Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 4 - §1
CHAPITRE IV
CONSTRUCTION
La description du tracé des divers aqueducs étudiés ici a déjà fait connaître la nature des ouvrages maçonnés qu’ils comportaient et, sommairement, les procédés de construction usités. Il importe à présent d’étudier la structure intime de ces divers genres d’ouvrages, le genre et la qualité des matériaux employés, leur provenance, leur préparation, leur mode d’emploi, leur proportion relative dans chaque variété d’ouvrages ; la raison d’être de chaque procédé, sa mise en œuvre et ses résultats. Nous aurons à voir en même temps dans quelle mesure ces méthodes de construction diffèrent de nos méthodes modernes ; dans quelle mesure aussi elles sont en conformité avec ce que nous apprennent, sur les travaux antiques du même genre, soit les textes, soit les autres spécimens, à Rome et dans les autres provinces de l’empire romain ; enfin comment ces méthodes se transforment de l’un à l’autre de nos quatre aqueducs, tout en se rattachant aux lois communes suivies dans la construction romaine.
Un aqueduc est généralement, sur la plus grande partie de son parcours, enfoncé sous terre, et ne fait saillie par une construction extérieure que lorsqu’il doit franchir des vallées ou des dépressions de terrain, au lieu de les contourner. De là deux catégories d’ouvrages : les ouvrages souterrains et les ouvrages apparents. Mais dans les premiers il faut distinguer les constructions en tranchées recouvertes et les souterrains proprement dits ou tunnels ; dans les seconds, les constructions en massifs pleins, que l’on désigne plus particulièrement par le terme de substructions, et les constructions sur arcades (ponts-aqueducs et ponts-siphons). Souterrains ou apparents ces ouvrages comportent un travail de maçonnerie commun qui est la confection du canal lui-même, de ses parois et de sa voûte ; mais en outre, les uns exigent des travaux de terrassement, et de mine, les autres des opérations plus délicates et plus savantes que le simple établissement de la conduite, et font appel à la conception artistique de l’architecte et à la main de l’appareilleur habile : aussi les appelle-t-on plus spécialement les ouvrages d’art. On peut comprendre aussi parmi ces derniers les réservoirs et les bassins de tout genre.
§I. — Constructions apparentes.
Système romain des maçonneries concrètes. —- Tous les ouvrages d’art que l’on peut voir encore sur le parcours des aqueducs de Lyon présentent les caractères essentiels par lesquels s’est affirmée et distinguée l’architecture romaine, surtout à partir du dernier siècle de la République. Rude et rigide autrefois, continuatrice de l’art, cyclopéen des Etrusques avec ses gros blocs monolithes amoncelés sans ciment, cette architecture s’était plus tard, tout en gardant sa force imposante, merveilleusement assouplie, grâce à l’application d’un principe jusque-là peu usité. Ce principe, dont le développement procéda de la tendance essentiellement pratique et économe du génie romain, consista dans l’agglomération de petits matériaux par le mortier, de façon à constituer des blocs compacts, moulés à la forme voulue sous l’écorce des parements. Ainsi la construction par voûtes, auparavant uniforme, difficile et coûteuse, put désormais s’exécuter aisément, adopter des profils hardis, multiples et complexes : de là naquit pour l’art architectural une immense variété de ressources qui depuis vingt siècles n’est pas encore épuisée.
Ce n’est pas que les Romains eussent renoncé tout à fait dans leurs constructions d’aqueducs comme dans les autres ouvrages, au système des larges assises occupant toute l’épaisseur des murailles ou des piliers. Quand ils avaient à leur disposition, comme aux alentours de Rome, de la pierre facile à découper en gros blocs, ils continuaient de l’employer à dessein pour laisser à leurs monuments le caractère de force géante qui défie les assauts des hommes et du temps (fig. 83). C’est ainsi, pour nous en tenir aux aqueducs, que l’aqueduc de Claude (Aqua Claudia) ne diffère que bien peu par la structure de ses arcades et de ses piliers, là où celle-ci n’a pas été transformée, des constructions primitives de l’Anio vetus, de l’Appia et de la Marcia ; il en est de même de certains aqueducs des provinces, encore plus récents, tels que, parmi bien d’autres, l’aqueduc de Dougga en Tunisie, où l’on admire le beau pont, tout en blocs massifs, de l’oued Gatoussi (fig. 87). Mais souvent aussi, quand cet appareil de gros blocs était usité, il enfermait, comme les autres parements, un blocage de mortier et de petits matériaux : l’aqueduc de Constantine (fig. 84) en offre un exemple ; ou bien la partie supérieure de l’ouvrage, au-dessus des piliers, présentait un mince appareil de briques ou de moellons derrière lequel se tassait le blocage. Telles sont les parois des aqueducs Tepula et Julia au-dessus de l’eau Marcia, celles de l’Anio novus au-dessus de l’eau Claudia, ou les arceaux de l’aqueduc d’Oudna, en Tunisie (ig. 86).Classement des divers types de maçonneries romaines. — Les renseignements que donne Vitruve (II, 8) sur les divers genres de maçonnerie montrent assez que l’emploi du mortier formant avec les petits matériaux le noyau des massifs était devenu à son époque le procédé habituel. Bien qu’il annonce dans la préface de ce IIe livre un aperçu historique de l’art de bâtir[1] il abandonne vite cet intéressant projet pour parler de la confection des briques, puis des divers éléments qui composent le mortier ; il s’étend longuement sur la construction en moellons (caementitiae structurae), et mentionne par son nom seul (quadrati lapides) la structure à gros blocs prismatiques.
Le système de maçonnerie qu’il indique en première ligne comme étant le plus répandu à son époque est précisément le système réticulé, que nous voyons appliqué aux aqueducs de Lyon. Il énumère ensuite, tout en donnant des indications pratiques sur l’emploi du mortier et son union avec la pierre, les divers genres d’appareils et leurs modes de liaison, soit entre les pierres des parements, soit avec la masse interne. Perrault a fait remarquer justement que l’ordre de cette énumération n’est guère rationnel[2] ; il faut même avouer qu’il n’y a rien de plus confus qu’un pareil exposé. On peut y utiliser quelques définitions, quelques indications de procédés, quelques remarques. Mais il serait impossible d’en extraire un classement méthodique sans les exemples que donnent les monuments eux-mêmes. L’essai suivant d’un tableau résumé nous permettra de reconnaître la place que les maçonneries de nos aqueducs de Lyon occupent dans la série et d’en préciser le caractère par comparaison.
A. Suivant les dimensions des éléments, on peut distinguer :
1o La structure en grand appareil, formé de blocs taillés ayant généralement 0m,60 et plus de hauteur d’assise, avec 0m,60, 0m,90, jusqu’à 1m,50 de longueur en parement, et souvent autant de queue. Mais ces dimensions, surtout quand les blocs formaient parpaings, c’est-à-dire occupaient toute l’épaisseur du massif, pouvaient être bien plus considérables : c’est ainsi qu’à Nîmes on a mesuré aux arènes des pierres de taille énormes, atteignant six mètres de longueur. Les joints et les lits, soigneusement dressés, ne comportent aucune liaison de mortier; mais il n’est pas rare que les pierres soient cramponnées les unes aux autres par des agrafes en fer avec scellements en plomb. C’étaient en général de simples lames, ou des doubles T, ou des goujons en forme de queue d’aronde, qui constituaient ces liaisons; plus rarement, elles se réduisaient à de minces plaques de plomb. Les parements forment presque toujours un bossage, régulier ou irrégulier, souvent avec ciselure plus ou moins large le long des arêtes (fig. 89).2o La structure en moyen appareil, ayant en général comme plus grande dimension apparente pour chaque pierre 0m,20 à 0,m30. Aux parements, les assises, toujours horizontales, les joints, toujours verticaux, étaient particulièrement soignés (fig. 88).
3o La structure en petit appareil, quand les éléments ne dépassaient pas 0m,20 pour leur plus grande dimension apparente.
B. Suivant la figure représentée en parement, on peut distinguer :
1o Les maçonneries montées par assises horizontales, comprenant :
a) Celle qui se compose d’assises réglées et égales. On appelait ce parement opus quadratum, s’il était en grand ou moyen appareil ; opus latericium, s’il s’agissait d’une construction en briques. On réservait le nom d’isodomum (ἰσόδομον, — c’était unsystème grec) à une maçonnerie de ce genre, en petit appareil, les assises tenant toute l’épaisseur du mur, chacune reposant ou non sur une couche de mortier, les pierres étant d’égale dimension et chevauchant l’une sur l’autre alternativement, c’est-à-dire le milieu d’une pierre reposant sur le joint des deux autres[3].
b) La structure avec assises réglées, mais inégales[4]. Quand ces assises inégales étaient disposées sur toute l’épaisseur du mur, c’était le système grec pseudisodomum (ψευδισόδομον).
2o Les maçonneries formées de lits horizontaux, mais sans assises continues. C’était l’opus revinctum, souvent avec enchevêtrement en lignes brisées des lits et des joints (fig. 90).
3o Les maçonneries disposées par rangées régulières, mais avec lits et joints obliques. On y distingue :
a) L’opus reliculatum, formé de petits éléments à base carrée en parement, mais disposés en diagonale, de façon à donner l’apparence d’un tissu à mailles, d’un réseau (fig. 91).
b) L’opus spicatum, formé de petits éléments taillés ou non, disposés en feuilles de fougère ou en arêtes de poissons. (fig. 92).4o La maçonnerie à parements formés de moellons polygonaux, raccordés à lits et joints perdus. C’est l’opus incertum, appelé antiquum par Vitruve (fig. 93)
C. Suivant la constitution interne du massif.
1o La maçonnerie constituée par assises successives allant d’un parement à l’autre. Dans ce système rentrent l’isodomum et le pseudisodomum des Grecs, et aussi leur procédé par pierres dites διάτονοι, c’est-à-dire parpaings, disposées une à une[5] (singuli), c’est-à-dire isolément, par intervalles.
2o La maçonnerie avec blocage intérieur, διάμικτον[6] ou ἔμπλεκτον[7] (diamicton, emplecton). Bien que les Grecs l’aient employé, puisqu’ils l’ont nommé[8], ce mode n’a été pratiqué en grand, comme il a été dit plus haut, que par les Romains. Il s’exécutait en établissant à l’intérieur des parements des couches alternées de pierres brutes et de mortier[9]. C’est ainsi que le décrit Vitruve et qu’on le constate dans les constructions romaines encore debout.
La structure des ouvrages apparents de nos aqueducs se range : 1o dans la catégorie des constructions en petit appareil ; 2o dans celle des assises horizontales réglées et égales, aux trois premiers aqueducs, et dans celle de l’opus reticulatum à l’aqueduc du Gier ; 3o dans celle du système diamicton ou emplecton, soit du blocage intérieur.
De tous les parements usités dans la construction proprement romaine, les deux seuls dont les éléments fussent joints par des interstices de mortier étaient l’opus spicatum et l’opus incertam ; et cela non pas même dans tous les cas, car on trouvait souvent le moyen de s’en passer en garnissant avec de petits éclats de pierres les vides laissés entre les galets du spicatum ou les moellons de l’incertum. C’est que les anciens se faisaient, comme le remarque M. Choisy, une autre idée que nous du rôle joué par le mortier dans les constructions. « C’était pour eux une matière d’agrégation, rien de plus ; jamais ils ne songèrent à l’utiliser pour transmettre ou régulariser les pressions entre les pierres. En l’adoptant dans leurs constructions concrètes, ils ne lui assignaient qu’une seule fonction, celle d’une sorte de gangue plastique, propre à réunir les cailloux en une agglomération artificielle[10].»
Les deux procédés de blocage intérieur. — Il est donc intéressant de savoir avec exactitude, non seulement la manière de constituer le noyau de pierres brutes et de mortier, mais encore la façon dont s’élevaient les parements et se liait tout l’ensemble.
M. Choisy[11] a distingué très clairement deux procédés : l’un par compression, quand le blocage devait être enfermé entre des parements en forte pierre de taille, ou bien dans le cas de fondations entre les parois à pic d’une tranchée creusée dans la roche, cette tranchée formant elle-même le moule résistant voulu. Sur une couche de mortier d’au moins 10 à 15 centimètres on répandait à la pelle un amas de cailloux d’une épaisseur à peu près égale à la première, et on le soumettait, à un battage qui l’enfonçait dans le bain de mortier, de façon à faire pénétrer celui-ci dans tous les interstices. On renouvelait la pose de ces couches alternées et l’opération de battage, jusqu’à ce que la hauteur de l’agglomération eût atteint le niveau d’une assise du parement; alors, on étendait sur sa surface de la poussière provenant de la taille des pierres ; par un énergique pilonnage, on comprimait fortement toute la masse en égalisant la surface, et l’on commençait une nouvelle série de tassements jusqu’à la hauteur de l’assise suivante, après avoir élevé celle-ci. Dans le cas des fondations au rocher, on opérait de même, sauf les phases marquées par la distinction des assises, que le rocher remplaçait[12].
L’autre procédé, sans compression, beaucoup plus répandu, parce qu’il s’appliquait aux cas, bien plus fréquents, des parements de moyen et de petit appareil, ne différait pas essentiellement de celui que nous pratiquons aujourd’hui pour nos blocages en moellons bruts, à part l’épaisseur un peu plus forte des lits de mortier et l’emploi de matériaux plus petits, dans la construction antique.
Construction des piles aux ponts-aqueducs de Lyon. 1o Avec parement de petites assises horizontales. — Représentons-nous, d’après ce système, l’édification d’une pile d’un de nos ponts-aqueducs, d’abord d’un de ceux dont le parement, était à petites assises horizontales. Celles-ci se composaient de moellons prismatiques rectangulaires, à faces très régulières et à vives arêtes vers la tête, mais amincis et déformés en queue. La face extérieure, ou rigoureusement taillée, ou simplement épincée, avait 00m,15 à 0m,20 sur 00m,08 à 0m,10, et la longueur du moellon était de 0m,25 à 00m,30. La pierre était posée à plat, sans liaison de mortier, comme il a été dit. Le massif de fondation étant déjà établi, on commençait, un peu au-dessous du niveau du sol, à dresser le parement sur tout le pourtour jusqu’à ce que son niveau eût atteint, hors de terre, une hauteur de trois à quatre pieds ou un peu plus, soit de 1 mètre à 1m,50.
Il est évident qu’en opérant alors le blocage interne par compression, on aurait immédiatement fait éclater les parements, à moins d’entourer ceux-ci d’un encaissement en charpente. Mais jamais les Romains, naturellement disposés aux solutions pratiques, n’auraient eu l’idée de compliquer ainsi le travail[13]. On étendait donc au fond de l’alvéole une couche de mortier de 3 à 4 centimètres au plus, par-dessus laquelle on posait à la main les cailloux en les enfonçant ; cette assise était à son tour surmontée d’une nouvelle couche de mortier, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on arrivât à la hauteur du parement. Après quoi on surélevait celui-ci, à moins que l’opération n’eût été faite déjà par une autre équipe pendant que le blocage s’établissait, auquel cas le travail se poursuivait sans interruption. Nous verrons tout à l’heure comment cette continuité pouvait être obtenue.
M. Choisy a noté avec exactitude la différence d’aspect qui permet de reconnaître les deux sortes de blocage. Tandis qu’aux tombeaux de la voie Appienne, par exemple, où a été appliqué le mode par compression, « on trouve les fragments de pierres disposés sous les orientations les plus variables, indifféremment en délit ou sur lit de carrière et que le seul ordre régnant dans la masse résulte de la distribution des pierrailles en grandes traînées horizontales séparées les unes des autres par des dépôts de mortier », dans la maçonnerie commune, au contraire, « tous les fragments sont posés à plat ou sur lit de carrière, et si parfois des tuileaux ou des débris de poterie sont employés à la place des éclats de pierres, l’orientation de leurs faces suivant des plans horizontaux se manifeste toujours avec une entière évidence ». Les très nombreuses sections de piliers d’aqueducs que j’ai pu voir m’ont permis de vérifier ces caractères sans aucune exception (fig. 94). 2o Parements réticulés. — Les parements réticulés sont constitués par des moellons prismatiques carrés de 0m,10 environ avec 0m,20 de queue, posés en diagonale, en losanges, au lieu d’être posés à plat; ils sont taillés sur les côtés, ainsi que sur la face antérieure et effilés vers le bout, exactement de la même façon que les moellons rectangulaires de l’appareil à petites assises horizontales. Ainsi, comme pour ce dernier, le mortier du blocage pénétrait entre les pointes intérieures du parement; on y glissait aussi quelques cailloux, et le bloc une fois pris, le parement y semblait cloué (fig. 91).
Indépendamment de la forme et de la disposition des moellons, l’appareil réticulé, se distingue de l’autre en ce qu’il doit forcément être encadré par des chaînes d’angle en briques ou pierres plates, le plus souvent carrées, ayant pour côté la longueur des moellons de parement, soit 0m,20[14]. C’était là le défaut le plus grave de cet appareil, car les chaînes se liaient assez mal avec l’ensemble : il s’ensuit que les monuments construits en réticulé, même les mieux conservés, sont, presque tous plus ou moins endommagés aux angles.
A tout prendre, ce parement, dont l’aspect flatte l’œil, offre par lui-même de moindres garanties de stabilité que les autres; revêtement de parade plus que de soutien, il semble même qu’il soit retenu par le massif intérieur plus qu’il ne sert à le consolider. Aussi le voit-on rarement régner sans interruption sur toute la hauteur d’une façade un peu élevée : des chaînes horizontales de briques ou de pierres plates le divisent en zones : c’est ce que l’on remarque en particulier à toutes les piles de l’aqueduc du Gier. Dans le travail de la construction, à chaque nouvel arasement, c’est-à-dire à chaque fois que le blocage atteignait le niveau où s’était arrêtée l’élévation du parement, on établissait, avant de surélever celui-ci, une, deux, trois ou même quatre assises de très grandes briques carrées, de 0m,63 de face et 0m,06 d’épaisseur (fig. 91). Tandis que les cordons apparents qu’elles dessinaient à l’extérieur des assises de briques[15] produisaient un agréable effet d’ornementation (fig. 95), elles divisaient les poussées, égalisaient les
Fig. 95. — Siphon de Beaunant. Pile de support du réservoir de chasse, face arrière. tassements, et empêchaient la disjonction des éléments par des fissures longitudinales. Elles recouvraient souvent la section entière du massif ; d’autres fois elles ne formaient qu’une ceinture qui, étant données les dimensions des briques, pénétrait bien en arrière du parement dans l’épaisseur du blocage et avait presque autant d’efficacité qu’un recouvrement complet pour empêcher la propagation des lézardes. Il ne semble pas y avoir eu de règle fixe pour la distance qui séparait ces cordons de briques successifs ; c’est même souvent fort irrégulier. La moyenne est de 1 mètre à 1m,50 ; mais parfois l’intervalle s’étend jusqu’à 2 et 3 mètres, surtout dans le bas, car cet intervalle diminue souvent à mesure que la pile s’élève, ce qui est conforme à une bonne entente de l’effet esthétique à produire, et peut aussi se justifier en ce qui concerne les conditions de stabilité à obtenir[16].
Ces ceintures de briques existent aussi, mais exceptionnellement, et sans régularité (fig. 16), aux parements de petit appareil rectangulaire, plus solides, toutes choses égales d’ailleurs, que les parements réticulés, grâce à l’assiette stable que leur donne l’horizontalité des assises.
Bien que les aqueducs de Lyon ne présentent aucun ouvrage appareillé en briques (opus latericium), cet appareil est si fréquent dans les constructions romaines, et aux aqueducs en particulier, qu’il est bon d’en dire un mot. Encore mieux aménagé que le système des petites assises de pierre pour la liaison avec le noyau de maçonnerie brute, il se compose presque toujours de briques triangulaires, chevauchant les unes sur les autres (fig. 96). Cette double série de cordons intervertis mordait avec ténacité dans la masse.
Echafaudages. — J’ai mentionné déjà[17] les systèmes usités pour lier l’un à l’autre deux parements opposés : pierres en parpaing (διἀτονοι), tirants en fer et scellements en plomb[18]. Je ne crois pas que ces liaisons métalliques aient jamais été appliquées aux piles d’aqueducs. Dans les murs ordinaires, les pièces de bois qui servaient à soutenir les échafaudages étaient fréquemment engagées de part en part dans la maçonnerie et, coupées ensuite au ras des parements, continuaient à jouer le rôle de pièces de liaison. Mais dans les murs épais, ces soutiens d’échafaudages se réduisaient à de simples boulins engagés dans le massif juste à la profondeur suffisante pour pouvoir soutenir les planchers de service. Ce sont évidemment les traces de ces bouts de madriers, anéantis à la longue par la pourriture, qui se voient au front de tant de murailles romaines régulièrement percées de trous[19].
Ces traces ne se voient presque jamais aux murs revêtus de l’appareil réticulé, spécialement imaginé pour l’ornement et qui en eût été déparé. Là, et partout où ces traces n’existent pas, on peut conclure que les parements ont été élevés par des ouvriers placés à l’intérieur du massif, et par phases successives, alternées avec le remplissage de l’alvéole par le blocage. Au contraire, partout où l’on voit des traces de boulins et notamment, pour parler de nos aqueducs, à Grange-Blanche (fig. 97), aux tourillons
de Craponne (fig. 97), la construction du parement s’est faite par échafaudages, voici comment. Une équipe de maçons travaillait, à l’extérieur pour élever le parement, tandis qu’une autre à l’intérieur entassait le blocage, à un niveau un peu plus bas. Celle-ci, arrivée au niveau où la première avait engagé des boulins dans le mur, noyait dans la masse de mortier et de cailloux les bouts intérieurs ; quand la prise était devenue suffisante pour que sur les bouts extérieurs on pût installer un plancher, les maçons du dehors montaient d’un degré ; et ainsi de suite, le travail de part et d’autre n’étant jamais interrompu. Structure identique de l’appareil réticulé aux aqueducs de Lyon et aux monuments reconnus de l’époque d’Hadrien. — Dans quelle mesure le genre d’appareil usité peut-il fournir des indications sur les époques de construction de nos aqueducs ? Il convient d’être très réservé dans les conclusions que suggère un semblable examen. On trouverait sans doute à toutes les périodes de l’architecture romaine, depuis les deux derniers siècles de la République jusqu’à la chute de l’Empire, des exemples du petit appareil rectangulaire, avec ou sans trace d’échafaudage. Aussi nul ne saurait prétendre que l’aqueduc de La Brévenne est postérieur à celui du Gier, sous prétexte, que certaines piles provenant d’une restauration de celui-ci, comme au Langonan, sont appareillées suivant le même mode que les piles du pont de Grange-Blanche à celui-là. Quant à l’appareil réticulé, nous savons qu’il était déjà très en vogue au temps de Vitruve, c’est-à-dire au temps d’Auguste[20].
Est-ce une raison pour faire remonter l’aqueduc du Gier à cette époque-là ? Evidemment non. Un siècle plus tard cet appareil était encore tellement en honneur que l’empereur Hadrien faisait, construire presque entièrement avec le système de parements réticulés sa fameuse villa de Tibur, cette ville aux cent palais, de plusieurs milles de tour. Qu’on examine de près cet appareil aux murs de ces palais, on lui trouvera certainement un aspect différent de celui qu’il présente aux monuments du même genre dont la date authentique remonte au siècle précédent. L’effet décoratif est plus recherché, mieux obtenu ; les cordons de briques sont plus répétés, plus régulièrement placés, les chaînes d’angle plus réduites. Or, c’est ce même aspect que l’on retrouve à s’y méprendre aux arcades de Soucieu, de Chaponost, de Beaunant. À ces dernières et à celles de Soucieu, j’ai signalé déjà une particularité qui frappe tout de suite le regard et, tout en produisant un heureux effet, sent un peu l’artifice : c’est l’alternance des deux couleurs, blanc et gris bleuté (grès calcaire et gneiss), aux pierres réticulaires, ainsi disposées en damier. Le caractère déjà un peu factice et mièvre du parement en réseau se trouve par là conduit à son terme logique : des raffinements analogues se produisent pour toute forme d’art lorsqu’elle a beaucoup servi et qu’elle touche à son déclin. Or, à partir du milieu du iie siècle, on ne trouve plus usité l’opus reliculatum ; les thermes de Caracalla, de Dioclétien ne présentent pas un seul pan de mur ainsi édifié ; on revient à l’opus latericium ; l’aqueduc Alexandrina, à Rome, construit par Alexandre Sévère, les restaurations, au début du iiie siècle, des aqueducs plus anciens, sont entièrement de ce dernier appareil. Donc, sans vouloir être affirmatif plus que de raison, on peut considérer comme très probable que l’aqueduc du Gier nous met sous les yeux un des derniers spécimens du réticulé. Il a été dit plus haut[21], d’après Spartien, que l’empereur Hadrien emmenait avec lui ses architectes dans ses voyages pour leur confier des besognes à exécuter, en particulier des constructions d’aqueducs. L’analogie des parements avec ceux de la villa de Tibur n’en serait que mieux expliquée, si l’on attribue l’aqueduc du Gier à ces architectes.
Fondations. — Les Romains attachaient une grande importance à la solidité des fondations. « Fundationes… fodiantur, dit Vitruve (iii, 4) si queat inveniri ab solido et in solidum quantum ex amplitudine operis pro ratione videbitur, exstruaturque structura totum solum quam solidissima[22]. » Cette règle concerne les substructions des temples, mais elle était appliquée dans sa teneur essentielle pour toute construction que l’on voulait solide et notamment pour les piles d’aqueducs. L’auteur recommande, non seulement d’atteindre le terrain ferme, mais de pousser la fouille en profondeur à partir de là (ab solido in solidum), plus ou moins avant, selon l’importance de l’ouvrage. Sur presque tout le parcours des aqueducs de Lyon, le sous-sol constitué par du terrain primitif est extrêmement solide, et souvent on a pu se contenter d’établir la maçonnerie sur le roc sans creuser celui-ci. Aux piles qui subsistent on constate cependant, en général, que les fondements sont d’environ un mètre de profondeur, et atteignent quelquefois deux mètres quand la pile est très élevée. Il y a toujours au niveau du terrain un empattement latéral de 20 à 30 centimètres.
Dans le cas d’un sous-sol inconsistant, Vitruve recommande les fondations sur pilotis[23] : pieux de bois dur passés au feu, enfoncés à des distances très rapprochées ; intervalles entre ces pieux remplis avec du charbon de bois, et matériaux très solides par-dessus, c’est-à-dire sans doute maçonnerie liée par de forts libages. Aux environs immédiats, de Lyon, le terrain d’alluvions quaternaires, bien moins ferme que le gneiss et les micaschistes d’amont, sans aller jusqu’à exiger des fondations sur pilotis, demandait pourtant certaines précautions de plus. Au pont à siphon de Beaunant, les fondations, principalement près du lit du ruisseau, contiennent de grands blocs de pierre de taille, évidemment destinés à asseoir plus sûrement, le massif et à garantir sa consistance.
Les fondations sous l’eau se pratiquaient chez les Romains avec des mortiers à prise rapide, dont la composition et la fabrication seront expliquées plus loin. Mais sur le parcours des aqueducs de Lyon, aucune rivière ne se rencontrait assez importante pour nécessiter des fondations spéciales. Si une ou deux piles devaient plonger dans l’eau, il était très facile de détourner momentanément le cours d’eau pour permettre des fondations à sec.
Construction des voûtes d’arcades. — Les piles achevées, on passait à la construction des voûtes d’arcades. « Si l’on jette les yeux sur un monument romain voûté en maçonnerie, dit M. Choisy, si l’on examine, par exemple, une des longues files d’aqueducs de la campagne romaine, on aperçoit des arcs de tête en briques ou en moellons, dont les joints convergent vers un centre commun, puis derrière ces arcs de tête une maçonnerie brute faite de fragments de tuf ou de débris de tuileaux, et qui ressemble à du béton. Une masse compacte de blocages comprise entre deux parements à joints convergents, telle est la construction que semble révéler un examen sommaire des ruines. Mais si l’on observe de plus près ces massifs d’apparence si entièrement brute, on découvrira incrustés en eux des chaînes d’une structure toute différente, de véritables nervures engagées, quelquefois des réseaux entiers de briques formant dans le corps des blocages une charpente interne, une sorte de squelette léger, qui se ramifie, qui se subdivise et s’étend au milieu des maçonneries grossières dont il est enveloppé[24] » (Fig. 98).
On ne saurait représenter plus exactement en quelques mots l’appareil de ces voûtes, qui est celui des arcs d’aqueducs, hormis toutefois ceux qui datent d’une époque antérieure à l’application courante de la construction par blocage de petits matériaux, ou dans lesquels on a voulu conserver le grand appareil de voussoirs taillés convergents : tel le système d’armatures au pont du Gard, telles les voûtes primitives des aqueducs Marcia et Claudia. Mais à ceux-ci même, un grand nombre d’arcades ayant été renforcées par des arcs-doubleaux, c’est encore l’appareil de blocage encadré décrit ci-dessus que l’on aperçoit le plus souvent.
L’ossature seule (j’entends les arceaux de tête et les lignes extérieures de briques ou de moellons plats) est formée d’éléments dont le profil représente des lignes convergeant vers l’axe de la voûte, toujours à plein cintre. Au contraire, le blocage qui est venu remplir les vides entre ces éléments est construit par lits entièrement horizontaux. Cette maçonnerie n’est donc que la continuation, l’extension de la masse interne des piles ; l’ensemble, si tous les parements tombaient, laisserait apercevoir un massif unique, homogène et compact, où les minces voussoirs qui s’y trouvent noyés montreraient leur simple office d’armature ou de moule : car ils ne contribuent presque en rien à la solidité de l’ouvrage et n’ont guère été que des expédients de construction.
On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, il n’aurait pas suffi d’un cadre provisoire solide en charpente, sur lequel le blocage aurait été posé et qu’on aurait enlevé quand celui-ci aurait fait prise entièrement. « C’est, répond M. Choisy, parce qu’il fallait assurer aux cintres une invariabilité absolue, et que cette condition de rigidité ne pouvait être que bien difficilement remplie en faisant usage des simples cintres en charpente. Les bois, même les mieux assemblés, jouent, travaillent, se tourmentent au moindre changement de température, et une voûte monolithe, incapable de suivre dans ces déformations la charpente qui lui a servi de moule, sera sans cesse menacée, par suite du retrait ou des affaissements éventuels des cintres, de se trouver sans appui[25]. » Au contraire, avec le dispositif indiqué, il y a comme un bloc indépendant, avant la prise complète, dans chaque alvéole formée par les entrecroisements des nervures. La charpente de soutien peut jouer un peu, la masse superposée n’en souffre pas sensiblement.Cette charpente consistait donc en un certain nombre de cintres légers, soutenus par une saillie de la maçonnerie aux naissances ou à la hauteur du joint glissant, pour soutenir eux mêmes les petits arcs élémentaires, faits d’une seule rangée de briques et plus ou moins distants les uns des autres, selon la profondeur et les autres dimensions de l’arcade. Ces cintres étaient reliés entre eux par des couchis, sur lesquels s’appuyaient les quelques lignes longitudinales de briques dirigées suivant les génératrices de la voûte, c’est-à-dire suivant des plans convergeant vers son axe Le réseau ainsi formé suffisait, avec l’aide des cintres et des couchis, à soutenir le blocage qui s’élevait horizontalement.
Aux aqueducs de Lyon, les briques formant l’armature sont souvent remplacées, comme celles des chaînes horizontales des piles, par ces larges tranches de micaschistes dont j’ai dit un mot plus haut, carrées, de 0m,60 de côté, épaisses de 5 à 6 centimètres ; c’est souvent aussi une alternance aux têtes d’arceaux entre une brique et une de ces pierres, ce qui produit un effet décoratif assez heureux (fig. 25). Ces arcs de tête sont presque toujours enveloppés à l’extrados par une ceinture de briques posées à plat, dessinant sur le parement un mince cordon rouge qui l’agrémente aussi (fig. 99).
Bandeau au-dessus des voûtes. — Quand la maçonnerie de blocage s’était élevée entre les tympans jusqu’au niveau du faîte de cet extrados ou à quelques centimètres plus haut, il restait à établir la cuvette de l’aqueduc, ses piédroits et sa voûte. Généralement on disposait d’abord un dallage faisant plus ou moins saillie à l’extérieur pour former un bandeau horizontal. À l’aqueduc du Gier, c’était une assise double de briques qui, sans faire toujours saillie, tranchait comme le cordon cintré par sa couleur vive, et contribuait de même à l’harmonie du monument (fig. 43, 99).
Dans certains endroits où l’on a été obligé de donner une plus grande épaisseur aux piles à cause de leur élévation, les arcs de tête ont été construits en retrait sur les piles de 15 à 20 centimètres, afin de ne pas donner aux murs du canal une épaisseur inutile. Cela forme entre deux arcades voisines une ante ou contrefort qui monte des deux côtés de l’aqueduc à l’aplomb de la façade jusqu’au bandeau ou même jusqu’au faîte (fig. 24, 28, 43, 99). L’aspect n’en est pas disgracieux, au contraire :il en résulte un heureux effet de relief et de légèreté[26]. Percées longitudinales dans les piles à Soucieu et à Beaunant. — J’ai signalé, en décrivant les ponts-siphons de Soucieu et de Beaunant, les ouvertures ménagées au travers des piles, dans le sens longitudinal, ce qui allégeait celles-ci en créant une enfilade d’arceaux, agréable au coup d’œil. On dut ensuite, pour raisons de solidité sans doute, aveugler la plupart de ces ouvertures. C’étaient des arceaux construits d’après les mêmes principes que les arcades transversales. Gasparin se montre sévère pour ce dispositif qui prouve selon lui, de la part de l’architecte constructeur de l’aqueduc, une ignorance complète des conditions de stabilité d’une voûte[27]. Il y a dans ce jugement une évidente exagération. Il ne resterait pas autant de ces voûtes après dix-huit siècles si leur conception avait été le fait d’un architecte ignorant. L’idée en elle-même est d’autant plus admissible qu’on en voit des applications dans la construction moderne. Quant à la nécessité où l’on s’est trouvé de boucher la plupart de ces percées, il est possible que le souci de l’élégance ait d’abord un peu trop préoccupé l’architecte; la faute était, en tous cas, de celles qu’il était facile de réparer; et, d’ailleurs, nous ne savons pas au bout de combien d’années cette modification a été exécutée. Toute construction exige, au bout d’un certain temps, des travaux de consolidation; on a exécuté celui-là parce qu’il était évidemment le plus facile. Et s’il nous semble bizarre, contraire à une disposition harmonieuse, qu’au pont de Beaunant un certain nombre de piles aient toujours été bouchées[28], il faudrait connaître l’état des lieux environnants à cette époque pour savoir si cela n’était pas imposé par de bonnes raisons, même esthétiques. Il est prudent de ne pas condamner quand la cause n’est pas entièrement connue.
Ne pouvant décrire comment les tuyaux des siphons étaient posés et ajustés sur les ponts, contentons-nous de poursuivre la description du travail aux simples ponts-aqueducs, en prenant toujours pour exemple ceux qui soutenaient le canal du Gier. Construction du canal voûté au-dessus des arcades et du bandeau. — Sur l’assise de briques régnant au-dessus des voûtes, on élevait les deux piédroits de la cuvette, en laissant entre eux un espace d’un peu plus de deux pieds, soit 0m,65 à 0m,70. La construction s’en opérait exactement comme celle des piles : élévation des parements d’abord, puis garnissage de l’intérieur, en laissant, le vide pour la cuvette. Une fois que ces deux massifs, épais chacun de 0m,60 à 0m,80, selon l’épaisseur des piles, se trouvaient élevés à un peu plus d’un mètre, soit à la hauteur des naissances de la voûte, on façonnait le radier. Il était constitué par une couche de béton de 8 à 12 centimètres, mélange de mortier de chaux avec des morceaux de briques concassés de la grosseur moyenne d’un œuf de pigeon. Puis on revêtait les parois latérales et ce fond bétonné d’une couche de ciment de 3 à 4 centimètres, où les fragments de briques n’atteignaient que la grosseur d’un pois. Parois et radier se raccordaient par un solin ou congé, c’est-à-dire par un bourrelet en quart de rond, d’un rayon égal à l’épaisseur de la couche. Enfin, après avoir soigneusement dressé et aplani ce revêtement, on y appliquait un enduit de chaux et tuileau en poudre, épais de 1 millimètre, qui donnait à la surface le brillant et le poli du stuc.Cela fait, on construisait la voûte. Elle était composée de voussoirs réguliers, pierres plates déjà décrites, taillées dans le micaschiste. On l’établissait au moyen de cintres reliés par des couchis sur lesquels on étendait une mince couche de mortier avant de poser les voussoirs; ceux-ci n’étaient d’ailleurs pas reliés entre eux par du mortier. J’ai déjà eu l’occasion plusieurs fois, en décrivant les canaux souterrains bien conservés, de mentionner l’empreinte polygonale laissée par les couchis dans le mortier qui revêt l’intrados. La voûte terminée sur une certaine longueur, on surélevait les piédroits à l’extérieur, dans le cas où ils débordaient l’épaisseur de la voûte, jusqu’au niveau du faite de l’extrados de celle-ci, ou un peu au-dessus, et l’on recouvrait le tout d’un revêtement de ciment légèrement bombé, qui formait la couverture et le couronnement de l’ouvrage (fig. 102 et ci-dessus, fig. 11, 52).
Tel est le procédé de construction uniforme pour tous les ponts-aqueducs construits en petits matériaux. Lorsque la maçonnerie est de grand appareil, comme aux arcades de la campagne romaine, ce sont de grandes pierres de taille qui forment la base du radier, les piédroits et la couverture; mais le garnissage intérieur de la cuvette est toujours le même. Quant aux cuvettes superposées à ces canaux de pierre de taille (on sait que l’Anio novus surmonte la Claudia, que Tepula et Julia surmontent Marcia), elles sont constituées d’une façon semblable à celle qui vient d’être décrite en détail.
En considérant les principaux aqueducs de l’empire romain, nous trouverions sans doute bien des variétés d’arcades, mais tout se réduirait à des combinaisons entre les trois systèmes décrits : grand appareil massif ou garni, petits parements avec blocage. Nous verrions par exemple qu’au pont du Gard, composé de trois étages d’arcades, les deux premiers sont construits en grand appareil massif, le dernier, qui porte l’aqueduc, en moellons smillés (moyen appareil) et blocage ; que les piles y sont renforcées par des becs triangulaires élevés seulement jusqu’au-dessus du plan des naissances; qu’à l’aqueduc de Metz, le pont qui traversait la Moselle, composé de cent quatorze arches sur 1.120 mètres de longueur et une hauteur maxima de 33 mètres, était soutenu par des piles en blocage avec petit appareil rectangulaire, et que ces piles présentent, dans tous les sens, des saillies successives de 0m,18, de 3 en 3 mètres à partir des naissances jusqu’à la base ; qu’à Tarragone le pont à deux étages en grand appareil a, suivant un principe semblable, les piles du bas construites en troncs de pyramides, tandis que celles du haut sont à parois verticales, etc… Pour le canal lui-même, on ne rencontre à peu près nulle part les sections circulaire, elliptique, ovoïde, si répandues de nos jours, et qui ont supplanté partout ou à peu près la section rectangulaire. Celle-ci était la seule usitée dans les aqueducs romains. Quelquefois pourtant les parois intérieures sont légèrement évasées, comme à l’aqueduc de Fréjus, où la cuvette a 0m,65 de largeur au radier et 0m,75 aux naissances; mais ce profil est rare (fig. 103).
Masses relatives des ponts-aqueducs de Lyon. — Pour donner un aperçu d’ensemble sur les dimensions et les masses relatives d’un certain nombre de ponts-aqueducs romains, comparés entre eux et avec des ouvrages modernes, j’ai reproduit dans le tableau ci-contre (p. 252) quelques mesures et quelques rapports fournis par l’ouvrage de A. Léger : Les travaux publics au temps des Romains. L’auteur n’indique pas les sources où il les a recueillis, ni pour chaque aqueduc l’ouvrage en particulier où l’on a fait ces relevés. Ils doivent être assez exacts, à en juger par les deux exemples donnés pour l’aqueduc de Lyon (bien que je ne puisse désigner sûrement les deux ponts dont il est question) ; les dimensions indiquées sont parfaitement conformes à la moyenne et, en faisant le calcul du rapport des vides aux pleins [Tableau à insérer]
nï^ii-riiir vn,,Mpr« PILES CUVETTE RAPPORTS PONTS-AQUEDUCS LONGUEUR HAUTEUR AU ,">.’ „ „«. »ES A LARGEUR ,„ „ -. ._..„ ,,„„,-„„ „ .,-, .,- ,.„ Den*iis. (le la lie l’épais, de la DU VIDE DUvide à la SOMMET "Ai.cnES mmm LA CLEF nE ,,ACE LONGL-ELR LARGEUR HAUTEUR roateàI’onvert. pile à l’onvert. AU PLEIN surfacetotale Aqueducs romains. Marcia » 9,20 1.47 » 4.72 0.75 2/35 1,47 0,74 1,67 0,156. 0,561 0,675 0,404 Claudia » 19.65 3J00 » 5,94 0lS0 4.43 3,27 » » 0,133 0,730 0,500 0.333 Lyon » 13.00 1.90 » 5,20 0.65 2.50 2,50 0,60 1.65 0,125 0.480 1.01 0.502 — » 17J5 ’1.90 » 5.85 0.65 3,00 4.65 0,60 1.65 0,111 0,510 1>9 Oi.579 Nîmes 273 48,77 3,06 11 24.52-4.80 1.00-0,60 4,S0 - 2.20 0,36 - 3.00 1,22 1,67 0.065-0.1200.200-0 .458 0.88 o^SO Metz 1.120 32.50 3.58 114 ’ 5.50 ’ 0.75 4,30 ’ 3.95 1,04 2.00 ’ 0,136 0.780 0,87 0,465 Ségovie 818 28r50 2.50 119 5.04 0.85 1,83 2i50 » » 0,170 0,360 1,49 0,596 Arles » 10,00 2,50 » 4,50 0,45 2,80 2,20 0,97 1,50 0,100 0,620 0,41 0,292 ÏM38 0,515 0,837 0.438 Aqueducs du moyen âge (xie et vue siècles). Bourgas 233,90 36,00 3.50 4 17,35-13.5 1.20 13,50 S.OO - 4.00 0.65 1.35 0,069 0.448 0,52 0,343 Spolète 253,60 133,60 13,66 10 21,45 2,00 3,57 13,60 » >> 0,093 0,166 2..30 0,696 Aqueducs modernes (xvii" et xvm« siècles). Arcueil 370 72,00 2.30 10 S.OO 1.0(11 4.20 » 0.50 0.40 0,125 0.525 (0.083 ; -(0,076) Maintenon... 4.140 53,30 £50 195-390 13.02-5.50 0.90 JS.OO -4.5015.50-0.50 2,00 1,25 0,069 0.615 0,745 0,421 Caserte 539 27,80 3iï0 27,43 0,0-4,00 1,00| ’ 4,80 ’ 6,20 1,20 1,66 0,150 0,727 0,802 0,440 j 0,099 0,462 0,839 0,447 Aqueducs contemporains (xix^ siècle). Roguefavour.. 375,00 82.65 4,50 15 15.00-16,00 1.00 5.50 -5.0(1 7.20- 6,00 2.82 2,25 0,066 0.366 1,420 0.590 LaVanne(Moret) » 10,00 4.35 » 7.00-35.00 1.00 3.00 4,35 Diam. :2 X 1,50 0,029 0,085 1,773 0’,642 — (Arcueil) 990,40 il,00 3,44 S4 SJ45-H.35 0,45 1,45 » » 2,14 0,045 0,145 2,117 0.G78 11 0.068 0.188 1.747 0 635 pour le pont-aqueduc du hameau des Granges (décrit ci-dessus p. 113 et représenté fig. 24), j’ai trouvé 1,03, chiffre moyen entre les deux que donne M. Léger, 1,01 et 1,39.
Nous voyons par le tableau que, parmi tous les aqueducs romains qui y sont mentionnés, l’aqueduc du Gier est, après celui de Ségovie, celui pour lequel on a proportionnellement dépensé le moins de matière, puisque le rapport de vide au plein atteint 1,39 (à Ségovie 1,49), tandis que partout ailleurs il est inférieur à l’unité, la moyenne étant 0,837. Et si l’on met ensuite à part l’aqueduc de Spolète, il faudra descendre jusqu’à notre époque pour retrouver ce même rapport égal ou supérieur à celui qu’on relève aux ponts de l’aqueduc de Lyon.
Prenons, en regard de celui-ci, les aqueducs de Rome Marcia et Claudia : le rapport du vide au plein n’est au premier que de 0,676, et au second de 0,500. Comparons aussi les rapports des épaisseurs de voûtes aux diamètres des ouvertures, nous trouverons :
Pour Marcia . . . . . . . . . . . . . . .
Pour Claudia . . . . . . . . . . . . . . . .
Pour Lyon . . . . . . . . . . . . . . . . .
La voûte est donc beaucoup plus légère à l’aqueduc de Lyon. Et si l’on cherche à déterminer par les formules usuelles d’aujourd’hui l’épaisseur de cette voûte en fonction du diamètre de l’ouverture, on s’aperçoit même que l’architecte n’a pas dépassé de beaucoup celle que ce calcul nous ferait adopter[29]. D’après ces comparaisons, les travaux d’art de l’aqueduc du Gier prouvent avec autant de force que son ingénieux tracé une expérience très sûre et une habileté consommée, à défaut des données précises que possède la science moderne. Je verrais dans leur hardiesse un indice de plus en faveur de l’hypothèse qui me fait reporter cette construction au deuxième siècle. Plus il s’est construit d’aqueducs à la fois, moins on a dû se montrer timide dans les essais d’allégement, et l’aqueduc du Gier, par son profil dégagé, me semble beaucoup plus voisin de l’aqueduc de Ségovie, qui est du règne de Trajan, que des superbes, mais épais massifs construits au voisinage de Rome sous le règne de Claude.
Substructions pleines. — Il n’y a que peu de chose à dire sur les massifs hors de terre sans arcades. Le nivellement exige souvent pour l’aqueduc une certaine élévation au-dessus du sol, trop faible cependant pour qu’il y ait avantage à y ménager des ouvertures, qui compliquent toujours la construction. Il arrive fréquemment qu’à la suite des massifs pleins élevés — et nous en avons vu assez d’exemples — le terrain s’abaissant progressivement au-dessous du niveau de la conduite, des arcades prennent
naissance (fig. 100), d’abord très basses et réduites à la partie cintrée, ensuite peu à peu laissant émerger des piliers qui grandissent, puis diminuent ; et le massif redevient plein. Il est à remarquer que l’on ne voit jamais apparaître d’abord des arcades de très faible rayon : les moindres ont toujours un rayon d’un mètre à peu près ; à mesure que les piliers s’élèvent, ce rayon grandit jusqu’à ce que l’ouverture ait atteint une certaine dimension, qui persiste aux arcades suivantes. L’effet de proportion est toujours, dans ces
séries, très justement combiné. La hauteur des substructions sans arcades ne dépasse jamais deux mètres depuis le sol jusqu’au niveau du radier[30]. Ces alternances de massifs pleins et d’arceaux sont très remarquables à l’aqueduc du Gier, avec les caractères qui viennent d’être énoncés, surtout aux plateaux de Soucieu et de Chaponost.
Il va de soi que la construction des massifs pleins continus ne comporte aucun procédé différent de ceux qui ont été décrits pour l’établissement des piliers, de la cuvette et de ses piédroits. On peut en dire autant des réservoirs bâtis hors de terre, où la seule différence avec la cuvette canalisée consiste dans les dimensions, dans l’épaisseur des couches de ciment revêtant les parois, et dans la nécessité de ménager à travers celles-ci, d’une part, l’entrée du canal, de l’autre, si ce sont des réservoirs têtes de siphons, les trous d’échappement.
Les rampants adossés à ces réservoirs pour le départ, ou l’arrivée des tuyaux peuvent être sur massifs pleins, comme au siphon de Saint-Genis, ou sur arcades, comme à celui de Beaunant : simples arceaux en plein cintre et non arcs-rampants ; la disposition de ces arceaux est élégante, tant par la façon dont leurs hauteurs s’échelonnent, et dont l’ouverture du plus bas est réduite, que par l’agencement des assises de briques partant des naissances de ces différents arcs (fig. 44 et 99)
- ↑ « Namque hic liber non profitetur unde architectura nascatur, sed unde origines aedificiorum sint institutae, et quibus rationibus enutritae et progressae sint gradatim ad hanc finitionem. »
- ↑ « Vitruve parle en ce chapitre de plusieurs espèces de maçonneries dont on peut classer les différences avec plus de méthode qu’il n’a fait : car les deux premières sortes de maçonnerie qu’il établit au commencement comme les deux genres qui doivent avoir sous eux plusieurs espèces ne sont que deux espèces des trois qui sont comprises sous le premier genre, ce qu’il était fort aisé de comprendre quand on a lu tout le chapitre dans lequel il est parlé de sept espèces de maçonneries, qui se rapportent à trois genres, dont l’un est la maçonnerie qui est de pierres taillées et polies, l’autre la maçonnerie de pierres brutes et la troisième la maçonnerie composée de deux espèces de pierres. » (Note de Perrault en tête du chapitre II.)
- ↑ « Alligant (Graeci) eorum alternis coriis coagmenta. » (Vitr. ii, 8, 47.) — « Struunt veluti latericios parietes. » (Pline, xxxi, 51.)
- ↑ « Cum impares et inaequales ordines coriorum diriguntur. » (Vitr., ibid.)
- ↑ « Praeterea interponunt singulos crassitudine perpetua utraque parte frontatos, quos διάτονοι appellant, qui maxime religando conlirmant parietum soliditatem. » (Vitruve, ii, 8, 48.)
- ↑ « Medios parietes farcire fractis caementis, diamicton vocant. » (Pline, xxxvi, 51.).
- ↑ « Altera est, quam ἔμπλεκτον appellant, qua etiam nostri rustici utuntur. Quorum frontes poliuntur, reliqua ita uti sunt nata cum materia conlocata alternis alligant coagmentis.» (Vitruve, ii, 8, 48.)
- ↑ D’après Vitruve, ce serait un système qu’ils auraient même rejeté : « Graeci vero non ita, sed plena conlocantes et longiludines corum alternis in crassitudinem instruentes, non media farciunt sed e suis frontibus perpetuam et unam crassitudinem parietum consolidant. » (ii,8, 48.)
- ↑ V. note 3 ci-dessus, la phrase citée, que je traduis : «Les parements étant polis, le reste est formé de pierres brutes qu’on dispose par couches alternées avec du mortier qui les relie. »
- ↑ Choisy, ouvr. cité, p. 110.
- ↑ Ibid., p. 13.
- ↑ Il est bon de faire remarquer que ce procédé diffère essentiellement du bétonnage, en ce sens que le béton, mélange de cailloux et de mortier, se confectionne d’avance, et qu’on l’étend tout fait dans les fouilles, quitte à le pilonner aussi ensuite.
- ↑ Le procédé de construction par coffrage était cependant appliqué par les Romains quelquefois, au moins pour les murailles en pisé. « Que les Romains aient connu et pratiqué la bâtisse par encaissement, cela ne semble donner lieu à aucun doute, et entre autres textes très formels, un passage de Varron (de Re rust., liv. I, 14) montre qu’ils en ont fait usage au moins pour des clôtures en terre établies sans emploi de chaux, et qui ne pouvaient s’exécuter que par moulage. Peut-être ont-ils étendu, dans certains cas, ce procédé aux travaux de maçonnerie proprement dits, mais, nulle part, je n’en ai constaté l’application d’une manière assurée ; et si la maçonnerie par encaissement fut employée chez les Romains, je voudrais du moins établir qu’elle ne prit jamais dans l’antiquité le caractère d’une méthode générale. » (A. Choisy, ouv. cité, p. 22.) — Les indications de Delorme (p. 42) et <le Gasparin (p. 36) sur le procédé par encaissement, qui aurait été employé aux aqueducs de Lyon, sont tout à fait erronées.
- ↑ D’autres fois ce sont tics pierres plus petites, faisant tête d’un côté de l’arète et queue de l’autre, et se raccordant avec les réseaux, si bien que ceux-ci semblent aller jusqu’au bout. D’autres fois encore, ces chaînes d’angle sont faites de plusieurs pierres plates ou briques, carrées ou rectangulaires, juxtaposées (fig. 91).
- ↑ A plusieurs ponts de l’aqueduc du Gier, les briques sont remplacées par des pierres plates, de même dimension, découpées dans le dur schiste micacé du pays. L’élégance du parement en est diminuée, mais la solidité de l’ouvrage n’y perd pas, au contraire.
- ↑ La tendance à l’écartement semble devoir être plus grande, en effet, dans le haut que dans le bas.
- ↑ V. ci-dessus, p. 232.
- ↑ « Cum ansis ferreis et plumbo frontes revinetae sint. »
- ↑ On en voit même aux murs des palais. Mais il faut songer que ces murs ont été dépouillés du placage de marbre ou de stuc qui dissimulait la brique ou la pierre grossière aujourd’hui à nu.
- ↑ Malgré les savantes recherches critiques publiées par M. Victor Mortel dans la Revue archéologique (t. XVI, 1902), et d’où il ressortirait que Vitruve fut contemporain des Flaviens, je m’en tiens encore, jusqu’à de nouvelles preuves plus décisives, à l’opinion commune. L’argument le plus fort, à mon sens, pour conserver celle-ci, c’est celui qui résulte d’une remarque de M. Choisy (ouvr. cit., p. 178) sur le peu de place que Vitruve consacre dans son œuvre à la construction voûtée. Si cette œuvre est postérieure de près d’un siècle à l’édification du Panthéon d’Agrippa, d’où date vraiment, par l’emploi général et infiniment varié des voûtes, une ère nouvelle dans l’histoire île l’architecture, comment se fait-il que rien, dans cet écrit d’un architecte, ne marque la trace d’un fait aussi capital ?
- ↑ P. 34.
- ↑ « Les fondations doivent être creusées jusqu’au terrain solide, s’il est possible de le trouver, et dans ce terrain solide jusqu’à une profondeur proportionnée à l’importance de l’édifice. Il faut qu’elles soient maçonnées avec la plus grande solidité sur tout le plan de la tranchée. »
- ↑ « Si locus erit congesticius ad imum aut paluster, tunc is locus fodiatur exinaniaturque et palis alneis aut oleaginis aut robusteis ustilatis configatur, sublicacque machinis adigantur quam creberrimae, carbonibusque expleantur intervalla palorum, et tunc structuris solidissimis fundamenta impleantur. » (Vitruve, iii, 4.)
- ↑ Choisy, ouvr. cité, p. 34.
- ↑ Ouvr. cité, p. 39.
- ↑ C’est moins élancé toutefois et moins élégant que les contreforts de l’aqueduc de Fréjus (fig. 101), semblablement placés, mais construits en éperons. Tout est remarquable d’ailleurs à ces arcades de Fréjus, le détail aussi bien que l’ensemble. Elles sont construites en moyen appareil rectangulaire, gardant les traces d’échafaudages. La voûte est tout entière appareillée en claveaux taillés convergents, les piles sont minces et hautes : le tout est d’une harmonie et d’une sveltesse merveilleuses.
- ↑ Ouv. cit., p. 5.
- ↑ V. ci-dessus, p. 128.
- ↑ La formule de Perronet indique :
e=0m0347 D + 0m325 et celle de Léveillé :
Le tableau nous fournit la valeur de D,5m,85, et l’on aboutit par les deux formules à peu près au même résultat ; la première donne 0m,528 pour la valeur de e. Comme on voit, nous ne sommes pas très au-dessous de 0m,650, qui est l’épaisseur donnée à la voûte par l’architecte romain, d’après le même tableau.
L’application de ces mêmes formules au pont-aqueduc du hameau des Granges me donne 0,49 au lieu de 0,60, épaisseur que j’ai mesurée. Le rapport est sensiblement le même qu’entre 0,528 et 0,650.
Nous pourrions, pour ce même pont, faire le calcul de la largeur E qu’on donnerait aux piles en fonction de l’ouverture D = 4m,65, de la hauteur H des piédroits = 2 mètres, et de la surcharge K au-dessus de la base d’un des piédroits. Si nous prenons S = 2m,50, et si nous appliquons la formule de Léveillé :
l’épaisseur réelle étant de 2m,60, l’ingénieur romain n’a pas dépassé de beaucoup, comme on voit, le chiffre qu’auraient donné nos calculs modernes.
- ↑ Quelquefois cependant cette dimension a été dépassée. Mais alors, des ouvertures cintrées ont été ménagées à une certaine hauteur au-dessus du sol. On en voit un exemple à l’aqueduc de Fréjus (Fig. 104).