Germain de Montauzan - Les Aqueducs antiques/Chapitre 5 - §1

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CHAPITRE V


TERMINAISON, DÉBIT ET DISTRIBUTION


§1. — Réservoirs et châteaux d’eau.

Piscines des aqueducs de Rome pour l’épuration et le jaugeage. — Frontin, après avoir passé en revue successivement les neuf aqueducs de Rome en service de son temps et sous sa direction, précisé les circonstances de leur création et la longueur de leurs parcours respectifs, les considère ensemble aux approches de la ville.

« Ex his sex, via Latina, intra VII miliarium, contectis piscinis excipiuntur, ubi quasi respirante rivorum cursu limum deponunt : modus quoque earum mensuris ibidem posilisinilur[1]

« Près du septième, milliaire de la voie latine, six[2] de ces eaux sont reçues dans des piscines couvertes, où, suspendant leur cours comme pour respirer, elles déposent leur limon ; c’est là également qu’au moyen de mesures qui y sont placées, l’on commence à déterminer leur débit. »

On voit encore, mais peu distinctement, des vestiges de ces piscines, au moins de celles qui recevaient les eaux de Claudia et d’Anio novus. C’étaient des bassins de forme rectangulaire, adossés l’un à l’autre, creusés et bâtis comme de simples citernes de grandes dimensions. Leur largeur commune, d’après Fabretti, était de 5m,94, et leur longueur respectivement de 19 mètres et 9 mètres. Les murailles avaient environ un mètre d’épaisseur. Mais il ne subsiste et il ne subsistait déjà au temps de Fabretti aucune trace de l’arrivée et de l’échappement des eaux, ce qui n’est pas surprenant ; en effet, le bâtiment était détruit sur une grande partie de sa hauteur, et les entrées et sorties avaient naturellement existé autrefois au niveau des aqueducs; or, ceux-ci, dans le voisinage, étaient, comme on sait, soutenus par des substructions.

Ces piscines (piscinae limariae) servaient donc à la fois de bassins d’épuration et de dispositifs pour le jaugeage. Quelles étaient ces jauges ? Frontin ne le spécifie pas. Mais étant donné le système de modules qui sera expliqué plus loin, il est à supposer qu’il s’agissait de simples ouvertures rectangulaires par lesquelles l’eau était assujettie à passer sous une charge donnée. On ouvrait le nombre d’ouvertures nécessaires pour que cette charge demeurât constante : chacune d’elles correspondant, à un nombre déterminé d’unités de mesure (de quinaires), on obtenait ainsi le chiffre du débit.

Aucune piscine de ce genre n’a été constatée pour les aqueducs de Lyon aux approches de la ville, et il n’est pas probable que l’on en découvre. Cette absence tient à la pureté de l’eau, qui eût rendu peu utile une piscine épuratoire. Nous savons toutefois que l’eau du Gier se débarrassait des boues accidentelles dans un bassin[3] de décantation aussitôt après la prise d’eau. Il en était de même, et à bien plus forte raison, aux deux aqueducs amenant à Rome les eaux de l’Anio. Frontin[4] dit de cette rivière que, traversant des terres cultivées et un sol gras, elle entraîne, même hors des temps de pluie, des eaux limoneuses et troubles, et il mentionne la piscine épuratoire au départ de l’Anio novus. Celle de l’Anio vetus, dont il ne parle pas, existait aussi pourtant : toutes deux ont été reconnues. Cette dernière, reconnaissable à l’existence d’une muraille haute de 5 mètres, épaisse de 1m,75, paraît avoir occupé une superficie de 40.000 mètres carrés à peu près. Le bassin de l’aqueduc du Gier à Izieux n’a qu’une superficie d’environ 8.000 mètres carrés, avec une profondeur qui devait être aussi de près de cinq mètres. L’Anio vêtus pouvant débiter plus de 4.000 quinaires, d’après Frontin, c’est-à-dire, suivant les calculs qu’on trouvera plus loin, près de 150.000 mètres cubes par 24 heures, ce débit journalier était un peu inférieur à la capacité de la piscine. D’après ce que nous verrons plus loin aussi, le débit de l’aqueduc du Gier n’atteignant pas 26.000 mètres cubes, et la capacité de la piscine étant de 40.000, celle-ci serait proportionnellement un peu plus grande, étant donné surtout que l’eau du Gier ne fournissait pas la totalité du contingent de l’aqueduc. On ne se tromperait donc pas beaucoup en disant que le bassin de La Martinière pouvait contenir une réserve pour 36 à 48 heures. L’épuration s’y faisait mieux encore qu’à la piscine de l’Anio vêtus, puisque l’eau y séjournait plus longtemps, et que l’Anio est bien plus limoneux que le Gier à n’importe quel moment. Par suite, on comprend aussi qu’une, seconde piscine d’épuration aux abords de la ville n’ait pas été nécessaire.

Meilleure était la qualité naturelle de l’eau, plus les Romains prenaient le soin de l’épurer par décantation, si elle était exposée à se troubler par les apports accidentels de limon. Aussi avaient-ils pris pour l’eau Virgo, excellente à boire[5], des précautions spéciales contre ces troubles passagers, en lui construisant sur le mont Pincio (Coliis hortorum) un bassin d’épuration très vaste et ingénieusement disposé. Cette piscine se composait (fig. 122) de quatre chambres voûtées, superposées deux à deux. L’eau pénétrait dans l’une des chambres supérieures, se déversait par des regards dans le compartiment situé au-dessous, passait par des baies latérales de cette seconde chambre dans la voisine, et de celle-ci remontait par des orifices verticaux semblables aux premiers dans la quatrième, où s’ouvrait le canal de sortie. Ces changements de direction successifs à très faible vitesse permettaient à l’eau de déposer tout le limon qu’elle avait gardé jusque-là. Des contre-pentes, ménagées dans le sol des chambres, amenaient les boues jusqu’à des orifices de vidange, que l’on ouvrait de temps à autre pour le curage, et par où celles-ci étaient entraînées dans les cloaques voisins.

Des précautions toutes pareilles auraient été prises aux aqueducs de Lyon s’il eût été nécessaire. Mais tout ce qui a été dit plus haut sur la nature de ces eaux et des terrains où elles prenaient naissance montre assez que de semblables piscines eussent été superflues.

Fig. 122 . — Piscine épuratoire de l’eau Virgo.

Les châteaux d’eau d’après Vitruve. — Nous avons abandonné le tracé de chacun des trois premiers aqueducs de Lyon à leurs points d’arrivée par siphons sur les hauteurs dont Fourvière est le sommet dominant. Le quatrième, celui du Gier, a été suivi jusqu’au réservoir de la montée des Anges où il se termine. Chacun d’eux avait-il un réservoir analogue à son extrémité ? Quelle fonction exacte avaient ces réservoirs ? C’est ce que nous pourrons déterminer avec plus de sûreté après avoir étudié par les textes et par l’exemple des aqueducs de Rome quel était, d’une manière générale, le principe de la circulation et de la répartition des eaux dans l’intérieur d’une ville. Nous serons ainsi amenés à des conjectures plus probables sur le système de distribution que devait posséder la ville de Lyon ; car ce qui subsiste ne peut, à lui seul, rien nous apprendre.

L’indication de Vitruve est, comme toujours, aussi absolue que restreinte, si bien que l’on se demande, comme toujours aussi, s’il envisage le cas le plus général, ou un cas particulier typique, ou une disposition théorique sans spécimen existant.

« Cumque venerit (aqua) ad moenia, efficiatur castellum, et castello conjunctum ad recipiendam aquam triplex emissarium, conlocenturque in castello tres fistulae aequaliter divisae intra receptacula conjuncta, ubi cum abundaverit ab extremis, in medium receptaculum redundet. Item e medio ponentur fistulae in omnes lacus et salientes, ex altero in balineas ut vectigal quotannis populo praestent, ex que tertio in domos privatas ne desit in publico[6]. »

Fig. 123. — Distribution théorique au château d’eau. Dessin de Perrault, d’après Vitruve.

« L’aqueduc étant parvenu aux murailles de la ville, on construira un château d’eau, auquel sera joint ; pour recueillir l’eau un bassin de départ a trois compartiments. Au château seront adaptés trois tuyaux répartis pareillement entre les récipients accolés, de façon que le trop-plein des deux extrêmes se déverse dans celui du milieu. De même à celui-ci s’ajusteront des tuyaux se dirigeant vers tous les bassins et fontaines jaillissantes ; le second alimentera les bains, dont le revenu annuel profitera au peuple, et le troisième les demeures particulières, l’eau, de cette façon, ne manquant pas pour les besoins publics. » Perrault a représenté cette distribution par une figure théorique très claire, exactement dictée par le texte de Vitruve, à cela près que de chaque récipient il ne fait échapper qu’un seul tuyau (fig. 123) ; mais cela n’a aucune importance, ce tuyau étant supposé se subdiviser ensuite.

Donc, d’après Vitruve, le château d’eau, à l’entrée de la ville, est le terme de l’aqueduc canalisé. Quant à la capacité relative de ce castellum, Vitruve n’en dit rien. Nous verrons que cette capacité pouvait être des plus variables. Des compartiments distributeurs l’eau s’en va, d’un côté aux pièces d’eau et fontaines publiques, d’un autre aux bains, d’un troisième aux domiciles privés. Voyons si les indications de Frontin, rédigées d’après la réalité officielle, confirment cette description.

Les châteaux d’eau d’après Frontin. — Chez ce fonctionnaire, ce n’est pas une description que nous trouvons, mais des chiffres. Ayant, évalué à 14.018 quinaires[7] la quantité d’eau distribuée dans Rome, Frontin la déclare ainsi répartie :

« Ex his (quinariis) dividuntur extra Urbem quinariae IVlxiii : ex quibus nomine Caesaris quinariae mdccxviii, privatis quinariae iicccxlv. Reliquae intra Urbem ixdcccclv distribuebantur in castella ccxlii : ex quibus erogabantur sub nomine Caesaris quinariae mdccvii semis, privatis quinariae iiidcccxlvii, usibus publicis quinariae IVcccci : ex eo castris xix quinariae cclxxix, operibus publicis xcv quinariae iicccci, muneribus xxxix quinariae ccclxxxvi, lacibus dxci quinariae mcccxxxv[8], »

« De toute cette quantité il se distribue hors de la ville 4.063 quinaires dont 1.718 au nom de César et 2.345 en faveur des particuliers. Les 9.955 autres étaient distribués dans l’intérieur de la ville entre 247 châteaux d’eau ; il en était pris 1.707 quinaires 1/2 au nom de César, 3.847 pour les particuliers ; pour les usages publics 4.401, dont 279 pour 19 camps ; 2.401 pour 95 établissements d’utilité publique ; 386 pour 39 emplois de libéralités, et 1.335 pour 591 bassins. »

Un premier fait frappant est le nombre des châteaux d’eau, infiniment supérieur à celui des aqueducs. Donc, a priori, ou bien les aqueducs se ramifiaient avant d’atteindre aux châteaux d’eau, ou bien il existait des châteaux d’eau dépendant les uns des autres, ou bien il y avait combinaison des deux systèmes. De toute façon Vitruve n’a pas donné une représentation exacte de ce qui se passait à Rome. Quant aux points terminus des canaux, ils ne se trouvaient pas toujours aux murs de la ville. Frontin nous mentionne plusieurs aqueducs qui se prolongeaient plus ou moins en galeries dans Rome avant d’atteindre les châteaux d’eau[9].

Châteaux d’eau publics et châteaux d’eau privés. — Or, parmi ces castella, les uns étaient des châteaux d’eau publics, les autres des châteaux d’eau privés, dépendant des premiers qui les alimentaient[10]. Frontin ne signale entre eux aucune différence. On ne saurait donc prétendre que les premiers fussent, forcément de grands réservoirs, car Frontin les aurait certainement mis à part, et non confondus dans le total des 247. En réalité un très petit bassin où l’eau s’étale simplement pour pénétrer dans les compartiments distributeurs, sans l’emmagasiner, suffit pour constituer le plus important des châteaux d’eau. Du château d’eau public parlait un triple réseau de conduites : les unes recueillant le contingent en quinaires réservé à l’empereur pour ses palais, thermes, bassins, cirques et jardins ; une seconde, catégorie pour le public, et la troisième pour les particuliers. Ces derniers, habitants de divers groupes de maisons plus ou moins étendus, s’organisaient dans chaque groupe pour établir en commun, avec l’autorisation des magistrats, un château auquel chaque concessionnaire faisait adapter, à son usage, une tubulure d’un diamètre correspondant à la concession qui lui avait été dévolue[11]. L’eau du domaine public à Rome. — Le réseau primaire — nous pouvons appeler ainsi la canalisation qui partait du château d’eau public, — comportait des tuyaux de plomb de diamètres souvent considérables, qui suivaient sous terre le relief du sol d’après les mêmes lois hydrauliques et avec les mêmes précautions, toutes proportions gardées, qu’aux siphons sur le parcours des aqueducs. Outre les châteaux d’eau particuliers, auxquels aboutissait le troisième groupe de tuyaux, et le domaine de l’empereur que desservait le premier, une immense quantité, de fontaines et de bassins étaient alimentés par le second. Le texte de Frontin précité distingue dans le domaine public les camps (19), les opera publica (95), les munera (39), et les lacus (591). Pour les camps, nous n’avons qu’à enregistrer leur nombre, qui nous étonnera moins si nous réfléchissons au nombre de corps militaires, et de corps de fonctionnaires astreints au régime, militaire, qui s’étaient créés depuis le début de l’empire[12], et qui devaient s’accroître bien davantage encore à partir de Septime-Sévère. Opera publica est une expression assez vague. Il y a tout lieu de croire qu’il s’agit là de tout ce qui satisfaisait aux besoins comme à l’agrément du peuple, et qui était établi et entretenu aux frais du trésor public : ces bains par exemple, dont parle Vitruve, et dont le revenu était distribué à la plèbe ; les réservoirs qui les alimentaient[13] ; d’autres réservoirs publics où l’on puisait l’eau pour l’entretien de la voirie urbaine, pour les incendies, etc. Quant au mot munera, il me semble qu’il faut l’entendre dans le sens de dons de munificence offerts au peuple, non par l’empereur, car cela ferait partie des eaux. nomine Caesaris, mais par des magistrats ou des particuliers : des thermes, par exemple, des spectacles[14], où la profusion d’eau était nécessaire. Enfin, le reste est désigné sous le nom générique de lacus, qui peut s’appliquer à toute espèce de pièces d’eau : lavoirs, citernes, abreuvoirs, bassins, fontaines jaillissantes (que Vitruve distingue sous le nom de salientes). Ce terme de lacus n’est en somme limité que par les catégories précédentes.

L’eau « nomine Caesaris ». Les répartitions successives. — À en croire Pline[15], le nombre de ces lacus aurait de beaucoup surpassé le chiffre de 591, puisque Agrippa en aurait à lui seul, pendant son édilité, créé 700. Mais entre les deux, c’est Frontin qu’il faut croire, puisqu’il avait en main les chiffres officiels. La seule façon de concilier les deux indications serait de penser que sur les lacus et les salientes créés par Agrippa, un grand nombre était octroyé « nomine Caesaris ». Il est dans tous les cas certain que l’eau prise au nom de César servit à déployer une magnificence et un luxe inouïs, soit pour les plaisirs de l’empereur lui-même, soit pour ceux du peuple : immenses bassins creusés pour les naumachies[16], réservoirs pour les jeux divers des amphithéâtres, pour toutes les fontaines improvisées aux somptueux jours de fêtes, tel était, après les jaillissements dans les vasques des palais, des thermes et des jardins impériaux, l’emploi de l’eau nomine Caesaris.

Faut-il croire que pour chaque aqueduc la répartition se faisait au premier château d’eau une fois pour toutes entre ces trois destinations, César, le public et les particuliers, ce qui reviendrait à dire que sur les 243 châteaux, il n’y en avait que 9 de publics contre 233 privés ? Évidemment non. Dans chaque région de Rome se trouvaient plusieurs châteaux d’eau publics, où la même répartition recommençait. Au premier château on ne prenait donc que le nombre de quinaires voulu pour la triple consommation de la région environnante ; le surplus s’en allait rejoindre un autre château où se faisait une répartition analogue, et ainsi de suite.

D’après Frontin, avant le règne de Nerva, par le caprice ou le zèle mal entendu des fontainiers, les eaux des divers aqueducs se mélangeaient sans discernement[17], soit qu’il y eût communication des canaux entre eux, soit que plusieurs eaux vinssent converger dans les mêmes châteaux d’eau. Nerva, aidé de Frontin lui-même, y remédia. Désormais, les eaux moins pures, comme celles de l’Anio, ne vinrent plus altérer la limpidité des eaux Marcia ou Claudia. Un réservoir (qu’on a voulu confondre avec le castellum divisorium, château de distribution) réunissait, près la porte Majeure, cette dernière avec l’Anio novus[18] qui arrivait sur les mêmes arcades. Il fut, dorénavant, réservé aux eaux de l’Anio, et l’eau Claudia se distribua isolément. L’eau Marcia eut de même ses châteaux d’eau spéciaux, et fut destinée exclusivement à la boisson[19]. Enfin, dans chaque région, l’on eut soin de faire arriver au moins deux eaux différentes[20], de manière à éviter la pénurie, en cas de réparation de l’un des aqueducs.

Rien dans le texte de Frontin ne confirme ni ne contredit explicitement l’existence du triple bassin de Vitruve, adossé au château d’eau. Puisque chacune des trois destinations que j’ai dites comportait un grand nombre de tuyaux, il est bien possible que chacune eût sa bâche spéciale. Mais Frontin ne dit nulle part que le contingent réservé aux usages publics profitât d’un trop-plein des deux autres ; il n’est nullement question chez lui non plus d’un compartiment spécial réservé aux bains. Tout contribue donc à faire penser que la description de Vitruve vise un dispositif usité peut-être fréquemment dans d’autres villes, mais qui n’était ni général, ni appliqué à Rome en particulier. Vestiges de divers châteaux d’eau. — Il est d’autant plus impossible de fixer un type invariable pour les châteaux d’eau publics, que les vestiges retrouvés d’authentiques bassins de distribution ne sont nullement pareils. On peut citer entre autres le castellum de Nîmes, bassin circulaire, de 5m,50 de diamètre et 1 mètre de profondeur, entouré d’un mur en pierres de taille de 1m,38 d’épaisseur (fig. 124). Sur un secteur un peu plus
Fig. 124. Chambre de distribution (Castellum divisorium) de Nîmes.
petit que le demi-cercle, à 0m,56 au-dessus du radier, étaient percées dix ouvertures circulaires de 0m,40 de diamètre, où prenaient naissance des tuyaux qui, deux par deux, conduisaient l’eau dans cinq directions différentes. Au fond étaient trois trous de vidange. L’aqueduc arrivait obliquement par rapport aux ouvertures, probablement à l’effet d’atténuer les remous à l’entrée des tuyaux. Au bout de chacun des dix tuyaux devaient se trouver des fontaines, des pièces d’eau, ou d’autres châteaux d’eau pour les distributions aux concessionnaires. A Tebourba, en Tunisie (Thuburbo minus), j’ai pu, au mois de décembre 1906, relever le dispositif d’une chambre de distribution très petite, qui venait d’être mise à découvert par les travaux du service des ponts et chaussées[21]. Cette chambre, qui se trouve, à une trentaine de mètres des citernes antiques utilisées pour les besoins de la ville actuelle[22], a 2m,80 de long sur 1m,50 de large et 1m,50 de profondeur environ (fig. 125). Outre l’orifice O d’entrée de l’aqueduc, elle en présente trois autres, l’un C, suite de l’aqueduc, qui emmène l’eau dans la direction des citernes, un autre C se dirigeant vers des thermes, un troisième C" allant probablement vers le théâtre. Ces trois orifices étaient munis de vannes V V' V" ; on voit parfaitement encore les
Fig. 125. — Chambre de distribution, à Tebourba (Tunisie).
rainures dans lesquelles elles glissaient. La conduite C était constituée par un ou plusieurs tuyaux de plomb, qui ont été enlevés, mais dont quelques fragments sont restés adhérents à la pierre. La plus intéressante des trois vannes était celle qui commandait l’entrée de C. Cette entrée n’occupe pas toute la section du canal : elle consiste en deux fenêtres superposées rectangulaires, dont les embrasures sont garnies de ciment et percées dans la paroi A A de la chambre ; elles ont pour dimensions la largeur du canal, 0m,45, avec des hauteurs très réduites, 0m,17 pour la fenêtre inférieure, 0m,11 pour la supérieure. La vanne, dans la position 1, entièrement relevée, devait laisser ouverts les deux orifices ; dans la position 2, boucher l’orifice supérieur ; dans la position 3, boucher les deux orifices et dans la position 4, la plus basse, boucher l’inférieur. De cette façon on réglait avec beaucoup de précision l’eau à envoyer aux citernes, aux thermes, au théâtre. J’imagine, que, quand les deux fenêtres étaient ouvertes, c’est qu’on n’avait besoin d’eau ni aux thermes ni au théâtre, et les vannes V V" restaient fermées ; si ces deux établissements devaient s’alimenter à la fois, on fermait les deux fenêtres, et la réserve, contenue dans les citernes suffisait à l’alimentation du reste de la ville ; si le théâtre seul, ou les thermes seuls avaient besoin d’eau, on ne fermait qu’une des deux fenêtres.

Des citernes part un tronçon d’aqueduc, dont la suite, aujourd’hui démolie, devait conduire à un ou plusieurs châteaux d’eau réglant la distribution dans la ville. De contenance trop faible pour constituer une réserve de longue durée, ces citernes devaient servir simplement, comme la plupart de nos réservoirs modernes, à régulariser le débit journalier, se remplissant la nuit pour donner dans le jour à chaque, habitant, ainsi qu’aux fontaines publiques, un cube d’eau plus considérable que ne l’aurait permis le débit naturel de l’aqueduc.

Piranesi a reproduit en une série de dessins les ruines d’un prétendu château d’eau de l’aqueduc Julia, situé près de la porte Esquiline ; ces ruines forment encore un massif imposant sur la place Victor-Emmanuel. Ce monument, postérieur à Frontin, se relierait bien en effet à l’aqueduc Julia par le nivellement, plutôt qu’à celui d’Alexandre-Sévère[23]. Mais son aspect, et même les dessins de Piranesi, portent à le considérer bien plutôt comme une fontaine monumentale, un nymphée, que comme un château de distribution.

Je ne pense pas qu’en général les châteaux d’eau aient été de très vastes constructions, bien qu’ils fussent souvent somptueusement décorés[24]. Belgrand[25] les regarde comme de simples « cuvettes » et cela paraît exact pour la majorité des cas ; l’on voit, même par l’exemple de Yebourba que ces cuvettes parfois étaient très petites et n’étaient pas apparentes. Que ces castella aient été souvent précédés ou suivis de grands réservoirs ou citernes, ce n’est pas douteux : mais j’estime que rarement ils faisaient double emploi. Qu’un vaste réservoir ait existé ou non à l’extrémité d’un aqueduc, cela ne change rien d’ailleurs au mode d’adduction et de distribution. Déclarer que certain aqueduc ne se serait pas prolongé jusqu’à Lyon parce qu’on ne lui retrouve pas de grand réservoir terminus est donc une assertion puérile. Inversement, quand on retrouve dans une ville un grand réservoir, vouloir à tout prix qu’il ait été le terme d’un aqueduc et l’origine de la distribution de ses eaux, n’est pas chose beaucoup plus raisonnable.

Le réservoir de l’aqueduc du Gier à Fourvière. Distribution commençant avant ce réservoir. — Le grand bassin dont les ruines, en bien mauvais état, servent de soubassement et de caves à la maison dite Angélique, au sommet de la montée des Anges, à Fourvière, se trouvant à une cote plus élevée que le radier de tous les aqueducs, à l’exception de celui du Gier, n’a pu recevoir les eaux que de celui-ci. Le canal qu’on a découvert un peu avant ce réservoir est d’ailleurs le prolongement manifeste dudit aqueduc. En résulte-t-il que ce soit là qu’ait commencé la distribution ? Evidemment non, et voici un indice assez probant du contraire. Il résulte d’un nivellement très exact opéré sur la colline de Fourvière[26] qu’entre le radier de l’aqueduc, tout près de ce réservoir, et le niveau du réservoir de fuite de Saint-Just, la différence d’altitude est de plus de 8 mètres. Ce n’est pas pour perdre, au dernier moment une hauteur d’eau si notable qu’on aurait, sur 75 kilomètres, maintenu à grands frais le niveau aussi haut que possible. Il faut donc penser qu’aussitôt après les arcades qui suivent le réservoir de fuite du dernier siphon, et au niveau du point culminant de la colline, un château d’eau faisait une première répartition, au bénéfice des quartiers les plus élevés. Le surplus était conduit du côté du réservoir de la montée des Anges, à l’extrémité orientale de la colline.

Les dimensions de ce réservoir sont de 23m,40 pour la longueur totale, et de 15m, 10 pour la largeur. Autant qu’on en peut juger, il devait y avoir cinq compartiments voûtés, séparés par des murs percées de baies, de o’",85 d’épaisseur. On ne voit plus aucune trace de l’entrée et de la sortie des eaux. Les parements et le radier n’existent plus.

L’emplacement des tuyaux de plomb au nom de Claude. Leur attribution possible à l’aqueduc de La Brévenne. — Flacheron a vu, un peu plus bas, dans la cave d’une maison[27], les restes d’un autre bassin plus petit, de 11 mètres de long sur 5 de large, à l’intérieur ; la hauteur des murs, enduits de ciment, était, paraît-il, de 2 mètres et leur épaisseur de 1m,50. Le radier était pavé en petits cubes de terre cuite. C’est non loin de là qu’auraient été trouvés, vers 1330, les tuyaux de plomb marqués TI. CL. CAES. que mentionne le P. de Colonia[28]. On s’est beaucoup fondé sur cette découverte pour affirmer que l’aqueduc du Gier remonte à l’époque de Claude. Mais il faudrait pour cela que l’endroit où ont été trouvés ces tuyaux fut bien identifié. Delorme[29] interprète arbitrairement l’indication vague du P. de Colonia, et Flacheron, qui cite Delorme, donne des renseignements d’autre part qui sont en discordance. En tout cas, la pente rapide du sol après le réservoir fait franchir très vite les quelques mètres d’altitude qui séparent le niveau 292 de l’aqueduc du Gier avant le réservoir, du niveau 286, où pouvait parfaitement atteindre l’eau de La Brévenne venant des Massues[30]. Les tuyaux de Claude ont donc fort bien pu conduire l’eau de cet aqueduc.

La distribution de l’eau du Gier. — Il est probable qu’un château de distribution existait dans le voisinage du grand réservoir de la maison Angélique, soit avant, soit après[31]. S’il était placé avant — et j’adopterais cette hypothèse de préférence — le réservoir aurait été appelé à un usage particulier : approvisionnement pour un palais, des thermes ou des jardins impériaux ; les autres conduites partant de la cuvette de distribution se seraient réparties comme plus haut entre les services public et privé. Si l’on suppose cette cuvette au delà du réservoir, celui-ci devient, comme nos réservoirs modernes, une sorte de régulateur journalier du débit. Mais alors pourquoi ne l’avoir pas placé au point le plus élevé et avant la première distribution ?

La citerne du Grand-Séminaire. — Sur l’ensemble de ces collines où aboutissaient les quatre aqueducs, on ne connaît qu’un autre grand réservoir antique, mais incomparablement mieux conservé, attendu qu’il est à peu près intact. Il se trouve dans le jardin du ci-devant Grand-Séminaire, à la cote d’altitude 232. En voici la description exacte, que complétera l’examen du dessin[32] (fig. 126).

La citerne offre en plan l’aspect d’un rectangle de 15m,75 sur 14m,05 ; elle est formée de trois chambres voûtées concentriques qui communiquent par des ouvertures en plein cintre ménagées au milieu des côtés. Ce n’est pas une voûte unique qui surmonte le tout, par conséquent : il faut se représenter un caveau rectangulaire constituant la chambre centrale, avec une double rangée de corridors voûtés en plein cintre qui circulent tout autour. L’ensemble forme une construction très massive dont les piliers sont de dimensions exagérées pour la masse qu’ils ont à soutenir. La symétrie n’est pas parfaite : ainsi les dimensions des ouvertures ne sont pas tout à fait pareilles ; elles varient de 1m,10 à 1m,44 de largeur; leurs axes deux à deux ne coïncident pas non plus exactement et la deuxième chambre n’est pas rigoureusement inscrite dans la première avec équidistance et parallélisme respectif des côtés.

Les parois de la citerne sont recouvertes d’un enduit de ciment pareil à celui des piédroits d’aqueducs et des réservoirs de siphons; son épaisseur est de 0m,03, et il s’élève jusqu’à la hauteur de 2m,83, c’est-à-dire jusqu’à la naissance des voûtes. Comme aux aqueducs aussi, les voûtes sont recouvertes d’un léger enduit de simple mortier. La maçonnerie est un blocage avec parement soigné de petits matériaux rectangulaires. Les joints de pénétration
Coupe longitudinale.
Coupe transversale.
Fig. 126. — Citerne romaine du Grand-Séminaire de Lyon.
de voûte par voûte, intersections de deux cylindres de même diamètre, dessinent une arête nette et régulière. Il en est de même pour les raccordements des ouvertures d’aérage et des voûtes. Le radier, façonné comme celui des aqueducs en béton de tuileau, n’est pas parfaitement horizontal, étant un peu déprimé en forme de cuvette[33], ce qui paraît bien indiquer qu’il y avait au milieu un orifice de vidange. Cet orifice est bouché, sans doute : on ne peut le retrouver en sondant la couche de boue, recouverte de plusieurs décimètres d’eau au milieu de la chambre.
Fig. 127. — Citerne du Grand-Séminaire. Situation par rapport au sol du jardin.

A la jonction des murs sud et ouest sont deux ouvertures ovales d’environ 12 centimètres de hauteur. Le bord inférieur de la première est au niveau de l’enduit ; la seconde est à1m,20, en contre-bas, soit à 1m,63 au-dessus du radier. Elles devaient tenir enchâssés des tuyaux de plomb, qui ont été enlevés. L’eau arrivait probablement par l’orifice supérieur, s’en allait par celui de dessous, le trou du radier emmenant à l’égout les eaux de décharge : l’ouverture à la voûte permettait de manœuvrer de l’extérieur la tige de la bonde. Des vannes commandant les tuyaux devaient être à l’extérieur.

Ce n’était évidemment pas là un château de distribution, puisque, en outre du trou de vidange, il n’y avait que deux orifices, l’un d’entrée, l’autre de sortie. Le conduit d’entrée venait d’un château d’eau sans doute, et l’autre emmenait l’eau à quelque établissement considérable du voisinage, pour lequel un réservoir avait été nécessaire. Il est de plus une hypothèse très plausible, fondée sur la considération du niveau d’altitude. Le radier est à quelques mètres plus bas que le niveau probable d’arrivée de l’aqueduc du Mont-d’Or sur le plateau de Champvert. Un dépôt de sable fin, jaunâtre, observé sur les bords de la chambre extérieure et de menues inscrustations cristallines sur les parois feraient croire volontiers que cette citerne était jadis alimentée par l’eau du Mont-d’Or, légèrement incrustante.

On a retrouvé, paraît-il, les substructions de trois autres citernes beaucoup plus petites, il y a quelques années, au cours de travaux exécutés dans les jardins du séminaire, puis les fouilles ont été comblées, sans autres constatations plus précises. Ces citernes étaient à un niveau supérieur de 3 à 8 mètres à celui du bassin qui vient d’être décrit. Y avait-il relation de subordination entre celui-ci et celles-là ? Chacune était-elle indépendante des autres ? D’où leur venait l’eau ? Il est plus sage de ne pas se prononcer.

Distribution des eaux de La Brévenne et des autres aqueducs. — On ne peut faire aussi que des conjectures sur la manière dont s’avançaient et se divisaient à l’intérieur de la ville les eaux de La Brévenne, après leur arrivée au réservoir des Massues. De cette construction, seuls sont conservés les arcs du rampant et le massif de soutien de la chambre. Celle-ci a disparu, ainsi que les arcades qui devaient y faire suite. Elles se dirigeaient sans doute du côté de Saint-Irénée, sans être très prolongées, car Delorme a retrouvé le canal souterrain en un point qui n’est pas bien éloigné, sous le carrefour des chemins de Francheville et de Tassin, c’est-à-dire exactement à l’endroit qu’on nomme le Point-du-Jour[34]. Delorme et Flacheron pensent qu’il y avait un château d’eau à Saint-Irénée, au voisinage du fort, terminant l’aqueduc de ce côté, et qu’on devait aussi, non loin de là, trouver celui de l’aqueduc de Craponne. Mais je ne serais point troublé par l’absence de grandes citernes à cet endroit, ayant dit assez mon sentiment sur la nature et les dimensions des châteaux d’eau. Et avant de m’étonner de la disparition de ceux-ci, je demanderais d’abord ce que sont devenus, à Rome, les 247 châteaux de Frontin.

Sur cette colline de Fourvière, et plus généralement dans toute la ville de Lyon, tous les monuments antiques, à bien peu d’exceptions près, ont disparu de la surface. Le sous-sol, dans ces quartiers élevés, moins garnis de bâtisses que ceux de la ville basse, renferme-t-il encore quelque chose ? Il est certain que là comme ailleurs on a beaucoup détruit. On[35] dit avoir vu d’anciens baux à ferme qui sont encore en possession de divers propriétaires du plateau entre Les Massues et Saint-Irénée, et dans lesquels se trouve uniformément une clause relative à l’enlèvement des murailles en débris qui obstruaient les fonds cultivables ; des fermiers se seraient presque ruinés en exécutant cette clause. On peut espérer cependant que tout n’est pas anéanti. Des fouilles sont encore possibles sur une étendue considérable du plateau et des versants, occupés par de très grands enclos qui sont délimités tels quels depuis des siècles. Avant que des maisons de rapport se soient élevées sur ces emplacements où règne encore un calme recueilli, l’occasion peut s’offrir d’y faire des recherches. Il serait à souhaiter qu’on y retrouvât quelques instructifs témoignages de la civilisation gallo-romaine, en particulier le parcours final de ces premiers aqueducs qui ont dû contourner la colline pour arriver à leur terme, et aussi quelques mailles du réseau tubulaire qui faisait circuler l’eau de toutes parts.

En attendant, je ne saurais ni m’inscrire. en faux contre l’assertion suivante de Flacheron[36], ni lui donner mon assentiment :

« Ces deux aqueducs (Mont-d’Or et Brévenne), à leur entrée dans la ville, étaient divisés en deux parts : l’une pour le quartier de Saint-Just et Fourvière (son réservoir de distribution est détruit), l’autre pour le quartier de Saint-Sébastien. L’eau destinée à cette partie de la cité arrivait dans un réservoir de chasse dont on voit les ruines encastrées dans un mur de clôture à gauche, à la montée des Anges, à 15 mètres au-dessous du dividiculum de l’aqueduc du Gier. Ce réservoir a 1m43 de largeur. À l’intérieur les murs sont recouverts d’un mortier de ciment épais de 0m, 10, avec bourrelets aux angles du radier. Ce dernier est formé d’une épaisseur de ciment de 3 centimètres, d’un pavement en petits carreaux de terre cuite et très dure, liés avec du mortier de ciment, et, sous ces deux couches, d’une épaisseur de 16 centimètres de béton composé de chaux et de sable broyés avec de petits morceaux ou recoupes de pierre de Choin-de-Fay. Dans ce réservoir, l’on n’aperçoit plus aucune trace des orifices des tuyaux. Ces tuyaux descendaient la montagne, traversaient la Saône et remontaient sur la montagne opposée dans un réservoir de fuite qui pouvait être derrière les Chartreux. »

On voit bien, en effet, ce vestige où Flacheron l’indique. Mais il en précise l’usage, à l’époque où c’était peut-être un réservoir, avec une assurance qu’il est impossible de partager, même discrètement. Je ne crois donc pas à ce réservoir de chasse, à cette place du moins. Mais il est fort possible que des tuyaux aient traversé la Saône, soit pour gagner la colline de Saint-Sébastien, soit pour se rendre dans l’île d’Ainay. L’exemple ne serait pas unique chez les Romains de tuyaux de plomb traversant un cours d’eau. Stace, célébrant la villa de Manlius Vopiscus, à Tibur, parle d’une dérivation de l’eau Marcia qui arrivait en coulant par des tuyaux de plomb sous l’Anio jusqu’à la princière demeure :

Teque per obliquum peniius quae laberis amnem,
Marcia, et audaci iranscurris flumina plumbo[37].

Il est, au surplus, difficile de concevoir qu’on ait amené les eaux de toutes les montagnes environnantes sur la colline de Fourvière pour l’usage exclusif de ce quartier, qui, malgré son importance bien plus grande qu’aujourd’hui, n’aurait pas absorbé à lui seul une profusion d’eau si considérable, tandis que les deux autres quartiers, qui se développaient et s’enrichissaient de jour en jour, en auraient été privés. Sans doute les Romains connaissaient suffisamment les moyens d’élever l’eau par les pompes et les norias pour faire servir à bien des usages l’eau de la Saône et du Rhône ; mais on sait qu’il y avait de l’autre côté de la Saône des demeures somptueuses ; l’eau souvent trouble des deux fleuves aurait-elle suffi aux vasques, aux jets d’eau, aux piscines où l’on se plongeait, à tout ce qui faisait le luxe d’un riche Gallo-Romain ? Il paraît donc raisonnable de croire aux tuyaux traversant la Saône, et soit immergés, soit soutenus par les ponts qui devaient sans doute relier les deux rives. Enfin, l’on n’a pas dû attendre pour cela la création du dernier aqueduc.

Il en résulte que la bifurcation de l’eau de La Brévenne en deux branches, après Les Massues, l’une atteignant Saint-Irénée, l’autre passant au-dessous de Loyasse et contournant Fourvière par le nord-est, apparaît comme vraisemblable. Mais tout cela ne peut être donné comme certain, non plus que tout ce que nous pourrions dire des emplacements propices à l’installation des châteaux d’eau publics ou privés. On ne peut que se représenter en gros ce que devait être l’ensemble de la distribution, d’après la façon dont le texte de Frontin nous la fait imaginer à Rome. Seuls les débris souterrains et les inscriptions qu’il ne faut pas encore désespérer de retrouver, pourront faire connaître çà et là quelque détail.

  1. De Aquis, 19.
  2. Anio vetus, Marcia, Tepula, Julia, Claudia, Anio novus.
  3. V. ci-dessus, p. 93.
  4. De Aquis, 15.
  5. « Quantum Virgo taclu, tantum praeslat Marcia hauslu. » (Pline, xxxi, 25). L’eau Marcia était donc encore meilleure à boire. Mais ces deux eaux étaient les plus appréciées de toutes.
  6. Vitruve, viii, 6, 207.
  7. Cette unité de mesure sera évaluée plus loin.
  8. De Aquis, 58.
  9. « Quae (Marcia, Tepula, Julia) ad libram collis Viminalis conjunctim infra terram cuntes, ad Viminalem usque portam deveniunt ; ibi rursus emergunt. Prins tamen pars Juliae, ad Spem Veterem excepta, castellis Caelii montis diffunditur. » (De Aquis, 19.) De même l’eau Claudia qui s’en allait à travers le Célius par la dérivation des arcs Néroniens.
  10. Cela résulte du sénatus-consulte cité plus loin par Frontin (De Aquis, 106). « Animadverterentque curatores aquaruni, quibus locis intra extra Urbem apte castella privati f’acere possent, ex quibus aquam ducerent quam ex castello communem accepissent a curatoribus aquarum. » — « Les curateurs examineront dans quel lieu, soit au dedans, soit au dehors de la ville, les particuliers pourront eux-même installer des châteaux d’où ils conduiront l’eau qui leur aura été donnée en commun des châteaux publics. »
  11. V. note précédente.
  12. Outre les camps des gardes prétorienne et urbaine, les plus connus, on cite : Castra priora, Castra peregrina, Castra equitum singularium, Castra Misenatium, Castra Ravennatium, Castra silicariorum, Castra labellariorum, Castra victimariorum. On voit, d’après ces dénominations, que plusieurs de ces camps étaient occupés, non pas par des garnisons militaires, mais par des confréries diverses.
  13. On conçoit que les bains, dont l’eau avait besoin souvent d’être renouvelée tout d’un coup, eussent des réservoirs pour s’alimenter. On comptait, au temps de Frontin, à Rome, plusieurs centaines de ces établissements, dont un grand nombre appartenant au domaine public ; il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’il y eût des réservoirs communs à plusieurs d’entre eux.
  14. « Quantum muneribus — ita enim cultiores appellant — quantum lacibus, etc.» (De Aquis, 3). Dederich : « cultiores, id est qui cullius urbaniusque loquuntur, explicante Forcellino. Vulgare nomen videtur fuisse spectacula. » — M. Lanciani (ouvr. cité), fait rapporter cultiores à lacus sous-entendu, et manera signifierait des fontaines plus ornées que les autres. Je pense qu’il vaut mieux s’en tenir à l’interprétation de Dederich. Juvénal (sat. iii, v. 36), parle de ces parvenus, jadis joueurs de cor salariés, qui à présent offrent des spectacles au peuple (munera) :

    Munera nunc edunt, et verso pollice vulgi
    Quemlibet occidunt populariter.

  15. Hist. nat., xxxvi, 24.
  16. L’aqueduc Alsietina ne fournissait d’eau dans Rome qu’à la naumachie d’Auguste située dans la région transtévérine. (De Aquis, 22, 85.)
  17. De Aquis, 91.
  18. Ibid..
  19. Ibid., 92.
  20. Ibid., 87.
  21. V . notre rapport déjà cité (Nouvelles archives des Missions), t. XV, fasc. 2.
  22. Sur ces citernes, v. le rapport de M. Drappier. (Enquête Gauckler, t. IV, 1899.)
  23. On a été longtemps partisan de cette dernière attribution (V. Lanciani, ouvr. cité, p. 173). C’est à ce monument que se trouvaient autrefois les « Trophées de Marins » qu’on voit au haut de l’escalier du Capitole. On donne quelquefois encore ce même nom au monument de la place Victor-Emmanuel, bien que les Trophées eux-mêmes n’y soient plus.
  24. Pline, Hist. nat., xxxvi, 24.
  25. Ouvr. cité, p. 53.
  26. Ce nivellement a été fait par M. Bosi.
  27. La maison Caille. — V. Flacheron, ouvr. cité, p. 57.
  28. Ouvr. cité, p. 74.
  29. Ouvr. cité, p. 59.
  30. V. ci-dessus, p. 90.
  31. Ou il se confondait avec lui. D’après ce qui a été dit plus haut, cette hypothèse me paraît la moins bonne.
  32. C’est une reproduction d’un dessin de M. Bosi, qui, ayant déjà étudié ce monument, a bien voulu m’accompagner dans ma visite.
  33. Cela se reconnaissait aisément à la profondeur de l’eau qui recouvrait le radier, le jour de notre visite, et qui mesurait 0m,40 dans la chambre du milieu, 0m,30 dans la seconde, et 0m,20 au maximum dans celle de la périphérie, dont le bord près du mur était à sec.
  34. V. ci-dessus, p. 92, 93.
  35. M. Gabut.
  36. Ouvr. cité, p. 42.
  37. « Et toi, Marcia, qui franchis le cours oblique du fleuve, et qu’un plomb audacieux porte à travers ses ondes. » (Silves, 1, iii, 66.)