Germinie Lacerteux/XIII

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XIII.


Mme  Jupillon avait, quand elle voyait Germinie, une physionomie de bonheur, quand elle l’embrassait des effusions, quand elle lui parlait des caresses de la voix, quand elle la regardait des douceurs de regard. La bonté de l’énorme femme semblait, avec elle, s’abandonner à l’émotion, à la tendresse, à la confiance d’une sorte de tendresse maternelle. Elle faisait entrer Germinie dans la confidence de ses comptes de marchande, de ses secrets de femme, du fond le plus intime de sa vie. Elle semblait se livrer à elle comme à une personne de son sang qu’on initie à des intérêts de famille. Quand elle parlait d’avenir, il était toujours question de Germinie comme de quelqu’un dont elle ne devait être jamais séparée et qui faisait partie de la maison. Souvent, elle laissait échapper de certains sourires discrets et mystérieux, des sourires qui avaient l’air de tout voir et de ne pas se fâcher. Quelquefois aussi, quand son fils était assis à côté de Germinie, arrêtant tout à coup sur eux des yeux qui se mouillaient, des yeux de mère, elle embrassait le couple d’un regard qui semblait unir et bénir les deux têtes de ses enfants.

Sans jamais parler, sans prononcer un mot qui pût être un engagement, sans s’ouvrir ni se lier, et tout en répétant que son fils était encore bien jeune pour entrer en ménage, elle encouragea les espérances et les illusions de Germinie par l’attitude de toute sa personne, ses airs de secrète indulgence et de complicité de cœur, par ces silences où elle semblait lui ouvrir les bras d’une belle-mère. Et déployant tous ses talents de fausseté, usant de ses mines de sentiment, de sa finesse bon enfant, de cette ruse ronde et enveloppée qu’ont les gens gras, la grosse femme arrivait à faire tomber devant l’assurance, la promesse tacite de ce mariage, les dernières résistances de Germinie qui à la fin se laissait arracher par l’ardeur du jeune homme ce qu’elle croyait donner d’avance à l’amour du mari.

Dans tout ce jeu, la crémière n’avait voulu qu’une chose : s’attacher et conserver une domestique qui ne lui coûtait rien.