George Sand — Cosima

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GEORGE SAND. — COSIMA.


L’illustre auteur de Lélia vient de tenter une nouvelle modification de son génie si éminemment dramatique dans le roman. Les magnifiques scènes spiritualistes des Sept cordes de la Lyre et celles plus terrestres de Gabriel avaient déjà succédé aux pages éloquentes d’ Indiana et de Valentine ; une nouvelle forme lui restait : Cosima vient d’être représentée sur le Théâtre-Français.

Nous ne sommes pas de ceux qui veulent enclore le talent dans un cercle infranchissable ; qui, a dit Sainte-Beuve, au premier effort d’un esprit ardent et fécond vers un second genre, lui contestent le droit de sortir du précédent et s’empressent de l’y bloquer ! Mais cette tentative n’a point été couronnée du succès que semblait lui prophétiser le célèbre pseudonyme, et nous sommes loin de douter, d’après le même critique, que l’idée primitive de Cosima ne soit très-simple et très-autorisée. La voici : Cosima, jeune femme florentine se trouve mariée à Alvise, bourgeois et marchand, il est vrai, mais plein de générosité, de bravoure et de délicatesse. Le Vénitien Ordonio, type de séducteur, passe et feint un amour que lui voue Cosima à la seule vue de sa plume et de son manteau ; mais Alvise découvre la fausseté d’Ordonio et la dévoile à sa femme, dont le suicide amène le dénoûment du drame, tandis que Néri, qui l’aime sans espoir, se sacrifie pour elle. Une idée aussi banale ne saurait être que très-simple, si elle n’est très-autorisée.

En face des magnificences de style et de pensée de Lélia et des Sept cordes de la Lyre, lorsqu’on se rappelle les délicieuses figures d’Hélène, de Valentine, de Geneviève, on est saisi d’une profonde déception à la lecture de cette œuvre soi-disant dramatique, pâle copie des précédents ouvrages de l’auteur. Alvise et Cosima ne sont autres que Jacques et Fernande, à demi-effacés ; Néri n’est plus que l’ombre de Ralph, dans Indiana ; et cet oncle-chanoine, si nul et si peu moral, rappelle bien tristement la grave figure du quaker de Chatterton. Ce n’est pas qu’il faille reprocher à George Sand de reproduire : Le Giaour, Le Corsaire, Lara, Ulric sont un ; mais du moins était-on en droit d’attendre qu’il revêtit cette œuvre, à défaut d’expérience de la scène, de ce style large et coloré, de cette pensée sérieuse et profonde, qui l’un et l’autre ont fait sa gloire de romancier. — Que penser en un mot d’un ouvrage de George Sand, lorsque Sainte-Beuve, le seul critique qui en ait parlé favorablement, ne donne pour toute base à ses éloges que l’appréciation des finesses de mots qui s’y rencontrent !

Lorsqu’un écrivain s’est élevé au rang qu’occupe l’auteur de Lélia ; lorsque pendant huit années chacune de ses production lui a conquis une renommée brillante et méritée, on ne descend pas impunément de ce haut degré : une erreur est une chute. N’avons-nous pas vu un long poème de M. de Lamartine déterminer la décadence imminente de son génie ?

Il serait donc à désirer que Georges Sand oubliât ou fît oublier cette première tentative par un chef-d’œuvre dramatique. Pour un semblable talent la forme n’est qu’une habitude, car il doit être primitivement original. Nous sommes donc bien loin de partager l’opinion de ceux qui conseillent au brillant écrivain de rentrer dans son domaine, le roman, et d’y rentrer pour n’en plus sortir, car il ne saurait appartenir à qui que ce soit de désespérer le génie.


A. Léonce.