées sur le papier du 15 septembre 1870 au 10 février 1871, tantôt une page, tantôt rien que quelques lignes ; elles furent imprimées en 1871 dans la Revue des Deux Mondes, puis en volume sous le titre de Journal d’un voyageur pendant la guerre. George Sand écrivit ce journal tant à Nohant qu’à La Châtre et à Boussac où elle avait emmené sa petite famille, une épidémie de petite vérole noire ayant éclaté alors à Nohant, comme en beaucoup d’autres endroits de France.

Il est très curieux de confronter la première partie de ce Journal avec le roman de Nanon paru en 1872. Il est très probable que Nanon, ébauchée en 1868 et dont l’action se passe à la même époque que celle de Cadio, prit sa forme définitive, sous l’influence des observations faites, en 1870. On y retrouve le reflet de la guerre aux Allemands, projeté sur le paisible Berry éloigné des hostilités. Car nous voyons dans Nanon, à rencontre de ce qui se passe dans Cadio, comment dans un coin du Berry éloigné du théâtre de la guerre (guerre civile ici), les événements agissent indirectement sur la vie de la population, comme s’ils ne l’effleuraient que légèrement de leurs ailes noires, sans changer le cours paisible de l’existence laborieuse de ces humbles et simples gens. Et cependant ces grands cataclysmes sociaux ont leur contrecoup dans la conscience et la raison des personnes demeurées tout à fait à l’écart de toute politique, de toute participation à la vie publique.

C’est cette même idée qui dicta à George Sand le début de son Journal d’un voyageur pendant la guerre. Elle envisage les événements qui viennent d’éclater, très impartialement, elle s’indigne de voir deux peuples civilisés, laborieux, vivant paisiblement côte à côte, se ruer soudain l’un contre l’autre comme deux bêtes féroces, parce que la volonté de leurs gouvernements, la politique personnelle de leurs chefs, les intrigues diplomatiques auxquelles ils restent étrangers l’ont voulu ainsi Puis le cours des événements empoigne l’écrivain, son ton devient d’abord patriotique, puis chauvin et ses articles prennent un caractère belliqueux propre aux écrivains de tous les pays et de tout peuple en temps de guerre, et surtout de guerre malheureuse !

La voix indignée de George Sand fut entendue non seulement de ses compatriotes, mais aussi des ennemis de la France, et, en 1871, en réponse à ses lignes dénonçant certaines actions des Prussiens, il parut à Mayence mie brochure allemande intitulée : Franzôsische Stossseufzer und deutscJie Reflexionen. Eine Antwort an George Sand Aurora Dudevant. (Soupirs français et réflexions allemandes. Une réponse à George Sand, Aurore Dudevant.) L’auteur, M. Ferdinand Haas, y soumettait à une rude critique, quelquefois assez bien fondée, mais le plus souvent tout aussi chauvine, et en tout cas très désobligeante comme ton, — côtoyant l’indécent et le comique, — les idées et les sentiments que George Sand émettait dans son Journal.

Nous ne nous arrêterons point sur ces articles de la grande femme, ils portent trop l’empreinte de leur époque, ce qui rend leur signification temporaire[506]. La seconde partie, écrite après la guerre de Prusse et la guerre civile, présente une bien autre valeur. Toutes les péripéties de la guerre des partis, toutes les teintes des opinions politiques se reflètent dans ces derniers chapitres du Journal d’un voyageur, ainsi que dans les Impressions et souvenirs qui lui font suite.

L’invasion étrangère de 1870 inspira encore une œuvre à George Sand. C’est son roman Francia dont l’action se passe lors de l’invasion des « alliés » en 1815. On y voit apparaître une espèce de général russe caricaturé de la façon la plus singulière, — quelque chose entre le « russe, mangeur de chandelles » si répandu dans les feuilletons d’il y a un siècle, — et le « général Dourakine » de la « Bibliothèque rose ». Comment George Sand, amie de Louis Viardot, qui non seulement voyagea en Russie, mais encore traduisit si bien Gogol et Pouschkine, l’amie de Charles Rollinat, le traducteur de Tolstoï et Tourguéniew, enfin l’amie de Tourguéniew lui-même, qui vint plusieurs fois à Nohant et dont Mme Sand admirait tant les Récits d’un chasseur, la Nichée de gentilshommes, la Fumée, Roudine[507], Pères et enfants etc., etc., comment George Sand put-elle peindre cet incroyable général Ogokskoï (le nom à lui seul fait rire de pitié tout vrai Russe !) véritable enluminure d’Épinal ! — l’oncle du prince Diomyde Diomyditch Moursakine (nous le disions, cela devait rimer à Dourakine !) non moins grotesque, et pour comble appelé au cours du roman Diomyditch tout court ! Nous ne disons pas cela par chauvinisme ou patriotisme mal entendu, mais pour constater que George Sand avait, en cette occasion, fait preuve de cette même incapacité que parfois les auteurs éprouvent à rendre d’une manière vraie des types étrangers. C’est pour cela que les Japonais s’indignent contre Pierre Loti et sa façon de peindre la vie et les femmes japonaises dans Madame Chrysanthème ; les Italiens, contemporains de Mme Sand, s’étaient révoltés de sa manière de peindre les types italiens dans Daniella. Les Russes ne feront que rire en voyant comment George Sand avait portraituré en guignols grotesques nos héros de 1812-1815.

Les Impressions et souvenirs qui se publiaient dans le Temps du 22 août 1871 au 30 janvier 1875 sous le titre d’Impressions et souvenirs et Rêves et souvenirs, parurent plus tard sous le seul titre d’Impressions et souvenirs. Mais, d’une part, quelques-uns de ces articles furent ensuite — on ne sait trop pourquoi — insérés dans le volume des Dernières pages et dans celui des Questions politiques et sociales, tandis que logiquement et chronologiquement ils ne devraient former qu’une partie intégrale et la conclusion du volume, consacré aux événements politiques de 1870-73.

C’est ainsi que les articles écrits sous l’impression du désastre de Sedan et de la proclamation de la troisième République : Lettre à un ami du 5 septembre 1870 et Post-scriptum à cette lettre, du 7 septembre 1870, un alleluia enthousiaste de La voir enfin triompher et ressusciter, après vingt-deux ans de sommeil léthargique, ces deux lettres, disons-nous, qui ne peuvent faire qu’un avec le Journal d’un voyageur pendant la guerre, sont réimprimées dans le volume des Questions politiques et sociales dont la plus grande partie se rapporte à 1848-49 (sauf deux ou trois articles consacrés aux événements de la guerre pour la liberté italienne de 1859), donc il n’existe entre ces deux lettres et la totalité du volume aucun lien chronologique.

D’autre part : 1° l’article écrit en août 1871 : À propos de la nouvelle lettre de Junius (Alexandre Dumas) à son ami A. D., — polémique contre les opinions de Dumas sur les événements de 1871 — qui doit être de tout point rapproché du chapitre iv des Impressions et souvenirs, écrit à la même date d’août 1871 ; 2° l’article sur Napoléon III, écrit après une excursion hivernale Dans les lois, après la mort de l’empereur, exposant le bilan de toute l’époque napoléonienne, jusqu’à Sedan inclusivement (nous en avons parlé au chapitre ix) ; 3° la Lettre-Préface, publiée en 1873 dans le Rappel et réimprimée à la tête du volume l’Offrande, recueil publié par la Société des gens des Lettres en faveur des Alsaciens-Lorrains restés sans pain et sans abri après la guerre, ces trois articles sont réimprimés dans le volume des Dernières pages. Donc, pour se faire une idée complète des jugements de George Sand sur les événements et ses écrits politiques en 1870-73, on doit consulter : le Journal d’un voyageur pendant la guerre, les Impressions et souvenirs, les Dernières pages et les Questions politiques et sociales.

Enfin, dans le volume des Impressions et souvenirs, cinq chapitres seulement sur vingt-deux (les chapitres ii, iv, vii, xv et xxii et le chapitre xvi, ce dernier consacré en partie à la question féministe) se rapportent aux questions politiques et sociales et aux années 1870-73, tandis que quatre chapitres (i, iii, viii et xvii) exposent la doctrine panthéiste et les idées religieuses de George Sand ; quatre (les numéros vi, xi, xii et xiii) sont consacrés aux questions d’enseignement et de linguistique ; trois chapitres (xiv, xviii et xxi) sont des articles de critique sur les livres de Victor Hugo[508], de Mme Prudence Saman et les romans de Maurice Sand ; le chapitre xix, dédié à Tourguéniew, présente une esquisse littéraire sous forme de récit, sur Pierre Bonnin ; le chapitre xx est une réponse à une épître collective des artistes et des écrivains sur la conservation de la forêt de Fontainebleau, et enfin trois articles (v[509], ix et x) et deux Lettres à Rollinat, (racontant la maladie de Mme Sand en 1860, ses rêves, son délire, son séjour à Tamaris) — sont véritablement des « Souvenirs », surtout les deux derniers articles. Par leur date, leur fond et leur forme ils devraient prendre place parmi les Nouvelles lettres d’un voyageur (tout comme la Lettre d’un voyageur de 1864 à Manceau, Ce que dit le ruisseau et À propos des Charmettes — récit d’une visite à la maison de Rousseau[510]. Et tandis que les vraies Nouvelles lettres d’un voyageur ne font pas toutes partie du volume de ce nom, on y a réimprimé une série de nécrologies d’Amis disparus (Néraud père, Gabriel de Planet : un article et une pièce de vers en son honneur ; Carlo Soliva, la traduction d’un sonnet italien dédié à la mémoire de ce pianiste[511] ; le comte d’Aure ; Louis Maillard ; Ferdinand Pajot ; Patureau-Francœur ; Mme Laure Fleury morte au moment de la guerre avec la Prusse ; etc., etc.), ainsi qu’une série d’articles de critique sur la Langue d’oc, de préfaces (aux livres de Maillard), et enfin plusieurs articles datant d’années diverses (la Foire de La Berthenoux, la Princesse Anna Czartoryska, Utilité d’une école normale d’équitation, À propos du choléra de 1865)[512] et ainsi de suite.

Pour quelle raison tous ces articles et tous ces souvenirs sont-ils ainsi dispersés à travers ces quatre volumes, sans aucun ordre, sans aucun lien logique ? C’est tout à fait incompréhensible. Il serait très facile de classer toutes ces lettres et tous ces articles et souvenirs en quatre groupes : 1° les articles de critique littéraire et les lettres sur l’enseignement trouvent leur place naturelle dans les Questions d’art et de littérature ; 2° tout ce qui se rapporte à 1870-73 dans un deuxième volume soit de Questions politiques et sociales, soit du Journal d’un voyageur pendant la guerre ; 3° toutes les Nouvelles lettres d’un voyageur ainsi que les numéros ix et x des Impressions et souvenirs dans le volume des Nouvelles lettres d’un voyageur ; 4° tous les Souvenirs proprement dits, ainsi que tous les articles philosophiques et toutes les nécrologies dans le volume des Impressions et souvenirs.

Nous avons parlé des chapitres des Impressions et souvenirs ayant trait aux questions particulières ou spéciales dans maints endroits de nos trois premiers volumes et dans le volume présent ; nous nous tournerons maintenant vers les articles politiques et les articles philosophiques. Donc nous parlerons des chapitres ii, iv, vi, xv, xxii pour analyser les idées politiques de George Sand et des chapitres i, iii, viii, ix et x pour connaître sa doctrine religieuse et philosophique.

Les deux lettres politiques formant les numéros iv et vii des Impressions, dont l’une a pour sous-titre : « Réponse à un ami » et l’autre : « Réponse à une amie », s’accordent parfaitement avec les idées émises dans les derniers chapitres du Journal d’un voyageur pendant la guerre. Elles sont, de fait, adressées la première à Flaubert, la seconde à Mme Adam, mais toutes les deux sont une réponse aux magnifiques lettres indignées de Flaubert des 6 et 8 septembre et 12 octobre 1871 qu’on peut lire dans le volume de la Correspondance Sand-Flaubert. Si on lit ces lettres et ces réponses, on n’a qu’à dire d’elles ce que les enfants disent des gâteaux : c’est les deux qui sont meilleurs. Ou plutôt : tous les deux ont raison. Oui, combien a raison Flaubert dans son indignation, dans son courroux contre la stupidité, la lâcheté de la bourgeoisie, l’ignorance, la grossièreté, la brutalité du peuple et des soldats, contre l’immense, la formidable « bêtise universelle », contre l’influence « hébétante » de la presse « qui est une école d’abrutissement » : elle « dispense de penser » ; contre le « pouvoir du nombre qui domine l’esprit, l’instruction, la race et même l’argent, qui vaut mieux que le nombre » ; le suffrage universel tel qu’il est constitué ne sera jamais que « la honte de l’esprit humain, la foule, le troupeau, seront toujours haïssables… » « Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli… Il lit les mêmes journaux et il a les mêmes passions. » Prêcher l’amour aux uns comme aux autres est inutile. « Tant que le suffrage universel sera ce qu’il est rien ne changera. Tout homme si infime qu’il soit a droit à une voix, la sienne, mais cela ne veut pas dire qu’il soit l’égal de son voisin lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise industrielle chaque actionnaire vote en raison de son apport. Il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset. L’argent, l’esprit et la race même doivent être comptés, bref, toutes les forces. Or, jusqu’à présent je n’en vois qu’une : le nombre… » « L’instruction gratuite et obligatoire achèvera le « bon peuple «  en faisant augmenter « le nombre des imbéciles. » « Tant qu’on ne s’inclinera pas devant les mandarins, tant que l’Académie des Sciences ne sera pas le remplaçant du pape », c’est-à-dire tant que les prérogatives de la science, de l’instruction ne seront pas reconnues, le mal « est irrémédiable » et aucune république ne sentira à rien. Or, à présent dans la littérature, le théâtre, partout, au lieu de critiquer, de juger les qualités ou les défauts intrinsèques des choses, on ne parle que de leur « morale » ou de leur « utilité ». « L’idée d’égalité (qui est toute la démocratie moderne) est une idée essentiellement chrétienne et qui s’oppose à celle de justice. Regardez, comme la grâce maintenant prédomine. Le sentiment est tout, la justice n’est rien. On ne s’indigne même plus contre les assassins, et les gens qui ont incendié Paris sont moins punis que les calomniateurs de M. Favre. »

« La première injustice est pratiquée dans la littérature qui n’a souci de l’esthétique laquelle n’est qu’une justice supérieure. Les romantiques auront de beaux comptes à rendre avec leur sentimentalité immorale, car eux, comme tout le monde contemporain, ont oublié la justice dans l’éternelle poursuite de la réhabilitation de la pitié « humanitaire », on a fini par expliquer et excuser tous les crimes, toutes les lâchetés. Dans une pièce de Victor Hugo un sultan est sauvé parce qu’il a eu pitié d’un cochon ; « c’est toujours l’histoire du bon larron, béni parce qu’il s’est repenti. Le repentir est bien, mais ne pas faire de mal est mieux. L’école de réhabilitation nous a amenés à ne voir aucune différence entre un coquin et un honnête homme. On s’émeut sur les larrons en oubliant qu’il serait mieux, au lieu de se repentir, simplement de ne pas être larron. Mais non ! on est tendre pour les chiens enragés et point pour ceux qu’ils ont mordus. »

« Du reste de tout temps l’humanité était la même. Le monde doit être haï. Son irrémédiable misère m’a rempli d’amertume dès ma jeunesse. Aussi maintenant n’ai-je aucune désillusion. »

George Sand comprenait parfaitement que « tous les deux ils avaient raison », car Flaubert avait pour lui la vérité de cette raison et elle la vérité du sentiment.

« Mais la France, hélas ! n’est ni avec elle, ni avec lui ; elle est avec l’aveuglement, l’ignorance et la bêtise. » Elle ne pouvait le nier, mais c’est cela justement ce qui la désolait. C’est pour cela qu’elle répondit à Flaubert non seulement par quelques lettres privées, mais encore par les deux lettres publiées dans le Temps, écrites sous forme de Réponses à un ami et à une amie anonymes.

Eh quoi, tu veux que je cesse d’aimer ? Tu veux que je dise que je me suis trompée toute ma vie, que l’humanité est méprisable, haïssable, qu’elle a toujours été, qu’elle sera toujours ainsi ? Et tu me reproches ma douleur comme une faiblesse, comme le puéril regret d’une illusion perdue. ? Tu affirmes que le public a toujours été féroce, le prêtre toujours hypocrite, le bourgeois toujours lâche, le soldat toujours brigand, le paysan toujours stupide ? Tu dis que tu savais cela dès ta jeunesse et tu te réjouis de n’en avoir jamais douté, parce que l’âge mûr ne t’a apporté aucune déception : tu n’as donc pas été jeune. Ah ! nous différons bien, car je n’ai pas cessé de l’être si c’est être jeune que d’aimer toujours.

Et George Sand dit qu’elle ne comprend pas comment vivre en dehors de la vie générale ; les malheurs, les désastres publics ne peuvent pas ne pas se refléter sur l’existence de chaque famille, de chaque homme isolé.

Est-ce qu’on peut s’endormir paisiblement, quand on sent la terre ébranlée, prête à engloutir ceux pour qui on a vécu ?…

Non, non, on ne s’isole pas, on ne rompt pas les liens du sang, on ne maudit pas, on ne méprise pas son espèce. L’humanité n’est pas un vain mot. Notre vie est faite d’amour et ne plus aimer, c’est ne plus vivre.

Le peuple, dis-tu ? Le peuple c’est toi et moi ; nous nous en défendrions en vain. Il n’y a pas deux races, la distinction des classes n’établit plus que des inégalités relatives et la plupart du temps illusoires…

… Ce n’est pas en méprisant notre misère que j’en contemple l’étendue. Je ne veux pas croire que cette sainte patrie, que cette race chérie dont je sens vibrer en moi toutes les cordes harmonieuses et discordantes, dont j’aime les qualités et les défauts quand même, dont je consens à accepter toutes les responsabilités bonnes ou mauvaises plutôt que de m’en dégager par le dédain, non, je ne veux pas croire que mon pays et ma race soient frappés à mort. Je le sens à ma souffrance, à mon deuil, à mes heures même de pire abattement ; j’aime, donc je vis, aimons et vivons…

George Sand prend à cœur tout ce qui se passe en France, elle souffre, se désole, s’indigne, se révolte, s’exaspère. Elle avait prévu ce désastre, elle savait qu’une terrible expiation des jours de folie et d’abaissement attendait la France, mais cette prévoyance ne rend son chagrin ni moins vif, ni moins grand. Elle donne cours à son indignation excitée par la vue des cruautés commises par les Allemands vainqueurs et prédit que cette victoire sera nuisible, néfaste pour l’Allemagne elle-même, car ses triomphes amèneront le règne de la force matérielle primant l’idéal, c’est-à-dire la pourriture ; la décomposition et la défaite morale des vainqueurs. C’est contre cette même force matérielle primant la justice que George Sand proteste, lorsqu’elle proteste contre les faits qui se sont produits dans son propre pays, contre les personnes qui y attisent les passions populaires au profit de leurs intérêts et de leur esprit de parti. Et l’écrivain s’adressant à tous ses concitoyens leur prêche ardemment l’union et l’amour :

Français, aimons-nous, mon Dieu, mon Dieu ! Aimons-nous ou nous sommes perdus. Tuons, renions, anéantissons la politique, puisqu’elle nous divise et nous arme les uns contre les autres ; ne demandons à personne ce qu’il était et ce qu’il voulait hier. Hier tout le monde s’est trompé, sachons ce que nous voulons aujourd’hui.

Si ce n’est pas la liberté pour tous et la fraternité envers tous, ne cherchons pas à résoudre le problème de l’égalité, nous ne sommes pas dignes de la définir, nous ne sommes pas capables de le comprendre. L’égalité est une chose qui ne s’impose pas, Sest une libre plante qui ne croît que sur des terrains fertiles, dans Vair salubre. Elle ne pousse pas de racines sur les barricades, nous le savons maintenant. Elle y est immédiatement, foulée aux pieds du vainqueur, quel qu’il soit. Ayons le désir de l’établir dans nos mœurs, la volonté de la consacrer dans nos idées. Donnons-lui pour point de départ la charité patriotique, l’amour. C’est être fou que de croire qu’on sort d’un combat avec le respect du droit humain. Toute guerre civile a enfanté et enfantera le forfait…

Malheureuse Internationale, est-il vrai que tu croies à ce mensonge de la force primant le droit ? Si tu es aussi nombreuse, aussi puissante qu’on se l’imagine, est-il possible que tu professes la destruction et la haine comme un devoir ?…

George Sand exige instamment une réponse à cette question, disant qu’avec toute la France elle l’a vainement attendue.

Tout en blâmant les moyens, je ne voulais pas préjuger le but. Il y en a toujours dans les révolutions et celles qui échouent ne sont pas toujours les moins fondées[513]. Un fanatisme patriotique a semblé être le premier sentiment de cette lutte… La désillusion fut terrible.

Le premier acte de la Commune est d’adhérer à la paix et dans tout le cours de sa gestion elle n’a pas une injure, pas une menace pour l’ennemi ; elle conçoit et commet l’insigne lâcheté de renverser sous ses yeux la colonne qui rappelle ses défaites et nos victoires. C’est au suffrage universel qu’elle en veut et cependant elle invoque ce suffrage à Paris pour se constituer. Il est vrai qu’il lui fait défaut ; elle passe par-dessus l’apparence de légalité qu’elle a voulu se donner et fonctionne de par la force brutale, sans invoquer d’autre droit que celui de la haine et du mépris de tout ce qui n’est pas elle. Elle proclame la science positive, dont elle se dit dépositaire unique, mais dont elle ne laisse pas échapper un mot dans ses délibérations et dans ses décrets. Elle déclare qu’elle veut délivrer l’homme de ses entraves et de ses préjugés et tout aussitôt elle exerce un pouvoir sans contrôle et menace de mort quiconque n’est pas convaincu de son infaillibilité. En même temps qu’elle prétend reprendre la tradition des jacobins, elle usurpe la papauté sociale et s’arroge la dictature. Quelle république est-ce là ? Je n’y vois rien de vital, rien de rationnel, rien de constitué, rien de constituable. C’est une orgie de prétendus rénovateurs qui n’ont pas une idée, pas un principe, pas la moindre organisation sérieuse, pas la moindre solidarité avec la nation, pas la moindre ouverture vers l’avenir. Ignorance, cynisme et brutalité, voilà tout ce qui émane de cette prétendue révolution sociale. Déchaînement des instincts les plus bas, impuissance des ambitions sans pudeur, scandale des usurpations sans vergogne, voilà les spectacles auxquels nous venons d’assister. Aussi cette Commune a inspiré le plus mortel dégoût aux hommes politiques les plus ardents, les plus dévoués à la démocratie… ils se sont retirés d’elle avec consternation, avec douleur, et le lendemain la Commune les déclarait traîtres et décrétait leur arrestation. EUe les eût fusillés, s’ils fussent restés entre ses mains.

Et toi, mon ami, tu veux que je voie les choses avec une stoïque indifférence. Tu veux que je dise : l’homme est ainsi fait ; le crime est Éon expression, l’infamie est sa nature ! Non, cent fois non ! L’humanité est indignée en moi et avec moi. Cette indignation est une des formes les plus passionnées de l’amour, il ne faut ni la dissimuler, ni essayer de l’oublier. Nous avons à faire les immenses efforts de la fraternité pour réparer les ravages de la haine. Il faut conjurer le fléau, écraser l’infamie sous le mépris et inaugurer par la foi la résurrection de la patrie…

Au milieu de sa lettre Mme Sand faisait une petite allusion à ceux qui se seraient étonnés des opinions émises par elle ou qui les auraient expliquées par un revirement survenu dans ses idées, par sa « désertion de la cause de l’avenir ». Ayant une place de libre discussion dans un grand journal, elle se doit de dire sincèrement son opinion à cette heure terrible, sans se préoccuper de l’impression produite sur ses amis, ses ennemis ou sur ses lecteurs. Quant à ces derniers ils n’ont qu’à la lire en entier et à ne pas la juger sur des fragments cités par des journaux. Elle ne fait pas métier de ses opinions et ne se cache derrière aucun drapeau de parti. L’opinion de ceux qui en font métier n’a aucune valeur.

« Je n’ai pas à me demander où sont mes amis ou mes ennemis. Ils sont où la tourmente les a jetés. Ceux qui ont mérité que je les aime et qui ne voient pas par mes yeux ne me sont pas moins chers. Le blâme irréfléchi de ceux qui me quittent ne me les fait pas considérer comme ennemis. Toute amitié injustement retirée reste intacte dam le cœur qui n’a pas mérité l’outrage. Ce cœur-là est au-dessus de l’amour propre, il sait attendre le réveil de la justice et de l’affection… »

Ce dernier passage a une signification particulière. Plusieurs amis de George Sand, et Fleury à leur tête, sans parler de Quinet et d’autres républicains radicaux, Tient dans le jugement porté par George Sand sur les événements de 1871 la Commune — et la lutte des partis politiques — une apostasie, et lui exprimèrent fort manifestement leur indignation et leur désapprobation. Quant à nous, tout en ayant souligné dans cette lettre le passage démontrant que George Sand avait en effet perdu sa foi de jadis en l’action bienfaisante des barricades pour la cause de la liberté et qu’elle savait trop combien les droits de l’homme étaient peu respectés au lendemain d’un combat et « l’égalité foulée aux pieds du vainqueur quel qu’il fût », nous voyons en même temps dans cette lettre une absolue identité avec les opinions et les sentiments de Mme Sand exprimés en 1848-49 et professés durant toute sa vie.

Mme Sand se souvient dans cet article des paroles prononcées dit-on, à son lit de mort, par saint Jean — son apôtre favori, celui qu’elle cita tant de fois dans ses œuvres et dont l’esprit remplit bien des pages de Spiridion et de Consuelo : « Frères, aimons-nous les uns les autres. » Cette parole est le point de départ d’Aurore Dupin, c’est le point d’arrivée de George Sand à la fin de sa vie. Dès qu’elle toucha aux grandes questions d’humanité, de foi, du bien et du mal, Aurore Dupin se pénétra de la doctrine de saint Jean et l’opposa à celle de saint Pierre, l’apôtre de l’Église militante, intolérante[514]. À la fin de sa carrière, après toutes les épreuves de son existence privée et sociale, après avoir passé par tant de doctrines, de systèmes philosophiques les plus divers et traversé tant de cataclysmes politiques, George Sand resta fidèle à l’enseignement de saint Jean et ce sont les paroles de cet évangéliste qu’elle adresse à ses concitoyens à l’heure terrible de la folie générale et de l’effondrement social. C’est comme le Hic jacet de Spiridion, c’est ici que se trouve la clef de toutes ses opinions politiques, de toutes ses théories sociales. Elle dit dans la lettre à Flaubert, et nous avons déjà cité ces mots dans le chapitre sur 1848 :

Plus que jamais je sens le besoin d’élever ce qui est bas et de relever

ce qui est tombé. Jusqu’à ce que mon cœur s’épuise, il sera ouvert à la pitié, il prendra le parti du faible et réhabilitera le calomnié. Si c’est aujourd’hui le peuple qui est sous les pieds, je lui tendrai la main ; si c’est lui qui est l’oppresseur et le bourreau, je lui dirai qu’il est lâche et odieux. Que m’importent tels ou tels groupes d’hommes, tels noms propres devenus drapeaux, telles personnalités devenues réclames ?

Je ne connais que des sages et des fous, des innocents et des coupables…

Ceci explique ses agissements en 1848-49, les espérances qu’elle fondait sur Louis-Napoléon Bonaparte — le réformateur social — et son horreur devant le coup d’État et le régime de Napoléon III ; son enthousiasme à l’avènement de la République en 1870 et son horreur devant la Commune de 1871. George Sand resta fidèle à elle-même. Elle se déclarait alors un ennemi juré de la politique. Elle le dit sans ambages dans sa Réponse à une amie, le numéro vu des Impressions et souvenirs qui est une suite et une conclusion de sa Réponse à un ami : « Je méprise profondément la politique. »

La question principale que George Sand examine dans cet article c’est ce même suffrage universel qui excitait l’indignation furibonde de Flaubert[515]. George Sand, elle, est bravement pour ce suffrage universel et elle appuie son point de vue par l’exposition de toutes ses croyances, si largement démocratiques et humanitaires. Elle ne se cache pas que le suffrage universel est bien le pouvoir de tous, c’est-à-dire de la masse du peuple, encore grossière, inculte, sauvage, qui comprend mal même ses intérêts directs et se laisse entraîner par le premier aventurier venu ; Mme Sand sait que cette majorité sera toujours inférieure par son niveau intellectuel et moral au petit nombre intelligent. Mais que faire ? On ne peut donc pas revenir en arrière ou même ne se préoccuper que du présent sans songer à l’avenir. Ce qui est fait est fait. Le suffrage universel est un fait de la nécessité historique. Faire un pas en arrière ce serait donner des armes à tous les aventuriers dans le genre de Louis-Napoléon qui arriva au pouvoir par le plébiscite. On ne peut plus reculer. Il faut marcher de l’avant.

Le suffrage universel, c’est-à-dire l’expression de la volonté de tous, bonne ou mauvaise, est la soupape de sûreté sans laquelle vous n’aurez plus qu’explosions de guerre civile. Comment ? ce merveilleux gage de sécurité vous est donné, ce grand contrepoids social a été trouvé et vous voulez le restreindre et le paralyser ? Vous représentez l’intelligence et vous en rejetez la base qui est le bon sens ? Non, vous croyez sincèrement qu’un échelonnage de votes partant de l’ignorance arriverait à nous donner la prépondérance du savoir. Vous en avez fait l’expérience sous le règne bourgeois de Louis-Philippe. L’éligible privilégié vous a donné une suite d’assemblées contre lesquelles je vous ai vue aussi irritée que vous Fêtes contre celle d’aujourd’hui…

En protestant contre ceux qui voudraient que la minorité intelligente fût considérée l’égale en nombre de voix de la masse inculte, ce qui dépouillerait de tout droit la plèbe rurale, en n’attribuant ce droit qu’aux habitants des villes, George Sand trouve que les républicains qui conseillent ceci ne sont dignes que d’être relégués avec les légitimistes. Ce ne sont pas de vrais républicains.

Nos principes, à nous, ne sont entre leurs mains que des armes de guerre civile. Ils appellent leurs compromis et leurs fluctuations moyens politiques. Je l’ai dit tout à l’heure, je maintiens le mot brutal : la politique n’est plus de nos jours que l’art de parvenir. J’ai pour elle le plus profond mépris qui soit jamais entré dans une âme humaine…

Puis, revenant aux opinions d’un ami, un très grand esprit — c’est-à-dire à celles de Flaubert — qui lui reproche de ne pas sentir assez vivement le principe de la justice, elle proteste contre l’idée de pouvoir

par des moyens légaux assurer le règne de l’intelligence au nom de la justice qui veut le pouvoir entre les mains des plus capables.

…Je nie que la loi ait mission d’imposer ses moyens. Si l’Etat doit prononcer la valeur des individus, nous voici en pleine théocratie. L’État punissant le crime et récompensant la vertu, ce n’est plus le règne des lois, c’est la dictature, c’est la terreur, c’est un homme ou un groupe d’hommes décidant de ce qui est mai et de ce qui est bien à sou point de vue, imposant ses croyances, décrétant un culte de sa façon ou s’opposant avec violence à toute espèce de culte ; c’est la Commune de 1791 ou celle de 1871. C’est aussi la royauté de droit divin mettant à mort les hérétiques. C’est enfin la suppression absolue de l’État, c’est-à-dire de la base des sociétés et de ce qui constitue le droit de tous et le droit de chacun.

En passant, George Sand rejette également la doctrine de Louis Blanc, « utopie de jeunesse que j’ai partagée et je ne m’en repens certes pas », exigeant de la paît des capacités « les devoirs plus étendus qu’au vulgaire ».

L’État ne peut obliger personne à faire le bien. L’État n’est pas une personne meilleure et plus sage qu’une autre ; c’est un contrat qui doit prévoir tous les cas d’empiétement des droits réciproques et il ne faut pas que sous le titre honorable de devoir, le droit de chacun dépasse le droit de tout autre, quel qu’il soit.

George Sand arrive donc à conclure ceci :

Laissons faire le droit naturel ; c’est bien assez, car l’inégalité de fait est monstrueuse et repose principalement sur l’inégalité de l’éducation. L’État doit décréter l’éducation gratuite, je ne dirai pas tout à fait obligatoire, mais inévitable. L’État, qui consacre la hberté absolue pour le travail matériel, ne peut refuser à l’homme les moyens d’acquérir l’emploi de ses facultés intellectuelles, ce serait lui enlever l’exercice d’un droit naturel. L’État a pleinement mission de nous rendre tous propres à devenir égaux en fait, mais il ne peut faire que nous le devenions, et s’il crée des inégalités sociales, celles de la nature aidant, il consacre le plus effroyable despotisme et recommence le passé.

Faisant une allusion aux paroles de Flaubert (sur les « mandarins » devant lesquels il faudrait qu’on « s’inclinât », sur l’Académie qui devrait « remplacer le pape » et sur l’assertion que la grande Révolution avait « avorté » parce qu’elle provenait du christianisme du moyen âge et que l’idée de l’égalité était contraire à l’idée de justice » ), donc, lançant une pierre dans le jardin de Flaubert, George Sand continuait ainsi :

Je ne veux pas plus laisser dire à l’Académie des Sciences qu’à Louis XIV : « L’État, c’est moi. » La tyrannie de l’intelligence n’autorise certes pas celle de la bêtise, mais elle la rend inévitable, elle l’appelle irrésistiblement, car tout abus engendre un abus contraire. L’histoire nous le démontre à chacune de ses pages et c’est le cas de dire avec les bonnes gens : Nous sortons d’en prendre.

Puis, développant la pensée qu’elle avait émise dès 1848, dans la préface de la Petite Fadette (et que Tolstoï avait de nos jours proclamée dans son article « les Sciences et les arts » ) et poursuivant mentalement sa polémique contre Flaubert, George Sand proteste en même temps contre l’aristocratie intellectuelle des poètes et des savants, contre tous ceux qui trouvent que :

Raisonner avec l’ignorant c’est perdre un temps précieux, travailler à éclairer le premier venu, c’est se rendre ridicule ; nous causons pour les érudits, nous écrivons pour les lettrés, nous sommes aristocrates des pieds à la tête, nous dirons à la société : « Délivrez-nous de ces goujats qui ne sauraient nous comprendre, faites-nous une représentation comme celle d’avant 89 où l’on délibérerait par ordre et non par tête… » George Sand se moque donc de tous ceux qui trouvent que cet ordre de choses serait « très équitable et très républicain. » Non, cette opinion-là ne vaut rien ! Le plus simple serait « de confier au progrès des mœurs et au dégagement de l’opinion le soin de décider des choses dont seuls ils sont les maîtres et les juges. »

Ce que vous voulez, ce droit de l’intelligence à la direction sociale, personne n’a le droit de l’imposer, mais tous ont le pouvoir de l’appliquer et ceci vous regarde, rois de l’esprit, prêtres de la science, artistes et lettrés, favoris du public, élite de la France ! Imposez-vous ! Soyez plus forts que l’ignorance et prouvez que vous l’êtes. Artistes, faites des chefs-d’œuvre, savants, faites des découvertes sérieuses, évidentes ; économistes et législateurs, portez la lumière dans notre chaos politique et financier ; qui donc se refuse aux bienfaits que vous tenez dans vos mains ?

Quant aux plaintes de ceux qui, comme Flaubert, disent qu’il est difficile de faire n’importe quoi, car on se butte à chaque pas

à l’indifférence d’une nation plongée dans les préjugés et les routines de l’ignorance, Mme Sand leur répond : « Donc, il faut lui donner le plus d’instruction possible. Aidons-la, c’est nous aider nous-mêmes. »

George Sand s’étonne que les gens développés et intelligents éprouvent un dégoût invincible pour les ignorants et les nuls, tandis que tout dans la nature se complète et s’équilibre, et elle revient à l’idée qu’elle avait émise dans sa Réponse à un ami, ainsi qu’au commencement de sa Lettre à une amie :

Oui, aimer quand même, je crois que c’est le mot de l’énigme de l’univers. Toujours repousser, toujours surgir, toujours renaître, toujours chercher et vouloir la vie, toujours embrasser son contraire pour se l’assimiler, faire à toute heure le prodige des mélanges et des combinaisons d’où sort le prodige des productions nouvelles, c’est bien la loi de la nature.

Et tout en conseillant à chacun de toujours tendre à s’élever, à s’améliorer, elle croit encore que

tout homme qui sait quelque chose devrait essayer de l’apprendre à un autre homme qui ne sait rien. Ce serait très facile, à la condition d’aimer cet ignorant, parce qu’il est homme et non de le mépriser parce qu’il est ignorant. En instruire plusieurs, en instruire beaucoup est difficile. C’est la plus belle des professions et, quand même on peut s’y consacrer tout entier, les effets sont lents, la tâche pénible. Mais quelle est la chose utile qui ne soit pas longue et difficile à réaliser ?…

George Sand appelle donc tous les hommes de bonne volonté à cette tâche d’amour et de justice. Puis lançant un nouveau trait contre Flaubert, elle déclare : « Quoi de plus monstrueux, de plus injuste, de plus grossier, de plus contraire au sentiment que le sentiment qui vous porte à réclamer contre la prépondérance du nombre ? » Elle remarque qu’il serait impossible après la Révolution qui proclama les droits de l’homme, après la révolution de février qui renversa le pouvoir de l’argent, de revenir à l’essai manqué de l’adjonction des capacités.

On reconnut que… l’État n’avait ni le droit ni le pouvoir de faire un choix, de favoriser des classes, des corps, des professions. Il n’y avait qu’une solution possible, équitable et large : le droit de tous, et il fut consacré avec tous ses inconvénients, tous ses périls, toutes ses menaces.

La situation n’a pas changé depuis ces jours et quoique alors c’avait été une grande faute politique de proclamer le suffrage universel, les amis de la République doivent maintenant « endosser » cette noble faute :

Avec toutes ses conséquences et tous ses inconvénients et dans le préjudice même qu’elle avait porté jadis au gouvernement républicain ils doivent voir sa nécessité historique, l’inéluctable puissance et la vérité, plus forte que ce gouvernement même. C’est pour cela que tout le monde doit se séparer de l’idée politique, abandonner tous les intérêts de partis et s’unir au nom de l’idéal républicain parce que « la forme républicaine est la seule qui convienne à une nation qui se respecte », l’opinion républicaine fait de grands progrès en France, « elle se répandra et croîtra d’année en année, les erreurs et les fautes adhérentes à cette forme, au contraire, décroîtront. »

Mme Sand conseille à tout le monde d’imiter l’exemple de M. Thiers qui, avec une force de caractère étonnante, a adopté

la forme républicaine comme nécessaire et respectable, contrairement à ses sentiments personnels. C’est la première fois qu’on a vu au pouvoir un homme faisant abnégation de ses opinions et de ses sympathies, non pour plane à un parti, mais pour se dévouer au salut d’une nation…

Et Mme Sand clôt sa lettre en répétant, encore une fois, qu’il faut éclairer l’ignorance et lui pardonner au lieu de la punir.

Ces deux lettres de George Sand n’ébranlèrent certes point l’opinion de Flaubert, tout comme les lettres et les réponses de Flaubert ne changèrent ni les sentiments ni les idées de Mme Sand. Chacun resta fidèle à sa pensée. D’autre part, cette polémique n’altéra pas les relations des deux amis. Ces articles de George Sand accueillis par les républicains avec une chaude approbation, soulevèrent une véhémente indignation parmi les radicaux intransigeants. Mme Sand ne s’en émut point, et dans le chapitre xv de ses Impressions et souvenirs elle revint encore aux idées émises à la fin de la lettre numéro vii.

Ce chapitre xv, intitulé « Révolution pour l’idéal », renferme cette pensée : Chaque parti a du bon et beaucoup de mauvais, d’étroit et de mesquin, d’égoïste et de personnel ; chaque parti a sa raison d’être à un certain moment donné, mais il n’a aucune raison de devenu* un parti prédominant. Après les horreurs de 1870-71 le cléricalisme sembla à beaucoup de gens salutaire, parce qu’il promettait la paix à tous ceux qui avaient soif de calme, de repos intérieur. Mais gaie ! S’il arrive au pouvoir ! Le radicalisme a pour lui une énorme majorité en France, parce qu’il a le plus de points de rapport avec l’idée républicaine, mais lui aussi, il doit rejeter beaucoup d’erreurs passées, d’excès et de traditions qui révoltent la conscience du présent, il doit s’appliquer surtout à ne plus être l’antithèse du cléricalisme par ses « passions et son intolérance ». Fraternité ou la mort, cette pensée est jusqu’à présent encore comprise par beaucoup de gens non pas dans le sens « combattre pour la fraternité ou mourir », mais bien dans celui : « Soyez nos frères ou mourez », ce qui présente un attentat à la conscience humaine. Il n’y a dans ces mots ainsi compris ni fraternité, ni égalité, ni liberté, mais uniquement violence et étroitesse de principes de parti. L’adhésion de beaucoup de radicaux au libéralisme représenté par Thiers, prouve à l’auteur que ceux-là ont compris la nécessité de reconnaître leurs anciennes erreurs et de travailler au salut de la France.

Quant à la Commune, George Sand ne la considère pas comme un parti, parce qu’elle ne présente point une idée formulée, un principe commun à tous ses adeptes, mais rien qu’un « fait matériel » ; elle « ne se discute donc pas ». C’est dans le parti républicain modéré que George Sand voit uniquement un élément vital et durable de la France contemporaine. Lorsque le centre gauche et le centre droit se fondront ensemble, alors seulement entrera en scène la vraie question, la question sociale. Mme Sand établit les étapes principales de cette véritable « égalité républicaine », vers laquelle doivent tendre tous les amis du peuple. C’est d’abord :

L’instruction gratuite et laïque pour tous, c’est-à-dire libérale. L’égalité consistera donc à donner à tous les moyens de développer leur valeur personnelle, quelle qu’elle soit, pourvu que ce soit une valeur et non une inertie… Cela implique aussi la lutte « contre la misère qui subjugue toutes les capacités du travailleur, l’excès de travail ne lui permet pas de développer ses facultés ».

L’auteur prévoit que la classe inférieure, en quête de ses droits, étant ignorante, se portera peut-être encore à des excès ; mais il y a des moyens de combattre ce mal : l’organisation du travail et des tribunaux de travail qui examineront les différends entre travailleurs et propriétaires et rendront inutiles toutes les grèves.

George Sand voudrait enfin qu’on organisât une grandiose souscription nationale ou qu’on décrétât un impôt pour fonder quelque magnifique institution destinée à émanciper le peuple, à l’arracher à l’ignorance et à la misère. On a trouvé cinq milliards pour payer l’ennemi ; on doit trouver dix fois plus pour accomplir l’œuvre sociale indispensable : l’établissement de la véritable égalité. Ceci serait le commencement d’une nouvelle révolution pacifique, la révolution pour l’idéal.

Le chapitre xxii et final des Impressions et souvenirs est aussi consacré à cette lutte des partis politiques qui trouva son expression dans les orageuses séances de la Chambre du 6 novembre au 2 décembre 1872 et se termina enfin par l’inauguration définitive de la République et de la présidence de Thiers.

Ce chapitre xxii commence par un ravissant morceau autobiographique : la description d’une excursion hivernale entre deux nuages, en compagnie de Maurice, des deux petites filles et de Sylvain, le vieux cocher, entreprise pour chercher dans la forêt des chenilles et de rares fleurs tardives. Et tout à coup, à propos d’oiseaux, George Sand passe aux querelles parlementaires des dernières semaines, soudain apaisées (c’est pour cela que tout ce chapitre porte avec raison, au propre comme au figuré, le titre d’Entre deux nuages). Selon l’auteur toute cette lutte parlementaire se résume par la lutte de deux opinions : « L’une affirme que l’homme doit se soumettre à un principe d’autorité placé en dehors de l’homme ; l’autre que l’homme doit tirer son autorité de lui-même. » Il est évident que George Sand, sans broncher, se range parmi les champions de cette dernière opinion. Elle réfute fort spirituellement les prétentions, alors renaissantes, des monarchistes ; elle reproche aux « gauches » leurs querelles et leur manque d’union, et encore une fois elle cite l’exemple de Thiers, qui présente l’image d’un entier désintéressement, sait « dans sa probité politique » et par « respect de la liberté humaine sacrifier sa personnalité, ses sympathies et ses croyances au salut général et à l’amour du pays », et ne songe à aucun parti.

…Donc ce matin la brise est pour nous à l’espérance, continue Greorge Sand en mêlant dans une phrase les deux sujets de sa narration, et nous arrivons au bord de l’étang qui est pour nous le but de notre course de deux heures…

… À peine en voiture, les petites filles s’étendent sur leur banquette, on les enveloppe et, tenant leurs poupées dans leurs bras, elles ne font qu’un somme jusqu’au gîte. Mais quel appétit et quel bal le soir jusqu’à neuf heures ! — écrit plus loin Mme Sand, en redevenant bonne mère.

Puis de nouveau, sans aucune transition, elle reparle de « l’horizon politique ».

Il avait été sombre et couvert de nuages comme le ciel réel, mais voici qu’au l « r décembre il y a un jour d’éclaircie dans la nature comme dans la politique. Il faut savoir goûter ces moments de calme et de repos.

Voilà comme nous avons fêté le 1er décembre et la fin d’une crise qui ne fait que commencer. Serons-nous gais dans trois jours ? La vie coule ainsi entre deux rives menaçantes et quand on a savouré un jour de repos, de soleil et d’espérance on se dit que c’est toujours cela de pris. N’est-ce pas l’image de la situation générale ? Prenons-les ces jours de grâce et de merci. C’est Dieu qui nous les donne, puisqu’il nous a donné une âme pour en apprécier la beauté et un corps pour en apprécier la bénigne influence…

Et jusqu’à la fin de cette Lettre se suivent et s’enchaînent tantôt des pages peignant les douces nuits tièdes, les étoiles filantes, tantôt des passages consacrés à la politique, puis des lignes sur Sylvain, le cocher « qui est dans la maison depuis 1845 et qui est plutôt le maître que le valet de la famille », tous ces morceaux enchaînés au gré de quelque expression venue sous la plume, d’une comparaison heureuse, d’un mot !

À travers tout ce babillage d’apparence légère, à travers tout ce philosophique quiétisme de la vieillesse, luit comme un rayon entre deux nuages, la seule et même pensée : la liberté, l’égalité, l’amour de tous les hommes les uns pour les autres, voilà les vérités éternelles. Et quelque lent que soit leur avènement, quels que soient les nuages qui assombrissent l’horizon, elles brilleront enfin un jour, elles ne périront point, comme le soleil aussi ne périt jamais ; il n’est que caché et invisible, mais il est et il sera, il luira !

George Sand commence plusieurs chapitres de ses Impressions et souvenirs par quelque morceau thé de son journal datant de jours passés, ou par quelque page de mémoires écrits autrefois. C’est ainsi que le chapitre viii est daté de 1841 ; le chapitre iv renferme un jugement sur le règne de Napoléon III et sur l’impératrice Eugénie, soi-disant écrit dès 1860 ; les chapitres ix et x sont deux Lettres d’un voyageur adressées à Rollinat en 1860-61, lors du voyage de Mme Sand à Tamaris ; le chapitre iii reproduit la Lettre écrite de Fontainebleau en 1837, déjà publiée en 1855 dans le volume Fontainebleau[516].

Nous présumons que l’auteur publiait ces morceaux de souvenirs non seulement en qualité d’entrées en matière alléchantes, pour émettre ses opinions philosophiques, psychologiques et religieuses, mais encore pour démontrer le lien existant entre ses idées présentes et les idées de sa jeunesse, ainsi que leur évolution progressive. En effet, si on lit attentivement les pages philosophiques des Impressions et souvenirs, on doit constater comment l’esprit profond, avide de vérité de George Sand ne s’arrêta pas à mi-chemin mais l’amena, en élargissant et en creusant toujours plus avant sa pensée religieuse, à cette conception de l’univers, pénétrée d’un panthéisme calme et d’un doux et chaud amour pour tous les hommes[517].

En dehors de certains passages de ses lettres particulières pouvant nous éclairer là-dessus, les chapitres i, iii, ix et x, mais surtout le chapitre viii des Impressions et souvenirs sont des documents curieux pour étudier la synthèse philosophique et religieuse de George Sand dans les dix dernières années de sa vie. (Nous avons déjà parlé ailleurs[518] du chapitre xviii, consacré à l’analyse des opinions du père Hyacinthe Loyson.)

Les chapitres i et iii, tous les deux datés de 1863, sont comme la suite naturelle aux discussions philosophiques et psychologiques de Mme Sand avec Manceau à Gargiiesse et aux bords de la Creuse, qui trouvèrent leur écho dans la Nouvelle lettre d’un voyageur de 1864. D’autre part, ce chapitre ni traite encore la question des songes, du travail inconscient de la pensée et du libre arbitre, et se rattache en partie aux Lettres ix et x, adressées à Rollinat, spécialement consacrées à des observations et des réflexions sur les rêves. Nous pouvons donc considérer ces quatre chapitres comme une seule œuvre.

Le premier chapitre, daté du 23 janvier 1863 (une petite préface adressée à Charles Edmond et datée de juillet 1871 ne sert que d’entrée en matière à cette série de lettres), ce premier chapitre commence par la peinture d’une soirée d’hiver à Nohant. En la lisant on croit voir ce coin paisible, éclairé par les rayons orangés du couchant qui traversent la dentelle noire des tilleuls effeuillés ; le ciel, encore rouge à l’ouest, tandis que la lune est déjà au zénith, derrière elle monte dans le bleu froid toute la constellation d’Orion, brillante comme un diamant, et plus bas éclate le blanc Sirius, palpitant dans l’éther ; il nous semble aspirer cet air frais et immobile tout imprégné de l’arôme des violettes tardives ; nous éprouvons ce calme que Mme Sand ressentait de tout son être, au point de « craindre » de remuer, de « s’entendre marcher », afin de ne pas « déranger quelque chose dans la nature » : le charme serait rompu. Plus tard, à minuit, elle est encore devant sa fenêtre ouverte. Alexandre Manceau la gronde, craignant de la voir prendre froid. Puis il la presse de lui expliquer à quoi servent ces « muettes contemplations ». Elle assure ressentir au milieu de la nature de si indécises, de si mystérieuses et vagues perceptions qu’il lui semble se détacher de son individualité, vivre de la ie commune avec toute la nature, mais de ne pouvoir ni les définir, ni les transporter, en les formulant, dans le domaine de l’art. Manceau, adepte de l’art plastique, ne la comprend pas. Il va se coucher. Restée seule, George Sand s’efforce, quand même, de préciser, d’expliquer sa « joie mystérieuse ». Il lui semble découvrir que cela provient de son « instinct de la vie universelle », de la parenté ressentie par elle avec le monde matériel, les choses et les êtres. Peu à peu elle formule sa conception de l’univers, nette et complète, sa cosmogonie dans le sens précis du mot. Il est très intéressant de comparer ces pages de George Sand avec les Senilia de Tourguéniew. Les deux auteurs ont évoqué l’impression de l’homme devant la nature. Mais quelle différence entre les sentiments exprimés en présence de cette grande Verte insensible ! Tourguéniew est torturé par l’effroi de la mort. Cette note résonne presque dans toute la série de ses petits « poèmes en prose ». La destruction de son être individuel le désespère et la loi de la mort universelle l’exaspère. Cette nature insensible, qui

Brille de la beauté éternelle au seuil des tombes[519]

et qui est tout autant préoccupée des « muscles d’une cheville de puce » que de l’existence de l’homme, roi de l’univers[520], le révolte, il se récrie contre cette impassibilité, cette indifférence, cette imperturbabilité.

George Sand, elle, se réjouit au contraire de cette marche de la nature, indifférente, incessante, de ce travail sans trêve partout sensible, de cette joie exultante, de ces triomphes, de ces victoires continues, non seulement « au seuil de notre tombe », mais dans cette tombe même. Dans la mort, dans la destruction, elle constate le travail naturel, la reconstruction, la création incessante, le mouvement éternel, donc la vie, éternelle aussi, de tous les éléments de son propre corps, son entière fusion, dans la vie comme dans la mort, avec tout l’univers. Et ces mêmes pattes d’un insecte si soigneusement créées par la nature, si parfaites dans leur destination (ce ne sont pas les pattes d’une puce, mais d’une sauterelle dont parle Mme Sand), la portent non pas à des pensées désespérées, mais à une contemplation joyeuse, pleine de douce lumière, la font se sentir une part indivisible de la vie universelle.

Les moments où, saisi et emporté hors de moi par la puissance des choses extérieures, je puis m’abstraire de la vie de mon espèce, sont absolument fortuits, et il n’est pas toujours en mon pouvoir de faire passer mon âme dans les êtres qui ne sont pas moi. Quand ce phénomène naïf se produit de lui-même, je ne saurais dire si quelque circonstance particulière, psychologique ou physiologique m’y a préparé. Cela arrive certainement à tout le monde, mais je voudrais rencontrer quelqu’un qui pût me dire : « Cela m’arrive aussi de la même manière. Il y a des heures où je m’échappe de moi, où je vis dans une plante, où je me sens herbe, oiseau, cime d’arbre, nuage, eau coulante, horizon, couleur, forme et sensations changeantes, mobiles, indéfinies ; des heures où je cours, où je vole, où je nage, où je bois la rosée, où je m’épanouis au soleil, où je dors sous les feuilles, où je plane avec les alouettes, où je rampe avec les lézards, où je brille dans les étoiles et les vers luisants, où je vis enfin dans tout ce qui est le milieu d’un développement qui est comme la dilatation de mon être. » Je n’ai pas rencontré cet interlocuteur, ou je l’ai rencontré sans le connaître… J’aurais voulu le rencontrer partout à la condition qu’il fût plus savant que moi et qu’il pût me dire si ces phénomènes sont le résultat d’un état du corps ou de l’âme, si c’est l’instinct de la vie universelle qui reprend physiquement ses droits sur l’individu, ou si c’est une plus haute parenté, une parenté intellectuelle avec l’âme de l’univers qui se révèle à l’individu délivré à certaines heures des liens de la parenté. M’est avis qu’il y a de l’un et de l’autre…[521].

…Nous ne sommes pas des êtres abstraits et même rien n’est abstrait en nous. Notre existence s’alimente de tout ce qui compose notre milieu, air, chaleur, humidité, lumière, électricité, vitalité des autres êtres, influences de toutes sortes[522]. Ces influences ont été nécessaires à l’éclosion de notre vie, elles sont encore nous pendant sa durée. Nous sommes terre et ciel, nuage et poussière, ni anges, ni bêtes, mais un produit de la bête et de l’auge avec quelque chose de plus intense dans la pensée de l’un et dans l’instinct de l’autre ; nous ne sommes pas des êtres ravis dans l’idéal au point d’y perdre la volonté et la liberté. Nous ne sommes pas non plus des êtres absorbés uniquement par le soin de la conservation de l’espèce et soumis à des procédés invariables… Nous étudions l’ange, c’est-à-dire la partie sereine et divine de l’âme universelle ; nous observons la bête, y compris la plante, qui est un être sans locomotion apparente ; et à la suite d’une vive attention donnée à cet examen, nous arrivons à sentir matériellement et intellectuellement, l’action que nos générateurs multiples, êtres ou corps, exercent encore sur nous.

Je ne rêve donc pas quand, devant le spectacle d’un grand édifice de roches, je sens que ces puissants ossements de la terre sont miens et que le calme de mon esprit participe de leur apparente mort et de leur dramatique immobilité. La lune ronge les pierres, au dire du paysan ; je dirai volontiers qu’elles boivent la lumière froide de la lune et se désagrègent sourdement la nuit après avoir subi l’action dévorante du soleil. Je songe au travail occulte qui s’opère dans leurs molécules et je me sens porté à leur attribuer le genre de bien-être qui se fait en moi plus rapide, sous l’empire de circonstances analogues. Et moi aussi je suis une pierre que le temps désagrège, et la tranquillité de ces blocs, dont toute l’affaire est de subir l’action des jours et des nuits, me gagne, me pénètre, me calme et endort ma vitalité. À quoi bon vouloir tant de choses inutiles à la tâche quotidienne ? L’éternelle destruction, qui préside à la reconstruction sous un autre mode, est plus active, puisqu’elle est incessante, que ne le sera jamais ma volonté qui procède par bonds. Mourir, ce n’est pas devenir mort, puisque c’est servir à faire autre chose. Mourir, c’est changer d’action, et si l’action continue dans la pierre, dans l’ossement qui paraît ce qu’il y a de plus insensible et de plus mort sur la terre, pourquoi me tourmenterai-je du changement inévitable de ma patience sentie en une patience inerte ? Ce sera bien plus facile, et, à supposer que je n’aie point d’âme, c’est-à-dire qu’une vitalité capable de me reconstruire à l’état humain ne me survive pas, je suis sûr de laisser ma pierre sous le sable, c’est-à-dire un ossement tranquille qui deviendra un élément quelconque de vitalité. Les influences naturelles s’en chargeront. Si la pierre qui a contribué à mon ossature en me fournissant la partie calcaire qui est ma base est une aïeule que je ne puis renier et que je regarde avec un certain respect poétique et raisonnable, la plante qui est un organisme, un être bien antérieur à moi sur la terre, a droit à mon admiration, non seulement par sa grâce ou sa beauté, mais encore par le rôle qu’elle joue dans mon existence. Elle vit d’ailleurs, jusqu’à un certain point, d’une vie analogue à la mienne. Elle ne remue pa « par elle-même, mais elle agit par sa croissance, elle opère son mouvement par une action qui est en même temps une production. Si elle a besoin d’aller trouver un sol plus propice, une lumière plus ou moins vive, elle tire de sa propre substance des branches, des vrilles ou de puissantes racines qui sont en même temps action et moyens d’action[523]

Et en continuant la revue des êtres dans la nature, admirant l’action de toutes sortes d’animaux, George Sand déclare que :

Comme tous ces êtres sont beaux ou intéressants dans leur mode d’existence, on se transporte involontairement dans cette existence qui a l’air de nous enlever au sentiment de la nôtre, mais qui, au contraire la complète et le confirme. Qui n’a rêvé les ailes d’un oiseau ? Je me contenterais plus modestement des pattes du lièvre, ou des bonds relativement immenses de la sauterelle. Je songe aussi au petit bien-être caché du grillon des champs, dont l’appartement est si chaud, si propre, et le masque d’arlequin si sérieux et si comique. Il a un tambour de basque sous les ailes et il paraît heureux comme un sauvage de répéter toujours la même note. Quelle gaieté, quelle folie, le soir, dans un pré fleuri quand toutes les bestioles de l’herbe, rendues à la sécurité par l’absence de l’homme, s’égosillent en conversations dans tous leurs idiomes ! N’a-t-on pas besoin de se taire pour les écouter, faute de pouvoir chanter et causer avec elles ? Mais comme pour décrire l’action incessante et féconde de tout ce qui compose le charme de la nature, il faudrait plus de temps qu’il n’en faut pour l’apprécier et le sentir, ; j’oserai dire demain à mon ami [Alexandre Manceau] que les descriptions littéraires sont de pauvres paroles qui n’expriment pas la millième partie de ce qu’on sent et qu’il y a plus de bonheur à ne rien faire qu’à écrire…

Le chapitre iii continue le colloque interrompu de l’auteur avec son « ami A. ». Manceau a trouvé les pages de la Lettre écrite par Mme Sand en 1837 de Fontainebleau, commençant par les mots : « Me voilà encore une fois dans la forêt, seule avec mon fils… » Dans cette lettre de 1837, en se souvenant, au milieu des rochers et des arbres gigantesques de la forêt, des pages de Senancour consacrées à la description de Fontainebleau et en notant la tendance de Senancour, commune à beaucoup de personnes, de toujours être mécontent de la nature qu’on voit, de ne pas la trouver assez belle, de toujours comparer quelque chose de minuscule, de gracieux, de doux, au grandiose, au vaste, au heurté, de s’attendre au futur, ou de se rappeler, au passé, des impressions extraordinaires, et de laisser passer inaperçu, sans l’admirer durant la minute présente, le vrai beau, — on se prive ainsi de vraies jouissances, on gâte la fraîcheur de ses impressions, — George Sand reconnaît pourtant qu’elle a toujours aimé Obermann et Senancour, « ce génie malade » :

« Je l’aime encore ce livre étrange, si admirablement mal fait ! Mais j’aime encore mieux un bel arbre qui se porte bien. Il faut de tout cela : des arbres bien portants et des livres malades, des choses luxuriantes et des esprits désolés ! Il faut que ce qui ne pense pas demeure éternellement beau et jeune, pour prouver que la prospérité a des lois absolues en dehors de nos lois relatives et factices qui nous font vieux et laids avant l’heure. Il faut que ce qui pense souffre, pour prouver que nous vivons dans des conditions fausses, en désaccord avec nos vrais besoins et nos vrais instincts. Aussi toutes ces choses magnifiques qui ne pensent pas donnent beaucoup à penser… »

Un peu plus haut, elle raconte que, passant des journées entières au grand air, elle n’avait plus que la nuit pour écrire et elle ajoute :

Pour le reste je vis de la vie rationnelle. Je vis dans les arbres, dans les bruyères, dans les sables, dans le mouvement et le repos de la nature, dans l’instinct et dans le sentiment, dans mon fils surtout qui était malade et qui guérit à vue d’œil…

Ayant donc relu avec Manceau cette page vieille de vingt-six ans, George Sand reprend sa dispute avec lui :

Croire que l’on puisse, par la force de sa volonté et de son esprit, se séparer de la vie universelle, se mettre au-dessus des passions, des liens de sentiments, des vices, ne vivre que pax la pensée, être « le roi de la création », c’est, selon George Sand, « le plus grand non-sens qui se puisse dire ». Nous ne sommes ni rois, ni esclaves : nous sommes les membres d’une grande association qui s’appelle le monde, rien de plus, rien de moins.

« Le monde extérieur a toujours agi sur moi », dit-elle plus loin, toutes mes impressions, mes pensées, mes rêves même dépendent de lui : comment peut-on donc parler du libre arbitre absolu ? »

Dès que la toute jeune Aurore Dupin était devenue consciente de sa vie religieuse, elle avait toujours été préoccupée du problème du libre arbitre, de la responsabilité de l’âme devant la loi humaine et devant Dieu. George Sand avait mainte fois soulevé cette question dans ses œuvres[524]. Après cinquante ans de recherches et de réflexions, elle se croit encore dans l’impossibilité de la résoudre définitivement.

Peut-on assurer que nous soyons absolument libres lorsque nous passons plus d’un tiers de notre vie en dormant, et qu’en dormant nous voyons des rêves qui ne dépendent pas, eux aussi, de notre désir de voir ceci ou cela, mais laissent apparaître des choses qui, sous l’influence de notre organisme, dépendent encore du monde extérieur, ont été tirées de ce même monde extérieur, se sont gardées dans notre cerveau et se sont combinées d’une certaine façon, sans aucune participation de notre volonté ? Les gens bien portants voient des rêves périodiquement, les fous toujours, les gens nerveux, les enfants, tous ceux chez qui l’imagination prédomine, très souvent. Et lorsque nous veillons est-ce que nous pouvons toujours être maîtres du cours de nos pensées et partant de nos actions, est-ce que ces pensées ne changent pas parfois entièrement ou ne changent pas de direction, sous l’action du monde extérieur ? La volonté, la volonté guidée par la raison peut certainement faire beaucoup. Mais tout le monde possède-t-il cette volonté raisonnable ? Est-il juste de croire qu’une volonté raisonnable existe chez tout le monde au même degré ? Chez les hommes instruits intelligents, bien éduqués, autant que chez des êtres vivant entièrement en proie à leurs instincts et sous l’influence du monde extérieur ? D’autre part, comment distinguer le moi du non-moi, le moi et l’univers ? Une fois que je suis une partie indivisible du tout et subis l’action des étoiles et de l’air, des plantes et des bêtes, j’agis aussi d’une manière et à un degré inconnus, mais certain sur cet air, sur ces plantes, ces étoiles ou tout ce qui est[525]. Il faut en déduire sans aucun doute d’abord qu’il ne faut demander à personne, et moins qu’à qui ce soit, au poète, l’homme porté à vivre sous l’empire de son imagination et chez qui la rêverie prédomine sui* les pensées et les actions, de toujours pouvoir gouverner ces pensées.

Il est trop naturel que le poète, fort souvent, ne fasse que s’abreuver inconsciemment d’impressions, il s’en pénètre, il vit en dehors de son moi, il ne peut concentrer toutes les forces de son être moral, et ceci lui est tout aussi nécessaire, lui est aussi adhérent que la capacité, le savoir et la nécessité de concentrer, de spécialiser le cours de ses pensées sont le trait adhérent de l’homme voué à quelque autre spécialité, la science, les arts plastiques, la technique.

Puis, il faut en déduire que moins un homme est conscient, moins il est développé, plus il est dominé par ses instincts et moins il est libre par rapport à l’action du monde extérieur sur lui, moins est libre sa volonté et, partant, sa responsabilité devant Dieu, les hommes et le jugement des hommes.

Il faut donc que notre jugement soit développé par l’éducation, afin que nous échappions à cette sorte de fatalité qui pèse sur la vie de l’ignorant ; mais il ne faudrait pas que cette éducation trop stoïque ou trop idéaliste nous conduisît à vouloir rompre absolument avec l’influence de ce qui n’est pas nous-mêmes. Ce serait un essai insensé qui nous conduirait à la folie, au fanatisme ou l’athéisme, à la haine de Dieu ou de nos semblables, à l’orgueil démesuré qui n’est autre chose qu’une privation de nos rapports avec la vie universelle, par conséquent une étroitesse de conception. Il n’y a rien de ce qui paraît être en dehors de nous, qui ne soit nous. Le non-moi n’existe pas d’une manière absolue, par conséquent le moi absolu est une notion fausse. Toute la terre et tout le ciel agissent sur nous à toute heure, et, à toute heure, nous réagissons sur toute la terre et sur tout le ciel sans nous en apercevoir. Tout ce qui est, est réceptacle ou effusion, élément ou aliment de vie. Il faut la respiration de tous les êtres pour que chacun de nous ait sa dose d’air respirable. Les nuages sont la sueur de la terre, il faut que tout y transpire pour que nous ne soyons pas desséchés. Il faut que le petit astre de la voie lactée fonctionne dans le mode d’existence qui lui est départi pour que l’univers subsiste. Comme la goutte d’eau que le soleil irise, nous avons des reflets, des projections immenses dans l’espace. Et moi, pauvre atome, quand je me sens arc-en-ciel et voie lactée, je ne fais pas un vain rêve. Il y a de moi en tout, il y a de tout en moi. Et je n’ai pas la liberté de me séparer de ce qui constitue ma vie. La mort ne m’en séparera pas. Ma volonté ne peut pas m’anéantir…

Le chapitre viii des Impressions et souvenirs est surtout important sous le rapport autobiographique, parce que George Sand y raconte les étapes consécutives de sa pensée religieuse et qu’elle y peint sa conception religieuse définitive. Il est intéressant sous ce dernier rapport, aussi, c’est-à-dire qu’il permet de nous rendre compte de la synthèse religieuse de George Sand dans la dernière période de sa vie. On voit aussi comment elle avait marché et à quoi elle était arrivée.

Les deux premières pages de cette Huitième Lettre sont une vraie merveille de poésie descriptive. Mme Sand, par un beau clair de lune, allume un fagot ; puis, assise au coin du feu dans sa petite chambre bien chaude et confortable, elle voit et sent « que derrière les vitres passe la première gelée de l’année, non pas l’inoffensive gelée blanche, mais la vraie, l’implacable, qui fauche tout en une nuit ».

Puisque ce premier froid et ce premier feu, dit-elle plus loin, m’autorisent à une nuit de paresse, j’en profite pour refaire connaissance avec une personne longtemps oubliée de moi dans ce dernier temps et qui n’est autre que moi. Cette personne qui vit loin du mouvement et du bruit, a des occupations qui l’absorbent souvent et ses récréations appartiennent à une chère famille où elle n’a aucun besoin de se sentir vivre pour exister pleinement. C’est par hasard qu’elle se recueille et s’interroge après avoir souvent évité l’occasion de le faire en se disant : « À quoi bon ? » À quoi bon en effet ? Mais qui sait ? Peut-être doit-on de temps à autre regarder en soi ? On oublierait peut-être ce qui doit y demeurer intact. Il ne faut pas trop se fier à la santé apparente de l’âme…

Et alors l’écrivain repasse mentalement la route parcourue par sa pensée et ses croyances.

Jeune fillette, complètement confiée à elle-même, elle passait des nuits entières à lire dans cette même chambre, et, après avoir lu, elle se chauffait un peu — ce qui n’était pas facile alors — et résumait ses lectures, en s’efforçant de concilier dans son esprit les contradictions existant entre les idées des grands écrivains ou leurs pensées et ses propres croyances.

Élevée au couvent et enivrée de dévotion poétique, elle lisait tranquillement les philosophes, croyant d’abord qu’elle les réfuterait facilement dans sa conscience ; mais elle se prenait à aimer les philosophes et à voir Dieu plus grand qu’il ne lui était encore apparu.

Elle croyait trouver chez ces philosophes la réponse à ses doutes et à ses incertitudes, mais insensiblement ses croyances, d’orthodoxes qu’elles étaient, devenaient individuelles, plus profondes, s’élargissaient.

C’était très vague, mais très grand et chaque fois que revenait la vision, elle se présentait agrandie, comme si la sève eût augmenté dans l’ensemble et dans le détail.

Mais dans cette conception spiritualiste manquait le sentiment personnel envers Dieu.

L’âme rêveuse voulait aimer et la toute-puissance, objet de son admiration, ne suffisait pas à contenter son cœur. Il fallait l’infini de l’amour dans cette création exubérante où la force des renaissances est inépuisable, et le monde qui nous sert de milieu ne manifeste que la lutte des existences empiétant les unes sur les autres…

… Alors l’âme pensive dont je cherche à ressaisir la trace et qui déjà en ce temps cherchait à se ressaisir dans le passé religieux, voulait se relever par la prière. Elle dépouilla la forme arrêtée du catholicisme, elle se fit protestante sans le savoir ; et puis, elle alla plus loin et improvisa son mode d’entretien avec la divinité. Elle se fit une religion à sa taille, à la mesure de son entendement. Ce n’était probablement pas une grande conception. C’était sincère et indépendant, voilà tout le mérite.

Ce qui surnagea sur cette houle, ce qui plus tard et à tous les âges de la vie a surnagé et nagé vraiment sans lassitude, c’est le besoin de croire à l’amour divin… J’aime mieux croire que Dieu n’existe pas que de le croire indifférent…

Quand elle se laissait parfois persuader par ses lectures qu’Il l’était, elle « devenait athée quelquefois pendant vingt-quatre heures ».

Pendant de longues années elle ne parvint pas à résoudre ces problèmes, mais parfois elle eut le bonheur de sentir « le vol de la divinité maternelle passer sur sa tête », elle eut « le sentiment, presque la sensation de la présence divine…

Puis la vie extérieure, les préoccupations et les bouleversements de toutes sortes refoulèrent ces recherches philosophiques, ces doutes et ces élans.

Voulant, à présent, renouer le lien entre ses croyances d’antan et les croyances de sa vieillesse, elle dit qu’au fond, ce lien n’a jamais été rompu, il n’était que relâché.

Il est là, je le tiens, et le dialogue avec l’inconnu recommence, mais sans que je puisse dire où il en était resté, ni quelle fut la dernière parole échangée…

Mais dans ce dialogue avec l’Être suprême il n’y a plus rien qui ressemble à une oraison réglée et dans la conception de cet Être il n’y a aucun trait ressemblant à celui qu’adoraient les anciens, Hébreux ou Grecs, ni à celui qu’on nous enseigne de croire. « Il faut donc ne rien croire de Dieu, ou changer toutes les notions qui nous ont été données de lui. Il faut renoncer à l’interpréter avec nos appréciations, avouer que notre bonté n’est pas sa bonté, que notre justice n’est pas sa justice et qu’il nous a remis le soin de veiller sur nous-mêmes, sans jamais alléger au dehors des lois naturelles, les difficultés et les périls de notre existence.

Elle est en son lieu, elle fait elle-même sa place et sa destinée. Nulle compassion, nulle assistance visible. C’est à nous d’arracher à la nature ses secrets, c’est à la science et à l’industrie humaines de trouver ce qu’il leur faut dans l’inépuisable réservoir où s’élaborent les conditions de la vie universelle.

… Ces dieux de l’antiquité, ce Jéhovah lui-même qui les résume tous et qui donne une plus grande idée de la puissance de la nature concentrée dans ses mains, ce sont les forces et les vertus de la matière. Il faut une religion matérielle pour se les rendre favorables, pour les empêcher de se mettre en colère et de déchaîner les fléaux qu’elles tiennent en réserve pour le châtiment des impies. Cette notion enfantine et barbare entre dans le cerveau humain ; elle s’y incruste en passant du père au fils, elle y est encore et toujours la même, avec le ciel et l’enfer pour couvrir les manifestations illogiques des intentions apparentes de la divinité à notre égard.

Ainsi toujours un Dieu fait à notre image, bête ou méchant, vain ou puéril, irritable ou tendre à notre manière ; fantasque, si son caprice agit sur notre monde, sophistique et casuiste s’il nous attend après la mort pour nous indemniser du tort qu’il nous a fait durant la vie. Le dialogue avec ce Dieu-là m’est impossible, je l’avoue. Il est effacé de ma mémoire, je ne saurais le retrouver dans aucun coin de ma chambre. Il n’est pas dans le jardin non plus. Il n’est ni dans les champs, ni sur les eaux, ni dans l’azur plein d’étoiles, ni dans les églises où les hommes se prosternent ; c’est un verbe éteint, une lettre morte, une pensée finie. Rien de cette croyance, rien de ce Dieu ne subsiste plus en moi.

Et pourtant tout est divin. Ce beau ciel, ce feu qui m’éclaire, cette industrie humaine qui me permet de vivre humainement, c’est-à-dire de rêver paisiblement sans être gelé comme une plante, cette pensée qui s’élabore en moi, ce cœur qui aime, ce repos de la volonté qui m’invite à aimer toujours davantage : tout cela, esprit et matière, est animé de quelque chose qui est plus que l’un et plus que l’autre, le principe inconnu de ce qui est tangible, la vertu cachée qui fait que tout a été et sera toujours. Si tout est divin, même la matière, si tout est surhumain, même l’homme. Dieu est dans tout, je le vois et je le touche, je le sens puisque je l’aime, puisque je l’ai toujours connu et senti, puisqu’il est en moi à un degré proportionné au peu que je suis. Je ne suis pas Dieu pour cela, mais je viens de lui et je dois retourner à lui, il ne m’a ni quitté, ni repris, et ma vie d’à présent ne me sépare de lui que dans la limite où je dois être tenu par l’état d’enfance de la race humaine…

C’est là une théorie parfaite du panthéisme. Selon George Sand, ce n’est nullement « une perte du sens religieux comme l’affirment les idolâtres persistants ». Au contraire, c’est un pas en avant. C’est une « restitution de la foi à la vraie divinité »… « C’est une abjuration des dogmes qui lui faisaient outrage. » Ce n’est ni par des visions, ni par des miracles, que l’homme entre en rapports avec Dieu, ni par l’extase, « état maladif » de notre âme[526].

Non, c’est la partie la plus subtile et la plus exquise de notre être qui tressaille à l’idée de Dieu. L’usage trop répété de cette faculté nous rendrait fous, les pratiques journalières dans des formules consacrées nous abrutissent et nous rendent incapables de saisir la moindre parcelle de l’idéal divin.

George Sand espère qu’il viendra

un temps où nous ne parlerons plus de Dieu inutilement, où nous en parlerons même le moins possible ; nous ne l’enseignerons plus dogmatiquement, nous ne disputerons plus sur sa nature, nous n’imposerons à personne l’obligation de le prier…

Alors il n’y aura plus ni disputes, ni persécutions religieuses ;

La prétention d’affirmer une religion formulée sera considérée comme un blasphème. Toute intolérance, tout culte extérieur, héritage du paganisme, disparaîtra, chacun adorera Dieu en esprit et en vérité dans le sanctuaire de sa conscience selon l’idée qu’il s’en fait et selon le degré de son développement.

Et dès aujourd’hui, le penseur isolé, inoffensif en présence des cultes vieillis, tolérant envers tous par respect de la liberté humaine, mais libre dans la sphère de sa méditation et ne relevant dans l’essor de sa pensée que de l’esprit qui parle en lui, se sent affranchi, paisible, attendri par la conquête patiente de sa foi personnelle. C’est son trésor intérieur, c’est sa confiance modeste, son humble et inviolable sérénité…

Et à présent, conclut ce « penseur » qui, au déclin de son âge, voulut faire un examen de conscience de son moi moral et intellectuel,

À présent que ma veillée s’achève et que mon moi délaissé se retrouve et me parle, je sens Dieu, j’aime, je crois… tête à tête avec le principe supérieur qui l’anime, ce moi n’est point seul, et son monologue est un hymne intérieur dont l’écho affaibli d’une lointaine et mystérieuse réponse prouve qu’il n’est point perdu dans le vide.

Et le chapitre viii se termine par cette page magnifique, oraison mentale adressée à la Divinité :

toi que profane et méconnaît la prière égoïste de l’idolâtre, toi qui entends le cri du cœur auquel les hommes sont sourds, toi qui ne réponds pas comme eux à qui t’invoque le non impie de la raison pure, toi, la source inépuisable qui seule répond à la soif inextinguible du beau et du bien, à qui se rapportent toutes les meilleures pensées et les meilleures actions de la vie, la peine endurée, le devoir accompli, tout ce qui purifie l’existence, tout ce qui réchauffe l’amour, je ne te prierai pas. Je n’ai rien à te demander dans la vie que la loi de la vie ne m’ait offert, et si je ne l’ai point saisi, c’est ma faute ou celle de l’humanité dont je suis un membre responsable et dépendant. Mon élan vers toi ne saurait être le marmottage du mendiant qui demande de quoi %ivre sans travailler. Ce qui m’est tracé, c’est à moi de le voir, ce qui m’est commandé, c’est à moi de l’accomplir. Le miracle n’interviendra pas pour me dispenser de l’effort. Point de supplication, point de patenôtres à l’esprit qui nous a donné l’étincelle de sa propre flamme pour tout utiliser. Le dialogue avec toi ne s’exprime pas en paroles que l’on puisse prononcer ou écrire ; la parole a été trouvée pour échanger la pensée d’homme à homme. Avec toi il n’y a point de langage, tout se passe dans la région de l’âme où il n’y a plus ni raisonnements, ni déductions, ni pensées formulées. C’est la région où tout est flamme et transport, sagesse et fermeté. C’est sur ces hauteurs sacrées que s’accomplit l’hyménée, impossible sur la terre, du calme délicieux et de l’ineffable ivresse…

Lorsqu’on a lu ce chapitre viii des Impressions et souvenirs, on comprend encore mieux l’état de désespérance et d’effroi reflété par Lélia et Spiridion et auquel était livrée l’âme de la malheureuse ex-élève du Couvent des Anglaises, alors que ses croyances anciennes s’écroulèrent, et la nouvelle foi n’était point encore éclose en son âme. À présent, cette âme bouleversée, cet esprit ayant, jadis, combattu contre Jéhovah et les hommes, a retrouvé son calme !

La thèse et l’antithèse se sont fondues dans leur synthèse. Et ces neuf dernières années peuvent ainsi, à l’exception de l’année terrible (1870-71), être considérées au double sens de la vie familiale et de la sérénité de l’âme comme les années les plus heureuses de la vie de George Sand.

En cette dernière période de sa vie George Sand continuait, comme par le passé, d’écrire au moins un roman par an, quelquefois deux ou trois. Outre les romans déjà mentionnés en différents endroits, plus haut (Malgrétout, 1869, Mademoiselle Merquen, Cadio, 1868, et Nanon, 1872), elle écrivit en ces dernières dix années : Césarine Dietrich, Ma sœur Jeanne, Flamarande, les Deux Frères, Marianne Chevreuse, la Tour de Percemont.

Si le petit volume de Césarine Dietrich n’était pas signé, si quelques traits et quelques détails ne trahissaient pas trop leur auteur, nous aurions hésité à l’attribuer à Mme Sand, le caractère de cette Césarine, son impénitence persistante sont choses peu habituelles à la manière de George Sand. Nous avons déjà remarqué que dans certaines œuvres de George Sand de l’avant-dernière et de la dernière période de sa vie on sent une puissante influence du réalisme, qui comptait ses premières victoires.

Le lecteur se rappelle peut-être aussi que nous avions signalé dans Rose et Blanche, Valentine, Pauline, que si George Sand s’était, dès ses débuts, abandonnée à sa propre manière et ne se fût point efforcée de s’approprier « le genre sublime », alors à la mode, elle eût été plutôt une adepte de l’école sobre de Balzac que de l’école romantique et échevelée d’Henri de Latouche. Césarine Dietrich occupe donc une place à part parmi ses derniers romans, et ce qui est surtout remarquable, nous le répétons, c’est que l’héroïne demeure la même jusqu’à la fin, ce qui est contraire à la poétique de George Sand, elle ne devient ni tendre, ni désintéressée, ni moins égoïste. Césarine ne ressemble donc en rien aux autres dames et demoiselles de George Sand transformées par la puissance du vrai amour. Césarine n’aime qu’elle-même. C’est une toute jeune personne, presque une enfant dont la narratrice de cette histoire, une pauvre vieille demoiselle noble, doit faire l’éducation. Césarine est la fille gâtée et capricieuse d’un riche commerçant ; elle n’a plus de mère, et veut non seulement arranger sa propre vie à sa guise, mais encore faire la loi à cette gouvernante, à son père, à tous ses parents et adorateurs. L’aplomb et la suffisance ne lui manquent pas plus que l’adresse et l’habileté à se tirer d’affaire. Elle a toujours le dernier mot, ne se laisse jamais surprendre ni attraper. Sa marche victorieuse à travers la vie rencontre toutefois un obstacle inattendu dans la personne du neveu de sa gouvernante. Ce jeune homme, que Césarine veut compter au nombre de ses adorateurs, décline cet honneur et lui témoigne de l’indifférence. Césarine offensée entreprend une attaque en règle contre le jeune stoïcien, mais le jeune homme la repousse, bien qu’il soit, au fond de l’âme, subjugué par son charme ; il ne veut ni se laisser écarter du droit chemin, ni manquer à ses principes. Césarine trahit involontairement devant sa gouvernante sa vraie nature, elle révèle sa fausseté, sa sécheresse, l’absence de toute morale. Puis elle pousse à la démence, à la fureur le plus humble de ses adorateurs, le marquis, qui provoque en duel le fils de sa gouvernante. À la fin, ayant manqué son but et désirant donner le change à ses proches par dépit, par amour-propre, par désir vaniteux de faire admirer la grandeur de sa conduite, elle épouse ce marquis, demi-fou, espérant étonner tout le monde. Cependant immédiatement après son mariage, dame Césarine s’efforce de faire la conquête de son ennemi le plus acharné, l’ami du marquis. Et l’auteur laisse entendre que ce nouveau flirt va trop loin. Il est évident que Césarine, mariée, continuera ses manœuvres, ses « campagnes », ses triomphes et ses « captures », que, par la logique même des choses, les amusements de cette coquette à froid ne seront plus les innocents romans de Césarine jeune fille.

Ce roman eut le malheur de paraître dans la Revue des Deux Mondes du 15 août au 1er octobre 1870. L’attention publique prise par la guerre fit que peu de personnes l’ont lu lors de cette première publication, c’est le roman le moins connu de George Sand. Chose curieuse : Césarine, son père sympathique et bonasse et toute leur parenté sont justement des Alsaciens allemands naturaUsés à Paris, se considérant eux-mêmes comme des Allemands.

Le petit roman, ou plutôt la nouvelle Marianne Chevreuse a aussi, mais pour une autre raison, sa place à part dans l’œuvre de la dernière période de George Sand : par sa fraîcheur, par son ton, sa manière, son coloris, elle rappelle les toutes premières œuvres : Valentine, André ou Lavinia. George Sand semble avec intention avoir marqué de quelques traits autobiographiques son héroïne et le milieu où elle évolue. Cette Marianne Chevreuse, petite brune aux grands yeux noirs, à la figure pensive et mélancolique, chevauche une petite jument maigre autour de sa propriété. L’originalité et l’indépendance de sa conduite la font décrier par les commères de la ville voisine. Cette ville voisine porte avec ostentation le nom de Faille sur Gouvre, dans laquelle les braves Lachâtrois avaient déjà une fois reconnu leur bourg bienheureux[527]. L’expérience littéraire et le savoir-faire magistral de l’écrivain, son mépris de tout inutile détail font de ce petit conte une œuvre vraiment classique digne d’être comparée à Werther ou Eermann et Dorothée de Gœthe. Flaubert écrivait à Mme Sand à propos de ce roman :

…Je trouve cela parfait, deux bijoux ! Marianne m’a profondément ému et deux ou trois fois j’ai pleuré. Je me suis reconnu dans le personnage de Pierre. Certaines pages me semblaient des fragments de mes mémoires, si j’avais le talent de les écrire de cette manière. Comme tout cela est charmant, poétique et vrai ! La Tour de Percemont m’avait plu extrêmement. Mais Marianne m’a littéralement enchanté[528]. Les Anglais sont de mon avis, car dans le dernier numéro de l’Athenœum on vous a fait un très bel article. Saviez-vous cela ? Ainsi donc pour cette fois je vous admire pleinement et sans la moindre réserve…

Cette dernière phrase renferme une allusion aux quelques remarques faites par Flaubert et citées plus loin à propos de Flamarande, paru six mois avant. Mais avant d’en parler, ainsi que du tout dernier roman de George Sand, la Tour de Percemoni, aussi vanté par Flaubert, nous devons dire quelques mots d’une série de romans de cette dernière période et de l’avant-dernière période de George Sand, — c’est-à-dire de l’époque décennale de théâtre. — Ils se rattachent les uns aux autres par une idée commune, et traitent le même thème général. Cette série commence par la Filleule écrite en 1853, l’année des Maîtres sonneurs, où l’on voit déjà Brûlette élever l’enfant naturel de la Mariton. Ce thème générai est ceci : Un enfant disparu, enlevé, sauvé et élevé soit par une amie de l’héroïne, soit par un vertueux serviteur, soit par quelque homme du peuple — l’homme du peuple est de rigueur ! L’action se complique tantôt par la faute de la mère, tantôt par une accusation injuste, etc., etc. On trouve des variations sur ce sujet dans la Filleule, dans Narcisse, l’Homme de neige, le Marquis de Villemer, la Confession d’une jeune fille, l’Autre, drame tiré de ce dernier roman, Ma sœur Jeanne, Flamarande, les Deux Frères et la Tour de Percemont.

Souvent cette histoire d’un enfant sauvé, ou retrouvant heureusement la maison paternelle, s’embarrasse de tant de combinaisons et d’accidents invraisemblables, qu’il est tout à fait impossible de les raconter ou même de les retenir. Parfois même ces complications nuisent à l’intérêt psychologique du roman.

Dans la Filleule un lecteur de goût aurait pu se contenter de ce thème : l’âme inquiète d’une jeune fille qui devient femme, et, par besoin instinctif d’aimer et impossibilité d’analyser ses aspirations, s’amourache de son tuteur et parrain. Et, comme ceci arrive souvent à de jeunes personnes de cet âge, tantôt elle s’imagine le détester et tantôt elle en est jalouse, son humeur devient fantasque et l’emporte dans des rêves irréalisables, mais, en fait, elle commet des enfantillages stupides, une série d’actes dépourvus de sens commun. Ces pages fines, véridiques, intéressantes au possible auraient infiniment gagné si, les retranchant de ce roman d’intrigue, George Sand les avait prises pour thème d’un nouveau roman, roman de mœurs réaliste, peignant l’éveil d’une âme féminine. Cela aurait été très attachant et très vrai.

Mais cette étude psychologique est noyée dans un chaos d’accidents invraisemblables, de vertus plus invraisemblables encore, de grands d’Espagne, de gitanos, d’enlèvements d’enfants, d’apparitions d’un personnage sous des noms divers et autres inventions du plus mauvais goût littéraire, ou plutôt du goût… du théâtre de Nohant. Or, quand George Sand reste dans sa propre manière, ainsi qu’elle nous apparaît dans sa Correspondance, dans l’Histoire de ma vie, dans ses Préfaces, dans les meilleures pages de ses romans champêtres ou de quelques-uns de ses derniers romans mi-réalistes (comme dans les tout premiers aussi, par exemple dans Valentine), lorsqu’elle ne s’efforce pas de peindre des « ruines » obligatoires, des souterrains ou des châteaux romantiques, mais dessine d’après nature des tableaux de son cher Berry, simples et réels, d’un seul coup elle s’élève très haut. Ses peintures ont un charme d’une beauté inoubliable et restent à tout jamais dans la mémoire du lecteur comme des paysages de Ruysdael ou de Millet et en même temps elles sont harmonieuses comme une musique. C’est ainsi que dans la Filleule on peut constater simultanément le mauvais goût assez habituel au théâtre de Nohant — c’est le galimatias romanesque, qui en forme la fable, et le talent — par la manière très personnelle qu’avait George Sand de voir la nature. Cette manière apparaît surtout dans l’épisode psychologique cité plus haut et dans une page lyrique d’un caractère tout autobiographique (quoiqu’elle soit écrite comme une page de Journal de Stéphen, héros du roman). Nous trouvons indispensable de citer ce morceau intégralement :

…Me voilà donc enfin dans ma chère vallée, sous mon ciel pâle, dans une atmosphère appropriée à mon organisation physique et morale…

Il fait depuis avant-hier une chaleur exceptionnelle dans la saison de notre climat. On se croirait aux premiers jours d’août. Après avoir fermé et scellé mes derniers cahiers, je me suis senti un besoin d’enfant de courir seul dans la campagne, sans volonté, sans but, comme autrefois.

…J’ai pris la rive gauche de ma petite rivière et je l’ai suivie en herborisant. D n’y a pas ici un pauvre brin d’herbe que je ne regarde avec plaisir, comme un vieux ami. Au lieu de ces noms barbares que la science leur donne, je pourrais les baptiser tous de quelque mot charmant qui serait un souvenir de ma vie intime.

Au bout d’une heure de marche, je suis revenu sur mes pas, ne voulant pas perdre de vue ce cher manoir de Briolé dont j’ai été bien assez séparé par des horizons sans nombre. J’étais content de me voir assez près pour me dire que si je voulais, d’un trait de course, en quelques minutes, je serais là. Mais j’avais la rivière à traverser et plus d’une heure de marche sans passerelle. Pour n’avoir pas cet obstacle qui gênait déjà la liberté de mes rêves, j’ai fait un paquet de mes habits et j’ai traversé à la nage le ruisseau, calme et profond à cet endroit là. L’eau était encore si agréable, que j’y suis resté dix minutes, après quoi, à demi rhabillé sur l’autre rive, étendu sur le sable tiède que perçaient de vigoureuses touffes de brome, j’ai goûté un indescriptible bien-être, et j’ai dépensé là, complètement inerte, complètement heureux, les douces heures qui me restaient.

Ô douceur infinie de l’air natal ! placidité des eaux paresseuses, complaisant silence du vent dans les arbres, débonnaire majesté des bœufs couchés sur l’herbe courte et brûlée des prairies, jeux naïfs des canetons que la poule veut ramener au rivage, pays simple et bon, prose charmante de la poésie rustique !

Je n’étais pas loin du moulin. J’entendais le cri plaintif et doux de la roue vermoulue qui semble se plaindre du travail et pleurer avec l’eau qui l’entraîne. Les jeux des enfants et le chant des coqs envoyaient de temps en temps une fusée de gaieté dans l’air somnolent. Une fraîcheur molle pénétrait dam tous mes pores. L’arôme des plantes aquatiques planait sur moi sans chercher à m’écraser. Rien de violent, rien de sublime dans cette nature paisible. Là où j’étais couché, je n’avais rien à admirer : l’horizon était fermé pour moi d’un côté par les buissons épais de la rive gauche, au bout d’un travers de ruisseau qui n’a pas vingt pieds de large ; de l’autre par le terrain qui se relevait en talus inégal à deux mètres au dessus de ma tête. Par une échancrure j’apercevais seulement la cime de quelques arbres et un pan de toit, dont les ardoises se confondaient avec la végétation bleuâtre des saules. C’était Briolé, mon nid, mon asile, mon Eden, là tout près pour ainsi dire de ma main.

Que pouvais-je désirer ? Une forêt vierge ? des précipices ? une végétation hérissée qui déchire les regards ? les vents maritimes qui abrutissent, les abîmes qui donnent le vertige ? les cataractes qui ébranlent les nerfs ? Non, non ! Je ne regrettais rien de tout cela, je ne voulais rien de mieux, rien de plus que cet horizon de pauvres herbes ; ce ruisseau sablonneux, ce gloussement de la poule, cette apathie des bœufs qui venaient tremper leurs genoux cagneux dans la vase à mes côtés, et qui, en se dérangeant fort peu pour moi, ne me dérangeaient pourtant nullement.

De quoi l’homme pensant a-t-il besoin, pour être heureux ? De spectacles, d’émotions, de surprises, de découvertes, de conquêtes ? Non, il a besoin d’être aimé d’abord, et puis de quelques instants de repos absolu après son travail.

Ce repos de l’âme et du corps n’est pas l’oubli de la vie. Ce n’est pas la végétation de la plante ni la digestion de l’animal ; c’est quelque chose qui participe de ces mornes extases de la matière, mais qui n’empêche pas le principe divin de se sentir en possession de soi-même…

Pendant des heures de cette complète inaction, je n’eus pas une seconde d’ennui, et il me semble pourtant qu’elles ont duré deux siècles. Je ne sais si je pensais, je ne songeais pas à penser : j’ai pourtant très bien vu et entendu toutes choses autour de moi. Les myriades d’ablettes argentées qui s’ébattaient au soleil dans les petits lacs creusés sur le sable de la rive par le pied des bœufs ; la gourmandise capricieuse du chevreau qui est venu goûter à toutes les plantes et qui a fini par s’accommoder d’une écorce à ronger ; le sillage muet de la loutre le long des roseaux, la chasse ardente de la fauvette qui a guetté et poursuivi la même mouche pendant un quart d’heure entier, au milieu de mille autres qu’elle dédaignait ; le niveau de la rivière qui a baissé, à mesure que s’ouvraient les déversoirs des moulins et qui a laissé les mousses inondées de ses marges bâiller au soleil ; l’ombre des arbres qui était à mes pieds et qui, passant sur moi, a fui derrière ma tête… Où est le plaisir de contempler ou seulement de remarquer tout cela ? Ce n’est ni un plaisir de savant, ni même un plaisir de poète. Tous deux sont difficiles à satisfaire. Il faut à l’un du beau, à l’autre du rare. Ma jouissance s’accommodait de ce qu’il y avait de moins insolite, de plus vulgaire dans le premier milieu venu, un coin d’herbe et de sable au revers d’un fossé, un réseau de ronces pour cadre et quelques ardoises pour lointain…

L’admirable impression de calme dans la nature rendue par ces lignes, la finesse et la précision de l’observation rappellent les paysages de l’école hollandaise où la poésie de l’ensemble et le réalisme des détails sont si harmonieusement fondus. Mais cette page leur est supérieure, plus captivante par le sentiment tout subjectif de l’union avec la nature, par le panthéisme sain et puissant, presque païen, par cette joie de vivre qui emplit l’âme de l’auteur et se transmet au lecteur. Et cette page est la perle de ce roman.

Une donnée psychologique presque identique à celle de la Filleule aurait pu former l’intérêt principal d’un roman écrit onze ans plus tard, la Confession d’une jeune fille, publié en 1864. Mais, hélas ! ce roman n’est encore qu’une variante de l’Histoire d’un enfant ! Cette fois c’est l’histoire d’une enfant adultérine que son père légal fait enlever et veut faire disparaître au moment où il l’envoie chez sa prétendue grand’mère. Mais la petite a été sauvée par une brave femme du peuple, Jenny, et par son mari, et, au bout de quelques années, elle est ramenée chez l’aïeule et y est élevée comme sa petite-fille. Devenue jeune fille elle est menacée de perdre ses droits à l’héritage, son nom et sa situation. La seconde femme de son prétendu père veut les lui disputer. L’avocat auquel cette créature confie son procès devient amoureux de la jeune fille et défend ses intérêts. Quant à elle, elle s’amourache tour à tour de son précepteur, un cuistre, puis de son cousin, un petit hobereau infatué de sa personne, Marius de Mérangis, qu’elle doit épouser. Celui-ci s’étant ruiné rompt d’abord avec elle, sa fierté ne lui permettant pas de refaire sa fortune par ce mariage ; puis c’est elle qui lui rend sa parole lorsqu’elle apprend qu’elle n’est pas l’héritière légitime de sa grand’mère ; elle souffre d’avoir involontairement usurpé un nom et une parenté qui ne lui appartiennent point. Enfin, ce qui met le comble à cet imbroglio, la jeune fille persécutée s’éprend de l’avocat, Mac-Allan. Elle est sur le point de le soupçonner d’avoir été l’amant de sa mère, d’être peut-être son vrai père ; heureusement, elle apprend qu’il n’a été que l’amant de la seconde femme de son père. La jeune demoiselle découvre aussi que sa gouvernante, Jenny, aime son précepteur, Frumence, mais qu’elle est toute prête à sacrifier son bonheur, croyant que sa pupille l’aime aussi et souffre de cet amour. La grand’mère meurt, sans avoir appris que la jeune fille n’est point sa petite-fille, mais aussi sans avoir signé son testament en sa faveur, ni une lettre demandant à son fils l’autorisation de marier la jeune fille ; de plus, ce fils meurt aussi subitement, avant sa mère. La jeune fille chassée par sa marâtre s’en va avec Jenny vivre dans les Alpes, dans une petite maison de campagne, appartenant à Mac-Allan… Tout se termine au mieux, grâce à l’apparition, comme d’un Deus ex machina, du prétendu demi-frère de la jeune fille. Ce fils du second mariage de M. de Mérangis, plein de nobles sentiments, se dédit de ses droits à l’héritage et termine à l’amiable le procès contre celle qui porte le nom prétendu de Jeanne de Mérangis. Enfin Mac-Allan se disculpe d’avoir été l’amant de la seconde femme de M. de Mérangis père, et épouse la jeune fille.

À peine a-t-on terminé ce roman qu’on s’embrouille déjà dans tout cet imbroglio de personnages et de faits. Et pourtant il aurait pu être tout à fait intéressant par sa donnée psychologique, ces fins changements d’impressions, ces passages d’un sentiment à un autre d’un jeune cœur qui s’éveille présentent une donnée littéraire du plus grand intérêt pouvant devenir sous la plume de George Sand d’un attrait enchanteur. L’héroïne, au lieu de passer par toutes ces péripéties inutiles, aurait bien pu, comme une certaine Aurore Dupin, vivre tranquillement à la campagne, dans une solitude absolue, en compagnie seulement d’une aïeule qui s’éteint doucement et d’un cousin, petit gentillâtre campagnard très médiocrement éveillé, la traitant despotiquement[529] ; elle aurait pu aller les dimanches entendre la messe dite par un vieux curé ami, dans une petite église de campagne, déjeuner chez lui puis prendre des leçons de son neveu, jeune rustre fort savant[530] ; elle aurait pu être fiancée à un autre cousin, petit aristocrate, égoïste et raisonneur[531]. Mais l’auteur, à l’instar des pièces nohantaises, et pour complaire au goût de l’époque, mais peut-être aussi par tendance naturelle de son imagination, voulut faire entrer ce simple motif psychologique et ces premiers chapitres, si finement tracés, si pleins de réminiscences biographiques, dans le cadre d’une fable abracadabrante ! La fine étude psychologique fut noyée dans ce scénario de marionnettes, et un roman, qui aurait pu être des plus intéressants, est devenu l’un des plus insipides et des plus faciles à oublier.

Plus tard, George Sand tira de ce roman une pièce en quatre actes, l’Autre. La comédie est supérieure au livre, contrairement à ce qui arrive presque toujours. Et pourtant, il ne reste rien de l’intéressant thème psychologique mentionné plus haut. L’histoire de l’enfant illégitime exilée de la maison paternelle par l’époux offensé, puis élevée par sa prétendue aïeule, demeure seule. Cette donnée est très simplifiée et, vers la fin, tout à fait changée. L’Écossais qui arrive dans la maison de la grand’mère est un médecin, le père véritable de la jeune fille. L’intérêt de l’action n’est plus dans l’amour d’Hélène pour son précepteur, puis pour son cousin (qui ne s’appelle plus Marins, mais Marcus), mais dans la douleur du docteur Maxwell qui ne peut reconnaître son enfant qu’en souillant l’honneur de sa bien-aimée, la mère de sa fille. Il risque en outre de ravir à Hélène le nom, l’héritage de la famille étrangère qui l’a protégée, et enfin il ne se reconnaît pas le droit de porter un coup mortel au cœur de la vieille dame qui a toujours adoré cette prétendue fille de son fils comme sa vraie petite-fille. L’action est très serrée. L’abbé Costel est changé en un maître de musique, Castel[532], maniaque et bourru, excellent rôle pour un acteur de caractère. Son neveu, Frumence, malpropre et distrait, mais très réussi dans le roman, est changé en Césaire, son fils naturel qu’il élève comme un orphelin adopté ; ce Césaire est tout aussi distrait et vertueux que son prototype, mais plus comique, plus réel et rendu tout à fait sympathique par sa timide modestie. La vieille marquise, après avoir été en proie à un sommeil quasi léthargique, se réveille au dernier acte pour pardonner à l’autre, c’est-à-dire, au vrai père de sa prétendue petite-fille ; Marcus-Marius, qui, dans le roman, finit par faire un mariage d’argent en épousant une pécore provinciale, se transforme dans la pièce, sous l’action de l’amour et de la jalousie, et se fait aimer de sa cousine. La seule « jeune fille » (qui ne s’appelle plus Jeanne, mais Hélène de Mérangis) n’a point gagné au changement subi par tous les personnages. De fillette fantasque, peu équilibrée encore, passant d’un rêve à un autre, de projets raisonnables et bien intentionnés aux actes les plus irréfléchis, du désir de se sacrifier à un égoïsme juvénile, bref, de cet être intéressant et véridique elle est transformée en une jeune première aux nobles sentiments. Toutefois, au dire des journaux et des assistants, Mme Sarah Bernhardt a été adorable dans ce rôle.

Cette pièce, jouée à l’Odéon en février 1870, eut un grand succès. Des pièces parues après le Marquis de Villemer, c’est la seule que Mme Sand écrivit sans collaboration.

Quoique dans cette dernière période décennale George Sand se soit souvent appliquée à tirer un drame ou une comédie de l’un de ses romans, elle ne consacrait plus son temps à ce genre de travail aussi souvent que durant les quinze années précédentes. Et la plupart des pièces qu’elle fit entre 1866-1876 (l’Homme de neige, Cadio, les Don Juan de village, Mademoiselle La Quintinie, les Beaux Messieurs de Bois-Doré, la Laitière et le pot au lait, Un bienfait n’est jamais perdu, ou ne furent pas mises à la scène par elle seule ou bien ne virent jamais la rampe, ou ne se maintinrent que fort peu sur l’affiche.

Ma sœur Jeanne, publié dix ans après la Confession d’une jeune fille[533], est également l’histoire d’une enfant. Quoique l’héroïne soit appelée « ma sœur « par le héros du roman, elle ne l’est point et se trouve être la fille illégitime de la malheureuse marquise de Mauville et de son amant, le noble et non moins infortuné sir Richard Brudnel. Jeanne a été soustraite à la vengeance du marquis de Mauville, un fou méchant, puis sauvée d’une mort certaine, après la fin soudaine de la marquise, par l’amie d’enfance de cette dernière, Adèle Moessart, bien entendu une femme du peuple, plus tard mariée à Moreno Bielsa, un « vertueux contrebandier ». Jeanne s’éprend — ceci va sans dire — de son prétendu frère Laurent Bielsa. Mais, en vraie fille d’Ève, elle comprend d’abord très vite quel genre de sentiment elle éprouve pour ce « frère », puis très promptement aussi se renseigne sur sa généalogie. Tandis qu’il faut au simple fils d’Adam — c’est-à-dire à Laurent — un temps énorme pour débrouiller cet écheveau de suppositions et d’hypothèses et éclaircir le mystère de sa vie. Il découvre peu à peu que Jeanne n’est pas sa sœur, ni une fille illégitime de son père, ni le fruit d’un amour criminel de sa mère, et enfin que leur fortune est le résultat des… opérations soi-disant commerciales de son père. Celui-ci est bien contrebandier, mais aussi noble qu’un contrebandier romantique peut l’être. Quant à sa femme, la belle-mère de Laurent, elle personnifie le sacrifice. Laurent découvre aussi que ce n’est point un amant que Jeanne voit mystérieusement à la nuitée au jardin, au su de sa mère adoptive, mais bien son vrai père, sir Brudnel. Ce n’est pas tout : sur cette histoire vient se greffer l’aventure de la courtisane Manoela entretenue par sir Brudnel… par pur désintéressement, car quoiqu’il l’entretienne et la promène à travers l’Europe, il la traite comme sa fille, ce qui la désespère, la jette d’abord dans les bras de Laurent, puis dans ceux de son ami le docteur Viane, avec lequel elle s’enfuit. Heureusement tout se termine par le mariage de Laurent et de Jeanne. Mais quel chaos !

Et voici encore une histoire d’un enfant, Flamarande, avec sa suite, les Deux Frères. Cette fois c’est l’histoire d’un enfant prétendu adultérin, en réalité parfaitement légitime ; cruellement chassé du château paternel par un père dénaturé et jaloux qui le voue à la mort, il est sauvé par un valet de chambre, par la bouche duquel l’auteur raconte toute cette histoire. Ce bon serviteur place l’enfant dans un hameau situé aux environs d’un autre château de son père. Plus tard Gaston caché sous le nom d’Espérance, protégé par son prétendu père, M. de Salcède, l’homme injustement soupçonné d’avoir été l’amant de sa mère, est conduit dans un endroit sauvage. C’est là que M. de Salcède, adonné aux sciences naturelles, surveille l’éducation de l’enfant de celle qu’il aime. La mère aussi prend soin d’Espérance. Elle a un second fils, mais celui-ci accepté par le père. Mais tandis que dans la Confession d’une jeune fille, dans l’Autre et Ma sœur Jeanne on parvenait à arranger les choses, à ne pas priver une pauvre petite fille illégitime de la famille qui l’avait recueillie, dans Flamarande l’affaire se complique. Le fils légitime élevé dans une famille de paysans passe pour mort grâce à une déclaration de son père faite sur les registres de sa paroisse. La Taie mère et le frère d’Espérance-Gaston, après la mort du jaloux furieux, veulent lui rendre sa place dans la famille. Cet acte risque de compromettre la réputation de Mme de Flamarande et de diminuer les droits de Roger, le second frère, sur l’héritage paternel. Un doute s’éveiUe alors dans le cœur du vieux valet de chambre. Gaston est peut-être un bâtard. Si cela était, lui qui devait veiller sur les intérêts du second enfant, doit le laisser déposséder. Gaston ne peut donc ni rentrer en possession de l’héritage paternel, ni être adopté par M. de Salcède, le chevaleresque ami de sa mère : cette adoption porterait atteinte à la vertu de la comtesse de Flamarande. Gaston le comprend et se résout à rester paysan. Roger, qui l’adore, continuera à le considérer comme son frère et à l’aider, mais lui seul portera le nom de Flamarande. Ce n’est pas tout encore. La comtesse de Flamarande, bien qu’elle aime toujours M. de Salcède, qui n’a pas cessé de l’aimer, le cède à son ex-rivale, son amie désintéressée, la baronne de Montespar. Tous s’embrouillent dans des finesses exquises d’une sollicitude extrême pour sauvegarder à la fois l’honneur du feu comte de Flamarande, ce fou stupidement jaloux, et la réputation immaculée de la comtesse. Gaston, resté au village sous son ancien nom d’Espérance, épouse la fille de Michelin, le paysan qui l’avait jadis recueilli. Seul le vieux valet est puni. Ce M. Chariot qui avait commencé par n’être que l’agent docile des volontés du vieux Flamarande et qui finit par vouloir s’instituer juge et arbitre du sort de Mme de Flamarande, de Gaston et de M. de Salcède, poussé par un sentiment personnel dont il ne veut pas se rendre compte, éveille le dégoût et le mépris dans le cœur de Roger. Ce malheureux valet, animé des intentions les meilleures, comprend, trop tard, qu’en écoutant aux portes, en se mêlant des affaires sentimentales qui ne le regardaient pas, il n’a fait que se rendre haïssable et n’a plus qu’à disparaître. Et ce n’est que justice.

On lit dans la Correspondance entre G. Sand et G. Flaubert les lignes suivantes écrites au printemps de 1876, après la lecture de ces deux volumes[534] :

« Parlons de vos livres… Ils m’ont amusé et la preuve c’est que j’ai avalé d’un trait et l’un après l’autre Flamarande et les Deux Frères. Quelle charmante femme que Mme de Flamarande et quel homme que M. de Salcède ! Le récit du rapt de l’enfant, la course en voiture et l’histoire de Zamora[535] sont des endroits parfaits. Partout l’intérêt est soutenu et, en même temps, progressant. Enfin, ce qui me frappe dans ces deux romans, comme dans tout ce qui est de vous d’ailleurs, c’est l’ordre naturel des idées, le talent ou plutôt le génie narratif. Mais quel abominable coco que votre sieur de Flamarande ! Quant au domestique qui conte l’histoire et qui évidemment est amoureux de madame, je me demande pourquoi vous n’avez pas montré plus abondamment sa jalousie personnelle.

« À part M. le comte tous sont des gens vertueux dans cette histoire et même d’une vertu extraordinaire. Mais les croyez-vous bien vrais ? Y en a-t-U beaucoup de leur sorte ? Sans doute, pendant qu’on vous lit, on les accepte à cause de l’habileté de l’exécution, mais ensuite[536] ?… »

Si la première moitié de ces lignes doit être mise sur le compte de la partialité amicale de Flaubert pour Mme Sand, on est de tout point d’accord avec lui quant à la seconde partie de son jugement.

C’est encore une histoire d’un enfant que le dernier roman de George Sand, la Tour de Percement[537]. L’héroïne, une toute jeune fille, Marie de Nives, est persécutée par sa belle-mère qui, par cupidité, veut la priver de son nom, de son héritage, l’enfermer dans un couvent, la calomnier et la perdre. L’avocat, M. Chantebel (qui raconte cette histoire), s’emploie à déjouer toutes les machinations de la belle-mère, à découvrir le lieu où s’est réfugiée la jeune personne persécutée après la fuite du couvent, et à la sauver, tandis que son fils Henri, auquel son père vient d’acheter une terre (où il y a un parc et la tour de Percement), son neveu et sa nièce. Miette et Jacques Ormonde, aident Marie de Nives à se cacher dans cette tour de Percement.

Tout se termine par un double mariage entre Jacques et Marie, Miette et Henri, et, pour comble, on sauve en même temps que Marie de Nives un autre enfant encore, la toute petite Ninie, la propre fille de la froide et cupide intrigante comtesse Alix de Nives. On la recueille pour l’élever, en indemnisant sa nourrice et la malfaisante comtesse. (On sait que dans les romans on dispose de milliers de francs avec la plus grande facilité.) Donc, c’est l’histoire du sauvetage de deux enfants !

Il n’est pas sûr, mais on peut admettre, par certains indices, que le roman, Albine, dernière œuvre de George Sand, commencée en mai 1876 et point finie, devait encore être l’histoire d’un enfant, la jeune Fiorina, danseuse élevée par son prétendu père, un comédien, mais en réalité fille d’un père très noble. George Sand n’en écrivit que six chapitres et demi ou lettres (c’est un roman par lettres). Le 29 mai elle s’est arrêtée à la moitié du chapitre vu et le 30 mai elle s’alita pour ne plus se relever.

Sa maladie dura dix jours et malgré toutes les mesures prises, les soins attentifs et dévoués des médecins : MM. Papet, Pestel, Chabenat, Darchy, Favre et le célèbre chirurgien M. Péan, appelé de Paris, rien ne put sauver la malade : après dix jours de souffrances elle mourut le 8 juin, à 9 heures et demie du matin, d’une occlusion de l’intestin, selon le procès-verbal des médecins. Quelques-uns d’entre eux, plus portés que les autres à tirer une conclusion précise de leurs observations, crurent, d’après certains indices sérieux, que cette occlusion de l’intestin, une espèce de miserere, était le résultat d’un cancer à l’état latent depuis plusieurs années.

Nous avons pris copie d’une série de documents se rapportant aux derniers jours, à la maladie, la mort et l’enterrement de Mme Sand, écrits pour la plupart sous l’impression immédiate, ou le jour même, et donnant ainsi la possibilité de raconter l’épilogue de la vie de l’illustre écrivain et d’en fixer tous les détails, sans y mêler aucune espèce de légende ou de racontars, si fréquents en pareils cas. Ces documents sont :

Notes et impressions écrites lors de la mort de Mme Sand, par Mme Nannecy de Vasson.

Sur la maladie et la mort de George Sand, par M. Paulin de Vasson.

Lettre de M. Charles Moulin, notaire, à M. P. de Vasson.

Notes sur la maladie et la mort de Mme Sand, par le docteur Chabenat.

Lettre de M. le pasteur Louis Léblois à M. de Vasson.

Récit fait par Henry Barrisse : Sur la maladie et la mort de Mme Sand.

Nous avons copié le manuscrit autographe de M. Henry Harrisse, écrit la nuit précédant l’enterrement d’après les récits des témoins oculaires et des médecins qui soignaient Mme Sand ; ce manuscrit est comme un procès-verbal des derniers moments et de la mort. Un peu plus tard, en septembre 1876, M. Henry Harrisse donna cet écrit à Mme Lina Sand ; celle-ci, ainsi que le docteur Pestel, y ajoutèrent des notes et des rectifications. Ce manuscrit est extrêmement précieux et quoiqu’il s’y trouve certaines inexactitudes et quelques erreurs, l’auteur s’est néanmoins attaché à ne transcrire que la vérité, rien que des faits vérifiés de la manière la plus scrupuleuse.

En 1904, lors du centenaire, M. Barrisse publia ce manuscrit sous forme d’une plaquette élégante tirée à cinquante-deux exemplaires numérotés, destinés « à la famille et à quelques amis »[538]. Malheureusement, le texte de cette brochure diffère beaucoup de celui du manuscrit primitif. Des corrections de style enlevèrent la fraîcheur et la spontanéité des vraies expressions, exactes et précises, et des locutions prime-sautières sans recherches. Mais ce manuscrit subit encore d’autres changements, c’est ainsi qu’outre les notes mentionnées, qui corrigeaient fort judicieusement quelques faits inexacts peu nombreux et expliquaient quelques détails, on y a intercalé, encore, des corrections et des changements, évidemment empruntés aux documents que nous avons mentionnés plus haut et que nous citerons plus loin ; c’est comme une déposition ayant subi l’influence d’autres témoignages. Enfin, — et ceci est déjà tout à fait triste — on y a visiblement fait entrer aussi, à une époque beaucoup plus récente, des changements provenant de quelqu’un qui se croyait sans doute très compétent, mais qui souvent était très mal renseigné et apporta dans ces changements un élément d’inexactitude, d’incertitude tout arbitraire, des plus déplorables. Donc, la version manuscrite et la version imprimée de notre ami défunt sont toutes différentes comme texte et comme valeur historique.

Note du docteur Pestel intitulée : les Médecins de Nohant.

Notes du même auteur : Sur la maladie et la mort de Mme Sand.

Notes et remarques du même auteur et de Lina Sand se rapportant à certaines expressions et certains passages du manuscrit de M. Harrisse.

10° Note de Lina Sand sur l’enten’ement religieux de George Sand.

Grâce à tous ces documents nous pouvons suivie heure par heure l’histoire de la maladie de Mme Sand et tout ce qui arriva dans les derniers dix jours de sa vie, du 28 mai au 8 juin, et dans les jours suivants, jusqu’à l’enterrement inclusivement. Nous n’omettrons que certains détails médicaux, par trop spéciaux, dans les notes des docteurs Chabenat et Pestel.

Depuis sa maladie de 1860 Mme Sand souffrait fort souvent de coliques intenses, accompagnées de déviations subites de l’intestin ou de constipations prolongées. On lit très souvent dans ses lettres des phrases comme celle-ci : « Je suis dans l’impossibilité de digérer quoi que ce soit… » « J’ai de nouveau été sur le flanc, souffrant mort et martyre… » « J’ai eu des coliques de tous les diables. » Puis ces accès passaient, Mme Sand n’y prêtait plus attention et, remise sur pieds, se remettait à travailler, à se promener, à prendre des bains froids dans la rivière. Il est très malheureux que le docteur Favre, ami de Mme Sand et de sa famille, ne sut prêter à ces accès pas plus d’attention que la malade elle-même. Elle croyait en lui aveuglément, tandis que selon certains de ses amis et au dire de médecins sérieux, c’était un docteur fantaisiste, beau parleur, mais nullement un homme de science pratique, un « faux savant ».

Mais tant que l’organisme robuste de Mine Sand domina son mal, le « traitement fantaisiste » du docteur Favre sembla lui faire du bien. Mme Sand prétendait que son médecin « connaissait son organisme », et elle suivait toutes les prescriptions de ce docteur, sans consulter quelque célébrité parisienne, son vieil ami Papet ou les docteurs Pestel et Darchy, qui avaient à plusieurs reprises soigné ses petites-filles.

À partir de mai 1876 « toutes les fonctions de l’estomac avaient complètement cessé » ; Mme Sand éprouvait après avoir mangé des coliques horribles ; le ballonnement du ventre lui rendait la marche pénible. Mais cette fois encore, Mme Sand ne fit pas attention à son mal et, ne voulant pas causer d’inquiétude à sa famille, n’en dit mot et ne fit venir aucun médecin.

Le 20 mai toutefois, lorsque le docteur Chabenat, appelé pour la première fois à Nohant pour donner des soins à Maurice qui souffrait d’une névralgie, vit Mme Sand, elle lui dit, en passant, qu’elle « était atteinte depuis quinze jours d’une constipation opiniâtre, mais que son cerveau était aussi libre qu’auparavant, qu’elle ne souffrait pas, elle avait bon appétit, « cet état était plutôt une gêne qu’une maladie », elle ne s’en « préoccupait pas autrement ». Depuis deux ans elle suivait, disait-elle, un régime que le docteur Henri Favre avait prescrit, et voulait cette fois encore lui écrire. Cependant elle demanda un conseil au docteur Chabenat. Celui-ci conseilla des pilules purgatives fort bénignes.

Le 23 mai, appelé de nouveau pour Maurice, le docteur Chabenat vit Mme Sand qui lui dit qu’elle se sentait mieux, les pilules lui ayant fait du bien.

Le 23 mai Mme Sand écrivait au docteur Favre :

Merci de votre bonne lettre, cher ami ! Je suivrai toutes vos prescriptions. Je veux ajouter à mon compte-rendu d’hier la réponse à vos questions d’aujourd’hui. L’état général n’est pas détérioré, et, malgré l’âge (soixante-douze ans bientôt) je ne sens pas les atteintes de la sénilité.

Les jambes sont bonnes, la vue est meilleure qu’elle n’a été depuis vingt ans, le sommeil est calme, les mains sont aussi sûres et aussi adroites que dans la jeunesse. Quand je ne souffre pas de ces cruelles douleurs, il se produit un phénomène particulier, sans doute, à ce mal localisé : je me sens plus forte et plus libre, dans mon être, que je ne l’ai peut-être jamais été. J’étais légèrement asthmatique : je ne le suis plus ; je monte des escaliers aussi lestement que mon chien.

Mais, une partie des fonctions de la vie étant presque absolument supprimées, je me demande où je vais et s’il ne faut pas s’attendre à un dépai’t subit, un de ces matins. J’aimerais mieux le savoir tout de suite que d’en avoii’la surprise. Je ne suis pas de ceux qui s’afîectent de subir une grande loi et qui se révoltent contre les fins de la vie universelle ; mais je ferai pour guérir tout ce qui me sera prescrit et si j’avais un jour d’intervalle dans mes crises, j’irais à Paris pour que vous m’aidiez à allonger ma tâche ; car je sens que je suis encore utile aux miens.

Maurice va mieux…

Il est très intéressant de constater que, n’ayant point fait d’études médicales, mais étant par vocation une fine observatrice des choses de la vie, Mme Sand donne dans cette lettre des indications fort précieuses pour un médecin et des indices très précis sur la nature de son mal. Il est à croire que si cette lettre était tombée entre les mains de quelque autre docteur qui n’aurait pas même été mis au courant de la maladie de Mme Sand par ses « comptes-rendus » précédents et par ses récits oraux, il se serait empressé de prendre des mesures énergiques, jusqu’à conseiller peut-être une opération chirurgicale.

D’autre part, George Sand semble avoir eu le pressentiment de la gravité de ce « mal localisé », la sensation que la mort était déjà là, toute proche, au seuil de la porte.

Ce même jour, le 28 mai, vinrent à Nohant, de La Châtre des amis des Sand : M. et Mme Paulin de Vasson (apparentés avec les Papet, les Périgois et la famille de Jules Néraud). Tous deux ont décrit leur dernière visite et leur causerie avec Mme Sand ; ils le firent immédiatement après sa mort ; l’une le 11 juin, l’autre le 12 juin. Ces deux récits ont donc une valeur particulière.

Mme Nannecy de Vasson écrit dans ses Notes, très attrayantes par leur simplicité et l’absence de tout artifice :

Notes et impressions écrites après la mort de Mme Sand.

Le dimanche 28 mai j’ai été à Nohant passer la journée avec Ninie pendant que Paulin était au Coudray avec ses parents. Nous y avons déjeuné sans Mme Sand ; comme toujours, elle était un peu souffrante, mais rien d’extraordinaire, elle ressentait depuis longtemps des douleurs assez vives qui n’inspiraient presque plus d’inquiétudes. Après déjeuner nous nous sommes promenés, Lina et moi, dans l’allée du jardin potager où nous avons parlé longtemps de choses et d’autres. Nous longions le mur du cimetière et je regardais l’if qui est au-dessus du caveau de la famille Dupin, bien loin de penser que quinze jours après, pas plus tard, nous serions nous-mêmes sous cet if !… Nous sommes revenus dans le parc et peu après Mme Sand est descendue. Nous avons fait quelques pas avec elle, admirant toutes les fleurs des champs, qu’elle aimait tant, dont le gazon était rempli ; elle nous a même emmenés dans un rond-point du petit bois pour nous faire admirer un orchis très rare. Puis nous sommes revenus nous asseoir très près de la maison.

Mme Sand a parlé du voyage à Paris qu’elle projetait. La conversation languissait un peu ; elle n’était jamais très vive avec Mme Sand, qui avait mille pensées dans l’esprit. Elle a dit une chose qui m’a frappée : elle admirait un ciseau qui marchait devant elle et elle a ajouté : c’est singulier, ma vue est en train de revenir, je vois bien mieux qu’avec mes lunettes.

Sur les cinq heures Paulin est arrivé avec ses parents, puis nous sommes partis pour La Châtre.

Le lundi 29 mai, Lina est venue au spectacle avec nous, je n’ai pu lui dire adieu étant rentrée chez moi à cause de ma fille. Le lendemain, mardi 30, elle m’écrivait ce qui suit :

Ma chère Nannecy, je ne vous ai pas dit adieu hier pensant que vous alliez venir nous rejoindre au théâtre et aussi pour que votre fillette ne s’aperçoive pas que j’y retournais. Peut-être y avez-vous été après moi. Tout mon grand monde va un peu mieux par ce temps-ci. Mes petites guettent en ce moment l’arrivée d’une riche mariée qui va venir se faire bénir par mon mari. En aura-t-il des unions sur la conscience ! À bientôt, n’est-ce pas ?

Lina.

Je recevais cette lettre mercredi matin et à midi 31 mai on venait me dire que Mme Sand se mourait…

Paulin est revenu de l’audience pour monter en voiture et y courir, le soir il y est resté. Après dîner j’ai été lui porter quelques objets dont il avait besoin. J’ai trouvé Lina dans le jardin, nous nous sommes embrassées en pleurant. Lina m’a dit : « Ma pauvre Nannecy, on a bien du chagrin. » Pauvre, pauvre Lina ! et cependant le danger n’était pas aussi imminent que je l’avais cru. Je suis montée avec Lina dans le cabinet de travail de Mme Sand attenant à sa chambre à coucher, puis je suis entrée chez elle un instant et là je l’ai vue et entendue parler pour la dernière fois. Je suis partie pour La Châtre, Paulin est resté, il a passé la nuit dans le cabinet près de Mme Sand.

Le jeudi 1er juin j’ai passé la journée [à Nohant], on avait un léger espoir, un peu de mieux s’était produit dans la nuit. Lina a déjeuné avec nous, j’avais Ninie avec moi. Paulin plaidait ce jour-Là, il était à La Châtre depuis le matin. Il était venu le matin un docteur Favre, médecin à Paris, sans clientèle, offrant peu de garantie et n’inspirant aucune confiance excepté à la malade et à sa famille engouée fort malheureusement de sa personne. Mon mari est venu me retrouver le soir, il est encore resté passer la nuit pendant que je retournais à La Châtre.

Samedi 3 juin. — Paulin a été le soir à Xohant ; il a rapporté de mauvaises nouvelles.

Dimanche 4 juin. — Sylvain, vieux domestique de Mme Sand, est venu à une heure nous dire qu’elle était au plus mal. Nous sommes partis Paulin et moi avec Sylvain, nous avons trouvé eu arrivant Maurice tout en larmes, jusque-là il s’était fait des illusions. Lina est descendue, elle a pleuré en poussant des cris nerveux. C’est elle entre tous qu’il faut plaindre.

Les médecins, M. Papet, ami d’enfance de Mme Sand, Pestel et Darchy, médecin de Mme Sand, sont très effrayés. Pendant notre visite un mieux très sensible. Je pars presque rassurée. Paulin reste passer la nuit.

Lundi 5 juin. — Paulin revient à 4 heures du matin, les nouvelles sont moins bonnes que je ne l’espérais. Je pars à 8 heures pour une absence de toute la journée, je retiens le soir. Paulin est retourné à Nohant dans la journée, les nouvelles ne sont pas bonnes.

Mardi 6 juin. — Mme Sand est au plus mal.

Mercredi 7 juin. — Paulin va à Nohant. Mme Sand est condamnée.

Jeudi 8 juin 1876. — Mme Sand est morte à 9 heures du matin. Elle a fait ses adieux à toute la famille. Ses idées ont été parfaitement lucides jusqu’au dernier moment. Paulin a été à Nohant passer la nuit, il est allé dans la chambre mortuaire ; il a vu le corps de Mme Sand, la figure était sereine. On avait couvert son corps de fleurs.

Vendredi 9 juin. — Nous avons été à Nohant Paulin et moi. Pauvre Lina, elle a tout perdu.

Samedi 10 juin 1876. — Nous avons été accompagner George Sand à sa dernière demeure, sous cet if que je regardais avec indifférence moins de quinze jours avant. En arrivant nous avons trouvé le cercueil à l’entrée de la maison, il était couvert de deux magnifiques couronnes de fleurs blanches et violettes, l’une faite à Nohant, l’autre envoyée de Paris par une corporation d’ouvriers. Nous avons suivi le cercueil à l’église. Les coins du drap mortuaire étaient tenus par MM. Oscar Cazamajou et René Simonnet, neveux de Mme Sand, Alexandre Dumas fils et le prince Napoléon-Jérôme Bonaparte, député de l’Assemblée nationale. Arrivés au cimetière le prêtre s’est retiré et la véritable cérémonie a commencé.

Un discours a été prononcé par mon oncle M, Ernest Périgois, gendre de Jules Néraud, le Malgache des Lettres d’un voyageur. M. Paul Meurice a lu une lettre envoyée le matin par Victor Hugo. On avait distribué aux assistants des branches de laurier pour jeter sur le cercueil de George Sand, Je garde une parcelle de la mienne après l’avoir fait toucher au cercueil. Ce sera pour moi et les miens non seulement un souvenir de la plus grande illustration du dix-neuvième siècle, mais encore le souvenir d’une amie que nous avons aimée pour sa bonté, encore plus que nous ne l’avons admirée pour son sublime talent.

Nannecy de Vasson.

Le 11 juin 1876 (dimanche).

Ces Notes et impressions simples et spontanées furent évidemment jetées sur le papier précisément le 11 juin, et non pas après coup. Elles sont précieuses par leur ton de franchise et de vérité. C’est pour cette raison que nous les citons intégralement. Celles-ci nous serviront d’entrée en matière pour citer des extraits d’autres écrits sur le même sujet.

Si je laisse s’écouler le temps sans transcrire les impressions que j’ai ressenties depuis quinze jours, écrit M, Paulin de Vasson à la date du 12 juin 1876, je ne serai peut-être plus à même de rappeler en détail le fait douloureux, l’événement mémorable que je viens de traverser…

Le dimanche 28 mai j’étais allé déjeuner au Coudray chez Mme Duvemet, la veuve de ce bon et aimable homme (encore un que j’ai pleuré). J’avais laissé Nannecy et sa fille déjeuner à Nohant. Dans la journée nous passons à Nohant, espérant peu y voir Mme Sand qui, généralement, ne descendait pas avant l’heure du dîner. La journée était chaude, c’était la première de l’année. Nous l’avons trouvée dans le jardin avec ses enfants, Nannecy, ma fille et M. Sagnier[539], jeune homme de Nîmes qui venait souvent à Nohant. Je me souviens que j’ai donné à Mme Sand des nouvelles du docteur Darchy, son ancien médecin préféré, que j’avais vu un mois avant à Chambon. Mme Sand s’est écriée : « Pauvre Darchy, s’il était encore à La Châtre je ne serais pas malade. » Je n’ai pas fait grande attention à cette exclamation, ne trouvant rien d’inquiétant dans son aspect. J’ai dit alors : « Le brave Darchy est très absorbé par ses courses et sa clientèle et il m’a dit, madame, qu’il ne viendrait à Nohant que si vous aviez besoin de lui, ce qui, ai-je ajouté, ne se produira pas de si tôt. » (Quatre jours après Darchy était appelé et nous déclara qu’elle était perdue.)

Pour en revenir à cette journée du 28 mai, il fut question d’un voyage à Paris. Je dis à Mme Sand : « Voulez-vous que je vous accompagne ? » Ma femme ajouta : « Je vous donne mon mari. » Elle était peu décidée à faire ce voyage. Cependant le lendemain 29 elle se déterminait à le faire accompagnée de Sagnier. En vue de son départ elle voulut prendre une précaution de santé nécessitée par l’état latent de la maladie, qui est devenue fatale…

Le 29 mai, ayant l’occasion de passer à Nohant, j’entrai prendre des nouvelles de M. Maurice — écrit le docteur Chabenat dans ses Notes sur la maladie de Mme Sand. — Mme Sand apprenant ma présence au château me fit demander par l’aînée de ses petites-filles, Aurore ; je montai dans son cabinet ; elle était assise devant son bureau, une cigarette à la bouche et la plume à la main.

Elle me dit qu’il n’y avait pas eu de selles depuis le 23 et me fit remarquer que son ventre avait augmenté de volume. (Regardez donc cette panse, docteur, me dit-elle.) Malgré cela elle travaillait avec autant de facilité que par le passé, mais le volume énorme de son abdomen, la fatigue qu’elle éprouvait dans la marche, les coliques qu’elle avait après les repas, l’inquiétaient.

Je me réservais de faire un autre jour un examen direct… parce que cet état me semblait assez grave, mais ce jour-là Mme Sand n’était pas alitée, et, nouveau médecin dans la maison, j’aurais pu paraître bien audacieux.

Je crus qu’il était prudent de combattre immédiatement la constipation et je prescrivis pour le lendemain matin, 30 mai, 30 grammes d’huile de ricin avec 30 grammes de sirop d’orgeat. Je choisis de préférence un purgatif doux agissant plutôt mécaniquement qu’en irritant l’intestin, parce que je croyais avoir affaire à un intestin ulcéré. Le purgatif fut pris le mardi 30 mai à 10 heures du matin.

Le médicament ne produisit aucun effet, l’occlusion de l’intestin étant déjà absolue alors.

Bientôt Mme Sand fut prise de coliques. D’abord « elle s’en plaignit avec un certain engouement », dit M. Paulin de Vasson dans ses notes. « J’ai le diable dans le ventre », disait-elle. Vers les 3 trois heures de l’après-midi Mme Sand se sentit très mal. Appelant sa femme de chambre elle lui dit d’aller chercher Maurice, qu’elle n’en pouvait plus et souffrait horriblement. Son fils la trouva étendue sur le canapé, en proie à de ives douleurs[540].

Ce jour-là, dit le docteur Pestel dans ses notes, Mme Maurice et ses filles étaient allées dès le matin à une noce de village avec Sagnier, son mari était resté à la maison. À 4 heures après-midi, quand elle rentra, elle trouva Mme Sand très fatiguée. Elle éprouvait des coliques, des nausées, des envies fréquentes d’aller à la garde-robe, qu’elle ne pouvait satisfaire. Ces symptômes allèrent en augmentant.

Dans la soirée, — écrit le docteur Chabenat, — la malade fut prise de vomissements noirâtres et de coliques atroces. On courut chercher M. Papet, le médecin le plus proche, ami intime de Mme Sand. Il ordonna de la glace à l’intérieur, de grands bains, des onctions sur le ventre avec la pommade mercuriale simple. Les vomissements s’arrêtèrent, mais le ventre resta douloureux…

Depuis le moment de l’arrivée du docteur Papet jusqu’à 4 heures du matin, — raconte le docteur Pestel, d’après le récit de son collègue M. Papet, — la malade souffrit horriblement, poussant des cris aigus qu’on entendait de l’extrémité du jardin. Les nausées étaient continuelles (il y eut plusieurs vomissements), les coliques très violentes, le ventre très sensible à ce point qu’il ne pouvait supporter le poids d’un cataplasme. À partir de 4 heures du matin il y eut une légère rémission dans l’intensité des douleurs…

Le docteur Papet trouva l’état de la malade plus qu’alarmant. Dès qu’il l’eut examiné, il dit à Maurice : « Elle est perdue[541]… »

Le lendemain matin on envoya chercher le docteur Pestel à Saint-Chartier et le docteur Chabenat à La Châtre.

Le 31 mai, je fus appelé à Nohant où j’arrivais à 8 heures du matin, — écrit le docteur Pestel. — Je trouvais en arrivant le docteur Papet qui y avait passé la nuit et qui m’attendait…

Il me mit au courant de ce qu’il avait observé la veille et me montra les vomissements et les urines de la malade, que, suivant sa recommandation, on avait conservés. Les matières vomies… identiques quant à l’aspect à celles qu’on observe dans le cancer de l’estomac arrivé à la période de l’ulcération… Il était évident que, de même que les matières vomies, elles contenaient du sang en assez grande quantité. Je me rendis alors auprès de la malade…

Mme Sand était alitée, elle souffrait beaucoup du ventre ; elle me raconta dans de grands détails et d’une voix haletante ce qui s’était passé la veille, elle insista surtout sur la purgation qu’elle avait prise, m’interrogeant du regard comme pour surprendre sur ma physionomie ce que j’en pensais. Pour répondre à sa pensée, je lui dis que cette purgation était parfaitement indiquée ; que l’huile de ricin était le purgatif le plus doux et le plus inoffensif qu’on peut employer ; que tout médecin y aurait eu recours : que si elle n’avait pas produit l’effet qu’on en espérait, cela tenait certainement non à l’administration intempestive de ce médicament, mais à la nature de la maladie ; qu’il y avait dans l’intestin un obstacle au cours des matières que le médicament n’avait pas pu vaincre, mais que c’était chose qu’on ne pouvait deviner ; que l’eût-on deviné d’ailleurs, il aurait fallu chercher à le faire disparaître, et qu’alors l’huile de ricin était le meilleur moyen qu’on pût employer dans ce but.

Malgré ce raisonnement qui, du reste, était très juste, je m’aperçus qu’elle n’était pas le moins du monde convaincue.

…Le pouls était large et plein, battant 88 fois par minute (ce qui était pour Mme Sand de la fréquence — elle n’avait que 50 à 55 pulsations en état de santé), elle avait presque constamment envie de vomir, la langue était blanchâtre, large et humide, le faciès nullement altéré, soif vive.

Prescription : glace, fomentations sur le ventre avec l’huile de camomille camphrée, cataplasmes émollients ; bains de siège ; lavements émollients. La femme de chambre (ancienne nourrice d’Aurore) que nous avons interrogée nous a dit que depuis deux ans qu’elle était au service de Mme Sand, elle avait remarqué que presque constamment il y avait du sang dans les garde-robes ; que ce sang se montrait sous la forme de caillots noirs.

Ce renseignement nous fit supposer, au docteur Papet et à moi, qu’il existait dans le gros intestin une ou plusieurs ulcérations anciennes…

On vint me chercher quelques instants après la visite de ces messieurs — écrit le docteur Chabenat, — mais je ne pus me rendre à Nohant que vers les 3 heures. Je fus très surpris, en arrivant, de trouver les visages consternés et de voir là réunis les amis de la maison : M. Sagnier, M. Charles Moulin, M. de Vasson, M. et Mme Cabillaud.

M. Papet était là aussi, et m’apprit les événements de la veille. Nous attendîmes l’arrivée de M. Pestel pour nous rendre auprès de la malade. Il arriva bientôt et nous montâmes dans la chambre de Mme Sand. Mme Maurice était auprès de sa belle-mère avec la Thomas et la Nounou. (Toutes les trois ont veillé et soigné l’illustre écrivain jusqu’à son dernier soupir.)

Nous constatâmes que le ventre était ballonné, très douloureux, et qu’à chaque instant il y avait des éructations. Le pouls était toujours à 88 ; la malade était très altérée et ne prenait aucune nourriture. Le traitement prescrit la veille par M. Papet fut continué…

À 8 heures nous étions tous les trois près de Mme Sand… L’état de la malade n’avait pas changé, elle se plaignait toujours du ventre…

Je passai la nuit dans le cabinet de travail de Mme Sand, attenant à sa chambre et me rendis près d’elle chaque fois que ma présence était nécessaire.

Mme Maurice ne quitta pas sa belle-mère un seul instant.

M. de Vasson resta avec M. Maurice une partie de la nuit et quand M. Maurice fut couché, il monta dans le cabinet de travail avec moi.

Il y eut cette nuit-là une garde-robe, c’était la première depuis le 23 mai. Elle n’amena aucun soulagement ; le ballonnement du ventre resta le même…

Mme Sand fatiguée d’être couchée sur le dos se fit transporter sur son canapé.

Au moment où nous la transportions, M. de Vasson qui croyait qu’on avait besoin de son aide se montra à la porte de la chambre ; Mme Sand l’aperçut et demanda qui était là ; quand on eut nommé M. de Vasson, elle s’écria : « Non, non, n’entrez pas, c’est une horreur, c’est une infection ! »

Ces mots revinrent souvent dans sa bouche jusqu’au dernier moment…

Nous jugeâmes la situation tellement grave, — écrit le docteur Peste ! dans l’une de ses Notes ajoutées au manuscrit de M. Harrisse, — que nous priâmes M. Maurice de télégraphier pour faire venir un médecin de Paris. Il nous répondit : « Je vais télégraphier à Favre de venir. » Nous lui dîmes : « Soit, mais qu’il en amène un autre avec lui, nous voulons un médecin d’une science pratique incontestée. » Et comme M. Maurice nous dit ne connaître à Paris d’autre médecin que Favre, nous lui désignâmes Barth ou Jaccoud. Le lendemain 1er juin M. Favre arrivait seul à 8 heures du matin, n’ayant pu amener un des médecins désignés. Il repartait pour Paris à 10 heures et demie avec le mandat d’envoyer de suite au château M. Péan ou un autre. Ce même jour Mme Maurice avait télégraphié à Darchy (ancien médecin de Mme Sand qui habite Chambon, Creuse) de venir. La veille déjà nous avions fait appeler Chabenat, de La Châtre, avant de quitter Nohant. M. Favre voulut que nous rédigions une note explicative de la maladie afin qu’il la remît à Paris à Péan, C’est moi qui rédigeai cette note qui fut signée également de Papet et de Chabenat…

M. Paulin de Vasson écrit dans sa note Sur la maladie et la mort de Mme Sand :

Le docteur Papet, appelé le premier, craignit une paralysie des intestins. Pestel de Saint-Chartier, appelé de suite, avait la même pensée et sa physionomie n’était pas rassurante. Il avait des hochements de tête significatifs. Chabenat Marc, en était pour prendre des mesures immédiates. Mais Mme Sand avait un médecin, un certain docteur Favre, qui m’a toujours produit une déplorable impression. Malheureusement à Nohant on croyait en lui. Je ne veux pas dire que le pauvre cher homme ait causé par son incapacité la moindre catastrophe. Non ; mais étant donné la possibilité (à laquelle je ne croyais pas) de sauver la malade, le docteur Favi’e, faux savant, bavard et sans pratique médicale, ne pouvait être qu’un obstacle.

Les trois docteurs : Papet, Pestel et Chabenat ont demandé l’appel d’une célébrité de la médecine. Prévoyant l’intention par la famille d’appeler le docteur Favre, ils ont demandé deux médecins et désigné Barthe et Jaccoud.

On a télégraphié (malheureusement) au docteur Favre en lui donnant commission d’amener ces messieurs. Nous attendions avec anxiété. Le pau^Te Maurice était en proie à une agitation extraordinaire pendant toute la nuit où je l’assistais.

Or, à 8 heures du matin arrive le docteur Favre seul. J’étais, je l’avoue, exaspéré. J’ai eu la patience cependant d’écouter ses explications prolixes et détaillées, desquelles on comprenait qu’il n’avait pu amener aucun de ces messieurs. Alors, mon homme, en présence des trois médecins, et avant d’avoir vu la malade[542], fait des discours sur sa maladie : « C’était la dyssenterie, ou bien c’est une hernie, je la frictionnerai, etc. »

Pestel tapait du pied.

Enfin il s’est décidé à entrer dans la chambre de Mme Sand. Il en redescend et alors, jusqu’à son départ, on n’entend que le docteur Favre avec son flux de paroles inutiles et cette faconde intempestive. Il insista auprès des autres médecins pour faire valoir son avis, qui consistait à retourner à Paris, lui Favre, aller trouver un chirurgien, lui faire connaître la maladie de Mme Sand et l’instruire sur l’œuvre chirurgicale à accomplir.

Pour cela il décida ces messieurs à faire un procès-verbal qui fut rédigé par Chabenat. Muni de ce document Favre repartit.

Le docteur Chabenat continue son récit :

Le jeudi matin 1er juin, MM. Pestel et Papet vinrent à Nohant vers 8 heures. On attendait M. Barthe ou M. Jaccoud mandés la veille par une dépêche envoyée à M. le docteur Favre. Notre désappointement fut grand quand nous vîmes ce dernier sans ces messieurs.

Il était accompagné de M. Sagnier[543] (de Nîmes) qui était allé l’attendre à Châteauroux. Nous causâmes longtemps avec M. Favre qui vint avec nous dans la chambre de Mme Sand. La sonde œsophagienne fut de nouveau introduite sans plus de résultat que la veille. M. Favre nous pria de rédiger une noie (ce qui fut fait par M. Pestel) qu’il remettrait au chirurgien, M. Péan. Il repartit pour Paris à 10 heures et demie pour prévenir l’opérateur.

Dans la matinée du même jour, M. Cazamajou, neveu de Mme Sand, arriva à Nohant et fut jusqu’au dernier soupir de sa tante admirable de dévouement.

M. Papet resta une partie de la journée près de la malade. M. Peste et moi nous restâmes le soir. Rien ne fut modifié dans le traitement. La situation était toujours la même. Je restai jusqu’à une heure du matin.

Le vendredi 2 juin nous étions à 8 heures du matin à Nohant. Nous trouvâmes en arrivant un autre confrère, M. Darchy de Chambon (Creuse), ami de Mme Sand, arrivé dans la nuit pour lui donner ses soins. Nous attendîmes M. Péan que M. Fa"Te devait envoyer. Il arriva vers 9 heures avec M. René Simonnet, substitut à Châteauroux, neveu de la malade. M. Péan examina Mme Sand et après cet examen il fut décidé que l’on ne pouvait avoir recours à l’entérotomie et que l’on se contenterait d’injecter à l’aide de la sonde œsophagienne, introduite le plus loin possible, une certaine quantité d’eau de Seltz. On aurait recours ensuite à la ponction abdominale dont nous avons déjà parlé avec M. Papet et Pestel dès le 31 mai. La petite opération fut remise après le déjeuner, M. Péan voulant repartir le soir même pour Paris…

À midi et demi environ, M. Péan, assisté des confrères dont j’ai parlé (et en présence de Mme Lina, de M. Cazamajou, des deux domestiques), pratiqua l’opération. Mme Sand eut d’horribles souffrances pendant l’opération ; elles furent suivies d’un soulagement notable ensuite… La soirée fut plus calme.

Mme Clésinger, prévenue par une dépêche, était arrivée de Paris et resta jusqu’à la fin à Nohant pour veiller sa mère et lui donner ses soins.

La journée du samedi 3 juin fut relativement meilleure sans qu’il y eût cependant aucune rémission dans les symptômes. Il y avait bien quelques selles mais le ballonnement du ventre, les douleurs, le pouls ne changeaient pas. La malade causait un peu mieux ; elle demanda à voir ses deux petites-filles et son chien Fadet, elle prit un peu de gelée de viande. Rien à signaler dans la soirée. M. Darchy restait à Nohant ce qui nous permit de nous retirer vers 11 heures.

Le lendemain matin 4 juin l’état s’était aggravé, le pouls était à 100 pulsations, la respiration plus difficile par suite de la distension des intestins par les gaz. À chaque instant la malade demandait à changer de place ; elle se plaignait sans cesse et exprimait le dégoût que lui inspirait sa maladie. On recommença l’opération que M. Péan avait faite l’avant-veille, mais sans obtenir plus de succès… [Vient l’énumération des symptômes qui s’étaient aggravés.] La journée fut plus calme que la matinée.

On télégraphia à M. Favre de revenir à Nohant. La soirée et la nuit n’apportèrent aucun changement.

Lundi 5 juin. — M. Favre et M. Plauchut arrivent le matin et se rendent dans la chambre de Mme Sand où nous étions réunis, Papet, Pestel, Darchy et moi. La malade était encore plus affaissée que la veille, elle avait cependant son entière connaissance et embrassa avec effusion MM. Favre et Plauchut, On ne prescrivit rien de nouveau. Le ballonnement du ventre était toujours considérable, le pouls à 100… l’occlusion persistait.

M. Darchy quitta Nohant dans l’après-midi. Nous nous retrouvâmes le soir, et M. Pestel resta passer la nuit. Nous constatâmes ce soir-là un épiphénomène grave. La bouche et le pharynx étaient remplis de muguet.

Mme Simonnet passa la journée du 5 à Nohant, elle repartit le lendemain matin et revint le soir. M. Cazamajou, M. René Simonnet, Mmes Lina et Clésinger ne quittaient pas Mme Sand.

Mardi 6 juin. — Les symptômes s’aggravent encore ; la malade conserve cependant sa connaissance. Les amis arrivent pour assister aux derniers moments de l’illustre écrivain. M. et Mme Boutet sont là, MM. Émile Aucante, Plauchut, Amie ; MM, de Vasson, Cabillaud, Moulin viennent passer la soirée avec M. Maurice et prendre des nouvelles de sa mère.

Mercredi 7 juin. — Le muguet augmente. La soif est atroce. La malade change de place à chaque instant ; elle se plaint du ventre, très distendu, et des reins. Elle a horreur de sa position ; elle demande la mort.

Vers 9 heures du matin elle fait appeler ses petites-fiUes, les embrasse toutes les deux, les appelle ses chères adorées et leur recommande d’être bien sages. Tous les assistants ont les larmes aux yeux.

La journée et la soirée n’apportent aucun changement. On continue à faire des onctions sur le ventre avec la pommade mercurielle belladoimée…

Vient une énumération des symptômes dont les uns s’aggravent, les autres restent alarmants comme au premier jour.

Le soir on transporte Mme Sand sur un lit de fer, afin de changer ses draps et de la délasser un peu.

M. Papet s’en va vers 9 heures, je reste jusqu’à 11 heures. M. Pestel malgré la présence du docteur Favre, veille jusqu’à 4 heures du matin. Au moment de son départ l’état de la malade était toujours le même[544].

Jeudi 8 juin. — À 5 heures du matin, une heure après le départ de M. Pestel, lime Sand perd connaissance ; son agonie dure quatre heures et demie, elle expire à 9 heures et demie…

« Ces lignes ne sont pas destinées à la publicité, écrit le docteur Pestel dans sa Note. Elles n’ont été écrites que dans le but de fixer mes souvenirs personnels. Quand on se fie à sa mémoire, le temps efface les impressions, dénature les faits, il engendre la légende avec ses exagérations et ses erreurs. Quand on prend le soin de noter ses impressions du moment, ce que l’on a vu, ce qu’on a entendu, l’écrit reste et avec lui la vérité. Voilà pourquoi j’ai écrit ces notes… »

Ces mots du docteur Pestel qui sentent d’épilogue à ses réflexions sur les médecins de Nohant, pourraient parfaitement servir d’épigraphe aux Notes qu’il ajouta au manuscrit de M. Henry Harrisse. En effet leur bonne foi, leur vérité et leur exactitude ne peuvent éveiller le moindre doute. C’est pour cela qu’à l’exception de deux passages que nous empruntons au petit opuscule de M. Harrisse très bien écrit et plein de sentiment, mais malheureusement comportant les ajoutés mentionnés plus haut, et du reste imprimé, de sorte que chaque lecteur peut le parcourir, nous allons raconter les derniers moments de Mme Sand en nous tenant surtout à la version du docteur Pestel :

Ce qui la préoccupait, l’humiliait même, — lisons-nous dans le manuscrit de M, Harrisse, — c’était la nature de sa maladie. Comme l’hermine, elle serait morte d’une tache. Aussi, quoique absolument docile entre les mains des médecins, les effets de son mal la navraient et c’était pour que ses enfants et ses amis ne pussent en voir les traces qu’elle les éloignait… Pendant sa maladie elle parla très peu…

Dans la nuit du 4 au 5 juin, vers 11 heures du soir, quand Mme Sand me vit près de son lit — écrit le docteur Pestel dans ses Notes ajoutées au manuscrit de M. Harrisse — elle me dit : « Mon pauvre petit docteur, que tu es bon ; je te remercie, pourquoi rester ? Une si vilaine maladie. »

Le 7 juin à 9 heures du matin Mme Sand dit : « Adieu, mes chères petites-filles. » Mme Maurice lui dit : « Veux-tu qu’on aille les chercher ?Oui. »

Les petites vinrent et s’approchèrent du lit. « Mes chères petites, leur dit-elle, que je vous aime. Regardez-moi, mes enfants. Oh ! mes chères adorées, que je vous aime ! Embrassez-moi, soyez bien sages. »

Une autre fois précédemment, elle avait demandé à voir ses petites-filles ; ce devait être le 3 juin.

… Je suis resté près d’elle de 10 heures du soir (7 juin) jusqu’à 4 heures du matin ; il n’y avait avec moi pendant ce temps que Mme Solange et la bonne des enfants (la nourrice de Gabrielle). La malade souffrit beaucoup. Il fallait à tout instant la relever dans son Ut et la changer de position ; nous ne sommes jamais restés plus de deux minutes sans être occupés soit à la mouvoir, soit à la faire boire. Elle buvait avec une grande difficulté, en raison surtout d’une couche de muguet qui tapissait la bouche, l’arrière-bouche et probablement aussi une grande partie du tube digestif. C’est la présence du muguet et la sécheresse de la bouche qui, en gênant les mouvements de la langue, empêchait Mme Sand d’articuler nettement les mots. Très souvent elle nous a dit : à boire ou tout simplement boire. Mais souvent aussi elle faisait signe avec son bras sans rien dire.

Bien des fois elle prononça des mots inintelligibles ; on lui demandait alors, si elle voulait être tournée à gauche, à droite, ou relevée ; elle faisait un signe de tête pour nous répondre. Trois ou quatre fois, elle m’appela distinctement par mon nom, c’était pour boire ou être changée de position.

Vers une heure du matin, son lit étant souillé, elle voulut être lavée. En vain on lui représenta que ce serait une secousse inutile pour elle, qu’on pourrait se borner à lui passer des serviettes ; elle insista avec une sorte d’entêtement puéril, répétant continuellement : « Lavez-moi, lavez-moi », etc., jusqu’à ce qu’on lui obéît.

À plusieurs reprises elle nous dit : « Ayez pitié, mes enfants, ayez pitié ! »

Vers 2 heures elle répéta six ou sept fois de suite : « La mort, mon Dieu, la mort ! »

À 3 heures du matin, marchant sans bruit, M. Maurice se présenta sur le seuil de la porte qui sépare le cabinet de la chambre à coucher, la porte restée ouverte, sa mère le vit aussitôt et lui dit : « Non, non, va-t’en, va-t’en !… »

Cette nuit-là Mme Sand l’a passée sur un lit de fer placé au milieu de sa chambre vis-à-vis la cheminée. Vers 6 heures du matin, la malade cherchant du regard la lumière, Mme Solange changea la direction du lit de façon que sa mère eût la fenêtre en face. C’est sur ce lit qu’elle est morte. Ce changement de lit avait été nécessité par les manœuvres incessantes qu’on était obligé de faire pour la changer de position.

… Le 8 juin, vers 6 heures du matin, j’étais sorti. Il y avait près d’elle Mme Maurice, Mme Solange, René Simonnet, Oscar Cazamajou et le docteur Favre[545]. Elle dit : « Adieu, adieu, je vais mourir, adieu Lina, adieu Maurice, adieu Lolo, ad… » Elle voulait ajouter certainement : « Adieu Titite », mais elle ne put et ce furent ses dernières paroles. (Je me le rappelle fort bien, car cela m’a beaucoup frappée : elle entra tout de suite après en agonie », ajouta à ces mots Lina Sand.)

Plus tard on raconta — (malheureusement Henry Harrisse a cru pouvoir intercaler ce brin de légende dans sa narration manuscrite si exacte) — donc, plus tard on prétendit que les toutes dernières paroles de Mme Sand furent : « Laissez verdure. » Ceci est faux. Le docteur Pestel et Mme Lina Sand assurent d’une manière catégorique que ces mots ne furent point prononcés le jour de sa mort, mais la veille, à 9 heures du soir, lorsqu’il y avait près de Mme Sand, Mmes Solange et Lina. Le docteur Pestel dit par deux fois dans ses Notes, ajoutées au manuscrit de M. Harrisse, dans la Note 4 :

Note 4 : « C’est le 7 juin, vers 9 heures du soir. Il n’y avait près d’elle que sa fille et sa bru lorsqu’elle prononça ces mots qu’on prit tout d’abord pour du délire, mais auxquels on attribua plus tard leur signification vraie. »

Et dans la note 0 : « Ces deux mots ont été prononcés le 7 juin au soir, comme je l’ai indiqué plus haut. Je le tiens de Mme Maurice, que j’ai interrogée à cet égard aujourd’hui même, 3 juillet 1876. »

On dirait que M. Harrisse ne pût pas se résoudre à faire justice de cette version accréditée et si bien arrangée pour plaire à tous ceux qui aiment que les toutes dernières paroles des grands hommes mourants soient toujours « belles ». Donc, au lieu de corriger dans son texte imprimé cette erreur, en biffant à la date du 8 juin ce qui se rapportait au 7, il arrangea son texte de manière que, selon lui, George Sand prononça ces mots non pas une fois, mais trois fois ! une fois la veille, et deux fois le jour de sa mort. Ceci est une pure légende. Mais transcrivons l’explication véridique et logique qu’il donne à cette phrase de Mme Sand en intercalant dans son texte imprimé la note de M. Pestel (sans le citer).

Le 7 juin, vers 9 hem-es du soir il n’y avait près d’elle à ce moment que sa fille et sa bru, lorsqu’elles l’entendirent prononcer ces mots « Adieu, adieu, je vais mourir », puis plusieurs paroles inintelligibles finissant par : « Laissez verdure. »

Solange regarda Mme Lina, comme pour lui dire que sa pauvre mère n’avait plus ses facultés ; mais en y réfléchissant voici l’interprétation qu’elles donnèrent à ces deux mots.

Il y a dans le cimetière de Nohant, à l’angle de droite, appuyé au mur mitoyen qui le sépare du château, un petit enclos réservé, tout recouvert de broussailles et de plantes folles, qui cachent la tombe du père et de la grand’mère de Mme Sand. Quand on entre dans cet enclos on remarque une croix en marbre blanc sans aucune inscription et, derrière cette croix, une stèle aussi de marbre blanc. Ces deux petits monuments funéraires furent érigés par Maurice et par Mme Clésinger lorsqu’on y inhuma les restes de son enfant, transférés de Paris vers 1855 pendant un voyage que fit Mme Sand[546]. À son retour elle exprima ses regrets qu’on eût érigé ces cénotaphes, préférant, dit-elle, une simple couche de verdure[547].

C’est alors qu’elle déclara sa volonté de n’avoir sur sa tombe que de la verdure, comme il y en avait sur celle de sa grand’mère[548]. Elle m’en dit autant à moi-même un jour qu’en rentrant au château nous passions près du cimetière…

M. Paulin de Vasson décrit de la manière suivante les jours qui succédèrent à la mort de Mme Sand.

J’apprends la mort de Mme Sand au moment d’aller à l’audience où j’ai plaidé trois affaires dont une demande de filiation naturelle basée sur la possession d’état et je cite l’arrêt du Parlement concernant Aurore de Saxe que j’avais lu l’avant-veille, en veillant sa petite-fille. J’étais profondément ému. L’audience finie je dîne à la hâte avec Nannecy aussi triste et silencieuse que moi, et ma fille qui n’était pas d’âge à comprendre. Je pars pour Nohant à 7 heures.

Je trouve dans la salle à manger et dînant plusieurs personnes tout en noir, Maurice suffoquant (et moi aussi). La place de Mme Sand était occupée par… Solange. Puis Mme Simonnet, ses trois fils, M. Cazamajou, Aucante, M. et Mme Boutet, Amie, Plauchut, Papet, Lina et ses deux filles. Maurice avait des effusions nerveuses.

Solange paraissait avoir pris la maîtrise. J’oubliais de mentionner comment dans la nuit de mercredi au jeudi[549] une décision avait été prise à son sujet.

Solange avait été bannie de Nohant. Elle vivait à Montgivray, propriété achetée aux Simonnet. Elle était là toute prête à manœuvrer contre son frère et surtout contre sa belle-sœur. Mme Sand avait fait une faute en lui retirant sa pension et en attisant ainsi sa haine. En l’état si grave de Mme Sand il fallait prendre un parti et c’est pour cela que j’avais dicté à Maurice un billet ainsi conçu : « Notre mère est malade et son état est grave. Les docteurs Papet, Pestel et Chabenat attendent deux médecins de Paris qui arriveront demain matin. Viens, si tu veux. — Maurice. » Je me soutiens que Lina entra au moment où nous composions ce court avertissement, plusieurs fois recommencé et qu’elle dit à Maurice : « Tu fais ce que j’allais te demander. » Le billot fut porté à Montgivray ; Solange qui était à Paris et qui avait donné ses instructions prévoyantes à ses domestiques, fut de suite avisée. Elle vint le lendemain à 10 heures, après avoir humblement demandé de lui fixer l’heure. À son arrivée Maurice la prit dans ses bras. Pour Lina c’était plus délicat. Lina, nature droite, franche et sincère, qui avait tant de motifs de mépriser sa belle-sœur, fut glaciale. Solange l’appela : madame. Alors Maurice prit sa sœur et sa femme par la main et les força à s’embrasser. La glace était rompue. Néanmoins Solange ne s’enhardissait pas encore. Elle monta voir sa pauvre mère qui gémissait et souffrait. L’entrevue n’eut rien de mémorable. Mme Sand au surplus, jusqu’à ses derniers moments, est restée ce qu’elle était toujours, une femme de génie dont l’intelligence et le cœur faisaient leur travail sans autre manifestation que les admirables pages qu’elle écrivait. Que pensait-elle en voyant sa fille près d’elle ? Elle n’a pas dit un mot qui fît connaître son sentiment. C’était à ce moment comme toujours, car que pensait Mme Sand pour ceux qui la voyaient ? Il y avait parfois dans son regard, dans un serrement de main, dans son accueil quelque chose de bienveillant et de tendre, mais on ne savait pas facilement reconnaître les pensées de tendresse qu’elle vous accordait. Elle restait le plus souvent muette et paraissait distraite. Elle me paraissait, à moi du moins, avoir l’impuissance absolue de l’expansion verbale[550]. Et pourtant j’ai assisté une ou deux fois à de ces abandons qui nous électrisent et éternisent son souvenir. A-t-elle été effrayée de la vision de cette fille indigne ? C’est comme si on demandait si la mort l’effrayait. Ma conviction est qu’elle était absorbée par la sensation physique du malaise et de la douleur, et que le dénouement ne lui causait pas de l’effroi, mais simplement une préoccupation de l’avenir de ceux qu’elle aimait, ses petites-filles, Maurice et Lina, sa véritable fille, si digne dune bonne place dans ce grand cœur. Pour Lina la mort de Mme Sand est un malheur immense.

Mais toute cette digression était pour arriver à dire qu’après le dernier soupir de la bonne mère une question s’est présentée. Comment devaient s’accomplir les funérailles ?…

En effet, à peine George Sand avait-elle fermé les yeux que surgit cette question. Du reste ceci n’est pas exact : elle était encore vivante lorsque Solange souleva la question : Comment enterrera-t-on sa mère ? Seront-ce des funérailles catholiques ou un enterrement civil ? Voici en quels termes s’expriment là-dessus le docteur Pestel, M. Paulin de Vasson, Henry Harrisse et Lina Sand :

« Le 6 juin au soir le curé de Vicq était dans la cour ; M. Plauchut alla lui dire que s’il désirait avoir des nouvelles de la malade, il avait le regret de lui apprendre qu’elle n’était pas mieux, que s’il était venu dans l’espoir d’exercer près d’elle son ministère, il pensait que sa démarche était inutile, parce que certainement Mme Sand ne le recevrait pas. À cet instant Mme Solange apprenant la présence du curé, descendit pour lui parler. Plauchut lui dit : « C’est inutile de le chercher, « je viens de lui donner congé. » Néanmoins Mme Solange se rendit dans la cour, demanda si le curé était parti, elle le rit qui se promenait dans la grande allée du jardin. Elle fut le trouver et le remercia de sa bonté d’être venu savoir des nouvelles de sa mère. Le curé lui dit : « Mais j’étais venu aussi dans l’espoir d’apporter à Mme Sand le secours « de la religion. » Mme Solange lui répondit que sa mère, quoique bien souffrante, n’en était pas là, qu’elle craindrait en introduisant près d’elle un prêtre de lui causer une émotion fâcheuse, que le lendemain elle lui ferait porter des nouvelles et que si l’état s’aggravait elle le ferait prévenir. »

Dans ce peu de lignes Solange est reflétée ressemblante de tous points, allures, manières et parler ; c’est un vrai instantané. Solange n’est préoccupée que d’une chose : que tout soit « convenable », que « les apparences soient sauvées » ; c’est pour cela qu’elle parle fort aimablement au curé, tout en lui mentant en disant que « sa mère n’en était pas là » ; elle le détourne de l’intention de revenir le lendemain en lui donnant le conseil déguisé de ne pas se déranger, lui promettant de lui envoyer des nouvelles de la malade et de « le prévenir si son état s’aggravait », tout cela « le 6 juin où Mme Nannecy de Vasson mettait dans son journal : Mme Sand est au plus mal », la veille du jour où elle écrivait : « Mme Sand est condamnée », et le jour même où le docteur Chabenat inscrivait dans ses feuillets : « Les symptômes s’aggravent encore, la malade cependant conserve la connaissance ; les amis arrivent pour assister aux derniers moments… » etc., etc.

Mais reprenons le récit du docteur Pestel :

Déjà le 7 juin, dans la soirée, Mme Solange, prévoyant la fin prochaine de la malade, avait consulté Simonnet, puis Cazamajou sur le mode d’enterrement ; ils répondirent tous deux : « Mais je pense que ce sera un enterrement civil. » Mme Solange n’était pas de cet avis. Plauchut lui dit que Mme Sand devait être enterrée civilement, que ses opinions l’exigeaient, que faire autrement serait lui aliéner tout le parti républicain ; que du reste Mme Sand étant allée à l’enterrement civil de Sainte-Beuve et y étant la seule femme qui y fût, c’était là de sa part une sorte de déclaration. Mme Solange répondit que Mme Sand n’était pas la seule femme qui se fût rendue à cet enterrement et que si elle y était allée, c’était à cause de Sainte-Beuve et non dans l’idée d’adhérer à un enterrement civil, ajoutant que, dans bien des circonstances, elle s’était moquée (??) des gens qui se faisaient enterrer civilement, et tout dernièrement encore à l’occasion de Patureau-Francœur…

Mme Solange ne se gênait pas pour altérer la vérité et cela avec un aplomb digne d’un meilleur usage. Elle prétendait que sa mère s’était « moquée » d’enterrements civils « en bien des circonstances », tandis que justement en bien des circonstances George Sand avait exprimé ses sympathies pour des enterrements « sans prêtre » et le désir qu’elle et ses proches fussent inhumés de cette manière-là. Mme Solange cette fois encore a fardé la vérité.

Il faut se rappeler la lettre de George Sand écrite en 1864 à l’occasion de la mort de Fulbert Martin, ses réflexions lors de l’enterrement civil de Maillard, en janvier 1865[551], et le fait que malgré les terreurs de la famille de Manceau, elle fit enterrer elle-même ce vieil ami sans aucune espèce de cérémonie religieuse. Quant à la présence de Mme Sand à l’enterrement civil de Sainte-Beuve en 1869 (et à celui de Pierre Leroux en 1871), il est vrai qu’elle y avait été « non par désir d’adhérer » à des opinions quelconques, mais par simple amitié pour les défunts.

Il n’en est pas moins certain que la manière dont elle décrivit cet enterrement de Sainte-Beuve et la silencieuse ovation dont elle-même y fut l’objet, marquait clairement à quoi elle avait attribué cette manifestation respectueuse. Mme Sand y souligne très nettement que cette manifestation était « un mouvement général d’estime pour le caractère plus que pour la réputation… », c’est-à-dire qu’il s’adressait à son courage et à la dignité de sa conduite habituels la faisant toujours bravement agir d’accord avec ses opinions et sa foi[552].

… Je me suis levée à 8 heures pour aller enterrer le pauvre Sainte-Beuve,

Tout Paris était là, les lettres, les arts, les sciences, la jeunesse et le peuple ; pas de sénateurs ni de prêtres. J’y ai vu Girardin qui a dit à Solange que son roman était très bien, et qui l’a beaucoup encouragée à continuer ; Flaubert qui était très affecté ; Alexandre ; son père qui ne marche plus ; Berton, Adam, Borie, Nefftzer, Taine, Trélat, le vieux Grzymala, Prévost-Paradol, Ratisbonne, Arnaud (de l’Ariège), catholique. Des athées, des croyants, des gens de tout âge, de toute opinion, et la foule.

La chose finie, j’ai quitté tout ce monde officiel pour aller trouver ma voiture ; alors en rentrant dans la vraie foule j’ai été l’objet d’une manifestation, dont je peux dire que j’ai été reconnaissante, parce qu’elle était tout à fait respectueuse et pas enthousiaste : on m’a escortée en se reculant pour me faire place et en levant tous les chapeaux en silence. La voiture a eu peine à se dégager de cette foule qui se retirait lentement, saluant toujours et ne me regardant pas sous le nez, et ne disant rien. Adam et Plauchut qui m’accompagnaient pleuraient presque et Alexandre était tout étonné.

J’ai trouvé cela mieux que des cris et des applaudissements de théâtre, et j’ai été seule l’objet de cette préférence. Il n’y avait pour les autres que des témoignages de curiosité. Plauchut m’a fait promettre de te raconter cela bien exactement, disant que tu en seras content, parce que c’était comme un mouvement général d’estime pour le caractère plus que pour la réputation[553]

Quant à Patureau-Francœur, la Nécrologie[554] que Mme Sand lui consacra après sa mort témoigne de l’estime de Mme Sand, de sa chaude sympathie, de son enthousiasme pour l’héroïsme de ce simple vigneron au cœur ardent, républicain inébranlable qui supporta des persécutions injustes et sut, exilé en Afrique, ne point se laisser abattre par l’infortune, mais y servir encore sa patrie par son labeur d’agriculteur honnête et sans trêve. Mais ni dans cette Nécrologie, ni dans toutes les lettres où Mme Sand parle de Francœur, nous n’avons lu un seul mot ironique ou moqueur, Notons aussi que Francœur était mort dès 1868, juste une année avant Sainte-Beuve, ce qui n’était plus si « récemment » en 1876. Mais quand Mme Solange voulait arriver à ses fins les inexactitudes et les inventions ne l’arrêtaient pas.

Revenons au récit de M. Pestel et à ceux des autres témoins oculaires des événements :

Après la mort (de Mme Sand) Mme Solange agita cette question de l’enterrement. Mme Lina lui répondit : « Mme Sand n’a jamais exprimé devant moi d’intention à ce sujet. J’ai fait enterrer civilement mon père, parce que cela me regardait ; Mme Sand est votre mère, arrangez-vous avec Maurice, c’est votre affaire, je ne veux pas m’en mêler. » M. Maurice inclinait pour un enterrement civil ; sa sœur lui demanda s’il avait des instructions de sa mère, il répondit que non. Mme Solange avait trouvé quelques jours auparavant dans un petit sachet de satin bleu un écrit de sa mère, daté de 1857 ou 1858 qui commençait ainsi : « Ceci est l’expression de mes dernières volontés. La mort n’étant pas un malheur, mais une délivrance, je ne veux sur ma tombe aucun emblème de deuil, je désire au contraire qu’il n’y ait que des fleurs, des arbres et de la verdure «, puis elle indiquait des détails relatifs à son enterrement, mais il n’était nullement question d’enterrement civil À cette époque elle voulait être enterrée dans le cimetière de Caulmont près Gargilesse. Plus tard, paraît-il, elle avait voulu l’être à Palaiseau.

Mme Solange insista pour que sa mère fût enterrée religieusement, disant que si elle avait voulu un enterrement civil, elle n’agirait pas manqué de le dire. Simonnet, Cazamajou pensaient de même. M. Favre, qu’elle supposait libre-penseur, accepta avec enthousiasme un enterrement religieux. Alors Mme Solange s’adressa à M. Maurice pour le décider. Ce dernier ne fit pas d’objection et y consentit volontiers. Papet avait été aussi consulté. Il avait dit à Mme Solange : « Je vous déclare que s’il y a un enterrement civil, ni moi, ni ma famille n’y viendrons… »

Si toute cette histoire du « sachet bleu » n’est point une invention ad hoc de cette dame qui sut combiner avec une adresse infinie les dernières paroles de sa mère sur la « verdure » et des jugements entendus jadis sur son désir d’être enterrée à quelque cimetière rural — avec sa propre assertion qu’il n’y avait été, dans ce sachet, « nullement question d’enterrement civil » — si tout cela, disons-nous, n’est point une invention, si ce papier dans un sachet a réellement existé, il doit avoir été écrit non pas vers 1858, mais en 1863 peut-être, même en 1865, et nous croyons que les « quelques détails sur son enterrement » que Solange semble avoir oubliés étaient justement des indications sur un enterrement à Palaiseau, où Manceau avait été enseveli « sous des fleurs et sans cérémonie religieuse ». (Voir plus haut, chapitre XII.)

On lit dans la brochure de M. Harrisse qui cite à la suite de son explication des mots : « Laissez verdure », tout le passage précédent des souvenirs du docteur Pestel (sans le nommer) : « Cet écrit (le papier du sachet) aurait été déchiré peu après. Je n’ai pu contrôler ces détails. » M. Harrisse a eu bien raison d’ajouter cette clause sceptique, de dire « aurait été » et de citer tout ce racontar au conditionnel ! Il nous semble que le petit papier déchiré n’aurait pu être « retrouvé » que « dans l’imagination de Mme Solange », ou, s’il eût été retrouvé… on y aurait lu tout autre chose !

M. Paulin de Vasson raconte comme suit les débats qui eurent lieu à Nohant après le dernier soupir de la « bonne mère ».

…La question fut débattue, hors ma présence, j’ai su presque aussitôt ce qui s’était passé. La famille, c’est-à-dire Solange et René Simonnet voulaient un enterrement catholique. Maurice fut facilement persuadé, mais non sans une grande agitation de sa conscience. Maurice, homme intelligent, bien doué, érudit, artiste, est un pitoyable psychologue. Il vénérait sa mère. Il ne s’est jamais assimilé ses hautes idées philosophiques. En politique il pensait comme un fermier rural. Et il a eu une certaine influence sur l’esprit même de sa mère, faible malgré son génie, et s’illusionnant quelquefois sur les gens, témoin la confiance qu’elle avait dans un Simonnet.

On disait à Maurice : « L’enterrement civil est le signe de ralliement des communards, » On lui disait aussi : « Les gens du pays n’aiment pas qu’on enterre un chrétien comme un chien, ce serait un déshonneur pour le maire de Nohant. » Solange et Simonnet insistaient. Bref, Solange sollicita l’enterrement religieux par télégramme à l’archevêque. Mais le problème a très rudement secoué le pauvre Maurice qui revenait toujours sur la question et me demandait ce que je ferais à sa place. Je lui répondais invariablement : « Il faut consulter Mme Sand. Elle est morte, mais les immortels laissent leurs œuvres et la réponse aux questions qu’on peut leur poser. » C’est ce que Maurice n’a pas su faire. Il disait toujours : « Cela me serait égal, mais la famille ??? »

Quelle famille ? Solange, les Simonnet ?…

Enfin elle a été enterrée rehgieusement. Je l’ai écrit au pasteur Leblois.

Nuit du 8 au 9. — Nous avons été assistés jusqu’à minuit par MM. Aucante, Amie et Plauchut. Pendant que je causais avec Aucante qui me parlait de mon père, de ses écrits ignorés, de son ami de Laprade, de la petite République de La Châtre, j’entendais Maurice discuter avec Amie[555]. Il s’agissait toujours de l’enterrement civil. « Je me suis fait protestant, disait-il, pour sortir du catholicisme. Ma mère a refusé de me suivre. Donc elle est restée catholique. Car, disait-il, on appartient forcément à tel ou tel culte. Autrement on est dans l’illégalité… » Que venait faire la question de légalité ? Voilà à quoi peut amener un esprit intelligent, mais étranger aux pensées philosophiques et qui confond tout, la loi civile, la liberté religieuse, la liberté de conscience et le gendarme. Quand ces messieurs se sont retirés, j’ai eu à subir tout seul l’assaut de ce pauvre Maurice tournant toujours dans le même cercle. Cette épreuve a été pour moi la plus pénible de toutes. Pour le calmer je lui proposai de demander à Moulin s’il y avait dans le testament de Mme Sand des dispositions relatives aux funérailles[556]. Alors il s’est calmé et a consenti à aller se coucher, et j’ai pu retourner à La Châtre.

Le 9 (juin) Moulin est venu dans la journée à Nohant consulter Maurice et Solange pour savoir s’il devait faire ouvrir le testament de suite. En même temps il leur demandait s’ils consentaient à ce que M. Périgois fît un discours d’adieu au nom du Berry. Les deux démarches étaient délicates, la seconde surtout, à cause des dispositions hostiles à M. Périgois que l’on croyait capable de faire un discours de sectaire, ce qui était bien peu le connaître, comme les faits l’ont démontré.

Le 9, pendant la conférence de Moulin, nous circulions dans la maison, Nannecy et moi. J’ai vu la pauvre morte et cette pauvre Lina qui pleurait si amèrement avec Nannecy.

Plauchut se renfermait dans le pavillon, loin de ces débats sur l’enterrement de sa grande amie. Je me suis promené avec Albert Simonnet, le plus sympathique des trois, qui m’a dit beaucoup de choses sensées, en manifestant ses alarmes à l’encontre de Solange qu’il connaît bien. Quant à elle, ou la voyait gesticuler, commander. La bête s’était déchaînée. Lina au contraire abdiquait. Il est impossible d’avoir été plus digne…

« J’étais à mille lieues de penser que Mme Sand passerait par l’église », écrit Lina Sand dans sa Noie manuscrite, je fus donc stupéfaite quand, dans la matinée qui suivit la mort, je fus appelée par Solange, Simonnet et Cazamajou, qui me prouvèrent qu’il valait mieux enterrer religieusement Mme Sand. Je regimbai violemment, mais, tout entière à mon chagrin, je leur répondis de s’adresser à Maurice, que cela le regardait, que de son vivant j’avais le droit de la protéger, qu’après sa mort cela regardait les enfants. Je comptais sur Maurice, loin de croire qu’il accéderait aux raisonnements de Solange et de Simonnet. Ce dernier, pour me faire céder, m’assura que mes filles ne se marieraient pas, si je faisais obstacle à l’acte religieux. Je suis persuadée que George Sand qui avait un écrit lorsqu’elle était chez des amis, n’a pas voulu en avoir à Nohant, de peur d’un conflit entre Solange et son frère[557].

Lina.

P.-S. — Le docteur Favre a dû dire à Maurice ce qu’il m’a dit à moi-même à propos du reporter du Figaro : « Laissez-moi faire, recevez bien les catholiques, c’est ce parti-là qui a le plus injurié votre mère, désarmez-le, afin qu’on parle bien d’elle après sa mort. C’est de la diplomatie qu’il faut faire, sinon gare[558]… »

Donc, lorsque le 8 juin 1876 la question de l’enterrement de Mme Sand fut soulevée, les uns gardèrent le silence, les autres ne furent pas entendus. Maurice oublia toutes les lettres de sa mère mentionnées plus haut et, quand il apprit qu’elle n’avait rien déclaré formellement à ce sujet dans son testament, il se mit à demander à tout le monde ce qu’il fallait faire.

Maurice se rendait si peu compte que c’était à lui seul qu’incombait le devoir d’agir suivant la volonté et les idées de sa mère qu’il demanda à Papet après l’enterrement : « Es-tu content ? Les choses se sont-elles passées selon ton désir ? À quoi il lui fut répondu : Oui, très content, je trouve que tout s’est passé pour le mieux. »

Solange qui se souciait des croyances de sa mère comme des neiges d’antan, mais qui respectait beaucoup tous les qu’en dira-t-on, profita immédiatement de ces circonstances pour échanger des dépêches avec l’archevêque de Bourges, M. de la Tour d’Auvergne, et obtint l’autorisation d’enterrer Mme Sand selon le rite catholique.

Empruntons maintenant à M. Harrisse le compte-rendu des jours qui suivirent le décès de Mme Sand, et les détails à propos des funérailles :

Dimanche, 11 juin 1876.

Nous étions tous très inquiets, nous communiquant les nouvelles que le docteur Favre envoyait à Dumas et celles qu’Aucante adressait à Calmann Lévy, nos seules sources d’information. Le jeudi 8 juin 1876, en revenant d’accompagner Flaubert, chez qui nous avions trouvé une lettre de la pauvre Martine[559] et une copie au crayon d’une dépêche de M. Plauchut, laissée par Lambert, annonçant que Mme Sand était au plus mal, je reçus vers les 6 heures un télégramme ainsi conçu :

La Châtre, 4 h. 46 du soir.
Ma mère est morte.
Maurice Sand.

J’allai immédiatement communiquer cette triste nouvelle à Dumas ; il l’avait également reçue. Nous convînmes de nous prévenir mutuellement de l’heure et du lieu des obsèques afin d’y aller ensemble.

Le lendemain matin, 9 juin, plusieurs journaux, les Débats entre autres, annonçaient que Mme Sand serait inhumée à Paris. Cette nouvelle me parut invraisemblable. Effectivement, à 8 heures, un mot de Mme Dumas me faisait prévenir que c’était à Nohant qu’auraient lieu les funérailles et que son mari m’attendrait à la gare du chemin de fer d’Orléans, le jour même, à 10 heures du matin. Je fis préparer ma valise à la hâte ; le temps était abominable, une pluie fine, serrée, froide, des rafales d’un vent âpre, on se serait cru en octobre. À la gare je trouvai sept personnes parmi lesquelles Lambert, Cadol, M. Borie et Calmann Lévy. Dumas arriva quelques instants après. Dumas, Cadol, Paul Meurice, Lévy et moi nous occupions le même compartiment.

Nous arrivâmes à Châteauroux à 3 heures un quart ; la pluie ne cessait de tomber, le sol était complètement détrempé. Il n’y avait à la gare que la diligence et les deux petites pataches qui desservent habituellement la route de La Châtre. Grâce à un ami de collège de Dumas, capitaine de hussards, je trouvai chez un carrossier une espèce de berline que je louai pour deux jours, et à 4 heures nous nous mîmes en route pour Nohant, avec l’intention de coucher à La Châtre dans une auberge de rouliers, faute de mieux.

À 7 heures du soir nous étions à Nohant, on finissait le dîner. Nous attendîmes dans le jardin. Favre vint à nous et, prenant Dumas à l’écart, il lui raconta dans les plus grands détails la maladie et la mort de notre illustre amie.

Maurice ne tarda pas ; il se jeta dans mes bras. Je le trouvai changé, grossi, vieilli, les cheveux presque blancs, s’exprimant avec difficulté. « C’est plus que la moitié de moi-même que je perds », me dit-il.

Mme Maurice nous avait fait servir à dîner. Pendant que nous étions à table, Maurice, en voyant Dumas, l’embrassa. Dumas reçut cette caresse avec froideur, ne croyant, mais à tort, ni à son affection ni à son chagrin, pour des raisons qui datent de plusieurs années[560]. À ce moment on apporta une dépêche de Paris. C’était la Société des gens de Lettres qui priait Dumas de profiter de l’occasion pour faire un discours au nom de la Société. Il déclara n’en vouloir rien faire, n’étant pas membre de cette association et pensant avec raison qu’elle aurait pu envoyer une délégation spéciale ou tout au moins un représentant.

Étaient installés au château, en plus de la famille habituelle, Solange, que Maurice avait prévenue par une lettre envoyée à Paris, mais sans l’inviter à venir, qui était venue néanmoins[561] et n’avait cessé de veiller au chevet de sa mère avec sollicitude ; le docteur Favre, Oscar Cazamajou, René Simonnet, Edme et Albert Simonnet, Mme Simormet leur mère, Aucante, MM. Amic et Plauchut.

Boutet, le factotum de Mme Sand à Paris[562], et qui était casé dans les environs, voulut m’emmener, mais Mme Maurice avait eu la bonté de demander au docteur Pestel de vouloir bien m’accueillir dans sa belle habitation de Saint-Chartier. À 10 heures, par une nuit noire et une pluie battante, je m’y rendis en compagnie de Paul Meurice et de Lévy qui devaient y demeurer également.

Nous fûmes admirablement accueillis par le docteur et sa femme. Nous restâmes à causer jusqu’à 11 heures et demie, et comme notre hôte avait constamment soigné Mme Sand pendant sa maladie, je lui fis raconter, en présence de mes compagnons, les derniers moments de cette femme aussi bonne qu’illustre[563]

Le samedi 10 juin je descendis de bonne heure au salon de M. Pestel et j’eus avec lui une nouvelle conversation. Je rengageai vivement à mettre par écrit tout ce qui s’était passé sous ses yeux pendant la maladie de Mme Sand. Il me le promit. À 10 heures mes compagnons et moi nous reprîmes, par une pluie battante, la route de Nohant où nous déjeunâmes en compagnie du prince Napoléon, de Renan et de Flaubert, arrivés le matin même…

Lorsque nous arrivâmes au château, les restes de l’illustre défunte étaient exposés sur son lit dans sa chambre à coucher, au premier étage, le visage tout couvert de fleurs. Dumas, qui la vit, me dit que la main droite, mignonne et polie comme de l’ivoire, seule n’était pas recouverte…

Les trois passages suivants étant inexacts dans le texte manuscrit aussi bien que dans le texte imprimé de M. Harrisse, nous leur substituons (comme suite au passage qu’on vient de lire) la note que M. Pestel a jointe à cet endroit du récit de M. Harrisse :

Ce fut Mme Solange qui, seulement aidée des femmes de la maison, donna aux restes de sa mère les derniers soins. Elle passa dans la chambre mortuaire toute ou presque toute la nuit du 8 au 9 juin. Avec elle s’y rendirent successivement les deux jeunes Simonnet, MM. Amic, Plauchut, Favre et Aucante. La nuit suivante les servantes seules veillèrent, elles se tinrent dans le cabinet de travail adjoint à cause de la mauvaise odeur. La mentonnière ne fut placée que dans le but de maintenir la bouche fermée. Les enfants qui virent leur grand’mère morte firent cette remarque que sa figure était bien moins changée qu’elle ne l’était la veille…

Reprenons le récit de M. Harrisse :

… Les amis, les curieux, les invités, des reporters envoyés par le Figaro et le Bien public se promenaient dans le jardin, ils discutaient la nouvelle qui venait de nous être communiquée que Mme Sand serait enterrée selon les rites de la religion catholique. Tout le monde était étonné et se demandait à qui il fallait attribuer l’initiative de cette cérémonie assez inattendue. J’allai aux renseignements.

On pensait généralement que le testament de Mme Sand contenait une clause formelle ordonnant qu’elle fût enterrée civilement. Dumas et Aucante à qui Mme Sand avait, de son vivant, confié la mission de garder tous ses papiers, ayant eu à interroger M. Ludre, son avoué à La Châtre ou M. Moulin, son notaire, de ses dernières dispositions touchant ses lettres et ses manuscrits, apprirent que, par un codicille, la garde leur en était maintenue, et en même temps que le testament ne contenait aucune clause déterminant la manière dont elle voulait être inhumée.

Lorsque la question de l’enterrement fut agitée, Mme Clésinger, la famille Simonnet, M. Cazamajou, le docteur Favre se prononcèrent énergiquement pour un enterrement religieux[564].

Papet et Solange furent d’avis qu’il ne fallait pas, par un enterrement civil, choquer les sentiments religieux de la population au milieu de laquelle Mme Sand avait toujours vécu et allait avoir sa dernière demeure. Lina et, paraît-il, Maurice, qui est protestant, y étaient opposés, mais ils se soumirent[565]. L’abbé Villemont, curé de Vic, connaissait Mme Sand personnellement, il avait même déjeuné et passé toute une après-midi au château dernièrement et pendant sa maladie il était venu chaque jour[566] demander de ses nouvelles, espérant sans doute qu’au moment suprême elle le ferait demander. Il n’en fut rien ; Mme Sand n’a dit jamais un mot à ce sujet, et Plauchut et Aucante de leur chef même l’éloignèrent, pensant que sa présence, si elle était connue de notre pauvre malade, ne pouiTait que l’attrister, sans la décider jamais à recourir à ses bons offices[567]. Aussi lorsque Solange, après qu’elle lui eut fermé les yeux, demanda à l’abbé de Villemont l’entrée de l’église pour le corps de sa mère, celui-ci crut ne pas devoir l’accorder avant d’avoir obtenu la permission de l’archevêque de Bourges. De là un échange de dépêches télégraphiques entre Solange et M. de la Tour d’Auvergne qui n’hésita pas à accorder l’autorisation demandée. Il y a eu quelque retard dans les obsèques à cause de la bière qu’on avait fait venir de Paris et qui était trop petite…

Il n’y eut pas de retard, écrit le docteur Pestel en note. Il se produisit seulement ce contretemps que la bière en plomb, qu’on avait fait venir de Paris, se trouva trop petite en raison du volume excessif de l’abdomen, et qu’on fut obligé d’en faire venir une autre. Ce dernier cercueil arriva à Nohant une heure environ avant l’instant fixé pour les obsèques.

Vers les 11 heures, continue M. Harrisse, le cercueil fut descendu dans le vestibule et exposé en cet endroit pendant une heure environ, recouvert d’un drap mortuaire à croix d’argent. Je crois qu’il y avait aussi un bénitier. Lorsque je m’approchai, la cour était presque remplie de paysannes recouvertes de leur capuchon et je crois en avoir vu plusieurs asperger la bière d’eau bénite. Marie Caillaud se trouvait à la gauche du corps, tenant dans une de ses mains de petits rameaux verts, non de buis, mais de laurier, et en donnant un brin à tous ceux qui s’approchaient[568]. Entre midi et demi et une heure le corps fut enlevé et porté à bras dans la petite église par des paysans vêtus d’un sarrau bleu, précédés du prêtre, homme encore jeune, à la physionomie commune et peu intelligente, ayant derrière lui un vieillard en blouse (le père Carnat) qui tenait un cierge et psalmodiait. Le prince Napoléon tenait d’une main un des cordons du poêle, et de l’autre une des petites branches de laurier. Le convoi entra dans la modeste église, mais comme elle était déjà presque remplie par des paysannes, ceux qui suivaient ne purent s’y placer, et refluant du dehors, vinrent se mêler aux imités, aux curieux, aux paysans à quelques ouvriers de La Châtre et de Châteauroux qui se trouvaient sur la place, tête nue par la pluie et le vent. Il y avait en tout environ deux cents personnes Nous remarquâmes l’absence de Marchai, de Duquesnel (le directeur de l’Odéon), de Hetzel et de Charles-Edmond Choiecki (du Temps), le fait est que ce sont tous les quatre de prodigieux égoïstes.

La pluie ne cessait de tomber. On entendait de la place les chants et le service religieux qui ne dura pas longtemps. Les cloches sonnèrent. Sans attendre la sortie j’allai au cimetière, le caveau était béant. Commencé seulement la veille, il était à peine terminé. Le constructeur et des paysans en admiraient la solidité et le ciment. C’est une simple voûte en briques, construite au milieu du terrain réservé et dont le sommet ne dépasse pas le niveau du sol[569] ; à la gauche de l’entrée dudi caveau, cachées sous des broussailles, sont côte à côte les dalles qui recouvrent les restes du père et de la grand’mère de Mme Sand. Sa mère est enterrée à Paris, je crois[570]. Une de ces tombes s’étend un peu sous le mur qui sépare la cour du château du cimetière. Un très bel arbre, espèce de cyprès, couvre toutes ces tombes de ses rameaux. La porte de communication pratiquée dans le mur mitoyen et qui est de fraîche date était ouverte.

Vers les une heure la procession funèbre précédée d’un enfant de chœur qui portait la croix et du prêtre revêtu d’une étole violette très usée, s’avança vers le caveau. Les assistants se placèrent où ils purent, mais les places les plus proches échurent à des gens complètement étrangers.

Après quelques courtes prières le prêtre, sou enfant de chœur et son chantre se retirèrent. Un vieillard[571] que j’appris être M. Périgois, avocat et conseiller général de l’Indre, républicain très avancé, de cette voix dolente qui est le trait distinctif de l’élocution française et qui, à nous autres Anglais et Américains, semble si étrange et si factice[572], lut un discours, retraçant en termes dignes et parfois touchants, la vie de l’illustre défunte. Paul Meurice à son tour lut lentement et d’une façon solennelle la tirade que Victor Hugo avait envoyée. Ce style boursouflé, ces phrases toutes faites qui ne signifient absolument rien, produisirent un médiocre effet. Flaubert, lui, trouvait cette prosopopée sublime et il m’avoua l’avoir déjà lue trois fois en y découvrant de nouvelles beautés[573]. Le prince, avec un grand bon sens, et Renan qui s’y connaît, n’hésitèrent pas à déclarer que ce style amphigourique n’était qu’une affaire de cliché, de procédé, à la portée de tous et de chacun[574]. Le prince avait d’abord songé à parler, et Dumas avait passé une partie de la nuit dans la chambre de Favre[575] à préparer un discours[576]. Ils pensèrent qu’entre le clergé et Victor Hugo il n’y avait pas de place pour eux et ils se turent.

Ce cimetière inculte, cette foule de paysannes recouvertes de leurs capelines de drap foncé, agenouillées dans l’herbe humide, le ciel gris, la pluie fine et froide qui nous fouettait le visage, le vent bruissant à travers le cyprès et se mêlant aux litanies du vieux chantre, me touchèrent bien autrement que toute cette éloquence de convention. Et cependant je ne pouvais m’empêcher de penser que la nature, en ce moment solennel, devait bien à George Sand un dernier rayon de soleil.

J’allai faire mes adieux à Maurice et à Lina. Me pressant les mains elle me dit : « Bien, qu’elle ne soit plus, vous nous restez, vous, n’est-ce pas ?… » De grand cœur je le lui promis. Je cherchais Aurore et Gabrielle pour les embrasser avant de partir, personne ne put me dire où elles étaient. Je trouvai enfin les pauvres petites à la grille du château au milieu d’une foule de pauvres, distribuant des aumônes selon leur cœur et selon le touchant usage du pays…

Enfin citons la lettre que le pasteur Leblois avait écrite à M. de Vasson à propos de l’enterrement religieux de George Sand, qui causa tant d’étonnement à beaucoup de ses admirateurs.

Cher monsieur,

Votre bonne lettre que je reçois à l’instant même, est pour moi un véritable soulagement, dans un sens du moins, et je vous en remercie plus que je ne saurais dire. Lorsque Mme de Vasson a eu l’obligeance de m’annoncer la maladie subite de Mme George Sand, bien qu’elle n’ait point dissimulé les inquiétudes sérieuses qu’inspirait son état, j’ai gardé l’espoir du mieux et j’aurais considéré comme indiscret d’écrire et de donner des conseils dans l’hypothèse d’une mort prochaine. Aussi bien j’étais convaincu que la famille, pénétrée de ce qu’elle devait à la mémoire de son illustre chef, ne prendrait d’autres dispositions que celles que George Sand elle-même eût approuvées. Il ne m’appartient pas d’émettre ici un jugement sur ce qui s’est passé. Pour juger avec équité il faut connaître tous les éléments d’une cause. Mais la confidence que vous avez bien voulu me faire, m’enhardit à vous parler comme à un ami intelligent et impartial, auquel je porte la plus profonde estime.

D’après ma conviction, l’auteur qui a écrit Mademoiselle La Quintinie ne pouvait, ne devait pas être enterrée selon le rite catholique. Je comprends les considérations de famille, lorsqu’il s’agit d’individus obscurs qui n’appartiennent qu’à la famille. Devant le cercueil d’un personnage historique, des considérations d’un ordre supérieur doivent prévaloir. La famille alors, c’est le pays, bien plus, c’est l’humanité. On doit à l’humanité de ne rien faire qui la blesse ou qui la fasse douter. « J’aime ma patrie plus que ma famille, disait Fénelon, et l’humanité plus que ma patrie. » Mme Sand, née dans le catholicisme comme son père, avait compris que le catholicisme a cessé d’être une religion, une lumière, un principe de vie. Ce n’est plus qu’un système politique, un éteignoir. C’est encore une puissance, il est vrai, une puissance formidable, et voilà pourquoi la foule s’incline devant les symboles qui le représentent. Mais ce qui distingue les esprits élevés, c’est qu’à l’exemple de Guillaume Tell, ils passent debout devant le chapeau de Gessler. Mme Sand l’a fait et ce sera pour elle un titre de gloire impérissable.

Encore une fois, je ne veux juger personne, mais ceux qui ont conseillé de livrer la dépouille de George Sand au prêtre, me paraissent n’avoir compris ni la grandeur de son esprit, ni les obligations qu’en présence d’une telle mémoire on doit à la religion, à la France, à l’humanité. Un juge disait : « Quoi que tu fasses, n’oublie pas que tu donnes un exemple. » Ce qui a été fait n’est pas seulement la condamnation de l’œuvre de G. Sand, c’est la tristesse jetée dans le cœur de ceux qui croient au respect des principes et au progrès des idées, c’est encore et surtout l’encouragement donné aux représentants du despotisme spirituel. Parlez, écrivez, agissez contre nous, diront-ils, quand vous mourrez, vous n’en serez pas moins notre proie !

Recevez, cher monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

L. Leblois.

La lettre de faire-part, envoyée lors de la mort de George Sand, est curieuse sous plus d’un rapport. Elle est ainsi conçue :


M.

Monsieur Maurice Sand, baron Dudevant, chevalier de la Légion d’honneur, et Madame Maurice Sand ; Monsieur Clésinger et Madame Solange Clésinger-Sand ; Mesdemoiselles Aurore et Gabrielle Sand-Dudevant ; Madame Cazamajou ; Monsieur et Madame Oscar Cazamajou ; Madame veuve Simonnet ; Monsieur René Simonnet, substitut du procureur de la République à Châteauroux ; Monsieur Edme Simonnet, employé de la Banque de France à Limoges ; Monsieur Albert Simonnet, employé de la Banque de France à Bourges ; Monsieur et Madame de Bertholdi ; Monsieur Georges de Bertholdi ; Mademoiselle Jeanne de Bertholdi ; Monsieur et Madame Camille Villetard et leurs enfants

Ont l’honneur de vous faire part de la perte douloureuse qu’ils viennent d’éprouver en la personne de

Madame GEORGE SAND
Baronne Dudevant
Née Lucile-Aurore-Amantine Dupin

leur mère, belle-mère, grand’mère, sœur, tante, grand’tante et cousine, décédée au château de Nohant le 8 juin 1876, dans sa soixante-douzième année.

Nohant (Indre), le 8 juin 1876.


CHAPITRE XIV

LE CENTENAIRE DE GEORGE SAND


Quelques pages de souvenirs personnels sur les fêtes du centenaire (30 juin, 1er juillet et 10 juillet 1904). — L’exposition et les galas, l’inauguration de la statue au jardin du Luxembourg, les fêtes à Nohant et La Châtre.


Maurice Sand n’a survécu à sa mère que treize ans, il est mort en septembre 1889. Solange Clésinger est morte en mars 1899, Mme Maurice Sand en 1901 et sa fille, Gabrielle, qui avait été mariée à M. Roméo Palazzi, mais s’était séparée de lui et dvait auprès de sa mère, la plupart du temps à Notant, en 1910. En ce moment la famille des Sand n’est représentée que par l’aînée des petites-filles de George Sand, Mme Aurore Lauth. En 1884 on inaugura, avec grande pompe, à La Châtre, un monument de George Sand dû au ciseau d’Aimé Millet. En 1901 il y eut à Nohant et à La Châtre des fêtes plus grandioses encore, des cortèges, des processions, des représentations, des discours et des séances commémoratives à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa mort.

Et enfin, en 1904, Paris, Nohant et La Châtre fêtèrent solennellement le centenaire de sa naissance. Un comité d’honneur fut organisé (parmi les membres duquel l’auteur de ce livre avait aussi été nommé). Une exposition smidiemie fut ouverte dans les salles de l’Odéon, c’est-à-dire une exposition de choses ayant appartenu à George Sand, de ses portraits, de ceux de ses aïeux et de ses parents, de toutes sortes d’objets se rapportant à l’illustre femme ou à ses œuvres, M. N.-M. Bernardin fit les samedis, dans ce même local, une conférence sur l’auteur de Consuelo. On y joua encore, à l’Odéon, le Démon du foyer. La statue de George Sand sculptée par Sicard fut solennellement inaugurée le 1er juillet au jardin du Luxembourg — avec force discours et couronnes — et le soir de ce même jour on joua Claudie au Théâtre-Français. Et enfin les solennités furent closes par une fête grandiose à Nohant et à La Châtre.

Nous n’avons pu malheureusement arriver à temps pour voir l’exposition faite à l’Odéon et assister à la reprise du Démon du foyer. Mais le 1er juillet nous étions à Paris et pûmes prendre part à toutes les autres fêtes du centenaire. Nous publiâmes à notre retour en Russie nos « Impressions et souvenirs » dans la Rousskaya Mysl. Nous nous permettrons de clore notre travail par ce chapitre de nos mémoires personnels :

LE CENTENAIRE

Le jour même où les dernières épreuves du chapitre George Sand et les poètes prolétaires[577] furent signées d’un bon à tirer, le rapide m’emporta vers Paris, et il était grand temps ! Nous étions le lundi, et le 1er juillet, centième anniversaire de George Sand, tombait un vendredi. On devait inaugurer, ce jour-là, sa statue au Luxembourg, et jouer le soir Claudie à la Comédie-Française. J’arrivai à temps pour assister à la répétition générale le jeudi matin.

Il est peu probable que beaucoup de mes compatriotes aient pu voir la maison de Molière non pas aux jours de spectacle, mais dans « sa mise de tous les jours », en costume de travail, et encore moins d’y pénétrer par une issue autre que les grandes portes ouvertes au public. Or, le 30 juin, l’entrée en était particulièrement restreinte : à l’exception de la famille de George Sand, de ses amis les plus proches, d’une vingtaine d’artistes en fonction ou en retraite et de quelques écrivains, on ne laissait entrer personne. J’avais une carte où on lisait : « Service de l’auteur », et ces mots usités me donnaient un petit serrement de cœur.

Par des couloirs et des escaliers qui me parurent presque mystérieux on me conduisit au foyer des acteurs. Nous traversons une galerie dont les murs sont ornés de portraits d’acteurs en d’énormes perruques Louis XIII et Louis XIV, puis en petites perruques à queue du temps de Louis XV et Louis XVI faisant suite, puis à toupets et à cravates extra-hautes de 1815, et d’actrices poudrées à frimas, à tailles de guêpe, aux corsages très franchement décolletés, ou bien aux coiffures soi-disant « romaines », et vêtues de blanches robes, ceintes de rubans sous les aisselles, Nous passons aussi devant des personnages costumés pour leurs rôles. En une rapide vision passent les traits si connus de Talma et de Mlle Mars, les bustes de Poquelin et de Racine, devenus si familiers grâce aux nombreuses gravures tant de fois vues dès notre enfance.

J’aurais beaucoup aimé m’arrêter et examiner tout cela. Non, impossible, le temps presse. Ah ! le voilà, ce foyer des artistes, si célèbre ! ce foyer que nous sommes habitués de ne voir qu’au théâtre ou au second acte d’Adrienne Lecouvreur ! C’est donc vraiment ici que se tenaient, causaient, attendaient leurs entrées ou même répétaient leurs rôles Talma et Mlle Clairon, Mlle Georges et Marie Dorval, Coquelin et Sarah Bernhardt ! J’ai beau me raidir contre le sentiment d’un involontaire respect, je dirais de vénération profonde. Je ne peux pas m’en aller… Non ! non ! le temps presse ! Tous les artistes sont déjà derrière le rideau. Encore des portes, des marches à descendre dans l’obscurité, j’ouvre une dernière porte et me voici dans la salle. Demi-obscurité. La rampe des loges et du balcon et les rangées de sièges en bas sont recouverts de toile bise ; il n’y a que quelques rangs de fauteuils, tout en avant, où les housses sont enlevées, et on y aperçoit confusément des chapeaux d’hommes et les taches claires des toilettes de femmes. Dans l’une des loges latérales se laissent voir des espèces d’énormes ballons ou de parachutes gris : ce sont les appareils d’un photographe qui va photographier des scènes et des groupes d’acteurs au magnésium.

On m’appelle du parterre. Je descends en hâte. Ma place se trouve juste derrière la nounou de l’aînée des petites-filles de George Sand ; assise toute seule, au milieu du premier rang, elle attire tous les regards par sa coiffe berrichonne. À peine suis-je à ma place que le rideau se lève.

La scène représente la cour d’une grande ferme, appartenant à une riche paysanne, la Grand’Rose, et gérée par le père Fauveau, son métayer. Le père Fauveau est en train de régler ses comptes avec les journaliers. Il est rusé, finaud et un peu avare, le père Fauveau, il sait compter son argent ; il l’aime, mais il est surtout vaniteux, il espère marier un jour son fils Sylvain avec l’alerte et coquette « patronne », d’autant plus facilement que cette jolie veuve voit d’un fort bon œil ce beau garçon si brave travailleur. C’est en vain que la mère Fauveau conseille à son mari de ne pas se laisser emporter par ses rêves vaniteux et lui démontre que Sylvain a bien autre chose en tête. Le père Fauveau est têtu. Non seulement il ne change pas d’avis, mais à la première occasion venue, il insinue à la Grand’ Rose que son gas (c’est gas en berrichon) est épris d’elle et qu’il serait bien aisé de conclure cette affaire.

C’est juste à ce moment que Sylvain revient des champs. Deux moissonneurs le suivent, c’est un ancien soldat octogénaire, le père Rémy, et sa petite-fille Claudie.

Je n’ai jamais eu l’occasion de voir auparavant Mlle Leconte, qui jouait Claudie, et je confesse mon absolue ignorance, je ne sais pas parmi les astres de quelle grandeur elle est classée par les critiques en titre. Je puis néanmoins assurer que son entrée en scène, sa pose et l’expression de sa figure au moment où, tenant par la main son vieux grand-père, elle se montre au seuil de la porte, resteront toujours gravés dans ma mémoire, comme certaines poses ou certaines entrées des plus grands artistes. Jamais je n’oublierai ce regard suppliant et douloureux, cette douce figure humble, ces mouvements timides et toute cette petite personne si pauvrement vêtue, si effacée, comme ternie par le chagrin et la misère. Mais pendant la durée de toute la pièce aussi, par la simplicité, l’absence de tout artifice, la touchante sincérité de son jeu, Mlle Leconte attira toute mon attention, toute ma sympathie et je lui fis une place à part au milieu des autres interprètes de Claudie qui tous ont, certes, beaucoup de talent, mais qui jouent — un peu trop bien — comme on joue à la Comédie-Française ! Nous autres Russes, nous préférons qu’on chante à un diapason moins élevé. Donc Claudie et son aïeul sont venus pour recevoir leurs salaires de journaliers.

Le père Fauveau, vieux tire-sous, ne veut les payer que comme un seul travailleur ; le vieillard et la pauvre jeunesse n’ont pas fait grand’chose, selon lui, et ont plus empêché qu’aidé les autres. Sylvain insiste pour qu’Us soient payés comme un et demi, le vieux Rémy consent à ne recevoir que le salaire d’un seul journalier, il assure qu’ils n’ont à eux deux « tenu qu’une rège », s’y succédant à tour de rôle. On finit par être d’accord : le père Fauveau les paiera à raison de trois francs par jour pour les deux ! La mère Fauveau invite Rémy et sa petite-fille à se reposer chez elle jusqu’au soir et à prendre part à la fête de la Gerlaude. Claudie, prompte à la besogne, se met de suite à aider la mère Fauveau dans les soins du ménage ; elle puise de l’eau, lave la vaisselle, tandis que les vieux s’en vont aux champs, à la rencontre des moissonneurs. Sylvain s’attarde ostensiblement auprès de Claudie et essaie de l’aider, de lui parler, mais elle lui répond si sèchement, avec tant de retenue, par monosyllabes, qu’il s’en va aussi.

Cette scène est délicieusement jouée par Mlle Leconte. Ce mélange de dignité sévère, de chasteté innées à Claudie et de méfiance acquise au prix de l’expérience et du malheur est interprétée par l’artiste avec une simplicité et une finesse admirables.

Claudie, restée seule, est affairée près du puits. Entre Denis Ronciat, fils de riche paysan parvenu, don Juan du village et vaurien accompli, ayant ses vues sur la Grand’Rose.

« Hé ! il y a, paraît-il, une nouvelle servante à la ferme. Si on lui causait un brin ? » se dit-il, et il se dirige vers Claudie. Elle lève les yeux… tous les deux restent pétrifiés ! Ronciat a jadis séduit Claudie, c’était alors une pauvre fillette de quinze ans, elle devint mère et il l’abandonna avec son enfant ! Elle lui avait d’abord écrit, lui demandant des secours, puis elle s’était tue. Il ne chercha pas à savoir la cause de son silence : l’enfant était mort de misère et de privations. Denis Ronciat est aussi poltron qu’il est effronté ; il veut au plus vite se tirer d’affaire : si Rose allait apprendre quelque chose. Il craint quelque scandale. Il est donc tout interdit et très ravi lorsque Claudie lui déclare qu’elle ne veut rien de lui, qu’elle a « tout oublié » ! Ronciat s’imagine qu’elle a tout aussi légèrement pris leur amourette que lui. Il en est enchanté. Ce n’est pas lui qui peut comprendre quel martyre de désespoir a traversé la pauvre délaissée, comment elle a passé de l’amour à la haine, puis au mépris, puis, après la mort de son enfant, à une morne indifférence ; elle n’a rien oublié, mais en enterrant son petit, la consolation et le déshonneur de sa pauvre vie, elle a, aussi, enterré son amour pour l’homme indigne. Mais comment ce grand bêta de Ronciat, suffisant et brutal, aveuglé par son argent et ses faciles victoires, pourrait-il comprendre tout cela ? Il voit les choses plus simplement. On ne lui demande rien. L’affaire est donc bâclée ! On entend des cris, des chants et le son des cornemuses : c’est la Gerbaude qu’on amène des champs.

Lors de la première de Claudie à la Porte-Saint-Martin, en 1851, un énorme chariot berrichon, attelé de bœufs et chargé de gerbes, exécuté d’après un dessin de Maurice Sand, arrivait réellement sur la scène et triomphalement on enlevait une gerbe ornée de fleurs selon le vieil usage. Cette fois-ci on se borna à apporter sur la scène une énorme gerbe enrubannée et fleurie, on la plaça au milieu de la scène, et la fête de la Gerbaude commença.

Selon l’antique usage on donne cette gerbe au plus vieux ou au plus jeune des moissonneurs, ou bien, s’il n’est pas de force à l’emporter chez lui, on la lui rachète : chacun doit lui faire un petit présent selon ses moyens. Les uns lui donnent de l’argent, les autres quelque objet utile ; le possesseur de la gerbe doit chanter une chanson ou prononcer un discours en l’honneur de la Gerhaude et des travailleurs. Personne n’a le droit de l’interrompre, ce soir-là, tous les honneurs lui reviennent. Il est évident que Rémy est le plus âgé de tous ; il est unanimement élu orateur et « lieutenant » de la fête.

Rémy entonne alors ce lugubre quatrain en vieux français, si semblable au berrichon, que George Sand avait jadis trouvé au bas d’une gravure de Holbein — Tun de ses Simulacres de la mort, — représentant la Mort et un paysan à la charrue :

    À la sueur de ton visage
    Tu gagneras ta pauvre vie.
    Après long travail et usaige,
    Voicy la mort qui te convie.

George Sand avait placé ce quatrain en guise d’épigTaphe à sa Mare au Diable. Elle le changea un peu dans Claudie :

    À la sueur de ton visage
    Tu gagneras ton pauvre sort.
    Après grand’peine et grand effort,
    Après travail et long usage,
    Pauvre paysan, voici la mort !

« Voici la mort ! » chante le vieux Rémy. « Pauvre paysan, voici la mort », répètent en chœur les moissonneurs.

« Assez ! assez ! » crie la Grand’Rose, je ne veux plus de cette chanson, une autre ! »

Il est douteux qu’au temps de Mme Sand les Berrichons aient chanté pareilles choses. Il est douteux qu’eux, ou n’importe quels paysans au monde, chantent ou pensent de cette façon-là. Mais ces paroles, dans la bouche d’un ex-soldat napoléonien, ayant toute sa vie travaillé et peiné pour les autres, et la profonde pénétration de George Sand dans le tragique de l’existence des paysans dont elle fait preuve dans cet épisode, produisent une immense impression. On dirait que le souffle de l’antique Destin traverse soudain la paisible ancienne fête villageoise.

Eh bien ! le Destin est réellement là, il a étendu son sceptre au-dessus de tous ceux qui se sont rassemblés dans la cour du père Fauveau ! Le père Rémy, au lieu d’une nouvelle chanson — elles ne sont plus de son âge vraiment — demande la permission de prononcer un discours et il débite la consécration de la gerbe. Il bénit le travail, le soleil, le blé, les pauvres qui peinent et les bons riches qui, comme Rose, leur donnent du pain — une pièce de poésie en prose de toute beauté et écrite par George Sand avec verve et chaleur — (mais peu naturelle dans la bouche d’un laboureur, selon notre opinion).

À ce moment, tandis que Rémy présente un bouquet à la Grand’Rose, et que tout le monde commence à apporter son offrande, à mettre par terre à côté de la gerbe, qui cinq francs, qui un sou, celle-ci son dé pour Claudie, celui-là sa montre pour le vieux Rémy, jusqu’à un marmot qui apporte candidement une pomme verte, s’approche aussi Ronciat. Rémy le remarque et repousse sa main qui tendait de l’argent : il a reconnu le séducteur de sa petite-fille. Il est bouleversé, il chancelle, le courroux lui coupe la voix, il avale de l’eau-de-vie pour se donner du courage et il se déchaîne en malédictions contre les mauvais riches qui vivent du travail des pauvres, qui sont la cause de leurs malheurs, qui leur ravissent plus que la vie, l’honneur. C’est en vain que Ronciat s’efforce d’étouffer les paroles du vieillard en ordonnant aux musiciens de jouer. Le père Rémy ne se laisse pas interrompre. Mais les forces lui manquent. « Voici la mort ! » s’écrie-t-il, et il tombe foudroyé sur la Gerbaude. Confusion générale, cri déchirant de la pauvre Claudie, et le rideau tombe.

Rémy n’est pas mort, ce n’était qu’une congestion dont il se remit peu à peu dans la maison des Fauveau qui lui donnèrent hospitalité ainsi qu’à Claudie. Il arrive ce qui doit arriver. Sylvain s’éprend de plus belle de Claudie, elle l’aune aussi en secret ; la mère Fauveau le voit, elle est toute portée à consentir au mariage de son fils avec la douce, modeste et laborieuse Claudie, mais le père Fauveau a bien autre chose en tête. Il ne veut pas entendre parler d’une alliance avec une déshéritée, et, afin d’accélérer les choses, il s’adresse directement à dame Rose. Or Ronciat, qui a aussi des vues sur Rose et vient à la ferme en qualité de prétendant, demande une réponse décisive.

La Grand’Rose, tout écervelée et légère qu’elle paraisse, est toutefois très bonne observatrice et très intelligente. Elle a remarqué ce que les autres n’avaient point vu ; elle a vu que le père Rémy avait repoussé la main de Ronciat, elle a compris l’allusion aux « mauvais riches qui ravissent plus que la vie, l’honneur », elle demande à son tour une réponse précise à Ronciat : qu’y a-t-il sur sa conscience ? Et, sans attendre cette réponse, elle lui refuse catégoriquement sa main, lui disant qu’elle sait à présent quel homme il est. Ronciat est furieux. Il est sûr, malgré toutes les négations de Rose, que c’est Claudie qui a soufflé un mot à Rose, il se trahit donc complètement. Pour se venger, il insinue à la Grand’Rose que Sylvain ne la regarde même pas, occupé qu’il est de Claudie seule. La Rose le renvoie quand même, et il s’en va ruminant des plans de vengeance.

Cette scène est jouée avec beaucoup de verve et d’entrain comique par Mme Delvair et Georges Berr. La belle fermière délurée (Mme Delvair est réellement jolie comme tout), sachant s’apprécier à sa juste valeur, mais n’ayant, à son dire jamais fait par sa conduite évaporée de mal à personne, si ce n’est à elle-même, veut tirer l’affaire au clair et exécuter celui qui a fait un mal irréparable aux autres. Avec une adresse et une dextérité surprenantes, elle fait jaser Ronciat, puis le foudroie par ses discours francs et sincères. Oh ! elle n’est pas longue à chercher ses paroles, la belle Rose ! Quant à Ronciat, il est moins lâche et vil qu’il n’est ridicule dans son aveuglement de parvenu cossu, dans sa poltronnerie et son effronterie. M. Ben sait parfaitement nuancer ceci par son jeu fin et observé.

Denis Ronciat tâche donc d’éveiller la jalousie de Rose. Puis, ayant rencontré le père et le fils Fauveau, il leur dit qu’ils ont donné l’hospitalité à une fille perdue, qui avait eu un enfant. Tout le monde, alors, perd la tête. La Grand’ Rose, furieuse, maltraite Claudie et conseille ironiquement au père Fauveau de presser le mariage de son fils avec une « servante », lui insinuant, de plus, qu’il paraît ne pas être maître dans sa maison, puisque tout le monde méconnaît ses volontés. Sylvain, dévoré de jalousie, s’élance vers Claudie et veut lui demander des explications. Mais fièrement et froidement, elle refuse de lui répondre, elle présume que si elle a été fautive, elle s’est châtiée elle-même, s’étant pour toujours refusé tout bonheur, tout amour, toute amitié ; personne n’a le droit ni de la questionner, ni de la plaindre, parce qu’elle ne se plaint pas, ni de l’accuser de mensonge, parce qu’elle ne dit rien. Elle s’empresse de rassembler ses pauvres hardes pour quitter au plus vite la demeure hospitalière de la mère Fauveau. Malheureusement pour elle, et pour le vieux Rémy qui reste des heures entières comme hébété au coin du feu, elle ne parvient pas à s’en aller avec lui, de son propre gré. Le père Fauveau exaspéré par le fiasco de son projet, aiguillonné aussi par Rose et par Ronciat, la chasse de sa maison, lui lançant à la figure l’accusation qu’il vient d’apprendre. Elle est la mère d’un bâtard !

C’est alors que la raison se rallume soudain dans le vieux Rémy, il semble se réveiller et, d’abord timidement, puis s’animant de plus en plus, tremblant de colère et d’indignation, il s’avance comme le défenseur redoutable de sa petite-fille.

— Ah ! On nous chasse ? On accuse ma fille d’être une malheureuse, une menteuse ? Sachez donc la vérité ! Elle n’est ni une menteuse, ni une malheureuse, c’est vous qui êtes des malheureux ! Vous êtes plus malheureux que nous. Elle est une enfant trompée et abandonnée par un vaurien ; à peine sortie de l’enfance elle devint mère elle-même, mais elle agit honnêtement envers son enfant, elle le nourrit et l’éleva, elle souffrit et travailla, elle se cachait du monde, mais elle ne trompa personne, ni ne demanda jamais rien à personne. Quant à Ronciat c’est lui qui est un menteur, il l’a séduite, puis délaissée, lorsqu’il apprit que la tante dont Claudie devait hériter s’était remariée et que Claudie n’avait pas le sou ; il lui avait promis de l’épouser : elle n’avait été fautive d’aucun crime envers lui, si ce n’est d’être pauvre. Lui, il avait indignement, craintivement caché son crime à tout le monde, et c’est lui qui, maintenant, lui jette une pierre, c’est lui qui dévoile son malheur. Et vous, vous la chassez et vous ne chassez pas à coups de fourche et de fourchât cet infâme ? Jamais elle n’a fait entendre aucune plainte, aucun reproche, aucune bassesse, et vous osez dire qu’elle veut se faire épouser par votre garçon ! Est-ce qu’il est digne d’elle, votre garçon ?… Qu’il soit honnête homme et bon ouvrier tant qu’il voudra, est-ce qu’il a montré sa vertu par des épreuves comme les nôtres ? Est-ce qu’il a été foulé de misère et de chagrin comme nous ? Est-ce qu’il connaît comme nous la patience et la soumission aux volontés du bon Dieu ?… Non, non, ne soyez pas si fiers, vous êtes plus aisés que nous… voilà tout ce que vous avez de plus que nous dans ce monde. Mais nous verrons là-haut, nous autres, qui sera le plus près du Dieu juste… Viens, ma fille, allons-nous-en dans notre pauvre cabane où je veux mourir en paix !… Retirez-vous tous ! J’ai assez de force pour défendre ma fille ! essayez-y un peu !…

Nous citons de mémoire cette apostrophe passionnée du père Rémy, prononcée avec force et vigueur par Paul Mounet. (Il m’avait médiocrement plu au premier acte et me parut manquer de simplicité ayant trop déclamatoirement débité la consécration de la Gerbaude.) Cette diatribe bouleverse tous les habitants de la métairie Fauveau… et toute la salle avec eux ! C’est ainsi que se termine le second acte.

L’intérieur des Fauveau est devenu sombre et triste. Le père Fauveau a perdu son calme et son appétit, il a conscience d’avoir fait quelque chose qui n’est pas bien, mais il ne veut pas en convenir. Sylvain est au désespoir, dévoré de jalousie, s’imaginant que Claudie ne l’aime point, il a même tenté de se suicider n’ayant que grâce à la présence d’esprit du bouvier échappé au danger d’être écrasé par le chariot sous les roues duquel il s’était laissé tomber, volontairement. La mère Fauveau pleure sur son fils et sur la pauvre Claudie. Heureusement que chez la Grand’Rose, la colère comme le repentir, les larmes et le sourire se suivent de près… Elle est prompte en paroles, mais c’est une bonne âme. L’idée que de pauvres malheureux avaient été chassés à cause d’elle lui est insupportable ; elle s’élance après le chariot emmenant le père Rémy avec sa petite-fille, les rattrape, met tout en œuvre : prières, raisonnements, supplications, enfin presque de force elle les ramène à la ferme. C’est elle, n’est-ce pas, qui est la vraie maîtresse de céans, le père Fauveau n’est que son métayer !

Mme Delvair est ravissante dans cette scène où d’abord elle arrive, tout essoufflée, pour annoncer qu’elle est parvenue à faire revenir les deux malheureux, puis, aidée de la mère Fauveau, emmène par ruse le père Rémy, afin que le jeune couple puisse s’expliquer. Us ne parviennent pas à s’expliquer, toutefois ; Sylvain est torturé par la jalousie et par l’amour-propre froissé, il aurait voulu voir Claudie repentante ; mais elle se renferme dans son désespoir et sa fière résignation ; elle veut se punir elle-même pour sa faute, en ne se permettant plus d’aimer. En ce moment réapparaît Denis Ronciat. Il manque de dignité, mais il a un amour-propre immense. Il veut donc avant tout sortir de la position ridicule, où, selon lui, il se trouve, grâce à la Grand’Rose. Toute la paroisse est en émoi, on le montre au doigt, les enfants lui crient : « Ah ! coquin ! tu as fait chasser le père Rémy, mais voilà Mme Rose qui le ramène en triomphe !… » Ronciat s’imagine reconquérir sa réputation, en étonnant tout le monde. Il veut « trouver quelque chose » à quoi personne ne s’attend ; il ne sait pas encore lui-même ce qu’il fera (tout son naturel de fanfaron imbécile se trahit dans ses paroles), mais il veut épater son monde. Et à cette fin, il offre soudain sa main à Claudie. Elle la refuse. Rémy qui, pendant tant d’années, ne s’était pas vengé sur Ronciat, craignant que sa petite-fille continue à l’aimer en secret, voyant à présent qu’elle a vraiment abjuré son ancien amour, s’avance droit sur lui. Il n’avait attendu que le moment où Ronciat aurait expié ses torts envers elle, à présent il sait ce qu’il a à faire. Il le prend au collet, le secoue durement, puis le chasse de sa présence.

Maintenant c’est le tour de Sylvain de se repentir de sa jalousie et de sa brutalité ; il demande à Claudie de devenir sa femme. Mais elle, malgré toutes ses prières, celles de la Grand’Rose, de la mère Fauveau et même celles du père Fauveau, refuse. Elle a juré de ne jamais se marier. C’est seulement lorsque son aïeul la libère de son serment, qu’elle donne, en pleurant, son consentement. À ce moment on entend le son de la cloche. « À genoux, dit le père Rémy, c’est l’Angélus qui sonne. C’est l’heure du repos, qu’il descende dans nos cœurs, le repos du bon Dieu, à la fin d’une journée d’épreuves… Demain cette cloche nous réveillera pour nous rappeler au travail, nous serons debout avec une face joyeuse et une conscience épanouie. Car le travail ce n’est point la punition de l’homme… c’est sa récompense et sa force… c’est sa gloire et sa fête… Je suis guéri et je vais donc enfin pouvoir travailler ; je n’ai pas eu ce contentement-là depuis la Gerbaude… Je sens maintenant que je deviendrai centenaire… » Tous s’agenouillent. Et le rideau tombe sur une impression qui rappelle celle du délicieux tableau de Millet : un Angélus pieusement récité par de simples enfants de la terre, après une journée de labeur.

Toute la pièce laisse l’impression d’un hymne au travail, au rude travail de la terre, d’un hymne du bon laboureur et au bon blé qui nous nourrit tous, riches et pauvres. Sans ce blé, sans ce travail du laboureur, il n’y aurait rien eu, ni personne de nous, même dans cette belle salle où nous voilà. Gloire donc au blé ! A la gerbe ! à la gerbaude ! comme disait le père Rémy… « Oh ! gerbe de blé, si tu pouvais parler, si tu pouvais dire combien il t’a fallu de gouttes de notre sueur pour t’arroser, pour te lier l’an passé, pour séparer ton grain de la paille avec le fléau, pour te préserver tout l’hiver, pour te remettre en terre au printemps, pour te faire un lit au tranchant de l’arrau, pour te recouvrir, te fumer, te herser, te désherber et enfin pour te moissonner et te lier encore et pour te rapporter ici, où de nouvelles peines vont recommencer pour ceux qui travaillent… Oh ! gerbe de blé ! tu fais blanchir et tomber les cheveux, tu courbes les rems, tu uses les genoux ! Le pauvre monde travaille quatre-vingts ans pour obtenir à titre de récompense une gerbe qui lui servira peut-être d’oreiller pour mourir et rendre à Dieu sa pauvre âme fatiguée… »

Et ce sentiment, dominant toute la pièce, — la glorification du travail qui n’est point une punition, mais un bienfait pour nous, — se communique si fort aux spectateurs que ce jour-là, après la répétition générale, et le lendemain, après la soirée du spectacle, tous, nous sortions du théâtre avec une sensation de fraîcheur, de courage pour travailler. Et nous y avons vécu des moments de gai entrain, lors des scènes de Rose et de Ronciat, des moments d’émotion profonde, par exemple pendant le premier dialogue entre Claudie et Sylvain, ou l’explication entre le père et la mère Fauveau au dernier acte, et enfin des moments dramatiques vraiment bouleversants, comme lors du grand monologue de Rémy. Et les sceptiques, parmi nous, avaient complètement oublié que beaucoup de choses dans la pièce étaient vieillottes, que le père Fauveau, malgré toute sa ruse berrichonne, et son amour de la monnaie, était quand même énormément idéalisé en comparaison de quelque vrai tire-sous des environs de Nohant ou d’Aigurandes, que Sylvain, aussi, avait les sentiments trop délicats, mais surtout un parler trop raffiné pour un gars qui est « le premier à la rège », que le vieux Rémy, bien qu’ « ancien sous-officier et ayant reçu de l’éducation », rappelle trop « les pères nobles », de même Rose, la mère Fauveau et Ronciat, ces trois personnages les plus naturels, les plus vrais et les plus réalistes de la pièce sont aussi trop conventionnels, Mais, nous le répétons, les sceptiques avaient oublié tout cela, le soir du spectacle. C’est ainsi que nous avons vu par hasard deux jeunes snobs, venus entendre Claudie « pour tuer leur soirée », s’écrier en s’asseyant : « On va s’embêter ! On dit que cette George Sand est une raseuse !… On ferait peut-être bien de filer avant que la pièce commence ? » Cependant ils étaient restés, mais ils avaient commencé par écouter d’un air distrait, se communiquant à haute et intelligible voix des remarques sur les personnes connues qu’ils apercevaient dans la salle ; puis, peu à peu, ils devinrent attentifs, ils applaudirent et s’écrièrent : « Mais c’est très bien, c’est tout à fait bien ! » Et après la scène de Rémy et de Ronciat, ils criaient de toute la force de leurs poumons : « Bravo ! Bravo ! » Ils trouvaient que ça, c’était vraiment fort !

Mais rétablissons l’ordre chronologique, négligé par nous, pour parler du spectacle du 1er juillet. Or donc, ce même 1er juillet 1904, à 10 heures du matin, au jardin du Luxembourg, du côté de ce boulevard Saint-Michel où George Sand avait demeuré au début de sa carrière littéraire, eut lieu l’inauguration de la statue de George Sand, sculptée par M. Sicard. L’artiste, fort heureusement, représenta l’illustre femme non pas sous les traits d’une matrone, habillée et coiffée selon l’horrible mode du milieu du dix-neuvième siècle comme l’avaient portraiturée Aimé Millet et Carrier-Belleuse. Il s’était inspiré de Charpentier, du dessin de Calamatta et se servit tant des indications écrites des contemporains de la jeunesse de Mme Sand que des renseignements oraux que lui donnèrent quelques-uns de ses amis vivants. On a donc devant soi une petite femme fluette, aux très grands yeux rêveurs, coiffée de grands bandeaux plats qui lui couvrent les oreilles ; elle s’appuie à un bloc de pierre et semble songer, comme George Sand dut le faire au moment de la création de ses premières œuvres, celles qui firent sa gloire.

La fête du centenaire fut ouverte par un discours de M. Jules Claretie remplaçant le président du comité, M. Paul Meurice, qui se trouvait bien là sur l’estrade, mais s’abstint de prononcer un discours public, vu son grand âge. En remettant à la ville de Paris, de la part du comité et de la famille, le monument de George Sand, M. Jules Claretie caractérisa sommairement les grandes idées généreuses et profondément humanitaires de l’écrivain. Après lui parla au nom du ministre de l’Instruction publique le directeur des Beaux-Arts, M. Henry Marcel, qui, en un discours extrêmement simple, serré et puissant, retraça le dévouement de George Sand aux meilleures aspirations libérales du siècle dernier, sa croyance profonde à la perfectibilité de tous les hommes individuels et de l’humanité entière, la foi dont elle fit preuve dans toutes ses œuvres au triomphe de cet idéal de liberté démocratique et de liberté de conscience, qui est proclamé par le gouvernement, représenté par l’orateur. À la suite de M. Marcel parla M. Marcel Prévost, président de la Société des Gens de Lettres. Il prononça un très beau discours, avec une pointe de polémique à l’adresse du discours précédent ; évoqua les épisodes principaux et les œuvres les plus importantes de George Sand, qui sont si organiquement liées les unes aux autres. Puis, Mme Worras-Barretta déclama une poésie écrite par une dame et couronnée par un journal dirigé par des dames, Fémina. M. Fenoux, acteur et poète, lut aussi une pièce de vers : les Épis du Berry. Et finalement la si justement célèbre Mme Séverine adressa à George Sand une allocution improvisée. Je dois confesser que j’ai une antipathie insurmontable pour les dames-orateurs, je dois néanmoins avouer que Mme Séverine paria admirablement bien : simplement, avec chaleur, avec verve, en vrai maître, et son discours fut magnifique. « George Sand fut très grande » par son talent, par son esprit ; « elle fut très audacieuse « par ses aspirations et les problèmes qu’elle tâchait de résoudre ; « elle fut très bonne » dans sa vie et dans ses œuvres. « Et elle fut très insultée ! » dit Mme Séverine. « Oh ! la très grande, la très bonne, la très audacieuse et la très insultée ! » On l’a tant insultée de son vivant et après sa mort que ce monument ne paraît rien qu’une amende honorable : si on avait ramassé toutes les pierres qu’on lui jeta de son vivant, on aurait un haut piédestal tout prêt pour ce monument. À la fin de son discours Mme Séverine déposa, comme Mme Barretta, une grande gerbe de roses au pied de la statue.

Mais tout au commencement déjà, avant les discours, on avait apporté une énorme couronne de roses ornée de rubans aux couleurs de la Bohême : c’étaient les frères moraves qui l’envoyaient de Prague sur la tombe de l’inoubliable auteur de Consuelo et de Jean Ziska. Et vraiment ce témoignage muet de gratitude et de vénération, envoyé au grand écrivain par ses lointains et reconnaissants admirateurs slaves, qui appréciaient chaudement sa profonde pénétration dans l’esprit de leur histoire, sa sympathie pour leurs luttes religieuses et leurs aspirations sociales, sa manière de traiter leur plus grand héros national, m’émut plus que toutes les belles paroles et tous les discours brillants. Et je songeais que, pour George Sand, aussi, ayant toute sa vie rêvé la fraternité des peuples, cette simple expression de l’union entre l’écrivain et ses lecteurs, entre le génie français et les âmes slaves aurait été plus à son gré que tout le reste de la fête, comme toujours assez officielle.

Ce fut de même le soir, après la représentation de gala de Claudie, jouée devant un public élégant et brillant, émaillé de toutes sortes de célébrités et de « notoriétés », lorsque le rideau se leva une fois de plus et lorsque, vêtus de fracs, M. Sylvain lut le discours connu de Victor Hugo sur l’enterrement de Mme Sand, et Mounet-Sully le morceau non moins connu d’Alexandre Dumas fils, Palaiseau, Mme Segond-Weber, belle comme un marbre antique, déclama d’un contralto profond les vers de Judith Gautier À George Sand et Mme Amel, habillée en Berrichonne, chanta d’une voix fluette une ancienne Chanson à Claudie écrite par Dupont, et lorsque tous les sociétaires de la Comédie se rassemblèrent sur la scène, comme cela est de rigueur en pareille occurrence, les uns costumés, les autres en tenue de ville, et se mirent à « déposer les couronnes », c’est-à-dire que tous les artistes agitèrent pendant quelques secondes et d’un air assez confus, devant le buste de George Sand, des branches de palmiers et de lauriers, tout cela parut une chose officielle aussi inutile que ressassée et d’un manque de goût conventionnel, sentant à dix lieues cette banalité routinière dont George Sand s’éloigna toute sa vie. Elle la craignait dans ses pièces mêmes, elle tâchait de l’éviter, ce dont Zola l’avait louée plus tard, tandis que plusieurs de ces pièces parurent d’une nouveauté déconcertante à ses contemporains. C’est ainsi que lorsque parut Claudie les critiques les plus sympathiques pour Fauteur, tels que Sainte-Beuve et Gustave Planche, trouvèrent que cette pièce, paraissant si idéaliste de nos jours, était écrite dans une langue trop simple, trop vulgaire, était trop réaliste, que George Sand aurait mieux fait si, en laissant les mêmes sentiments et les mêmes idées à ses personnages, elle les avait fait s’exprimer en un langage plus élégant, et surtout, oh ! surtout ! si elle ne s’était pas permis d’y intercaler des locutions locales. Car George Sand avait commis en 1851 le même crime que les uns avaient tant reproché à Tolstoï après les Fruits de la science et la Puissance des ténèbres, tandis que d’autres y avaient cru voir une révélation d’art. Chacun des personnages de Claudie a sa propre manière de parler, ses locutions favorites. Ainsi par exemple Denis Ronciat dont tout le parler dénonce le paysan pan^enu voulant faire parade de son « éducation », assaisonne, de plus, tous ses discours du mot : « Et… et différemment… » C’est tout comme le paysan de Tolstoï avec son : Et vérita-ble-meint.

Donc, toutes ces couronnes et lauriers, et tous ces discours, prose et poésie, auraient, à mon avis, bien pu briller par leur absence. L’impression emportée dans l’âme après Claudie avec sa note finale : le doux Angélus après une dure journée de labeur et de douleur, n’en aurait été que plus profonde, et plus puissant aurait vibré le ton général de la pièce : la profonde pitié pour le sort tragique de ceux qui peinent sans trêve et l’enthousiaste glorification du travail !

Le 10 juillet, de grand matin, nous tous amis et proches de la famille Sand qui, depuis quelques jours déjà, étions réunis sous le toit hospitalier de Nohant et y jouissions du calme et de la fraîcheur de ses ombrages, ainsi que tous les académiciens, artistes et littérateurs arrivés la veille de Paris (il y avait M. André Theuriet, M. et Mme Marcel Prévost, M. et Mme Rocheblave, Me Félix Decori, le vieil acteur Sully-Lévy, Mme Séverine, et d’autres encore), nous fûmes réveillés par des pétards et des coups de fusil. À peine avaient-ils cessé que j’entendis V Angélus ; cette fois le doux son venait du clocher de la rustique petite église de Nohant située à deux pas du château. Il fallait se lever, le curé ayant prévenu la veille que la messe pour « la bonne dame de Nohant » — c’est ainsi qu’on appelle ici la grande George Sand — serait dite à 7 heures… L’église est pleine de paroissiens, et surtout de paroissiennes venues du bourg de Nohant et des environs ; presque toutes portent le blanc petit bonnet carré, quelques-unes sont enveloppées de leurs capelines ou capuches. Nous ne sommes pas nombreux, nous qui sommes venus prier avec ces bonnes âmes : l’heure est matinale, et, de plus, presque tous les hôtes de Nohant sont des « libres penseurs » et croient bien sûr que leur présence à l’église serait en désaccord avec leurs opinions. Mais ici, à cette messe solennelle pour le repos de l’âme de la « bonne dame », il importe peu de savoir si elle avait été célèbre ou non, si elle avait appartenu à tel ou tel parti, on ne se souvient que du bien qu’elle avait fait tout autour… Comment donc ne pas prier pour elle ?… Et de nouveau il me semble que c’est juste et bien que l’église soit pleine de ces simples femmes à bonnets blanc, de noir vêtues, et que nous ne soyons que trois ou quatre parmi elles : un abbé de Paris, admirateur des œuvres de George Sand, homme d’un rare esprit ; un autre admirateur encore, capitaine d’artillerie de Poitiers ; un écrivain parisien et votre serviteur, fraîchement arrivé de la lointaine Russie ! Au moment du prône, lorsque l’abbé adresse la parole aux humbles ouailles rassemblées, il leur dit que l’Église doit prier pour Mme Sand, parce qu’elle possédait deux grands dons de Dieu : le génie et la bonté. Il se souvient aussi d’une autre âme disparue encore, de cette admirable Lina Sand qui se dévoua à servir sa belle-mère. Plusieurs des hôtes de Nohant se montrent à l’entrée de l’église ; ils écoutent, puis s’en vont de nouveau. Quant à nous, nous restons jusqu’à la fin et ne sortons qu’avec les bonnes vieilles à bonnets et les vieux paysans en blouses et à grands chapeaux.

Entre temps, les allées du parc fourmillent déjà de figures inconnues : ce sont des visiteurs de La Châtre et des environs venus pour voir la vieille maison, le parc, et pour saluer la tombe de George Sand. Cette tombe se trouve dans un enclos réservé du cimetière, et n’est séparée du jardin que par un mur mitoyen. Les visiteurs affluent peu à peu, mais ils sont relativement peu nombreux ; tout à coup, du côté de la grand’route, on entend une musique étrange, quelque chose comme des pifferari italiens, du bruit, le trépignement sourd d’une foule, des centaines d’hommes qui s’approchent… Et voici qu’un cortège entre dans la cour du château : ayant à sa tête, son bâton de commandement haut levé, M. Augras, le président de la Société des gas du Berry. Il porte à sa blouse une cocarde aux couleurs du Berry, vert, rouge, blanc. Derrière lui deux hommes portent les enseignes de la société : des écussons de France et du Berry entourés de guirlandes de verdure et portant les mots : Société des gas du Berry, puis, en haut, les devises ; on lit sur l’une : Notre pain est maigre, mais je le trempons quand même dans notre écuelle, et sur l’autre : Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, j’resterons Berrichons quand même.

Derrière ces enseignes marchaient, portant des emblèmes et des rubans, les représentants des différents corps de métiers, et d’anciennes loges maçonniques. C’est ainsi que nous vîmes s’avancer un Compagnon menuisier du devoir de Salomon qui nous fit nous souvenir du Compagnon du tour de France. Et derrière eux marchaient, en rangs serrés, les vrais gas du Berry, cornemuseux et vielleux, jouant de leurs antiques instruments. Ds portaient tous de longues blouses bleues brodées de blanc au col et aux épaules, des foulards rouges autour du cou, de grands nœuds tricolores sur la poitrine et sur leurs chapeaux à bords. Jouant sans s’arrêter d’anciennes marches et bourrées, ils entrèrent majestueusement dans la maison, traversèrent le vestibule, la grande salle à manger, sortirent par l’autre porte sur la terrasse, au jardin, contournèrent le potager, passèrent par la petite porte ouverte du cimetière et revinrent de nouveau dans la cour. Une énorme foule de Lachâtrais, de tous les âges, de toutes les classes, de toutes les positions sociales les suivait, solennellement, en un profond silence. Il est impossible de rendre l’impression produite par le passage muet, solennel et pieux — oui, pieux ! — de cette énorme foule.

Puis les musiciens se groupèrent et on les photographia. Toujours fidèles à leur consigne, lentement, posément, jouant toujours leurs gais airs berrichons, ils s’en allèrent comme ils étaient venus. Mais la foule affluait et affluait encore, elle se répandait par les allées du parc, dans les appartements du château, admirait le vieux salon Louis XV aux murs ornés des portraits des aïeux de George Sand, de ceux de ses enfants et petits-enfants, et remplis de meubles et d’objets qui lui avaient appartenu, à elle, ainsi qu’à sa grand’mère, Marie-Aurore de Saxe. Après on montait le grand escalier de pierre, en hémicycle, éclairé d’mi œil-de-bœuf, on longeait de longs couloirs à plancher briqueté, pour arriver à deux chambres : le cabinet de travail et la bibliothèque de George Sand, où la châtelaine de Nohant, Mme Gabrielle Sand, avait exposé dans des vitrines une foule de précieuses reliques : le moulage de la main de George Sand et son ombrelle, et un bracelet qu’elle portait toujours, fait avec les cheveux de ses enfants, et ses dessins, et ses découpures de fleurs et de plantes, faites à la main, d’une finesse inouïe, et des marionnettes habillées par elle, et encore une quantité de toutes sortes d’ouvrages et d’objets à elle. Ensuite, la foule redescendait, visitait la salle de théâtre, où avait joué toute la famille de Nohant et Bocage, et des artistes de tous les théâtres de Paris, et des écrivains les plus connus, et toujours silencieusement, presque sans faire de bruit, en échangeant à peine quelque remarque à voix basse, en saluant des connaissances, on se répandait de nouveau dans le parc ou on se dirigeait vers la petite station de Nohant-Vicq, d’où des trains spéciaux emmenaient la foule vers La Châtre. Mais ce n’étaient pas seulement des Lachâtrais : il y avait des gens venus de tous les points du Berry, illustrés par la plume de George Sand. Il y avait parmi eux des Berrichons très connus : tel un jeune substitut du procureur, connu à Paris comme critique littéraire et musical sous le pseudonyme de Stéfane-Pol, puis le poète local, M. Hugues Lapaire, l’un des organisateurs les plus énergiques de la fête, auteur du livre La Bonne dame de Nohant, écrit en collaboration avec M. Firmin Roz ; puis un autre poète, M. Gabriel Nigond, et le jeune journaliste, M. L. Lumet, le fils du vieil ami de Mme Sand, un paysan républicain de 1848. Nous remarquons aussi, dans cette foule, le vieux Sylvain, le cocher de Mme Sand, âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, dont elle a tant parlé dans ses Souvenirs, et le docteur qui l’avait soignée dans sa dernière maladie. Le défilé de la foule a duré si longtemps que nous eûmes à peine le temps de déjeuner avant de partir en grande hâte pour La Châtre, pour assister à la solennité qui devait y avoir lieu. Il fait très chaud. Le ciel est sans nuage et le soleil brûle sans merci, tandis que nous roulons par la monotone chaussée grise, au milieu de rares noyers et châtaigniers, vers la pittoresque petite ville de La Châtre, située sur les bords escarpés de l’Indre et que je connais déjà depuis mes autres séjours en Berry. Il ne fait pas moins chaud dans les rues étroites de La Châtre, mais l’air y paraît moins brûlant, et puis on oublie le soleil, on regarde la foule des citadins endimanchés qui envahit tous les trottoirs, les maisons couvertes de tapis, de draperies et de drapeaux, ornées de transparents et d’écriteaux mirifiques, les rues au-dessus desquelles des guirlandes de verdure et de lanternes flottent dans l’air bleu.

Nous voici sur la place où, au miheu d’un square, se laisse apercevoir la statue de George Sand érigée en 1884, et devant laquelle on va prononcer les discours, aujourd’hui. Le monument n’est pas réussi. De certains points de la place d’où la silhouette de îlme Sand (représentée assise, un livre à la main, et les jambes croisées) se laisse voir de profil, la pointe de son pied levé se dessinant nettement sur le fond de verdure, la statue produit même une impression comique.

Le soleil darde d’une manière insupportable. Le petit square encombré par la foule, en habits de gala, est tout blanc de lumière ; on ne pourrait se cacher que sur la petite tribune réservée aux orateurs qui ressemble à un corbillard, ou à l’ombre des buissons tout près de la grille. Or, MM. Theuriet, Prévost et Bouchard, les membres du Comité local, et Mme Séverine, ont seuls aujourd’hui le droit de profiter de ce petit refuge d’ombre, — et ils y prononcèrent une série de beaux discours ; mais, comme il était tout à fait impossible de les écouter au milieu de cette chaleur brûlante et de cette foule mobile, affluant, refluant, nous eûmes recours à une petite ruse, un artiste très spirituel, et moi : nous prîmes le parti de nous asseoir à l’entrée du square ; de là, ce que nous pûmes entendre, nous l’entendîmes ; le reste, nous le lûmes le lendemain dans les journaux locaux et parisiens ! Et cette petite ruse nous profita beaucoup, nous occupions une place très favorable pour voir ce qui se passait sur la place qui entoure le square. Or, cette place et toutes les rues voisines étaient envahies par des habitants des environs, paysans des hameaux suburbains, ou même venus de fort loin, car tout le Berry fêtait là le centenaire de sa grande compatriote. Voici que subitement cette foule s’ébranle, on entend les sons déjà amis des vielles et des cornemuses, les rangs des gas du Berry défilent en mesure, les corps de métiers les suivent, et puis voici que s’avance toute une procession, une procession symbolisant le travail champêtre sous toutes ses formes, et les personnages champêtres chantés par George Sand. C’est la réalisation du discours du vieux Rémy ! D’énormes bœufs blancs traînent une charrue ornée de fleurs, ils sont suivis de semeurs, de moissonneurs, de faucheurs, vêtus de blouser bleues ou de chemises blanches, et de bonnes vieilles filant leurs quenouilles en marchant, selon l’antique usage. Puis, voici d’énormes chariots attelés également de grands et doux bœufs blancs couplés, chargés de gerbes enrubannées. Sur l’un de ces chariots, on voit perchés deux garçonnets, sur l’autre, c’est Claudie en personne ! Une jolie petite paysanne, toute confuse d’attirer l’attention générale. Elle abrite son petit bonnet blanc sous une ombrelle fort moderne, cela manque un peu de couleur locale, mais la chaleur est si accablante que l’on n’ose protester contre cette liberté qui nuit un peu à l’ensemble du tableau. Et ce tableau est ravissant ! Cela rappelle un peu les Moissonneurs de Léopold Robert, mai cela est mieux. « C’est du vrai », comme disent les enfants, c’est typique, c’est local, une véritable scène d’un des romans champêtres de George Sand. Lentement, accompagné d’une foule énorme, le cortège défile autour du square, puis s’éloigne par l’une des rues avoisinantes. Le son des cornemuses devient plus sourd, et peu à peu se perd tout à fait. Mais à peine l’orateur qui parle sous le corbillard rouge et or a-t-il terminé son discours, ou plutôt — à peine est-il sur le point de le terminer — que les sons des cornemuses retentissent de nouveau et nous arrivent par une autre rue, Claudie et sa suite font de nouveau irruption sur la place, aux exclamations joyeuses de la foule.

De grands applaudissements retentissent à ce moment autourdu baldaquin rouge ; on acclame Mme Séverine, si populaire en Berry, et qui ne manque à aucune fête en l’honneur de George Sand. Mais alors que tous nous nous tournons de ce côté, mes yeux sont frappés par un tableau symbolique, d’une rare beauté artistique : sur un fond de sombre verdure, au-dessus d’une foule bariolée qui l’entoure de toutes parts, cachée jusqu’aux épaules par des centaines d’ombrelles, de chapeaux de femmes et de noirs chapeaux d’hommes, on aperçoit la blanche silhouette de la Grand’Mère, elle tient un livre à la main et semble sourire (c’est un efîet de lumière changée), et elle semble raconter une histoire à cette foule de grands enfants. La laideur du monument est cachée par la foule, on ne voit que la noble tête blanche et la main qui tient le livre, et autour d’elle ce millier de figures levées, écoutant attentivement. Et voici que de toute cette solennité devant la statue de La Châtre, l’impression de cette minute demeure seule dans ma mémoire : la vision de cette blanche statue racontant une de ses fables à cette foule qui l’écoute avidement, tandis que défilent autour d’elle lentement, posément, les types immortels du doux Berry laborieux, chantés par cette muse aux simples histoires…

Les discours sont terminés : la foule nous entraîne ; nous gagnons une autre place de la ville où doit avoir lieu la fête populaire. H y a des carrousels, des balançoires, des gondoles russes (il fallait venir à La Châtre pour apprendre que nous avons en Russie des gondoles de ce genre !) et de la musique, et des drapeaux, et un guignol, et des boutiques, et des baraques, le tout agrémenté par un écrasement infernal, et une chaleur ! Il y avait là de tout ! C’est ici que devait aussi avoir lieu la distribution des prix pour les « coiffes », les danses et les chants berrichons, prix fondés par les petites-filles de George Sand en l’honneur de leur aïeule qui adorait toutes les vieilles coutumes du pays. C’est à grand’peine que nous parvînmes à nous faufiler à travers un écrasement incroyable jusqu’à l’estrade d’honneur réservée au jury et à la famille. Le cortège devait repasser devant cette estrade, mais cela fut jugé impossible. M. Hugues Lapaire, vêtu d’une blouse bleue, grimpa seulement au haut d’un chariot de gerbes et prononça de là la consécration de la Gerhatide du père Rémy, après quoi les gas du Berry jouèrent quelques pièces devant l’estrade.

Alors commença le « concours des coiffes ». Il consistait en ce qu’on appela sur l’estrade toutes les propriétaires de coiffes anciennes. Après d’incroyables efforts pour se frayer un passage, des vieilles et des jeunes, des grandes et des petites Berrichonnes à bonnets arrivèrent devant l’estrade et se placèrent sous les yeux du jury qui adjugea des prix aux coiffes les plus anciennes et les plus typiques. Ce furent d’abord trois antiques bonnes vieilles qui les reçurent, puis une très jolie et très modeste jeune fille, et enfin une adorable enfant aux yeux noirs qui charma tout k monde par son petit air posé et plein de dignité.

Le concours des chants et des danses devait aussi avoir lieu immédiatement après, mais il était si tard déjà, tout le monde était tellement exténué par la chaleur et l’écrasement qu’on les remit au soir.

Les gas du Berry reformèrent leurs rangs, attaquèrent leur marche traditionnelle, les petites-filles de George Sand — leurs présidentes d’honneur — prirent avec gentillesse les bras de deux gas du premier rang, et en avant ! aux sons des gais motifs berruyers, nous nous dirigeâmes tous à leur suite, par les petites rues et ruelles de La Châtre, vers l’établissement de M. Descosses, Là, les gas du Berry burent un verre à la santé de leiurs présidentes et les remercièrent d’avoir assisté à la fête. Puis, laissant Mme Séverine à La Châtre, parce qu’elle avait consenti à prendre part au banquet donné par les notoriétés de la ville, nous nous empressâmes de repartir pour Nohant, afin de dîner et de changer nos fracs et nos robes d’apparat pour de plus simples toilettes, mieux appropriées à notre excursion du soir. C’est alors que nous eûmes tous une charmante surprise : les petites-filles de George Sand descendirent pour dîner déguisées en Berrichonnes : robes de couleur sombre demi-courtes, froncées à la taille et échancrées en carré, tabliers de soie à bavette, sombres aussi, fichus croisés sur la poitrine et la coiffe traditionnelle ; Gabrielle en portait une selon la mode d’il y a cinquante ans, et Aurore en portait une comme on en portait il y a trente ans de cela.

Nous voici de nouveau sur la route de La Châtre. Il fait encore chaud, mais la chaleur semble moins étouffante, des étoiles s’allument dans le ciel sombre. Au-dessus de La Châtre, on voit une pâle lueur. C’est le reflet des lanternes : toute la ville est illuminée, et combien c’est gentil, cette illumination ! Chacun se donna de la peine, chacun fait ce qu’il peut, l’ensemble est pittoresque, sans prétention, c’est simple, spontané et grandiose, oui, grandiose, car toutes les maisons sont illuminées. Ici on a tendu une corde au-dessus de la rue, et au milieu on a suspendu une énorme lanterne en papier avec les mots : Honneur à George Sand. Là, c’est toute une arcade rouge en lanternes chinoises, suspendues à d’invisibles fils de fer. À côté, on voit une fenêtre enguirlandée de petites lanternes confectionnées à la maison ; plus loin, on a simplement placé des lampes et des bougies sur toutes les fenêtres. Voici la préfecture inondée de lumières électriques, tandis que notre square est semé de centaines de petites lanternes de toutes les couleurs ; elles sont suspendues aux branches des arbres, elles se cachent dans les buissons, elles ornent les grilles et s’accrochent aux mâts pavoises ; quant à la grande place, on a tendu au-dessus comme une tente en lignes de feu, en lanternes de papier jaunes, rouges, vertes et bleues partant de tous les côtés et venant se réunir au centre.

Des guignols piaulent ; des sirènes poussent des sons stridents ; les gondoles russes volent dans les airs ; sur des théâtres ouverts des pierrots jouent des scènes quelconques ; partout on voit des baraques, des tentes dressées où l’on vend des pains d’épice et de la limonade ; un orchestre s’évertue à jouer un pot-pourri de Faust, un autre, à côté, cingle mesurément une bourrée, un troisième tonne la Marche de Tannhäuser ; on entend enfin arriver de pas bien loin les sons connus de la Marche des gas du Berry. Et la foule, cette foule si gaie et si sensible, comme ne le sont que les foules de race latine, flue et reflue comme un lac balancé par la tempête. On nous bouscule, et nous bousculons aussi. E est évident qu’au bout de cinq minutes nous nous perdons tous de vue dans la cohue, et voici que chacun flâne à sa guise, tantôt attiré par le guignol, tantôt par les gondoles, jusqu’au moment où les sons de la Marche du Berry et le pas cadencé de la foule qui s’éloigne dans une direction quelconque nous rassemble tous vers un seul et même point. Ce sont les gas du Berry qui s’en vont chez Descosses où les concours auront lieu. Nous courons après eux, nous nous écrasons encore une fois à la porte d’entrée, mais nous parvenons quand même à nous frayer un passage et nous entrons dans une grande salle basse. M. Descosses, épouvanté, s’attendant à voir démolir tout son « établissement », déclare qu’il ne laissera plus entrer personne et ordonne de fermer les portes. Ceux qui restent dehors n’ont rien d’autre à faire qu’à se presser aux fenêtres ouvertes.

Les musiciens qui se massent dans un coin de la salle, près d’une table et dessus, jouent une espèce de ritournelle se terminant par une longue note filée. Les « cavaliers », vêtus pour la plupart de blouses et portant des foulards ou des rubans rouges autour du cou, s’approchent des « dames », les saluent, leur tendent la main, puis, à la note filée, les embrassent. C’est la bigeade traditionnelle. Certaines jeunes villageoises protestent, mais les vieilles, et il y en a pas mal qui sont venues pour prendre part aux danses, se déclarent pour le vieil usage ; les cavaliers aussi y tiennent ; on appelle le président, M. Augras, et il laisse infailliblement entendre que tels sont les vieux us, il n’y a qu’à s’y conformer. Puis, voici que les premières mesures de la bourrée, nettes et précises, se font entendre. La bourrée est bien certainement une aïeule de nos contredanses ; on la danse toujours à deux, soit à quatre paires, et on ne voit que des « en avant en quatre » et des « balancez » et des « changez vos dames » et des « premières figures ». Lorsque ce sont quatre paires qui dansent, les danseurs exécutent souvent une figure que nous voyons dans nos grandes mazurkas, appelée « à quatre coins » : les dames passent successivement, parcourant ainsi les quatre coins du carré, d’un cavalier à un autre, et après chaque passage les quatre paires changent de vis-à-vis. D’autre part, la manière de danser des femmes ressemble beaucoup à celle de nos jeunes paysannes : les pieds doivent glisser le plus imperceptiblement possible ; le corps reste immobile ; les bras pendants et serrés aux hanches sont aussi immobiles ; les physionomies sévères et sérieuses ; les yeux — surtout chez les jeunes — baissés. Quant aux hommes, ils tapent du talon, se dandinent, exécutent des pas et des soli de cavaliers, ressemblant aussi beaucoup aux soli de nos coqs de village ; mais le plus drôle c’est que tout le temps, du bout des doigts, ils relèvent fort gracieusement leurs longues blouses des deux côtés, tout comme autrefois les maîtres de danse faisaient relever leurs robes aux jeunes filles. Chaque bourrée dure longtemps ; on répète à satiété les mêmes figures. À la fin revient la ritournelle du commencement et avec elle la bigeade.

On remarqua dès le début parmi les danseuses deux petites vieilles qui glissaient et se tournaient avec une agilité et une grâce incomparables. Bien sût que ç’avaient été de fières danseuses au temps de leur jeunesse, c’est à elles qu’échurent les deux premiers prix. Le troisième fut octroyé à une ravissante jeune paysanne. Elle n’était pas précisément jolie, mais vraiment adorable avec sa coiffe blanche, abritant sa pure et candide figure d’une expression sévère, pensive et innocente. Plusieurs d’entre nous lui trouvaient une ressemblance avec une madone pré-raphaëlite. Je trouvai que c’était Jeanne personnifiée, et pendant que je l’examinais, ce type créé par l’imagination de George Sand, une bergère sauvageonne, plongée dans des rêveries mi-conscientes, prit soudain à mes yeux le caractère de vérité et de réalité. Et les Berrichons cultivés, tel M. Hugues Lapaire, m’assurèrent qu’on trouve encore beaucoup de jeunes filles de ce type et de ce genre en Berry, dans des coins sauvages. Ma « Jeanne » avait à peine seize ans, elle était grande, un peu fluette, sa taille semblait encore ne pas être faite ; lorsqu’elle dansait, elle baissait ses grands yeux songeurs, et lorsque venait la bigeade, elle devenait confuse, non pas par bienséance, mais très réellement, et se détournait avec mécontentement, ne laissant embrasser qu’un bout de sa joue hâlée.

On dansa longtemps, malgré la chaleur tropicale de la salle. Des valses succédèrent aux bourrées, puis de nouveau des bourrées aux valses, enfin commença le « concours des chanteurs ». D’abord ils se firent longtemps prier, surtout les femmes, personne ne voulait commencer. Puis, tout le monde chanta, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’à MM. Augras et Lapaire qui dirent chacun une vieille chanson. Finalement il fallut même modérer le zèle de ceux qui voulaient « concourir » avec les autres.

Toutes ces chansons, quoique quelques-unes d’entre elles datent de plusieurs siècles, ne sont pas précisément ce que nous appelons des chansons populaires. Ce sont des chansons devenues populaires ou plutôt recueillies et gardées par le peuple, alors que les classes supérieures les oublient. Et les paroles, et la mélodie portent l’empreinte très caractérisée de l’époque des trois derniers Louis. Les mélodies sont tristes et sentimentales, avec une teinte de grâce maniérée, et le texte parle d’une « bergère gardant ses blancs moutons », et rencontrant un « beau cavalier » ou « un berger » qui lui demande un baiser, puis l’oublie et l’abandonne, ou qu’elle oublie elle-même, fort légèrement, dans les bras de Jeannot ou de Colin. Tantôt c’est elle qui se plaint à sa mère de l’infidèle qui brisa son « pauvre cœur» ; tantôt c’est le berger qui se désole parce que Nannette l’a oublié pour les riches présents de quelque beau cavalier. Le texte de quelques-unes de ces chansons est assez grivois, rappelant de banales chansonnettes de café-concert contemporaines, mais les paroles restent sentimentalement maniérées, comme les poses des bergers de Watteau, et la musique sentimentalement mélancolique, comme les romances du siècle de Mme de Pompadour et de Marie-Antoinette, avec leurs couplets répétés, leurs cadences finales et leurs modulations caractéristiques.

La distribution des prix pour les chansons les plus intéressantes et les mieux dites et une bourrée finale à laquelle prirent part, à la joie unanime de tous les assistants, les petites-filles de George Sand, terminèrent les fêtes en son honneur à La Châtre. Le lendemain, devait encore avoir lieu une conférence sur George Sand au théâtre de la ville, mais je voulais garder en leur entière intégrité, toutes brillantes, les impressions vraiment berrichonnes, emporter avec moi des souvenirs d’un caractère local et non pas du genre de tout ce que l’on voit et entend dans toutes sortes de fêtes commémoratives et littéraires. Il manqua donc à cette conférence un auditeur qui passa toute cette journée du lendemain dans le cabinet de travail de George Sand et dans son petit bois favori. Le soir, il quitta la chère grande maison en compagnie de tous ceux qui, comme lui, vinrent en pèlerinage

à Nohant pour le centième anniversaire de George Sand.

APPENDICES




LES ÉDITIONS DES ŒUVRES COMPLÈTES
ET LA CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

En 1881-86 parut la Correspondance de George Sand en six volumes, publiée par son fils. Un peu auparavant, en cette même année, parurent dans la Nouvelle Revue les chapitres de son roman inachevé, Albine, ouvrant ainsi la série de ses œuvres posthumes, il serait plus exact cependant de compter comme sa première œuvre posthume un article sur les Mélanges et fragments philosophiques de Renan, publié dans le Temps le 16 juin 1876. Si on ne le considère pas comme « posthume », c’est que ce fut encore Mme Sand qui l’envoya à la rédaction du journal.

Toutes, ou presque toutes les œuvres de George Sand après leur première publication dans les revues, paraissaient en volumes séparés. Il existe cinq ou six éditions plus ou moins « complètes » des œuvres de George Sand, — en mettant certes à part toutes les contrefaçons, belges et autres, très répandues en dehors de la France, malheureusement.

La première, en 24 volumes in-8o, parut entre 1836-1840 chez Bonnaire (avec portrait de l’auteur gravé par Calamatta, le même qui avait paru dans la Revue des Deux Mondes).

En 1841, Magen y avait ajouté un vingt-cinquième volume qui contenait les Mississipiens et Pauline.

La deuxième, éditée en 16 volumes in-16, parut chez Perrotin entre 1842-1844, elle réapparut en 1847 chez Garnier.

La troisième, en 9 volumes in-4o, en deux colonnes, avec illustrations de Maurice Sand et Tony Johannot, parut chez Hetzel entre 1851-56. Cette édition des œuvres complètes est incomplète. Il y manque des œuvres déjà parues dans les éditions précédentes, telles : les Lettres d’un voyageur, les Sept cordes de la lyre, les Lettres à Marcie. Elle contient par contre des préfaces inédites nombreuses écrites par George Sand pour cette édition.

La quatrième, in-12, commencée par Hetzel et Lecou en 1852, fut menée par ces éditeurs jusqu’au volume 21, puis cédée à Michel Lévy qui la continua jusqu’au volume 77 (sans tomaison).

La cinquième et dernière édition est une répétition et une suite de la quatrième, elle est continuée par Calmann Lévy jusqu’à nos jours et s’imprime sur des clichés de la précédente. Elle contient non seulement toutes les œuvres de George Sand publiées dans des éditions qui parurent durant sa vie, sans en excepter celles qui manquaient dans la troisième édition, mais encore : toutes les œuvres des dernières années, les six volumes de la Correspondance, le volume des Lettres de George Sand à Sainte-Beuve, la Correspondance avec Flaubert et le volume posthume des Souvenirs et idées (mentionné dans les vol. III, chap. vi et le vol. iv, chap. ix et xi). À ce moment cette édition présente un total de 111 volumes.

En 1904, M. Félix Decori publia la Correspondance complète entre George Sand et Alfred de Musset, que tous les amis de Mme Sand et tous les admirateurs de son talent avaient depuis si longtemps impatiemment attendue.

Mais il existe encore une masse énorme de lettres inédites de George Sand. Lina Sand, à elle seule, a copié, classé et préparé pour l’impression la Correspondance inédite de George Sand de 1821 à 1876. Une masse de lettres se trouve encore dans la collection de manuscrits du vicomte de Spœlberch de Lovenjoul, léguée par lui avec toute sa précieuse bibliothèque à l’Institut de France.

De plus, une foule de lettres de George Sand est disséminée dans divers journaux, gazettes, revues et livres.

Nous connaissons à peu près cinq cents de ces gazettes, journaux, livres et revues, où parurent des lettres séparées ou des séries de lettres de George Sand, qui ne furent pas réimprimées et ne font pas partie de sa Correspondance publiée.

Il est inutile de dire combien il serait à désirer que toute la correspondance de George Sand fût publiée intégralement, c’est-à-dire : 1° qu’on réimprimât sans passages tronqués, sans omission et changements pratiqués et sans erreurs (volontaires et involontaires des rédacteurs) les six volumes de la Correspondance et les trois volumes des Lettres à Flaubert, à Musset et à Sainte-Beuve.

2° Qu’on réimprimât toutes les lettres disséminées dans les revues, journaux, etc., etc.

Et enfin, 3° que la Correspondance inédite, préparée avec tant de soin et tant de peine par Lina Sand, vît enfin le jour.

Nous ne disons déjà point que, depuis que la collection Lovenjoul est ouverte pour les travailleurs, il est devenu possible de compléter la Correspondance inédite, préparée par Lina Sand, par beaucoup de lettres séparées et de séries de lettres et de correspondances entières qui lui manquaient encore (et dont une notable partie a été copiée par nous chez le vicomte de Spœlberch, à Nohant et ailleurs).


ICONOGRAPHIE DE GEORGE SAND

Sans prétendre à dresser une iconographie complète de George Sand, notons tous ses portraits et statues que nous connaissons :

1) Portrait d’Aurore Dupin enfant, par Deschartres. (Appartient à M. Raymond Lécuyer.)

2) Aurore Dupin enfant, par La Michellerie (pastel).

3) Aurore Dudevant aquai’elle par Blaize, représentant G. Sand vêtue et coiffée à la mode de la Restauration, manches à gigot et cocardes de cheveux triples. (A Nohant. Appartient à Mme Lauth-Sand).

4) Portrait au crayon, dessiné par Aurore Dudevant en 1831, pour être envoyé à sa mère. (Appartient à Mme Georges Lécuyer.)

5) Portrait à l’huile peint en 1835 par Delacroix, représentant George Sand jusqu’à mi-corps, en costume masculin, redingote de velours, cravate lâche et cheveux retombant des deux côtés de la figure. (Appartient à Mme M.-L. Pailleron.)

6) Gravure de Calamatta, faite d’après le portrait précédent en 1836. Il existe des exemplaires :

a) Avant toute lettre, sur grand papier de Chine, extrêmement rare.

b) Avant la lettre, aussi sur papier de Chine, avec les noms à la pointe : Disegnato e inciso da me Calamatta, Paris, 1836.

c) Les épreuves publiées dans le volume de la Berne des Deux Mondes en 1836. (4e série, t. VII, juillet à septembre.)

d) Les mêmes épreuves publiées en tête du volume d’Indiana, avec la lettre, sur papier blanc, très inférieures.

« Calamatta inciso, Paris, 1837. — George Sand, »

7) Portrait au crayon dessiné par Calamatta en 1837 représentant George Sand vêtue d’une robe à amples manches grecques, coiffée de bandeaux plats, avec ferronnière et nœuds de rubans couvrant les oreilles.

b) Ce portrait fut gravé par Calamatta et publié en 1840 chez Ritterer et Goupil. (Musée Carnavalet. Don de Mme Lauth-Sand.)

c) Plus tard, il fut encore publié chez Jourdan, mais avec un changement : les nœuds de la coiffure y manquent.

8) Portrait de Delacroix, que le comte R. de Montesquieu décrit ainsi : « Un bout d’esquisse, mais à quel point pénétrante et résurrectrice de Mme Sand, abritant sous un chapeau rond d’amazone au voile de gaze deux yeux ardents et veloutés, deux charbons cabochons d’un jais voluptueux et plein de flammes… » Fait partie de la collection de la marquise de Ganay.

9) Une pochade du même artiste.

9 bis) Portrait par Ary Scheffer ; la tête seule, les yeux demi-baissés.

10) La série de caricatures et de dessins d’Alfred de Musset représentant George Sand sous divers aspects, souvent très suggestifs. Quelques-uns de ces dessins furent reproduits dans la Correspandance de George Sand et de Musset (1904) et dans plusieurs ouvrages traitant du roman de Venise. Ces dessins se trouvent dans les albums ayant appartenu : 1° à George Sand, actuellement dans la collection Spœlberch de Lovenjoul à Chantilly ; 2° à Musset, chez sa sœur, Mme Lardin de Musset.

11) Trois portraits-caricatures dessinés par Tony Johannot, pour le livre d’Ad. Pictet : Une course à Chamounix 1838, titre, p. 118 et 156. (Voir notre vol. II, chap. xii.)

12) Une autre, dessinée à la plume sur un exemplaire de Valentine.

12 bis) Portrait inachevé à l’huile, par Delacroix (1838) : Mentionné dans Delacroix et son œuvre par Adolphe Moreau (Paris, 1873), sous ce titre : « Mme George Sand et Chopin. » La toile appartint ensuite à la famille Dutilleux, qui la coupa en deux : Chopin passa aux mains de M. Marmoutel qui le légua au Musée du Louvre ; G. Sand passa dans la Collection Chéramy, puis fut acquise par M. Georges Viau et se trouve actuellement à Copenhague aux mains de M. Hensen (Cf. A. de Rothmaler. Les portraits de George Sand par Delacroix, Gazette des Beaux-Arts, juillet-août 1926, p. 70-78.)

13) Portrait à l’huile par Charpentier (1838) ; ce portrait, d’abord carré, était en pied, représentant Mme Sand en costume espagnol, avec une touffe de fleurs sur l’oreille, une main sur la hanche, l’autre, ornée de bagues, appuyée sur le dos d’une chaise. Il avait appartenu à Solange Clésinger et fut, dit-on, plus tard, pour des raisons d’ameublement, coupé en ovale. (Appartient à Mme Lauth-Sand.)

a) Ce portrait a été gravé par Robinson eu 1843, pour l’édition d’Aubert : les Femmes de George Sand.

b) Il en existe une lithographie très répandue, par Lassalle.

c) Il a été gravé par Riffaut.

d) Et enfin Desmadryl, pour l’Artiste, l’a agrandi et gravé à la manière noire.

14) Caricature de Lorentz, parue dans le Charivari en 1840, dans la série : « Miroir drolatique. »

15) Un autre portrait par Charpentier, représentant Mme Sand vêtue d’une robe à chemisette blanche. La tête seulement. Ovale. (Musée du Louvre. Legs Joseph Reinach, 1921, n° 3068.)

16) Portrait à l’huile par Eug. Isabey, vers 1840, représentant Mme Sand en une élégante robe de soie noire, avec une cravate bleue et un fouillis de dentelles autour du cou. (Nous en avons donné une reproduction dans notre volume III.)

Avait été à Bruxelles chez le baron Lambert de Rothschild, appartient actuellement à M. Jean Stern, à Paris.

17) Portrait au crayon par Thomas Couture, dessiné en 1844. L’original se trouve au Musée Carnavalet.

17 bis) Alexandre Manceau en a donné une admirable gravure en 1850. C’est peut-être le plus beau portrait de George Sand et le plus connu.

18) Portrait à l’huile par Alliod, peint en 1848.

19) Petit portrait-croquis par Maurice Sand (en pied), 1858.

20) Portrait au crayon dessiné par Le Faivre, à Nohant, en 1859.

21) Portrait au crayon dessiné par Maurice Sand. Mme Sand a des fleurs dans les cheveux et sa toilette est très recherchée.

22) Portrait au crayon dessiné par Charles Marchai en 1861 à Nohant. Il en existe une photographie faite par Bingham en 1862.

23) Une série d’aquarelles et de dessins de Maurice Sand dans ses deux albums le Théâtre de Nohant, et un troisième album consacré à éterniser les hôtes de Nohant, des scènes de la ^^e du château, des incidents notables, etc., etc. Renferment plusieurs portraits de George Sand, costumée pour la scène.

24) Un éventail dessiné par Charpentier en 1838 et représentant « le salon de George Sand », — une collection de croquis de Mme Sand, de ses enfants et de ses amis d’alors.

Un dessin de Maurice Sand dans l’album ci-dessus nommé, est une copie-charge de cette peinture ; il porte la légende : Salon de George Sand, 1838. Pour plus de détails, voir l’éventail de Charpentier… » Or, cet éventail a figuré à l’Exposition du centenaire de George Sand, à l’Odéon, en 1904, en qualité d’une peinture de George Sand elle-même. C’est une erreur.

24 bis) Un dessin de Grandsire : George Sand à Gargilesse, en pied, chapeau à voile sur la tête. Croquis d’après nature vers 1860. r^Un autre dessin du même représente un déjeuner sur l’herbe au bord de la rivière, vers 1860.

25) Caricatures et charges par Gavarni, Lorentz, etc., parues en 1844, 1848 et 1854 dans le Panthéon-charge, le Grand chemin de la postérité, le Charivari, la Chambre drolatique, et autres.

26) Portrait aux trois crayons, dessiné d’après nature par Boilly, en 1835. Représente Mme Sand à mi-corps, assise de trois quarts, face à droite, en une robe à dessins, une croix attachée par un velours au cou, cheveux courts, la main au menton, l’air étonné. (Appartient à M. Joseph Thibault.) Ce portrait a été gravé (face à gauche) par Montferrand, lithographie Thierry frères.

27) Portrait lithographie par Jean Gigoux, Imprimerie Lemercier, Bénard et Cte. Représente Mme Sand vêtue d’une robe à corsage échancré, garni de boutons, à manches étroites ; la main sur la hanche.

28) Le portrait de Charpentier, gravé par Henriot et lithographié.

(La tête du portrait de Charpentier seulement, tournée en sens inverse, les fleurs se trouvant à gauche du spectateur.)

29) Lithographie par Ate Legrand, édité par Auguste Bry avec un fac-similé de George Sand au bas.

(George Sand porte un corsage à triple rangée de boutons, collerette noire, broche, cheveux courts.)

[N.-B. Tous les portraits à cheveux courts doivent dater des années 1834-1838.]

30) Le même portrait par Grégoire et Deneux.

31) Il faut citer également une série de portraits imités de Legrand et de Calamatta (celui de 1837), par exemple les portraits publiés dans le Journal des femmes de 1842 et dans El Correo de Ultramar en 1843. Ces portraits empruntent la coiffure à Calamatta et certains détails de costume à Legrand, ou encore à Charpentier.

32) Lithographie d’après un dessin de Gerlier, imprimé par Ed. Rigo. (Costume masculin, cravate nouée comme dans le portrait par Delacroix, de 1836 ; les bras croisés.)

33) Portrait dessiné et gravé par Gervais, paru dans la Galerie des contemporains.

34) Lithographie par Gillot, d’après le dessin de A. Collette. (Représente George Sand vêtue d’une robe à corsage serré, manches larges. La tête et la coiffure d’après Couture.)

35) Portrait gravé par J. Ballin.

(George Sand porte une collerette, une croix au cou, une ferronnière au front, type Couture.)

36) Portrait lithographié, dessiné par Gilbert.

37) Portrait lithographie, dessiné par Bocourt d’après Richebourg (photographe à Toulouse).

38) Lithographie de 1840, imprimée par Bineteau (Galerie des contemporains illustres), représentant George Sand la tête tournée à droite, cheveux courts, fichu, petit collier au cou, corsage serré, ceinture avec une boucle.

39) Portrait-miniature, représentant George Sand en un élégant costume masculin (mi-corps), reproduit dans l’Illustrazione Italiana du 28 mai 1905 et décrit par M. David-Henry Prior.

40) Une lithographie de Pol Justus d’après le médaillon de Mercier.

41) Lithographie par Julien, publiée dans le Voleur (1838).

42) Une petite photographie faite à Châteauroux, par Verdot, en 1875, très curieuse et très peu connue. Mme Sand a l’air d’une gouvernante vieille fille, on dirait le portrait de l’institutrice par la bouche de laquelle l’auteur raconte la Confession d’une jeune fille.

43) Une photographie de Nadar, représentant Mme Sand en pied, une ombrelle ouverte à la main.

44) Une photographie rarissime représentant George Sand avec une grande perruque bouclée Louis XIV et un manteau de velours drapé sur les épaules. Appartient à M. Henri Amie. Nous ne savons pas s’il existe d’autres exemplaires de cette photographie.

45) Le portrait photographié très connu de Nadar, représentant Mme Sand coiffée de larges bandeaux ondulés et vêtue d’une large robe rayée, selon l’horrible mode de 1864. Il fut reproduit dans divers périodiques, notamment dans l’Illustration de cette année.

46) Une photographie moins connue, faite par Nadar à la même époque. Mme Sand porte une élégante robe de moire, à corsage collant, garni de passementeries. La coiffure est la même que dans le portrait précédent.

47) Une photographie de Nadar tout à fait peu connue représentant Mme Sand très vieille, bouffie et très laide ; mise d’une manière épouvantablement vulgaire, elle est assise accoudée à une table.

48) Une photographie de Richebourg, à Toulouse.

49) Ulric Richard-Desaix indique une autre photographie par ce même Richebourg, d’après Louis Romain, de 1862, et une lithographie de Chalamel de 1840, que nous ne connaissons pas.

50) Portrait de profil, au crayon, par Félicien Rops, croquis exécuté d’après nature, le 7 février 1866, à Paris, au dos d’un programme du Quatuor Armingaud. Ce croquis a été reproduit dans le Bulletin de la vie artistique, 15 mars 1924, p. 125. Paris, Bernheim jeune, in-80. (Appartient à Mme Rorcourt, à Bruxelles.)


En fait de statues de George Sand nous ne connaissons que celles-ci :

1) Médaillon, par Mercier.

2) Petit buste en terre cuite, par Pollet,

3) Médaillon par David d’Angers (1833). Un exemplaire en bronze avait appartenu à Mme Sand. Il fut reproduit d’après le procédé Colas en 1838 et lithographié par Marc en 1856 pour la collection des œuvres de David d’Angers.

4) Buste en marbre, par Clésinger (1847). Il est à Nohant et avait appartenu à Gabrielle Sand. Un exemplaire en plâtre fut acheté par le Louvre le 26 février 1923 à la vente Clésinger (n° 53).

5) Statue par le même artiste, représentant la Littérature sous les traits de Mme Sand, vêtue du costume classique et pieds nus. Elle avait appartenu à Émile de Girardin ; elle orne maintenant le vestibule de la Comédie-Française.

6) Buste par Carrier-Belleuse ; autrefois ce buste se trouvait au foyer de l’Odéon, il se trouve à présent au musée de Versailles.

7) Buste en terre cuite par Aimé Millet, qui se trouve actuellement à l’Odéon.

Buste en terre cuite par Leroux (Salon de 1879). Offert en 1882 par Talien, artiste dramatique, au Musée de Châteauroux.

8) Statue en marbre, par Aimé Millet (inaugurée à La Châtre le 10 août 1884).

9) Statue sur l’Hôtel de Ville de Paris, pavillon S. O. (sur le quai), façade en retour, rez-de-chaussée. Statue de deux mètres, en pierre, par Bourgeois.

10) Statue par Sicard, érigée en 1904 au Jardin du Luxembourg, à Paris.



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*** Article sur George Sand dans le Dictionnaire de la Conversation et de la lecture, t. XLVIII. Paris, 1838, p. 184-190.</poem>


INDEX
DES ŒUVRES DE GEORGE SAND CITÉES


A

À propos de botanique [Nouvelles lettres d’un voyageur], IV, 525.

À propos de l’élection de Louis-Napoléon à la présidence de la République, III, 394 ; IV, 166-167.

À propos de Madelon d’Edmond About, IV, 426.

À propos des Idées de Mme Aubray, IV, 75.

À propos du banquet shakespearien, IV, 448.

À propos du choléra, IV, 454, 550.

Adieux par De Latouche (article sur les) I, 439 ; III, 268, 639.

Adriani, IV, 170, 272, 314.

Ailes (les) du courage, IV, 531.

Aimée, I, 303, 324.

Albine, IV, 595, 661.

Aldo le Rimeur, II, 14, 35, 108, 119, 138-143, 147.

Allart (article sur Mme Hortense) de Meritens, III, 281 ; IV, 384, 549.

Amis disparus (articles nécrologiques sur des) : Néraud père, Gabriel de Planet, Carlo Soliva, le comte d’Aure, Louis Maillard, Ferdinand Pajot, Patureau Francœur, Mme Laure Fleury, IV, 238, 485, 549, 619.

Amschaspands et Darvands de Lamennais (article sur les) II, 229, 395 ; III, 237, 268.

André, II 62, 119, 152, 166, 243, 420 ; III, 234, IV, 582.

Antoine et Cléopâtre (article sur), IV, 449.

Antonia, IV, 315, 356, 357, 399, 401, 404.

Après la mort de Jeanne Clésinger, III, 617 ; IV, 348.

Arts, IV, 62, 75.

Au jour d’aujourd’hui [Le Meunier d’Angibault] III, 402, 646, 648, 650, 651, 653-654.

Autour de la table, IV, 374, 384, 442, 451.

Autre (l’), IV, 242, 315, 584, 589, 590, 592.


B

Balzac (article sur H. de), II, 452 ; IV, 384.

Barbès, IV, 124, 125.

Baronnie de Muldorp (la), V. Nello et Maître Favilla.

Beau (le) Laurence, II, 293 ; IV, 272, 311.

Beaux (les) Messieurs de Bois-Doré, IV, 306, 307, 354, 355, 384, 396.

Beaux (les) Messieurs de Bois-Doré (pièce), IV, 75, 315, 591.

Béranger (article sur), IV, 384.

Berthenoud (la), III, 476, 636 ; IV, 550.

Bigarrure, I, 309, 330, 331.

Blonde Phœbé (la), I, 73 ; IV, 336.

Bois (les), IV, 357, 359.

Bonne déesse de la pauvreté (la). [V. la comtesse de Rudolstadt], III, 357 ; IV, 476, 518.

Bords de la Creuse (les), III, 476, 636.

Botanique de l’enfance (article sur la), I, 362 ; III, 388, 397.

Bulletins de la République, III, 391, 694 ; IV, 2, 5, 30, 41, 42, 45, 46, 48, 51, 52, 53, 56-62, 68-71, 73, 74, 79, 80, 85, 91, 94, 96, 114-119, 123, 482, 519.

C

Cadio, II, 424 ; IV, 315, 507-509, 510, 511, 512, 513, 514, 539, 545, 560, 591.

Carl, I, 359 ; II, 252, 393 ; III, 104, 159-161 ; IV, 534.

Cause du Peuple (la), III, 550 ; IV, 2, 3, 5, 30, 50, 51, 60-63, 66, 68, 70, 71, 72, 74, 75, 77, 85, 91, 94, 97, 98, 99, 101.

Ce que disent les fleurs, IV, 531.

Ce que dit le ruisseau, IV, 375, 442-446, 549, 570, 574.

Cercle hippique de Mézières en Brenne (article sur le), III, 388, 397, 476, 501, 502, 503, 636.

Césarine Dietrich, IV, 580-581.

Charmettes (les), I, 361 ; IV, 549.

Château de Pictordu (le), I, 359 ; II, 252, 393 ; III, 160 ; IV, 581, 534-536.

Château des Désertes (le), I, 359 ; II, 252, 393 ; III, 36, 104, 212, 525, 547, 553-554, 555-556, 564 ; IV, 266, 268, 271, 298, 301, 306, 339, 382.

Château des Étoiles (le), premier titre de l’Homme de neige, IV, 305, 306, 382.

Chêne (le) parlant, IV, 531.

Chien (le) et la fleur sacrée, IV, 531.

Circulaire pour la fondation de l’Éclaireur de l’Indre, III, 386, 387.

Claudie, III, Avant-propos, I. III, 327, 671, 678, 679, 680, 685 ; IV, 139, 140, 168, 272, 275, 276, 277, 285, 291, 292, 297, 633, 635-645, 647, 648.

Comme il vous plaira, IV, 275, 295, 296, 298, 300, 449, 519.

Compagnon du tour de France (le), II, 125 ; III, 17, 173, 174, 244, 248-256, 332, 635 ; IV, 476, 650.

Complainte sur la mort de François Luneau, II, 121.

Comtesse de Rudolstadt (la), I, 169 ; II, 125, 252, 393 ; III, 17, 59, 132, 268, 322, 350-358, 365, 369, 384, 445, 470, IV, 476.

Conchyliologie de l’île de la Réunion, IV, 404.

Confession d’une jeune fille (la), IV, 518, 584, 587-590, 591, 592.

Constance Verrier, I, 359 ; IV, 313, 314, 384.

Consuelo, I, 62, 124, 169, 194, 336, 359 ; II, 14, 159, 252, 344, 391, 393 ; III, avant-propos, ii, 12, 17, 32, 33, 36, 88, 104, 132, 216, 218, 268, 322-366, 369, 370, 402, 403, 469, 470, 635, 684 ; IV, 237, 304, 476, 518, 534, 556, 647.

Contes (les) d’une grand’mère, IV, 531.

Contrebandier (le), II, 324, 340, 341 ; III, 32.

Cora, I, 384, 447-448.

Correspondance, I, 116, 196, 224, 256, 260, 264, 277, 311, 314, 324, 330, 331, 334, 335, 340 ; II, 52, 64, 78, 83, 105, 117, 153, 178, 181, 188, 214, 256, 257, 262, 266, 283, 295, 298, 299, 303, 310, 313, 322, 323, 324, 333, 353, 355, 365, 378, 395, 398, 428, 431, 432, 440, 442, 452 ; III, 13, 15, 31, 40, 57, 59, 60, 62-63, 66, 67, 68, 78, 79, 80, 81, 82, 84, 92, 94, 95, 97, 98, 99, 102, 108, 110, 118, 125, 133, 162, 163, 165, 168, 171, 172, 173, 211, 215, 217, 218, 219, 231, 238, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 307, 379-380, 382-383, 384-385, 386, 387, 394, 402, 405, 408, 410, 419, 437-438, 444, 445, 455, 456, 458, 461, 477, 478, 479, 485, 486, 487, 489, 498, 502, 537, 544, 563, 573, 582, 587, 598, 630, 631, 686, 687 ; IV, 5, 7, 8, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 30, 34, 36, 37, 39, 40, 45, 47, 49, 50, 74, 92, 94, 99, 116, 121, 132, 145, 158, 159, 176, 177, 179, 184, 186, 189, 190, 192, 208, 238, 239, 244, 257, 303, 307, 308, 317, 318, 347, 350, 362, 377, 381, 403, 406, 418, 419, 420, 424, 428, 432, 433, 451, 462, 465, 474, 477, 488, 489, 504, 508, 584, 618.

Correspondance de George Sand et de Flaubert, IV, 278, 279, 418, 419, 504, 551, 593, 594.

Cosima, II, 371, 375 ; III, 109, 136, 161-166, 177, 211, 679 ; IV, 168, 264, 519.

Coup d’œil général sur Paris, I, 1-8 ; III, 17, 369-370.

Coupe (la), IV, 532.

Courrier du village, [premier titre des Promenades autour d’un village], IV, 373, 375.

Croyances et légendes du centre de la France, par M. Laisnel de la Salle (article sur les), III, 665.

D

Dames (les) vertes, IV, 355, 384.

Daniella (la), I, 143 ; IV, 239, 357, 360-371, 377, 384, 547.

Dans les bois, IV, 210, 250, 548.

De la littérature slave, article, III, 191-198, 268, 361, 369.

Deburau, II, 46 ; IV, 75.

Démon (le) du foyer, IV, 275, 280, 281, 282, 283, 284, 317, 632, 633.

Dernier Amour (le), IV, 484, 505-507.

Dernière Aldini (la), I, 359 ; II, 14, 48, 108, 119, 143, 152, 252, 393, 432 ; III, 120, 665.

Dernières Pages, III, 509 ; IV, 121, 210, 250, 301, 548, 549.

Deux frères (les). (V. Flamarande.)

Deux jours dans le monde des papillons (préface à), IV, 341.

Devant l’Hôtel de Ville, IV, 97, 99.

Diable (le) aux champs, IV, 148-154, 271, 300, 301, 321, 339, 340, 354.

Dialogues familiers sur la poésie des prolétaires, III, 268, 295-297, 377.

Dieu inconnu (le), II, 285.

Don Juan (les) de village, IV, 591.

Drac (le), IV, 315, 384, 398, 519.

Droit (le) au vol (préface au livre de Nadar), IV, 469.

E

Éducation sentimentale (article sur l’), II, 507.

Elle et Lui, I, 54 ; II, 13, 16, 36, 41-42, 69, 70, 111, 113, 130-131, 134, 135-137 ; IV, 312, 321, 355, 384.

Engelwald, II, 352 ; III, 227.

Evenor et Leucippe, IV, 296, 351-355.

F

Famille de Germandre (la), IV, 384, 396-397.

Fanchette, III, 268, 294, 369, 374-384, 467, 486, 678.

Fauvette du docteur (la), II, 433 ; IV, 322.

Fée aux gros yeux (la), IV, 531.

Fée Poussière (la), IV, 531.

Fée qui court (la), IV, 532.

Fenimore Cooper (article sur), IV, 384.

Fille d’Albano (la), I, 309, 391, 344, 345, 359, 366 ; III, 160 ; IV, 534.

Filleule (la), IV, 314, 583, 584, 585, 587.

Flamarande, IV, 518, 580, 583, 584, 592, 593.

Flaminio, IV, 275, 286, 405.

Flavie, IV, 356, 357, 384, 387-389, 399.

« Fragment d’un roman qui n’a pas été fait », I, 73 ; II, 137 ; IV, 442.

Francia, IV, 315, 546, 547.

François le Champi, III, 636, 637, 638, 662, 669-676, 680, 687 ; IV, 127, 129, 270.

François le Champi [pièce], III, 625, 679-680 ; IV, 112, 168, 269, 275, 285, 289, 297, 298, 463.

Françoise (ou l’Irrésolu), IV, 275, 296, 297, 300, 519.

G

Gabriel-Gabrielle, I, 194 ; II, 14, 108, 119, 138-139, 143, 452 ; III, 96, 98, 231 ; IV, 262, 263, 264.

Garibaldi, IV, 369.

Garnier, I, 384, 447, 448.

Géant Yeous (le). (Contes d’une grand’mère), III, 678 ; IV, 531.

Giovanni Freppa et les Maïoliques florentines, IV, 357.

Gnome (le) des huîtres, IV, 531.

Gœthe, Byron et Mickiewicz, III, 81, 178, 186-188, 217, 230, 234.

Gribouille (histoire du véritable), III, 369 ; IV, 532.

Guerre (la), IV, 370.

H

Hamlet (article sur), IV, 449.

Henri De Latouche (Notice sur), I, 437, 439 ; III, 668.

Histoire de dix ans (article sur l’), III, 388, 394, 510.

Histoire de France… écrite sous la dictée de Blaise Bonnin (l’), III, 294, 678 ; IV, 30, 41, 53-55, 56, 57, 60.

Histoire de la Révolution par Louis Blanc (articles sur), III, 394, 510 ; IV, 440-441.

Histoire de ma vie, I, 42, 56-58, 62-63, 66-67, 73, 75, 77, 81-82, 83, 89, 91, 93-94, 95, 96, 102-103, 107, 108, 109, 116, 122, 125, 132, 159, 164, 174, 181, 183, 189, 191, 196, 201, 202, 216, 220, 222, 223, 230, 231, 232, 235, 238, 242, 244, 248, 254, 255, 258, 259, 261, 264, 267, 268, 277, 280, 281, 286, 289, 290, 291, 292, 293, 295, 296, 300, 302, 307, 310, 312, 321, 324, 325, 326, 332-333, 341, 349, 361, 384, 385, 394, 395, 396, 414, 415, 421, 437, 438, 439 ; II, 12, 46, 55, 61, 74, 77, 83, 84, 85, 92, 95, 156, 166, 177, 183, 184, 186, 188, 189, 210, 211, 250, 262, 295, 299, 315, 322, 378, 394, 395, 428, 430, 432 : III, 13, 28, 34, 55, 58, 77, 82, 86-88, 90-91, 92, 95, 102-103, 105-106, 111, 112, 125, 146, 223-225, 281, 413, 418, 449, 457, 465, 469, 476, 477, 481, 497, 510-511, 512-513, 514, 515, 520, 527, 528-529, 531, 534, 543, 582, 588, 589, 593, 594, 599, 618, 620-621, 624, 643, 656, 678, 690, 692 ; IV, 4, 6, 10-11, 16, 18, 89, 148, 236, 302, 312, 321, 322, 324, 327, 328, 329, 331, 332, 333, 334-339, 350, 401, 510, 511, 519, 535, 573, 584, 589.

Histoire du grillon, I, 294.

Homme (l’) de neige, IV, 271, 301-304, 305, 306-309, 310, 311, 339, 380, 382, 384, 387, 451, 453, 458, 461, 470, 518, 584, 591.

Horace, I, 27, 28 ; III, avant-propos i, 17, 125, 128, 256, 265, 267, 268, 271-292, 321, 322, 332, 368, 369, 635 ; IV, 142.

I

Impressions et souvenirs, I, 73, 169, 297, 415 ; II, 48-49 ; III, 105, 204-208, 215, 281, 469, 524 ; IV, 82, 210, 246, 247, 249, 250, 429, 251, 532, 534, 546, 548, 549, 550, 551, 552-560.

Indiana, I, 27, 265, 303, 309, 340, 341, 344, 359-360, 362, 371, 374, 377, 388, 393, 407, 416, 436, 441 ; II, 17, 39, 123, 404 ; III, 166, 268, 288, 333 ; IV, 263, 321, 326.

Ingres et Calamatta, II, IV, 398, IV, 399.

Introduction à la Cause du peuple, IV, 61.

Isidora, II, 250 ; III, 268, 369, 397, 461-465, 500 ; IV, 321.

J

Jacques, I, 27, 265, 377 ; II, 62, 81, 119, 146, 166, 317, 404, 413 ; IV, 390, 391.

Jardins (les) en Italie, IV, 357, 359.

Jean de la Roche, I, 143, 338 ; II, 71, 108, 113 ; IV, 312, 355, 356, 384, 389-390, 399, 583.

Jean Ziska, I, 169 ; III, 17, 268, 363, 369, 445 ; IV, 647.

Jeanne, I, 127 ; II, 309 ; III, 17, 369, 402, 404, 476, 478, 488, 509, 635-648, 651, 653, 661, 662, 671, 677 ; IV, 237.

Joconde (la), gravée par Calamatta (article sur), II, 399 ; IV, 384.

Journal d’un voyageur pendant la guerre, I, 73 ; IV, 545, 546, 548, 549, 550, 551.

Journal de 1848 et Journal du coup d’État de 1851, IV, 17, 18, 35, 48, 89, 91-93, 96, 168-174, 384.

Journal du docteur Piffoël, II, 249, 269, 324, 356 ; III, 1, 127, 128, 200-204, 215, 231-233, 278, 279, 280-283, 284, 359-361, 454, 461 ; IV, 287, 321, 327, 334.

Journal intime et journal à Musset, III, 33, 124, 126.

Journée du 16 avril, IV, 61, 91.

Journée du 20 avril, IV, 61, 91.

K

Kourroglou, III, 268, 369.

L

Laitière (la) et le pot au lait, IV, 315, 591.

Lamartine utopiste (article sur), III, 267, 295.

Laura ou Voyage dans le cristal, I, 362 ; IV, 417, 549.

Laure et Adriani. V. Adriani.

Lavinia, I, 256, 262, 384, 445-446 ; II, 34 ; IV, 582.

Légendes rustiques, I, 137 ; III, 377, 665.

Lélia, I, 27, 112, 156, 169, 336, 344, 371, 377, 384, 386, 398, 403, 417, 421 et suiv., 449 ; II, 13, 17, 39, 125, 152, 168, 183, 255, 309-311, 353, 404, 413 ; III, 1, 13, 80, 81, 84-85, 121, 166, 210, 217-218, 224, 231, 234 ; IV, 264, 321, 323, 327, 331, 580.

Leone Leoni, II, 62, 108, 119, 146, 213.

Lettre à Henri Arrault (premier promoteur de la Croix-Rouge), IV, 454.

Lettre à la classe moyenne, IV, 22, 23, 30, 32, 33, 53.

Lettre à Lamartine, III, 268, 386.

Lettre à Lamennais, IV, 101, 102.

Lettres à Marcie, II, 262, 398, 401-413.

Lettres à M. de Lerminier, II, 395 ; III, 220 ; IV, 322.

Lettre à Théophile Silvestre, III, 125.

Lettre à Théophile Thoré (sur la mise en accusation de Louis Blanc), IV, 124.

Lettre à Victor Hugo sur la reprise de Lucrèce Borgia, IV, 75, 451.

Lettre au pape (de Mazzini) traduite par George Sand, IV, 11, 12, 15, 16, 145.

Lettre au rédacteur de la Réforme (contenant une prétendue « Lettre de mon village »), III, 394.

Lettre au rédacteur de la Réforme [datée du 21 mars 1848], IV, 36-39

Lettre au rédacteur de la Vraie République du 8 avril 1848, IV, 82.

Lettre aux modérés, IV, 145.

Lettre aux rédacteurs de l’Éclaireur de l’Indre, III 386-387, 388, 389.

Lettre aux riches, III, 671 ; IV, 3, 30, 31, 33, 42.

Lettre d’Antoine G. et réponse de Gabrielle G. à son mari Antoine G., ouvrier carrossier à Paris. (Feuilletons populaires), IV, 109, 121.

Lettre d’introduction aux fondateurs de l’Éclaireur de l’Indre, III, 388.

Lettre d’un boulanger à sa femme, III, 678.

Lettre d’un oncle, IV, 322.

Lettre d’un paysan de la Vallée Noire, III, 294, 388, 390-391, 643, 652, 678 ; IV, 30.

Lettre d’un voyageur (à Manceau, en 1864), IV, 446-448, 549.

Lettre d’un voyageur (de 1865), IV, 501-503.

Lettre de Blaise Bonnin à Claude Germain. (V. Lettre d’un paysan de la Vallée Noire et Fanchette.)

Lettre écrite de Fontainebleau en 1837, IV, 566.

Lettre sur Émile Aucante, IV, 342.

Lettres au peuple, 2, 23, 24, 25, 26, 29, 36, 42, 58, 60, 61.

Lettres d’un voyageur, I, 54, 73 ; II, 14, 62, 69, 84, 109, 118, 152, 159, 161, 173, 189-210, 252, 269, 324, 335, 390 ; III, 121, 209, 278 ; IV, 16, 287, 321, 322, 334, 481, 482, 501, 602.

Lis (le) du Japon (tiré d’Antonia), IV, 315, 357.

Loges (les) de Raphaël, IV, 357.

Louis Blanc au Luxembourg, IV, 124.

Lucie, IV, 275, 296, 298, 519.

Lucrezia Floriani, I, 62, 359 ; II, 262 ; III, 134, 470, 501, 504, 515-537, 543, 554, 559, 567, 570, 574, 582, 653 ; IV, 321.

Lupo Liverani, IV, 299, 315.

M

Ma sœur Jeanne, 580, 584, 591, 592.

Mademoiselle La Quintinie, I, 21, 143 ; IV, 315, 401, 425, 427, 429, 430, 439, 440, 464, 630.

Mademoiselle La Quintinie [pièce], IV, 315, 429, 431-434, 520, 591.

Mademoiselle Merquem, I, 143, 338 ; III, 545, 566-567, 583 ; IV, 580.

Maison (la) déserte, II, 250 ; IV, 288, 372.

Maître Favilla, III, 140, 159 ; IV, 272, 287, 288, 289, 291, 292, 296, 297, 300, 316, 317, 318, 519.

Maîtres mosaïstes (les), II, 108, 119, 152, 159, 354, 399, 422.

Maîtres sonneurs (les), II, 424 ; III, 672, 680-687 ; IV, 275, 354, 583.

Malgrétout, IV, 240-241, 243, 244, 246, 544, 580.

Mare au diable (la), I, 139, 374 ; III, 410, 488, 504, 549, 636, 637, 638, 661-664, 668, 669, 671, 672, 677, 680, 687 ; IV, 6, 17, 129, 237, 638.

Marguerite de Sainte-Gemme, IV, 300, 314, 384, 519.

Mariage (le) de Victorine, IV, 168, 170, 171, 173, 274, 275, 276, 278, 279, 282.

Marianne Chevreuse, IV, 580, 582, 583.

Marie Dorval, I, 394-396 ; IV, 75, 313, 335.

Marielle (v. Théâtre de Nohant), IV, 271, 275, 287.

Marionnettes de Nohant (les), III, 509, 546 ; IV, 301, 536.

Marquis de Villemer (le), I, 124 ; II, 146 ; IV, 315, 384, 392-394, 429, 517, 584.

Marquis de Villemer (le) [pièce], IV, 297, 315, 394-396, 405-407, 426, 431, 435, 471, 474, 496, 517, 519, 590.

Marquise (la), I, 124, 309, 341, 344, 346, 349, 359, 416 ; II, 34.

Marraine (la), I, 294, 303, 343.

Mars et Dorval, IV, 75.

Marteau (le) rouge, IV, 531.

Mattea, II, 14, 62, 108, 119, 152, 154, 159, IV, 321.

Mauprat, I, 27, 124, 338 ; II, 263-264, 354, 362, 413, 422, 424-427.

Mauprat (pièce), IV, 144, 170, 275, 284, 285, 286, 287, 297, 433, 434.

Mélanges et fragments philosophiques de Renan (article sur les), IV, 661.

Melchior, I, 341, 344, 359, 379.

Mères de famille dans le grand monde (les), III, 369, 370, 465-467.

Meunier d’Angibault (le), I, 374 ; III, 17, 394, 404, 452, 488, 635, 637, 639, 648-658, 661, 677.

Mississipiens (les), I, 124 ; III, 161 ; IV, 263, 264.

Mœurs et coutumes du Berry, III, 665, 678.

Molière, III, 627 ; IV, 168, 270, 271, 275, 276, 287.

Molinara (la), I, 309, 330.

Mon grand-oncle, I, 73 ; IV, 336.

Monsieur Jacques, IV, 440, 441, 442.

Monsieur Maillard et ses travaux sur l’île de la Réunion, IV, 404.

Monsieur Rousset, I, 127 ; III, 510, 637.

Monsieur Sylvestre, II, 166 ; IV, 453, 479-484, 505, 506.

Mont-Revêche, IV, 280-281.

Mouny Robin, I, 127 ; II, 377 ; III, 636, 637.

N

Nanon, II, 424 ; III, 510 ; IV, 545, 580.

Narcisse, IV, 272, 311, 312, 384, 583.

Nello le violoniste (v. Maître Favilla), IV, 274, 275, 284, 286, 287.

Noce de campagne (la) ou les Noces de campagne, III, 636, 664, 665-669, 670.

Nouvelle (la) lettre de Junius, IV, 548.

Nouvelles lettres d’un voyageur, I, 73 ; II ; III, 397 ; IV, 238, 357, 446, 447. 449, 450, 472, 485, 501, 525, 549, 650, 567, 571, 619.

Nuage rose (le). (Contes d’une grand’mère), III, 678 ; IV, 531.

Nuit (la) de Noël, imitée d’Hoffmann, IV, 316, 316.

Nuit d’hiver (la), I, 73 ; IV, 336.

O

Œuvres complètes, III, 369, 386, 510 ; IV, 661.

Orco (l’), II, 14, 108, 119, 152, 158, 159 ; III, 231.

Orgue (l’) du Titan, IV, 531.

Ouvriers boulangers de Paris (les), III, 388-390.

P

Paroles de Blaise Bonnin aux bons citovens, III, 294, 678 ; IV, 2, 30, 69.

Pauline, I, 314, 344, 350, 358,359 ; III, 231 ; IV, 681.

Pauline Garcia et le théâtre italien, (article), III, 215.

Pavé (le), IV, 315, 384, 619.

Péché de M. Antoine (le), I, 124, 336, 338, 374 ; III, 17, 476, 635, 637, 639, 658-661, 677, 678.

Pensées d’un maître d’école, IV, 632-534.

Père (le) Communisme, IV, 107, 113-114.

Père-Va-tout-seul (le), III, 636, 678,

Petite Fadette (la), I, 137, 374 ; III, 637, 638, 672, 676-678, 680 ; IV, 46, 302, 560.

Petite Fadette (la) [pièce], III, 678-679.

Pétition pour l’organisation du travail (article sur la), III, 388, 391-392, 393, 394, 396.

Peuple (le) et le président (V. À propos de l’élection de Louis-Napoléon).

Piccinino (le), III, 509-510. 659. 687, 690-696 IV, 8, 16, 53, 132.

Pierre Bonnin, III, 636, 678 ; IV, 649.

Pierre qui roule (v. Le beau Laurence), IV, 271, 272, 311, 518.

Plutus, IV, 316, 316, 317.

Poème de Mvrza (le), II, 285 ; IV, 321.

Politiques et socialistes, III, 388, 394-336.

Pourquoi les femmes à l’Académie, IV, 437.

Pourquoi nous sommes revenus à nos moutons (préface de la Petite Fadette), premier titre de : À propos de la Petite Fadette, IV, 45, 127-129.

Préface aux Conteurs ouvriers, III, 297, 321-326.

Préface aux Masques et Bouffons de Maurice Sand, IV, 271, 343, 384.

Préface aux Poésies de Magu, III, 297, 317-319.

Préface aux Six mille lieues à toute vapeur de Maurice Sand, IV, 258, 369.

Préface d’Obermann, 1, 384. 398, 447, 448 ; II, 400.

Préface de Werther, traduit par Leroux, III, 178, 389.

Préface des Chansons de chaque métier de Poncy, III, 297, 308.

Préface des œuvres complètes (pour l’édition Perrotin, 1843), III, 268.

Préface des Travailleurs et Propriétaires, de Victor Borie, I, 16 ; III, 550 ; IV, 3, 4, 146.

Préface du Bouquet de marguerites de Poncy, III, 297.

Préface du Chantier de Poncy, III, 297, 305, 307, 308.

Pressoir (le), III, 678, 679 ; IV, ^76, 284, 285, 297.

Prière, II, 314.

Prima Donna (la), I, 331, 344-345, 359.

Princesse Anna Czartorvska (la), III, 199 ; IV, 550.

Proclamation de la République à Nohant-Vic. (V. La Lettre au rédacteur de la Réforme datée du 21 mars 1848).

Procope le Grand, I, 169 ; III, 17, 268, 363-365, 369, 445.

Promenades autour d’un village (v. Courrier de village), I, 63 ; III, 476, 665 ; IV, 373, 374, 375, 377, 378, 384, 336, 507.

Q

Question (la) de demain, IV, 107.

Question (la) sociale, IV, 99, lOO, 101, 104.

Questions d’art et de littérature, II. 46 ; III. 318 ; IV, 5, 75, 375, 404, 426, 449, 507, 560.

Questions politiques et sociales, III, 386. 394 ; IV, 3, 5. 99, 101, 548, 549, 550.

R

Réalisme (le), IV, 375, 507.

Réception de Sainte-Beuve à l’Académie (article sur la), III, 394.

Réflexions sur J.-J. Rousseau. I, 361 ; III, 196, 370-373.

Reine Coax (la), IV, 531.

Reine Mab (la), I, 309, 341, 344, 383 ; II, 120.

Relation d’un voyage chez les sauvages de Paris ; I, 362 ; III, 369, 370, 373-374.

Réponse à diverses objections i (V. La politique et le socialisme), III, 388, 395-336.

Réponse à un ami et réponse à une amie, IV, 557, 562.

Reprise de Lucrèce Borgia. (V. Lettre à Victor Hugo).

République et royauté en Italie de Mazzini (préface et traduction de), IV, 145.

Rêves et souvenirs. (Premier titre d’Impressions et souvenirs).

Revue politique et morale de la semaine, IV, 83, 105.

Roi (le) attend, IV, 62, 75, 77, 168, 269, 270, 519.

Roi (le) des neiges, conte écrit en 1839 et resté inédit, IV, 532.

Rose et Blanche, I, 336-340, 344, 346, 359 ; III, 288-289 ; IV, 312, 581.

Rues (les) de Paris, IV, 61, 71, 107.

Ruisseau (le), II, 375, 442.

S

Salammbô (article sur), IV, 507.

Secrétaire intime (le), II, 14, 62, 108, 119, 149, 152, 450, IV, 287.

Sept cordes de la Lyre (les), II, 48, 125, 324, 378-390, 392 ; III, 17, 188, 230, 234 ; IV, 263, 391, 449.

Simon, I, 362 ; II, 249, 366, 369, 413, 416 ; III, 130, 234, 278, 285, 510.

Sketches and Hints, I, 420, 429.

Socialisme, IV, 3, 51, 60, 62, 63-64, 65, 66, 67, 68, 72, 104.

Sonnet sur Chatterton d’Alfred de Vigny, II, 120.

Souvenirs de 1848, I, 73, 362, 439 ; IV, 5, 107, 121, 124, 469.

Souvenirs de Mme Merlin (article sur les), IV, 156.

Souvenirs et idées, III, 547, 548, 617 ; IV, 3, 18, 82, 89, 169-173, 348.

Spiridion, I, 169, 377 ; II, 458 ; III, 12, 17, 18, 66, 67, 80, 81, 86, 137, 187, 217-230, 237, 242, 244 ; IV, 321, 421, 430, 556, 557, 580.

Sur le drame fantastique (V. Gœthe, Byron et Mickiewicz), III, 186-187, 217.

Sur le général Cavaignac. (Voir le Peuple et le Président et À propos de l’élection de Louis-Napoléon à la présidence de la République.)

Sur les poètes populaires, III, 267, 292, 293-295.

T

Tamaris, I, 143 ; IV, 398.

Tapisseries du château de Boussac (article sur les), III, 476, 636.

Théâtre de Nohant, IV, 398.

Teverino, I, 359 ; II. 62 ; III, 687-690. IV, 275, 286.

Toast (le), I, 309. 341, 344, 359, 379 ; IV, 321.

Tour (la) de Percemont, IV, 580, 583, 584, 594.

U

Un bienfait n’est jamais perdu, IV, 315, 591.

Un coin de la Marche et du Berry, III, 476.

Un cyclone à l’île de la Réunion, IV, 404.

Un été dans le Sahara, de Fromentin (article sur), IV, 384, 453.

Un hiver à Majorque, I, 57, 68 ; III, 55, 56, 59, 60, 64, 69, 70, 72, 73-76, 77, 80, 82-86, 87, 125.

Un voyage chez M. Blaise, IV, 121, 336.

Un voyage en Auvergne et en Espagne, I, 73, 92, 197, 279, 294, 297, 338, 343 ; IV, 323-333.

Une année dans le Sahel, de Fromentin (article sur), IV, 384, 463.

Une lettre écrite de Fontainebleau en 1837, II, 48-49, 432 ; IV, 666.

Une visite aux Catacombes, II, 398, 400.

Uscoque (l’), I, 33, 362 ; II, 14, 108, 119, 152, 157, 159, 422 ; III, avant-propos iv, 231.

Utilité d’une école normale d’équitation, III, 397 ; IV, 550.


V

Vacances (les) de Pandolphe ; IV, 271, 274, 275, 279, 280, 282.

Valentine, I, 27, 124, 201, 309, 341, 344, 359, 373-374, 377, 388, 416, 441 ; II, 17, 404 ; III, 676, 677 ; IV, 321, 581, 582, 584.

Vallée noire (la), III, 476, 636.

Valvèdre, II, 424 ; IV, 256, 366, 384, 390-392, 399.

Veillées du chanvreur (les), III, 638, 662, 666, 687 ; IV, 129.

Victor Hugo par un témoin de sa vie (article sur le livre de Mme Hugo), IV, 449.

Vierge (la) à la chaise, gravée par Calamatta, II, 399.

Villa (la) Pamphili, IV, 357, 359.

Ville noire (la), III, 311 ; IV, 384, 399.

Vision (la), I, 309, 330.

Visions de nuit à la campagne, I, 137 ; III, 636, 665, 678 ; IV, 378, 384.

Voyage au Mont Dore. (V. Voyage en Auvergne et en Espagne.)

INDEX DES NOMS CITÉS

A

Abbatucci (Jacques-Pierre-Charles d’). IV, 157, 172, 194, 218, 219, 220.

Abrantès (la duchesse d’), IV, 465, 517.

Accolas, avoué, I, 276, 287, 292 ; II, 291.

Accursi (M.). IV, 10, 16.

Achille, III, 284.

Adam (Edmond). IV, 523, 526, 527-529, 537, 538, 618.

Adam (Mme), IV. 419, 427, 523, 524, 525, 526-529. 536-540, 541, 542-544, 551, 553, 557.

Adrienne, par De Latouche. III, 654.

Affaire (l’) Clemenceau, par Dumas fils, IV, 406.

Affaires de Rome, de Lamennais, II, 228.

Ageorges (Joseph), III, 388.

Agnès Sorel et Charles VII, IV, 351.

Agnès de Méranie, de Ponsard, III, 552.

Agoult (Marie de Flavigny, comtesse d’) = Daniel Stern, I, 70, 72, 403 ; II, 49-50, 105, 108, 146, 152, 161, 209-211, 213, 239-241, 243-244, 246-248, 251-253, 256-257, 259, 263, 264, 266-267, 295, 298-299, 310-311, 324-326, 328, 329-330, 333, 337, 339, 344-347, 349-350, 353, 362 ; II, 367-369, 371, 373, 378, 395, 399-416, 420, 427, 428, 433, 442, 457 ; III, 14, 16, 11, 22, 28, 36, 95, 127, 128, 164, 275. 182, 183, 184, 186. 191, 202, 238, 259, 265, 269, 278-286, 291, 449. 465 ; IV, 2, 31. 42. 52. 73, 76, 81. 85-87, 93, 98. 99, 287, 313, 482.

Agrestes (les), de De Latouche, III, 652.

Aguado (Alexandre-Marie). III, 366, 368.

Ajasson de Grandsaigne ou de Grandsagne (Stéphane). I, 196-197, 286, 289, 361 ; II, 148 ; IV, 325, 351.

Albert (Mme), artiste dramatique, IV, 170.

Albert (Paul), IV, 522.

Albert, membre du gouvernement provisoire, IV, 49, 92.

Albin (Sébastien) = Mme Hortense Cornu, III, 178 ; IV, 163.

Albrecht, III, 65

Alcan, III, 119.

Alexandra Nicolaiewna, grande-duchesse, IV, 549-550.

Alexandre Ier IV, 165, 335, 623.

Alicia (mère), I, 160, 178, 180.

Allan (Mme), artiste dramatique, IV, 170.

Allart (Mme Hortense), I, 244 ; II, 346 ; III, 120, 128, 280, 281, 282, 461, 465 ; IV, 649.

Almanach du Bonhomme Richard, II, 174.

Almanach populaire de la France pour 1849, IV, 158.

Alton-Shée (comte d’), II, 55.

Ambert (Jean-Jacques), I, 227-228.

Ame (l’) de la plante, par M. Boscowicz, IV, 571.

Amel (Mme), de la Comédie-Française, IV, 648.

Amélie, princesse de Prusse, III, 346, 351.

Ami (l’) du peuple, journal de Cabet. IV, 98, 99.

Amic (Henri), I, préface, 2, 70, 76, 113, 311, 315, 388 ; II, 60, 147 ; III, Avant-propos, IV, 262, 366, 404, 604, 606, 622, 623, 624, 636, 544, 609, 614, 621, 625, 626.

Amour de l’eau, par Victor Hugo, IV, 449.

Amoureux (J.-A.). IV, 230.

Ampère (Jean-Jacques), III, 192.

Amshaspands et Darvands, de Lamennais, II, 229, 395.

Ancelot (Jacques), III, 164.

Ancessy, IV, 467,

Andersen (Hans-Christian), III, 338 ; IV, 279, 534.

André, petit groom d’Aurore Dupin, I, 192, 193, 208 ; IV, 329.

Andiezel (d’), I, 122.

Angélus (l’), de Millet, IV, 644.

Anna Iwanowna, impératrice de Russie, I, 81.

Anna Karénine, de Tolstoï, I, 377 ; II, 158, 230 ; III, 496.

Année (l’) terrible, IV, 451, 549.

Années de pèlerinage, de Liszt, II, 253.

Annenkow (P. W.), I, 30 ; III, 267, IV, 129.

Antoine et Cléopâtre, I, 395 ; IV, 361.

Antonini (Mme), II, 88.

Apollon, III, 131.

Apollonius de Tyane, III, 8, 203.

À qui la faute, roman de Herzen. II, 82.

Arago (Emmanuel), I, 72 ; II, 184, 188, 243, 339, 351 ; III, 79, 103, 108, 120, 122, 130, 131, 271-272, 288, 328, 454, 500, 601. 509. 510, 549, 585. 586. 695 ; IV, 12, 16, 45, 50, 171, 265, 266.

Arago (Étienne), III, 272, 328, 392, 398 ; IV, 2, 42, 44, 45. 80, 86, 94, 141, 237.

Arago (François), III, 120, 292, 293, 294, 328, 392, 398 ; IV, 2, 93.

Arago (Lovely), IV, 172.

Aragon (Charles d’), II, 338 ; III, 609, 619, 620.

Arimane, III, 11.

Aristophane, IV, 316, 317.

Aristote, I, 188 ; III, 11, 239 ; IV, 481.

Arles (l’archevêque d’), I, 198-200.

Arpentigny (capitaine d’), III, 500, 501, 649 ; IV, 112.

Arnaud, de l’Ariège, IV, 618.

Arnault, imprimeur, III, 380.

Arnold (M.) = Pierre Leroux, III, 416 ; IV, 221.

Arnould-Plessy (Mme Sylvanie), I, 12 ; IV, 255-258, 269, 296, 356, 417, 429, 453, 497-499, 504.

Arrault (Henri), IV, 454.

Arséniew (Constantin), I, 26, 27 : III, 645.

Art (l’), III, 646.

Artiste (l’), I, 330 ; II, 399, 445 ; IV, 76.

Ashurst (Mrs), IV, 6, 9.

Askenazy (Szimon), III, 186.

Assas (d’), III, 426.

Association (l’), journal de Nevers, II, 434.

Astrée (l’), par Durfé, IV, 296.

Astres (les), par Schubert, III, 97.

Atelier (l’), journal, III, 320, 491.

Athanase (saint), III, 11.

Auberge (l’) du crime, pièce improvisée, III, 633, 556, 589.

Aubertin, III, 549.

Aubon (docteur), IV, 411,

Aucante (Émile), I, 50, 70 ; II, 17, 71, 116-118 ; III, avant-propos, i, 328, 398, 405, 406, 407, 416 ; IV, 139, 143, 150, 151, 174, 185, 186, 191, 196. 209, 218. 221, 229, 230, 237. 308, 340, 342, 344, 363, 368, 376. 379. 380, 382, 383. 385, 387, 438. 455, 485, 622, 609, 614, 621, 624-627.

Audley (Mme), II, 379.

Auersperg (comte Alexandre-Antoine) [en litténature : Anastasius Grun], III, 136, 146, 147, 151, 153, 154, 155, 156, 157. Augras, président de la société des Gas du Berry, IV, 650, 658, 659.

Augsburger allgemeine Zeitung (Gazette universelle d’Augsbourg), II, 313.

Auguste II, roi de Pologne, électeur de Saxe, I, 78, 80-81, 89, 91.

Auguste III, roi de Pologne, I, 80.

Augustin (saint), I, 13, 161.

Augustin (saint), par Leroux, III, 11.

Aulard (Alfred), IV, 38.

Aulard (M.), maire de Nohant-Vic, IV, 38, 184 185-186, 229, 235.

Aure (comte d’), III, 397-398 ; IV, 369, 550.

Auteurs dramatiques, d’Émile Zola, IV, 319.

Aux Femmes, par Tolstoï, II, 407.

Avenir (l’), II, 226.

Avenir national (l’), journal, III, 394 ; IV, 440, 449, 454, 619.

Aventurière (l’), par E. Augier, IV, 76.

B

Babou (Hippolyte), II, 13.

Bacon, I, 188.

Bach (Jean-Sébastien), III, 34, 73, 104, 212.

Bahuet, habitant de La Châtre. IV, 476.

Baillot, II, 208.

Bakounine (Michel), I, 72 ; III, 398 ; IV, 19, 129-140, 144.

Balakirew (Mili), III, 35.

Balbo (comte de), I, 195.

Ballade (la 1re) de Chopin, III, 24, 487.

Ballade (la 2e) de Chopin, III, 66, 89.

Ballades et chants populaires anciens et modernes de l’Allemagne, par Sébastien Albin, IV, 163.

Ballanche, I, 440 ; II, 186-187, 219, 345, 355.

Balzac (Honoré de), I, 1, 4, 25, 43, 98, 180, 311, 322, 336-337, 339, 437, 448 ; II, 15, 145, 151, 369, 445-447, 451-454 ; III, 116-117, 120, 129, 133, 170, 173, 177, 220, 234, 283, 291, 292, 420, 422, 426-427, 449, 480, 646, 653 ; IV, 262, 263, 302, 581.

Baptiste, IV, 39.

Baraguay d’Illiers (général comte Achille), 194. 204, 205, 206, 216, 217, 220.

Barbançois [Brabançois ?], III, 383.

Barbeguière (Arnaud Germain), I, 228.

Barbés (Armand). I, 20, 71 ; III, 398 ; IV, 46, 86, 87, 90, 91, 98, 122, 123, 124-129, 180, 415, 516, 519, 522, 523.

Barbey d’Aurevilly (Jules), II, 13.

Barbier de Séville (le), IV, 277, 690.

Barbiera (Rafaello), 176 ; II, 68, 78, 96.

Barcarolle (la) de Chopin, III, 487,

Barchon de Peuhoën (baron Auguste-Théodore-HUaire), II, 332, 345.

Baretta (Mme Worms), IV, 646.

Barine (Arvède), I, 45, 51-52, 70-72 ; II, 13, 15, 16, 37, 39, 49-51, 53, 65, 72, 78, 80-81, 83, 90, 93, 96, 97, 102, 106, 120, 132-133 ; III, 124.

Barré (Léopold), IV, 289.

Barrot (Odilon), II, 186 ; IV, 12, 19.

Barth docteur, IV, 606, 608.

Barza Breiz (les), III, 665.

Bascaus (Mme), II, 441 ; III, 118, 431, 451, 452, 456.

Bascans (M.), III, 118, 452, 456, 457, 462, 563, 591, 597, 602 ; IV, 422.

Basile, auteur dramatique, III, 659,

Bassompierre, II, 33, 43.

Bastide, IV, 46.

Baudelaire (Charles), IV. 292, 293-295.

Bauernfeld, III, 140, 141.

Bayreuth (la margrave de), III, 348.

Bazard (Armand), II, 225 ; III, 5.

Bazouin (Mlles Jane, Aimée et Chérie), I, 12, 180, 250, 253-254. 259, 294, 303, 316 ; IV, 326.

Beaufort (de), directeur de l’Odéon, IV, 453, 455.

Beaumarchais, IV, 78, 590.

Beauplan (de), IV, 277.

Beaumont (abbé de), I, 122, 216, 223.

Beaune (la famille), III, 398.

Bsauvallet, de la Comédie-Française, IV, 48.

Beauvau (la princesse de), III, 120,

Beauvau (hôtel de), III, 94.

Bedeau (général), IV, 272.

Beethoven, II, 163, 214, 358 ; III, 34, 35, 105, 207, 408, 420, 478, 517, 529 ; IV, 401.

Béjard, charbonnier à La Châtre, IV, 476.

Belcikowski, III, 182.

Belgiojoso (princesse Christine de), 1, 53 ; II, 188 ; III, 129, 283.

Bellerophon, III, 258.

Bellini (Vincent), III, 41.

Bénédictins (les), III, 221.

Benoît (saint), III, 11.

Bentzon (Mme Th.), III, 397.

Beolco, IV, 271.

Béranger (Mme de), I, 122 ; II, 401.

Béranger (P. J.), III, 138, 259, 260, 295, 299, 305, 306-308, 314-315, 316 ; IV, 466.

Bérangère, IV, 269, 289, 372, 373, 376, 379.

Berger (M.), préfet du Cher, IV, 185, 198, 235.

Berlioz (Hector), 1, 121 ; 11,204-205 ; III, 33, 105, 421 ; IV, 321.

Bernard (saint), III, 329.

Bernardin (N.-M.), IV, 632.

Bernhardt (Sarah), IV, 262, 315, 590, 634.

Berquin, I, 104.

Berr (Georges), IV, 640.

Berry (duc de), I, 177.

Benyer, II, 106, 347.

Bertall, I, 1.

Berthé (M.), III, 596.

Berthelot, III, 221.

Bertholdi (Mme Augustine de), V. Brault (Augustine).

Bertholdi (M.)., III, 588, 600, 601, 605, 614, 619 ; IV, 17, 631.

Bertholdi (Georges de), IV, 631.

Bertholdi (Jeanne de), IV, 631.

Bertin, III, 653.

Berton (Charles-Francisque), IV, 242, 297, 311, 433, 434, 452, 455, 457, 458, 463, 466. 618.

Berton (Pierre), IV, 242.

Bethmann (la famille), II, 239 ; III, 279, 283.

Bethmont, membre du gouvernement provisoire, IV, 42, 93.

Bettina (Élisabeth Brentano, comtesse Arnim, dite la), III, 177-178.

Beucher-Defant, IV, 230.

Beuzeville (poète populaire), III, 293, 295, 317.

Beyle (Henry) [Stendhal], I, 52.

Biaud, IV. 40.

Bibliophile Isaac, pseudonyme du vicomte Charles de Spoelberch de Lovenjoul.

Bidault, II, 188.

Bidou (H.), III, 80.

Bielinski (V. G.)., I, 23-26, 31, 177 ; IV, 129.

Bien de Mâcon (le), journal, III, 385, 386.

Bien (le) public, III, 491 ; IV, 626.

Biergel (Alexandre), III, 198.

Bignon, IV, 170.

Bignon (M. et Mme Albert), IV, 269.

Billaut (Me Adam), III, 293, 296, 297.

Birch-Pfeifîer (Mme), III, 678.

Björnson, I, 443 ; II, 422.

Blanc (Félix), IV, 216.

Blanc (Louis), I, 26, 31, 72 ; II, 176 ; III, 102, 328, 391, 392, 393, 394, 396, 404, 409, 501, 609, 510, 537, 645, 653, 658, 695. 696 ; IV, 2, 12, 20, 42, 43, 85, 86. 91, 92, 93, 110, 114, 123, 124, 126, 127, 141, 156, 157, 174, 251, 559.

Blanchard, éditeur, III, 113 ; IV, 40.

Blanqui, IV, 85, 87, 91, 122.

Blavoyer, II, 326, 377.

Blaze de Bury (Henri), I, 81.

Blessington (lady), IV, 232.

Bocage, II, 355, 451 ; III, 120, 122, 137, 161. 190, 191, 197, 269, 274, 275, 276, 284, 286, 291, 317, 451, 652.

Boerne (Ludwig), III, 147.

Boissy (M. de), III, 122.

Boldakow (Innocent), I, préface 2.

Bonaparte. V. Napoléon Ier.

Bonaparte (Louis). V. Napoléon III, III, 398.

Bonaparte (la famille), IV, 250.

Bonhomme (François), IV, 119.

Bonnaire, éditeur, II, 374 ; III, 369.

Bonnechose (M. de), III, 79, 120, 122, 551.

Bonnechose (Mme de), III, 551.

Bonnin (Blaise ou Gustave) = pseudonyme de George Sand.

Bonnin (Pierre), menuisier à Nohant, IV, 374, 530, 549.

Borie (Victor), I, 16 ; III, 386, 388, 398, 688, 690 ; IV, 14, 16, 19, 29, 33, 34, 41, 47, 60, 103, 132, 140, 146. 147, 174, 237, 266, 340, 349, 390, 453, 485, 491, 522, 610, 624.

Born (Max), III, 687.

Bossuet, I, 188 ; III, 239.

Botkine (Basile), I, 30 ; IV, 129.

Boubée (Simon), I, 13.

Bouchard (M.), IV, 653.

Boucoiran (Jules), I, 60, 62, 72, 284, 300, 303-305, 307, 312, 314, 315, 326, 329, 369, 384, 443 ; II, 45, 61-62 64-65, 77-78, 83, 94-95, 97-98, 100-103, 295, 296 ; III, 56, 57, 59, 62, 65, 173, 269, 448, 698 ; IV, 410, 411, 416, 420, 430, 472, 485, 522, 523, 632.

Boudin, candidat dans l’Indre, IV, 46.

Bouffé, III, 78 ; IV, 286.

Bougeriot, IV, 476.

Bouilhet (Louis), IV, 451.

Bouilloud (Mlle de), I, 196.

Boulgarine, I, 14, 15.

Boullé, éditeur, IV, 640, 654.

Bourdet, III, 612 ; IV, 170,

Bourdet (Mme), III, 612 ; IV, 170.

Bourgeat (Fernand), IV, 518.

Bourgeois (Anicet), III, 678.

Bourgoing (Rozanne), devenue Mme de Curton, II, 291, 296 ; IV, 171, 235, 337.

Boursault (le docteur), III, 374, 382*

Boutet (André), II, 280.

Boutet (Mme), II, 280.

Bouyer (le commissaire), III, 382.

Bouzemont, III, 603, 604.

Bovet, III, 602, 603.

Boyer (poète populaire), III, 293, 296.

Brandes (Georges), I, 59, 202, 403 ; II, 13, 38, 124-126, 129.

Brault (Adèle), III, 605, 506.

Brault (Augustine), V. Bertholdi (Mme de). III, 118, 397. 418, 459, 495, 496, 500, 501, 504, 505, 608, 509, 510. 512, 546, 560, 553, 564, 558, 569, 668. 672, 576, 677, 578, 681, 682, 583, 588, 592, 697, 600, 601, 613, 614, 618, 619, 620, 621, 622, 626 ; IV, 10, 20, 26, 37, 60, 87, 88, 140, 257, 266, 272, 273, 276, 298, 349, 474, 633, 631

Brault (père), III, 606-507, 619, 620, 621.

Brentano (Clément), III, 178.

Brindeau, IV, 452.

Brisson (Adolphe), II, 13.

Broadwood, III, 37.

Broea (Paul), III, 366.

Brohan (Madeleine), IV, 48, 75.

Brothier, ingénieur à Montluçon, IV, 399.

Browning-Barrett (Mrs Elisabeth), III, 428-429.

Browning (Robert), poète anglais, III, 428.

Bruckmann (Friedrich), III, 130.

Bruneau, cordonnier à La Châtre. IV, 476.

Bruno (saint), III, 72.

Bulletins de la République (préface aux), IV, 52.

Bulow (Mme Cosima von), plus tard Mme Richard Wagner, II, 371.

Buloz (François), I, 443 ; II, 38, 57 61-62, 64, 66-67, 101-103, 124 136, 213, 249, 263, 264, 352-353, 374 ; III, avant-propos, 40, 66, 66, 68, 95, 98, 123, 130, 161, 162, 165, 170, 174, 176, 176, 217, 218, 230-234, 235, 244, 256-258, 266, 267, 648, 669 ; IV, 294, 322, 387, 399, 430, 436, 437, 439, 453, 477, 497, 498.

Bulwer (Edward), III, 281.

Buononcini, III, 348.

Burgaud des Marets, III, 188.

Byron, 1, 11, 46, 189, 240, 317 ; II, 9, 30-31, 136, 167, 169, 163, 330 ; III, 122, 186, 193, 310, 524, 691 : IV, 170, 232.

Cabanes (docteur), I, 11 ; II, 2, 13, 15, 68-69, 118.

Cabarus, IV, 232, 265.

Cabet, I, 26 ; IV, 33, 71, 72, 91, 92, 93, 94. 98, 99, 106.

Cadol (Edouard), IV, 316, 316, 416, 402, 453, 460, 485, 530, 638, 624.

Caffariello (le sopraniste), III, 348.

Cagliostro, III, 361.

Caillaud (Marie), IV, 386, 387, 460, 464, 472, 473, 478, 492, 628.

Calamatta (Anne-Joséphine), née Raoul-Rochette, IV, 421,455, 466, 460.

Calamatta (Caroline-Marceline), Lina, plus tard Mme Maurice Sand.

Calamatta (Luigi), II, 163, 338, 398-399 ; III, 117, 122, 123, 166, 599 ; IV, £06, 207, 301, 366. 411, 412, 416, 421, 427, 499, 646.

Calas (Jean), III, 374.

Caldéron, III, 295.

Callirhoé, par Maurice Sand, IV, 464.

Calmette (Fernand), IV, 673.

Calvin, IV, 470.

Camus, fermier de Nohant, IV, 160,

Canning (Mme), I, 174-176, 176.

Canonge (Jules), III, 299.

Canova, III, 666.

Canrobert (maréchal), IV, 209, 211,

Canuet, av. lie, IV, 230.

Capinera (la), I, 171.

Capo de Feuillide, I, 12, 442-443 : II, 80, 121.

Caponi (Gino), III, 281.

Caribert, II, 280.

Cardozzo de Mello (Francisco), 1, 18,

Carissimi (Giacomo), III, 212.

Carlier (Pierre), IV, 176, 194, 204, 276.

Carlo-Alberto, III, 620 ; IV, 8.

Camat (le père), sonneur-fossoyeur de Nohant, IV, 529, 628.

Carné (M.), III 257.

Carnot (Hippolyte), IV, 2, 35, 42, 93.

Carnot (Mme), IV, 172.

Caro (Elme), I, 10, 11, 13, 14, 41, 43 ; III, 250, 251 ; IV, 263, 264.

Caron (M.), I. 72, 217, 235-237, 241, 243, 260, 279, 281, 282, 285, 288, 293,296,338, III, 296.

Carpentier (Mme Marie Pape), III, 292, 293, 294, 307.

Carraud (Mme Zulma), II, 448.

Carrel (Armand), IV, 335.

Carrier-Belleuse, IV, 645.

Carteret, IV, 86.

Caseau (Virginie), IV, 336.

Cassiodore, III, 102.

Cassandre, IV, 71.

Castagnary, IV, 513.

Castellane (maréchal de), IV, 112.

Catalani (la), III, 27.

Catherine II, I, 66 ; III, 112 ; IV, 165, 623.

Catherine de Médicis, III, 427.

Caussidière, IV, 86, 91, 92, 96, 120, 133.

Cauvières ou Cauvière (Le Dr), III, 93, 94, 96, 218, 244, 264, 266.

Cavaignac (Godefroy), I, 19 ; II, 434 ; III, 392.

Cavaignac (général) (Louis-Eugène), IV, 60, 144, 167, 172.

Cavet, secrétaire du ministre de l’Intérieur, IV, 184, 194, 216.

Cazamajou [« Cajou »], III, 110.

Cazamajou (Caroline, sœur d’Aurore Dupin), I, 88, 93, 97, 116, 120-122, 128-129, 235 ; II, 322 ; III, 107, 110-118, 616, 677 ; IV, 416, 490, 491. 631.

Cazamajou (Oscar), III, 118 ; IV, 217, 469. 474. 488, 490, 491, 533, 602, 608. 609, 612, 614, 617, 619, 622, 625, 627, 631.

Cazamajou (Mme Oscar) [Hermiuie], I, préface 2 ; IV, 490, 631.

Celliez (l’avocat Henri), III, 323.

Century (The), journal, III, 397.

Chabenat (Marc), docteur à La

Châtre, IV. 695-598, 608-609, 614, 616, 652.

Chaix d’Est-Ange, II, 322 ; III, 605, 607, 619, 620 ; IV, 17.

ChamboUes (M.), IV, 12.

Chamisso, I, 246.

Chansons des rues et des iois, de

Victor Hugo, IV, 449, 501.

Chant (Le) du Départ, de Méhul, IV, 75.

Charavay (Etienne), IV, 673, 678, 693.

Charavay (Eugène), II, 445, 693.

Charavay (Gabriel), IV, 693.

Charavay (Noël), IV, 425.

Charles Ier, I, 153.

Charles VII, III, 603.

Charles X, I, 125, 148 ; II, 247 ; III, 695.

Charles Edmond. V. Choïecki.

Charpentier (peintre), II, 457 ; IV, 645.

Charpentier (l’éditeur), III, 319, 369.

Charton (Edouard), IV, 36, 290, 318, 347, 349.

Chartres (duc de), II, 27,

Chateaubriand, I, 12, 185-187, 189 ; II, 217 ; III, 281 ; IV, 331.

Châtelain, républicain, IV, 230.

Chatiron (Hippolyte), I, 72-73, 86, 95, 102, 103, 110, 112, 128, 130-131, 136, 146, 181, 196, 216, 246, 251, 252, 271-272, 282, 286-287, 306, 311, 319, 333, 404 ; II, 63, 65, 178, 183, 267, 288, 292-293, 295, 303, 305, 323 ; III, 102-103, 144, 154, 161, 162, 166, 167-169, 170, 211, 212, 440-441, 444, 445, 476, 477, 478, 489, 490, 494, 545, 618, 626 ; IV, 121, 150, 332, 339, 350, 521, 522, 589.

Chatiron (Émilie), I, 282, 283, 303, 307-308, 404 ; II, 288 ; IV, 105, 522, 540.

Chatiron (Léontine), fille d’Hippolyte, I, 283, 332 ; III, 456, 489, 490, 491, 584, 619. V. plus bas à Simonnet (Mme Léontine).

Chauvet (Jean), chanteur et maçon, III, 685, 686 ; IV, 139.

Chauvet (Mme), III, 375, 376.

Chaworth (miss Mary), II, 30.

Chémer (André), I, 320, 436.

Chérémetef (la comtesse Anna), III, 120.

Chéri (Rose), IV, 170, 172.

Chevreuil (Mme), III, 278.

Chewtchenvko, I, 65.

Chézy (Mme de), III, 178.

Chilly, IV, 315.

Chodzko (Alexandre), III, 193, 194, 195, 197, 198.

Chodzko (Ignace), III, 193.

Chodzko (Léonard), III, 193.

Choïecki (Charles Edmond), III, 40 ; IV 249 267, 258, 304, 306, 308, 309, 310, 363, 365, 368, 379, 380, 382, 432. 433, 434, 522, 523, 634, 567, 628.

Choisnard (colonel Paul), IV, 649.

Chopin (Emilie), III, 26, 76.

Chopin (Isabelle) = Mme Barcinska, III, 26, 472, 623.

Chopin (Justine), III, 26, 471, 472, 473, 623.

Chopin (Louise) = Mme Jedrzeïewicz, III, 26, 472, 473, 474, 475, 480 486, 487. 489. 497, 498, 499. 505, 508, 511, 512, 539, 540, 650, 669, 576, 594, 623, 625, 629, 637,

Chopin (Nicolas), III, 26, 420, 470, 496.

Chopin (Frédéric), I, 12, 42-44, 47-48, 55-57, 62, 71-72, 113. 127, 293, 444, II, 6, 13, 60, 72, 87, 124, 143, 145 212, 216-217, 247, 323, 344-346, 348, 355, 369, 370, 375, 377, 387, 392, 458 ; III, avant-propos, p. II, III, 16, 23, 24-32, 34, 35, 36-43, 44-53, 54, 56, 57, 58, 61-68, 69, 71, 73, 75-80, 81, 82, 86-92, 93, 94, 96, 96-100, 101, 102-107, 108-113, 116, 117, 119-120, 121, 122, 123, 126, 127, 131, 133, 134, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 144, 145, 159, 163, 167, 169, 171, 172, 173, 174, 181, 184, 185, 187, 188, 189, 190, 198, 199, 200, 201, 204, 205-208, 211, 212, 219, 235, 244, 255, 262, 263, 264, 267, 270, 281, 325, 333, 334, 336-337, 374, 400, 404, 408, 418-443, 446, 447, 454-460, 465-468, 475-478. 480, 481-496, 496-501, 504, 506-508, 611. 612, 513-537, 539, 540-546, 548, 549 551-653, 556-561, 566, 668-576, 578-582, 584-599, 602, 604, 605 621, 622-628, 633, 640, 652, 654, 696 ; IV. 7, 11, 130, 264, 266, 333, 339, 350, 391, 473, 549.

Chopin (le poète Charles-Auguste), III, 314, 316, 316, 317, 384, 386.

Christian (Margrave de Bajaeuth), I, 80.

Chronique de Paris, II, 256.

Cid (le), IV, 248, 273.

Clairon (Mlle), W, 634.

Claretie (Jules), III, 19, 653 ; IV, 646,

Clarisse (Mlle), actrice, IV, 287.

Clary (vicomte), IV, 194, 197, 209, 220,

Claudine ou les Avantages de l’inconduite, par Giraudin et de Beauplan, IV, 277.

Claudius, v. Ajasson de Grandsagne.

Clavelot, IV, 230.

Clément d’Alexandrie, III, 102.

Clerh, acteur, IV, 269, 316, 463.

Clermont-Tonnerre (Mme de), II, 264.

Clésinger (Auguste-Jean-Baptiste), III, 556, 557-565, 567, 669, 570, 573, 574, 575, 577, 578-581, 583, 584, 590, 591, 593, 598, 599, 600, 602, 603, 606, 607, 608, 611, 614, 615, 617 ; IV, 7, 11, 17, 76, 170, 171, 231, 233, 631.

Clésinger (Jeanne) = Nini, IV, 171, 304, 308, 339, 340, 347, 348, 350, 533, 613, 614.

Clésinger (Solange). V. Dudevant (Solange).

Clétienne, éditeur, III, 188.

Clotilde (princesse), IV, 398, 454, 462, 464, 465, 517.

Clouard (Maurice), I, 51 ; II, 2, 13, 39, 73-77, 101, 111, 118, 122.

Cluveau, habitant de La Châtre, IV, 476.

Codemo (Mme Luigia), II, 68.

Coëssin, II, 181.

Colet (Mme Louise), I, 53, 54 ; II, 13, 60, 133 ; III, 129.

Collet, drapier à La Châtre, IV, 476.

Corner, III, 255 ; IV, 290, 351.

Collin, III, 605.

Colomb (Christophe), III, 413 ; IV, 522.

Combes, III, 592 ; IV, 20.

Commedia dell’arte, I, 176, 177.

Comédie (la) Française. IV, 48, 275, 277, 278, 295, 297, 298, 453, 477, 490, 523, 633.

Comédie infernale (la), de Krasinski, III, 190-195.

Comédie italienne (personnages de la), 71, 271, 279.

Comme il vous plaira, I, 202 ; IV, 295-298.

Comment faire, roman de Tchemichewski, II, 82.

Commune (la) de Paris, journal de Cahaigne et Sobrier, IV, 88, 99.

Condé (princesse de), I, 254.

Condillac, I, 188, 311.

Confédérés de Bar (les), III, 182-186, 190-191.

Confoulant (docteur), IV, 230.

Conneau (docteur), IV, 215.

Considérant (Victor), I, 402 ; IV, 101, 103.

Constantin (le grand-duc), III, 27.

Constitutionnel (le), II, 46 ; III, 404, 640, 641, 642, 643, 646, 651, 653, 655, 656, 686 ; IV, 14.

Constructeur (Solness le), II, 387.

Contades (comte de), IV, 170.

Contades (comtesse de), IV, 369.

Contemplations (les), IV, 451.

Contes de la mer Baltique, de E. Meyer, IV, 304.

Contrat social (le), III, 13, 240 ; IV, 440.

Cooper (Fenimore), III, 691.

Coq (le) aux cheveux d’or, par Maurice Sand, IV, 498.

Coquelin, IV, 634.

Coquerel (Athanase), pasteur, IV, 424, 457, 460, 469, 472.

Corbin, II, 319.

Cormenin (Louis de), IV, 90.

Corneille, I, 347

Corner (ambassadeur vénitien à Vienne), III, 340, 348.

Cornette, ébéniste à La Châtre, IV, 476.

Cornu (Mme Hortense), née Lacroix, IV, 163, 164, 240, 241, 242.

Cornu (Sébastien-Melchior), IV, 163.

Correspondance de Heine, III, 133,

Corsaire (le), IV, 44.

Cortez (Femand), III, 413.

Cotta (M. de), III, 366.

Courdonau, IV, 411.

Courrier (le) français, III, 488, 616, 640, 653 ; IV, 373, 376, 379.

Courvoisier (Mme Louise), II, 167.

Cousin (Victor), I, 442,

Couture (Thomas), peintre, II, 34 ; IV, 171, 346, 507, 558, 630.

Cozmian ou Kozmian (André), III, 37, 186.

Cramer (Jean-Baptiste), III, 421.

Cramer (Sophie), II, 266-267.

Crédit (le), IV, 45, 127.

Crémieux (Adolphe), II, 219, IV, 42.

Crepet (Eugène), IV, 294.

Crishni (sobriquet de Dessauer), III, 141, 142, 144.

Cristal (Maurice) = Maurice Germa, I, 144.

Crombach (MUe), I, 12 ; III, 293, 430.

Cromuell (de V. Hugo), III, 410.

Cruchon (« la mère »), III, 376.

Culmbach (la princesse de), III, 348.

Curie (docteur), II, 283.

Custine (marquis de), II, 348, 350, 372 ; III, 27.

Cuvillier-Fleury, I, 78.

Czartors’ska (la princesse Anna), III, 120, 199, 488, 568, 570, 571, 594 ; IV, 660.

Czartorvska (la princesse Marceline), III, 119, 622.

Czartoryska (le prince Adam), III, 120, 199, 200, 652.

Czartoryski (le prince Alexandre), III, 488, 622,

Czartoryski (le prince et la princesse), III, 501, 558.

Czemiszeff (la comtesse), III, 120.

Czerniszeff (iDle Elisabeth de), III, 120.

Czosnowska (comtesse Laure), III. 501, 638-541.

Daiguzon, II, 296.

Daiguzon, fils du précédent, IV, 235.

Damas-Hinard, IV, 239, 240, 369.

Danse Macabre de Liszt, II, 341.

Dantan (Antoine), 111,422, 423, 434, 435.

Danton, III, 426.

Dante, I. 188, 267 ; II, 187, 238, 338, 370 ; III, 203, 389.

Daphnis et Chloé, IV, 352,

Da Ponte, III, 563.

Darantière, éditeur, III, 165.

Darchy (docteur), IV, 470, 595, 598, 601, 603, 606-609.

Darmesteter, III, 686

Damand (M.), III, 253.

Darmn (Charles), IV, 361, 413, 630.

Daubigny, I, 1.

Daubrun (Marie), IV, 291, 292, 294, 295.

Daud, habitant de La Châtre, IV 476.

Daudet (Alphonse), IV, 535.

David, I, 317.

David (l’avocat), III, 323.

Davydow, I, 32.

Dayot (Armand), IV, 175.

Deburau, II, 46, 75.

Decerfz (docteur), I, 235, 284.

Decerfz (Laiure), I, 149, 306.

Decori (Félix), IV, 649.

Defressine (J.-B.), [ou Israël], IV 21.5, 230.

Degeorges (Frédéric), II, 184 ; III, 398 ; IV, 157, 158.

Delaborde (Sophie). Voir Dupin (Sophie-Antoinette-Victoire).

Delaborde (Marie Lucie). V. Maréchal (Marie Lucie).

Delacroix (Eugène), I, 43, 71, 447 ; II, 121, 208, 398, 441 ; III, 117, 118, 119, 123-126, 145, 173, 174, 204-208, 274, 280, 419, 428, 443, 469, 480, 488, 501, 609, 649 ; IV, 171, 284, 297, 318, 341, 461-463, 470, 549.

Delangle. IV, 238.

Delauche-Péjuge, IV, 185.

Delaunay, II, 445.

Delaveau (Charles), maire de La Châtre, II, 226 ; III, 376, 377, 378, 382, IV, 49, 112, 113, 150.

Delavigue (éditeur), III, 19.

Delaville, IV, 532.

De l’esclavage moderne, par Lamennais, II, 229.

De la religion, par Lamennais, II, 228, 230.

Delgaben (Charles), I, 80.

Delvair (Mme), IV, 640, 642.

Demai (M.), III, 666.

Démon (le), II, 140-141.

Dembowski (l’astronome ?), III, 79.

Denis (Ferdinand), III, 296.

Depardieu (Etienne, chanvreur), I, 137 ; III, 666, 672, 681.

Depuiset, naturaliste, IV, 372, 373, 377.

Dernier Sauvage (le), de Mallefille, II, 446

Desages (M.), III, 405, 406 ; IV, 218, 219.

Desages (Luc), III, 263, 328, 398, 405. 406, 407, 415 ; IV, 174, 193, 200, 203, 204, 216, 218, 219, 221.

Deschartres, I, 84, 86, 103, 114, 119, 130, 138, 139, 147, 180-182, 185, 190, 192-195, 198, 202, 204, 206, 209-211, 234-235, 250, 405 ; II, 148 ; IV, 332, 337.

Descosses, restaurateur à La Châtre, IV, 656, 657.

Desgrangos, I, 275-276, 287, 389.

Desmoulins (Auguste), [gendre de Pierre Leroux], III, 415.

Desmousseaux, républicain de Châteauroux, IV, 192.

Des Préaulx (Femand), III, 639, 545, 552, 556, 557, 566 ; IV, 6, 266,

Despruneaux, habitant de La Châtre, IV, 476.

Desroys (le cocher), III, 375, 376.

Dessauer (Joseph), I, 72 ; III, 119, 123, 135-161, 178 ; IV, 287, 316.

Deux Sœurs (les), pièce de l’Odéon, IV, 498.

Devieur (sieur) = Robelin, III, 322-323.

Diable (le), III, 491.

Diables (les) noirs, IV, 458.

Diane aux Bois, IV, 453.

Dickens (Charles), III, 353 ; IV, 298.

Diderot, II, 319 ; III, 5 ; IV, 354.

Didier (Charles) = [Herlert], II, 185, 255, 269, 324, 345, 351 ; III, 107, 128, 280 ; IV, 321, 322.

Didier (Mme Charles), III, 128, 280,

Didon (le Père), I, 13.

Dieulafoy (Mme), I, 318.

Dilloye (libraire), III, 312.

Doche (Mlle), actrice, IV, 498.

Dodecaton (le), II, 123.

Dohler (Herr), III, 592.

Doinet (Alexis), II, 13.

Donizetti, III, 686.

Don Juan, de Molière, III, 653, 564, 679.

Don Juan, opéra de Mozart, III, 140, 212.

Don Quichotte, IV, 254.

Doré (Gustave), IV, 453,

Dorval (ilarie), I, 72, 310, 393-396, 398, 401, 424 ; II, 12, 78, 116, 119, 461 ; III, 62, 103, 120, 161, 162, 164, 166, 280 ; IV, 239, 469, 634.

Dostoïevski, I, 14, 27, 31, 34, 36, 37, 307, 432 ; II, 162, 426 ; III, avant-propos, iv.

Doucet (Camille), 453, 464.

Drouginine, I, 29 ; II, 82.

Droit (le) au vol, de Nadar, IV, 469.

Du Camp (Maxime), I, 349 ; II, 13, 37, 63, 97, 116, 180.

Duchauffour, soldat, IV, 199.

Dudevant (Jean-François, baron), I, 217, 227, 228, 276-277 ; IV, 269, 485.

Dudevant (Augustine, baronne), née Souls, I, 227, 278 ; II, 51, 179, 305 ; IV, 400.

Dudevant (Casimir), I, 43, 62, 71-73, 108, 205, 217, 220-228, 230-233, 235-242, 244-247, 261-263, 257, 262, 270-271, 278-292, 304-308, 333, 338, 369, 386, 390, 406, 408 ; II, 46, 61, 67, 69, 84, 92, 94, 180, 250, 288-296, 313, 316-324, 350, 430, 432-433, 442 ; III, 36, 42, 116, 126, 130, 173, 448, 449 450, 453, 489, 490, 500, 561. 564, 566, 568, 572, 573. 575, 584, 588 619, 695 ; IV, 235. 259-260, 340 349, 376, 442, 472, 484.

Dudevant (Maurice), I, 72, 115, 177 235, 236, 241, 248-249, 252, 279, 282-283, 293, 305, 306. 332, 386, 428, 440 ; II, 48. 51, 65, 101, 152, 266, 281, 288-289, 292, 294, 297, 320-323, 329, 350, 352, 355. 364, 365, 371, 430-431, 440-441, 457 ; III, 16, 21, 23, 42, 53. 64, 60, 63, 67, 68, 69, 75. 78, 80, 87, 101, 102, 111, 112, 117, 118, 122. 125. 126, 144, 145, 167, 169, 171, 172, 173-174, 206, 219, 244, 245, 249, 262 263, 264, 267, 298, 325, 330, 382, 383, 384, 385, 386, 408-409, 419 420, 428, 434, 439, 443-448, 449, 450, 455, 457, 458, 467, 477, 478-480, 483-491. 493, 494-496. 500, 601, 504, 507-609, 512, 513, 515, 525, 528, 529, 533, 534, 539, 542, 554, 555, 558-563, 568, 569, 576. 578, 580. 581, 583, 584, 588 589, 591, 593, 598, 608, 607-609, 612-615. 620-622, 626, 636, 640 654. 665, 675, 686, 695 ; IV, 16-19, 26, 29, 34, 36-40, 49, 51, 52, 73, 74, 76, 87, 88, 92, 95, 97, 111, 113, 121, 132, 139, 140. 144 ; 150, 151, 186, 255, 258, 265, 266-269, 271-273, 284, 286, 289, 301. 303 307-309, 311, 315, 318, 326, 332, 337, 340, 341-347, 348, 349, 352, 356-360, 372, 373, 376, 377-381, 383-385, 390, 397, 398, 404, 406, 408, 410-418, 420. 421, 424, 427 430, 442, 451-457, 458, 459, 460-463, 467, 469, 470-473, 478, 485, 489, 490, 491-493, 495-498, 507, 515, 516, 518, 522, 523, 526-530, 532, 536-541, 543-545, 549, 564, 698, 699, 601, 602-604, 606, 609, 611, 613-615, 619, 621-625, 627, 629, 631, 632, 637.

Dudevant (Solange) = Mme Clésinger, I, 123, 283, 287-288, 296, 299, 306, 311, 332, 385 ; II, 34, 51, 266, 281, 290-295, 297, 320-324, 329, 352, 355, 364, 430, 432-433, 440-441, 450, 457 ; III, 60, 63, 67, 69, 78, 80, 101, 102, 104, 107, 111 117, 118, 119, 145, 167. 169, 172, 173, 174, 1<5, 209, 232-233, 262 264, 298, 325, 397, 419. 420, 430, 434, 437, 448-461, 465, 475, 478, 479, 482, 484, 488, 490, 491, 495, 496, 500-502, 504, 506-510, 512, 528, 529, 537, 538, 539, 542, 544-546, 556, 557, 559-603, 608-609, 619, 621, 625, 626, 632, 633, 654, 658, 696 ; IV, 6,7,10,11,17,76, 150, 170, 171, 190, 231, 233, 255, 266, 273, 280, 281, 313, 337, 340, 346, 348, 356, 360, 382, 383, 421-423, 485, 517, 632, 540-543, 603, 609, 611-623, 625, 627, 631, 632.

Dufaï (Alexandre), II, 13.

Dufraisse (Abel), IV, 222.

Dufraisse (Mare), III, 328, 398, 600, 601 ; IV, 49, 174, 193, 195, 196, 197, 199, 203, 207, 222-229, 231, 237.

Dumas (Alexandre) père, I, 71, 72 322, 395, 399 ; II, 37, 117, 453 III, 627, 628, 629, 630, 632, 641, 646 ; IV, 297. 618.

Dumas fils (Alexandre), III, 460, 604, 627-633 ; IV, 255, 300, 315, 341, 346, 391, 394, 401, 404-409, 430, 439, 442, 454, 455, 467, 479, 485, 488. 491, 497, 498, 504, 515, 517, 518, 522, 523, 530, 540, 602, 618, 623, 624-626, 629, 647.

Dumesnil (Alfred), III, 192.

Dunant, IV, 454.

Dupanloup (Mgr), IV, 334.

Dupin (Amandine-lucie-Aurore) = George Sand = Mme Dudevant.

Dupin de Francueil, I, 83, 90, 117-118, 195.

Dupin de Francueil (Marie-Aurore de Saxe, en premier mariage comtesse de Horn), I, 80-83, 84-89, 90, 102, 103, 107, 109, 112, 114, 118, 119, 125-128, 146, 148, 152-153, 181-183, 185, 195, 198-200, 205-206, 236, 326, 379 ; III, 334, 448, 531 ; IV, 263, 328, 329, 336, 393, 400, 613, 614, 628, 659.

Dupin (Maurice-François), I, 76, 80, 84-88, 90, 93, 99, 103, 110, 114, 174, 216, 227 ; II, 290 ; III, 489 ; IV, 18.

Dupin (Sophie-Antoinette-Victoire) [femme du précédent et mère de George Sand]. V. Delaborde (Sophie-Antoinette-Victoire), I, 72, 76, 85, 93, 96, 99, 102, 103, 105-108, 112, 114-124. 126 et suiv., 177. 179, 188, 205-207, 211, 213, 215-216. 218, 224-228, 277, 279, 334, 338 ; II, 51, 156, 305, 429-430 ; III, 162, 448, 450, 489, 504, 505 ; IV, 308, 324, 325, 328, 329, 628.

Duplan, II, 436-437.

Duplessis (James Roetiers du Plessis ou), I, 216, 219-220, 240, 242, 243, 247 277, 369 ; III, 57 ; IV, 325.

Duplessis (ilme Angèle), I, 216, 219-221, 279 ; III, 57.

Duplomb (Adolphe), surnommé Hydrogène, IV, 121, 336.

Duplomb (Charles), IV, 121.

Dupont (général), I, 85.

Dupont (Pierre), chansonnier, IV, 48, 76, 648.

Dupont-White, III, 17.

Dupuy, éditeur, II, 62-63, 66 ; III, 65 ; IV, 49.

Duquesnel (Félix), IV, 432-434, 452, 517-520, 628.

Durand (poète-menuisier), III, 293, 312, 313, 317.

Durante, III, 212.

Duris-Dufresne, I, 280, 284, 320, 324-326 ; II, 178.

Durmont, III, 640.

Du Roure (Scipion), II, 263, 264, 346, 353.

Duse (Éléonore), I, 395.

Dutheil (Adolphe), III, 555 ; IV, 325.

Dutheil ou Duteil (Alexis Pouradier), I, 72, 281, 284, 286, 306 ; II, 101, 183, 267, 293-295, 303-304, 309, 313, 315, 353, 428. 436 ; III, 87, 163, 167, 262, 381, 383, 384, 555 ; IV, 265.

Dutheil (Mme Agasta), II, 267, 294, 297-298, 300.

Dutheil (Edouard), III, 555.

Duvernet (Mlle Berthe), IV, 265.

Duvernet (Charles), I, 12, 149, 174, 176, 284. 311. 312-314, 319, 325, 327, 330-332, 334. 405, 419 ; II, 94, 447 ; III, 13, 102, 163, 239, 267, 270, 271, 288, 379-380, 381, 383, 384, 385, 386, 419. 501, 555, 584, 593, 600-602, 605, 606, 618, 619, 639, 685 ; IV, 17, 33, 34, 36, 88, 139, 140, 143, 176-178, 183, 195, 197, 258, 265, 269, 273, 308, 348, 403, 410, 411, 471, 474, 477, 521, 522, 621.

Duvernet (Mme Eugénie), I, 325, 327, 328 ; III, 501, 584, 592, 593, 600, 601 605, 685 ; IV, 17, 20, 87, 88, 197, 265, 269, 273, 298, 602.

Dziady (les) de Mickiewicz, III, 81, 186, 187, 188, 203.

E

Eckstein (baron d’), II, 346.

Éclaireur de l’Indre (l’), III, 241, 294, 381-394, 396, 397, 398, 408, 652, 695 ; IV, 2, 157, 185.

Éducation sentimentale, de Flaubert, IV, 243, 507.

Egger (agent de la Société des gens de lettres), III, 316.

El Condenado par disanifiado, IV, 299.

El Contrabandista, rondo de Liszt, II, 339-341.

Elena e Malvina, opéra de Soliva, IV, 550.

Élisabeth (sainte) de Hongrie, IV, 261.

Élisabeth Pétrowna, impératrice de Russie, I, 81.

El-Mallorquin, paquebot majorquin, III, 69-60, 92, 93.

Elsner (Joseph), III, 27.

Émile, 1, 108, 136.

Encyclopédie (V) [de Leroux et Reynaud], III, 102, 223.

Engelhardt (Mme), née Valentine Fleury, IV, 532.

Engelson (M.), III, 6.

Engelson (Mme Alexandra), femme du précédent, III, 6,

Enault (Louis), II, 349 ; III, 468.

Enfantin (le Père), II, 226, 279.

Entr’actes, de Dumas fils, IV, 498.

Epinay (Mme d’), I, 198.

Époque (V), III, 488, 659, 662.

Erdau (Alexandre), IV, 216.

Eschyle, IV, 78, 451.

Esquisse d’une philosophie, II, 230-236, 258.

Essai sur l’indifférence, de Lamennais, II, 228.

Essai sur la tolérance, de Schseffer, IV, 425.

Estafette (V), IV, 233, 234.

Esterhazy (prince), II, 214.

Etève, IV, 40.

Eugénie (impératrice), née comtesse de Montijo, IV, 238, 241-244, 248, 258, 369, 418 (« Euphémie »), 436, 464, 467, 468, 506, 535.

Euripide, IV, 78.

Événement (l’) IV, 145, 269, 487.

Everard, II, 135 ; III, 660. Voir Michel de Bourges.

Extinction du paupérisme (Sur V), I, 20 ; IV, 254.

F

Fabas, III, 243, 260.

Faguet (Emile), I, 41, 42.

Falempin (homme d’affaires de G. S.), III, 267, 404, 485, 690, 631, 632, 640 ; IV, 290.

Fallier, II, 85.

Fanchette (l’orpheline), III, 374-383, 467.

Faujoux, IV, 177.

Faure (Emile), IV, 613.

Faust, III, 186 ; IV, 126, 137.

Faute (la) de Vallé Mouret, I, 428.

Favre (docteur), IV, 595, 597, 698, 601, 606, 607-610, 612, 619, 622-627, 629.

Favre (Jules), IV, 42-45, 80, 86, 94, 115, 117, 335, 519, 562.

Fémina, IV, 646.

Femmes (les) à l’Académie, par S., IV, 437.

Fénelon, III, 320, IV, 630.

Fenoux, IV, 646.

Fenoyl (comte de), I, 294.

Femand (Mlle), artiste dramatique, IV, 170.

Ferri-Pisani (général), IV, 465, 617.

Ferrières (Mme de), I, 122.

Feuillet (Octave), 1, 1 ; IV, 430, 439, 440.

Fidao (M.), III, 17.

Fieltsch, III, 119.

Figaro (le), 1, 319, 325, 330, 331, 336, 341 ; II, 230 ; IV, 43, 141, 296, 323, 532, 622, 626, 629.

Filon (Augustin), I, 399-400.

Fils (le) naturel, d’Al. Dumas fils, IV, 479.

Flaubert (Gustave), I, 71 ; II, 60 ; IV, 240-243, 278, 279, 300, 302, 413, 418, 427, 429, 432, 434, 451, 465, 500, 601, 603-509, 615, 617, 622, 623, 525, 530, 639, 540, 544, 545, 651, 652, 553-566, 557-663, 593, 618, 624, 626, 629.

Flaubert (Mme), IV, 500, 507.

Flaugergues (Mlle Pauline), I, 439.

Flavigny (Mme de), III, 282.

Flavigny (M. de), III, 283.

Flayner (la famiUe), III, 218.

Fleury (Alphonse) = [le Gaubis], I, 284, 312-316, 319, 327, 405 ; II, 94, 210, 315 ; III, 102, 163, 380, 381, 383, 384, 603, 639 ; IV, 39, 40, 41, 44, 49, 140, 174, 183, 185, 186, 189, 191, 195, 197, 215, 621, 536.

Fleury (Laure) née Decerfz, II, 267 ; IV, 221, 454, 522, 550.

Fleury (Nancy), IV, 427, 454, 474.

Fleury (Valentine). V. Mme Engelhardt.

Flocon (Ferdinand), III, 392 ; IV, 2, 42, 91, 92, 133.

Flotow (von), II, 349,

Foë (Daniel de), II, 409.

Fontana (Jules), III, 54, 58, 61, 62, 73, 77, 79, 89, 108, 109, 119, 171, 181, 434-437, 438, 522, 622-624.

Forçats (les) pour la foi, par Athanase Coquerel, IV, 472.

Fortoul, IV, 194.

Foucher (Paul), II, 28-29 ; IV, 274.

Fourier, I, 26 ; III, 115, 241,

Fournier (docteur), I, 141.

Foumier (Marc), IV, 274.

Foy (général), I, 254,

Français, I, 1.

France (Anatole), I, 141.

Franchomme (le violoncelliste), II, 349 ; III, 119, 488, 492, 558, 624.

François (Ferdinand), III, 197, 369, 883, 384, 401, 402, 403, 406 ;’tV, 216.

Franicfurter Zdtung (Gazette de Francfort), III, 135, 136.

Franklin (Benjamin), I, 159, 412 ; II, 174 ; III, 7.

Frankl (Auguste), III, 146, 147.

Fraokl-Hochwart (docteur Bruno), III, 147, 152, 154, 156, 166-167.

Franzos (Charles-Émile), III, 157,

Frédéric-Adolphe, roi de Suède, IV, 305.

Frédéric-Guillaume (le grand Électeur), I, 80.

Frédéric-Guillaume II, I, 80.

Frédéric-Guillaume III, I, 80.

Frédéric-Guillaume IV, IV, 138.

Frédéric Ier (roi de Prusse), I, 80.

Frédéric II, III, 132, 346, 350, 351, 362 ; IV, 304.

Frédéric, habitant de La Châtre, IV, 476.

Frédérique-Sophie, princesse de Prusse, IV, 304.

Freizière (M.), [gendre de Pierre Leroux], III, 414.

Frémann, acteur, IV, 455.

Fromenteau (C), républicain d’Issoudun, IV, 215, 230.

Fromentin (Eugène), 416, 453.

Fromentin (Mme), IV, 469.

Fruits (les) de la science, pax Tolstoï, IV, 648.

Fumée (la), par Tourguéniew, IV, 547.

G

Gaëtana, par About, IV, 465.

Gaillard, I, 261,

Gaîté (théâtre de la), IV, 168, 275, 292, 458.

Galitzine (les princes), I, 196.

Galitzine (princesse), III, 562, 665.

Gall, II, 250 ; III, 210,

Galle (Julien), II, 280 ; IV, 485,

Gambetta, IV, 523,

Garcia (Manuel), II, 339, 343,

Garcia (Mme), femme du précédent, mère de Mmes Malibranet Viardot, III, 213-214, 491,

Garcia (Maria) = la Malibrani

Garcia (Pauline), v, Mme Viardot (Pauline)

GarczynsM, III, 195, 197.

Garibaldi (Guiseppe), III, 222 : IV, 369,

Garibaldi-Locatelli, II, 68, 74, 78, 86, 88, 92.

Garnier-Pagès (Étienne-Joseph-Louis), III, 394 ; IV, 42, 93,

Garrik, IV, 326,

Gaubert (le D’), III, 95,

Gaubert (le D^ [jeune], III, 163.

Gautier (Judith), IV, 648.

Gautier (Théophile), I, 1 ; II, 15 ; IV, 454, 524.

Gavarni, I, 1.

Gay (Delphine) [v. Mme de Girardin).

Gay (Mary), III, 281.

Gay (Sophie), III, 281.

Gayard, I, 131.

Gaymard, III, 300.

Gazette de Saint-Péiershourg (la), III, 211.

Gazette Oderoise, IV, 136.

Gazette Rhénane {Nouvelle), IV. 133, 134, 135, 136.

Gazonneau (la dame), III, 375, 376.

Général (le) Dourakine, de Mme de Ségur, IV, 647.

Geneviève (sainte), III, 592.

Génie du Christianisme (le), I, 184, 187.

Genlis (Mme de), I, 105, 175.

Geoffroy, acteur, III, 592 ; IV, 171.

Georges (Mlle), IV, 634.

Georges-Guillaume (électeur de Brandebourg), I, 80.

Geraldi, chanteur, IV, 333.

Gerbet (abbé), II, 226.

Germaine (la), par Ed. Cadol, IV, 416.

Gerson, I, 186-187, 428.

Gessier, IV, 030.

Gévaudan (Gustave de), II, 267, 325, 355, 364, 367.

Gilland (Jérôme-Pierre), I, 72 ; III, 102, 293, 297, 298, 309, 314, 316, 319-331 ; IV, 35, 49, 88, 89, 103.

Gilland (Félicie). F. Magu (Félicie).

Girardin (Emile de), I, 78 ; II, 372 ; III, 283 ; IV, 10, 243, 255, 290, 498, 618.

Girardin (Mme Delphine de), I, 326 ; II, 372 ; III, 128, 129, 280, 281, 612 ; IV, 437.

Giraud, dessinateur, III, 503,

Girault (docteur), IV, 230.

Girerd (Frédéric), II, 184, 186, 265, 267, 431, 434-437 ; III, 110, 323 ; IV, 21, 26, 27, 51, 58, 60, 80, 116, 118, 124.

Girerd (Cyprien), fils du précédent, II, 435.

Giroux, I, 294.

Glazounow (Alexandre), III, 36.

Glinka (Michel), I, 63.

Globe (le), II, 179.

Gluck (Christophe Willibald), III, 212, 216.

Glümmer (Mme Charlotte), III, 146.

Gobert (prix), IV, 435.

Godefroy, IIL 686.

Godoy, prince de la Paix, I, 101.

Goethe, I, 46, 65, 134. 403, 429 ; II, 9-10, 22, 163, 452 ; III, 178, 186, 187, 631.

Gœthe et Bettina, par Sébastien Albin, IV, 163.

Goetz de Berlichingen, II, 141 ; III, 186, 187.

Gogault, I, 130.

Gogol, I, 27, 352 ; IV, 547,

Golovine (ambassadeur russe à Berlin), III, 351.

Golovine, révolutionnaire, IV, 133.

Gomez (senor), III, 60, 69.

Goncourt (Edmond et Jules de), I, 71, 349 ; IV, 346, 539.

Goniec polski, journal polonais, IV, 276.

Gorld (Maxime), III, 389, 684.

Gossot (Emile), III, 307.

Gouin, IV, 44, 411.

Gounod (Charles), IV, 274.

Gozlan (Léon), I, 1.

Grammont (MUe de). IV, 393.

Grandeffe (M. de), III, 564.

Grandsaigne (v. Ajasson de Grandsaigne).

Grenier (Edouard), I, 51, 389, 410 ; II, 15, 16, 93, 97, 116 ; III, 121-122, 466 ; IV, 391.

Greppo, IV, 174, 193, 196, 197, 199, 203.

Gresset, I, 311.

Grévy (Jules), II, 110.

Griboïedow (Alexandre), I, 271.

Grigorowitch (Dmitri Wassiliéwitch) I, 27 ; III, 335, 636.

Grimm, IV, 523.

GroiselUez (Mme de), II, 28, 30, 33.

Gros (Antoine-Jean), III, 320.

Grün (Anastasius) = [le comte Alexandre d’Auersperg, dit].

Grzymala (Albert), I, 72 ; II, 346, 355, 387, 392 ; III, 43-53, 58, 62, 79, 93, 103, 108, 116, 117, 119, 181, 184, 185-186, 188, 191, 198, 199, 488, 493. 507, 518, 549, 550, 558, 569, 570, 571, 594, 622 ; IV, 618.

Grzymala (François), II, 387 ; III, 181, 188.

Guerazzi, II, 89.

Guerre (la) et la Paix, par Tolstoï], I, 174 ; IV, 393.

Guiccioli (la comtesse de), III, 122.

Guérin (Georges-Maurice de), IL 400.

Guéroult (Adolohe), I, 72 ; II, 122, 179, 180, 183, 243, 278, 280, 283, 298.

Guibert (la famille de), I, 195.

Guilbert (Anaxagore), III, 619.

Guillaume Ier, I, 80.

Guillaume Tell, IV, 630.

Guillemat, habitant de La Châtre, 474, 476, 477.

Guillemin, soldat, IV, 199.

Guillon (ou Guillot), III, 241-242, 386, 402.

Guizot, 1, 26 ; III, 179 ; IV, 9, 19, 20.

Gurowski (M.), III, 116.

Gustave III, IV, 306.

Gutmann (Adolphe), II, 349 ; III, 89, 117, 119 ; 593, 594, 625.

Gutzkow (Karl), I, 349, 441 ; III, 113-115, 174-180, 420.

Guy, pasteur à Bourges, IV, 424, 457, 469, 472.

Gymnase (théâtre du), IV, 168, 170, 171, 275, 284, 297, 523.

Gyp (comtesse de Martel, née Mirabeau = en littérature), I, 321 ; IV, 389.

H

Haas (Ferdinand), IV, 540. Hachette (l’éditeur), III, 307.

Haendel (Georges Frédéric), III, 212, IV, 288.

Hahii-Halm (comtesse), I, 441.

Halévy, III, 160.

Halpérine-Kaminsky (Élie), III, 40.

Hanslick (Édouard), III, 35.

Hamlet, III, 534 ; IV, 75.

Hanska (Mme Eve) [l’Étrangère], II, 131, 370, 447, 452 ; III, 116-117, 283, 426, 427.

Harmand, directeur des théâtres, IV, 461, 464, 467, 470.

Harrisse (Henry), I, préface 2 ; III, 575 ; IV, 3, 512, 522, 596, 597, 604, 606, 610-613, 616, 620, 623-629, 630.

Hasse, III, 335.

Hatin (Eugène), IV, 98.

Hatzfeld, III, 686.

Hausmann (baron), II, 432.

Haussonville (vicomte d’), I, 14, 43 262-296 ; II, 161, 378 ; III, 672, 673.

Hautpoul (le général), IV, 216.

Havin, directeur du Siècle, IV, 363, 364.

Haydn (Joseph), II, 214 ; IIL 212, 334, 335, 346-350.

Hays (miss), IV, 6, 15.

Hédouin = Yorick, II, 95, 104.

Hegel, I, 24, 25 ; II, 332 ; III, 222.

Heine (Henri), I, 4, 11, 46, 71, 246, 349, 427 ; II, 34, 132, 142, 188. 211, 213, 315-346, 350, 441 ; III, avant-propos, i, 28, 104, 119, 123, 130-158, 163-164, 165, 178, 280, 283, 284, 285 ; IV, 107, 153, 264, 452, 519.

Heine (Gustave), III, 135, 148, 149-152, 153, 156, 167.

Heine (Maximilien), III, 134.

Héloïse et Abclard, IV, 351, 355.

Hennicke, accordeur de Chopin, III, 623.

Hennequin, II, 267.

Henri-Auguste (prince de Prusse), 1,80.

Henri V, IV, 210.

Henri (prince de Prusse), III, 351.

Henselt (Adolphe), III, 421.

Herbert [voir Didier].

Herbet, III, 624.

Hermann et Dorothée, IV, 583.

Hernani, I, 100.

Héroïde funèbre de Liszt, II, 222, 388-390, 393.

Herreau (Mme), III, 751.

Herwegh (Georg), III, 178 ; IV, 132, 133, 135, 141-143.

Herzen (Alexandre), I, 30, II, 44, 82 ; III, avant-propos, i, 6 ; IV, 15, 129, 130, 133, 135, 140, 141-144, 397, 532.

Herzen (Mme Nathalie), IV, 141.

Herzen (Nicolas), III, 6.

Hetzel (Jules) [P. J. Stahl], I, 1, 3, 4 ; II, 48, 445 ; III, 369-370, 596 ; IV, 171, 174, 201, 202, 203-205. 274, 287, 314, 532, 628.

Heylli (Georges d’). V. Poinsot (Edmond)

Hiller (Ferdinand), III, 28.

Histoire d’Italie, IV, 173.

Histoire d’un crime, IV, 155.

Histoire de dix ans, IL 176 ; III, 394, 510, 695.

Histoire d’un cheval de Tolstoï, I, 61.

Histoire de Jules César, I, 20 ; IV, 254.

Histoire de la Révolution, par Louis Blanc, III, 394, 610.

Histoire de la Révolution de 1848, par Daniel Stem, II, 241 ; IV, 2, 31, 42, 81, 85, 86, 93, 98.

Hoche, IV, 508.

Hoditz (le comte), III, 346, 348, 349, 350,

Hoesick (Ferdinand), III, 28, 32, 40, 41, 54, 62, 171, 186, 336, 434-435, 520, 523, 622.

Hoffmann (A.-Th.), II, 150, 355, 358, 360, 391 ; III, 178 ; IV, 139, 287-290, 315, 316.

Hoffmann et Kampe, III, 138^

Holbein, III, 663 ; IV, 638.

Holzbauer (le compositeur), III, 347, 348.

Homme (un) d’affaires, de Balzac, IV, 480.

Horace, le poète, IV, 449, 501.

Horace (les), IV, 75.

Horn (comte de), I, 81-82 ; IV, 336.

Hortense de Cerny, IV ; 171.

Hostein (Jules-Jean-Baptiste-Hippolyte), IV, 293.

Hôtel de Beauvau, III, 94.

Houdon, IV, 412.

Houssaye (Arsène), I, 1, 309-310, 337 ; III, 288, 565.

Hubert (saint), IV, 225.

Hue (Stanislas), I, 216, 221.

Hugo (Victor), I, 71, 100, 313, 320, 322, 332, 375 ; II, 140, 162. 365 ; III, 138, 283, 414 ; IV, 241, 263, 264, 446-461, 501, 603, 549, 552, 602, 629, 647.

Humboldt (Alexandre de), III, 365.

Huss (Jean), II, 221, 227 ; III, 364.

Huteau (comtesse Fanny d’), née de La Marlière, IV, 336.

I


Ibicus (les grues d’), 376.

Ibsen, I, 443 ; II, 387.

Icarie (l’), par Cabet, IV, 71.

Idées (les) Napoléoniennes, IV, 166, 254.

Iliade (l’), I, 133.

Illustration (l’), III, 476, 666 ; IV, 343, 345.

Impromptu (l’) de Versailles, IV, 77,

Impromptu en la bémol de Chopin, II, 387.

Indépendance (l’) belge, IV, 233, 234, 317.

Ingres, II, 207 ; III, 205, 283.

Invitation à la valse (V) [de Weber], III, 423-424, 440.

J

Jaccoud (docteur), IV, 606, 608.

Jacqueminot, II, 303.

Jamet, républicain d’Issoudun, IV, 215, 230.

Jaoin (Clément), III, 165.

Janin (Jules), II, 258, 263, 340, 353, 397, 399, IV, 291, 317, 489.

Januszkiewicz, III, 200.

Janzé (vicomtesse de), I, 46, 47 ; II, 13, 19, 77.

Jasmin (poète), III, 293.

Jaubert (Mme Caroline), I, 52, 73 ; II, 108.

Jaubert (comte), III, 686, 687.

Jean (saint), I, 168-169 ; III, 203, 228, 229, 243 ; IV, 148 ; 556, 557,

Jean Chrysostome, III, 243,

Jean de Parme, III, 228.

Jean, domestique de Chopin, III, 493, 508, 541.

Jean-Georges (électeur de Brandebourg), I, 80.

Jean-Georges III (électeur de Saxe), 1,80.

Jean-Sigismond (électeur de Brandebourg), I, 80.

Jeanne d’Arc, III, 203, 476, 635, 644, 645, 662 ; IV, 261.

Jedrzeiewiz (Joseph Kalasante), III, 473, 474, 486, 487, 608, 540.

Jedrzeiewiz (Mme). V. Chopin (Louise).

Jérôme de Prague, III, 364,

Jérusalem délivrée (la), I, 133.

Jewsbury (miss), IV, 6.

Joachim de Flore, III, 228.

Joachim-Frédéric (électeur de Brandebourg), I, 80,

Jocelyn, II, 255, 258.

Johannot (Tony), I, 428 ; II, 48 ; III, 249.

Joly (Anténor), III, 488, 640, 653. Jomelli ou Jommelli (Nicolas), III, 212.

Josquin de Pré, III, 212.

Josse (Ursule), I, 104, 140 ; 11,329 ; III, 209.

Joukovsky (W. A.), II, 452.

Journal de la Cour, IV, 233, 235, 236.

Journal des Débats, II, 179, 397, 399 ; III, 398, 637, 670 ; IV, 16-21.

Journal des Goncourt, IV, 259, 524, 539.

Journal du Cher, IV, 233,

Journal du Loiret (supplément du), IV, 14, 30.

Judicis, auteur dramatique, IV, 458.

Juif (le) errant, par Édouard Grenier, IV, 391,

Juif (le) errant, par Eugène Sue, III, 641, 646, 647-649.

Jules César de Shakespeare, II, 141,

Julot (Pierre), sabotier à La Châtre, IV, 476.

K

Kalergis (Mme), I, 53,

Kampe (Jules), III, 138, 150, 157,

Kant (Emmanuel), III, 222.

Karasûwski (Maurice), II, 349 ; III, 27, 28, 54, 62, 78, 171, 471, 594, 622.

Karlowicz (Meczislas), III, 26, 28, 419. 472, 474, 480, 497, 498, 499, 505, 522, 581, 584, 621, 625.

Karpeles (Gustave), III, avant-propos, II, 133, 137,

Karr (Alphonse), I, 1.

Kaunitz (le comte), III, 348,

Keepseake (le), IV, 375.

Kempis [A] (Thomas), I, 13.

Kératry (comte de), I, 309, 324.

Kératry (comte Em. de), [fils du précédent], I, 325.

Kertbeny, II, 13, 107.

Kinkel, IV, 142.

Kirpitchnikow (le professr A.-I.), I, 188.

Kisselew (comte), IV, 130.

Kierkegaard (Sören), I, 59, 60, 63,

Knigge (l’Illuminé), III, 357.

Koch (le Dr), III, 69.

Kœnigsmark (Aurore, comtesse de), I, 80-81, IV, 303.

Kollar (Jan), III, 195.

Kologrivoff (Mlle Véra de), III, 119.

Komar (Mme la comtesse de), III 120.

Koni (Anatole Th.), III, 459.

Kosciuszko (Thadée), III, 181.

Kossuth, IV, 145,

Kotzébue, I, 341.

Kourroglou, III, 268.

Krasinski (Sigismond), III, 181, 190, 191, 195, 197.

Kreyssig, I, 43.

Krzyzanowska (Justine), V. Chopin (Justine).

Kuryer Warszawski, III, 594, 625.

L

Labruyère, I, 188.

La Chapelle, éditeur, III, 640, 648.

Lacordaire (le Père), II, 226,

Lacouture (Mme), II, 122.

Lacoux (de), I, 181.

Lacroix (Albert), I, préface, 2 ; III, avant-propos, i ; IV, 498.

Lacroix (Clarisse), I, 242.

Ladmirault (général), IV, 432, 434.

Ladvocat (l’éditeur), III, 413 ; IV, 330.

Laffore (de Bourousse de), IV, 532, 534.

La Fontaine (Jean de), III. 311, 317 ; IV, 335.

Lafontaine, artiste dramatique, IV, 284, 433.

Laforêt, IV. 78.

La Forge (Anatole de), IV, 363, 364, 365, 369, 370.

Lagrange (comtesse de), II, 109.

Lahautière (M.), III, 386.

Laisné (Alfred), III, 384.

Laisnel de la Salle, III, 665.

Lalauze, III, 451.

La-Mara (Mme). I, 11 ; II. 211, 242, 349, 373, 375.

La Marlière (Mme de), I, 122.

Lamartine (Alphonse de), I. 317 ; II, 219, 255, 258, 347 ; III, 13, 240. 267, 268, 295, 310, 369, 385, 386, 413 ; IV, 20, 42, 72, 74, 93, 108, 336.

Lamber (Juliette). V. Adam (Mme).

Lambert (Alexandre), III, 328, 386, 398 : IV, 49, 88, 174, 192, 195, 196, 209, 215, 221, 230, 235, 236.

Lambert (Eugène-Louis), III, 419, 478, 501, 509, 512, 546, 589, 590, 592, 681 ; IV, 46, 88, 89, 98, 140, 150, 186, 231, 232, 266, 267, 268, 273, 287, 340, 358, 360, 485, 504, 522, 538, 540, 624.

Lambert (Marie) [femme d’Al. Lambert], IV, 221.

Lambert (Marie), actrice, IV, 269, 405.

Lamberto, II, 88.

Lamennais (Félicité de), I, 41, 43, 71, 166, 168, 169, 417, 434 ; II, 161, 175, 181, 186-187, 212, 210, 219, 225, 227, 228. 230-231, 232-234, 235, 236-240, 243, 250, 309, 345, 346, 350, 370, 394-395, 397, 399. 401, 405. 417, 451, 455 ; III, 2, 7. 14, 31, 81, 95, 104, 120. 123, 129. 137, 219-222,234, 235, 236-237, 2-38, 242, 257, 268, 306, 333, 337, 368, 369 ; IV, 362.

La Messine (Alice), dite Topaze, devenue Mme Paul Segond, IV, 419, 526, 527, 528, 536, 537, 544.

La Messine (M.), IV, 523.

Lamoricière (général), IV, 172.

Lancosme Brèves (le comte Savary de), III, 501, 503.

Landrin, IV, 86.

Landolphe, III, 237.

Langhaus (docteur W.), I, 54.

Lapaire (Hugues), IV, 524, 652, 655, 659.

Laperrine (L.), IV, 280.

Lapointe (Savinien), III, 268, 292, 295, 297, 317.

Laprade (Victor de), III, 262, 263, 501, 502-504, 538, 539 ; IV, 621.

Laprade (Mlle de), III, 604.

Lardin de Musset (Mme Herminie), I, 50 ; II, 212.

La Rivière (docteur de), I, 81, 82.

Lajoche (Hermann), III, 35.

La Roche-Aymon (la famille de), I, 195.

La Rochefoucauld (François de), IV, 547.

La Rochefoucauld (Sosthènes de), II, 57, 188, 254 ; III, 137.

La Rcchejaqaelein (Laurence de), IV, 510, 511.

La Rochejacquelein (Louise de), IV, 395, 510, 511.

La Rochejacquelein (marquise de), IV, 510, 511.

La Rochejacquelein (M. de), IV, 511.

La Rounat, IV, 453, 460, 462, 468, 470, 491.

Lasnier, II, 186.

Lassalle (graveur), II, 34.

Lasso (Orlando), III, 212.

Latouche (Alexandre-Hyacinthe Thabaud, dit Henri de), I, 72, 194, 309, 319, 320, 324-329, 330, 333, 339-341, 384, 393, 435-439, 440, 447 ; II, 13, 17, 165 ; III, 102, 268, 280, 281, 369, 386, 404, 452, 454, 492, 601, 537, 538, 639, 640, 641, 642, 650, 651, 652-655, 660, 663, 668, 670 ; IV, 521, 581.

Latour, I, 349.

La Tour d’Auvergne-Lauraguais (de), archevêque de Bourges, IV, 623, 627.

La Treyche (abbé de), I, 441-442.

Latte (Bernard), IV, 243.

Laube (Henri), II, 213 ; III, 129, 132, 133, 134, 137, 138, 153, 420.

Laur (Francis), IV, 304, 356, 403, 404, 423, 491, 497, 522, 533.

Laurent (Marie), IV, 289, 295, 415.

Lauth (Mme Aurore) [V. Sand (Aurore)], I, préface, 3, 349 ; III, avant-propos, I.

Lauzun, II, 33, 43.

Lavallée, I, 1.

Lavater, II. 250 ; III, 210 ; IV, 321, 322.

Laville-au-Roy, IV, 215.

La Villemarqué (M. de), III, 665.

Law (John), IV, 263.

Lebarbier de Tinan (Mme), IV, 522.

Lebeau, habitant de La Châtre, IV, 476.

Lebert, notaire, républicain, IV, 174, 186, 191, 230.

Leblois (Louis), pasteur, IV, 420, 424, 469, 470, 596, 621, 630, 631.

Leblond (Murius-Arj-), IV, 3.

Lèbre (M.), III, 197.

Lebreton (poète), III, 293, 312, 313, 317.

Lecomte (Jules), IV, 281, 282, 283, 284, 317.

Leconte (Marie), IV, 635, 636.

Leconte de Lisle, IV, 451.

Lecordier, I, 228.

Lecou, éditeur, IV, 661.

Lecouvreur (Adrienne), I, 81, 149 ; IV, 634.

Lécuyer (Raymond), IV, 663.

Ledieux (F.), III, 603.

Ledru-Rollin (Alexandre), I, 16 ; III, 325. 391, 392, 396 ; IV, 2, 26, 35, 40, 4-2, 43, 44, 46, 47, 50, 63, 74, 76, 8(», 86, 89, 90, 91, 92, 114, 115, 116, 118, 119, 141, 145, 167, 174, 519.

Legouvé (Ernest), IV, 81.

Leibnitz, I, 188, 190, 240, 249 ; III, 2, 10, 11, 178, 456 ; IV, 350.

Leleux (Adolphe), peintre, IV, 269.

Lelièvre (Edouard), habitant de La Châtre, 230, 476.

Lemaître (Frédéric), I, 322 ; IV, 284, 286.

Lenau (Nicolas von Strélénau, dit), II, 343 ; III, 139.

Leneveux, IV, 35.

Lenz (Wilhelm von), I, 349 ; III, 171, 420-427, 522.

Léo (Auguste), III, 65, 66, 120, 150.

Léon X, IV, 366.

Léon XIII, II, 229.

Léopold Ier roi des Belges, IV, 223.

Leprévost, actrice, IV, 453, 463.

Lerminier. I, 169 ; II, 46, 395 ; III, 210, 220, 237, 293, 312, 313.

Lermontow (]VIichel), I, 46, 54, 256 ; II, 9, 134, 140, 164.

Leroux (AchiUe), III, 322, 323, 324, 325.

Leroux (Pierre), I. 14, 22, 72, 166, 168, 169, 417, 434 ; II, 124, 163, 346, 374, 392, 440, 442-444, 457, 458 ; III, avant-propos, ii, iii ; III, 2-23, 68, 80, 81, 86, 95, 96, 102, 120, 123, 136, 138, 181, 182, 187, 189, 196. 202, 217-221, 226, 230, 231, 235, 236-245, 255, 256-272, 293, 297, 322, 323, 324, 325, 329, 332, 333, 337, 357, 358. 359, 361, 362, 366, 367, 368, 369, 370, 386, 396, 398-417, 426, 428. 456. 470, 475, 478, 482, 492, 521, 538, 624. 626, 645, 649, 663, 671 ; IV, 14, 33, 81, 90, 91, 93, 107, 111, 132, 174, 197, 200, 216, 217, 360, 522, 617.

Leroux (Jules), III, 260, 409, 412, 413, 414.

Leroux (Charles), III, 414 ; IV 174.

Lerov (Zoé), I, 72, 205, 254-255, 258, 269, 273-274, 277, 279, 294, 296-298, 300, 310, 344. 404-405, 407 ; II, 315 ; IV, 323, 325, 326.

Leroy (le préfet de l’Indre), III, 387.

Lerover de Chantepie (Mlle), II, 311 ; ni, 240 ; IV, 349, 427, 428.

Lescure (de), II, 13 ; IV, 510.

Lessing, I, 169 ; III, 9, 221, 223, 226.

Lettres d’un Bachelier ès-Musique, II, 244, 245, 251, 266, 367, 393.

Lettres républicaines de Daniel Stern, II, 241.

Lettres sur l’Espagne de Charles Didier, II, 185.

Lévy (Calmann), I, 42, 189 ; IV, 624, 625.

Lévy (Michel). IV, 339.

Levallois (Jules), I, 410 ; II, 38.

Lewald (Auguste), III, 28, 127, 131.

Lewald (Fanny), IV, 693.

Lhomond (H.), IV, 336.

Liberté (la), journal, IV, 243. 507, 513, 514.

Ligier, de la Comédie-Française, IV, 48.

Limayrac (Paulin), IV, 351. 354.

Lindau (Paul), I, 7, 41, 46, 48, 51, 53-55, 59 ; II, 6, 13, 20, 26, 26, 29-30. 40-45, 52-53, 58, 68-69, 71-72, 77, 93, 96, 107, 117, 120, 125, 128-129, 130, 132-134, 137-138.

Liotard, curé, IV, 174, 215.

Liprandi, I, 32.

Liszt (Franz). I, 12, 43. 70, 72, 169, 321, 403, 434, 444 ; II, 124, 135, 146, 152, 161, 175, 184, 186-188, 209-211. 216-227. 230, 236-260, 263, 266, 267, 300, 309. 324 et suiv. à 346, 349-353, 356, 360, 362-363, 367-369, 370. 372-378, 388, 390-393, 394-395, 401. 427,451 ; III, 2, 6, 28, 29, 32, 33, 36, 37, 38, 39, 89. 96, 137, 138, 139, 143, 164, 184, 202, 204, 269, 278, 282, 283, 291, 333, 421, 422, 423, 424, 425, 441. 442, 449, 513. 520, 622, 524 ; IV, 232, 287, 321, 322, 337.

Liszt (Mme), II, 188 ; III, 282.

Livre (le) de l’Humanité, par Pierre Leroux, III, 7-10, Il ; IV, 423.

Livre (le) du peuple, par Lamennais, II, 229, 395.

Locke, I, 188-190, 240.

Lockroy (Paul), IV, 46.

Lointier, II, 38.

Lombroso (C«sar), IV, 15.

Loménie (Charles de), I, 180, 411.

Loménie (Louis de), I, 41, 42. 245, 249, 261, 288 ; II, 170 ; III, 115-116, 208-211, 420.

London Telegraph (the), IV, 240.

Loti (Pierre), IV, 547.

Louis XIII, I, 175 ; IV, 355.

Louis XIV, IV, 560.

Louis XV, I, 81-82.

Louis XVI, I, 253 ; IV, 57.

Louis XVIII, I, 125, 146, 148.

Louis-Philippe, I, 26 ; II, 226, 303 ; III, 389, 693 ; IV, 33, 54, 156, 166, 253, 558.

Louise Tardy, par Louis Llbach, IV, 499.

Lowicz (Jeaime, comtesse de), III, 27.

Loyson (le Père Hyacinthe), III, 443 ; IV, 256, 257, 429, 467.

Lucas (HippoI}-te), III, 192.

Lucas (Jean-César), soldat, IV, 199.

Luce, jeune Berrichonne, III, 600, 558, 559, 641.

Lucrèce de Ponsard, III, 552.

Ludre-Gabillaud (Antoine), IV, 477.

Ludre-Grabillaud, avoué à La Châtre, IV, 411, 477, 497, 605, 609, 626.

Ladre-Gabillaud (Mme), IV, 470, 477.

Luguet (famille), IV, 239.

Luguet (Mme), II, 116.

Luguet, IV, 459.

Lumet (J.-B.), vigneron d’Issoudun, III, 328, 398 ; IV, 174, 192, 209, 230, 231, 235, 238, 652.

Lumet (H. ou L.), IV, 652.

Lumet (Mme), IV, 221, 222,

Luneau (François), dit Michaud, II, 121.

Luther, III, 239.

Lyell, célèbre géologue, IV, 413.

Lyon, pièce de Liszt, II, 239.

M

Mably, 1, 188, 190, 311.

Machiavel, IV, 547.

Macreadv (W.-L.), III, 555 ; IV, 298, 299.

Madame Bovary, IV, 242, 278, 376, 507.

Madame Sans-Gêne, I, 111.

Madeleine-Sybille (électrice de Saxe), I, 80.

Madonna délia sedia, III, 693.

MaderoUe, républicain de Châteauroux, IV. 215.

Maqasiyi pittoresque, IV, 288, 357, 372.

Magen (HippoMe), IV, 486.

Magendie, I, 254.

Magnitsk)’, I, 32.

Magny, restaurateur, IV, 497, 504, 508, 522, 539.

Magu, I, 72 ; III. 102, 293, 296, 297, 298, 305, 308-319, 320, 321, 326, 330, 652 ; IV. 239, 3&9.

Magu (Félicie, dame Gilland), III, 309, 314, 321, 322, 329, 330.

Magu (« la mère »), III, 308, 309, 314, 320.

Mahomet II, III, 476.

Maillard (Louis), II, 117 ; IV, 403, 404, 417, 423, 460, 478, 485, 486, 488, 492, 494, 601, 607, 522, 660, 617.

Maillard (Mme), IV, 423, 486.

Maillaud, peintre, IV, 653.

Maïnow (Wladimir), III, 364-366.

Maistre (Joseph de), IV, 167, 296,

Maître Floh, par Hoffmann, IV, 316.

Majorque (l’île), III, 55-100.

Malade (le) imagmaire, I, 174 ; IV, 75.

Maleteste (de), I, 122.

Malibran (Mme), I, 321 ; II, 339 ; III, 139, 176 ; IV, 299.

Mallefille (Félicien), II, 267, 355, 369, 431, 432, 438, 442-445, 447, 457 ; III, 43, 45, 48, 50, 51, 53, 182, 184, 245, 287.

Malus (baron), I, 247.

Manceau (Alexandre-Damien), II, 34, 353 ; III, 630, 686 ; IV, 89, 140, 149, 150, 151, 171, 172, 186, 232, 233, 255, 273, 289, 290, 307, 308, 316, 340, 341-347, 349, 356, 360, 371-373, 375-380, 385-387, 397-399, 403-408, 411, 420, 431, 442-443, 446, 447, 452, 453-460, 462, 467, 468, 470-473, 478, 485, 486, 488, 489, 490-504, 532, 549, 567, 568, 571, 572, 574, 617, 620.

Manceau (Laure), IV, 491, 495, 496, 497.

Manceau (père), IV, 495, 496.

Manfred, II, 141 ; III, 186.

Manin, IV, 363, 364, 365, 366, 368.

Manon Lescaut, II, 196.

Manzo, II, 31.

Manzoni (Alexandre), III, 222.

Mara (Élisabeth-Gertrude), III, 333.

Marat, IV, 94, 508.

Marc-Aurèle, III, 320.

Marceau, III, 427, 557.

Marcel (Henry). IV, 646.

Marceline, voir Une journée à Dresde.

Marcello (Benedetto), III, 212, 335.

Marchal (Charles), I, 72, IV, 405, 406, 454, 464, 491, 628.

Marchand (le) de Venise, II, 426.

Marche funèbre, de Chopin, III, 35, 90 ; IV, 286.

Maréchal (Armand-Jean-Louis), I, 76, 93, 209, 223, 228.

Maréchal(Mme Marie-Lucie), née Delaborde, I, 76, 223, 250 ; IV, 350. [Voir Delaborde.]

Maréchal (Clotilde), fille de la précédente, I, 94, 97, 99, 250 ; IV. 169, 171.

Margollé (les), IV, 411.

Maria-Antonia, ménagère à Majorque, III, 74, 84.

Mariage (le) de Figaro, de Beaumarchais, IV, 277.

Marie, avocat, membre du gouvernement provisoire, III, 323, 324, 325 ; IV, 42.

Marie-Amélie, reine de France, III, 313.

Marie-Antoinette, reine de France, I, 84 ; II, 307. 319, IV, 660.

Marie-Josepha de Saxe, la Dauphine, I, 80.

Marie Stuart et Rizzio, IV, 357.

Marie-Thérèse, impératrice d’Autriche, III, 348.

Mariéton (Paul), I, 47, 51, 70, 72 ; II, 2, 13, 16, 68, 74, 88, 97, 102, 118, 122-123, 125, 136.

Marion de Lorme, III, 464.

Marivaux, IV, 78.

Marliani (Mme Charlotte), II, 346-370-371, 432, 438, 457 ; III, 16, 21, 22, 23, 42, 53, 58, 60, 62, 78, 79, 80, 93, 94, 95, 96. 97, 101, 102, 103, 104, 107, 109, 120, 121, 122, 163, 172, 211, 217, 218, 219, 230, 231, 233-234, 235, 236, 237, 238, 243, 244, 245, 259, 260, 261, 262, 263, 265, 282, 325, 361, 381, 405, 408, 418, 419, 420, 422, 423, 425, 426, 430, 455, 466, 467, 475, 477, 478-481, 483-487, 489, 490, 492, 493, 494, 498, 499, 501, 507, 529, 537, 544, 545, 549, 551, 552, 563, 567, 585, 591-593, 600, 625 ; IV, 19, 82, 112, 113, 313.

Marliani (Mancel), III, 56, 63, 67, 79, 482. 484, 490, 492.

Marliani (Enrico III, 66, 79, 483, 485, 490, 492.

Marmier, IV, 306.

Marmontel (Antoine-François), III, 522.

Marrast, IV, 93. 108.

Mars (Mlle), I, 394 ; III, 162, IV, 634.

Mars (M. de), III, 158.

Marseillaise {la Nouvelle) ou La

Jeune République, IV, 76.

Martin (Alexis), II, 166.

Martin, d’Eugène Sue, III, 603.

Martin (Fulbej-t), III, 328, 398 ; IV, 139, 150, 174, 191, 197, 204, 216, 218, 221, 235, 340, 344, 486, 487, 488, 617.

Martin (de Strasbourg), IV, 197.

Martin (Henri), III, 328, 398, 446, 635 ; IV, 32, 363, 364, 367.

Martin (avoué), II, 323.

Martin V (le pape), III, 363, 365.

Martin ou Martins (les demoiselles). III, 118, 449.

Martine (Mme), ouvreuse, IV, 624.

Martineau-Deschenez (Auguste), II, 339, 347, 439.

Martini (padre), III, 212.

Martinowiez (L’illuminé), III, 357.

Martins (M.), III, 491.

Marx (Karl), IV, 133, 135.

Masséna, I, 85.

Mathé (Mme), IV, 197.

Mathilde (princesse), IV, 255, 346, 435, 437, 464, 465, 622.

Matron, cocher, IV, 461.

Matron (Mme), IV, 197.

Matuszinski (le D Jean), III, 58, 62, 64, 66, 66, 111, 119, 181, 470, 497, 623.

Maugras (Gaston), I, 83.

Maupas (Alexandre), IV, 177, 186, 235.

Maupassant (Guy de), I, 142, 180, 433 ; II, 3, 461 ; IV, 604-505.

Maurice de Saxe, I, 80-81, 89, 90, 149 ; III, 464 ; IV, 112, 336, 336.

Maury, IV, 243.

Mayeux (le), bateau, IV, 151.

Mazade (Charles de), 1, 12 ; IV, 322, 337.

Mazgana (l’éditeur), III, 369, 402.

Mazzini (Giuseppe), III, 398. 410, 573 ; IV, 6, 7, 8, 9-16, 20, 112, 132, 141, 142, 146.

Mazurka (la) en mi mineur, de Chopin. III, 89.

Mazurkas op. 41 de Chopin, III, 104.

Mazurkas (Trois) de Chopin, op, 63, III, 501.

Meck (Mme N. de), III, 204.

Médard (saint), III, 203.

Meillant, fermiers de Nohant, III, 383, 487.

Meillant (Françoise), III, 478, 507, 608, 609, 669.

Méléagre (le), navire français, III, 93.

Mélingue, IV, 463, 455.

Mémoires de Duquesnel, IV, 406. 517-620.

Mémoires de Herzen, IV, 135, 140.

Meudelssohn (FéHx), III, 37.

Mendizabal, III, 57, 65, 480.

Ménélas, III, 284.

Mercadet, de Balzac, IV, 263.

Mercier, II, 339, 441.

Mercier, habitant de La Châtre, IV, 476.

Mercœur (ÉUsa), III, 293.

Mercuri, II, 163, 399.

Mérimée (Prosper), I, 384, 397, 399-403, 410 ; II, 41, 169, 387 ; IV, 101, 102, 103, 111, 436, 640, 541.

Méritens (Louis de), III, 281.

Méritens (Mme Hortense AUart de) [v. à ce nom], III, 281.

Merlin (comtesse), III, 129 ; IV, 156,

Merruau, III, 659.

Méry (Joseph), I, 1.

Messager de VEurope, IV, 170.

Métastase ou Metastasio (Pierrc-Bonaventure), III, 334, 336, 348.

Meure, procureur à Clamecv, IV, 336.

Meurice (Paul), IV, 315, 818, 604, 509, 602, 624, 629, 646.

Meyerbeer (Giacomo), I, 72 ; II, 135, 252, 339, 350, 390 ; III, 33, 39, 119, 136, 140, 143, 157, 421, 592 ; IV, 321, 322.

Meyrueis (l’éditeur), III, 306.

Michaux (procureur à Fontainebleau), III, 313.

Michel-Ange, III, 205, 624, 688.

Michel de Bourges, I, 44, 71, 72, 166, 168, 223, 226, 233, 251, 264-265, 276, 361, 417, 434 ; II, 124, 161, 175-210, 242, 243, 246, 249-260, 260-267 et suiv., 295, 305-309, 316-320, 345, 363-355, 367, 379, 892, 395, 417, 419, 420, 431, 433, 435-439 ; III, 2, 14, 16, 245 ; IV, 27, 28, 61, 321, 322, 519.

Michelet (Jules), III, 192.

Michiels (Alfred), II, 366.

MicMewicz (Adam), I, 169 ; II, 164, 345-346, 350 ; III, avant-propos, i, 81, 119, 181-204, 208, 268, 333, 371, 425, 469 ; IV, 463, 578.

Mickiewicz (Mme Céline), III, 185.

Mckiewicz (Ladislas), III, avant-propos, ii, 182, 183, 190, 191, 192, 202 ; IV, 276.

Mignet, I, 402 ; IV, 101.

Mignon, aux Variétés, IV, 171. 1870 [Mil huit cent soixante-dix, pièce du théâtre des marionnettes de Maurice Sand], IV, 418.

Mill (John Stuart), III, 5, 6.

Mille (Pierre), III, 441-442.

Millet (Aimé), IV, 632, 645, 667.

Millet (Jean-François), IV, 586, 644.

Milton, I, 188-189.

Minoret, II, 76.

Miou-hu-shi-Kaou (chef des Joways), III, 373-374.

Mirabeau, II, 318.

Mir Bogy, revue russe, IV, 633.

Mirecourt (Eugène Jacquot, dit Eugène de), I, 41, 42, 47, 390 ; II, 13, 107 ; III, 31, 238, 255 ; IV, 6.

Mirés (Jules-Isaac), banquier, IV, 290.

Misanthrope (le), I, 202.

Mode (la), 1, 330, 331.

Moïse, III, 9, 203, 239,

Moïse, de Rossiai, I, 322.

Moissonneurs (les), tableau par Léopold Robert, IV, 654,

Molière, I, 174-176, 189, 342 ; III, 105, 653, 654, 679 ; IV, 78, 266, 269, 270, 271, 448, 634.

Mollier (FéUcie), I, 283,

Mondange, soldat, IV, 199.

Monde (le), II, 185, 397, 398.

Monde (Je) illustré, IV, 355.

Mongolfier (Mme), III, 59, 269.

Monin (Hippolyte), IV, 4, 5, 6, 18, 30, 31, 36-38, 42, 43, 45, 51, 52, 56, 71, 74, 76, 79, 80, 81, 82, 84, 93, 99, 102, 104, 107, 109, 120.

Monkton IVIilnes (lord Hougton), I, 402 ; IV, 101, 103, 111, 124,

Montaigne, 1, 188, 248 ; II, 219 ; IV, 88.

Montalembert (comte Charles de), II, 226 ; III, 192 ; IV, 13.

Montaud (Théophile de), IV, 194, 195, 196, 218, 220.

Montégut (Emile), II, 120.

Montesquieu, I, 188, 269, 270 ; III, 239, 266 ; IV, 332.

Monthyon (prix), III, 691 ; IV, 435.

Montigny, IV, 170, 173, 318, 407.

Montijo (comtesse de), I, 402 ; IV, 102.

Montmorency-Fosseux (famille de), IV, 396, 397.

Monvel, IV, 170.

Mooser, II, 336-336, 338.

Moreau, conseiller de préfecture, IV, 185.

Moreau, habitant de La Châtre, IV, 176.

Moreau (Eliza), III, 293.

Moreau (Hégésippe), III, 293.

Moreau de Neuvy-Pailloux (Mathieu), IV, 216, 230.

Moreau du Pin, IV, 373, 377, 378.

Moreni (Ercole), I, préface, ii ; II, 68, 74-75, 77, 84.

Morgan (John Minter), IV, 9.

Morny (comte, puis duc de), IV, 165, 166, 464.

Mort (la) d’Iseult, IV, 286.

Moscheles (Ignace), III, 37, 65, 119.

Moulin (Charles), notaire, III, 590, 604 ; IV, 470, 596, 605, 609, 621, 622, 626.

Mounet (Paul), IV, 642.

Mozart, II, 163, 336 ; III, 33, 34, 35, 36, 40, 105, 131, 140, 207, 212, 553, 554 ; IV, 401.

Muette (la) de Portici, IV, 75, 77.

Mugnier (abbé), I, 156 ; IV, 649.

Muller (Mlle), III, 119.

Muller-Strubing (docteur Hermann), I, 72 ; III, 178, 685 ; IV, 132, 133, 138-141, 142, 143, 144, 174.

Murât, I, 85, 93, 97, 99-102, 193.

Musset (Mme Edmée de) [mère d’Alfred], II, 64, 77, 87.

Musset (Alfred de), 1, 1, 4, 7, 12, 41, 44-45, 47-55, 70-72, 73, 127, 189, 233, 390, 397, 400, 403-404, 411, 434-435, 443, 449 ; II, 1, 6, 12, 14 et suiv., 152, 154, 164, 166, 168-170, 175, 211-214, 242, 283, 289-290, 433, 439, 449 ; III, avant-propos, iv-v, 29,35, 65, 96, 123, 124, 126, 127, 138, 213, 238, 255, 275, 428 ; IV, 175, 204, 321, 322, 333, 355, 357, 403, 435, 436, 442.

Musset (Paul de), I, 7, 45, 48, 73, 889 ; II. 13, 18-20, 21, 23, 25, 28, 31-33, 38-39, 4&-47, 52, 70-73, 74, 77, 87, 93, 102, 104, 106, 108-110, 113, 118, 122-123, 132-133 ; IV, 355.

N

Nadar, IV, 378, 467, 468, 469, 470, 471.

Nadaud (Gustave), III, 328.

Nain (le) jaune, IV, 513.

Nakwaska (Mme), III, 436.

Napoléon, I, 93, 97, 98, 122, 125, 126, 133 ; II, 27, 226 ; III, 196, 230, 259, 260, 261, 372, 645 ; IV, 21, 54, 201. 251. 259, 261, 341, 344, 448, 508.

Napoléon, par Al. Dumas, I, 322.

Napoléon III, I, 20, 166 ; III, avant-propos, I, 398 ; IV, 145. 155-167, 170, 172, 175, 177, 178-185. 188, 189, 191-194, 196, 198-201, 204-205, 208-210, 214. 215, 219, 220, 222, 226, 227, 231-234, 236, 238, 241, 247-249, 250-354, 259, 261, 418 (ce Isidore »), 435, 436, 437, 464, 465, 467, 548, 557, 558, 566, 572.

Napoléon le Petit, IV, 155.

Napoléon (prince Jérôme), IV, 170, 183, 189, 190, 199, 232, 249-250, 255, 257, 258, 300, 304, 348, 380, 398, 420, 427, 435, 437, 454-456, 461, 462, 464, 465, 468, 471, 491, 492, 517, 518, 522, 523, 602, 626, 628, 629.

Narbonne (hôtel de), II, 292, 322 ; III, 108 ; IV, 17.

Narischkine (Mme) devenue Mme A. Dumas, IV, 405, 454, 624.

Narischkine (Olga), IV, 405, 454.

Narrey (Charles), IV, 292, 293.

Naufrage de la Méduse (le), mélodrame, III, 173.

Nauroy (Charles), I, 87.

Nelida, par Daniel Stem, II, 241, 248.

Nefftzer, IV, 368, 618,

Néraud (Jules) [Malgache], I, 72, 284, 289, 361, 379, 408 ; II, 94-96, 135, 174, 296, 315, 367 ; III, 102, 128, 280, 370, 373, 381, 383, 384, 388, 397 ; IV, 150, 321, 322, 360, 358, 482, 521, 522, 599, 602.

Néraud (père), IV, 549.

Nerval (Gérard de), I, 1.

Nettement (Alfred), I, 12, 43.

Neue freic Presse (la), III, 133 ; IV, 130.

New York Evening Post, IV, 248.

Niboyet (Mme). IV, 81, 82.

Nicolas Ier, empereur de Russie, I, 22, 31 ; III, 186, 424, 426.

Nicolas (Auguste), I, 273.

Niecks (Frédéric), I, 42, 48, 55-57, 64 ; II, 13, 72, 344, 349 ; III, 28, 29, 32, 33, 34, 35, 37, 38, 40, 41, 58, 89, 90, 468, 469, 471, 493, 522, 551, 622, 628.

Nemcewicz (Julien Ursyn), II, 350 ; III, 119, 181.

NiMtenko (Alexandre), I, 25.

Nigond (Gabriel) ; IV, 524, 652.

Nisard (Désiré), I. 345, 483 ; II, 135 ; IV, 321, 322, 436.

Noailles (Mlle de), III, 120.

Nocturne (en sol mineur) de Chopin, III, 104.

Nodier (Charles), I, 1, 440.

Norblin, III, 624.

Nourrice (la) d’Aurore, IV, 605, 606, 634.

Nourrit (Adolphe), le célèbre chanteur, II, 186-187, 345-347, 391-392 ; III, 97, 339 ; IV, 314.

Nowakowski (Joseph), III, 119.

Nuñez (banquier), III, 68.

O

Obermann, I, 398 ; IV, 572.

Odéon (théâtre de l’) ; III, 551, 679 ; IV, 168, 275. 287, 290, 292, 293, 434, 452-454, 458, 460, 462, 464-467, 468-471, 498, 523, 590, 632, 633.

Offrande (l’), IV, 548.

Ogarew (Mme), IV, 532.

Ogarew (N.-P.), IV. 129.

Oliveira, I, 18, 19.

Olivier (Juste), III, 128.

Olivier (Mme Juste), III, 128, 188-190, 192.

Ollivier (Émile), IV, 232.

Ollivier (Mme Blandine, née Liszt), II, 371.

O’Meara (Mlle), III, 119.

Onslow (George), III, 422.

Opinion (l’) des femmes, IV, 81.

Opinion (l’) nationale, II, 180, 185 ; IV, 454.

Ordre (l’) républicain, IV, 629.

Oribeau (Mme d’), III, 59, 118, 493.

Orléans (square d’), III, 418-425, 426, 427.

Ormuzde, III, 11.

Orsay (comte Gédéon-Gaspard-Alfred d’), III, 591, 592, 612 ; IV, 169, 170, 171, 189, 190, 191, 209, 231, 232, 233, 255, 280, 281, 346.

Orsini, IV, 238.

Orthez (d’), III, 427.

Ortolan (M.), m, 299.

Ostrowski (Christian), III, 192.

Othello, I, 61, III, 295.

Othello, de Rossmi, I, 322.

Ourousof (prince Alexandre), III, 674.

Ovide, III, 8, 185.

Ozenne (Mme Marie, née Meurice), III, avant-propos, ii.

P


Paesiello (Giovanni), III, 212.

Paganini, II, 497 ; III, 164.

Pagello (Pietro), I, 62, 71 ; II, 1, 16, 67-69, 71, 73-79, 80, 81, 83-96, 131, 147, 152, 154, 290, 439 ; IV, 403.

Pailleron (Marie-Louise), IV, 382.

Pajot (Ferdinand), IV, 550.

Palazzi (Roméo), IV, 632.

Palestrina (Giovanni Pierluigi, dit) III, 212.

Panaïew (J. J.), I, 24.

Panckouke, éditeur, IV, 330.

Panoptès, critique de la Lilerté, IV. 244.

Papet (Gustave), I, 72, 284, 312, 390, 405 ; II, 94, 109-110, 122, 183, 295-296, 315, 431, 436 ; III, 101, 102, 108, 110, 130. 161, 162, 170, 212, 380, 381, 450, 498, 544, 605, 618 ; IV, 269, 325, 521, 522, 595. 598, 599, 601, 604-609, 610, 614, 620, 623, 627.

Pardaillan ((Mme de), I, 122, 349.

Parfait (Noël), II, 117.

Parfums (les) de Rome, par L. Veuillot, IV, 431.

Paris, III, 284.

Paroles d’un croyant, II, 226, 227, 229, 230.

Parrain (le), IV, 500.

Pascal, I, 188, 272 ; III, 239, IV, 544.

Passaglia (le Père), IV, 431.

Pasta (la), III, 176 ; IV, 333.

Patureau-Francœur, III, 328, 398 ; IV, 174, 184, 192, 209. 215, 219, 221, 231, 238, 255, 550, 617, 619.

Paul (saint), II, 411 ; III, 8 ; IV, 496.

Paulin-Menier, IV, 287.

Paul et Virginie, III, 631, 632.

Pauline Sax, par Drouginine, II, 82.

Pauvres Gens, de Dostoïevski, I, 27.

Pays (le) et le Gouvernement, II, 229,

Pays (le), IV, 280.

Paysans (les), par H. de Balzac, IV, 375.

Péan (docteur), IV, 595, 606, 607, 608.

Pecht (Frédéric), III, 129, 130.

Pelée, III, 284.

Pélissier (L. G.), III, 124.

Pelletan (Eugène-Pierre-CIément), II, 267, 354, 364-365, 399, 439 ; III, 287, 443, 449 ; IV, 379.

Penarvan, ou La Maison de Penarvan, IV, 417, 453.

Pensées d’Août ! Monsieur Jean, par Sainte-Beuve, IV, 441.

Pensées, maximes et réflexions, de Daniel Stem, II, 241.

People’s Journal, IV, 7.

Pepe (général), IV, 112.

Perdiguier (Agricol), I, 72 ; III, 102, 245-255, 256, 283, 298, 314 ; IV, 351.

Perdiguier (Lise), III, 245, 253, 321 ; IV, 198, 221.

Pères et enfants, par Tourguéniew ; I, 63 ; IV, 547.

Périgny, I, 281, 322.

Périgois (Ernest), III, 328, 398 ; IV, 174, 185, 186, 191, 196, 205, 209, 215, 221, 230, 237, 238, 255, 350, 378, 382, 494, 522, 599, 602, 622, 629.

Périgois (Mme Angèle), née Néraud, IV, 350, 878, 494.

Pernet (Émile), III, 369.

Pernet (Jules), III, 367, 384, 402.

Perrault, I, 104.

Perrens (F.-T.), IV, 369.

Perret, II, 446.

Perrichet, III, 603.

Perrotin (l’éditeur), III, 170, 174, 244, 256, 268, 313, 315, 316, 317, 369, 402, 403, 626.

Persigny (comte, puis duc Jean-Gilbert Fialin de), IV, 165. 169, 183, 184, 186, 187-191, 194, 197, 198, 216, 220, 233-237, 338.

Pérugin (le), II, 163.

Peschoux (pasteur), IV, 472.

Pestel (docteur), IV, 529, 530, 595598, 601, 604, 605-617, 619-621, 623, 625-627, 629.

Pétano (G.), IV, 489.

Pététin (Anselme), III, 79, 328, 367, 398, 454, 490 ; IV, 82, 103.

Petiet (baron), IV, 336.

Petiet (général), IV, 336.

Petit (le) Courrier des Dames, I, 282.

Petite (la) Tonkinoise, IV, 286.

Pétrarque, III, 57.

Peuple (le), journal de Proudhon, IV, 233.

Peyrat (Alphonse), IV, 239.

Peyrat (Napoléon), II, 401, III, 306.

Phénicien (le), navire, III, 59, 93.

Philosophe (le) sans le savoir, par Sedaine, IV, 277, 278.

Piaron de Serennes, I, 84.

Pibot, sabotier à La Châtre, IV, 476.

Pictet (Adolphe), II, 326, 329-331, 333, 339, 355, 392 ; III, 23, 278.

Pied (le) sanglant, pièce au théâtre de Nohant, IV, 507, 508.

Pierre (baron de), IV, 369.

Pierre, domestique français de Chopin, m, 500, 549, 550.

Pierre, vieux jardinier à Nohant, III, 608, 509.

Pierre (saint), I, 168 ; II, 444 ; III, 620 ; IV, 557.

Pierret (Louis Mammes), I, 93, 97, 223, 228 ; II, 421 ; III, 161, 489 ; IV, 336.

Pietri (J.), IV, 194.

Pietri (Pierre-Marie). IV, 194, 204, 238.

PigaLLe (rUe), III, 108, 110, 111, 112, 113-119, 418.

Pilules (les) du diable, IV, 272.

Pinson, restaurateur, IV, 36, 37, 40, 171.

Planche (Gustave), I, 311, 320, 370, 384, 410, 437-439, 440-441, 443 ; II, 17, 38, 80, 120, 121, 165, 169, 369 ; III, 671, 679, 680, 686 ; IV, 277, 282, 648.

Planet (Gabriel), I, 284, 312 ; II, 184, 204, 295, 315 ; III, 13, 102, 381, 383, 384, 386, 388, 410, 639 ; IV, 17, 44, 222, 350, 521, 549.

Planet (Maxime), IV, 522, 526, 527, 528, 538, 540, 543.

Plater (comte), III, 201.

Plater (comtesse Émilie), III, 120, 199.

Platon, III, 7, 8, 12, 219, 239 ; IV, 481.

Plauchut (Edmond), I, préface, 2, 16-19, 385 ; IL 60-63. ; III, avant-propos, I, IV, 40, 100, 251, 398 ; IV, 300, 398, 434, 522, 524, 526-529, 531, 536-538, 540, 543, 544, 609, 614, 616-618, 621, 622, 624-627.

Plante, IV, 78.

Plestchéïew (Alexis Nicolalewitch), I, 21.

Plevel (Camille), III, 37, 62, 65, 74, 107, 119, 492, 550.

Pleyel (salle), III, 211.

Plutarque, II, 310.

Plutus, d’Aristophane, IV, 316, 317.

Podiebrad (la famille royale des), III, 380.

Poinsot (Edmond), III, 118, 451, 456, 563, 565, 572, 597, 607.

Poinsot (Mme), née Bascans, III, 451.

Poléjaiew (Nicolas), I, 65,

Politique (la) des femmes, IV, 81.

Politique (la) nouvelle, III, 510.

Polonaises (les) en la et en ut mineur, III. 89.

Pompadour (Aime de), IV, 660.

Pompéry (Edouard de), IV, 82, 103.

Poncy (Charles), I, 283 ; III, 241, 249, 292, 293, 294, 295, 297, 298-305, 315, 316, 317, 326, 478, 479, 507, 541, 544, 546, 556, 561, 562, 573, 582, 583, 587, 598 ; IV, 10, 14, 21, 29, 34, 35, 43, 58, 60, 109, 110, 239, 240, 368, 371, 387, 411, 419, 472, 493, 495, 523,

Poncy (Désirée), III, 298, 573, 582, 687.

Poncy (Solange), III, 298.

Poniatowski (Joseph), III, 186.

Ponsard (Francis), III, 551, 552 ; IV, 171, 274.

Pontcarré (Pauline de), I, 178, 181.

Pontmartin (Armand de), II, 13 ; IV, 156.

Ponty (poète populaire), III, 293.

Pope, I, 188.

Poquelin, IV, 636.

Porpora (Nicole), III, 212, 334, 335, 337-340, 346-347, 348-349, 350.

Portails, IV, 86, 94.

Porte Saint-Martin (théâtre de la), IV, 168, 275, 286, 287, 292, 456, 458, 508, 509, 637.

    qui effraie ? Et ce mot d’ailleurs est-il, sera-t-il le mot de l’avenir ? Il n’embrasse qu’un côté du problème, l’unité, mais il laisse entièrement dans l’oubli l’autre l’individualité, la liberté. Se dire communiste, c’est bien grave. Je regrette beaucoup que vous ayez pris cette détermination ! Quelle arme aux adversaires !… »

  1. Nous prions avant tout nos lecteurs, en lisant ce chapitre, de se rappeler les mots de Renan que nous avons mis comme épigraphe à notre travail : Le devoir de la critique ne saurait être de regretter que les hommes ne fussent autres qu’ils ne furent, mais d’expliquer ce qu’ils furent. Nous nous permettrons d’y ajouter : le devoir du lecteur équitable ne saurait être d’attribuer au critique toutes les opinions de l’auteur qu’il explique et qu’il tâche de rendre fidèlement.
  2. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Ier, chap. iii, p. 166-169.
  3. V. Daniel Stern, Histoire de la révolution de 1848, t. Ier, Introduction, p. lxvi.
  4. Nous sommes très heureux de noter que par rapport au « socialisme » et au « communisme » de George Sand, nous sommes du même avis que MM. Marius-Ary Leblond, émis dans leurs si intéressants articles, George Sand et la démocratie (Revue de Paris, juillet 1904) et Notes sur George Sand socialiste (Revue socialiste, juillet et août 1904.)
  5. Voir plus loin l’analyse des articles de George Sand : Lettre aux riches (Revue politique de la semaine) et la Préface au livre de M. Borie, Travailleurs et Propriétaires.
  6. Le Socialisme, quatre articles parus en avril 1848 dans le journal de George Sand, la Cause du peuple, et réimprimés dans ses Œuvres complètes dans le volume des Questions politiques et sociales, (V. p. 276.)
  7. Souvenirs et Idées, p. 171.
  8. Nous devons remarquer toutefois que cet article avait déjà été signalé par notre ami, le bibliophile Isaac (le vicomte de Spoelberch) dans l’appendice manuscrit à son Essai bibliographique sur les Œuvres de George Sand, que nous avons cité avec reconnaissance à la page 345 de notre premier volume.
  9. M. Monin cite en note à ces mots le volume des Souvenirs de 1848, mais nous pouvons encore renforcer sa désapprobation, en ajoutant que, sans aucune raison logique, on avait séparé une partie de ces articles pour les insérer dans le volume des Questions politiques et sociales, et un autre article encore, arbitrairement retiré de l’ordre chronologique de la série, dans le volume des Questions d’art, quoique tous ces articles proviennent des mêmes numéros du journal de George Sand, la Cause du Peuple.
  10. L’orthographe de ce nom nous paraît douteuse, nous lisons ailleurs dans les lettres de George Sand miss Hawkes.
  11. Nous avons déjà cité cette lettre dans le tome II de notre ouvrage (chap. xi), et dans le chapitre vi du volume III.
  12. Voir vol. III.
  13. V. plus loin.
  14. Il s’agissait de son traité avec M. de Girardin, directeur de la Presse. Selon ce traité, George Sand devait livrer le manuscrit de ses Mémoires en l’espace d’une année, et M. de Girardin devait la rembourser dans la somme de 11 000 francs. (Cf. avec ce que George Sand dit à Poncy dans sa lettre du 14 décembre 1847, que nous avons citée dans le chapitre vi et avec une lettre inédite à son fils du 10 avril que nous citons plus loin.)
  15. Le sort de ses « deux filles », Solange et Augustine Brault, ne pouvait plus inquiéter Mme Sand en 1850, l’une étant mariée depuis 1847, et l’autre depuis 1848. Il est évident que ce fut écrit avant, en 1847.
  16. Nous montrerons dans l’un des chapitres suivants comment les épreuves de 1847 provoquèrent chez Mme Sand ce « besoin moral » de récapituler toute sa vie, d’analyser le passé. C’est ainsi que naquit l’idée de l’Histoire de ma vie.
  17. Il est encore une fois évident que ces lignes sont écrites en 1847, lorsque la dot de Solange et ses prétentions ridicules à « ne pouvoir vivre » avec 150 000 francs furent un fait de fraîche date, ce qui serait tout antre chose en 1850, lorsqu’il ne restait de cette dot presque rien déjà et que Solange elle-même était sur le point de se séparer de son mari.
  18. C’est encore là une remarque qui se rapporte à l’époque d’ébullition générale précédant la catastrophe de 1848.
  19. Encore une allusion à son état d’âme déprimé, à ce grand découragement qui l’envahit en 1847, à la suite de sa rupture récente avec Chopin et Solange.
  20. Expressions d’une lettre inédite de Louis Blanc à George Sand. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand des lettres inédites et fort intéressantes de Louis Blanc se rapportant à ses démarches pour placer l’article de George Sand. Elles sont datées des 5 et 22 janvier 1848. Louis Blanc joignit à cette dernière lettre celle qu’Emmanuel Arago lui avait adressée à la même date, et la lettre de M. Chambolles, rédacteur du Siècle, datée du 16 janvier.
  21. Ces mots encore ne pouvaient être écrits nullement en 1851, comme le prétend la date dans la Correspondance, lorsque Mazzini était déjà revenu à Londres après la défaite de la révolution en Italie, mais bien alors qu’il était encore à Londres. On sait que Mazzini avait quitté cette ville et se rendit en Italie en février 1848 pour n’en revenir qu’en 1850.
  22. Lors de la discussion de l’adresse au roi en janvier 1848, la Chambre des députés a voté pour approuver la conduite du cabinet par rapport aux affaires d’Italie et de Suisse, conduite très désapprouvée par l’opinion publique.
  23. Allusion au célèbre discours prononcé par Montalembert le 15 janvier 1848 à la Chambre des pairs. Il est très intéressant de confronter ces lignes et celles de la lettre précédente sur la « décomposition générale » avec celles que Tourguéniew adressait presque à la même date, le 17 janvier 1848, à Mme Viardot : « Paris a été mis en émoi pendant quelques jours par le discours fanatique et contre-révolutionnaire de M. de Montalembert ; la vieille pairie a applaudi avec rage aux invectives que l’orateur adressait à la Convention. Encore un symptôme — et des plus graves — de l’état des esprits. Le monde est en travail d’enfantement… Il y a beaucoup de gens intéressés à le faire avorter. Nous verrons… » (V. la Revue hebdomadaire du 1er octobre 1898, n° 44, p. 37-39.)
  24. L’article de Borie sur la Lettre au Pape parut le samedi 15 janvier 1848, dans le Supplément du Journal du Loiret. Comme nous le savons déjà, Victor Borie avait été l’hôte de Nohant de l’automne de 1846 à février 1848. Il passa 1848 à Paris et à Orléans. En 1849, pour un article paru dans ce même Journal du Loiret, il fut condamné à la prison, se sauva à l’étranger et vécut en Belgique et à Londres. Dans la lettre du 26 décembre 1850, imprimée dans ce même tome III de la Correspondance, George Sand écrit à Poncy : « Borie est en Angleterre. Mais nous n’avons pas de ses nouvelles depuis assez longtemps… » Et deux pages plus loin on a pourtant imprimé cette lettre prétendue du 22 janvier 1861 où se trouvent les mots auxquels nous ajoutons cette note.
  25. La Revue sociale cessa de paraître dès 1848, En 1851 eUe n’existait plus.
  26. Depuis les sanglantes journées de Juin, George Sand n’avait plus jamais pensé ni écrit rien de pareil. Ce fut écrit à un moment où les flots de sang versés pour la liberté ne se voyaient encore qu’en imagination et paraissaient alors quelque chose de « beau », hélas !
  27. C’est nous qui soulignons cette pensée que George Sand émit ainsi bien avant Lombroso et presque simultanément avec Herzen (dans ses Mémoires du docteur Kroupow). Voilà le cas de dire ; les grands esprits se rencontrent !
  28. Encore quelque chose que George Sand n’a pu écrire qu’à un moment où la foi à « l’action générale » vivait encore en son âme avant que l’épreuve néfaste ne la détruisît.
  29. Intéressant à confronter avec ce que nous avons dit dans le vol. III à propos de Piccinino et avec les citations de ce roman que nous y dormons. À confronter aussi avec le passage soi-disant de la lettre du 18 février à Maurice Sand, imprimée à la page 3 du tome III de la Correspondance, et qui est, en réalité, du 7 février 1848 : « Au reste, l’Italie est sens dessus dessous… Seulement, tout ce qu’ils y gagneront, c’est de passer du gouvernement despotique au gouvernement constitutionnel, de la brutalité à la corruption », etc.
  30. Charles Duvemet, sa femme et Gabriel Planet lui étaient venus en aide en cette affaire.
  31. Nous devons à l’amitié de notre inoubliable amie, Mme Lina Sand, d’avoir pu copier sur l’autographe le Journal de 1848 et le Journal du coup d’État de 1851. Dans le volume des Souvenirs et Idées paru en 1904, l’un et l’autre sont imprimés avec des lacunes, des changements et des mots tronqués.
  32. Souvenirs et Idées, p. 17.
  33. M. Monin dit, à ce propos en toute justesse, que « George Sand prédisait plus qu’elle ne prévoyait », comme du reste cela arriva à la plupart des politiques de profession, en 1848, conservateurs et radicaux.
  34. Nous avons déjà dit en note, à la page 589 du vol. III, comment les sept lettres de février 1848 étaient « arrangées » dans le tome III de la Correspondance.
  35. Les lignes qui, dans la Correspondance, suivent celles-ci, se rapportant à Bakounine et aux événements d’Italie, appartiennent à la lettre inédite du 7 février. Nous les donnerons plus loin lorsque nous parlerons des relations entre George Sand et le célèbre anarchiste. Dans la lettre autographe du 18 février nous lisons, immédiatement après les mots « pourtant pas », l’annonce d’une lettre reçue de Mme Marliani et quelques mots sur sa curiosité excessive. Nous les avons cités dans le chapitre vi du volume III.
  36. Nous avons cité une partie de cette lettre dans le chapitre vi. Elle est également inédite.
  37. Correspondance, t. III, p. 9-12.
  38. Correspondance, t. III, p. 6-8.
  39. Les deux Lettres au peuple portent les sous-titres : Hier et Aujourd’huiAujourd’hui Demain et parurent en brochures avec indication qu’elles se vendaient « au profit des ouvriers sans travail ».
  40. Elle écrit à Augustine Brault (lettre inédite du 5 mars) et à Girerd (lettre imprimée du 6 mars) qu’elle sera à Nohant mardi, le 7.
  41. Michel de Bourges. V. les chapitres x et xi du tome II de cet ouvrage.
  42. Voir la collection complète des Bulletins de la République, p. 19. Il parut en avril une seconde édition de cette Lettre au peuple, semble-t-il, parce que, dans la Bibliographie de la France, nous la trouvons enregistrée à la date du 1er avril. De plus, les deux lettres furent réimprimées dans le journal de George Sand, la Cause du peuple, comme on verra plus loin.
  43. Dans la Correspondance de George Sand (t. III, p. 14), il est dit que le Blaise Bonnin promis par George Sand à son fils en guise de thème pour ses causeries futures avec les paysans de sa commune, c’était « la Lettre d’un paysan de la Vallée Noire, écrite sous la dictée de Blaise Bonnin », erreur que M. Monin répète après les éditeurs de la Correspondance. C’est de l’Histoire de France écrite sous la dictée de Blaise Bonnin, que Mme Sand parle à son fils dans sa lettre du 24 mars, tandis que la Lettre d’un paysan de la Vallée Noire parut dès 1843, et les Paroles de Blaise Bonnin, dont nous parlons plus loin, ne furent écrites qu’à la fin d’avril de cette année 1848.
  44. C’est nous qui soulignons. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre d’Henri Martin écrite pour accuser réception de cette brochure de George Sand, comme un peu ultérieurement il l’avait déjà fait pour la Lettre à la classe moyenne. Henri Martin écrit donc, à la date du 18 mars :
    « Je reçois à l’instant votre second envoi : je vous avoue qu’il y a des choses qui m’inquiètent quant à l’effet politique, des choses qui demanderaient un grand développement pour être comprises et qui surtout, dans un écrit si concis et si rapide, me semblent bien hasardeuses. Le temps me manque pour en causer avec vous ; mais pourquoi prendre ainsi le mot
  45. C’est encore nous qui soulignons.
  46. Cette lettre est datée de « Paris » dans la Correspondance. Mais le 14 mars elle était encore à Nohant ; c’est donc le 14 mars, Nohant ou le 24 mars. Paris, qu’il faut lire.
  47. Mme Sand répète ainsi ce qu’elle dit, à propos de ces commissaires, dans la lettre à son fils datée du 25 mars, écrite à sa rentrée à Paris.
  48. Comme on le verra tout à l’heure par sa lettre inédite du 25 mars, George Sand prit sur elle de faire des démarches pour faire distribuer des armes aux campagnards de Nohant-Vic.
  49. M. Monin dit que cet amateur fut le grand-père paternel de M. Alfred Aulard, grand ami de George Sand et de sa famille et plus tard maire de Nohant. Nous parlons de lui dans le chapitre ix.
  50. Ce vieux brave s’appelait Jacques Saulat et on peut voir par la fin inédite de la lettre du 17 avril, imprimée dans la Correspondance, que George Sand étendit sa protection sur lui aussi et s’empressa de le faire récompenser par le gouvernement provisoire.
  51. Allusion aux événements du 17 mars à Paris : la manifestation des « bonnets à poil » et la contre-manifestation du prolétariat.
  52. Il est très intéressant de confronter ce passage avec les lettres inédites de George Sand à son fils, datées du 25 mars et du 20 avril, dans lesquelles elle sermonae vertement le nouveau maire de Nohant-Vic de vouloir 1 scinder » les deux communes. On lira dans le texte la première de ces deux lettres. Voici le passage de la seconde qui s’y rapporte : « Tu as tort de t’obstiner à vouloir scinder ta commune, nous ne l’obtiendrions pas, et les raisons qu’on nous donnerait seraient justes. C’est que l’association diminue de moitié les dépenses et qu’en outre, les bons citoyens doivent tendre à détruire l’esprit de localité au lieu de l’augmenter. S’il y a difficulté pour un maire à administrer deux communes, le zèle doit augmenter et ne pas songer à faire disparaître la difficulté. Tu n’es pas dans les bans principes à cet égard, tu te laisses impressionner par les préjugL-s et les petites passions de tes administrés. Il faut te montrer ferme, juste et dévoué à tous. Sois sûr que tu concilieras tout si tu t’en donnes la peine, et si ton cœur vient un peu en aide à tes actes par de bonnes paroles. Je crois qu> ? tu as bien fait d’être ferme pour ton conseil municipal. Il faut que Fieury ratifie bien vite ce que tu as fait, et s’il y mettait de la négligence, il faudrait ne pas t’endormir, enfourcher ta blanche ou la patache et aller chercher à la préfecture la sanction de ta conduite, autrement tu trouverais chez les mécontents une résistance fâcheuse. On est tranquille comme Baptiste ici, malgré la grandpeur de ces derniers jours. Les mesures un peu révolutionnaires que vient de prendre le gouvernement provisoire vont te venir en aide. Il faudra te hâter d’en donner la première nouvelle à tes administrés et leur faire comprendre que si on n’a pas eu plus tôt ces heureuses améliorations, c’est qu’il y a à Paris, comme à Nohant, des Étève, des Biaud, des Blanchard, etc., qui ne veulent pas qu’on adoucisse le sort du peuple et qui créent mille embarras à la République. Accuse-moi réception des deux mille francs. Bonsoir, mon enfant, attache-toi à montrer une sollicitude égale à tes deux communes et en prouvant que tu n’as pas de préférences, tu auras la confiance à Vie comme à Nohant. » Dans la lettre du 21 avril imprimée dans la Correspondance, on peut lire les lignes suivantes : « Ne t’inquiète pas. Tu ne m’as pas dit quelles raisons tu avais eues pour casser ton conseil, mais il aurait fallu commencer par là. Quoi qu’il en soit, je te réponds que tu n’auras pas le dessous, j’ai parlé de cela à Ledru-Rollin, qui m’a dit que probablement tu n’avais pas agi par caprice, que sans doute il y avait nécessité, et que tu devais être appuyé et soutenu. Je viens d’écrire à Fleury un peu ferme là-dessus ; ne te laisse pas émouvoir par les récriminations et les menaces… » On voit que Mme Sand menait à la baguette le maire de Nohant-Vic et gouvernait fort énergiquement sa commune.
  53. Rue de Condé, 8.
  54. V. plus haut la note à la p. 30.
  55. Expressions du Bulletin n° 1.
  56. Cette phrase empruntée au rapport de la commission d’enquête sur l’affaire du 15 mai (t. II, p. 30), fait, comme on le sait, par Jules Favre, est citée par Daniel Stern (Histoire de la Révolution de 1848, t, II, p. 292) et par M. Monin.
  57. M. Monin, George Sand et la révolution de 1848, (La Révolution française, 14 décembre 1899, p. 544-545.)
  58. La correspondance inédite de George Sand avec René de Villeneuve et sa famille, comprenant 89 lettres, existe ; quelques lettres seulement ont paru dans le Figaro, 16 janvier 1881.
  59. Ces mots se rapportent, il est évident, à la préface de la Petite Fadette, qui avait commencé à paraître le 1er décembre 1848 dans le Crédit. V. notre vol. III, p. 638.
  60. À ce moment de réaction croissante, il y eut des déclarations et des poursuites contre tous les acteurs des premiers mois de la République, entre autres contre Emmanuel Arago, envoyé en mars à Lyon, en qualité de commissaire du gouvernement provisoire.
  61. Emmanuel Arago était alors ambassadeur à Berlin.
  62. Le compte rendu de la fête du 19 mars parut dans la Réforme, comme nous l’avons dit, le 23 mars, ce qui prouve que la lettre est bien du 23 mars.
  63. C’est nous qui soulignons, et nous prions le lecteur de noter ces indications des numéros des Bulletins, elles nous seront de toute utilité tout à l’heure.
  64. Charles Delaveau était alors maire de la Châtre et le chef du parti des modérés réactionnaires. Bientôt il prit ouvertement parti contre George Sand. La lettre que Mme Sand lui adressa à cette occasion est très curieuse sous tous les rapports. On peut la Uie dans le tome III de la Correspondance.
  65. C’est nous qui soulignons.
  66. Le général Subervie avait été nommé ministre de la Guerre le 24 février, mais bientôt la commission de la Défense se mit à agir à son insu, on se mit à l’accuser d’inertie et de lenteur, et bien vite on nomma à sa place le général Eugène Cavaignac.
  67. La collection originale des vingt-cinq Bulletins de la République présente un rassemblement d’affiches et de placards de formats et de caractères divers, imprimés dans quatre typographies différentes. Dans la seconde moitié de 1848, un « haut fonctionnaire en activité » réimprima les Bulletins en un minuscule in-8° recouvert de papier jaune, et les fit précéder d’une Préface. Nous avons eu la chance d’acquérir ce curieux et rarissime petit livre dont le titre exact est : Bulletins de la République émanés du ministère de l’Intérieur du 13 mars au 6 mai 1848. Collection complète avec une Préface, par un haut fonctionnaire en activité. Prix : 3 francs 50 centimes. Paris. Au bureau central, 6, rue de Bussy. 1848.
    M. Monin, qui doit avoir aussi eu en mains ce livret, dit avec raison que, malgré le mot de « complète », cette collection ne l’est point, mais que la Préface en est curieuse. Remarquons de notre côté que le « haut fonctionnaire » avait indubitablement profité d’une part des indications faites par la comtesse d’Agoult, très au courant de l’histoire intime et de tous les faits et gestes du gouvernement provisoire ; d’autre part, il avait dû posséder des données assez précises sur les actes de George Sand, en général, et en particulier sur la part qu’elle eut dans l’envoi des commissaires et dans les instructions qu’ils reçurent de « républicaniser, agiter et démocratiser la province ».
  68. M. Monin observe que dans les Bulletins, ce n’est que la première partie imprimée généralement en plus gros caractères qui est due à la plume de George Sand. L’observation est exacte. Mais quant au Bulletin n° 8, il nous paraît certain que Mme Sand en a écrit les deux parties.
  69. On voit que l’auteur du Bulletin n° 8 est d’accord avec Blaise Bonnin.
  70. Dans le n° 1 de la Cause du Peuple.
  71. Il est évident qu’il s’agit de ce personnage de la Comédie dans l’article de George Sand. Ngub savons que l’on était alors très épris de la Commedia dell’ arte à Nohant, et on avait l’habitude d’employer dans la conversation courante les noms de ses personnages, symbolisant des caractères et des travers convenus : c’est ainsi que de vieux poltrons hargneux et bougonnants y étaient appelés des Cassandre, les jeunes fats des Léandre, les serviteurs des Pedrillo ou Leporello, les militaires des Capitan ou des Matamores, etc., etc. Il est évident aussi que c’est un simple lapsus de la part de M. Monin, lorsqu’il croit que George Sand fait dans cet article allusion à la prophétesse grecque.
  72. Il est tout à fait incompréhensible aujourd’hui pour quelle raison le nom de Cabet, le moins fanatique de tous les utopistes socialistes et le moins militant des politiciens, devint en cette journée du 16 avril le symbole de l’anarchie la plus dangereuse, de sorte que le pauvre auteur de l’Icarie ne parvint à se soustraire à la fureur que grâce à Lamartine qui le cacha dans son hôtel.
  73. Il est hors de doute que Daniel Stern visait bien ces lignes de George Sand en disant à la page 8 de son tome III :
    « Chaque jour on répétait dans les journaux, comme une chose toute simple, que si l’Assemblée ne se hâtait d’exécuter les volontés du peuple, il chasserait cette fausse représentation nationale, ou bien on disait encore que les ouvriers de Paris apporteraient aux représentants une constitution toute faite, proclamée au Champ de Mars et qu’il les forcerait à la voter séance tenante. »
  74. « Pour un Bulletin un peu raide que j’ai fait, il y a un déchaînement incroyable de fureur contre moi dans toute la classe bourgeoise », écrit George Sand à son fils, le 19 avril.
  75. Correspondance, t. III, p. 46, lettre du 21 avril.
  76. M. Monin remarque fort judicieusement que George Sand fit preuve, dans ces remarquables pages de critique dramatique, de beaucoup de goût, de finesse et d’une grande compétence pour cette critique ; il exprime son étonnement de ce que lorsqu’on réimprima le Prologue de George Sand dans ses Œuvres complètes, « le même honneur n’a pas été fait à ces pages », — et il le trouve d’autant plus regrettable, que « George Sand n’a guère abordé que là ce genre littéraire ». Les deux dernières indications sont inexactes : les deux articles de la Cause du Peuple, intitulés Arts, sont bel et bien réimprimés dans les volumes des Questions d’art et de littérature. Quant à l’assertion que George Sand n’ait plus jamais « abordé ce genre littéraire », elle est réduite à néant par le fait que, dans ce même volume, ainsi que dans d’autres volumes de ses Œuvres, on peut lire une série de ses articles de critique dramatique et artistique, tels sont : Mars et Dorval, Marie Dorval, Debureau, Hamlet, À propos des idées de Mme Aubray, les Beaux Messieurs de bois-Doré au théâtre de l’Odéon, Reprise de Lucrezia Borgia, etc., etc. Tous ces articles avaient paru dans les périodiques de 1836 à 1873.
  77. Nous avons vu que c’est à George Sand qu’était due l’idée de demander la nouvelle Marseillaise à Mme Viardot et l’autre à Rachel.
    L’Intermédiaire des chercheurs et curieux de 1874 contenait l’indication que c’est encore George Sand qui avait donné l’idée de frapper une médaille de la République et avait conseillé à un artiste de s’inspirer des poses de Rachel chantant la Marseillaise. Les citations que les collaborateurs de l’Intermédiaire des chercheurs et curieux donnent à l’appui de cette assertion ne sont toutefois pas de George Sand, mais présentent des passages assez inexacts de deux pages de Daniel Stem (t. II, p. 311-312). Or, l’acharnement qu’y met Stem à critiquer ces poses de Rachel et son air belliqueux et farouche, ainsi que la critique extrême que Daniel Stem fait de toutes les statues et médailles présentées aux deux concours ordonnés par Ledru-Rollin, nous prouvent, comme toujours, qu’il dut y avoir de l’influence de Mme Sand dans tout cela. Effectivement, le programme que le ministre avait fait communiquer aux artistes et qui fut publié dans l’Artiste du 9 avril, n’est que l’extrait d’une lettre de George Sand à Clésinger. Quant à la statue projetée du Champ-de-Mars, c’est encore elle qui la fit commander à ce sculpteur. Elle écrit à son fils, le 28 avril (la lettre est inédite, et écrite la nuit des élections à Paris) : « Solange se porte comme le Pont-Neuf ; son mari, grâce à moi, fait la statue du Champ-de Mars. »
  78. V. Daniel Stern, t. II, p. 309-310.
  79. La représentation gratuite, où on avait joué ce Prologue, eut lieu le 7 avril, comme on le voit, par la lettre inédite de George Sand à son fils, datée du 8 avril, et fut « magnifique » ; dans cette lettre, Mme Sand parle du public qui fut pour elle ce qu’il y avait de plus intéressant dans ce spectacle, dans des termes tout aussi enthousiastes que ceux de son article de la Cause du Peuple.
  80. Dans sa lettre du 7 août à Girerd, George Sand dit au sujet de la manière dont étaient rédigés, corrigés et imprimés les Bulletins qu’elle avait « accepté la censure du ministre ou des personnes qu’il commettait à cet examen « , qu’elle « ignorait si les cinq ou six Bulletins qu’elle avait envoyés au ministre ont été « examinés » et qu’elle « ne revoyait jamais les épreuves ». Ceci rend probable notre supposition que le Bulletin n° 12 a été retouché par quelqu’un des membres du gouvernement.
  81. Il y avait alors plusieurs clubs féminins et plusieurs journaux rédigés par des dames, par exemple : la République des femmes, la Politique des femmes, l’Opinion des femmes, le Volcan, etc., etc. (Voir l’article de M. Monin et l’Histoire de 1848, par Daniel Stern.)
  82. Il est très intéressant de confronter cette lettre de George Sand avec la lettre publiée par M. Edouard de Pompéry (fouinériste, ami de Mme Marliani, de M. Anselme Pététin et de Mme Pauline Roland, auteur des livi-es : Démocratie pacifique et Quintessences féminines), lettre dont RL Monia cite un extrait, ainsi qu’avec l’article de George Sand, VEomme et la Femme, écrit le 20 août 1872, publié dans le Temps du 4 septembre de cette même aimée et réimprimé dans le volume des Impressions et Souvenirs. Toutes ces lettres et articles ne laissent subsister aucun doute sur le fait que la question féminine proprement dite « n’existait pas » pour George Sand : elle ne s’intéressait qu’aux questions humaities, et ne partageait nullement les aspirations du féminisme contemporain.
  83. Souvenirs et Idées, p. 19-38.
  84. Si l’on ne compte pas pour une telle preuve le fait que Daniel Stem lui attribue ce Bulletin {Histoire de 1848, t. II, p. 305) dont elle cite un passage effectivement très ressemblant, comme style et idée, aux écrits de Mme Sand. Or, comme nous l’avons dit maintes fois et comme nous allons le répéter plusieurs fois encore, Daniel Stem était à ce moment précis, on ne sait pas trop comment, très au courant des faits et gestes de son ancienne amie.
  85. Daniel Stern raconte plus loin que la seule chose qui inquiétait les conspirateurs, c’était l’intervention possible de Blanqui qui faisait de la conspiration à ses risques et périls et pouvait tout gâter au dernier moment ; puis eUe relate comment la découverte inattendue de papiers, relatifs à la conspiration de 1839, leur délia les mains à l’égard de BLanqui, ayant permis de constater qu’il avait joué envers son associé Barbes un rôle qui ne laissait subsister aucun doute sur ses relations avec la police et sa provocation.
  86. Ces deux lettres sont inédites.
  87. Alexandre Lambert, ouvrier et publiciste prolétaire, puis rédacteur de journal à la Châtre ; cf. les chapitres iv (vol. III) et ix (vol. IV).
  88. La publication de l’Histoire de ma vie fut arrêtée par les événements politiques, et Mme Sand, pour sa part, abandonna ce travail en 1848, pour ne le reprendre qu’en 1853. Nous lisons dans l’un de ses carnets, écrits de la main de Manceau : « Après la lecture de tout, Madame se remet sérieusement à l’Histoire de ma vie, le 22 avril 1853. » L’ouvrage parut en 1854.
  89. Eugène Lambert.
  90. Cf. aux pages 69-70 et 72-73.
  91. Le 13 avril 1848.
  92. On lit aux pages 7 et 8 du tome III de l’Histoire de la Révolution de 1848 : … Nous avons vu aussi que les principaux chefs révolutionnaires s’étaient étonnés et alarmés sans mesure du tour que prenaient les élections. Lorsqu’ils entrevirent le résultat du suffrage universel, ils s’excitèrent l’un l’autre à n’en tenir aucun compte et se répandirent à l’avance contre l’Assemblée nationale en menaces insensées. Malheureusement, quelques hommes d’un esprit supérieur et qui auraient dû se montrer plus sages, encouragèrent ou tolérèrent ces tendances dangereuses et laissèrent se former autour d’eux des foyers d’une opposition préconçue qui touchait à la sédition. … Dès le 16 avril au soir, M. Louis Blanc et ses adhérents décidaient, dans une réunion au Luxembourg, qu’il fallait incessamment réparer l’échec de la journée en reprenant l’offensive. À la vérité, on ne s’était entendu ni sur l’occasion, ni sur le mode d’une nouvelle intervention du prolétariat, mais on s’était quitté en se payant de l’assurance que si l’Assemblée ne se montrait pas docile aux volontés du peuple, on ferait bonne et prompte justice de ces mandataires infidèles. À quelques jours de là, MM. Pierre Leroux et Cabet proposaient de leur côté au gouvernement provisoire de s’adjoindre un comité permanent composé des hommes les plus avancés de la démocratie. aân de rentrer par leur influence et par leurs conseils, malgré l’Assemblée et sans elle, dans les voies de la révolution sociale.
    Enfin, dans le même temps, il se tenait au ministère de l’Intérieur des conciliabules où MM. Portalis. Landrin, Jules Favre, Étienne Arago, Mme Sand agitaient la question de savoir si l’on se débarrasserait de l’Assemblée le jour même de son ouverture ; trop souvent cette question absurde se tranchait d’une manière affirmative… »
  93. Voir plus haut, p. 98.
  94. Celle de l’Assemblée constituante.
  95. Nous avons vu par la lettre de Mérimée que, parmi ces écrivains, il y avait Victor Considérant et « quelques fouriéristes ». Nous présumons que c’étaient Pététin, Pompéry et Victor Borie, quoique ce dernier ne fût nullement « fouriériste ».
  96. Ces trois articles sont réimprimés dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre général de Question de demain ; lors de leur première apparition, ce titre manquait et kes articles portaient simplement les titres de la Religion de la France, le Dogme de la France, le Culte de la France, qui leur servent à présent de sous-titres. M. Monin observe avec raison que, lors de la réimpression du premier article, on en a retranché tout un passage, à la page 100 du volume des Souvenirs de 1848, qui, du reste, n’ajoutait rien à la gloire de l’écrivain. C’est un essai peu réussi de faire de l’esprit à propos du « manque d’actualité de la question de l’existence de Dieu » (allusion à la réponse célèbre de Buloz à Pierre Leroux). Seulement M. Morin a tort de croire que ce fut la seule fois que George Sand ait essayé de l’ironie ; son article les Rues de Paris est plein d’ironie et de sarcasmes, nous ne dirons pas fort réussis, à l’adresse des bourgeois horripilés et poltrons, et l’article le Père Communisme, dont nous parlons plus loin, est écrit dans le but de s’égayer aux dépens de la grand’peur de cette bourgeoisie et aux dépens des calomnies répandues sur le compte de la romancière elle-même ; mis il faut convenir que Henri Heine avait trois fois raison en décrétant que George Sand « manquait d’esprit » : il perce, sous son ironie, ce que les compatriotes de Heine appellent le galgenhumor (ironie du gibet), le rire à travers les larmes, Le désir de faire bonne mine à mauvais jeu.
  97. Elle avait déjà quitté la rue de Condé et demeurait rue d’Ancin, n° 14.
  98. Nous pouvons ainsi confirmer en passant l’absolue exactitude de l’indication de Mérimée que le dîner chez Monkton-Milnes auquel assistèrent Mme Sand et M. de Tocqueville eut effectivement lieu non le 6 juin, mais le 6 mai.
  99. Elle alla à Paris au commencement de ce mois de décembre 1849, pour assister à la seconde représentation de François le Champi. C’est à ce séjour de décembre 1849 à Paris que se rapporte sa rencontre avec son vieil ami, le célèbre général Pepe, ainsi qu’une rencontre fortuite avec le maréchal de Castellane. Ce dernier écrit dans son Journal à la date du 16 décembre 1849 :
    « 16 décembre 1849. — Dans la même maison que moi loge une Mme Marliani, femme d’esprit, qui reçoit une foule de Libéraux ; elle est fort poHe pour moi et m’a beaucoup engagé à aller chez elle. J’y vais de temps en temps avant de sortir. J’y suis monté ce soir. J’y ai vu une femme paraissant assez jeune ; il n’y avait pas beaucoup de lumière, et je n’ai pu bien voir son visage ; elle fumait une cigarette. Mme Marliani m’a bientôt, en parlant de Maurice de Saxe, dont George Sand descend du côté gauche, fait comprendre que c’était elle. George Sand aussitôt une cigarette finie en prenait une autre. Il y avait là un monsieur de beaucoup d’esprit qu’on appelait « le capitame » et dont je ne sais pas encore le nom. (C’était le capitaine d’Arpentigny, dont nous avons parlé dans notre vol. III. W. K.) Démocrate enragé, il disait que les démocrates étaient les plus forts, mais il s’affligeait, ainsi que George Sand et un autre jeune homme, de leurs divisions en différentes sectes, ce qui les perdrait. Sur ces entrefaites est entré un monsieur assez grand, gras, l’air commun. George Sand s’est avancée vers lui, l’a embrassé en lui disant : « Il y avait longtemps que je ne vous avais vu. » C’était le fameux général Pepe… 1) {Journal du maréchal de Castellane, t. IV, p. 201-202.) C’est à cet épisode aussi que se rapportent les lignes d’une lettre inédite de George Sand à Mazzini, datée du 30 janvier (sans millésime, que même le vicomte de Spoelberch était iudécis de dater de 1849 ou 1850 et que nous pouv ns, à présent, dater en toute conscience de ISôO) : « Le général Pepe est un vieux ami à moi, un homme de bien, je vous assure. Que ses idées aient de l’étroitesse et son caractère de la timidité, je ne le nie pas. On accepte les imperfections de ses amis, mais je n’aurais pas songé à traduire son travail s’il m’eût paru possible que vous y fussiez contredit ou attaqué d’une façon quelconque. J’ai vu Pepe à son retour à Paris dernièrement. Je l’ai trouvé bien changé d’esprit et de santé. Vieux, éteint en apparence, mais voyant bien plus juste, et parlant des rois et des peuples comme jamais je ne l’aurais cru capable de le faire ; cela ressemblait à l’oracle d’un mourant qui voit clair au moment de quitter la vie. « Vous me dites et on me dit qu’il subit des influences fâcheuses, voilà ce que j’ignore. Mais soyez tranquille. Si son œuvre n’est pas ce qu’elle doit être, je m’abstiendrai et lui en dirai franchement et amicalement la raison. « Je n’ai pas le temps de vous écrire aujourd’hui, je vous ai écrit une énorme lettre hier. Je vous embrasse et vous aime de toute mon âme. »
  100. Lettre à Thoré (la Vraie République du 27 mai 1848), réimprimée dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre le Père Communisme.
  101. Lettre à Charles Delaveau du 13 avril 1848. (Corresp., t. III, p. 25-30.)
  102. La même lettre et celle à Mme Marliani de juillet 1848.
  103. Lettre du 24 mai à Thoré (la Vraie République du 27 mai) et lettre privée du 28 mai au même.
  104. C’est nous qui soulignons.
  105. C’est encore nous qui soulignons.
  106. Selon la mention ci-dessous d’une lithographie de l’époque, « Le 15 mai, dessiné d’après nature par François Bonhomme. »
  107. Monographie de la rue du Bac. (Paris, in-8°, 1894.)
  108. Charles Duplomb était fils d’Adolphe Duplomb. Ce dernier, surnommé Hydrogène, apothicaire à la Châtre, était grand ami d’Aurore Dudevant et de son frère, Hippolyte Châtiron, et leur compagnon d’escapades et de parties de plaisir. George Sand en parle dans le morceau autobiographique, Un voyage chez M. Blaise (volume des Dernières Pages), ainsi que dans ses lettres de jeunesse. (Voir Corresp., t. Ier.)
  109. Réimprimées dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre de Paris et la province.
  110. Daniel Stern a marqué d’une pierre blanche cette petite œuvre de George Sand, et c’est avec une pointe de sarcasme bien éidcnte qu’après avoir dit : « Le peuple à son tour murmurait. Les ateliers nationaux commençaient à laisser paraître des dispositions hostiles… La presse communiste, un moment silencieuse, reprenait le ton menaçant, et, laissant de côté les questions politiques, elle posait ce fatal antagonisme entre la bourgeoisie et le peuple qui devait, à peu de temps de là, éclater d’une manière si formidable. Les républicains éclairés ne voyaient pas sans chagrin de grands talents s’employer à cette œuvre de dissolution… ». Elle ajoutait en note : « Un article de Mme Sand, entre autres, publié dans la Vraie République, le 28 mai, fit sensation. Elle mettait dans la bouche d’un ouvrier, qui racontait à sa femme la journée du 16 mai, l’explication que voici : … « Puis Daniel Stern citait le morceau que nous donnons dans le texte : « Nous tombâmes tous d’accord… », etc.
  111. V. plus haut, p. 9.
  112. Le premier article, Louis Blanc, réimprimé dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre de Louis Blanc au Luxembourg, parut dans la Vraie République, le 2 et 3 juin. Le second, qui parut le 11 juin, fut écrit en forme de simple Lettre à Théophile Thoré. Dans le volume des Souvenirs de 1848, on le munit d’un sous-titre : Sur la mise en accusation de Louis Blanc, et pourtant la rédaction de la Vraie République l’avait fait précéder de la petite note que voici : « Cet article n’est pas une défense. Il nous a été envoyé par notre collaborateur avant qu’on connût les projets d’accusation qui en font un article de circonstance. »
  113. Parut dans la Vraie République, le 9 juin, réimprimé aussi dans le volume des Souvenirs de 1848.
  114. V. plus haut, p. 111.
  115. Arnold Ruge, républicain allemand fort connu, dit dans ses Souvenirs de Bakounine (Neue Freie Presse de 1878) que ce fut lui, Ruge, qui avait présenté Bakounine à George Sand ainsi qu’à Chopin.
  116. Cf. avec ce que George Sand dit dans sa lettre inédite à Mazzini que nous avons donnée à la page 16, et avec les lignes du Piccinino citées dans le chapitre vii.
  117. Sobriquet de Victor Borie.
  118. Voir ce que nous avons dit sur cette doctrine de Leroux aux pages 6 et 415 des chapitres i et iv du volume III. Les lignes que nous donnons entre crochets sont tronquées et changées dans la Correspondance, George Sand met les mots en toutes lettres.
  119. On voit par une lettre de Bakounine au poète Herwegh (Voir le volume des Lettres de et à Herwegh publié en 1904) que Bakounine avait envoyé sa lettre par l’intermédiaire de cet « ami allemand », le docteur Müller.
  120. Genève, 1870, H. Georg, chapitre intitulé : les Allemands dans l’émigration européenne, p. 69-60.
  121. Nouvelle Gazelle Rhénane (Neue Kheinische Zeitung), 1848. N° 64.
  122. La première lettre est signée : Bakounine, la seconde : Bacounine.
  123. Nous avons donné dans le chapitre vii du vol. III deux extraits de lettres de George Sand de 1850, nous montrant que Müller l’avait aidée d’abord à transcrire les chants berruyers de Jean Chauvet, le maître chanteur-maçon, pais à arranger les chansons du père Rémy, pour les représentations de Claudie à la Porte-Saint-Martin. Dans les lettres imprimées et inédites de George Sand de 1849 à 1852, il est constamment question de Müller, et on voit combien Mme Sand avait d’amitié pour cet original et sympathique personnage.
  124. Émile Aucante.
  125. La pièce de George Sand tirée de son roman.
  126. A. de Pontmartin, Nouveaux samedis. Paris, 1877, 16e série, 11 novembre 1877.
  127. Paru d’abord dans la Revue de Paris de 1836. Réimprimé dans le volume des Questions d’art et de littérature.
  128. Sobriquet de Louis-Philippe.
  129. Lettre de George Sand à Louis Blanc de novembre 1844. Correspondance, t. II, p. 324-27.
  130. George Sand, sa vie et ses œuvres, vol. II, p. 184.
  131. Abbatucci.
  132. Cette lettre parut d’abord sous le titre de M. Louis-Napoléon jugé par George Sand en 1844 dans YAlmanach populaire de la France pour 1849, (16e année, Pagnerre), que nous avons retrouvé à la Bibliothèque Carnavalet. Puis elle fut réimprimée dans deux brochures répandues par la propagande bonapartiste, un peu avant les élections du 10 décembre 1848, et George Sand protesta dans le journal de Proud’hon, le Peuple, numéro du 6 décembre 1848, contre cet emploi pratique de son épître purement abstraite. Enfin, elle parut dans la Correspondance de George Sand, vol. II, p. 328, mais tronquée, changée, avec omission du dernier passage et à la fausse date de « décembre » 1844.
  133. Du souvenir flatteur que vous avez bien voulu me consacrer.
  134. À en apprécier la réalisation.
  135. Le fait.
  136. Noble.
  137. Dans quelles mains l’avenir la mettra-t-il ?
  138. Ce passage manque dans la Correspondance, et il y est remplacé par les mots : « Nous autres cœurs démocrates nous aurions préféré peut-être être conquis par vous que par tout autre, mais nous n’aurions pas moins été conquis, d’autres diraient délivrés. »
  139. De courage.
  140. Âmes généreuses.
  141. Maintenant.
  142. Désarmé.
  143. Reconnaîtrons.
  144. Cette souveraineté nous paraît incompatible.
  145. Mots ajoutés dans la Correspondance. « Ne nous prouvera le droit d’un seul. »
  146. Puisque les hommes sont méfiants et que la pureté.
  147. La force des lois providentielles qui poussent la France à.
  148. Tirer des mains d’un homme vulgaire pour ne rien dire de pis.
  149. Une autre puissance que celle du commandement.
  150. Sentez.
  151. Grand.
  152. Venait un jour à guérir.
  153. Nous paraissent plus odieuses que jamais.
  154. Nous voyons.
  155. Ce n’est donc pas le nom terrible et magnifique que vous portez qui nous eût séduit.
  156. Grandeur, là est l’aliment de votre âme active.
  157. Vos pensées.
  158. L’eût fait peut-être malgré vous l’exercice du pouvoir.
  159. Mot ajouté : personnellement.
  160. Ceux qui rêvent des temps meilleurs.
  161. Par la pensée.
  162. Encore de liberté.
  163. Mme Hortense Cornu, née Lacroix, sœur de lait et amie intime de Napoléon III, fut mariée au peintre Sébastien-Melchior Cornu et se distingua comme écrivain et traductrice des poètes allemands, sous le pseudonyme de Sébastien Albin. Elle fit paraître en 1843 un travail en deux volumes sur Goethe et Bettina et un peu avant Ballades et chants populaires (anciens et modernes) de l’Allemagne, précédés d’une notice historique. (Gosselin, 1841.)
  164. C’est notre inoubliable amie Mme Maurice Sand qui nous en avait, peu avant sa mort, remis l’autographe pour le copier, afin d’en faire usage pour la suite de notre travail, et de le publier à sa date soit en entier soit en partie.
  165. Mme Rozanne de Curton, mariée en premières noces à M. Bourgoing, amie de George Sand dès 1829-1830.
  166. V. la Revue de Paris du 15 juin 1904.
  167. Mme Rose Chéri, la charmante ingénue du Gymnase, femme du directeur, M. Montigny, jouait surtout les jeunes premières, elle remplissait dans le Mariage de Victorine le rôle de l’héroïne.
  168. Mme Solange Clésinger. Son mari, le sculpteur connu, l’auteur de la Femme au serpent, fut à ce moment très lié avec le comte d’Orsay, qui, comme on le sait, s’était, sur la fin de sa vie, épris de sculpture, travaillait à des bustes de ses contemporains illustres et fut, peu avant sa mort, nommé ministre des Beaux-arts.
  169. Le comte Gédéon-Gaspard-Alfred d’Orsay, que nous venons de citer, le célèbre dandy et arbiter elegantiarum, ami de Byron, connu dans la chronique mondaine de 1820-1850 sous le nom du « beau d’Orsay ». Il passa nombre d’années de sa vie sous le même toit que la non moins célèbre lady Blessington qui donna aussi l’hospitalité à Napoléon III, lors de son séjour à Londres, après sa fuite de Ham. Il est évident que ce service amical ne fut point oublié par Napoléon et, quoique le biographe du comte d’Orsay, le comte de Contades, assure le contraire, d’Orsay jouit toujours d’une certaine influence à l’Élysée, comme nous le verrons bientôt. Il fut aussi très lié avec le prince Jérôme.
  170. Mlle Femand, la jeune première de t’Odéon, qui créa le rôle d’Edmée dans Mauprat en 1853.
  171. George Sand lui dédia son roman d’Adriani.
  172. Alexandre Manceau, graveur de grand talent, qui grava entre autres, en 1850, le portrait le plus connu de George Sand, celui de Couture.
  173. Ce jour est omis dans le volume des Souvenirs et idées.
  174. Mme Clotilde Villetard, née Maréchal, cousine de George Sand.
  175. Cette phrase est aussi omise dans le volume.
  176. Emmanuel Arago.
  177. Nous omettons encore le passage sur cette féerie.
  178. Lovely était le prénom de Mme Emmanuel Arago.
  179. Nous passons ici encore une page consacrée à répéter les bruits politiques qui couraient dans Paris.
  180. Il est permis de douter de l’exactitude de cette dernière assertion quoique effectivement nous n’avons pu retrouver que les quatre ou cinq lettres de Napoléon III, mais d’une part M. Armand Dayot avait, lors de l’impression dans le Figaro des trois lettres que nous avons données plus haut, déclaré que « cette correspondance paraîtrait un jour », et d’autre part George Sand avait jadis cru et déclaré, aussi, « avoir brûlé » les lettres d’Alfred de Musset — et elles ont paru !
  181. Pierre Carlier, né à Sens en 1799, mort en 1858, fut d’abord commerçant à Rouen, puis agent de change à Lyon. Après 1830, il devint commissaire de police à Paris, dirigea plus tard la police municipale et se distingua par la sévérité avec laquelle il réprimait les troubles de la rue. Nommé en 1849 préfet de police, il seconda avec beaucoup de zèle la politique de Louis-Napoléon jusqu’à la veille du coup d’État, et pourtant il résigna ses fonctions peu de jours avant le 2 décembre dont il avait préparé le succès. Membre de la Commission consultative il fut envoyé en province pour sonder l’état politique des départements et, vers la fin de sa vie, nommé conseiller d’État.
  182. Cette lettre doit avoir été adressée à la comtesse Apolline de Villeneuve, femme du cousin de George Sand. (Voir notre vol. I, p. 196.)
  183. Correspondance, vol. III, p. 271.
  184. Mme Eugénie Duvernet était née Ducarteron.
  185. Correspondance, vol. III, p. 262.
  186. Alphonse Fleury.
  187. Jean-Gilbert-Victor Fialin, comte (plus tard duc) de Persigny, né en 1808, mort à Nice en 1872, homme politique et intime ami de Louis-Napoléon, fut d’abord militaire, légitimiste, puis républicain et enfin bonarpartiste, partisan dévoué de Napoléon et favori omnipotent. Il fut nommé ministre de l’Intérieur le 22 janvier 1862.
  188. Correspondance, vol. III, p. 273.
  189. George Sand écrit à son cousin René de Villeneuve, le 31 janvier : « Je vis cachée, afin de pouvoir travailler et suis censée être repartie pour la campagne. »
  190. Dans la Correspondance, vol. III, p. 274, cette lettre est adressée « à M. le chef du cabinet du ministre de l’Intérieur ».
  191. Correspondance, vol. III, p. 279.
  192. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre sans signature, mais qui porte écrit de la main de George Sand : « De la part du Gaulois. » L’auteur de cette lettre annonce à sa correspondante qu’il (Fleury) lui défend de faire des démarches pour lui et ses amis.
  193. C’est aussi une erreur que la date du 14 janvier en tête d’une lettre publiée dans la Revue des Deux Mondes lors de l’impression de la Correspondance de George Sand avec le prince Jérôme.
  194. Lettre inédite, trouvée dans les papiers de George Sand.
  195. Correspondance, t. III, p. 282.
  196. Jacques-Pierre-Charles Abbatucci, né en Corse en 1791, mort en 1867, fut d’abord député, puis président de la Chambre de la cour d’Orléans, puis remplit différentes autres fonctions dans la magistrature, fut ensuite membre de l’Assemblée Constituante (du Loiret) et enfin sénateur et ministre de la Justice. Il reçut ce portefeuille en 1862.
  197. Pierre-Marie Pietri, né aussi en Corse, en 1810, mort à Paris en 1854, d*abord républicain ardent, devint plus tard bonapartiste non moins dévoué, succéda à Carlier dans la préfecture de police, puis fut nommé ministre de la Police et sénateur.
  198. Voir plus loin la lettre à Duvernet du 10, et à Louis-Napoléon du 12 février.
  199. Cette lettre fut écrite en réponse à une lettre datée du 6 février, et gardée dans les papiers de Mme Sand, dans laquelle les Duvernet, lui annonçant que Fleury avait deux fois écrit à sa femme et qu’il refusait de profiter de toute espèce de démarches en sa faveur — de crainte que cela ne nuise à Mme Sand dans l’opinion publique, — mais qu’ils la priaient quand même de persévérer ; puis, ils ajoutaient qu’à La Châtre et à Châteauroux on bavardait déjà sur ses démarches, ce qui avait permis au parti réactionnaire de déclarer qu’on « saurait contrecarrer » les dites démarches, qu’on parlait même déjà du « bannissement de Périgois » ; ils disaient encore que « tout s’organisait à Châteauroux », mais que « ces messieurs faisaient autoriser toutes leurs petites infamies par le ministre de manière à se couvrir ainsi de ce grand mot : les ordres viennent de Paris… » et que « le Grand Lama du pays » était revenu tout déconfit de n’être rien, et s’en dédommageait en jouant le désintéressé et en allant demander des grâces pour le semblant, comme disent les enfants…
    Il est évident que l’entrevue de Mme Sand avec M. de Persigny n’était pas restée sans influence sur cette « déconfiture « du « Grand Lama » de Châteauroux. Cette lettre porte de la main de George Sand : « Answered, le 10 février. »
  200. C’était justement Marc Dufraisse.
  201. C’était Greppo.
  202. C’était Lise Perdiguier, et sa lettre a été gardée par George Sand. Nous avons raconté les relations de George Sand avec les écrivains-prolétaires dans le volume III de notre ouvrage.
  203. Le comte Christophe-Michel Roguet, fils du général François Roguet, naquit à San-Remo en 1800, fut page de Napoléon ! « ’, polytechnicien, servit en Afrique, puis devint aide de camp de Napoléon III, et, après le coup d’État, général de division et commandant de la maison mihtaire, en décembre 1862, sénateur, et enfin en 1868 grand officier de la Légion d’honneur.
  204. Cf. avec la lettre de Marc Dufraisse à Mme Sand, plus bas.
  205. Dans le feuilleton du Temps, écrit le jour même de la mort de Napoléon III et intitulé : Dans les lois (il ne fait pas partie du volume Impressions et souvenirs, comme il le faudrait, mais de celui des Dernières pages), George Sand assure qu’après les premières entrevues avec Napoléon, déjà, elle se crut jouée et ne voulut plus le revoir, « …J’ai quitté Paris et manqué & un rendez-vous donné par lui. On ne m’a pas dit : « Le roi a failli attendre », on m’a écrit : « L’empereur a attendu… » — Le lecteur verra que c’est de l’histoire… comme on en écrit !
  206. Ce furent les ministres de l’Intérieur, de la Guerre et de la Justice.
  207. « On », c’est-à-dire M. de Persigny lui-même.
  208. Le comte Achille Baraguay d’Hilliers, né à Paris en 1795, militaire dès son plus jeune âge, eut le poignet emporté à la bataille de Leipzig, servit en Afrique, fut commandant à Constantine, puis à Besançon ; ayant quitté la service il fut représentant à la Constituante, puis à la Législative. S’étant rapproché de l’Élysée il remplaça le général Hautpoul à Rome, puis remplit les fonctions de commandant de l’armée du Rhin, appuya le coup d’État, se distingua dans la guerre avec la Russie, fit la campagne d’Italie où il gagna la bataille de Mariguan, fut maréchal de France, sénateur et vice président du Sénat. Il mourut en 1878.
  209. Alexandre Erdan, rédacteur de l’Événement.
  210. Mme Sand avait avancé pour motif de sa demande la nécessité de la présence de M. Aucante à Nohant pour les intérêts de la « gestion du dit domaine ».
  211. Cette lettre existe toujours.
  212. Lettre inédite de Ch. Abbatucci — alors garde des sceaux — du 13 avril 1852.
  213. Clésinger, mari de Solange, la fille de Mme Sand.
  214. Eugène Lambert.
  215. C’est-à-dire le prince Napoléon-Jérôme.
  216. Émile Ollivier.
  217. La célèbre amie de d’Orsay, lady Blessington, fut en son temps une beauté remarquable et une élégante de haute lice, puis la première éditrice des « keepsakes » et d’albums de beauties. Elle fit un livre sur Byron qu’elle avait beaucoup connu et écrivit quelques romans médiocres. Son salon, tant en France qu’en Angleterre, était des plus brillants. Elle ne survécut pas à sa ruine, ne put se consoler de vieillir et mourut en 1849 subitement, — on présume que ce fut un suicide.
  218. Voir plus haut, p. 168.
  219. Voir plus haut, p. 178.
  220. Journal de 1861, samedi, 6 décembre.
  221. Lettre inédite de Fulbert Martin à Bocage, datée du 11 février 1852 du fort de Bicêtre.
  222. Histoire de ma vie, t. IV, p. 313-315.
  223. Edgard Quinet : Lettres d’exil.
  224. Nous avons pu lire toutes les lettres écrites en exil par M. Périgois à Mme Sand, ainsi que de nouveaux amas de correspondances à son propos et à propos de Patureau entre Mme Sand et MM. Pietri, Delangle et autres.
  225. Correspondance, t. IV, lettre à M. Frédéric Villot du 4 septembre 1858. Voir aussi les Nouvelles lettres d’un voyageur, les Amis disparus : Patureau-Francœur.
  226. En 1852 Patureau-Francœur avait dû être arrêté en même temps que Lumet et les autres ; mais il parvint à rester caché jusqu’à ce que George Sand eût réussi à le faire graciée. Après la mort de Patureau, qui passa ses dernières années à Constantine, Mme Sand raconta dans la touchante nécrologie que nous venons de citer, comment il se cachait pendant vingt jours dans une grange, ne sortant que la nuit, protégé par la pitié généreuse et le respect des berrichons et surtout des paysannes berrichonnes. Parmi ses lettres à Mme Sand nous en avons trouvé une écrite de cette grange, et dans cette lettre un mot charmant de précision : Patureau dit entendre tout le temps le gazouillis des hirondelles juste au-dessus de sa tête, mais ne pas les voir, car il n’osait point, ne fût-ce une seconde, sortie sa tête de dessous le toit qui le protégeait.
  227. Dans le chapitre sur George Sand et les poètes prolétaires dans notre vol. III.
  228. Correspondance, t. IV, p. 110. La lettre du 6 octobre 1857 À S. M. l’Impératrice Eugénie, et la suivante, à la même, du 30 octobre.
  229. Cette lettre est adressée : Madame, Madame George Sand, chez M. Charles Poncy, à Toulon (Var).
  230. Cette opinion fit le tour de la presse européenne et y a si bien pris racine que tout dernièrement encore le London Telegraph en parlait comme d’un fait avéré.
  231. Correspondance, t. V, p. 384-385. Voir aussi, à ce sujet, à la page suivante de la Correspondance, la lettre au docteur Favre.
  232. Pseudonyme du critique de la Liberté.
  233. Malgrétout, p. 213-216.
  234. Impressions et souvenirs, t. II, p. 35.
  235. Lettres inédites de Charles Edmond à George Sand du 16, 23 et 24 janvier 1873. Les deux dernières renferment des jugements plus que curieux sur le prince Jérôme et sur toute la famille des Bonaparte.
  236. Lettre inédite de Charles Edmond du 6 février 1873. Voir plus haut, p. 210. Ce feuilleton ne fait pas partie — on ne sait pas trop pourquoi — du volume des Impressions et Souvenirs, mais de celui des Dernières Pages.
  237. Cf. avec ce qui a été dit plus haut, p, 210-214.
  238. Sylvanie Arnould-Plessy, foudroyée par la trahison et la brutale grossièreté de son amant infidèle, sauvée du désespoir par l’illustre femme qui la poussa à étudier les sciences naturelles, à oublier son pauvre petit moi au milieu de la grande Nature — dans l’une de ses lettres pleines d’une gratitude enthousiaste, parlait en ces termes du roman de Valvèdre, où George Sand avait, avec le plus de netteté, dit sa pensée sur le travail qui nous sauve et la science qui nous ennoblit et nous élève : « …Je vais vous remercier plus particulièrement encore de Valvèdre que de tout le reste. « Ce livre est pour moi moral et poétique au dernier point. J’en admire tous les sentiments, toutes les idées et votre héros (le Travail) me paraît aussi le Dieu qu’il faut apprendre à aimer dès l’enfance et le grand générateur de toutes les vertus. « Cette vérité, qui devrait être banale, est ignorée de presque toutes les femmes, et vous la rendez si saisissable, vous employez pour convaincre des paroles si douces que la lecture de ce livre doit faire du bien. « Moi, je vous félicite, je vous remercie, je vous fais mon plus beau compliment, parce que j’ai été attendrie et parce qu’après la lecture, à la réflexion, le charme n’a fait que croître. « Adieu, grande maman du public ! « Et que Dieu vous garde et vous bénisse. »
  239. Voir la lettre à Flaubert du 18 septembre 1868, Cf. Correspondance, t. V. p. 276-277 et Correspondance entre George Sand et Gustave Flauhert, p. 130 et suivantes.
  240. Lettres inédites de Georçe Sand à Charles Edmond et à Charles Duvernet du 8 septembre 1857.
  241. Voir plus haut p. 239.
  242. Voir George Sand, sa vie et ses œuvres, t. I, p. 97-99
  243. C’est nous qui soulignons.
  244. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, vol. II, p. 143-146.
  245. George Sand, sa vie, etc., t. Ier, p. 124.
  246. V. George Sand, sa vie, etc., vol. III, chap. vi, p. 509.
  247. C’est tout à fait la manière de procéder pratiquée de nos jours par les sociétaires du Théâtre Artistique de Moscou.
  248. V. plus haut la lettre à Augustine datée du 28 avril 1861.
  249. V. le vol. précédent, chap. vi.
  250. V. la préface du Château des Désertes.
  251. Pour remercier George Sand de ce succès moral et matériel remporté par son théâtre, Bocage commanda au peintre Adolphe Leleux et fit cadeau à Mme Sand d’un tableau représentant la scène du Champi, où Jacques Bonnin demande la main de Mariette, la coquette nièce de Madeleine Blanchet. (V. l’article de M. Clément de Ris dans l’Événement du 29 avril 1850.)
  252. Cette pièce, quoique refaite plus tard, ne fut pas jouée et ne fut qu’imprimée dans la Presse en décembre 1851 et janvier 1852.
  253. Le Château des Désertes, l’Homme de Neige, le Diable aux champs, Pierre qui roule, etc., etc.
  254. C’était Nello, la première version de Maître Favilla.
  255. Léon Villevieille, peintre, ami de Maurice et de Lambert. On lui donnait à Nohant le sobriquet de Paloignon.
  256. Bien sûr une pièce de Paul-Henri Foucher, auteur dramatique de l’époque fort connu.
  257. Francis Ponsard.
  258. Gounod avait alors l’intention de faire un opéra tiré de l’un des contes champêtres de George Sand et dont le texte devait être écrit par Ponsard. Mais le mariage de Gounod et sa querelle avec les époux Viardot qui suivit, rompit aussi complètement les relations entre le grand compositeur et George Sand, et cette affaire tomba à l’eau. Ce fut Gounod néanmoins qui écrivit la musique d’une autre pièce de George Sand : Maître Favilla.
  259. Publié déjà dans la Rousskaya Mysl en septembre 1904.
  260. Lettre inédite à Mme Augustine de Bertholdi du 24 février 1851.
  261. Cette seconde lettre de Flaubert, datée du 10 mars, est arbitrairement fondue, dans le volume de la Correspondance de George Sand et de Flaubert publiée en 1904, en une seule avec la précédente, datée du 8 mars, comme si c’en était la seconde moitié, tandis qu’il est de toute évidence qu’elle répond à la réponse de George Sand du 9 mars : « Tu méprises Sedaine, gros profane ! voilà où la doctrine de la forme te crève les yeux. » C’est ainsi que Mme Sand commence sa lettre et elle la termine par les mots (qui sont une réponse aux derniers mots de la lettre de Flaubert du 8 mars : « Lisez donc le nouveau roman de Zola Son Excellence Eugène Rougon, je suis curieux de savoir ce que vous en pensez. « ) : « Dis donc à M. Zola de m’envoyer son livre ; je le lirai certainement avec grand intérêt. » Et Flaubert commence sa lettre du 10 mars par les mots : « Non, je ne méprise pas Sedaine, parce que je ne méprise pas ce que je ne comprends pas… » et il la termine ainsi que suit : « J’ai écrit à Zola pour qu’il vous envoie son bouquin… » (V. Corresp. de G. Sand et Flaubert, 1904, Paris, Lévy, p. 446-449.)
  262. Dans la pièce imprimée dans le volume II du Théâtre de George Sand ce mot est remplacé par le mot spectacle.
  263. C’est ainsi que la phrase est exactement transcrite dans la Lettre de George Sand à M. Jules Lecomte. Dans le vol. II du Théâtre on lit : Elle les a vus au théâtre ou dans les romans. Un tas de chenapans qui font et disent les choses les plus bêtes. »
  264. Lafontaine avait joué le jeune premier de la pièce, le Marquis.
  265. Lemaître.
  266. V. plus loin la lettre inédite de îlme Sand à propos du changement apporté par Rouvière dans la dernière scène de Favilla, ce qui exigea aussi un changement dans le décor et la mise en scène de cet acte.
  267. Inédite.
  268. Mme Sand écrit à son fils, à propos de ce projet jamais exécuté, la très intéressante lettre que voici :
    « …Tu me dis que tu as vu Frédéric, Hetzel de son côté, doit l’avoir vu, et doit lui avoir remis le manuscrit. Revois-le, je te prie, et dis-lui que je serai enchantée de le recevoir, que je ferai tous les changements qu’il jugera convenables, et que je lui ferai tous les rôles qu’il me demandera et m’indiquera un peu. Quand on a la bonne volonté d’un artiste comme lui, cela rend le courage. Mais dis-lui que la Porte Saint-Martin m’a demandé Mauprat et que j’ai promis. On veut le jouer en septembre. C’est précisément le temps où il doit lui-même jouer Nello aux Variétés. S’il voulait jouer Jean le Tors, j’en ferais un personnage plus développé qu’il ne l’est dans le roman. Mais alors, il faudrait changer l’époque de la représentation de Nello ou celle de Mauprat. Qu’il vienne me voir, nous tâcherons d’arranger tout à sa satisfaction. Mais il faudrait que ce fût dans le courant de mai, car je ne peux guère me mettre à l’ouvrage plus tard. S’il voulait essayer Nello ici, nous lui donnerions bien la réplique. Lambert ferait Hermann et tu nous amènerais une jeune première quelconque. Dis-lui que s’il nous donnait huit ou dix jours, nous ferions peut-être de Nello un chef-d’œuvre, avec ses idées et sa création, et qu’en causant avec lui je serais capable d’en faire d’autres pour lui.
    « Dis-lui donc de lire Marielle dans la Revue de Paris et demande-lui si, en retranchant l’acte du déjeuner qui ressemble à Molière, et en arrangeant certaines parties, il ne pourrait pas jouer cela. C’est un rôle que Marielle ! Les journaux qui l’ont loué, ne pourraient plus le démolir. Aux Variétés nous aurions Paulin Ménier pour jouer Florimond, Mlle Clarisse pourrait jouer Sylvia qui est une fille de trente ans, je crois. Les ressemblances avec Molière seraient à changer. On en viendrait à bout… »
  269. Léopold Barré, acteur.
  270. Gustave Vaëz.
  271. Édouard Charton.
  272. Homme d’affaires de Mme Sand.
  273. Jules-Isaac Mirès, grand brasseur d’affaires (1809-1871).
  274. Collier l’éditeur. V. le chap. suivant.
  275. Corresp., t. IV, p. 68.
  276. Jules-Jean-Baptiste-Hippolyte Hostein.
  277. Charles Isarrey.
  278. Corresp., t. IV, p. 88.
  279. Edmond Plauchut, écrivain fort connu, collaborateur fidèle du Temps et de la Revue des Deux Mondes, né en 1814, mort en 1909.
  280. Autour de Nohant.
  281. V. plus haut chap. viii, p. 148-153.
  282. M. Francis Laur prétendit plus tard que ce fut lui qui raconta un jour à George Sand une histoire qui fut le germe d’où sortit ce roman. Ceci est inexact. Les faits prouvent autre chose.
  283. Charles-Edmond Choïecki naquit en novembre 1822 et mourut en 1899, à Paris. Nous avons déjà parlé de lui dans le chap. ix de ce volume.
  284. Voyage dans les mers du Nord.
  285. Bien certainement qu’après avoir pris connaissance des livres envoyés par Choïecki, George Sand vit nue « Stelleborg « était un nom bon tout au plus pour le théâtre des marionnettes de Nohant, qu’en suédois « Stelleborg » ne signifie rien, qu’il aurait fallu dire Stierneborg pour Château des Étoiles — mot qui écorcherait les oreilles françaises — et en rejetant son premier titre, elle intitula son roman l’Homme de Neige. À ce propos il faut noter que le « bibliophile Isaac » (le vicomte de Spœlberch) cite à la p. 32 de son Étude bibliographique sur les œuvres de George Sand, le Château des Étoiles, parmi les « ouvrages annoncés qui n’ont jamais paru ». Or, il est évident qu’il ne faut nullement l’inscrire dans ce nombre, ce roman et l’Homme de Neige ne faisant qu’un.
  286. Ce roman parut dans la Presse à la fin de 1857. V. plus loin, chap. xi.
  287. Il faut noter que George Sand rentra par ce roman à la Revue des Deux-Mondes, où ses œuvres ne paraissaient plus depuis 1841. (V. notre vol. III, p. 230-234, 256 et suiv.) Ce rapprochement de l’écrivain avec la revue s’effectua un peu contre le désir de Mme Sand et seulement grâce à ce que Charles-Edmond ayant déjà payé le manuscrit que la Presse ne pouvait payer comptant, il le céda au directeur de la Revue des Deux Mondes. Ce fut donc pour le Château des Étoiles à peu près la même histoire que pour le Château des Désertes en 1851. Mais à partir de 1868 les romans de Mme Sand commencèrent à réapparaître de plus en plus souvent dans la revue de Buloz et finirent par y reprendre leur résidence fixe.
  288. À comparer avec la lettre du 17 décembre 1857 au prince Jérôme dans laquelle Mme Sand déclare qu’en « lisant son voyage dans le Nord, son imagination était très allumée ».
  289. À Gargilesse. Nous racontons dans le chapitre suivant comment Manceau avait acheté un pied-à-terre dans ce village, pour que Mme Sand eût un lieu de repos et de travail tranquille pendant ses courses aux bords de la Creuse renouvelées en 1857 après une interruption de dix années.
  290. Tout le passage de la lettre du 9 janvier que nous entourons de crochets est médit, il manque dans le vol. IV de la Correspondance, où il devrait faire suite aux lignes imprimées à la p. 127.
  291. Correspondance, t. IV, p. 135.
  292. C’est ainsi que Mme Sand appelait un minuscule jardinet qu’elle piochait et ratissait elle-même dans le parc de Nohant ; elle lavait arrangé pour la petite Nini Clésinger, mais à cette place même sa mère, Mme Sophie Dupin, avait jadis arrangé un petit jardin fantastique avec grotte et cascade pour la future George Sand, alors une enfant de huit ou neuf ans. (V. l’Histoire de ma vie, t. II, p. 275-279.)
  293. V. plus loin chap. xi, p. 369.
  294. Henri Sylvain, cocher de George Sand (v. notre vol. III, p. 659).
  295. Nous avons raconté dans notre vol. II comment George Sand avait en passant répondu dans la Préface de Jean de la Roche aux récriminations des habitants de La Châtre qui avaient reconnu leur ville, le vrai but de cette préface ayant été de répondre aux procédés hostiles de Paul de Musset qui avait reconnu dans Elle et Lui le portrait de son frère Alfred et les détails de son roman vécu.
  296. Rose et Blanche ou la Comédienne et la Religieuse (v. notre vol. Ier p. 336-340).
  297. C’est sous ce titre que le roman fut publié par Hetzel en Belgique, avant sa publication dans le Siècle.
  298. Imprimé dans le même volume que Fronda, c’est un proverbe, écrit en 1872.
  299. V. la lettre de George Sand à M. Chilly datée du 4 avril 1862. (L’Entracte du 6 avril 1862.)
  300. Mlle La Quintinie fut jouée au Théâtre des Arts à Bruxelles.
  301. Mme Sand écrivait quelques jours plus tard à sa belle-fille à Paris : « Manceau a dû écrire ce matin à Maurice que tout le mobilier était arrivé sain et sauf. Il a passé la journée entière, ce pauvre Pérégrinus, à déballer, ranger, séparer et en somme tout est admirablement placé sous la main et vous n’avez plus qu’à distribuer comme vous l’entendrez… Je me porte bien et Pérégrinus pas mal… »
  302. Plutus fut en effet publié dans le numéro du 1" janvier 1863 de la Revue des Deux Mondes.
  303. Lettre du 28 novembre 1862 (Revue de Paris du 1er octobre 1899).
  304. Il est très intéressant de lire à ce propos sa lettre du 23 août 1859 à Bocage, imprimée dans le recueil des Lettres autographes composant la collection de M. Alfred Bovet, décrites par Étienne Charavay, ouvrage imprimé sous la direction de Fernand Calmettes. (Paris, Charavay, 1882, in-4"). À cf. aussi avec sa lettre à Maurice du 10 juin 1858 (Corresp., t. IV, p. 169-141) où elle parle avec une bonhomie pleine de gaieté du peu de succès de ses pièces.
  305. Nous avons déjà dit dans le chap. ix du vol. II de notre travail que le volume des Lettres d’un voyageur réunit : 1° les trois lettres, toutes lyriques, à Musset ; 2° des épanchements non moins lyriques et des réflexions élégiaques adressées à Néraud et Rollinat ; 3° une lettre politique à Everard (Michel de Bourges) ; 4° les impressions du voyage en Suisse et du jeu de Liszt racontées à Herbert (Charles Didier) ; 5° une lettre sur la phrénologie (à Liszt) ; 6° l’analyse critico-musicale des opéras de Meyerbeer et des œuvres de Berlioz (lettre à Meyerbeer) et enfin 7° un écrit polémique pro domo sua contre Nisard.
  306. Mme Sand indique plus loin, que la sixième Lettre d’un voyageur était intitulée Lettres d’un oncle. Cette indication n’est pas tout à fait exacte, de même qu’est inexacte l’indication, donnée plus haut, des lettres de « septembre 1834 et janvier 1835 ». Quoique nous l’ayons déjà dit dans le chap. x de notre deuxième volume, nous croyons indispensable de donner ici les dates, l’ordre et le numérotage des Lettres lors de leur première impression dans la Revue des Deux Mondes et les numéros sous lesquels elles sont réimprimées dans toutes les éditions des œuvres de George Sand depuis 1842 :
    Revue des Deux Mondes Dans le volume Datées de :
    du 15 mai 1834, N° I
    15 juillet 1834, N° II à M***
    15 sept. 1834, N° III
    I
    II
    III
    Venise, 1er mai 1834.
    Sans date.
    Venise, juin 1834
    13 janvier 1835 : Lettres d’un Oncle.
    15 juin 1835, N° IV (à Everard)
    1er septembre 1835, N° V
    V (à Rollinat)
    VI à Everard (Michel)
    VII à Fr. Listz
    Janvier 1835.

    11, 15, 18, 20, 22, 23, 26, 29 avril 1835.
    Sur Lavater et une maison déserte.

    1er juin 1836, N° VI










    15 octobre 1836, Le Prince (M. de Talleyrand).

    nos IV et IX au Malgache et à Rollinat










    N° VIII

    Septembre 1835 :

    lundi soir
    mercredi soir
    jeudi
    vendredi, à Rollinat
    samedi
    au Malgache
    à Rollinat
    au Malgache, 15 mai 1836.
    introduction :
    minuit, six heures du matin dans ma chambre. Prière d’une matinée de printemps.

    15 novembre 1836, N° VII, à Charles Didier. X à Herbert Versailles, Auteuil, 2 sept. 1836,

    de Chalon à Lyon, Nantua, Genève, Fribourg.

    15 novembre 1836, N° VIII

    La Revue de Paris, de mai 1836, Lettre à M. Nisard.

    XI à Meyerbeer

    N° XII

    Genève, septembre 1836.

    Sans date.

    
    
  307. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, vol. II, chap. xiii, p. 433-34.
  308. Allusion évidente à Aurélien de Sèze.
  309. Adolphe Dutheil.
  310. Stéphane Ajasson de Grandsagne (V. notre vol. Ier, p. 196-98,286-361, et vol. III de l’Histoire de ma vie, p. 327, 330, 334.)
  311. Gustave Papet.
  312. James Duplessis (V. notre vol. Ier, p. 216-220, et vol. III, p. 67).
  313. Zoé Leroy (V. vol. Ier, p. 264).
  314. C’est-à-dire que Zoé la montrerait encore à Aurélien de Sèze à qui Aurore Dudevant ne voulait point être rappelée à ce moment.
  315. Jane Bazouin (V. notre vol. Ier, p. 180, 250, 253, 259, 316).
  316. Cf. avec ce qui a été dit à la page 93 de notre premier volume, surtout la note à cette page.
  317. Nous avons raconté dans le chap. iv de notre premier volume comment la mère d’Aurore Dupin, après la mort de son aïeule, se mit à gouverner l’existence de sa fille et comment elle débuta dans ce rôle en la privant de son chien favori, de son petit groom et en jetant par la fenêtre tous ses livres.
  318. N’oublions pas que celle qui écrivait ces lignes avait à ce moment à peine vingt-trois ans !
  319. V. notre vol. Ier, p. 269-270.
  320. V. notre vol. Ier, p, 301-302, et l’ Histoire de ma vie, p. 69-60, vol. IV.
  321. George Sand fit encore paraître dans ce même journal (le Temps de 1875-76) quelques esquisses biographiques ou autobiographiques se rapportant à des épisodes de sa vie ou à des personnages qu’elle avait rencontrés, tels sont : Voyage chez M. Blaise (ce M. Blaise est Adolphe Duplomb selon les uns et selon d’autres M. Biaise Meure, en 1831 substitut à La Châtre, plus tard procureur à Clamecy), la Blonde Phœbé, Une nuit d’hiver, etc., etc.
  322. V. notre vol. III, chap. vi.
  323. Il faut noter ce chiffre ; il précise d’une manière parfaitement exacte qu’à partir de 1844 (1869 — 1844 = 25) on ne trouve dans l’Histoire de ma vie que peu de données biographiques et de faits.
  324. V. plus loin les lettres de Mme Sand à son fils et à Dumas fils.
  325. La préface à « Deux jours dans le monde des papillons, par Maurice Sand » parut dans le numéro du 15 février de la Revue de Paris de 1855.
  326. Plus tard, en 1857 ou 1858 Émile Aucante s’installa définitivement à Paris et y fonda une agence littéraire ayant pour but de faciliter les rapports entre les écrivains et les éditeurs. Et George Sand fit paraître dans la Presse du 21 juin 1858 une Lettre (datée du 7 juin) adressée à M. Émile Aucante, par laquelle elle invitait tous les gens de lettres à soutenir de leur concours l’entreprise si sympathique de son jeune ami.
  327. C’est-à-dire ses dessins des personnages de la Comédie italienne qui, plus tard, en 1859, parurent en deux volumes sous le titre de Masques et Bouffons avec une préface de George Sand.
  328. Émile Aucante.
  329. Nous avons déjà dit dans le chap. ix que cette princesse invitait toujours Manceau lorsqu’elle invitait Mme Sand.
  330. La lettre est du 30 janvier, la petite Jeanne mourut le 13 !
  331. Lettres inédites de Mme Sand : à Victor Borie du 16, à Maurice des 23 et 26 février 1855 et lettres imprimées : à Édouard Charton du 14 février, à Augustine de Bertholdi idem, à Maurice du 24 février et à Mlle Leroyer de Chantepie du 27 février.
  332. Lettres inédites de Mme Sand à Maurice du 23 mai, adressée à Tourin, du 10 juin à Toulon, des 17, 26, 26 et 29 juin à Guillery.
  333. Terre et Ciel, par Jean Reynaud. Paris, Fume, Jouvet et Cie, in-8°, 1855.
  334. Hippolyte Chatiron mourut le 26 décembre 1848, Chopin le 17 octobre 1849, Mme Maréchal le 8 mai 1851, Gabriel de Planet le 30 décembre 1863, Jeanne le 13 janvier 1865 et Jules Néraud le 11 avril de la même année. Ajoutons que l’ami de la jeunesse d’Aurore Dupin, Stéphane Ajasson, était mort en 1847.
  335. Le roman parut dans la Presse en 1867.
  336. Parut dans le Monde illustré de 1857.
  337. Fut publié dans la Revue des Deux Mondes de 1859.
  338. V. notre vol. II, p. 103-104.
  339. Parut dans la Revue des Deux Mondes en 1859.
  340. Ce dernier article parut dans la Presse du 5 juillet 1865 ; « les Jardins en Italie » et « les Bois « dans le Magasin pittoresque de 1856, et « la Villa Pamphili » dans le journal niçois la Terre promise du 8 décembre 1857. Cet article comme aussi le morceau inédit Les Loges de Raphaël, fut enlevé du manuscrit de la Daniella. Tous ces articles sont réimprimés dans les œuvres complètes de G. Sand dans les volumes : Nouvelles Lettres d’un voyageur et Flavie.
  341. Lettre à Eugène Lambert (Corr., t. IV).
  342. Jules Néraud, auquel ces lignes étaient adressées, était, comme nous savons, un éminent botaniste.
  343. Il est très intéressant de confronter ce passage avec la description du lieu habité par Valreg, le héros du roman, dans Daniella (t. P, p. 119-121, 123-127, 271-278)
  344. Corresp., vol. IV, p. 97-99.
  345. Émile Aucante.
  346. V. plus loin p. 382.
  347. Cette lettre parut dans le Siècle du 18 mars 1857.
  348. Cette expression se rapporte aux lignes de Daniella ; « Mais quoi, pensais-je, en m’arrachant au charme qui me dominait, ce vaste ciel et ces sales décombres, ces fleurs luxuriantes et ces égouts infects, ces yeux enivrants et ces cœurs souillés, n’est-ce pas là toute l’Italie, vierge prostituée à tous les bandits de l’univers, immortelle beauté que rien ne peut détruire, mais qu’aussi rien ne saurait purifier ? ». » (Daniella, t. Ier, p. 217).
  349. On lit à la page 87 du t. Il de Daniella :
    « …Je remarquai, au bout d’un instant, que le prince et le docteur n’étaient nullement d’accord sur les moyens de sauver l’Italie. Plus logique et plus courageux d’esprit que son ami, le docteur voulait renverser les vieux pouvoirs. Le prince, aussi hardi de caractère que timide de principes, ne s’en prenait qu’aux abus, et rêvait un retour à l’Italie de Léon X et des Médicis, sans vouloir avouer que ces abus avaient pris d’autant plus d’essor et de licence que Rome et Florence avaient eu plus d’éclat, d’artistes, de luxe et d’aristocratie. Quant à son gouvernement napolitain, il en parlait avec horreur et mépris, mais sans pouvoir admettre l’idée de remplacer l’autorité absolue par une constitution démocratique. Il avait vu la populace de son pays se faire l’exécuteur des hautes œuvres de la tyrannie, et il ne pouvait sacrifier la répugnance trop fondée du fait à l’enthousiasme du principe. J’en concluais, en moi-même, que là où des natures bienveillantes et sincères comme celle de ce prince avaient le peuple en aversion, c’était la faute du peuple et qu’un critérium de l’état de maturité de la démocratie d’un pays devrait être la confiance qu’elle inspire aux esprits élevés ou aux cœurs aimants. On pourrait dire à un peuple : « Dis-moi de qui tu es aimé, et je te « dirai qui tu es. » Je crois que de Maistre a dit « qu’un peuple a toujours « le gouvernement qu’il mérite d’avoir. »
  350. Cette lettre à l’impératrice, datée du 9 décembre, fut remise aux bons soins de Mme de Contades qui, ainsi que le comte d’Aure, MM. Damas-Hinard et le baron de Pierre, avait maintes fois aidé Mme Sand dans ses démarches auprès de l’impératrice. La lettre touchante de Mme Sand à Mme de Contades, datée de ce même 9 décembre, reste inédite.
  351. La Daniella s’appelait d’abord Jean Valrey-roman-voyage et l’introduction manuscrite primitive est tout autre que celle qui fut publiée et qui s’imprime en tête du roman depuis 1857.
  352. Remarquons qu’en 1856 parut dans le Magasin pittoresque un article anonyme intitulé la Maison déserte, dont George Sand se reconnut plus tard l’auteur. C’est ainsi que pendant plus de vingt ans George Sand resta fidèle à cette passion pour une maison déserte, rêve fait déjà en 1835-36. ( Voir notre vol. II, p. 249-250.)
  353. Ces articles parurent dans la Presse du 24 juin ou 25 octobre 1856 sous le titre de Autour de la table ; puis furent réimprimés en volume sous le même titre.
  354. Lors de l’impression de ces pages sous le titre primitif de Courrier de village dans le Courrier français, il se trouvait à cet endroit dans le texte de Mme Sand une assez longue digression sur le réalisme, qui fut supprimée quand les Promenades autour d’un village parurent en volume. Ce morceau fut réimprimé plus tard dans les Questions d’art et de littérature sous le titre de Réalisme. Il renferme quelques pages fort intéressantes consacrées à l’analyse et à la défense de Madare Bovary, de Flaubert.
  355. Remarquons qu’au moment où parurent ces lignes, il n’y avait que les Paysans de Balzac qui existaient en littérature ; la Terre, de Zola, n’avait pas encore réjoui le monde des humains par son apparition.
  356. Mme Sand avait, elle aussi, toujours eu une passion pour les ruisseaux ; elle écrivit deux petites bluettes charmantes consacrées Spécialement à leur murmure, leur babillage ; l’un de ces morceaux, le Ruisseau, fit partie du recueil le Keepsake édité en 1854 à Londres par miss Power ; l’autre parut dans la Revue des Deux Mondes de 1863 sous le titre de Ce que dit le ruis- ruisseau. Il fut dédié à Manceau. (Voir plus loin chap. xii.) Nous en possédons l’autographe qui nous fut donné par M. Émile Aucante. — W. K.
  357. Expression fort en usage alors à Nohant parmi les jeunes peintres. (Cf. la Correspondance, t, IV, avec ce que George Sand dit à la page 43 des Promenades autour d’un village et dans la Daniella.)
  358. En 1846. Voir notre vol. III, chap. vi.
  359. Cf. avec ce que Mme Sand dit dans les Promenades autour un village à la page. 46, à propos des paysages italiens et des comparaisons avec les sites au centre de la France faites par Manceau et Maurice.
  360. Êtres fantastiques que Maurice Sand avait esquissés entre autres dans ses Visions à la campagne exposées au Salon en 1857 et qui parurent l’année suivante en volume avec une préface de George Sand. Voir notre vol. III, chap. VII.
  361. Émile Aucante.
  362. Dans une lettre au prince Jérôme Mme Sand appelle Manceau : « Mon fidèle tête-à-tête. »
  363. Inédite.
  364. Inédite.
  365. La lettre est datée du 14 dans la Correspondance, mais elle fut écrite le 13. Mme Sand partit de Nohant le 10 janvier, elle passa à Gargilesse le 11 (le lendemain) et le 12 (le surlendemain) et enfin elle est partie de Gargilesse le 13 (« ce matin »).
  366. À consulter, sur les relations entre le directeur de cette Revue et Mme Sand, le très intéressant ouvrage de Mme M.-L. Pailleron, paru au moment où notre livre était déjà terminé. Nous renvoyons aussi le lecteur au chapitre iii de notre troisième volume.
  367. Voir plus haut, p. 150-151, 191-196, 209, 230.
  368. Nom d’un personnage de la Comédie italienne qu’on avait donné comme sobriquet au cocher de Mme Sand.
  369. Ce même journal nous apprend que « toute la correction de Elle et Lui est terminée le 1er juin » et « on part de Gargilesse pour retourner à Nohant ».
  370. Les articles sur Fenimore Cooper, Mme Allart, la Joconde gravée par Calamatta, sur les deux livres de Fromentin : Un été dans le Sahel et Une année dans le Sahara, sur Balzac, Béranger, etc., etc.
  371. Narcisse.
  372. C’est-à-dire le texte de ses dessins fantastiques Visions dans les campagnes.
  373. Mme Sand s’était tellement engouée de Gargilesse (qu’elle lui prédisait même dans ses articles un brillant avenir comme station balnéaire.
  374. Cette « Marie » était Marie Caillaud, qui joua plus tard un grand rôle à Nohant. Elle avait commencé par être gardeuse de basse-cour et laveuse de vaisselle ; puis Mme Sand se mit à lui enseigner à lire et à écrire, lui trouvant une rare intelligence ; plus tard elle la prit comme femme de chambre ; enfin Marie Caillaud joua la comédie à Nohant, devint une très bonne actrice et participa à toutes les représentations et fêtes organisées par les jeunes gens de la maison. Plus tard elle épousa l’un de ces jeunes gens. Nous la retrouverons dans le chapitre suivant.
  375. C’étaient les épreuves de l’Homme de neige.
  376. La pièce a été faite d’abord en quatre actes, puis refaite en cinq, puis de nouveau resserrée en quatre actes.
  377. Nous analysons la pièce à la suite du roman, ici, pour ne plus y revenir, quoique la comédie ne fût jouée qu’en 1864, et par cela même revient au chapitre suivant, où l’on trouvera les détails sur les premières représentations et sur les causes réelles de son succès.
  378. Voir notre vol. I, chap. i.
  379. On lit en note à la lettre de George Sand du 14 février 1861 (dans laquelle elle décrit son excursion à Montluçon et dit que « cela rentre dans son métier d’écrivain ») : « Mme Sand préparait alors son roman la Ville noire. Or, ce roman avait déjà paru en 1860. Donc les explications de M. Brothier — ingénieur à Montluçon — et les visites aux usines ne purent lui servir que pour quelques corrections ou quelques vérifications pour une nouvelle édition de ce roman. Nous avons aussi dit dans le chap. iii de notre précédent volume que Mme Sand avait peint, sous les traits d’Audebert, le vieux poète prolétaire Magu, mort en 1859.
  380. Voir notre vol. I et l’Histoire de ma vie, vol. III.
  381. Lettre du 17 octobre 1862.
  382. Lettre du 23 octobre 1862.
  383. Lettre du 27 octobre 1862.
  384. Mme B…, fille de M. Édouard Rodrigues.
  385. Voir Correspondance, t. V.
  386. Ces deux articles portaient le titre : Monsieur Maillard et ses travaux sur l’île de la Réunion dans la Revue des Deux Mondes ; en volume ils sont intitulés : Un cyclone à l’île de la Réunion et Conchyliologie de l’île de la Réunion.
  387. L’Anglaise qui remplace, dans cette pièce tirée de Tévérino, le curé si comique et si sympathique du roman.
  388. Mme Sand écrit dans sa lettre du 20 novembre 1861 (ce passage manque dans le vol. IV de sa Correspondance imprimée, il doit être placé à la p. 298 à la suite des mots se rapportant à Marchai : « Il nous a fait à tous nos portraits merveilleux, charmants comme dessin, et d’une ressemblance que les portraits n’ont jamais eue. Il ne se doutait pas de ça, lui il est tout étonné d’avoir réussi. ») : « Le mien de portrait est un chef-d’œuvre ; de même ceux de Maurice et de Manceau, et ceux de Véron et de Lucien, qu’il avait essayés en s’amusant. Il veut faire aussi celui de ma grande Marie. J’espère qu’il paie assez son écot ! Il s’y obstine et comment refuser ? Il va faire photographier le portrait qu’il a fait de moi, et vous aurez enfin quelque chose qui est moi et pas une autre. J’espère que je vous aurai comme ça quelque jour, car toutes vos photographies vous font affreux, et décidément la photographie sur nature est ce qu’il y a de plus menteur au monde. Ledit Marchal [puis viennent les lignes imprimées dans la Correspondance : repart pour voir sa mère… » etc.] Et enfin nous lisons dans cette lettre du 20 novembre : « Et dans tout ça je n’ai pas trouvé le temps de recopier ce chef-d’œuvre d’acte de Villemer, et je m’en faisais pourtant une fête. Manceau, lui, n’a pas respiré une heure depuis votre départ. » (Ces trois lignes sont encore omises dans la Correspondance, puis viennent les lignes imprimées à la p. 299 : « On vous attend pour retrouver le sens commun littéraire… »)
  389. Le docteur Vergne (de Beauregard.)
  390. Inédite.
  391. En 1851, Maurice Dudevant faillit se marier avec une jeune personne de son voisinage pour la seule raison qu’elle était très apte à jouer les jeunes premières dans les représentations improvisées ; fait confirmé par une lettre inédite de Mme Sand à son fils de septembre 1851.
  392. Inédite.
  393. Avoué à La Châtre, homme d’affaires de Mme Sand, ami de toute sa famille.
  394. Inédite.
  395. Après la mort de Lina Sand (en 1901) l’un de ceux qui parlèrent sur sa tombe dit, en rappelant aux assistants l’aide active que Lina prêta à Mme Sand dans ses secours aux malheureux : « Ces femmes admirables se cachaient toutes les deux pour faire le bien comme d’autres pour faire le mal, » disant ainsi en quelques mots plus qu’on ne pourrait en dire en des dizaines de pages.
  396. Lettre du 31 mars 1862. (Correspondance, t. IV.)
  397. Inédite.
  398. Correspondance, vol. V.
  399. Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert. (Paris. Lévy, 1904), p. 93.
  400. Lettre à Flaubert du 31 décembre 1867.
  401. Correspondance, vol. V.
  402. Ibid., vol. VI.
  403. Ibid., vol. VI.
  404. Voir la lettre de George Sand au prince Napoléon, p. 328-329 du vol. IV de la Correspondance.
  405. Mme Sand le déclare elle-même dans sa lettre du 3 août 1863 au pasteur Leblois ; à ce moment-là l’enfant n’était pas encore baptisé et, comme on verra par les lettres du printemps 1864, Mme Sand avait alors seulement l’intention d’être la marraine de son petit-fils. Le baptême n’eut lieu qu’au mois de mai 1864, et selon le rite protestant.
  406. Mme Sand avait écrit à Jules Boucoiran dès le 9 février 1863, c’est-à-dire encore avant la naissance de Marc-Antoine : « …Oui, mon cher ami, il faut venir nous voir cette année, nous en serons tous heureux. Vous aimerez notre Lina qui est une enfant ravissante et qui, dans cinq mois environ, nous donnera un petit protestant. Maurice a l’intention sérieuse de n’en pas faire un catholique, c’est son idée. Vous parlerez de cela avec lui. Je m’abstiens. Ils partent dans quelques heures à Paris où ils vont passer deux ou trois semaines. C’est donc pour Maurice autant que pour moi que je vous réponds et vous remercie. « Manceau vous embrasse aussi. »
  407. Elle peignait fort bien à l’huile et au pastel et nous avons vu au salon de Nohant plusieurs tableaux et portraits dus à son pinceau et à ses crayons.
  408. Que nos lecteurs se souviennent encore une fois des mots de Renan pris par nous comme épigraphe de notre travail et qu’ils ne nous rendent pas responsables des opinions de Mme Sand, nos idées religieuses différant sur bien des points de ses croyances et de son credo social et religieux.
    En qualité d’historien fidèle nous sommes obligé de rapporter et de citer exactement toutes les idées et expressions de George Sand, quelque hérétiques qu’elles puissent nous paraître. Nous prions nos lecteurs de ne point nous en croire solidaire ni responsable. — W. K.
  409. V. notre vol. III, p. 456.
  410. L’Amateur d’autographes, publié par Noël Charavay, 15 janvier 1900, 33e année. Nouvelle série, numéro 1.
  411. George Sand souleva dans plusieurs de ses écrits la question du matérialisme si répandu dans le monde contemporain et si attristant selon elle. Dans son écrit À propos de Madelon, d’Edmond About, tout en félicitant le jeune auteur de ses heureux débuts, elle lai faisait remarquer que son héros, si indigné contre les lâches et les nigauds qui l’entourent, pèche lui-même par le même défaut, car il ne croit à rien et n’est guidé par aucun idéal. Cet article parut dans la Presse en 1863, et est réimprimé dans le volume des Questions d’art et de littérature.
  412. Cette lettre est imprimée dans le vol. IV de la Correspondance à la fausse date du 5 juin 1858.
  413. Lettre inédite du 16 janvier 1863.
  414. Alors, carme déchaussé et célèbre prédicateur catholique, plus tard brouillé avec Rome et chef d’une communauté libre, il est mort tout récemment, en 1912.
  415. Mme Sand fut surtout très véhémente contre le père Hyacinthe dans sa lettre à Mme Arnould datée du 13 septembre 1868 ; Mme Arnould montra cette lettre au père Loyson et celui-ci écrivit lui-même à Mme Sand en réponse à ses paroles dures et outrageantes.
  416. Mme Sand avait écrit à Mme Arnould-Plessy déjà le 18 mai 1863 : « Je vous dis que si voire abbé H… est homme de progrès, il est hétérodoxe. N’importe ! s’il prêche le bien et s’il vous fait du bien, tout est bien… »
  417. Roman d’Octave Feuillet. Voir plus loin, p. 439.
  418. Lettre de Charles Edmond (Choïecki) à Mme Sand du 26 novembre 1872 et George Sand le redit presque mot à mot dans sa lettre du 29 novembre à Flaubert {Correspondance, t. VI, p. 260.) À cet épisode se rapportent aussi beaucoup de ses lettres, tant imprimées qu’inédites (du 21 février 1871 à janvier 1873).
  419. C’est nous qui soulignons. — W. K.
  420. C’est aux démarches faites en 1872 par Mme Sand auprès de Jules Simon en faveur de Duquesnel et de l’Odéon, alors à la veille de la ruine causée par les troubles de l’année terrible, ainsi qu’en faveur de Berton malade, que se rattache l’épisode raconté dans notre volume I : comment George Sand et Jules Sandeau passèrent une heure entière dans l’antichambre du ministre sans se reconnaître.
  421. Dans le volume des Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve publiées en 1897, ce Verbet est appelé tout le temps « Pubet ». C’est une faute d’impression… à plusieurs éditions.
  422. Voir aussi le volume précité des Lettres de George Sand à Sainte-Beuve.
  423. Il est facile de deviner que l’auteur entendait sous cet éditeur son ami Buloz.
  424. Marcel Prévost : « George Sand, » conférence prononcée à Nancy le 3 mars 1901, sur l’initiative de la Ligue de l’Enseignement. (La Contemporaine, mars 1901.)
  425. Sainte-Beuve avait écrit dans son article qui parut lorsque Mademoiselle La Quintinie était encore en cours de publication à la Revue des Deux Mondes : « L’auteur de Sibylle… a remué dans ce roman de grosses questions, plus grosses peut-être qu’il n’avait d’abord pensé : questions théologiques, sociales, questions de présent et d’avenir. George Sand, on le sait, s’en est émue ; l’aigle puissante s’est irritée comme au jour du premier essor : elle a fondu sur la blanche colombe, l’a enlevée jusqu’au plus haut des airs, pardessus les monts et les torrents de Savoie, et à l’heure qu’il est, elle tient sa proie comme suspendue dans sa serre. Thèse contre thèse, théologie contre théologie, et tout cela en roman ; c’est un peu rude. La région du moins où le débat s’agite, s’est singulièrement agrandie et élargie ; on y respire. Ledernier mot de l’énigme, la solution est encore, comme dit le poète, dans les genoux de Jupiter. Nous attendons impatiemment la conclusion de Mademoiselle La Quintinie, nous verrons bien… » {Nouveaux lundis, t. V, p. 40.)
  426. Cette préface parut dans la première édition de Mademoiselle La Quintinie en volume et se réimprime depuis lors à la tête du roman.
    Deux lettres de Mme Sand à Octave Feuillet se rapportant à une autre œuvre célèbre de l’auteur de Sibylle : le Roman d’un jeune homme pauvre, sont publiées dans le livre de Mme Octave Feuillet, Quelques années de ma vie. (Paris, 1894), p. 213-216.
  427. Voir les lettres de Mme Sand du 8, 16 et 23 juin 1863 dans le volume des Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve, que nous avons déjà cité plusieurs fois et que nous citerons encore.
  428. Nous avons dit ailleurs (dans notre vol. III, chap. vii) qu’en 1865 George Sand publia dans l’Avenir national un article consacré aux derniers volumes de l’Histoire de la Révolution de Louis Blanc, parus juste en 1863. Probablement c’est à cet ouvrage que George Sand fait allusion en parlant des « beaux livres de ses amis sur la Révolution » qu’elle lisait alors.
  429. Cette lettre de Mme Sand à Sainte-Beuve est imprimée à la page 250 du volume des Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve, paru en 1897 chez Lévy, et y porte le numéro 64. En réalité, c’est le numéro 67 de la collection complète des lettres de George Sand à Sainte-Beuve.
    En général l’ordre des numéros et les dates sont absolument inexacts dans ce volume. Par exemple, la lettre numéro 64, datée du 5 avril 1862, est imprimée comme le numéro 69 et datée du « 13 janvier 1864 « ; le numéro 78 est en réalité le numéro 63 ; elle n’est pas de « décembre 1866 », mais du 3 avril 1842 ; le numéro 77 est le numéro 62 et non plus de « décembre 1866 », mais de mars 1862 ; le numéro 62 est en réalité le numéro 65 ; le numéro 63 le numéro 64 ; le numéro 75 le numéro 80 ; le numéro 81 le numéro 79 ; le numéro 76 le numéro 81 ; elle n’est pas du « 15 janvier 1869 », mais bien du 16 juin 1869, etc., etc. Bref, à partir de la page 247, tous les numéros sont intervertis et doivent être corrigés.
  430. George Sand s’était déjà cachée sous ce nom d’emprunt dans la description de son arrivée à Venise avec Musset, par laquelle commençait ce Fragment d’un roman qui n’a pas été fait, écrit en 1842, dont nous avons parlé dans nos deux premiers volumes et qu’on peut lire aux p. 137-147 du livre du vicomte de Spœlberch, Véritable histoire.
  431. Cet article est réimprimé dans le volume des Sept cordes de la lyre.
  432. Réimprimé dans les Questions d’art et de littérature.
  433. Voir notre vol. I, chap. iii, et vol. IV, chap. viii et x.
  434. Voir Œuvres complètes de George Sand, vol, des Nouvelles lettres d’un voyageur.
  435. Voir notre vol. I, chap. vi.
  436. Celui du duc d’Aléria.
  437. Lorsque ce chapitre fut déjà prêt pour l’impression, parurent dans le Temps les « Souvenirs « de M. Duquesnel, ancien directeur de l’Odéon, très intéressants, mais très peu exacts. Nous renvoyons le lecteur à l’Appendice, au chapitre xii, où il trouvera toutes les rectifications nécessaires du récit de Duquesnel sur la première de Villemer. Quant à Brindeau, il joua effectivement dans Villemer, lorsque la pièce fut reprise en l’automne de 1864.
  438. Directeur de l’Odéon.
  439. Voir p. 463. C’est Mme Leprévost qui créa le rôle de Diane.
  440. Directeur du Vaudeville.
  441. Ministre des Beaux-Arts.
  442. Eugène Fromentin, célèbre peintre et écrivain. Mme Sand consacra dans la Presse de 1857 et 1859 des articles très enthousiastes à ses livres : Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel. Elle lui dédia aussi son roman de Monsieur Sylvestre en l’appelant dans la dédicace « son ami » : À mon ami Eugène Fromentin.
  443. Pièce de Jules Sandeau.
  444. Mme Sand voulait le consulter sur la possibilité ou l’impossibilité selon lui, de tirer une pièce de l’Homme de neige.
  445. Sobriquet de Mme Arnould-Plessy. Nous avons déjà dit plus haut comment Mme Sand sut la consoler et la soutenir dans la terrible épreuve de sa vie lorsque le même prince Jérôme la trahit d’une manière aussi grossière que cynique. On connaît trop cet épisode pour que nous ayons besoin d’en parler encore. (Voir entre autres Mes sentiments et nos idées avant 1870, de Mme Adam, p. 280-281,)
  446. Célèbre peintre et dessinateur, grand ami de Dumas fils, de Manceau et de Mme Sand. Elle l’appelle dans l’une de ces lettres à Dumas : « Mon joli petit colibri Marchal, » par dérision, Marchai étant énorme. En 1861 il avait fait un portrait de Mme Sand. (V. plus haut p. 406.)
  447. Henri Arrault fut, encore avant Dunant, le premier promoteur de l’idée de secourir les blessés au champ de bataille, c’est-à-dire le vrai créateur de la Croix-Rouge. La lettre de Mme Sand à Arrault, dans laquelle elle souligne ce fait ; la primauté de cette idée revenant à Anault et non pas à Dunant, fut publiée en 1865 dans l’Opinion nationale. C’est à Arrault aussi que se rapporte une autre lettre de M. Sand intitulée À propos du choléra et imprimée dans l’Avenir national. Mme Sand y fait appel à tous les gens de bien de s’empresser de venir en aide à une autre entreprise d’Arrault, soit en lui envoyant de l’argent, soit des vêtements, afin qu’il puisse secourir les familles des morts du choléra, bonne œuvre que cet excellent homme avait entreprise lors de l’épidémie de 1865.
  448. Berton, qui devait obtenir la permission du directeur du Vaudeville de jouer le duc d’Aléria dans la pièce de Mme Sand, ne parvint pas pendant longtemps à vaincre l’obstination de M. de Beaufort. Ayant enfin obtenu cette permission, il eut dans ce rôle un éclatant succès.
  449. Manceau était déjà atteint de la phtisie à ce moment.
  450. Peint par Mme Calamatta. Il est au salon de Nohant où nous l’avons vu.
  451. Propriétaire d’un cheval et d’une carriole, qui accompagnait Mme Sand dans ses courses et ses promenades à Tamaris.
  452. Le général Ferri-Pisani, attaché à la maison du prince Jérôme, grand ami de Mmes Sand et Villot.
  453. > Nadar, célèbre photographe, qui avait fait en 1864 seize portraits de George Sand, était un républicain et ami de George Sand depuis 1848. Il s’intéressait à l’aérostatique et l’aviation et écrivit un livre : le Droit au vol. On sait qu’un décret datant de la grande Révolution interdisait absolument tout essai de vol, soit en ballon, soit sur des appareils plus lourds que l’air. Or Nadar défendait le droit de chacun de voler. Mme Sand écrivit, en 1865, une Préface à son livre, qu’il aurait été fort curieux de publier de nos jours dans quelque revue d’aviation. (Cette préface est réimprimée dans le volume des Souvenirs de 1848.) Mme Sand y part d’un point de vue très élevé et très grand r il ne faut ni se moquer, ni mettre d’entraves à une grande idée nouvelle, mais au contraire l’accueillir avec joie et prêter à son auteur aide et secours, pour qu’il la réalise, si cette idée est basée sur la logique et provient de la volonté de se rendre maître d’une force de la nature point encore domptée ; l’avenir justifie toujours les novateurs et les chercheurs courageux ; il est impossible, au siècle de la vapeur et de l’électricité, de ne pas avoir foi dans la victoire future de la navigation aérienne. On voit combien George Sand avait le sens juste.
  454. Auteur du livre les Forçats pour la foi.
  455. Nous tenons ces détails des sources les plus autorisées.
  456. Voir Correspondance, vol. V, p. 24-35, les lettres à Duvernet du 24 mars ; à Mme de Bertholdi du 3 avril ; à Mlle Nancy Fleury du 8 mai ; à M. Oscar Cazamajou de « mai 1864 » et à M. Guillemat du 11 juin 1864.
  457. Cette lettre est inédite.
  458. Paroles tirées de la ballade la Bonne déesse de la pauvreté, composée par Consuelo, (Voir notre vol. III, chap. iv.)
  459. Œuvres de Virgile, texte latin publié d’après les travaux les plus récents de la philologie avec un commentaire critique et explicatif par M. E. Benoist. (Voir Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, Lévy, 1869, t. XI, p. 174.)
  460. Il est évident qu’il faut sous-entendre par « M. Sylvestre » Mme Sand.
  461. Lettres d’un voyageur, voir la lettre numéro iv (à Néraud et Rollinat) de 1834, samedi (p. 160-163 de l’édition Lévy).
  462. Voir le chapitre viii du présent volume.
  463. Voir notre vol. II. p. 311-312.
  464. Plus tard son corps fut transféré dans le cimetière de Nohant.
  465. Inédites.
  466. Ce discours est imprimé dans le volume des Nouvelles lettres d’un voyageur parmi les nécrologies des Amis disparus.
  467. Voir plus haut à la p. 460 ce qui était dit des procédés d’Ed. Cadol envers Manceau taxés « de mauvais » par Mme Sand, lors des représentations de la Journée à Dresde.
  468. Voir plus haut, chap. viii et ix.
  469. En disant tout cela nous ne faisons que confirmer les idées de Mme Sand sur les cérémonies religieuses et le culte. Nos croyances personnelles sont complètement différentes.
  470. Fils de la demi-sœur de Mme Sand, Mme Caroline Cazamajou. George Sand avait intercédé pour lui auprès des hauts fonctionnaires militaires, en 1852. (Voir plus haut, chap. ix.) Elle avait beaucoup d’amitié pour ce neveu, qui la lui rendait de son côté.
  471. Mme Herminie Cazamajou.
  472. Sobriquet de Francis Laur qui, depuis la mort de Maillard, vivait, paraît-il, dans la famille Boutet aux vacances.
  473. Pièce écrite en collaboration par Dumas fils et Em. de Girardin, et qui fut la cause d’une querelle, d’une polémique acharnée et finalement d’une inimitié à mort des deux ex-amis. (Voir à ce sujet les Entractes, par Dumas fils, vol. II.)
  474. Dans sa lettre à Dumas, écrite à la même date que ces lignes, Mme Sand dit que c’est la partie écrite par M. de Girardin qui lui avait déplu.
  475. Roman de Maurice Sand, le Coq aux cheveux d’or. La publication de ce roman fit faire à Mme Sand la connaissance du célèbre éditeur et critique Albert Lacroix, qui devint bientôt et resta toujours l’ami de tous les Sand, mère, fils, belle-fille et petites-filles. Albert Lacroix raconta l’histoire de ses rapports avec l’illustre femme dans ses très intéressants Mémoires d’un éditeur publiés dans la Revue internationale de 1898.
    Nous eûmes le plaisir de faire la connaissance de cet excellent homme, d’un désintéressement, d’une culture et d’une science vraiment rares, encyclopédiques, en 1898, à Nohant. Il avait alors plus de soixante-dix ans ; nos relations furent d’emblée très amicales. Le culte que nous professions pour George Sand fut le point de départ de cette amitié, et la généreuse habitude du charmant vieillard de prendre à cœur les intérêts d’autrui, si ces intérêts avaient quelque rapport à la littérature ou à la science, fit qu’il témoigna à l’égard de notre travail un intérêt et une sympathie vraiment paternels.
    Plus tard nous eûmes l’occasion de visiter M. Lacroix et sa charmante famille, si laborieuse, si éclairée, dans son petit appartement de la rue Vergne ; la modestie de cette demeure n’empêchait pas qu’elle fut toujours le point de réunion d’amis nombreux — portant la plupart des noms, connus de tout homme instruit en Europe — ou bien leurs veuves ou leurs sœurs. Et c’était pourtant un éditeur ! Mais cet éditeur perdit toute sa fortune à enrichir les auteurs, et cet écrivain dut, jusqu’à la fin de sa vie, travailler pour ne pas mourir de faim. Ce fut un coup très sensible pour nous lorsque nous apprîmes à Paris, en 1904, lors du centenaire de George Sand, que notre vieil ami n’était plus de ce monde, qu’il ne lirait plus les volumes III et IV de notre travail. Sit tibi terra levis, cher excellent ami ! Que ces lignes soient l’expression de notre gratitude et de notre vénération pour sa mémoire.
  476. Le petit Marc-Antoine, mort deux mois après la Lettre d’un voyageur, d’avril 1864, où Mme Sand « chantait » Gargilesse.
  477. Il ne faut pas oublier que Maillard et Manceau étaient cousins et que c’est par Manceau que Mme Sand avait connu Maillard. Ces deux lignes révèlent d’une manière parfaitement explicite à qui et à quoi doit être attribuée la profonde douleur dont est empreinte cette Lettre adressée à Hugo et qui, par son lyrisme et sa poésie, égale les toutes premières Lettres d’un voyageur datées de 1834-36.
  478. Voir plus haut le chap. xi du présent volume.
  479. Réimprimés également dans le volume Questions d’art et de littérature.
  480. Inédite.
  481. On lit en note à cette lettre à la page 129 dans la Correspondance, t. V; « Drame joué plus tard à la Porte-Saint-Martin sous le titre de Cadio. »
  482. Histoire de ma vie, vol. III, p. 122-26.
  483. Elle parut dans le numéro du 23 septembre 1867.
  484. Lors de l’impression de cette lettre dans la Liberté ces deux derniers mots se lisaient : connaissance humaine.
  485. Voir son charmant volume, très documenté : George Sand. Mes souvenirs.
  486. Parmi tous ces volumes, les plus intéressants sont : 1° Henri Amic : George Sand, mes souvenirs ; 2° Edmond Plauchut : Autour de Nohant ; 3° Juliette Lamber (Mme Adam) : Mes sentiments et nos idées avant 1870 ; 4° Gabriel Nigond : Les Contes de la Limousine ; 5° Firmin Roz et Hugues Lapaire : la Bonne Dame de Nohant ; 6° le Journal des Concourt (où l’on trouve entre autres un curieux récit de Théophile Gautier sur son séjour à Nohant on 1869. Voir Journal des Concourt, t. II, p. 144) ; 7° la série d’innombrables brochures, livres et articles qu’on trouvera indiqués dans la Bibliographie à la fin de ce volume.
  487. Nous avons pu admirer dans le jardin de Nohant plusieurs arbres rares ou exotiques, plantés ou même « semés » par Mme Sand et par Maurice Sand. — W. Z.
  488. Mes sentiments et nos idées avant 1870, p. 279.
  489. On trouve à ce propos des pages extrêmement curieuses dans la Nouvelle lettre d’un voyageur « À propos de botanique » adressée à Maurice Sand et publiée dans la Revue des Deux Mondes en 1863, ainsi que dans plusieurs lettres de Mme Sand à Flaubert.
  490. Mme Sand avait fait sa connaissance lors de son séjour à Tamaris. C’était le fils du célèbre artiste.
  491. Adam s’était moqué de Plauchut à propos de son naufrage aux îles du Cap-Vert, dont nous avons parlé dans le premier chapitre de notre premier volume, et l’appelait par dérision « le naufragé des salons ».
  492. Ce nom est imprimé : « Camat » dans le livre de Mme Adam ; il est évident que ce n’est qu’une faute d’impression
  493. Voir plus haut, chap. xi.
  494. Nous possédons une pelote brodée par George Sand et représentant, sur un fond rose, une chimère — la devise de Nohant — le « château de la Chimère ». (Voir plus haut chap. xi.)
  495. Nous possédons une de ces dendrites, dessinée pour amuser les petites Aurore et Gabrielle ; elle nous a été donnée par Edmond Plauchut. Elle représente un paysage fantastique — un golfe au milieu de collines, tapissées de broussailles et d’arbustes, et, sur l’une de ces collines, deux petites filles et un chien, voire : « Lolo et Titite avec Fadet », le légendaire chien de Nohant. Les portraits des deux petites filles et du chien étaient sa signature de peintre.
  496. Huit de ces contes sur treize et Gribouille ont été traduits en russe par Mme Tolivérow, en 1893. (Devrienne, Saint-Pétersbourg, in-18.)
  497. Voir plus haut, chap. viii.
  498. Histoire du véritable Gribouille, vignettes par Maurice Sand, gravures de Delaville (Petite Bibliothèque blanche. Éducation et récréation. Hetzel et Cie, Paris, 1850.) Cette histoire est dédiée à la fille du vieil ami de l’auteur, Alphonse Fleury. Mlle Valentine Fleury (plus tard Mme Engelhardt).
    Ce conte fut traduit en russe en 1851 par Mme Ogarew. Il parut avec une préface de Herzen, à Londres.
  499. À comparer avec ce que George Sand dit dans l’Histoire de ma vie (vol. Il, p. 166-160) du merveilleux dans la vie de l’enfant.
  500. On sait par le livre de M. Plauchut que les « daines » de la troupe, grâce à des « toupies » placées sous la peau qui couvrait leur buste pouvaient même charmer les spectateurs par un décolletage… assez décent.
  501. Voir surtout la page 21 du troisième volume du Journal des Goncourt.
  502. Journal des Goncourt, t. III, p. 51, 21 mai 1866.
  503. Mme Lina ignorait à cette époque que son mari voulait la tenir à distance de sa sœur, à cause des principes immoraux de cette dernière, et même plus tard, en 1873, lorsque Mme Lina Sand avait fait un court séjour à Paris, George Sand lui avait écrit le 19 janvier : « Voilà Sol après Plauchut qui ne saura pas dire que tu n’es pas à Paris, et alors elle se mettra après toi. Ne te laisse pas envahir ni ennuyer. D’autant plus que toutes ses tendresses ne servent qu’à mieux nous cracher au visage plus tard. »
  504. Mme Adam par erreur dit dans son livre que c’était le « second » enfant de Maurice et Lina ; elle oublie sans doute le petit Marc-Antoine.
  505. Mme Sand adorait ces lignes de Pascal : « La nature agit par progrès itus et reditus… Elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais… » Elle avait copié et collé cette phrase sur son bureau de travail à Nohant, Ce bureau appartient maintenant à M. Henri Amic.
  506. Ces lignes furent écrites avant 1914. En relisant ces articles de George Sand au moment de la grande guerre, elles nous produisirent une toute autre impression.
  507. Par amour de la vérité nous devons toutefois noter ici que dans Francia nous trouvons un jugement de Mme Sand sur Roudine, prouvant que si elle admirait ce roman avec enthousiasme, elle comprenait fort mal le caractère du héros de Tourguéniew. Après avoir écrit : « C’est un trait fort répandu parmi les Russes (!!!) d’opprimer les faibles et de se prosterner devant les puissants » — [trait, hélas, noté par Tacite, Machiavel et La Rochefoucauld, donc un peu partout, ajouterons-nous ! W. K] — George Sand fait cette singulière remarque : « Ivan Tourguéniew, qui connaît bien la France, a créé en maître le personnage du Russe intelligent, qui ne peut rien être en Russie, parce qu’il a la nature du Français. Relisez les dernières pages de l’admirable roman Dimitri Roudine… » Or, on sait que dans Roudine Tourguéniew a voulu peindre un type très répandu en tous pays, celui d’un parleur ne trouvant nulle part de champs à son activité, par excès de réflexion et par manque de volonté.
  508. L’Année terrible (?).
  509. Dont nous avons cité le premier — sur Mickiewicz, Chopin et Delacroix, dans le chap. ii de notre IIIe vol.
  510. Tous les trois sont réimprimés dans le volume Laura.
  511. Ce musicien était un ami de Chopin, il avait été professeur au Conservatoire de Varsovie, avait séjourné à Saint-Pétersbourg où il avait entre autres enseigné le piano à la grande-duchesse Alexandra Nikolaievna, et avait écrit plusieurs opéras ! (La Testa di bronza, Elena Malvine, etc.)
  512. Voir plus haut, chap. xii.
  513. On voit comment Mme Sand n’avait pas changé dans ses sympathies pour la révolution de 1848, malgré toutes les erreurs auxquelles elle avait abouti.
  514. Voir notre vol. I, chap. iv, et le présent vol., chap. ix.
  515. Flaubert écrit dans sa lettre du 8 septembre : « Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain. »
  516. V. notre vol. ii, p. 48-49.
  517. Nous en avons déjà parlé dans le tout premier chapitre de notre premier volume, ainsi que dans le chapitre iv (à propos de l’éclosion première des sentiments religieux dans l’âme de la petite Aurore Dupin).
  518. Voir plus haut, chap. ix.
  519. Vers de Pouchkine.
  520. Tourguéniew, Senilia.
  521. C’est nous qui soulignons. — W. K.
  522. Cf. avec ce que George Sand disait dans sou étude Ce que dit le ruisseau. (Voir plus haut, p. 442-446.)
  523. George Sand était très portée à admettre une âme de plante, surtout depuis qu’elle avait lu le livre de M. Boscowicz : l’Âme de la plante. Elle en parle dans l’une des Nouvelles lettres d’un voyageur, intitulée ; De Marseille â Menton.
  524. Voir par exemple l’Histoire de ma vie.
  525. Cf. avec ce que nous avions dit plus haut en analysant Ce que dit le ruisseau, écrit, notons-le en passant, en cette même année 1863 que les deux dialogues avec Manceau formant les numéros 1 et 3 des Impressions et souvenirs.
  526. Très curieux à confronter ces lignes avec ce que George Sand disait de l’extase en 1840, à propos de Mickiewicz. (Voir notre vol. III, p. 201 et suiv.)
  527. Voir plus haut ce qui a été dit à propos de Narcisse et de Jean de la Roche, vol. IT, chap. vin, p. 113, et dans le présent volume, chap. x.
  528. La Tour de Percemont parut dans les livraisons du 1er et 15 décembre et Marianne dans celles du 1er et 15 août 1875 de la Revue des Deux Mondes.
  529. Comme Hippolyte Chatiron traitait sa demi-sœur Aurore.
  530. Voir notre vol. Ier, p. 196, 198, et l’Histoire de ma vie, t. III, p. 327, 330-334.
  531. George Sand dit, en passant, à la page 391 du volume II de son Histoire de ma vie, que lorsqu’elle était toute petite, on avait projeté de la marier à un de ses cousins de Villeneuve (ou plutôt à l’un de ses neveux), le froid Septime ou le moqueur Léonce et que, petite fille de sept ans, elle avait été très chagrinée à l’idée de ce mariage. En fondant dans le personnage de Marius ces deux prétendus prétendants, George Sand ne manquera pas de se rappeler les sentiments d’une fillette, à laquelle on veut suggérer l’obligation d’épouser un jour son cousin. Ce n’est point non plus par hasard que le cousin de Jeanne de Mérangis porte un nom romain : Septime dans la vie réelle, il s’appelle Marius dans le roman. C’est à noter.
  532. Tout comme don Basile de la pièce de Beaumarchais est devenu un « maître de musique » dans l’opéra de Rossini
  533. Dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier au 1er mars 1874.
  534. Flamarande fut publié dans la Revue des Deux Mondes, en 1875.
  535. Coursier magnifique que M. Charlot laisse courir jusqu’à ce qu’il tombe épuisé, la nuit de l’enlèvement de l’enfant.
  536. Correspondance entre G. Sand et G. Flaubert, p. 455.
  537. La Tour de Percemont fut publiée dans la Revue des Deux Mondes du 1er décembre 1876 au 1er janvier 1876 inclusivement.
  538. Nous possédons l’un de ces exemplaires avec un très amical envoi de l’auteur. Hélas ! cet excellent ami ne lira plus le dernier volume de notre travail, lui qui tenait tant à le voir terminé !
  539. MM. Sagnier et de Vasson furent ainsi les derniers visiteurs à Nohant qui virent Mme Sand bien portant-e. L’un des derniers visiteurs de Nohant fut aussi un certain M. Gottlieh Ritter qui décrivit sa « Visite chez George Sand » dans les numéros 31-32 de la Gartenlaule de 1876. À l’exception de ce fait, c’est-à-dire d’avoir été le dernier des étrangers qui vit Mme Sand peu avant sa mort, cet article ne se distingue par aucun mérite et contient une série d’erreurs et d’inexactitudes. C’est ainsi par exemple que M. Ritter assure que Solange demeurait chez sa mère à Nohant, etc., etc.
  540. Texte imprimé de M. Henry Harrisse dans les Derniers moments et les obsèques de George Sand, souvenirs d’un ami, publié à l’occasion du centenaire de l’illustre écrivain, 1er juillet 1904.
  541. Texte imprimé de M. Henry Harrisse.
  542. Mme Lina Sand avait mis en note à ces mots :
    « Je ferai remarquer que Favre soignait Mme Sand depuis des années et connaissait beaucoup mieux que ces messieurs l’état de la malade, puisqu’ils ne l’avaient jamais soignée, sauf Darchy.
    « Lina. »
  543. Charles Sagnier.
  544. M. Pestel écrit : « Quand je quittai Nohant le 8 juin à quatre heures du matin, le pouls de la malade avait encore une force telle que je devais supposer que l’existence se prolongerait pendant vingt-quatre heures environ. »
  545. Aurore et Gabrielle — dit M. Harrisse dans une note à la p. 16 de sa plaquette — n’étaient pas présentes ; lorsqu’ayant été appelées, elles s’approchèrent du chevet de leur grand’mère, celle-ci avait cessé de vivre. Maurice dormait dans sa chambre accablé de chagrin et de fatigue. Ce furent ses fillettes qui vinrent lui apprendre la mort. Il s’assit, puis il s’abîma dans son désespoir. Il répétait au milieu de ses sanglots : « Ma mère, ma mère ! La vie pour nous est finie ! »
  546. Ceci est inexact : ces deux monuments sont celui de Jeanne Clésinger transférée de Paris effectivement lors du voyage de George Sand en Italie et érigé par Solange, et celui de ! Marc-Antoine Dudevant, transféré de Guillery vers 1865 et érigé par M. et Mme Maurice.
  547. Nous citons d’après le texte manuscrit ; le texte imprimé est malheureusement tout à fait changé à cet endroit de la narration de M. Harrisse.
  548. Le docteur Pestel a ajouté en note à ce passage : « Mme Sand n’a jamais exprimé de désir ni de volonté formels au sujet de sa sépulture ; elle a plusieurs fois manifesté son goût et notamment à l’occasion des monuments funèbres de sa petite-fille d’abord, de son petit-fils ensuite, disant, dans ces circonstances, qu’elle aurait préféré au marbre de la verdure. »
  549. Du 1er au 2 juin.
  550. Un ami fidèle de Mme Sand nous a dit à propos de cette remarque de M. Pestel que Mme Sand, réservée et parfois absolument silencieuse en présence de plusieurs personnes, ne Tétait nullement lorsqu’elle se trouvait en tête à tête avec une personne qui lui était sympathique, disant qu’on ne pouvait jamais parler qu’à un seul interlocuteur de manière à pouvoir être compris, mais point à plusieurs à la fois, tous trop différents les uns des autres. — W. K.
  551. Voir plus haut, chap. xii, p. 485-487.
  552. Dans le vol. V de la Correspondance, p. 323, la lettre de George Sand. décrivant cet enterrement civil de Sainte-Beuve est faussement datée du « 17 octobre », elle est du 5 octobre 1869.
  553. Feu notre ami M. Plauchut, en nous racontant cette manifestation, ne pouvait retenir ses larmes, à tel point les impressions ressenties ce jour-là l’émouvaient encore. Il répétait : « Jamais je n’ai rien vu de pareil ; de ma vie je n’ai rien vu de pareil. »
  554. Cette Nécrologie parut en 1868 dans l’Avenir national ; elle fait partie des Amis disparus, imprimés dans le volume des Nouvelles lettres d’un voyageur.
  555. Voici ce dialogue tel que M, Amie en a gardé le souvenir exact :
    — Je ne veux pas, me dit M. Maurice, que ma mère soit enterrée comme un chien.
    — Mais vous n’avez pas à vouloir, répliquai-je, mais à observer la volonté de Mme Sand exprimée ici même devant tous lors de l’enterrement de M. Duvernet.
    — C’est bien, me dit-il, on consultera le testament, et si ma mère a exprimé sa volonté, je m’y conformerai.
  556. La lettre de M. Moulin à M. de Vasson est justement une réponse à cette question. C’est-à-dire M. Moulin annonce que, n’ayant aucune espèce d’ordres ou de recommandations de Mme Sand à ce sujet, il est prêt, si tel est le désir de Maurice et de Solange, à immédiatement remettre le testament au président, afin de le faire ouvrir.
  557. Me Adrien Guédon, avoué que Mme Sand avait consulté pour la rédaction de son testament, lui avait conseillé d’éviter tout conflit avec sa fille, que Mme Sand devait réduire à la quotité disponible afin d’avantager son fils et ses petites-filles. — W. K.
  558. Le docteur Favre parait avoir été très porté à toutes sortes d’ « apparences », de « poses » et de phrases. C’est ainsi qu’au dire de M. Pestel, lorsque la question de l’enterrement fut décidée, le docteur Favre alla à Ars voir Papet et, en parlant des derniers instants de Mme Sand, il dit que « la voyant près d’expirer, il se jeta à genoux et adressa à Dieu une invocation, pour qu’il reçût dans sa miséricorde l’âme du grand écrivain « . Dans sa brochure, mais point dans son manuscrit, M. Harrisse raconte, sans indiquer la source de ce racontar, que « dès que la malade eut rendu le dernier soupir, le docteur Favre se redressa et, levant la main au-dessus du corps de George Sand, il dit avec force : Tant que je vivrai, votre mémoire ne sera jamais souillée. » Quelle misère que cet amour indestructible de phrases et de poses, dont on ne peut se départir même vis-à-vis de cette chose grande et simple qu’est La mort !
  559. Femme gardant le logement de Mme Sand à Paris, elle était ouvreuse à l’Opéra-Comique.
  560. Nous faisons remarquer une fois de plus que le texte imprimé diffère en beaucoup d’endroits du manuscrit autographe de M. Harrisse ; ces lignes y manquent et le commencement de la phrase est changé.
  561. Dans le texte imprimé on lit : « Étaient installés au château outre les hôtes habituels ; Mme Clésinger (Solange Sand) qui, prévenue de l’état désespéré de sa mère par une dépêche de son notaire, était venue de Paris en toute hâte ; des parents : Oscar Cazamajou, le docteur Favre, etc., etc. »
    On voit par ce qui précède que tout ceci n’est pas tout à fait exact.
  562. C’était un ami de Mme Sand, surtout depuis son séjour de Palaiseau, et nullement son factotum. — W. K.
  563. Ce passage est changé dans la plaquette imprimée ; les trois passages qui y suivent manquent dans l’autographe. Ils sont inexacts comme chronologie et comme faits, se rapportant à la manière dont ce manuscrit fut muni de notes par le docteur Pestel, renvoyé à M. Harrisse, puis corrigé et complété par ce dernier. Nous avons dit plus haut comment tout cela s’était passé.
  564. Note D du docteur Pestel.
  565. Inexact.
  566. Inexact.
  567. Tout ce passade est complètement changé dans le texte imprimé, il renferme (sans indication de l’auteur) entre autres un morceau emprunté aux souvenirs de M. P. de Vasson que nous avons donné plus haut, et, ajouterons-nous, nullement connu de M. Harrisse en 1876, ni lorsqu’il donna le manuscrit à Mme Maurice, ni enfin en 1894 lorsqu’il nous permit d’en prendre copie et en parla avec nous de vive voix. Il ne put consulter ces souvenirs de M. de Vasson qu’après la mort de Mme Maurice Sand.
  568. C’est près de la tombe ouverte que Marie Caillaud distribuait ces brins de laurier pour les jeter sur le cercueil comme un dernier adieu. Ce fut là une idée de Mme Lina Sand. — W. K.
  569. M. Harrisse a dessiné sur une feuille de papier la coupe de cette voûte en briques dépassant à peine le sol et il nous a donné ce dessin, alors qu’il nous raconta de vive voix les funérailles de George Sand.
  570. Elle avait été enterrée au Père-Lachaise, maintenant (1924) son corps est transporté dans ce même cimetière de Nohant.
  571. M. Pestel et Mme Maurice avaient été choqués du fait que M. Harrisse avait nommé « vieillard » un homme de cinquante et un ans et avaient ajouté une note à ces lignes. Nous croyons devoir laisser les expressions du texte primitif de M. Harrisse telles que. Nous les préférons franchement.
  572. Tout ce passage est atténué et changé dans le texte imprimé.
  573. La phrase la plus connue de ce discours est : « Je pleure une morte et je salue une immortelle. » — W. K.
  574. Ce passage est également changé.
  575. Dumas avait été installé pour la nuit non dans la chambre de M. Favre, mais dans celle de Mme Maurice, qui alla loger dans la chambre de ses enfants. (Note du docteur Pestel.)
  576. Qu’il ne prononça pas, mais que publièrent en 1879 le Figaro (11 juin), et le Temps (12 juin), puis l’Ordre républicain, journal d’Indre-et-Loire.
  577. Cette partie du chapitre iii de notre IIIe volume parut peu de jours avant le centenaire dans le Mir Bogi, une revue russe.
  578. Les articles anonymes ont été placés dans l’ordre alphabétique des périodiques dans lesquels ils ont paru.