Germinie Lacerteux/XL

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Charpentier (p. 176-178).
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XL.


— Non… cette fois-ci, non, dit Germinie en se levant du pied du lit de Jupillon où elle s’était assise. Il n’y a pas moyen… Mais tu ne sais donc pas que je n’ai plus un sou… ce qui s’appelle un sou !… Tu n’as donc pas vu les bas que je porte !

Et relevant sa jupe, elle lui montra des bas tout troués et noués avec des lisières. — Je n’ai plus de quoi changer de rien… De l’argent ?… mais le jour de la fête de mademoiselle, je n’ai pas eu seulement pour lui donner des fleurs… Je lui ai acheté un bouquet de violettes d’un sou, ainsi ! Ah ! oui, de l’argent !… Tes derniers vingt francs… sais-tu comment je les ai eus ?… En les prenant dans la cassette de mademoiselle !… Je les ai remis… Mais c’est fini… Je ne veux plus de cela… C’est bon une fois… Où veux-tu que j’en trouve à présent, dis-moi un peu ?… On ne peut pas mettre de sa peau au Mont-de-Piété… sans ça !… Mais pour faire encore un coup comme ça, jamais de la vie !… Tout ce que tu voudras, mais pas ça, pas voler ! Je ne veux plus… Oh ! je sais bien, va, ce qui m’arrivera avec toi… Mais tant pis !

— Ah ! ça, as-tu fini de te monter ? dit Jupillon. Si tu m’avais dit ça pour les vingt francs… est-ce que tu t’imagines que j’en aurais voulu ? Je ne te croyais pas pannée tant que ça, moi… Je te voyais toujours aller… Je me figurais que ça ne te gênait pas de me prêter une pièce de vingt francs que je t’aurais rendue dans une semaine ou deux avec les autres… Mais, tu ne dis rien ?… Eh bien ! voilà tout, je ne t’en demanderai plus… C’est pas une raison pour que nous nous fâchions, ça, il me semble…

Et jetant sur Germinie un regard indéfinissable :

— N’est-ce pas, à jeudi ?

— À jeudi ! dit désespérément Germinie. Elle avait envie de se jeter dans les bras de Jupillon, de lui demander pardon de sa misère, de lui dire : Tu vois bien, je ne peux pas !…

Elle répéta : — À jeudi ! et partit.

Quand, le jeudi, elle frappa à la porte du rez-de-chaussée de Jupillon, elle crut entendre le pas d’un homme qui se sauvait au fond dans la chambre. La porte s’ouvrit : devant elle était la cousine qui avait une résille, une vareuse rouge, des pantoufles, la toilette et la contenance d’une femme qui est chez elle chez un homme. Çà et là ses affaires traînaient : Germinie les voyait sur les meubles qu’elle avait payés.

— Madame demande ? fit impudemment la cousine.

— M. Jupillon ?

— Il est sorti. — Je l’attendrai, dit Germinie ; et elle essaya d’entrer dans l’autre pièce.

— Chez le portier, alors ? Et la cousine lui barra le passage.

— Quand rentrera-t-il ?

— Quand les poules auront des dents, lui dit sérieusement la petite fille ; et elle lui ferma la porte au nez.

— Eh bien ! c’est bien ça que j’attendais de lui, se dit Germinie, en marchant dans la rue. Les pavés lui semblaient s’enfoncer sous ses jambes molles.