Gilles de Rais dit Barbe-Bleue/pieces justificatives 2

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II.
INFORMATION FAITE PAR LE COMMISSAIRE DU DUC DE BRETAGNE SUR LES CRIMES DE GILLES DE RAIS.
(Orig. aux archives départementales de la Loire-Inférieure, E 189)[1].

1.
Enquête du 18 septembre 1440.


Informacion et enqueste a trouver, si estre peut, que le sire de Rais, ses gens et complices, ont prins et fait prandre pluseurs petiz enffans et autres gens, et les murtriz et occiis, pour en avoir le sang, le cueur, le faye et autres parties d’elx, pour en faire sacrifice au deable, et autres malefices, de quoy il est grant clamour. Celle enqueste faite par Jehan de Touscheronde, commissaire du duc, nostre souverain seigneur, en ceste matere, appellé Jehan Colin, pour le prouchain tesmoign que eust en sa compaignie, le xviiie jour de septembre, l’an mil IIII C quarante.

Peronne Loessart, demourante a la Rochebernart, rescorde, par son serment, que, en ce present moys de septembre eut deux ans, ledit sire de Rais, en s’en retournant de Vennes, vint loger audit lieu de la Rochebernart, ches ledit Jehan Colin, et y coucha. Davant lequel ostel ceste qui parle estoit lors demourante, ayante ung jeune filz de l’eage de dix ans, alant a l’escole, que l’un des gens dudit sire, nommé Poitou, envia ; et vint parler a ladite Peronne qu’elle vouleist qu’il demourast o lui, et que tres bien il l’abilleroit et lui feroit beaucoup de biens, et que mesmes celui enffant seroit cause d’en faire avoir audit Poitou[2] ; et que, sur ce, ladite Peronne lui avoit respondu que sondit enffant aloit a l’escole et aprenoit moult bien, et avoit atente de veoir le temps qu’il lui feist des biens, et que, pour celle cause, elle ne l’osteroit de l’escole : et que, sur ce, ledit Poitou lui dist, promist et jura le tenir et envoier a l’escole, et donner a icelle Peronne cent souls pour une robe. Sur laquelle confiance et promesse, elle lui octroia qu’il s’en allast o lui ; et que, assez toust apres, il lui porta quatre livres pour sa robe. Sur quoy, elle lui dist que en failloit encore vignt solz : lequel le denya, disant ne lui avoir promis que quatre livres. Sur quoy, elle lui dist que sy scavoit et[3] que a paine lui tendroit les autres promesses, veu que desja il lui failloit de vignt souls. Et, sur ce, il lui dist qu’elle ne s’esbahist point pour ytant et qu’il lui feroit et a son enffant assez d’autres biens. Et, sur tant, eut ledit enffant et le mena chies ledit Jehan Colin, oste dudit sire. Et si, le lendemain, comme celui sire yssit dudit hostel, ceste Peronne lui recommenda sondit enffant, qui present estoit. Sur quoy, celui sire ne lui dist rens, mais dist audit Poytou, qui illec estoit, que celui enffant avoit esté bien chouysi, et qu’il estoit bel comme ung ange. Et, sur ce, ledit Poytou lui respondit qu’il ne avoit eu que lui a le chouysir, et ledit sire lui dist qu’il n’avoit pas failly a bien le chouysir : et que, assez toust apres, celui enffant s’en alla o ledit Poytou, en la compaignie dudit sire, sur ung petit cheval que ledit Poitou achata dudit Jehan Colin. Et, depuis, n’oit ceste femme nouvelles ou feust sondit enffant, ne ne le vit en la compaignie dudit sire qui depuis a passé par ledit lieu de la Rochebernart, en la compaignie duquel elle n’a depuis veu ledit Poitou ; les aucuns des gens duquel sire, ausquelx elle demanda ou estoit sondit enffent, lui disoient qu’ilz panczoint qu’il estoit a Theffauges ou a Pouzauges.

De Touscheronde.


Jehan Colin et sa femme, Olive, mere de la femme dudit Colin, demourant a la Rochebernart, rescordent, par leurs sermens, que, en ce present mois de septembre eut deux ans, celui sire de Rais, en venant de Vennes, logea a leur hostel et y couscha ; et que ung nommé Poitou, serviteur dudit sire, fist tant a Peronne Loessart, qui lors demouroit devant leur maison, qu’elle lui bailla ung sien filz allant a l’escolle, l’un des plus beaux enffans du pais, a s’en aller et demourer o lui : et que celui Colin vendit ung petit cheval qu’il avoit audit Poitou la somme de LX s. pour en emmener ledit enffant. Et dient lesdites femmes que, le soir que celui Poitou eut l’octroy d’avoir ledit enffant, il le mena a l’ostel de cestz tesmoins, disant aux autres gens dudit sire que s’estoit son page : quelx lui disoint qu’il ne seroit pas pour lui et que ledit sire, leur maistre, auroit ledit enffant. Et que, le lendemain, en yssant celui sire dudit hostel pour s’en aller, cestes femmes oyrent la mere dudit enffant le recommander audit sire, cels enffant et Poitou presens ; et que, sur ce, ledit sire dist audit Poitou que ledit enffant estoit bien choaisi ; sur quoy ledit Poitou lui respondit qu’il n’y avoit eu que lui a le choaisir, et ledit sire lui dist qu’il n’avoit pas failli et qu’il estoit bel comme ung ange. Et que, assez tost apres, celui enffant s’en alla sur ledit cheval o ledit Poitou, en la compaignie dudit sire. Et dit ledit Colin que, dedans deux ou trois mois apres, il vit a Nantes ung autre que ledit enffant chevaucher ledit cheval ; de quoy se merveilla. Et dient les dessus nommez que depuis ne virent ledit enffant, ne n’oirent ou il feust, sauff que celles femmes dient que, sur la demande que depuis elles en ont fet aux gens dudit sire, en passant par la Rochebernart, les ungs disoint qu’il estoit a Thiffauges et autres qu’il estoit mort, et que, en passant par sur les pons de Nantes, le vent l’avoit fait cheoir en la riviere. Et que, depuis, elles ne virent passer par ledit lieu de la Rochebernart ledit Poitou en la compaignie dudit sire, qui depuis y a passé. Et que, la derreine foiz qu’il y passa, qui fut puis six sepmaines, en venant de Vennes, elles oirent dire a des gens dudit sire a qui elles demandoint ou estoit ledit Poitou, pour savoir de lui ou estoit ledit enffant, que celui Poitou s’en estoit allé par Redon : et ymaginent que s’estoit pour la clamour que, paravant celles heures, avoit fait ladite Peronne de sondit enffant : quelle complainte par les gens dudit sire povoit estre venue a congnoessance dudit Poitou.

De Touscheronde.


Jehan le Meignen et sa femme, Allais Dulis, Perrot Dupouez, Guillaume Gaston, Guillaume Portuys, Jehan le Fevre, clerc, de Saint Estienne de Montludz[4], deposent, par leurs sermens, que, des environ trois ans, ilz ont veu un jeune enffant, filz Guillaume Brice, de ladite parroisse, qui estoit povres homs, frequenter ou bourge de Saint Estienne de Montluz, demander l’aumosne, et ouquel bourge sondit pere demoroit, asgé cell enffant d’environ VIII a IX ans : et mourit sondit pere, environ le temps de karesme prenant eut un an, et estoit celui enffant tres bel filz et avoit nom Jamet : et depposent que, depuis la Saint Jehan derreine, ilz ne le virent ne n’ouyrent nouvelles ou il fust ne qu’il estoit devenu. Et, en oultre, dit celui Dupouez que, environ ledit temps de le Saint Jehan, il incontra un veille femme o le visage vermaill, de l’asge d’entre cinquante a soixante ans, assez pres du prebitere de Saint Estienne, venante devers Coueron[5], ayente sur sa robbe une cotte de linge par dessus ; et, a un jour de paravent, l’avoit veue venir devers Savenay et passez par ledit boys de Saint Estienne, en tenant son chemin droit a Ceueron ou Nantes, et, a cieulle fois que elle venoit devers Coueron, cetuy vit ledit entrant pres le chemin ou il encontre ladite veille, comme a un trait d’arc au dessus dudit prebitere, pres lequel prebitere estoit demourant un nommé Simon Le Breton ; et dit que, depuix, il ne vit ledit enffant, ne n’ouyt dire ou il fust : aussi n’y avoit il ou pais qui[6] en feist complainte pour ce qu’il n’avoit nulz amis, et estoit sa mere pareillement mendicante, allente a l’aumosne de jour en jour.

Enquis les dessus nommez par Jehan de Touscheronde et Jehan Thomes[7] en sa compangnie, le XVIIIe jour de septembre l’an mil IIII C et XL.

De Touscheronde. — Thomas, signé.
2.
27 septembre 1440.
Suite de l’enquête.


Partie de l’enqueste et information a trouver, si estre peut, que pluseurs enffens et autres gens ont esté prins et menez ou chastel de Machecoul, et illec murtriz et occiis par le sire de Rais et ses gens, pour en avoir le sang, le cueur, le faye et autre partie, pour en faire sacrifice au deable, et autres malefices : ladite enqueste faite par Jehan de Touscheronde, commissaire du duc en ceste matere, et Nicolas Chatau, notaire de la court de Nantes, en sa compaignie, le XXVIIe jour de septembre, l’an mil IIII C quarante.

Guillaume Fouraige et sa femme, Jehanne, femme Jehan le Floc, Richarde, femme Jehan Gaudeau, du port de Launay[8] pres Coeron, rescordent, par leurs sermens, que, environ deux ans, uns jeune filz, de l’eage d’environ doze ans, enffent de feu Jehan Bernart, leur voisin, dudit port de Launay, et ung autre jeune enffant de Coeron, filz Jehan Meugner, s’en allerent a Machecoul, pour la cherté[9] qui lors estoit, en intencion d’y avoir l’aumosne : et que, depuis, ilz ne virent le filz dudit Bernart, ne n’en oyrent novelles, sinon qu’ilz ont oy dire audit filz dudit Meugner, que, dedans trois jours, retourna dudit lieu de Machecoul, ainsi qu’il disoit que, a ung soir, celui filz Bernart avoit dit audit Meugner qu’il l’actendeist en ung certain endroit, et hors meson, audit lieu de Machecoul, et qu’il aloit querir logement pour elx, et que, sur celles paroles, il s’estoit departi, delessé ledit Meugner ou lieu que lui avoit dit et ou il avoit attendu plus de trois heures sur esperance qu’il retournast, mais que, depuis, ne l’avoit veu ne oy novelle de lui. Et dient que, depuis, ilz ont veu la mere dudit Bernart, a present estante en vendanges, grandement s’en complaindre. Et dit, oultre, la femme dudit Fourrage que, puis ung an, elle avoit veu une veille, que ne congnoessoit, o une robe de gris et chaperon noir, qui gueres ne valoient, petite femme, ayante ung jeune filz en sa compaignie, disante aller a Machecoul, et laquelle passa au port de Launay o ledit enffant ; et, depuis, par ilec la vit retourner, ung brieff apres, comme deux ou trois jours, sans ledit enffant : et, pour ce, lui demanda qu’il estoit devenu, et que celle femme lui avoit respondu qu’elle l’avoit mis a demourer a ung bon mestre.

De Touscheronde. — Chatau.


3.
28, 29 et 30 septembre 1440.


Suite de l’enquête.


Autre partie de l’enqueste et infourmacion touchant la matere dessusdite contre ledit sire de Rais, ses gens et complices, faite par Jehan de Touscheronde, Michel Estrillart et Jehan Coppegorge le jeune, commissaires du duc quant a ce, et Nicolas Chatau, notaire de la court de Nantes, en leur compaignie, faite les XXVIIIe, penultieme et derrein jours de septembre, l’an mil IIII C quarante.


andré Barbe, corduannier, demourant a Machecoul, dit que, depuis Pasque, il a ouy dire que le filz Georget Le Barbier, de Machecoul, avoit esté perdu, et qu’on l’avoit veu a ung certain jour cuillir des pommes derrière l’ostel Rondeau et depuis n’avoit esté veu ; et que aucuns de ses voisins avoint dit a cest qui parle et a sa femme qu’ilz ne se pranseissent garde d’un leur enffent, qu’il ne feust prins, et qu’ilz en avoint grant paour ; pour ce que mesmes il avoit esté a Saint Jehan d’Angely, et qu’on lui avoit demandé dont il estoit, et qu’il avoit respondu qu’il estoit de Machecoul, et que, sur ce, l’an lui avoit dit, en se merveillant, qu’on y mangeoit les petiz enffent.

Mesmes dit que ung enffent de Guillaume Jeudon, qui demouroit ches Guillaume Hilairet, ung enffent de Jehannot Roucin, et ung autre a Alixandre Chastelier, de Machecoul, avoint esté perduz. Aussi en a oy faire la complainte d’autres audit lieu de Machecoul. Et dit qu’on n’en osoit parler, de doubte de celx de la chappelle du sire de Rais et autres de ses gens, et d’estre enprinsonnez ou maltrettez les conplaignans par lesdites gens, si lesdites complaintes leur venseissent a notice.

Et, oultre, dit qu’il oyt a l’eglise de la Trinité de Machecoul, a la complainte d’un home qu’il ne congnoessoit, faire la demande s’en si on avoit point veu ung sien enffent qu’il decleroit estre de l’eage de sept ans, et fut environ huyt moys a.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Jehannete, femme Guillaume Sergent, demourante en la paroisse de Sainte Croix de Machecoul, en ung village nommé la Boucardiere, dit que, environ la Penthecouste derraine eut ung an, son mari et elle estoint en allez becher ung champ pour y semer chanvre, et avoint laissé a leur hostel ung leur filz de l’eage de huyt ans pour garder une petite fille d’un an et demy, et que, a leur retour, ilz ne trouverent point ledit enffant de huyt ans, dont moult se merveillerent et furent moult dolens ; et en furent faire la demande es parroaisses de Machecoul et d’ailleurs, et depuis n’en oyrent novelles, ne qu’il eust été veu de personne quelconque.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Georget Barbier, taillendier, demourant pres la porte du chastel de Machecoul, depose qu’il avoit ung filz, nommé Guillaume, qu’il avoit mis a demourer o Jehan Peletier, tailleur de la dame de Rais et des gens dudit sire, pour aprandre le mestier ; et que, environ la saint Barnabé derraine, celui enffant, estant en l’eage de XVIII ans, jouoyt apres disner a la pelote[10] a Machecoul, et alors estoit ledit sire et ses gens ou chastel de Machecoul ; et que, depuis le vespre du jour que ainsi il avoit joué a la pelote, il ne vit sondit enffant ne n’oyt nouvelle que personne quelconque l’eust veu, combien qu’il en ait fait plusieurs demandes. Et dit que, continuelement, celui tailleur, son maistre, et ledit enffant, son serviteur, venoint et mangeoint oudit chastel.

Oultre dit avoir ouy murmurer et dire notoirement qu’on occioit des enffants oudit chastel.

Item dit avoir oy dire que, semblablement, le page de messire Franczois[11], qui demouroit o ledit sire, fut perdu.

Aussi dit que, continuelment, il a veu grant nombre d’enffans aller au chastel de Machecoul pour demander l’aumosne quant ledit sire et ses gens y estoint.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Guillaume Hylairet et sa femme, Jehanne Hilairet, demourans a Machecoul, dient avoir ouy dire que, environ le temps dessusdit, le filz dudit Georget Le Barbier avoit esté perdu, et depuis ne le virent ne n’oyrent ou il feust. Oultre, rescorde que, environ huit ou sept ans, ledit Guillaume Hilairet avoit a demorer o lui ung enffant de l’eage de XII ans, filz de Jehan Jeudon, dudit lieu de Machecoul, pour aprandre le mestier de pleterie[12]. Et dit ledit Guillaume Hilairet que, environ le temps dessusdit, Gilles de Sillé, en presence de messire Roger de Briqueville, lui pria de lui prester sondit vallet pour aller audit chastel de Machecoul faire ung message, quil Hylairet le lui presta et l’envoya audit chastel. Et dient lesdits Guillaume et sa femme que, depuis, ne virent ledit vallet, ne n’oyrent nouvelles ou il feust. Et, en celui jour, bien tart, ledit Guillaume Hylairet demanda ausdits de Sillé et Briqueville qu’estoit devenu sondit varlet, quelx lui respondirent qu’ilz ne savoint, sinon qu’il estoit allé a Thiphauge et en ung endroit, dist ledit de Sillé, qu’il pensoit que les larrons avoint emmené sondit varlet pour estre page.

Item, dient avoir ouy dire a plusieurs que, pareillement, ung enffant a Jehannot Roucin et ung autre a Alixandre Chastelier, demourans lors, savoir ledit Chastelier vis a vis de la Trinité de Machecoul, et ledit Roucin es vilages, avoint esté perduz ; et oyrent leurs peres et meres s’en complaindre doloreusement.

Item, dit ledit Guillaume Hillairet que, environ cinq ans, il oyt dire a ung nommé Jehan du Jardin, lors demorant o messire Roger de Briqueville, qu’il avoit esté trové au chastel de Chantocé une pipe toute plaine de petiz enffants mors.

Item, dit celui Guillaume Hilairet avoir oy autreffois une femme de Rais, dont ne sceit le nom, se complaindre a Machecoul de la perdicion d’un sien enffent.

Item, dient avoir oy dire communement et notoirement qu’on metoit a mort des enffens audit chasteau et par ce presument que les enffans dessus nommez y furent murtriz et mis a mort.

Et, de empuis, se comparut, davant nousdiz commissaires, ledit Jehan Jeudon, quel dist avoir autrefois baillé sondit filz audit Guillaume Hilairet pour lui aprandre le mestier de peleterie, et que sondit enffant avoit esté perdu, ne sceit par quel moyen, et que, depuis le temps dessus merché, il ne le vit ne n’oyt nouvelle. Et aussi dit avoir ouy faire complainte de la perdicion d’autres enffants.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Jehan Thipholoz[13] l’esné, Jehan Thifoloz le jeune, Jouhan Aubin, Clemens Doré, de Tonaye[14], dient avoir oy Mathelin Thouars, de ladite paroisse de Thonaye, se complaindre et esmoier[15] d’un sien enffent, lequel il disoit ne savoir qu’estoit devenu, dont il estoit moult dolant : et dient que celui Thoars estoit pouvre homme. Et oyrent celle complainte environ demy an. Et estoit ledit enffant de l’eage d’environ XII ans.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Jehan Roucin, de Machecoul, dit que, environ neuff ans, ung sien enffent, de l’eage de neuff ans, estoit a garder les bestes a ung certain jour, auquel il ne retourna point a l’ostel ; de quoy cest qui parle et sa femme furent moult merveillez qu’il estoit devenu. Et, depuis, sur la clameur qu’il et sa femme en faisoint, il lui fut dit par deux de ses voisines qui sont decedés qu’elles avoint veu Gilles de Sillé aller, o ung tabart[16] et une estamine[17] davant le visage, parler o ledit enffent, et que ledit enffent s’en alla par la poterne audit chastel. Et dit, oultre, que sondit enffent congnoessoit bien ledit Gilles de Sillé, pour ce que il demeuroit pres le chasteau, ou aucuneffois il portoit du let a celx qui en vouloint avoir. Et dit que, encores puis, il n’oyt mencion de sondit enffent.

Et, en oultre, dit que, le jour precedent qu’il perdit sondit enffant, il oyt la complainte de la perdicion de celui dudit Jeudon qui demouroit o ledit Guillaume Hilairet. Aussi dit avoir oy plusieurs se complaindre de la perte de leurs enffens.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Johanne, veuve Hemery Edelin, de paravant femme de Jehan Bonneau, demorant a Machecoul, dit que elle avoit ung jeune fils de l’eage de VIII ans, allent a l’escolle, qui estoit moult bel et moult blanc, et ung abille enffant : quel demoroit o la mere de ladite Jehanne, davant le chasteau de Machecoul : et que, environ VIII ans, celi enffent fut perdu, sanz ce que l’on puist savoir qu’il devint. Et que, de paravant, ung enffant a Rouczin et ung aultre a Geudon avoint esté paraillement perdus. Et que, environ quinze jours appres, ung enffent de Macé Sorin et sa femme, aute de cest Jehanne, fut semblablement perdu ; et que, su la clamor que lors l’on en faizoit, l’on ymaginoit que ceulx enffants eussent esté prins pour les bailler aux Angloys pour la delivrance messire Michel de Sillé, qui prisonnier estoit ausdits Angloys, pour ce que l’on disoit et avoit esté semmé par des gens dudit sire que, pour la somme de la ranczon dudit messire Michel, il estoit tenu bailler ausdits Anglois XXIIII enffens masles.

Item, dit que, environ deux ou trois ans a, elle vit a Machecoul ung nommé Oran, des parties de Saint Mesme[18], se complaignant piteusement et en plorent, de la perdicion d’un sien enffant et le demandoit audit lieu de Machecoul, mes n’en oyt nulles novelles qui soit venu a notice de ladite Jehanne.

Item, dit que, depuis Pasques derreines, elle oyt nommé Aisé[19] et sa femme, demorant a Machecoul, en la paroisse de sainte Croez, en l’ostel d’un nommé Pinczonneau, se complaindre de la perdicion d’un leur enffent.

Item, dit avoir ouy dire qu’il avoit esté perdu pluseurs aultres enffens en Bretaigne et ailleurs, de quoy l’on faizoit grant complainte. Et, entre autres, oyt dire a ung homme des parties de Tiffauges, dont n’est recoller du nom, que, pour ung enffant qui avoit esté perdu es parties de Machecoul, il en avoit esté perdu sept esdites parties de Tiffauges, et que on les prenoit sur les champs en gardent les bestes, et que on ne savoit qu’ilz devenoint ne quoi en faizoit.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.

Macé Sorin et sa femme dient que, environ le temps que merche[20] ladite femme dudit Edelin, l’enffent d’icelle femme Edelin, qui ne non estoit dudit Sorin, fut perdu sans ce que l’on peust savoir qu’il estoit devenu ; et que, environ celui temps, ilz oirent dire que ung enffent a Alixandre Chastelier, ung autre a ung nommé Roncin, et ung autre a Guillaume Jeudon, qui demoroit o Guillaume Hilairet, avoint esté semblablement perduz, et que on presumoit alors qu’ilz avoint esté menez aux Angloys pour la delivrance messire Michel de Sillé, leur prinsonnier, pour ce que on disoit que, par l’appointement de sa ranczon et delivrance, il estoit tenu leur bailler certain numbre de petiz enffens pour estre paiges.

Item, dient que ung filz a Georget Le Barbier, leur prouchain voisin, puise Pasques, a esté perdu sans qu’on sache qu’il est devenu. Desquelles pertes et autres ilz ont ouy fere secretement de grans clameurs, lesquelles l’on n’ousoit pas escauder.

De Touscheronde. — Chatau. — Coppegorge.


Perrine, femme Clemens Rondeau, de Machecoul, dit que, depuis ung an, son mari telment estoit malade qu’il fut mis en oncion, et qu’on y espoiroit plus la mort que la vie : et que, alors et de paravant, mestre Françoys et le marquis de Sceva, lombars, demourans o le sire de Rais, estoint logez en une haulte chambre en sa maison, ou ilz couchoint ensemble, et que, ou jour que sondit mari fut mis en oncion, celle Perrine, pour les plours et dolens qu’elle menoit de sondit mari, fut mise, devers le soir, en la chambre desdits Franczois et marquis, qui estoint allez au chastel de Machecoul, delessez leurs paiges a souper en ladite chambre : et que celx Franczois et marquis, retournez a ladite chambre, furent moult courrocez o ladite Perrine, lui disdrent moult d’injures de ce que elle y estoit entrée, la prindrent l’un par les piez et l’autre par les espaules, la portant vers l’eschalle[21] pour la cuider getter du hault au bas, et, en celle intencion, la frapa du pié par les rains ledit François ; et croit qu’elle y feust cheoiste, si sa nourrice ne l’eust prinse a la robe.

Item, dit que, depuis celui temps, elle oyt ledit marquis dire audit François qu’il lui avoit trouvé ung beau page des parties de Diepe, de quoy celui Franczois dist estre bien joyeux ; et que ung jeune enffent, moult bel, qui disoit estre desdites parties de Diepe et de gens de bien, vint demourer o ledit Franczois, et y fut environ quinze jours. Et, apres, ceste Perrine se merveillerent qu’il estoit devenu, et demanda audit Franczois ou estoit sondit page ; quel lui respondit qu’il l’avoit bien trompé, et qu’il s’en estoit allé o deux escuz du sien qu’il avoit euz a faulx entreseigns.

Item, dit que, depuis, Colin Franczois et mestre Eutache Blanchet s’en allerent demourer en une petite maison située a Machecoul, ou demouroit ung nommé Perrot Cahn[22], auquel ils osterent les cleffs de ladite maison et l’en misdrent hors : quelle maison est loign de gens et en lieu rebout et rue foraine ou ne hante gueres de gens, et, a l’entrée, y a ung puiz : et, en celui petit hostel qui n’est pas honneste pour gens d’onneur, couchoint lesdits Frainczois et maistre Eustache, et ledit marquis couchoit a la maison de ladite Perrine et de son mari, frequantant o lesdits François et mestre Eutache.

Item, dit que, de l’ostel dudit Cahn, elle vit, en presence de Jehan Labbé et d’autres, depuis la prinse dudit sire et des dessus nommez, apporter pouldre qu’on disoit estre d’enffans et une petite chemise d’enffent sanglante, qui moult puoint, qui lui firent moult grant mal

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


André Brechet, de la paroisse de sainte Croix de Machecoul, rescorde, par son serment, que, environ demy an a, il estoit a faire le guet au chastel de Machecoul et que, apres minuyt, il s’endormit : et, lui dormant, sourvint ung petit home sur le mur, qu’il ne congnoessoit, quel l’esveilla, ayant sa dague toute nue, en lui disant : « Tu es mort. » Et, neantmoins, sur les execusations dudit André, ne lui meffist celui homme, mais s’en alla et departit. Et, de ce, eut moult grant paour et suour ledit André : et, le landemain, encontra le sire de Rais, venant devers Boign, allant a Machecoul. Et depuis n’osa aller faire le guet audit chastel.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Perrot Pasqueteau, Jehan Soreau, Katerine de Grepie, Guillaume Garnier, Perrine, femme Jehan Veillart, Margarite, femme Perrot Redinet, Marie, femme Jehan Caeffin, Jehanne, femme Estienne Landay, de Fresnay pres Machecoul, rescordent, par leurs serments, que, ung jour apres Pasques derraines, ilz oyrent Guillaume Hamelin et Ysabeau, sa femme, de la paroisse de Fresnay[23], doloreusement se complaindre de l’adirance de deux leurs enffants, quelx ne savoint qu’estoint devenuz. Et depuis n’ont oy que celx enffens ayent esté veuz ne trouvez.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Ysabeau, femme Guillaume Hamelin, demorante ou bourg de Fresnay, et laquelle et son mari, environ ung an, y estoint de Pouancé[24] venuz demourez, rescorde, par son serment, que, environ sept jours avant la fin d’année derrain passé, elle envoya deux ses enffens masles, l’un en l’eage de quinze ans et l’autre de sept ou environ, en la ville de Machecoul, pour devoir achater du pain, d’argent qu’elle leur avoit baillé, et qu’ilz ne retournerent point, et depuis n’oyt novelles ou ilz feussent. Et que, le landemain, apres les avoir ainsi envoiez, maistre Franczois et le marquis, qui demouroint o le sire de Rais, et lesquelx elle dit bien congnoestre et avoir veuz plusieurs foiz, se randirent a sa maison, lui demanderent, savoir ledit marquis, si elle estoit guerie de sa mamelle ; sur quoy elle lui respondit comment il savoit qu’elle y eust mal, car elle n’y avoit point de mal eu. Il lui dist que si, et, apres, lui dist qu’elle n’estoit pas de celui pais et qu’elle estoit de Pouancé, et elle lui demanda comment il le savoit et il lui dist qu’il le savoit bien : et, adonc, elle lui respondit qu’il disoit vray. Et, sur tant, il mist la teste en l’ostel et lui demanda si elle avoit point de homme, et elle luy dist que oyll, mais qu’il estoit allé a leur pays pour se gaingner. Et, sur ce que il aparceut deux petiz enffens en l’ostel, savoir une fille et ung fils, il lui demanda s’ilz estoient a elle ; quelle lui respondit que oyll, et, apres, lui demanda si elle n’en avoit que celx deux : sur quoy elle lui dist qu’elle en avoit encore deux autres, sans lui declerez l’adirance d’elx, et qu’elle n’osoit le leur dire. Et, adonc, se departirent, et, au departement, oyt ledit marquis dire audit mestre François qu’il en estoit sorti deux de celui hostel.

Et, en oultre, dit que, environ huit jours de paravant, elle avoit oy dire que Mecheau Bouer et sa femme, de Saint Cire en Rais, avoint semblablement perdu ou adiré ung leur enffent, qui depuis ne fut veu.

De Touscheronde. — Chatau. — Coppegorge.


Perrot Soudan, de Fresnay, rescorde, par son serment, que, environ le temps que merche ladite Ysabeau, il vit celx mestre François et le marquis parler o ladite Ysabeau davant l’ostel ou elle demeure, n’entendit pas qu’ilz lui disoient pour ce que il en estoit si loign que bonnement ne le peust on. Aussi oyt fere complainte de la perte desdits deux enffants, et d’un enffant a Micheau Bouer, qui depuis ne furent veuz qu’il ait oy.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Guillemete, femme Micheau Bouer, de Saint Cire en Rais, rescorde, par son serment, que, sept jours apres Pasques derraines, ung sien filz, de l’eage de huyt ans, qui estoit bel enffant et blanc, estoit allé a Machecoul a l’aumonsne, et qu’il ne retourna point, et depuys n’oyt novelle de lui, combien que le mari d’elle, pere dudit enffant, en ayt fait plusieurs demandes en divers lieux, et que, le landemain et que que soit le jour qu’on donnoit la charité a Machecoul pour deffunct Mahé Le Breton, elle, estante a garder les bestes, se rendit a elle ung grant homme, vestu en noir, qu’elle ne congnoessoit, quel, entre autres choses, lui demanda ou estoint ses enffants qu’ilz n’estoint a garder les bestes. Sur quoy elle lui dist qu’ilz estoint allez a l’aumosne a Machecoul. Et sur tant se departit d’o elle et s’en alla.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Guillaume Rodigo, autrement de Guerrande, et sa femme, demourans a Bourgneuff en Rais, rescordent, par leurs sermens, que, la veille de saint Berthelemei derrein, le sire de Rais et ses gens, entre lesquelx estoint maistre Eustache Blanchet et Poitou, vindrent loger a Bourgneeuff en Rais, et soupa ledit sire ches Guillaume Plumet : et que, alors, celui Rodigo avoit ung jeune filz de l’eage de quinze ans, nommé Bernart Le Camus, des parties de Brest, que ung sien oncle et le maucadre de Brest lui avoint baillé de paravant pour aprandre francoys a demorer o lui. Et que, celui jour, celx maistre Eustache et Poitou parlerent o ledit jeune filz, qui estoit moult bel et abille, ne sceyvent qu’ilz lui disdrent, et alloit ledit Poitou a l’ostel des dessus nommez, demandant audit Rodigo qu’il achatast dudit sire saulx qu’il avoit a vendre, disant avoir desja fait le marché dudit Rodigo o ledit sire. Et que, celui soir, environ dix heures, celui enffant s’en alla de son ostel, sans en emporter sa robe, ses chausses et chaperon, au desceu et en l’absence desdits Rodigo et sa femme : et que leur chambriere leur avoit dit que celui enffant, paravant son partir, lui avoit dit qu’il s’en alloit et qu’elle gardast bien et serrast les tasses, et, sur tant, s’en estoit yssu de l’ostel : et que, depuis, ilz n’avoint veu ni oy qu’estoit devenu ledit enffent, combien que ledit Rodigo en ait fait plusieurs demandes, tant audit sire que a ses dites gens, et offert quarante escuz pour le lui rendre. Sur quoy celx Poitou et Eustache lui respondirent que, s’ilz le povoint trouver, que volentiers le lui feroint rendre, mais qu’ilz doubtoint qu’il feust allé a Tifauges pour estre page.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Margarite Sorin, de la parroaisse de saint Aignen, chambriere desdits Rodigo et sa femme, rescorde, par son serment, que, environ le temps dessus merché, elle et ledit enffant, estans apres souper a l’ostel dudit Rodigo, jouans ensemble, celx Rodigo et sa femme estans pres de lec en une leur autre maison ou ilz avoint soupé, souvint ledit Poitou sur celx chambriere et enffant, demandant s’ilz jouoint ainsi ensemble : quelx lui respondirent que oill ; et que, apres, il tira appart ledit enffent, tenant la main sur son espaule, et son chapel en l’autre main, parlant o ledit enffant si bassement qu’elle ne le povoit oir. Et, apres avoir ainsi parlé, s’en alla ledit Poitou, et adonc ceste qui parle demanda audit enffant que celui Poitou lui avoit dit ; quel lui respondit qu’il ne lui avoit rens dit : et, assez toust apres, celui enffant dist a ceste qui parle qu’il s’en vouloit aller, et qu’elle gardast bien et serrast les tasses ; et alors s’en partit sans lui vouloir declerer ou il alloit, combien que le lui demandast, et laissa sa robe, ses chausses et chaperon, et s’en alla en son doublet. Et depuis ne le vit, ne n’oyt novelles.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Guillaume Plumet et sa femme, Michel Gerart, de Bourgneuff en Rais, rescordent, par leurs sermens, qu’ilz virent demourer ung bien jeune enffant de basse Bretaigne, nommé Bernart, chez ledit Rodigo, et qu’il y estoit avant la Saint Berthelomer derraine : et que, ung pou avant ladite feste, que le sire de Rais vint loger et coucher a Bourgneuff, ilz oyrent, et depuis, celx Rodigo et sa femme grandement se complaindre de l’adirance dudit enffant ; lequel ces tesmoins depuis ne virent ne oyrent dire ou il feust.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Thomas Aysée et sa femme, demourans au Port saint Pere[25], rescordent, par leurs sermens, que, puis ung an, ilz ont demouré a Machecoul, et que encore ilz y demouroint a la Penthecouste derreine, et que, environ ledit temps de Penthecouste, pour ce que sont pouvres gens, ilz avoint envoié ung leur filz, d’environ l’eage de dix ans, querir l’aumonsne au chastel de Machecoul, ou pour lors estoit le sire de Rais, et que, depuis, ilz ne virent leurdit enffant ne n’en oyrent novelles, sauff que celle femme dudit Aisée dit que une petite fille, dont ne sceit le nom ne qui est son pere, lui dist qu’elle avoit veu sondit filz a l’aumonsne devant ledit chastel et que, premierement, l’on avoit donné l’aumosne aux filles a part davant ledit chastel, et que, apres, l’on en avoit donné aux enffans masles, et que, apres la leur avoir donnée, celle petite fille disoit avoir oy l’un des gens dudit chastel dire au filz des dessus nommez qu’il n’avoit point eu de chair, et qu’il entrast oudit chastel, et il en auroit, et que, de fait, apres celles paroles, l’on l’avoit mis et fait entrer oudit chastel.

De Touscheronde. — Coppegorge. — Chatau.


Jannete, femme Eucaesse[26] Drouet, de Saint Ligier[27] pres le Port saint Pere, rescorde, par son serment, que, environ quinze jours avant Noel derrein eut ung an, elle envoya deux ses enffans masles, l’un de dix ans et l’autre de sept, en la ville de Machecoul, pour demander l’aumosne, pour ce que avoit ouy dire que le sire de Rais y en faisoit donner, et aussi que les gens d’icelle ville en donnoint volontiers. Et dit que sesdits enffens y furent par certains jours, pour ce que vit gens qui disoint les y avoir veuz ; mais, depuis, y estant allez, ne les vit ne ne sceit qu’ilz devindrent, combien qu’elle et sondit mary en ayent fait faire plusieurs demandes.

De Touscheronde. — Coppegorge.


4.
2 octobre 1440.


Suite de l’enquête.


Autre informacion et enqueste faite par Jehan de Touscheronde et Estienne Halouart, commissaires du duc en ceste matere, et Nicolas Chatau, notaire de la court de Nantes, en leur compaignie, le second jour d’octobre, l’an mil CCCC et quarante.

Jehanne de Grepie, Regnaud Donete, de la parroaisse de Nostre Dame de Nantes, dit et rescorde, par son serment, que, environ la Saint Jehan derreine passée eut deux ans, le sire de Rais, lors estant a son hostel a Nantes, elle perdit ung sien enffant de l’eage de XII ans, qui alloit a l’escole, et que, depuis, elle n’en oyt nouvelles, sinon que, puis quinze jours, elle a oy Perrine Martin, detenue es prinsons de Nantes, confesser qu’elle avoit mené sondit enffant audit sire, a sa chambre, en son hostel, a la Suze, audit lieu de Nantes, et que celui sire lui avoit commandé le mener a Machecoul et le bailler au portier : et que, de fait, elle y avoit mené ledit enffant.

Item, dit que Jehan Hubert et Denis de Lemyon, dudit lieu de Nantes, ont perdu chacun son filz, que elle congnoessoit, dont les a oy se complaindre : et, depuis leur complainte, ne les vit.

Item, dit que, sur la complainte qu’elle en fist a ung nommé Cherpy et autres gens dudit sire, pour ce que aucuneffois il frequantoit audit lieu de la Suze, pres lequel ceste Perrine demouroit, celx Cherpy et gens dudit sire lui avoint respondu qu’ilz pensoint qu’il estoit allé a Machecoul pour estre page.

Estienne Halouart. — De Touscheronde. — Chatau.


Jehan Jenvret et sa femme, de sainte Croix de Nantes, rescordent, par leurs sermens, que, huyt jours avant la Saint Jehan Baptiste derreine passé eut deux ans, le sire de Rais, lors estant a Nantes a son hostel de la Suze, ilz perdirent ung leur filz de l’eage de neuff ans, alant a l’escole, et lequel aucuneffoiz frequantoit audit lien de la Suze, et depuis n’en oyrent novelles jusques a puis trois sepmaines qu’ilz ont oy dire que Peronne Martin, detenue es prinsons de Nantes, a confessé avoir mené ledit enffant audit sire de Rais, a son chastel de Machecoul.

De Touscheronde. — Estienne Halouart. — Chatau.


Jehan Hubert et sa femme, de saint Leonart de Nantes, rescordent, par leurs sermens, que, le jeudi apres la Saint Jehan derraine passé eut deux ans, ilz perdirent ung leur filz de l’eage de XIIII ans, allant a l’escole, le sire de Rais lors estant a son hostel de Nantes, et que, deparavant, celui enffant avoit demouré par louage par le temps de huyt jours o Princzay, poursuyvant dudit sire, combien que, par la paction dudit louage, il y deust demourer en plus large et que celui Princzay eut promis fere beaucop de biens audit enffant et a sesdits pere et mere : et lequel enffant il ne leur rendit aucunement, ne ne leur dist la cause du departement d’o lui, bien leur dist leurdit enffant que celui Princzay avoit ung cheval qu’il n’osoit chevaucher de doubte qu’il le tuast. Et, sur tant, lui disdrent qu’il convenoit qu’il retournast a l’escole. Sur quoy celui enffant respondit a sesdits pere et mere qu’il y avoit ung bon gentilhomme o ledit sire de Rais, qui se appelloit Espadin[28], o qui il avoit bonne congnoessance, o lequel il desiroit demourer, pour ce que il lui avoit promis bien l’apareiller et le mener ou pais d’amont et lui faire beaucoup de biens. Et, sur celle confiance, consentirent sesdits pere et mere qu’il y allast, et, de fait, y alla le landemain qu’il fut venu d’o ledit Princzay, sans coucher a leur hostel que une nuyt ; et, depuis, estant allé audit lieu de la Suze, ou lors ledit sire estoit, ils y virent continuelment leurdit enffant par le temps de sept jours durant, lesquelx celui sire alla hors la ville, et y fut quatre ou cinq jours, delessé partie de ses gens et ledit filz oudit lieu de la Suze : et que, un jour du retour dudit sire, celui enffent ala ches ses pere et mere, dist a sadite mere que ledit sire l’amoit bien, et qu’il venoit de netoier sa chambre, et que son mestre lui avoit donné ung pain de bouche dudit sire, lequel il bailla a sadite mere. Mesmes lui dist que ung nommé Symonnet, l’un des gens dudit sire, lui avoit baillé ung autre pain de bouche pour porter a une femme en la ville. Et dient que, depuis, ilz ne virent leurdit enffant, ne n’en oyrent novelles, nonobstant qu’ilz en ayent fait pluseurs complaintes a des gens dudit sire, quelx respondoint que ung chevalier escossays[29], qui l’aimoit bien, l’en avoit enmené. Mesmes en firent complainte a la femme mestre Jehan Briend[30] depuis ung moys, que soit la femme dudit Hubert, et que celle femme Jehan Brient dist a ladite femme dudit Hubert qu’elle avoit dit que ledit sire avoit tué sondit enffant. Sur quoy celle femme Hubert lui dist qu’elle n’en avoit riens dit, et celle femme dudit Briend lui dist que si avoit et qu’il en mescherroit a elle et a autres.

Item, dient que, depuis la perdicion dudit enffant, celui sire demoura a Nantes par le temps d’environ quinze jours, pendant lesquelx celui Espadin envoya querir cest Hubert ainsi qu’il dit, lui demanda ou estoit sondit enffent ; sur quoy, il lui respondit qu’il ne savoit et qu’il l’avoit baillé audit Espadin, et qu’il lui en respondroit : et que, sur ce, ledit Espadin lui dist qu’il estoit ung foul, et qu’il avoit perdu son enffant. Aussi dient qu’ilz ont oy a la De Grepie, Regnaud Donete, Denis de Lemyon et sa femme, et Jehan Janvret et sa femme, se complaindre pareillement d’avoir perdu des enffans.

Item, dit ledit Hubert que, sur ce que, depuis la perdicion de sondit enffant, il avoit dit audit Princzay qu’il avoit fait grant peché qu’il n’avoit autrement gardé et gouverné sondit enffant, celui Princzay lui avoit respondu que ne lui en chaleist, et que, par aventure, il estoit a ung bon gentilhomme qui lui ferait beaucoup de biens.

De Touscheronde. — Estienne Halouart. — Chatau.


Agaice, femme Dénis de Lemion, texier[31], de la paroisse de Nostre Dame de Nantes, dit que, environ ung an et demy, ung sien neveu, filz Colin Avrill, demouroit o son mari et elle, et estoit en l’eage de dix huyt ans, frequantant aucunes foiz a la Suze et que, le sire de Rays y estant, l’un de ses gens, devers ung soir, lui pria de lui prester ledit enffant pour lui monstrer l’ostel de l’archediacre de Merles (?), et qu’il lui donneroit une miche. Laquelle le voulit et alla o lui, et apres s’en retourna : et, le landemain, alla ledit enffant audit lieu de la Suze, en intencion d’avoir ladite miche : et que, depuis, il ne retourna, ne n’oyt nouvelle qu’il feust devenu.

De Touscheronde. — Estienne Halouart. — Chatau.


Jehanne, femme Guibelet Delit, de saint Denis de Nantes, dit que, en caresme derrein eut ung an, elle perdit ung sien enffant de l’eage de sept ans, qui frequantoit a la Suze o ung nommé Cherpy, queu du sire de Rais, quel, au temps de la perdicion, estoit audit lieu de la Suze, et lui avoit dit maistre Jehan Brient, qui y demouroit, qu’il avoit veu ledit enffant rostir audit lieu de la Suze, et qu’il avoit dit audit queu qu’il ne faisoit bien d’ainsi le laisser bruler, et que, depuis, elle n’avoit veu sondit enffant ne en oy novelle.

Item, dit que, puis trois ou quatre mois, elle s’en complaignit a la femme dudit maistre Jehan Briend, en lui disant qu’on disoit que le sire de Rais faisoit prendre des petiz enffants pour les occire : et que, sur celles paroles, estoint sourvenuz deux des gens dudit sire, dont ne sceit les noms, ausquelx celle femme Briend avoit dit que ceste qui parle disoit que ledit sire faisoit occire les petiz enffants et lui dist qu’il lui en mescherroit, et a autres ; dont elle s’excusa vers les gens dudit sire.

De Touscheronde. — Estienne Halouart. — Chatau.


Jehan Toutblanc, de saint Estienne de Montluz, rescorde que, a la Saint Julian derrein passé eut ung an, il alla a Saint Julian de Vovant, delessé a sa maison I jeune filz de l’eage d’environ XIIII ans, nommé Jehan, filz duquel cest tesmoign estoit tuteur, et quel enffant demouroit a son hostel : et que, a son retour dudit voiage, ne le trouva, ne depuis n’en oit nouvelles.

De Touscheronde.


Jehan Fougere, de la parroaisse de saint Donacien pres Nantes, rescorde, par son serment, que, environ deux ans a, il perdit ung sien filz, d’environ l’eage de doze ans, qui estoit moult bel : et depuis ne peut savoir qu’il devint.

De Touscheronde.


5.
2 octobre 1440
Suite de l’enquête.


Du second jour d’octobre.

Jehan Ferot, Guillaume Jacob, Perrin Blanchet, Thomas Beauvis, Eonnet Jehan, Denis de Lemyon, de la parroaisse de Nostre Dame de Nantes, rescordent, par leurs sermens, qu’ilz congnoissoint ung filz a Jehan Hubert, ung filz a Regnaud Donete et ung filz a Guillaume Avril, qui demourerent en ladite parroaisse de Nostre Dame, quelx enffants ne sceivent qu’ilz sont devenuz, et ont oy leurs peres et meres et leurs amis se complaindre doloreusement de l’adirance desdits enffants. Quelle complainte et adirance cestz tesmoins ont ouye et veue depuis deux ans et demy, sans avoir sceu ne oy nouvelle desdits enffants, sinon que, depuis ung an, ilz ont oy dire que le sire de Rays et ses gens prenoint et faisoint prandre des enffens pour les occire, et qu’il en est commune renommée.

De Touscheronde.


Nicole, femme Vincent Bonnereau, Philipe, femme Mathis Ernaut, Jehanne, femme Guillaume Prieur, de la parroaisse de sainte Croix de Nantes, rescordent, par leurs sermens, qu’elles congneurent ung filz a Jehan Janvret et sa femme, demourant chies Monsieur d’Estampes[32], estant celui enffant de l’aage de neuff ans ou environ, de la perdicion et adirance duquel enffant ilz oyrent ses pere et mere piteusement se complaindre, environ le temps de la Saint Jehan derreine passé eut deux ans ; et, depuis, ne virent ledit enffant ne n’oirent ou il fust. Et dient que, depuis demy an en ça, ilz ont oy dire communement que le sire de Rais et ses gens faisoint prendre et occire des petiz enffants.

Item, dient avoir congnu ung jeune filz enffant de feu Eonnet de Villeblanche, et avoir oy, puis trois mois, la mere dudit enffant se conplaindre de la perdicion ou adirance d’icelui et que, depuis celle conplainte, ne le virent.

Item, Raoulet de Launay, taillandier, deppose que, environ l’Ascenpcion derreine, il fist ung pourpoint a l’enffant dudit de Villeblanche, qui lors demouroit o Poitou, et lequel Poitou, non pas ladite Macée[33], marchanda o lui de lui fere ledit pourpoint, et en eut vignt soulz dudit Poitou ; et depuis ne vit ledit enffant.

De Touscheronde.


6.
Suite de l’enquête.
6 octobre 1440.

Du sixiesme jour d’octobre.

Jehan Estaisse, Michele, femme dudit Estaisse, de la parroaisse de saint Clemens pres Nantes, rescordent, par leurs sermens, ung filz dudit Dagaie, nommé Perrot Dagaie, quel ilz virent demourer par le temps de deux ans ou environ o maistre Gacien Ruis, et, au temps qu’il y ala demourer, povoit bien avoir l’aage de onze ans. Et, apres y avoir demouré par ledit temps de deux ans, vint demourer ovecques sa mere, et fut o elle ung jour ou deux, et y coucha par une nuyt, a la savance de ces tesmoins. Et, depuis celles heures et environ de la Toussains prochain venant aura deux ans, aperceut la mere dudit enffant et ces tesmoins et pluseurs des voisins d’ilec emurant[34] l’adirance dudit enffant : et oncques puis ne fut veu a la savance de ces tesmoins en ladite parroaisse, ne ailleurs : et avoir plusieurs foiz oy que la mere dudit enffant faisoit demande de sondit enffent audit maistre Gacien, a ses gens et a ung nommé Linaches[35], demourant a Angers, en soy conplaignant, disante qu’elle ne savoit qu’il estoit devenu.

Et aussi en virent fere demande et complainte a Trephaine[36], femme Eonnet Le Cherpentier, boucher, seour de la mere dudit enffant, laquelle pareillement l’a ainsi dit et relaté.

Item, enquis s’ilz ont point oy dire et tenir que ledit sire de Rays pranseist ne feist prendre et occire celui enffant ne autres, dient que non, sinon depuis que la prinse dudit sire de Rays et de ses gens a esté fete ; et n’avoir eu congnoessance desdites Stephanie et Perrone, a present detenues en prinson, jusques au temps de present.

De Touscheronde.


7.
Suite de l’enquête.
8 octobre 1440.

De VIIIe jour d’octobre.

Jehan Chiquet, parcheminier, demourant hors la porte Sauvetout, deppose, par son serment, que, ung mois a ou environ, ung nommé Macé Drouet, mercier, de la partie de Chantelou[37], pres Rennes, vins loger chies ce tesmoign et en sa compaignie plusieurs autres merciers. Et parloint ensemble des enffants qui avoint esté perduz ou pais de Rays, auquel Drouet ce tesmoin oyt dire que deux autres merciers et lui avoint esté ou pais de Rays a plusieurs faires, environ ung an derrein, et que, depuis qu’il les avoit lessés en icelui pais de Rays, il ne les avoit veuz et qu’il avoit veu leux pere et mere qui lui avoint demandé des nouvelles, et qu’il leur avoit dit qu’il ne savoit qu’ilz estoint devenuz.

De Touscheronde.


Pierre Badieu, mercier de ladite parroaesse de Chantelou, dit que, ung an a ou environ, il vit, oudit pais de Rais, deux petiz enffans de l’aage de neuff ans ou environ, et avoint chacun sa bale et alloint es faires ainsi que ce tesmoin le faisoit, et estoint freres enffants de Robin Pavot dudit lieu. Et oncques puis celui temps ne les vit, ne ne sceit qu’ilz sont devenuz, et que depuis il a esté ou pais d’ou ilz estoint et a parlé o leur pere et mere et o ung leur frere, qui lui en ont demandé des nouvelles, et qu’il leur avoit dit que depuis ne les avoit veuz qu’il les avoit veuz oudit pais de Rais. Et aussi dit avoir oy dire a leurdit frere qu’il avoit esté en plusieurs parties de pais pour en devoir oyr des des (sic) nouvelles, lequel n’en a riens peu savoir ne dessentir.

De Touscheronde.


Jehan Daret, de la parroaysse de saint Seuvrin[38], pres Nantes, dit qu’il y a trois ans ou environ qu’il est demourant en celle parroaisse et que, ung an a et plus, qu’il estoit ou lit malade, ou il fut detenu par long temps, et durant celui temps, ung sien filz, estant a sa maison, de l’aage de neuff ans, fut prins en la rue du mercheil ou il estoit avecques autres enffants a l’esbat, ne sceit qui le print, ne ou il fut menné, ne depuis n’en a peu dessaver aucunes nouvelles, neantmoins qu’il ait esté par plusieurs pais pour en devoir oir des nouvelles.

De Touscheronde.


Jehanne, femme dudit Darel, deppose que, le jour de la Saint Pere[39] eut ung an, celle adira en ceste ville de Nantes un sien filz, nommé Olivier, estant en l’aasge d’entre sept et vuit ans. Et, depuis celle feste de Saint Pere, ne le vit ne oit nouvelles qu’il fust devenu.

De Touscheronde.


Jehanne, mere de ladite femme Darel, deppose que, ledit jour de la Saint Pere eut ung an, en venant de vespres de saint Pere de Nantes, elle trouva celui enffant pres pilory, l’en amenna jusques davant l’eglise de saint Saournin[40] de Nantes, le cuidant amenner a sa maison ; davant laquelle eglise, en la presse des gens qui la estoint, elle adira ledit enffant, le quist et cercha par l’eglise ne le y peut trouver ; et oncques puis ne le vit, ne oncques puis n’en oyt aucunes nouvelles.

De Touscheronde.


Eonnete, femme Jehan Bremant, demourante au mercheil, en la maison desdits mariez, deppose qu’elle congnoessoit bien l’enffant desdits mariez nommé Olivier, ayant l’aage dessusdit, et dit que elle est certaine, des le temps dessus merché, la femme dudit Darel lui dist que elle avoit adiré sondit enffant, demanda a ce tesmoign si elle l’avoit point veu, quelle lui respondit que non ; et dit que, depuis, celui enffant ne s’est rendu a la maison de ses pere et mere, a la savance de ce tesmoin, ne ne oyt qu’il fust trouvé. Et est son records.

De Touscheronde.


Nicole, femme Jehan Hubert, de la parroaisse de saint Vincent de Nantes, tesmoign juré dire vrai, rescorde, par son serment, que, des environ la Saint Jehan derreine eut deux ans, avoit ung filz nommé Jehan, de l’aasge de quatorze ans, lequel de paravant elle avoit mis a demourer o ung nommé Mainguy, o lequel il demoura po de temps, pour ce que celui Mainguy deceda. Et, apres son deces, s’en vint sondit filz demourer ovecques elle et sondit pere : et, assez toust apres, vint ledit sire de Rais, des parties d’Angiers, loger a son hostel de ceste ville, a la Suze : auquel lieu le filz de ce tesmoing alla, et trouva ung nommé Spadine, demourant o ledit sire, quel lui donna une miche, laquelle il aporta a ce tesmoign, et lui dist que ledit Spadine la lui avoit donnée, et lui avoit dit qu’il le vouloit avoir a demourer o lui pour chevaulcher o lui en la compaignie dudit sire de Rays. Et ce tesmoign lui respondit que c’estoit bien fait. Et s’en ala sondit filz de rechieff audit lieu de la Suze, et, ung po apres, s’en retourna, et dist adieu a ce tesmoign souvent et qu’il s’en alloit demourer ovecques ledit Spadine, et, de fait, si en alla a celle heure ; et oncques puis ne le vit, ne ne sceut qu’il devint. Et rescorde que depuis, Jehan Hubert, mari de ce tesmoign, et pere dudit enffant, alla audit lieu de la Suze et demanda audit Spadine ou estoit son filz, quel lui respondit, par deux foiz, qu’il ne savoit et que s’en alast et qu’il estoit perdu. Et est son records.

De Touscheronde.


Jehan Bureau et sa femme, Johanne, femme Thebault Geffroi et sa fille, Guillaume Hemeri, tesmoins jurer dire vrai et enquis, rescordent, par leurs sermens, qu’ilz congnoessent bien ceulx Hubert et sa femme, et aussi congnoessoint bien ledit Jehan, leur filz, et les ont veu demourer par long temps en la paroisse de saint Leonart[41] de Nantes, et y estoint demourans, a la Saint Jehan derreine eut deux ans. Et, en celui temps, ovecques elx estoit ledit Jehan, leur filz, et de paravant et depuis l’ont veu a la maison de sesdits pere et mere, et, environ celui temps, s’en alla celui enffant ou fut prins ne sceurent ou, ne quelle part, et oncques puis ne le virent ; et ont veu depuis ses pere et mere en fere demande en ceste ville et ailleurs. Et est leur records.

De Touscheronde.


La de Grepie, Regnaud Donete, demourante en la parroaisse de Nostre Dame de Nantes, tesmoign jurée dire vrai et enquise, rescorde, par son serment, que, des la feste de saint Jehan Baptiste derraine eut deux ans, elle et sondit mari estoint demorans en l’ostel ou pour le present encore elle demore, et ovecques eulx estoit ung leur filz. Et estoit son mari loué pour certain temps a ung nommé Jehan Ferot, boulenger, pour fere le mestier de boulenger : et y alloit souventefois sondit filz, ovecque son pere, pour couscher le pain. Et dit que, paravant celui temps, celui son filz s’estoit acointé d’ancuns des gens du sire de Rays, quelle dit ne congnoestre point, et que, incontinant que ledit sire estoit venu en ceste ville, celui son filz s’en alloit a l’ostel dudit sire de Rays, ne sceit qu’il y faisoit ; et dit que, en celui temps de la Saint Jehan derreine eut deux ans, celui son filz alla a l’ostel dudit sire, et oncques puis ne le vit, ne ne sceut qu’il devint, quel s’il fust mort. Et, depuis, a esté en plusieurs lieux pour en devoir oir des nouvelles : de quoy elle n’a peu rens oir ne savoir. Et est ce que deppose.

De Touscheronde.


Jehan Ferot et sa femme rescordent, par leurs sermens, que, ou temps de la Saint Jehan derreine eut deux ans, celui Regnaud Donete, deffunct, s’estoit loué ovecques elx pour fere le mestier de boulonger : et ovecques lui souventefois venoit ung sien filz, qui couschoit le pain, aasgé de doze ans, lequel, plusieurs foiz, ilz ont veu que, quant il avoit cousché demie fournée de pain, et il veoit et savoit que ledit sire de Rais estoit en ceste ville, il laissoit le pain a couscher et s’en alloit a l’ostel dudit sire, ne sceivent qu’il y faisoit. Et lui virent aller en celui temps a ung jour dont ne sont membres, et oncques puis ne le virent, ne ne sceivent qu’il devint.

De Touscheronde.


Pierres Blanchet, Guillaume Jacob rescordent, par leurs sermens, qu’ilz sont demourans pres l’ostel de celle veuve Regnaud Donete, et qu’ilz sont certains que, au temps de la Saint Jehan derraine eut deux ans, celui Donete et celle veuve avoint ung filz, lequel ilz congnoessoint bien, et lequel, incontinant que le sire de Rais estoit en ceste ville, il alloit a l’ostel dudit sire, ne sceivent qu’il y faisoit ; mais, depuis celui temps qu’il y alla, ilz ne le virent ne ne sceivent qu’il est devenu. Et est leur recors.

De Touscheronde.


8.
Condamnation à mort de Henriet et de Poitou[42].
La condempnation de Henriet et de Poictou.

Apres laqeulle confession desdictz Henriet et Poictou, et sur ce l’advisement de plusieurs assistans, avocatz et autres, actendu les cas, et consideré tout le faict, fut jugé et déclairé par mondit seigneur le presidant[43] et commis que lesdictz Henriet et Poictou en devoint estre penduz et ars.

Ainsi signé : De Touscheronde.


9.
Confession de Gilles de Rais.
La condempnation du sire de Rais.

Et depuis, apres le proces fait et conclut par la court de l’Eglise allencontre dudit sire, fut ledit sire, le vingt cinquiesme jour dudit moys d’octobre, mené au Bouffay de Nantes, ou avoit telle assemblée de gens que ledit Bouffay en estoit aussi comme plain. Lequel sire, apres que le procureur, par son lieutenant, l’accusa d’avoir commis les cas ci dessus touchez et escriptz fut celuy sire, liberallement et sans contraincte, confessant avoir commis lesdictz cas, et que luy fut dit de monseigneur le president qu’il dist son cas tout a plain, et la honte qu’il en auroit vauldroit parti de alegement de la peine qu’il en devroit souffrir par dela ; lequel congneut en jugement que, de son auctorité privée et o port d’armes, il avoit prins la place et forteresse de Sainct Estienne de Mallemort, de laqeulle Geffroy le Ferron estoit seigneur et possesseur par transport, qui de paravant celuy sire luy en avoit fait, et qu’il avoit contrainct et compellé Jehan le Ferron devant ladicte place a la luy rendre, et que, audit lieu de Sainct Estienne, il avait prins ledit Ferron prisonnier et le fait mener a Tiffauges, hors ce duché, ou longuement il avoit esté detenu jucques a ce que, par moyen de monseigneur le Connestable[44], il l’avoit mis en delivre. Mesme congneut avoir esté desobeissant aux injonctions a luy faictes de par mondit seigneur le duc et sa justice de rendre et vuguer ladicte place et de mectre au delivre ledit Jehan le Ferron a la peine de cinquante mil escuz. Aussi congneut, o grant contricion et desplaisance, qu’il avoit meurtry et occis grant numbre de petitz enfans masles…… et les avoir fait ardre et mectre en pouldre affin qu’on n’aperceust son cas et malefice et que lesdictz enfans ne le revellassent, et qu’il avoit fait et commis les autres cas contenuz en sa confession cy devant escripte, desquelz lui fut fait lecture et qu’il congneut et confesse estre vray.

Ainsi signé : De Touscheronde.


10.
Condamnation à mort de Gilles de Rais.

Aprè laquelle confession, demanda mondit seigneur le presidant l’advisement de plusieurs saiges et gens du conseil illec assistans ; queulx disdrent qu’il estoit digne de mort, les ungs a le souffrir en une maniere et autres en autres. Apres lequel advis eu avecques lesdictz saiges et assistans, fut jugé et declairé, par mondit seigneur le presidant et commis, au regard du premier cas, que celuy sire estoit encouru es dictes peines pecunielles, et qu’elles devoint estre acquises a mondit seigneur le duc, et executées par les biens et terres dudit sire, o moderation de justice. Et, au parsurs, touchant les autres cas commis et confessez par ledit sire, fut jugé et declairé, par mondit seigneur le presidant et commis, que celuy Gilles de Rais en devoit estre pendu et ars. Et apres, dist et declaira audit Gilles, afin qu’il criast mercy a Dieu et se disposast a mourir en bon esta, o grant desplaisance d’avoir commis lesdictz cas, que le lendemain ladicte sentence seroit mise a execution a une heure ; dont il mercia Dieu et mondit seigneur le presidant de lui avoir notiffié l’heure de sa mort. Et apres, requist a mondit seigneur le presidant, ainsi qu’il et lesdictz Henriet et Poictou, ses serviteurs, assemblement avoient commis les mauvais et enormes cas pour lesquelz ilz estoint condempnez a mort, qu’il plust a mondit seigneur le presidant que assemblement, a ung mesmes jour et heure, il et sesdictz serviteurs en souffrissent la pugnition et execution, afin qu’il, qui estoit cause principal des malefices desdictz serviteurs, les peust conforter et advertir de leur salut a l’heure de l’execution, et leur monstrer exemple de bien mourir ; disant doubter que s’autrement estoit, et que sesdictz serviteurs ne le veissent mourir, qu’ilz peussent cheoir en desesperance et ymaginer que eulx [mouroient] et qu’il, qui estoit cause de leurs malefices, demouroit impugny, et qu’il esperoit de la grace Nostre Seigneur, combien qu’il eust esté cause de leur faire commectre[45] les cas, pour lesquelz ils mourroint, qu’il seroit cause de leur salvacion.

Quel request luy octroya mondit seigneur le president, et avec ce, actendu sa bonne contrition, octroya de grace audit Gilles ladicte execution faicte comme dessus, et, paravant son corps estre ouvert et embrasé, que sondit corps fut mis en une chasse et porter en sepulture en ceste ville de Nantes en telle eglise que ledit Gilles ordonneroit, de quoy il mercia mondit seigneur le presidant, requerant sondit corps estre mis et ensepulturé en l’eglise du moustier de Nostre Dame du Carme de Nantes. De quoi fut contant mondit seigneur le presidant. Et, en oultre, requist ledit Gilles a mondit seigneur le presidant qu’il voulseist prier monseigneur l’evesque de Nantes et les gens de son eglise que, demain, avant que ledit Gilles et sesdictz serviteurs fussent executez, ils voulseissent faire procession generale pour prier Dieu que ledit Gilles et sesdictz serviteurs de les tenir en ferme creance a leur salut ; ce que pareillement luy fust octroyé par mondit seigneur le presidant.

Ainsi signé : De Touscheronde[46].

  1. Coté autrefois armoire L, cassette G. no 8 dans le Trésor des Chartes de Bretagne ; — cahier, de papier de fil, de 22 fol., in-4o, orig.
  2. Insinuation que complète la déposition suivante : « Ung nommé Poitou, serviteur dudit sire, fist tant a Peronne Loessart, que… etc. »
  3. Lire : Elle.
  4. Saint Étienne-de-Montluc (Loire-Inférieure).
  5. Coueron (Loire-Inférieure). Les ducs de Bretagne y avaient un château.
  6. Il n’y avait personne qui…
  7. On remarquera que l’assesseur n’est plus le même.
  8. Actuellement Port-Launay.
  9. La charité, qui lors s’y faisait. Les témoins indiquent par là une distribution d’aumônes faites au nom d’un défunt, à l’occasion d’une messe anniversaire ou de fondation. Il est fait, plus loin, une nouvelle allusion à cette coutume.
  10. Jeu encore fort usité dans le pays.
  11. Prélati.
  12. Pelleterie.
  13. Ou Thifelez ?
  14. Sans doute Tonnay-Charente ou Tonnay-Boutonne (Charente-Inférieure.)
  15. On dit encore dans l’Ouest : « s’esmoier ».
  16. Sorte de manteau.
  17. Un voile d’étamine sur la figure. La Meffraye en mettait une aussi pour ses expéditions.
  18. Saint-Mesme, près Chinon (Indre-et-Loire).
  19. Aisé comparaît plus loin sous le nom d’Aysée.
  20. Marque.
  21. L’échelle. On dit encore échalle en Vendée.
  22. Colin ? Cahu ?
  23. Fresnay (Loire-Inférieure).
  24. Pouancé (Maine-et-Loire).
  25. Port-Saint-Père (Loire-Inférieure).
  26. Pour Eustaice ?
  27. Saint-Léger, près du lac de Grandlieu (Loire-Inférieure).
  28. Appelé ailleurs Spading.
  29. Sans doute Spading.
  30. Briant avait un fils au service absolu de Gilles de Rais : ce jeune enfant, officiellement classé dans la chapelle, était le préféré de Gilles.
  31. Ce mot est encore usité dans le pays.
  32. Sans doute le comte d’Étampes, frère du duc de Bretagne — ou Jehan d’Étampes, maître des requêtes, alors commissaire du roi pour les coutumes du Poitou (V. Archiv. de la Loire-Inférieure, E. 187, n°3) ?
  33. La femme sans doute d’Eonnet de Villeblanche.
  34. Nous avons, plus haut, dans un sens analogue, rencontré le mot esmoiant. Mais ici le mot émurant paraît devoir plutôt se rapporter au verbe s’esmuir, qui comporte surtout une idée d’épouvante.
  35. Lenano de Ceva.
  36. Appelée ailleurs Théophanie
  37. Chanteloup (Ille-et-Vilaine). Il a été question plus haut d’un autre Cantelou situé en Normandie, près de Caen.
  38. Actuellement Saint-Séverin, à Nantes.
  39. Le 29 juin.
  40. Actuellement Saint-Saturnin.
  41. On pourrait lire : Bernard.
  42. Il n’existe pas, pour l’arrêt prononcé contre Gilles de Rais et ses complices par la juridiction civile, de rédaction écrite comme en matière canonique (V. page cviii et suiv.). Le commissaire du duc, Touscheronde, recueillit sommairement les actes de la procédure civile sous ce titre : « Le commencement du procès contre le sire de Raix. — Ensuit le procès fait devant noble et sage Pierre de l’Hospital, président de Bretaigne.... » Il acheva ce résumé par la confession de Henriet et de Poitou et enregistra leur condamnation : il recueillit de même la confession de Gilles de Rais et nota sommairement sa condamnation. Les archives du château de Thouars possèdent de ces notes de Touscheronde une copie de l’année 1530, dont nous extrayons les passages suivants, qui vont du fo 407 au fo 413, ro.

    Le ms. de Thouars est un petit in-folio carré en papier, nouvellement relié en parchemin. Il se compose de 420 feuillets anciens, plus un feuillet, ajouté en tête par M. Paul Marchegay, pour remplacer celui qui était perdu. — Le procès latin est en tête, du folio 1 au folio 308. — Le procès français occupe les folios 309-418. Le folio 418 contient le certificat suivant.

    « Par nous, Gilles le Rouge, chevalier, conseiller ordinaire du roy ususfructuaire de ce pays et duché de Bretaigne, père et légitime administrateur de Monseigneur le Dauphin, duc propriétaire dudit duché, en vertu des lettres patentes dudit seigneur a nous entre aultres dirigées, avons, à la requeste de haults et puissants Gilles de Laval et Françoise de Maillé, son espouse, seigneur et dame de Loué et de Maillé, par Yvon le Beuff, leur procureur deuement fondé, fait faire serche au château de Nantes, au Trésor des Chartres, audit seigneur y estant, par noble homme Me Pierre Laurens, seigneur de la Noe, thesaurier et garde desdictes chartres, present le procureur général dudit seigneur en cedit pays, et Me Jacques Meauce, procureur deuement institué par les sires de la Trimouille, des procès, enquestes et informacions, dont la coppie est escripts es cent ouict feilletz cy devant, le présent non comprins. Et après nostre seign et de Christofle Pèlerin, secretaire du Roy en ce dit pays et duché, avons baillé ausdiz seigneurs et dame de Maillé extraict et coppie faicte sur lesdictes lettres originales ; en avons décerné et adjugé audit Meauce, procureur dudit sire de la Trimouille coppie ; iceluy nous requérant et demandant ladicte coppie par nous collationnée sur ledit extrait baillé audit Le Beuff soulz nostre seign, et dudit Pélerin, secrétaire. Et icelle coppie, suivant nostre dicte commission, avons sers et en présence dudit Le Beuff, procureur desdiz seigneur et dame de Loué, déclaré foy estre adjouctée comme audit extraict. La dicte collacion, par nous faicte à Nantes, les dixneuff et vingtiesme jour de juillet et autres jours ensuivans, l’an mil cinq cens trente.

    L. le Rouge.

    Ch. Pellerin. »

  43. Pierre de l’Hospital, sénéchal de Bretagne.
  44. Le connétable de Richemont, frère de Jean V ; on a vu ses rapports avec Gilles de Rais.
  45. Le copiste a maladroitement introduit ici un alinéa et la mention : « Ainsi signé : De Touscheronde. » Nous n’avons pas cru devoir reproduire cet alinéa qui coupe la phrase et qui devait se reporter en marge.
  46. Le récit de l’exécution de Gilles et de ses deux complices a été publié par P. Marchegay dans la Revue des Provinces de l’Ouest, tome V, 1857, p. 177-179, d’après une note manuscrite insérée au fo 412 du ms du château de Serrant, et reproduite par le même auteur dans ses Notices et pièces historiques, p. 186-188. Ajoutons que ce récit fut considéré comme absolument authentique, car il figure dans les expéditions officielles du procès. V. not. Bibl. nat., ms. fr. 3876, fo 128.