Girault - Manuel de l'étranger à Dijon, 1824 - Essais, troisième partie

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TROISIÈME PARTIE.


La tournée qui nous reste à faire, va se trouver précisément sur la première enceinte de Dijon, dont la gravure existe sur le plan de Lepautre ; mais avant de nous mettre en route, je dois vous dire un mot de ces murs primitifs.

Anciens murs de Dijon.César ayant fait quitter à ses légions le Mont-Afrique, pour leur faire prendre des quartiers d’hiver dans une atmosphère plus tempérée, leur traça un camp comme tous ceux des Romains, de forme quarrée avec quatre portes, à l’aspect des quatre points cardinaux ; celle prétorienne, au levant, conduisoit à la tente du général : telle fut dans son origine le castrum Divionense.

Ce camp, dans le principe, ne fut défendu que par de larges fossés garnis de palissades et de pieux enlacés les uns dans les autres par des fascines ; ces retranchemens subsistèrent jusqu’aux guerres que l’empire romain eut à soutenir contre les Quades et les Marcomans, qui firent, à différentes fois, des irruptions dans cette partie des Gaules ; alors Marc-Aurèle fit élever quelques tours dans le camp des légions de César, environ l’an 169 ; un siècle après, Aurélien voulant opposer une barrière à ces hordes dont il venoit de triompher dans les plaines de Champagne, en 273, fit élever les murs de Dijon, de Beaune et de Langres, afin qu’ils fussent un obstacle capable d’arrêter, quelque temps au moins, ces barbares, si jamais ils osoient reparoître dans ces contrées.

Les fragmens de monumens antiques qui se trouvent sous ces murs, et les 33 tours dont ils étoient renforcés, ont fait douter que ces fortifications aient été l’ouvrage d’Aurélien : il n’est pas naturel, dit-on, que des morceaux des idoles et des divinités des Romains, aient été ainsi enfouis par les ordres d’un prince qui professoit l’idolâtrie ; ce n’est qu’aux chrétiens seuls que l’on peut imputer d’avoir brisé les Dieux du paganisme, et d’en avoir caché les restes jusque dans les entrailles de la terre. D’après ce système, l’on est forcé de reporter jusqu’au temps d’Honorius la construction des murs de Dijon.

Mais des probabilités, des conjectures sont sans force contre un fait posé par le père de notre histoire de France, Grégoire de Tours, qui décrit si bien l’ancien Dijon, qu’il n’est pas possible de douter qu’il n’ait connu par lui-même parfaitement cette ville ; Grégoire de Tours, arrière petit-fils de Saint Grégoire, XVI.e évêque de Langres, lequel habitoit Dijon, où il fut inhumé. Or, très certainement lorsque cet historien dit veteres ferunt, il ne peut avoir entendu parler d’autres personnes que de ses ancêtres qui avoient vécu dans cette ville deux siècles après la construction des murs de Dijon. Quelle tradition pourroit être plus respectable que celle qui dérive de cette série d’évêques, signis et virtutibus clari, comme les appelle leur descendant. Oserions-nous révoquer en doute dans 50 ans les fortifications qu’a fait élever le célèbre Vauban.

L’objection qu’on voudroit tirer des fragmens d’antiquités enfouis dans les fondations des murailles, n’est donc pas un titre suffisant pour en faire retarder la construction, et si ce qu’on oppose doit céder au raisonnement, il ne se soutiendra pas davantage au narré des faits.

Nous lisons qu’à l’époque où trente tyrans se disputoient l’empire des Césars, Crocus et ses Vandales ravageoient sur-tout la partie orientale des Gaules ; qu’ils saccagèrent Metz, Besançon, Langres, marquant leur route en traits de sang, signalant leurs triomphes par le renversement des plus beaux édifices. Lorsque Aurelius-Victor, Paul-Orose, Eutrope nous attestent les cruautés et la barbarie de ces peuples qui, par leurs excès et leur rage de tout renverser, ont bien mérité que leur nom devînt le synonyme et le superlatif de destructeurs ; lorsque nous les voyons se rendre exprès en Auvergne pour y détruire le fameux temple de Mercure, et pour y briser cette superbe statue de bronze qui avoit coûté dix ans de travail au statuaire Zénodore ; qu’est-il besoin d’aller chercher ailleurs des causes de destruction ?

Vous savez que la Gaule ne fut délivrée de ces barbares que par la victoire que remporta sur eux Aurélien, l’an 273 ; et ce fut très probablement pour leur opposer un boulevard, que, dans l’année qui suivit sa victoire, cet empereur fit élever les fortifications de Dijon.

Il y fit employer, comme matériaux, tant sous le rapport de les utiliser que pour les soustraire aux regards, les mutilations et débris, tristes restes du passage des Vandales, et les fit jeter dans les fondations. C’est ainsi que d’après des causes pareilles, et sur des motifs semblables, les murs d’Athènes furent construits de débris de temples et de tombeaux, quî fit ut muri Atheniensium ex sacellis sepulchrisque constarent. Grosley, dans ses éphém. parle de la conformité des murs d’Auxerre et de Langres avec ceux de Dijon, dans les fondations desquels l’on rencontre aussi des débris d’édifices et de monumens ; il combat l’abbé Lebeuf, qui, fondé sur ces vestiges, vouloit en reporter la construction au temps où le christianisme devint dominant ; Grosley la fixe au contraire après l’expulsion des Vandales : tempus destruendi, tempus ædificandi, maxime d’une grande vérité ; aussi voyons-nous Lyon se reconstruire après avoir été renversé ; Saragosse et Moscou auront le même sort, etc., etc.

Mais on objecte encore que Saint Benigne fut martyrisé sous le règne de Marc-Aurèle ; l’on montroit il y a peu d’années, la tour où il fut mis en chartre ; donc les fortifications de Dijon sont antérieures à Marc-Aurèle, à plus forte raison à Aurélien ; par conséquent l’on ne peut attribuer aux dégâts causés par les Vandales, les mutilations d’idoles et de monumens qui sont enfouis dans les fondations de ces murailles.

Cette objection, en sens inverse de la précédente, est la plus forte, mais cependant elle n’est pas sans réplique.

Marc-Aurèle ne fit point élever toutes les tours de Dijon, mais quelques-unes seulement, de distance en distance, sur les retranchemens tracés par César, et cela pour protéger la contrée contre le retour des Marcomans qu’il venoit de repousser jusque dans leurs demeures ; et parmi ces tours étoit celle où St. Benigne fut renfermé ; mais peut-on croire que les Vandales qui détruisoient les temples, les édifices, les monumens qui ne pouvoient leur nuire, auront respecté des fortifications coupables de leur avoir peut-être résisté, qui tout au moins pouvoient leur devenir funestes, s’ils venoient à être repoussés ? N’étoit-il pas au contraire de leur intérêt de ne pas laisser aux peuples qu’ils avoient subjugués, des moyens de résistance, et aux Romains des retraites assurées ? Ils ne devoient laisser derrière eux aucunes fortifications qui pussent les fermer ni les arrêter dans une retraite. Ainsi non-seulement les Vandales ont pu, mais même ils ont dû renverser les tours élevées par Marc-Aurèle, et Aurélien au contraire a dû les relever.

Enfin, l’on oppose qu’en 1809 la tour St.-Benigne fut démolie, et qu’on y trouva comme dans toutes les autres des débris antiques dans les fondations ; on a même remarqué que les sculptures et les inscriptions étoient tournées du côté de l’intérieur, de manière qu’au dehors il n’en apparoissoit aucun vestige ; mais cette démolition ne fut point poussée jusqu’aux dernières assises, par conséquent l’on n’a pas pu voir ce que ces fondations recéloient dans leur plus basse profondeur, et il ne seroit pas étonnant qu’en relevant ces tours sur les débris de celles renversées par les Vandales, l’on eût été obligé d’en reprendre la maçonnerie un peu au-dessous du sol, et qu’on eût employé dans la partie inférieure les fragmens mutilés qu’Aurélien vouloit soustraire à la vue des peuples pour lesquels ces ruines ne pouvoient qu’être des objets pénibles et désagréables.

Il faut donc tenir pour constant que la primitive enceinte de Dijon, que nous allons parcourir, est entièrement l’ouvrage d’Aurélien.

Si vous le voulez, Monsieur, nous allons commencer notre troisième et dernière tournée ; ce ne sera pas la plus fatigante, car notre cercle devient de plus en plus resserré ; si la seconde course que nous avons faite vous a plu davantage que la première, celle-ci vous sera plus agréable encore ; j’ai voulu soutenir votre attention par un intérêt toujours croissant ; c’est en effet dans le centre de cette ville que vous trouverez les édifices les plus remarquables, les établissemens les plus importans, et où j’aurai à vous entretenir de Bourguignons non moins illustres.

Rue de la Liberté.La rue par laquelle nous allons débuter est la plus belle de Dijon, du moins c’est la seule dont les façades soient régulières ; elle fut élargie en 1725, pour y faire passer la statue équestre de Louis XIV, elle prit alors le nom de rue Condé, qu’elle conserva jusqu’à la révolution ; à cette époque on lui donna les noms de la Fédération, de la Liberté et très probablement ce ne sera pas le dernier qu’elle portera.

À droite est la rue Dauphine, aujourd’hui Traversière ; son premier nom sembleroit devoir annoncer une belle rue, c’est la plus laide de Dijon. À gauche est la rue Tonnellerie, digne de figurer vis-à-vis celle Traversière ; Rue des Forges.plus loin est la rue des Forges, du nom des ouvriers en fer qui l’habitoient autrefois. Dans cette rue existe encore l’hôtel des ambassadeurs d’Angleterre à la cour des ducs de Bourgogne, maintenant converti en plusieurs maisons de commerce.

L’influence des Anglais en France, sous les règnes de Charles VI et de Charles VII, nécessitoit la présence d’agens accrédités près de nos princes qui tenoient en Europe un rang distingué, marchoient les égaux des rois, et souvent l’emportoient sur eux en richesses et en puissance.

Dans cet hôtel, fut reçu Jean duc de Bedfort, le 3.e des fils d’Henri IV, roi d’Angleterre, lorsqu’il épousa, en 1423, Anne de Bourgogne, sœur de Philippe-le-Bon, et lorsqu’il assista aux noces de Margueritte, sa belle-sœur, avec Artur III, duc de Bretagne, célébrées à la Ste.-Chapelle de Dijon, lesquelles furent suivies de tournois et de fêtes très brillantes. Ce duc de Bedfort est celui qui, nommé régent de France, en fit proclamer roi Henri de Lancastre son pupille, et jeta l’alarme dans tout le royaume. Il mourut à Rouen en 1435.

Rue du Bourg.Plus loin est la rue du Bourg, consacrée aux boucheries, en face de laquelle, au nord, est l’ancien auditoire du bailliage de Dijon, érigé en présidial en 1696.

Cette maison, la première de la rue au Change, fut primitivement l’hôtel de Hugues Aubriot, qui le fit construire pendant les sept années qu’il fut grand-bailli du Dijonnais. Sa façade est gravée dans le voyage pittoresque de France.

Hugues Aubriot, intendant des finances, prévôt de Paris sous Charles V, fit bâtir le pont St.-Michel, la porte St.-Antoine, le Petit-Châtelet et la Bastille, dont il posa la première pierre le 22 avril 1370, et de laquelle il fut le premier prisonnier. Ayant fait arrêter, contre les immunités de l’université de Paris, quelques écoliers turbulens, l’université lui fit faire son procès comme coupable d’hérésie, et l’immense crédit dont jouissoit cette fille aînée des rois, devint funeste au prévôt de Paris, qui fut renfermé à la Bastille en 1381 ; il n’en sortit que parce que les Maillotins l’en tirèrent pour le mettre à leur tête ; mais Aubriot les quitta dès le même soir, et se réfugia en Bourgogne, où il mourut dans l’année suivante.

Les Bailliages de Bourgogne étoient la juridiction des baillis des ducs, qui réunissoient dans leurs mains les pouvoirs civils et militaires, ainsi que les avoient cumulés les comtes et les vicomtes auxquels ils succédèrent ; les baillis avoient la répartition et la levée des impôts, le commandement des milices, le gouvernement des places de guerre, et l’administration de la justice. Cette masse de pouvoirs donna de l’ombrage aux souverains, qui leur enlevèrent les unes après les autres ces attributions, dont il ne leur resta que l’honneur de voir la justice rendue en leur nom dans les tribunaux inférieurs, et le droit d’y siéger en armes.

Africain de Mailly, seigneur de Villers-les-Pots, fut reçu grand bailli de Dijon, par lettres-patentes du 27 février 1536 ; François I.er qui connoissoit ses talens en diplomatie, l’avoit député avec le cardinal du Bellay et françois Olivier, qui devint chancelier de France, à la diète de Spire, convoquée par Charles-Quint en 1544 ; l’empereur ayant refusé un sauf-conduit à cette députation, les commissaires Français se retirèrent à Nancy, où Mailly écrivit plusieurs pièces contre cet empereur, et les fit imprimer en français et en latin chez Robert-Étienne. Jean Girard[1] qui lui adresse l’une de ses épigrammes, l’appelle Assoniensem Prætorem, parce que le bailliage d’Auxonne, où Girard étoit lieutenant, n’étoit, ainsi que Nuits, Saint-Jean-de-Laône et Beaune, qu’un des sièges du bailliage-présidial de Dijon.

Benigne Legouz-Gerland, dont je vous ai parlé, étoit grand-bailli du Dijonnais.

L’éditeur de Bannelier, Fr. Petitot, étoit conseiller en ce bailliage.

Un peu plus loin à gauche est la rue Porte aux Lions, parce que là étoit l’une des portes de la première enceinte de Dijon, probablement ornée de lions ; à droite est la rue des Étaux ou des Étioux, sur laquelle donnent les bâtimens de l’hôtel appartenant aux évêques de Langres, et qu’ils habitoient lorsqu’ils venoient à Dijon ; cet hôtel devint le couvent des Jacobines, fondées en 1612, supprimées en 1768, et dont l’église et l’entrée principale donnoient sur la Place Impériale.

Place impériale.Cette place en hémicycle est la plus belle et la principale place de Dijon ; elle portoit autrefois le nom de Saint Barthelemi, mais en 1686, lorsqu’elle fut bâtie uniformément en arcades ouvertes, surmontées d’une balustrade, elle prit le nom de Place Royale, de la statue équestre qui la décoroit ; sous la révolution ce fut la Place d’Armes ; c’est aujourd’hui la Place Impériale que vous trouverez gravée dans le voyage pittoresque de France, ainsi que la statue de Louis XIV.

Cette statue étoit en bronze ; le cheval fut fondu en 1690 par le Hongre, et pesoit 18,000 kilogrammes, la statue en pesoit 8000. Ce monument érigé dès 1725, ne fut achevé qu’en 1747 ; il avoit coûté plus de 150,000 liv., y compris le piédestal en marbre, et les grilles en fer dont il étoit entouré ; il fut renversé le 15 août 1792, en exécution du décret qui ordonnoit le brisement de toutes les statues des Rois.

Le palais en face est le logis du Roi, qui a succédé à l’ancien château des ducs, dont il subsiste encore la haute tour quarrée, dite la Terrasse, commencée sous Philippe-le-Hardi, achevée sous le règne de Philippe-le-Bon, élevée pour découvrir le pays, et parer à toute surprise ; aujourd’hui c’est un observatoire. Les cuisines, la salle des gardes, la tour de Bar sont aussi des restes du château de nos ducs, dont la majeure partie devint la proie des flammes, le 17 février 1502.

Ce bâtiment reçoit aujourd’hui plusieurs destinations.

La plus grande partie est occupée par la Cour impériale dont le ressort s’étend sur tous les tribunaux des départemens de la Haute-Marne, de la Côte-d’Or et de Saône et Loire, composée de quatre présidens, vingt conseillers, six auditeurs, sept officiers du parquet ; la Cour d’assises et la Cour spéciale y tiennent aussi leurs audiences.

C’est encore le palais de la 6.e cohorte de la Légion d’honneur qui comprend les départemens du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône, de la Côte-d’Or, de Saône et Loire, de la Nièvre et du Léman, commandée par un Bourguignon, S. Ex. le maréchal Davoust, duc d’Auerstaëdt, prince d’Eckmuhl, ayant pour chancelier un Dijonnais, M. le sénateur comte Lejéas, ancien maire de Dijon.

Enfin, ce bâtiment renferme les archives du département, qui comprennent celles de l’ancien parlement, de la chambre des comptes, du bureau des finances, des élus, de l’intendance, des chapitres et communautés religieuses, et de tous les établissemens supprimés à la révolution.

L’aile droite qui étoit le Palais des États de Bourgogne, élevée en 1775, d’après les dessins de M. Gauthey, est aujourd’hui le Palais sénatorial, occupé par M. le sénateur comte de l’Espinasse, titulaire de la sénatorerie de Dijon, dont le ressort est le même que celui de la Cour impériale.

La Cour d’Assises y a aussi son auditoire dans la belle salle d’ouverture des séances des États à laquelle on arrive par un escalier de la plus grande coupe, majestueux dans toutes ses proportions, et richement décoré ; il fut construit en 1733, par Gabriel, célèbre élève de Mansard, mort inspecteur-général des ponts et chaussées, en 1742.

Un des plus beaux priviléges qu’avoit la province de Bourgogne, étoit d’être administrée par ses états ; leur origine remonte aux premiers ducs de Bourgogne ; du moins l’acte le plus ancien qu’on en connoisse, est l’accord qu’ils firent avec le roi Robert, qui confirma solennellement leurs droits, en prenant possession du duché de Bourgogne l’an 1015.

Ils avoient l’administration de la province, le droit de voter et de répartir les impôts, dont ils usèrent amplement sous le dernier duc, qui mesurant toutes choses à l’aune de ses volontés, dit Saint Julien de Baleurre, fit proposer aux états tant de nouveaux subsides, que les chambres assemblées firent cette réponse aux commissaires du prince : « Dites à Monseigneur le Duc que nous lui sommes très humbles et obéissans serviteurs et sujets ; mais que quant à ce que vous nous avez proposé de sa part, il ne se fit jamais, il ne peut se faire, il ne se fera pas. Petits compagnons, ajoute l’historien, n’eussent osé tenir ce langage.

Les élus ne se sont pas moins montrés jaloux de soutenir les privilèges de la province ; je ne vous en rapporterai qu’un seul trait.

Henri IV ayant adressé un édit qui augmentoit les droits sur le sel, les états députèrent en Cour, pour solliciter sa révocation, l’abbé de Cîteaux élu du clergé, et Henri de Beaufremont-Sennecey élu général de la noblesse.

L’abbé porta la parole, son discours fit peu d’impression ; mais le Roi retint dans son cabinet le baron de Sennecey, et lui demanda comment alloient ses amours avec M.lle de Rendan, qu’il épousa dans la suite ? Sire, répond le baron, j’en augure un bon succès, puisque V. M. veut bien s’en occuper. — Mais, lui dit le Roi, n’avez-vous pas plus à cœur votre mariage que l’intérêt de la province ? — Faites-moi la justice de croire, Sire, que l’intérêt de ma patrie m’est plus sensible que le mien propre ; et si V. M. me permettoit d’ajouter une raison à toutes celles de M. de Cîteaux, je pourrois l’assurer avec vérité, que si l’édit avoit lieu, il arriveroit infailliblement que la moitié des habitans de votre duché, limitrophes de la Franche-Comté, s’y retireroient pour y trouver le sel à meilleur marché ; déjà, Sire, l’on a reconnu une diminution notable dans la vente des greniers à sel de cette frontière. Ventre saint gris, reprit ce bon Roi, les larmes aux yeux, je ne veux pas qu’il soit dit que mes sujets quittent mes états pour aller vivre sous un prince meilleur que moi. Il appelle Sully, et l’édit est révoqué.

Les états de Bourgogne conservèrent intact le droit de voter et de répartir les impôts jusqu’à leur suppression, arrivée en 1790 ; ils s’assembloient tous les trois ans à Dijon, sous la présidence du gouverneur de la province ; Louis XIV les présida en personne en 1650.

La chambre du clergé ayant pour chef l’évêque d’Autun, étoit composée de cinq évêques, dix-neuf abbés commendataires, vingt-deux doyens ou députés des chapitres, et soixante-douze prieurs.

Les gentilshommes de la province et ceux y possédant fief, ayant fait preuve de quatre générations, composoient la chambre de la noblesse.

Les maires de la province présidés par celui de Dijon, formoient la chambre du tiers-état.

Chaque chambre nommoit son élu : celle du clergé alternativement parmi les évêques, abbés et doyens ; celle de la noblesse parmi les gentilshommes ayant rang et séance indistinctement ; celle du tiers-état parmi les maires des villes de la grande roue à tour de rôle ; le maire de Dijon étoit élu perpétuel.

Les états particuliers des comtés d’Auxonne, d’Auxerre, de Bar-sur-Seine et du Charolais furent successivement réunis aux états-généraux de Bourgogne, dont la dernière assemblée eut lieu en 1787.

Entre autres élus dont cette province ait à s’honorer, je vous ferai remarquer.

Dans le clergé : Charles de Lévy de Thubières de Caylus, évêque d’Auxerre, né en 1669, disciple du grand Bossuet, élu en 1706, mort en 1754, âgé de 85 ans. Ses œuvres ont été publiées en 4 vol. in- 12, et sa vie en 1765, in-12, 2 vol. Son portrait a été gravé par Gaucher. Les larmes des pauvres, à son décès, publièrent l’abondance des secours qu’il distribuoit.

Claude de Thiard, comte de Bissi, gouverneur d’Auxonne, commandant en Lorraine, lieutenant-général des armées du Roi, fut élu de la noblesse en 1668. Il se distingua à la tête de la cavalerie française au passage du Raab, le 3 août 1664, et remporta sur les Turcs la bataille de Saint Gothard en Hongrie, qui lui mérita, de la part de Louis XIV, une lettre des plus honorables[2]. Pour éterniser la mémoire de ses exploits, il fit inscrire ces deux vers sur le fronton de son château de Pierre :

Qui Lotharos rexit, cæsis Turcis, Iberisque,
Bissius hanc struxit, Marte silente, domum.


il mourut à Metz en 1701, et fut inhumé en l’église de Pierre, où son fils Ponthus-Gabriël-Auxonne de Bissi, né en 1656, tué à la bataille d’Hochstedt en 1704, lui fit élever un monument funéraire en marbre, du ciseau de Dubois.

Dans le tiers état fut élu, en 1581, Guillaume Royhier, maire de Dijon, né en cette ville en 1529, réélu maire en 1584, député aux états de Blois en 1576, mort en 1603, auteur d’une traduction d’Homère, imprimée à Lyon en 1554, in-4.°

L’aile gauche de ce grand bâtiment est affectée au Muséum des peintures, sculptures et gravures ; six salles immenses y sont décorées des chef-d’œuvres des beaux arts. On y admire les descentes de croix de Lahire, Rubens et Jouvenet ; celle du Saint Esprit, par Vandyck ; l’Ange gardien de Lebeau ; la Cananée d’Ann. Carrache ; la Présentation de Voüet, et celle de Philip. de Champagne ; la Ste. Famille de Rubens, et celle de l’Albane ; l’Assomption du Tintoret ; le Sacrifice de Jephté, par Coypel ; les SS. François de Rubens et d’Aug. Carrache ; les Saint Jérôme de l’Espagnolet et du Dominiquin ; Moyse sauvé des eaux, la Vierge et l’Enfant Jésus, par Paul Veronèse ; Adam et Ève, par le Guide ; le repos de l’Enfant Jésus, par Carl. Maratte ; la condamnation de Saint Denis, par Carl. Vanloo, etc., etc., etc. On y remarque les têtes du Christ et des Évangélistes, par Lebeau ; celles de Caton d’Utique, par Corneille ; de la Madelaine, par Rubens et Natoire ; d’une femme, par Quentin ; d’un enfant, par l’Albane ; d’un vieillard, par Rembrant ; d’un paysan, par Van-Ostade ; d’un buveur, par Teniers : les oiseaux de Oudry ; les animaux des élèves de Schneider ; les tabagies de Teniers ; les chasses de Wouvermans ; les batailles de Vander-Meulen ; celle de Senef et le passage du Rhin, par Gagneraux : l’enlèvement des Sabines, par Naigeon ; la vertu de Mica, par Devosges ; l’école d’Athènes, copiée d’après Raphaël, par les élèves de l’école de Bourgogne, sous la direction du Poussin ; le plafond de la salle des sculptures, par Prudhon ; ces cinq derniers tableaux furent exécutés à Rome par les élèves entretenus aux frais de la province.

Dans le salon des sculptures on s’arrête devant l’Apollon du Belvédère, par Renaud ; le Gladiateur de Petitot ; l’Antinous de Bornier ; la Vénus pudique de Bertrand, tous élèves de l’école de Dijon : les plâtres du Laocoon, du Méléagre, de Junon, d’Isis et du Silence, fixent l’attention des amateurs, qui remarquent encore les médaillons de Sully et de Jeannin, par Dupré ; les têtes antiques de Bertrand ; les bustes de Louis XIV, par Girardon ; de Napoléon-le-Grand, par Larmier ; du président de Berbisey, par Marlet père, premiers conservateurs de ce musée, et dont les ouvrages attestent les talens pour la sculpture.

Le milieu de la salle est garni de bronzes antiques, de soufres, de Florence, de médailles et autres objets d’arts et de curiosité.

Le cabinet des gravures n’est pas moins riche : on y admire les batailles d’Alexandre, gravées par Edelinck et Audran, les portraits de Louis XIV et de Bossuet, chef-d’œuvres de Rigaud et des Drevet ; celui de Crébillon chef-d’œuvre de Balechou ; celui de Charles I.er, de Denis Marin[3], gravé par Masson ; du général Volff, par Vollett, et plusieurs porte-feuilles remplis de gravures des meilleurs dessins, exécutées par les plus habiles maîtres.

Ce muséum est sous la direction d’un conservateur, l’un des peintres distingués, natifs de cette ville ; il est ouvert tous les dimanches au public, qui se montre toujours empressé d’admirer les chef-d’œuvres que cet établissement renferme.

La façade de tous ces bâtimens réunis a été gravée en 1784, par M. Lejolivet, et la Place impériale a été dessinée et gravée par M. Antoine, doyen des ingénieurs des ponts et chaussées.

Les rues de la Liberté, Vauban, du Palais, des Bons-Enfans et Rameau viennent aboutir sur la Place impériale.

Rue Vauban.La rue Vauban, autrefois du Chatel, parce qu’elle étoit en face du château des Ducs, fut appelée postérieurement rue St.-Fiacre, parce que l’hôpital St.-Fiacre y étoit situé.

Cet hôpital fondé en 1340 près de l’hôtel de Grancey, par les chanoines de la Ste.-Chapelle, pour y recevoir les pèlerins dévots à St.-Fiacre, duquel on y conservoit les reliques, n’avoit plus, sur la fin du XVIII.e siècle, qu’une sœur et quelques vieilles filles qui y étoient reçues de l’agrément du chapitre. Les premières écoles publiques de Dijon transférées du cloître de la S.te-Chapelle dans cet hospice, y subsistèrent jusqu’au collége tenu par les frères Martin (voy. rue Vieux-Collége, pag. 207,) et St.-Fiacre ne fut plus qu’une maison d’institution pour les enfans de chœur de cette collégiale, qui y étoient logés, nourris et instruits dans le plain-chant, foible reste de l’ancienne destination.

Sébastien le Prestre de Vauban, duquel cette rue porte aujourd’hui le nom, naquit le 12 mai 1633, à St.-Léger-de-Foucheret, entre Avalon et Saulieu. Confiné dans la maison de son père, il passoit sa jeunesse à la chasse ou à suivre les travaux de la campagne. M. de Conighan[4], capitaine au régiment de Condé, cavalerie, étant allé rendre une visite de voisinage au père de Vauban, aperçoit ce jeune homme, dont les dehors étoient aussi négligés que l’éducation, s’informe de l’état auquel on le destine, propose la carrière des armes, offre une place de volontaire dans sa compagnie, elle est bien vite acceptée.

Le jeune le Prestre est conduit peu de jours après à Arcenay, chez son nouveau capitaine ; celui-ci étoit alors avec une dame, qui remarquant la timidité et l’air emprunté du jeune homme, dit à M. de Conighan, assez haut pour être entendue, eh ! Monsieur, de qui vous chargez-vous là ? d’un songe creux que vous ne débourrerez jamais ; ces eaux couvées-là ne sont nullement propres à l’état militaire. Ce propos fit sur le jeune Vauban une impression profonde, il ne l’oublia jamais, et ce fut peut-être un des plus puissans aiguillons de sa gloire.

Après plusieurs années d’absence, Vauban ayant sa réputation faite, revint en jouir dans son pays natal, pour y effacer le propos qui lui pesoit encore sur le cœur, et dont il vouloit faire repentir Mad.e de ***.

Cette dame avoit alors deux fils, qu’elle destinoit au service ; elle ne se dissimuloit point ce que pouvoit être pour eux la protection de Vauban, elle la desiroit, mais cependant craignoit de rencontrer le Maréchal ; la tendresse maternelle enfin l’emporte, elle se hasarde à essuyer des reproches qu’elle sent n’avoir que trop mérités, et vient elle-même présenter ses fils à Vauban.

L’un de ces enfans étoit beaucoup plus vif que l’autre ; cette différence de caractère fournit au Maréchal la petite vengeance qu’il cherchoit : Pour celui-là, dit-il à la mère, en lui désignant le plus étourdi de ses fils, il se tirera bien d’affaire, je ne puis m’en charger ; mais quant à l’autre, ajouta-t-il en souriant, il pourroit avoir besoin de support, et je serai le sien, parce que ces songe-creux-là, quand ils sont débourrés, ne réussissent pas plus mal. La mère pâlit et chancela, mais Vauban l’ayant relevée affectueusement, lui promit d’avoir soin de l’avancement de ses deux fils. Telle étoit la bonté du cœur de Vauban, et nous dirons à sa louange qu’il avoit toujours des moyens ingénieux et délicats pour venir au secours des militaires ruinés au service, ou maltraités de la fortune : N’est-il pas juste, disoit-il, que je leur restitue ce que je reçois de trop de la bonté du Roi.

Le duc de la Feuillade ayant été chargé du siège de Turin, Vauban offrit de servir comme volontaire dans son armée ; — J’espère prendre Turin à la Cohorn, dit le jeune général pour mortifier le grand homme qui offroit ses services. Cependant ce siége n’avançait pas ; Louis XIV en conféra avec Vauban, qui s’offrit une seconde fois pour en aller conduire les travaux. — Mais M. le Maréchal, lui dit le Roi, songez-vous que cet emploi est au-dessous de votre dignité ?Sire, reprend Vauban, ma dignité est de servir l’état, je laisserai le bâton de maréchal à la porte, et j’aiderai peut-être le duc de la Feuillade à prendre la ville. On pourra, par le trait suivant, prendre une idée de ce que peuvent les talens militaires, et surtout ceux de Vauban. Au siége de Cambray, ce Maréchal ne fut pas d’avis qu’on attaquât la demi-lune de la citadelle ; Dumetz, brave homme, mais haut et emporté, persuada au Roi de ne pas différer davantage ; Vauban dit alors à Louis XIV : Vous perdrez peut-être à cette attaque tel homme qui vaut mieux que la place. Dumetz l’emporta, la demi-lune fut attaquée et prise, mais les ennemis étant revenus avec un feu épouvantable, la reprirent, et les Français y perdirent 400 hommes et 40 officiers. Vauban, deux jours après, l’attaqua dans les formes, et s’en rendit maître sans y perdre plus de trois hommes. Le Roi persuadé par cette expérience, promit à Vauban qu’une autre fois il le laisseroit faire.

Trois cents places de guerre réparées, trente-trois autres fortifiées entièrement, parmi lesquelles compte Auxonne, ville de ce département ; la conduite de 53 siéges et cent quarante actions éternisent la gloire militaire de Vauban. Ses traités de fortifications, ses oisivetés même rendront ses talens immortels comme son génie.

Vauban décéda à Paris, le 31 mars 1707, et fut inhumé en sa terre de Bazoche, près Vezelai, où il avoit fait placer les canons qui lui furent donnés pour récompense, par le Grand-Dauphin, après la prise de Philisbourg, en 1688[5]. Ses cendres qui depuis 1790 avoient été transférées à Avalon, furent apportées, en 1806, à l’hôtel des invalides à Paris. Son portrait est gravé par Bernard et Mariette.

Courtépée assure avoir vu, en 1776, la maison qui fut le berceau de ce grand homme, occupée par un sabotier..... Quel sujet de réflexions ?

Rue Bouhier.Dans cette rue est l’hôtel où demeuroit le président Bouhier ; aussi a-t-on donné le nom de ce magistrat à la rue qui, de cet hôtel, conduit à l’ancien parlement.

Jean Bouhier, né à Dijon le 17 mars 1673, de Benigne Bouhier et de Claire de la Toison, fit d’excellentes études au collége de Dijon, et la correspondance littéraire qu’il entretenoit en latin avec le P. Bordeu, pendant les vacances, contribua à lui rendre cette langue aussi familière que la française, et à lui donner un goût décidé pour les auteurs anciens qu’il possédoit presque par cœur, et citoit toujours à propos.

Il prit ses grades aux universités de Paris et d’Orléans, fut reçu conseiller au parlement le 12 janvier 1693, et président à mortier en 1704. Dans ces fonctions, M. Bouhier développa une science profonde des lois, se livra tout entier à l’étude de ce que la jurisprudence a de plus épineux, et ses travaux en ce genre, ont formé ces recueils encore aujourd’hui la règle et les oracles du barreau, dont M. de Bévy avoit commencé de publier une nouvelle édition, que les changemens apportés à nos lois par la révolution, n’ont pas permis de continuer.

Pour se délasser de ses profondes recherches, M. Bouhier consacroit ses loisirs à la culture des belles-lettres. Sa traduction de Pétrone et des Tusculanes de Ciceron, celle des plus beaux morceaux de Virgile et d’Horace, ses dissertations sur l’histoire d’Hérodote, sur les lettres grecques, sur les Thérapeutes et divers autres sujets historiques, lui ouvrirent les portes de l’Académie française, où il fut reçu le 16 juin 1727, avec une unanimité de suffrages d’autant plus flatteuse, que le crédit n’y eut aucune part. M. Bouhier, dit Voltaire, faisoit ressouvenir la France de ces temps où les plus austères magistrats, consommés comme lui dans l’étude des lois, se délassoient des fatigues d’un état pénible, dans les travaux aimables de la littérature. Ce magistrat avoit rassemblé l’une des plus belles et des plus riches bibliothèques qui puissent exister chez un particulier. Son aïeul, Jean Bouhier, l’émule des Peiresc et des Spanheim, avoit acheté en 1642 celle de Ponthus et Cyrus de Thyard[6], dont il forma le noyau de cette précieuse collection, que les Bouhier se plurent à augmenter de génération en génération ; elle étoit composée de plus de 35,000 volumes et d’environ 2000 manuscrits. Elle fut vendue en 1781, par M. d’Avaux, l’un de ses héritiers, à l’abbaye de Clairvaux, 135,000 liv., d’où elle a passé pour la majeure partie à Troyes, où elle a formé le noyau de la bibliothèque publique.

Le président Bouhier mourut à Dijon le 17 mars 1746, entre les bras du P. Oudin, jésuite, son plus intime ami ; lequel l’assistant à sa dernière heure, et lui trouvant l’air de quelqu’un qui médite profondément, lui demanda ce qui l’occupoit. Le Président fit signe qu’on ne le troublât point, le jésuite insista, alors M. Bouhier fit un effort pour prononcer j’épie la mort, et ce furent ses dernières paroles ; elles montrent toute la pureté, la fermeté et la sérénité de l’ame de celui qui osoit envisager la mort d’aussi près, et méditer encore sur elle quoique déjà à moitié descendu au tombeau.

La nuit qui précéda sa mort, M. Bouhier s’est composé l’épitaphe suivante, non moins bonne que le distique de Lamonnoye au bas de son portrait, peint par Largillière, et gravé par Daudet.

Qui tristem coluit Themidem, mitesque Camœnas,
Conditur hoc Janus marmore Buherius.
Voltaire qui lui succéda à l’Académie française, et M. de Morveau, ont publié son éloge ; il fut enterré en l’église Saint-Étienne. Dijon doit à ce magistrat la fondation de l’Aumône générale, en l’an 1712 ; il ne laissa que deux filles.

Rue du
Palais.
La rue du Palais conduit au principal portique de l’ancien parlement de Bourgogne, place du Prétoire.

Sous les anciens Ducs, ce parlement étoit ambulatoire ; il siégeoit à certaines époques de l’année, à Dôle, pour le comté de Bourgogne, à Saint-Laurent-les-Châlon pour le comté d’Auxonne, à Beaune pour le duché ; ceux qui devoient le composer étoient nommés à chaque séance par les Ducs ; le Chancelier de Bourgogne y présidoit. C’est le sujet de la vignette en tête du X.e liv. de l’histoire générale de Bourgogne. Après la réunion du duché de Bourgogne à la couronne de France, ce parlement fut confirmé par Louis XI, le 18 mars 1476 ; mais quatre ans après, Charles VIII tenta de le réunir au parlement de Paris ; sur les pressantes représentations des états de la province, cet édit fut révoqué en 1486, le parlement rendu sédentaire à Dijon par lettres-patentes du 24 août 1494, et depuis la Bourgogne n’a point été distraite de ses juges naturels.

Le bâtiment dans lequel l’ancien parlement donnoit ses audiences, étoit, dans le XI.e siècle, la demeure des premiers ducs de Bourgogne ; Louis XII fit construire la salle des audiences publiques ; l’édifice ne fut achevé que sous les règnes de Charles IX et de Henri III, qui, sur l’emplacement de l’ancien hôtel de Talmay, fit édifier le bâtiment consacré aux audiences des requêtes du palais. Le portique de ce parlement, et celui contigu, de la chambre des comptes, sont gravés dans le voyage pittoresque de France.

Ces vastes bâtimens sont presque inutiles aujourd’hui et sans destination, si ce n’est la conciergerie qui y est demeurée, et quelques salles occupées par les conseils de guerre et de révision de la 18.e division militaire.

Le parlement de Dijon a fourni dans tous les temps des magistrats distingués. Palliot et son continuateur en ont donné l’histoire en 2 vol. in-fol. Dijon, 1649 et 1733 ; mais outre ceux que je vous ai déjà cités, et ceux desquels j’aurai occasion de vous entretenir par la suite, l’on remarque les suivans :

Denis Poillot, né à Autun, procureur-général à Dijon, en 1514, conseiller du grand-conseil en 1516, ambassadeur en Angleterre, et maître des requêtes en 1522, président au parlement de Paris en 1526, mort le 29 décembre 1534, fut utilement employé à diverses négociations importantes par les rois Louis XII et François I.er Député par les états de Bourgogne avec le premier président Patarin, à l’assemblée de Cognac, il s’opposa, au nom de la province, à l’exécution du traité de Madrid, et dit avec fermeté : Si V. M. veut céder la Bourgogne à Charles-Quint, le pays en appelle aux états-généraux, et si les états-généraux l’abandonnent, il saura se défendre. On conserve manuscrits à la bibliothèque impériale, les mémoires de ses négociations.

Jean de la Guesle, premier président depuis 1566 à 1570, qu’il fut nommé procureur-général au parlement de Paris, avoit un esprit juste et brillant, une probité intacte, et fut placé au rang des plus illustres magistrats du XVI.e siècle. Charles IX et Henri III lui confièrent plusieurs missions importantes, desquelles il se tira très bien. Henri III le nomma président au parlement de Paris ; mais la Guesle, profondément affligé des troubles qui désoloient le royaume, se retira à la campagne pour se dérober aux horreurs de ces funestes querelles de parti ; il y mourut en 1589. Son portrait est gravé.

Jacques de la Guesle, son fils et son successeur, introduisit Jacques Clément dans l’appartement de Henri III, lorsqu’il l’assassina ; ce forfait indigna tellement la Guesle, qu’il poignarda sur-le-champ le moine parricide ; il servit Henri IV avec zèle, et mourut trop tôt pour sa patrie, le 3 janvier 1612.

Benigne Milletot, natif de Semur, conseiller en 1585, doyen de sa compagnie en 1626, mort le 7 septembre 1640, avoit rendu au gouvernement plusieurs bons services, qui lui méritèrent un brevet de conseiller d’état. Il maintint Beaune en l’obéissance du Roi, après la défection du maréchal de Biron ; il conserva le Revermont à la Bourgogne, contre les entreprises de la Franche-Comté ; il fit exécuter l’édit de Nantes à Gex, et y rétablit le culte catholique que les protestans y avoient proscrit.

Milletot composa entre autres ouvrages, un traité de la puissance des juges séculiers sur les ecclésiastiques. Dijon, 1611, in-8.°, traité qui essuya de grandes oppositions de la part du clergé, mais qui fut défendu par Saumaise, et Saint François de Sales, intime ami de Milletot ; il fut réimprimé plusieurs fois.

Pierre Lenet, Dijonnais, procureur-général en 1641, honoré de plusieurs missions importantes, conseiller d’état, résidant en Suisse, intendant de Paris, y mourut le 3 juillet 1671, et fut enterré à St.-Sulpice. Ses mémoires des guerres civiles de 1649, sont imprimés en 2 vol. in-12. Paris, 1729. Lenet étoit le confident et l’ami du Grand Condé ; il étoit lié avec la marquise de Sévigné, qui disoit de lui qu’il avoit de l’esprit comme douze, un peu grossier, mais vif et plaisant. Son portrait au crayon, existoit à Dijon, dans le cabinet de M. de Fontette.

Pierre Dumay, né à Dijon en 1627, conseiller en 1647, mort le 26 janvier 1711, étoit en correspondance avec les savans de son siècle ; Lamonoye réputoit sa poésie latine digne des anciens ; sa traduction de l’Énéide en patois bourguignon (Virgile virai, Dijon 1718 in-12.) est fidelle, remplie de sel et de grâces, du badinage le plus fin et le plus spirituel, mais il n’appartient qu’à un Bourguignon d’en sentir toutes les beautés.

Rue des Bons-Enfans.La rue des Bons-Enfans est celle où demeuroient les Lantin, qui ont donné aux tribunaux de savans magistrats, à l’histoire des érudits profonds, aux belles-lettres des littérateurs distingués.

Jean-Baptiste Lantin, né à Châlon le 13 décembre 1572, conseiller au parlement en 1608, ami du savant Peiresc, avec lequel il avoit une grande ressemblance, écrivoit en vers latins avec beaucoup de facilité et d’agrément ; il mourut à Dijon le 15 décembre 1652, laissant trois fils héritiers du mérite de leur père, et de son goût pour les belles-lettres.

Benigne Lantin, après avoir remporté le prix des jeux floraux, mourut très jeune, en 1640 ; il annonçoit les plus belles espérances.

Pierre Lantin, mort très jeune aussi, vers 1650, laissa des commentaires estimés sur les instituts coutumiers de Bourgogne. Le célèbre Florent, professeur de droit, vouloit le retenir pour lui succéder.

Jean-Baptiste Lantin, né à Dijon le 9 novembre 1620, conseiller en 1652, mort à Dijon le 14 mars 1695, fut inhumé à l’église St.-Étienne.

Il possédoit les langues hébraïque, grecque et latine, italienne, anglaise et française ; également versé dans les matières de jurisprudence et de philosophie, dans les mathématiques et la botanique, il cultivoit encore avec succès la musique, la poésie et les belles-lettres ; il étoit lié avec les Scuderi, les Pélisson, les Huet et autres savans de son siècle ; Saumaise le prioit de mettre un commentaire de sa main à l’anthologie grecque ; Auzout lui demandoit de revoir son cours de mathématiques ; Dodart l’engageoit à entreprendre l’histoire naturelle de Bourgogne ; ce fut chez lui que se forma la première réunion littéraire qu’eut la ville de Dijon, à laquelle succéda celle qui tint ses séances dans la bibliothèque de l’illustre président Bouhier.

Les Lamonnoye, les Mautour lui composèrent des épitaphes ; les Basnage, les Nicaise écrivirent son éloge. M. Defontette conservoit son portrait.

Jean-Baptiste Lantin de Damerey, doyen du parlement de Bourgogne, s’est montré digne de son aïeul par ses savans commentaires sur le roman de la Rose, par ses discours sur le luxe, la tolérance, par les éloges de Rabelais et de Pouffier. Il mourut le 21 décembre 1756 ; l’abbé Richard prononça son éloge.

Rue Rameau.La rue qui est dans la direction de celle de la Liberté porte le nom de rue Rameau ; c’étoit jadis celle de la Ste.-Chapelle.

Jean-Philippe Rameau est né à Dijon, le 25 septembre 1683, de Jean Rameau, organiste, et de Claudine Demartinécourt.

La musique fut la première langue qu’il entendit et qu’il parla ; il pouvoit à peine remuer les doigts qu’il les promenoit sur le clavier d’une épinette ; de là ce goût d’harmonie qui le dirigea constamment dans l’art vers lequel un penchant irrésistible l’entraînoit.

Rameau voulut connoître la musique d’Italie, il en fut peu satisfait ; à son retour il s’arrêta à Montpellier, Lyon, Clermont ; il fut pendant quelque temps organiste de la cathédrale où siégeoit Massillon, place que son frère lui avoit cédée ; il voulut bientôt revenir à Paris, mais le chapitre s’y opposa. Le musicien qui soupirait après sa liberté, mit tout en usage pour l’obtenir, dût-il même se faire renvoyer ; il s’étudia à tirer de son orgue, par le mélange des jeux, les sons les plus désagréables, à réunir les dissonances les plus disparates, et parvint à former une telle cacophonie, que le chapitre, tout en avouant que Rameau seul étoit capable de discordances aussi savantes, fut contraint de le rendre à lui même et de lui délivrer son exeat.

Il se rendit à Paris en 1720, et fut nommé presque aussitôt à l’orgue de la paroisse de Ste.-Croix-de-la-Bretonnerie ; cette église devint le rendez-vous des amateurs, qui y accouroient de tous les points de la capitale pour l’entendre ; ses leçons de clavecin augmentèrent sa réputation, ses œuvres de musique l’agrandirent, ses opéra la portèrent au suprême degré de la gloire. Le succès de son opéra de Castor et Pollux fit un tel effet sur Mouret (cependant musicien de beaucoup de mérite), que la jalousie parvenue à son comble, lui fit perdre la tête. Enfermé à Charenton, Mouret, dans ses accès de folie, chantoit continuellement ce beau chœur du 4.e acte, qu’au feu du tonnerre, le feu des enfers déclare la guerre, etc., etc.

Rameau étoit appelé le Newton de l’harmonie ; il fut nommé compositeur de la musique du roi, et reçut des lettres de noblesse ; il étoit désigné pour la décoration du cordon de St.-Michel, lorsqu’il mourut à Paris le 12 septembre 1764, et fut inhumé à St.-Eustache. Il étoit modeste, mais cependant avoit la conviction de son mérite. Un anachronisme lui étant échappé en présence de gens de lettres qui en sourioient, Rameau, qui les remarqua, courut au clavier, y toucha d’idée, un morceau d’une mélodie admirable, et voyant l’effet qu’il produisoit sur l’assemblée, il se lève spontanément : Convenez, Messieurs, qu’il est plus beau de trouver de tels accords, que de savoir précisément en quelle année est mort Mérovée ? vous savez, mais je crée, et le génie vaut bien l’érudition. À la répétition de son opéra d’Hippolytte et d’Aricie, sa musique qui étoit d’un caractère neuf, effraya ceux qui l’exécutaient ; l’auteur en témoigna son mécontentement à celui qui conduisoit l’orchestre ; mais il s’offensa de la semonce, et jeta sur le théâtre son bâton de mesure, qui vint frapper les jambes de Rameau ; celui-ci le renvoyant du pied vers le maître de musique, lui dit d’un ton d’autorité : Apprenez, Monsieur, que je suis ici l’architecte, et que vous n’êtes que le maçon.

Rameau avoit épousé Marie-Louise Mangot, qui lui survécut, et dont il eut un fils et deux filles. Le docteur Maret et Chabanon ont publié son éloge ; M. Amanton, son apothéose. Cochin, Saint-Aubin et Benoît ont gravé son portrait.

La Sainte-Chapelle doit sa fondation au vœu que fit le duc Hugues III dans une tempête, d’élever, s’il en réchappoit, un temple en l’honneur de la Vierge Marie. En exécution de cette promesse, il fit édifier cette église dans l’année 1172 ; elle étoit la paroisse des Ducs, le chef-lieu de l’ordre de la Toison-d’Or[7], et relevoit immédiatement du Saint-Siége ; son vaisseau avoit 61 mètres de longueur, 19 ½ de largeur, 20 ½ d’élévation ; sa démolition fut adjugée le 5 fructidor an X, moyennant 38,000 liv.

La Sainte Hostie qu’on y conservoit, étoit un présent du Pape Eugène IV, en 1434 ; elle étoit renfermée dans un coffret d’or, présent du duc d’Épernon ; le vaisseau dans lequel on l’exposoit à la vénération des fidelles, avoit été donné en 1452, par la duchesse Isabelle ; il étoit d’or fin, du poids de 51 marcs, enrichi de pierreries, et surmonté de la couronne d’or de Louis XII, qui fut apportée solennellement dans cette église le 29 avril 1505, par deux hérauts d’armes. Ce Monarque vint, en 1510, adorer cette hostie, à laquelle il devoit sa guérison. Henri IV assista religieusement à la procession de la Sainte Hostie le 2 juillet 1595, avec toute sa cour et les chevaliers du Saint Esprit ; Louis XIV y fit ses pâques le 16 mars 1650, et y offrit le pain béni[8] ; Marie-Thérèse accepta le bâton de la Sainte Hostie le 22 mai 1674 ; le chanoine Philibert Boulier en a publié l’histoire. Dijon 1643, in-8.°

En face de la chapelle de la Sainte Hostie, on voyoit le mausolée en marbre de Nicolas de Montholon, président au parlement, mort en 1603, âgé de 66 ans, priscæ severitatis, et inconcussae virtutis, Vir. Il étoit neveu de François de Montholon, garde des sceaux de France en 1542, magistrat distingué par ses vertus, son érudition, son désintéressement. François I.er lui ayant fait don d’une somme de 200,000 liv., imposée sur les habitans de la Rochelle, Montholon l’employa à fonder un hôpital dans la même ville. Il mourut à Villers-Cotteret, le 12 juin 1543 ; le fils de ce dernier aussi garde des sceaux de France, en 1588, fut surnommé l’Aristide français. Son portrait est gravé.

Les chanoines de cette collégiale étoient au nombre de vingt, non compris les dignitaires ; ils avoient le privilège singulier, lorsque les duchesses de Bourgogne faisoient leur première entrée dans leur église, de Baisier (lisdiz doyen et chanoines) mesdittes dames en la joue, et après s’en allaient en leurs hostels dîner joyeusement.

Plusieurs de ces chanoines ont mérité que leur nom passât à la postérité.

Hugues Morel, né à Auxonne vers le milieu du XIII.e siècle, l’un des secrétaires du duc Philippe-le-Hardi, auditeur des causes d’appeaux de son parlement, membre de son grand conseil, garde des chartres de son trésor, étoit en même temps chapelain d’Auxonne, doyen de Beaune, trésorier chanoine de la chapelle des Ducs, et doyen de ce chapitre ; élu du clergé du bailliage de Dijon, en 1417, Hugues Morel étoit revêtu des dignités ecclésiastiques et civiles, également investi de la confiance de son prince, de l’église et des peuples ; ambassadeur vers le Pape, il en obtint la main-levée de l’interdit lancé par l’archevêque de Besançon sur la ville d’Auxonne, par rapport aux monnoies que les ducs de Bourgogne faisoient frapper en cette ville ; médiateur près le chapitre métropolitain de Besançon, il termina les différens qui existoient entre le doyen et les chanoines de cette église ; élu de la province, la Duchesse lui confia le soin de répartir les sommes accordées au comté de Charolais. Dans toutes ces fonctions, Hugues Morel mérita les éloges et l’estime du prince et des sujets. Il mourut en 1421 ; sa tombe est à l’église d’Auxonne.

Charles Godran, dijonnais, mort en cette ville en février 1577, connu par des poésies et deux tragédies latines, imprimées en 1565 et 1572, dédiées à Charles IX et à la reine Isabelle, estimées dans leur temps.

Nicolas Pépin, chanoine musical, dont on possède un manuscrit précieux de ce qui s’est passé à Dijon dans le temps de la ligue.

Simon Foucher, né à Dijon le 1.er mars 1644, quitta son canonicat pour aller demeurer à Paris, où il fut surnommé le restaurateur de la philosophie académicienne. Dix-huit ouvrages imprimés le placent au rang des savans les plus versés dans la connoissance des anciens philosophes. Il mourut à Paris le 27 avril 1696, et fut enterré à St.-Nicolas des-Champs.

Jacques Maltête, doyen, fils d’un maire de Dijon, mort le 3 avril 1706, âgé de 75 ans, fut un habile théologien, qui brilla dans les conférences ouvertes à Paris par l’archevêque de Rheims ; c’étoit lui que le minime Sallier désigna sous le nom de Caco-cephalus.

Claude Nicaise, né à Dijon en 1623, après avoir fait d’excellentes études à Paris, fit deux fois le voyage d’Italie, y lia connoissance avec les savans et les personnages les plus distingués, et entretint avec eux une correspondance qui fit sa réputation ; elle forme 5 vol. in-4-°, et est déposée à la bibliothèque impériale.

Ce chanoine publia plusieurs ouvrages remplis d’érudition, entre autres son traité sur les syrènes, sa dissertation sur la musique et les tombeaux des anciens. Généreux, obligeant, constant dans ses goûts comme dans ses affections, l’abbé Nicaise mourut le 20 octobre 1701 ; Lamonnoye lui composa l’épitaphe suivante, qui peint au naturel et d’une manière plaisante, ce docte abbé, ses principales occupations, et la variété de ses connoissances :

Ci-gît le docte abbé Nicaise
Qui, la plume en main dans sa chaise,
Mettoit lui seul en mouvement
Toscan, Français, Belge, Allemand ;
De tous côtés, à son adresse,
Avis, journaux, venoient sans cesse,
Gazettes, livres frais éclos,
Soit en paquets, soit en ballots.
Falloit-il écrire au bureau,
Sur un phénomène nouveau ;
Annoncer l’heureuse trouvaille
D’un manuscrit, d’une médaille ;
S’ériger en solliciteur
De louanges pour un auteur ;
D’Arnaud mort avertir la Trappe ;
Féliciter un nouveau Pape ;
L’habile et fécond écrivain
N’avoit pas la goutte à la main,
C’étoit le facteur du Parnasse.
Or, gît-il, et cette disgrâce
Fait perdre aux Huet, aux Noris,
Aux Toinard, Cuper et Leibnitz,
A Basnage le journaliste,
A Bayle le vocabuliste,
Aux commentateurs Grævius,
Kuhnius, Perizonius,
Mainte curieuse riposte.
Mais nul n’y perd tant que la poste.

Sur l’emplacement de l’église de la Sainte-Chapelle et du cloître qui y étoit attenant, l’on élève actuellement un nouveau théâtre sur les dessins de M. Célérier. Cet édifice doit avoir 60 m. 86 de longueur, 23, 55 de largeur, 20 d’élévation, et contenir 2000 spectateurs. L’adjudication en a eu lieu, le 10 août 1810, moyennant 324,000 fr.

Le choix de ce local est précieux par sa centralité, et parce qu’il offrira une continuité de beaux édifices depuis la porte Guillaume au portail St.-Michel.

En creusant les fondations de cette salle de spectacles, au lieu où existoit une des anciennes tours du castrum Divionense, l’on a trouvé plusieurs fragmens d’antiquités qui ont été déposés dans le jardin de l’Académie des sciences, pour faire suite à celles que renferme le jardin de M. de Ruffey.

Rue Lamonnoye.Au levant du nouveau théâtre est la rue Lamonnoye, jadis du cloître.

Bernard de Lamonnoye, né à Dijon le 15 juin 1641, fils de Nicolas de Lamonnoye et de Catherine Baron, qui demeuroient alors près de l’église St.-Jean, fut reçu avocat en 1662 ; mais la délicatesse de son tempérament ne lui permit pas de continuer l’exercice de cette profession où il eût brillé ; reçu correcteur à la chambre des comptes le 11 mars 1672, il épousa Claudine Henryot, morte en 1726, de laquelle il eut plusieurs enfans ; en 1706, il transféra son domicile à Paris, où il mourut le 15 octobre 1728, et fut inhumé en l’église de St.-Sulpice. Son portrait dessiné par Devosges, a été gravé par Duhamel.

Lamonnoye marqua parmi les poëtes du beau siècle de Louis XIV. Cinq prix de poésie qu’il remporta successivement à l’Académie française, lui en ouvrirent les portes le 23 décembre 1713. Les médailles que ses triomphes lui avoient méritées, furent sa seule ressource pour subsister après la chute des billets de banque. Entièrement ruiné par l’effet du systême de Law, Lamonnoye fut généreusement secouru par le duc de Villeroi, qui lui fit une pension de 600 liv. ; une société de libraires acheta ses notes sur les jugemens des savans, moyennant 600 liv. de rente viagère ; M. Glucq-de-St.-Port acheta sa bibliothèque 10,000 liv. comptant, avec la restriction généreuse que Lamonnoye la conserveroit jusqu’à sa mort.

Ces traits honorent également et l’homme riche qui vient au secours du savant tombé dans l’infortune, et l’homme de mérite qu’on vient chercher dans son réduit pour lui tendre une main secourable. Que d’hommes instruits se sont trouvés dans la position de Lamonnoye : le Dante et le Camoens, Dryden et Octway, Machiavel et Domat, Marot et Vaugelas, Marmontel et Dubelloy, Malfilâtre, Gilbert et tant d’autres ; mais combien peu de Villeroi, de Saint-Port et de Livri.

Lamonnoye étoit aussi savant critique que littérateur habile ; il possédoit à fond les auteurs anciens et modernes, et passoit pour le meilleur bibliographe de son siècle ; ses Noëls en patois bourguignon ne sont guères appréciés que dans sa province, parce que pour en bien sentir les beautés, il faut connoître toute la finesse et la naïveté de cet idiome ; mais ceux qui possèdent ce langage, réputent ces Noëls des chef-d’œuvres de poésie, et les placent pour la finesse et la grâce à côté des fables de Lafontaine.

Les qualités du cœur égaloient dans Lamonnoye les charmes de son esprit ; il aimoit la joie et les bonnes plaisanteries, et savoit assez à propos aiguiser l’épigramme ; aussi instruit dans son cabinet qu’aimable dans la société, Lamonnoye fut estimé et aimé de tous ceux qui eurent quelques relations avec lui.

Le poëte Lainez, aimable épicurien, entraîna un soir Lamonnoye dans un cabaret, où une conversation enjouée, échauffée par d’excellens vins, le retint jusqu’au jour. Mad.e de Lamonnoye, inquiète de son mari, fut le chercher partout, et le relança jusques dans ce cabaret ; Lainez l’apercevant de loin, dit à Lamonnoye, voilà ta femme ; Lamonnoye qui ne l’apercevoit point encore, parce qu’il avoit la vue basse, lui répondit : Ah ! mon ami, voilà le premier bon office que m’ait rendu ma vue.

À la suite de la rue de Lamonnoye l’on trouve à gauche la rue du Secret, à droite celle derrière l’Hôtel-de-Ville, en face la place de la Commune.

Rue du Secret.À l’angle de la rue du Secret étoit l’hôtel de Pierre Berbis, maire de Dijon en 1435, membre du Grand-Conseil des Ducs dès 1431, gouverneur de la chancellerie de Bourgogne en la même année, qui reçut chez lui la Sainte Hostie envoyée par la Pape, et la porta lui-même religieusement sur l’autel qui lui avoit été préparé.

Philippe Berbis, conseiller au parlement, vicaire-général de l’évêque de Langres, doyen de la Sainte-Chapelle par élection du chapitre en 1671, étoit surnommé le bon doyen. Il fut élu du clergé des états de Bourgogne, député de la province aux états tenus à Blois en 1576, et mourut le 22 janvier 1586, après avoir utilement servi l’église, son prince et son pays. On lisoit sur son épitaphe, hæredibus pecuniæ liquit parum, sed gloriæ multum.

La tour de Bar, reste de l’ancien palais des Ducs, a son aspect sur la rue du Secret ; elle est un monument de la victoire remportée, en 1434, par les Bourguignons sur les Lorrains.

René d’Anjou, duc de Bar, né à Angers, en 1408, avoit disputé la Lorraine au comte de Vaudemont ; celui-ci implora l’assistance du duc de Bourgogne, qui lui envoya le maréchal de Toulongeon avec 4000 hommes ; les partis en vinrent aux mains à Bullegneville en Lorraine ; une batterie masquée du côté des Bourguignons, foudroya les Barrois, et décida la victoire ; cette manœuvre, jusques-là inusitée, fit perdre aux Lorrains 3000 hommes ; leur général y fut tué, le duc de Bar blessé au visage, y fut fait prisonnier ; on le conduisit d’abord à Châtillon, d’où il fut transféré à Talant, puis amené à Dijon ; il y resta renfermé pendant trois années, dans la tour à laquelle il a laissé son nom.

Ce prince s’occupoit dans cette prison à peindre en miniature, genre dans lequel il excelloit pour son temps ; le traité d’Arras, en lui rendant la liberté, le nomma roi de Naples ; il s’y rendit en 1435, mais n’y étant pas plus heureux qu’en Lorraine, il se retira dans son comté de Provence, où il fut adoré de ses sujets. Il étoit occupé à peindre une perdrix, lorsqu’on lui apprit la perte du royaume de Naples, et il ne discontinua point son travail. Il est l’auteur de cette fameuse et grotesque procession d’Aix, où il mourut en 1480. Il aimoit les femmes à l’excès, mais ne buvoit point de vin, et cela, disoit-il, pour faire mentir Tite-Live, qui avoit prétendu que les Gaulois n’avoient passé les Alpes que pour en boire. Il institua, en 1438, à Angers l’ordre du Croissant, composa l’Abusé en Cour, 1484, in-fol., et les cérémonies de la réception des chevaliers. Les Marseillais conservent encore le souvenir de leur bon roi René, qui se promenoit au milieu d’eux, au soleil, sur le port, et conversoit familièrement avec le premier qu’il rencontroit : on rapporte que ce prince avoit beaucoup de ressemblance avec Henri IV. Son portrait est gravé par Boudan.

Rue derrière l’hôtel-de-ville.Les abbés de Saint-Vivant-sous-Vergy avoient, en 1220, leur hôtel dans la rue derrière l’Hôtel-de-Ville.

Les moines de St.-Vivant en Poitou fuyant, dans le IX.e siècle, les ravages des Normands, quittèrent leur monastère appelé Gravion, et se réfugièrent à Clermont en Auvergne, où l’évêque Agilmar les reçut. Cet évêque, parent d’un des comtes de Bourgogne, obtint de lui un terrein dans le canton d’Amaous, entre le Mont-Roland et la Saône. Ces moines y établirent un monastère au lieu où est aujourd’hui Saint-Vivant en Amour, par corruption du mot Amaous, défrichèrent le pays jusqu’à la Saône, et par là donnèrent naissance à la ville d’Auxonne ; mais à peine jouissoient-ils du fruit de leurs travaux, que de nouvelles guerres les forcèrent à de nouvelles émigrations ; ils se réfugièrent, en 912, vers Manassès de Vergy, qui les reçut d’abord dans son château, et leur abandonna la montagne voisine pour y établir leur monastère ; mais ils conservèrent le patronage et la dîme des pays qu’ils possédoient sur la rive orientale de la Saône.

Ces moines qui avoient embrassé la réforme de Cluni, subsistèrent jusqu’en 1787 qu’ils furent supprimés, et leurs biens réunis aux économats.

Place de la Commune.Sur la place de la Commune, jadis place Moussier, du nom de l’un des maires de Dijon, est l’un des côtés de l’hôtel-de-ville qui fut précédemment celui de Nicolas Rollin, célèbre chancelier de Bourgogne.

On a beaucoup reproché à ce ministre les 40,000 liv. de rente qu’il avoit amassés sous le règne du duc Philippe le Bon, et l’on cite le propos de Louis XI[9] visitant le bel hôpital de Beaune fondé par Rollin, qu’il étoit bien juste qu’après avoir fait tant de pauvres pendant sa vie, il leur assurât un asyle après sa mort : mais le duc de Bourgogne pensoit bien différemment sur le compte de son ministre.

Delamare raconte qu’un jour le chancelier Rollin se présenta devant le Duc, vêtu d’une soutane courte telle que la portoient alors les avocats : D’où vient, mon compère, lui dit le Prince, que je vous vois avec un autre habit que celui de votre état ?Monseigneur, reprit Rollin, je vous remets tous les biens dont vous m’avez comblé, et je vous prie de trouver bon que je retourne à ma première fortune d’avocat, en demeurant dans vos bonnes grâces ; et il lui présenta une feuille écrite à mi-marge, dans laquelle étoient portés tous les biens qu’il en avoit reçus. Le Duc la prit, et l’ayant examinée, lui dit : je suis bien aise, mon compère, qu’il y ait de la marge pour écrire le bien que je veux encore vous faire, et je remplirai la feuille à la confusion de vos ennemis. Continuez à me bien servir.

En effet, Rollin étoit sincèrement attaché aux intérêts de son Prince ; il en donna des preuves dans les conférences d’Auxerre en 1432, dans le congrès d’Arras en 1435 où il fut l’un des plénipotentiaires de Philippe le Bon ; ce Prince confia au chancelier Rollin l’administration de ses États pendant le voyage qu’il fit en Allemagne l’an 1454 ; et dans toutes ces fonctions, Rollin s’acquit la plus haute considération même de la part de ceux dont il avoit à combattre les prétentions. Sa mort, dit D. Merle, fut une véritable perte pour la Bourgogne ; elle le frappa le 16 janvier 1462, il fut inhumé à Autun sa patrie, au chœur de l’église collégiale dont il étoit le fondateur.

Ce ne fut qu’en 1499 que la ville acheta de Margueritte Rollin, seule héritière du chancelier de ce nom, cet hôtel qui fut rebâti sur les dessins de Gabriël au 18.e siècle ; jusqu’alors la commune s’assemblait en hiver dans le cloître des Jacobins, et en été, dans les jardins de Saint Bénigne, par suite de l’usage primitif des Comtes de tenir le Malle en plein air, sur une place, sur un cimetière, ou sous le porche d’une église ; usage que nous retrouvions encore dans les villages, lors de la tenue des jours de justices seigneuriales avant la révolution.

Au gouvernement des vicomtes, succéda l’affranchissement des communes, favorisé par la politique des Rois, afin d’avoir une milice bourgeoise toujours prête à marcher, et capable de résister aux entreprises et à la tyrannie des comtes et des vicomtes. L’abbé Boullemier a fixé à l’an 1183 l’affranchissement de la commune de Dijon ; il fut fait, moyennant 500 marcs d’argent que la ville s’obligeoit à payer par an, et stipulé dans la même forme que celui accordé à la ville de Soissons ; depuis cette époque, la commune fut régie par des maires électifs et temporaires, élus par les habitans jusqu’au XVIII.e siècle qu’ils furent créés perpétuels, et à la nomination du Roi sur la présentation des Élus de la province ; les villes ne conservoient plus qu’un simulacre d’élection.

Parmi les maires de Dijon, l’on doit distinguer :

Bénigne de Cirey, sous la mairie duquel les Suisses assiégèrent Dijon, et qui se trouva pour la douzième fois revêtu de cette magistrature lorsque François I.er fit son entrée solennelle en cette ville. Louis XII, pour récompense de ses services, lui avoit accordé des lettres de noblesse.

Étienne Bernard, né à Dijon le 5 mars 1553, avocat du plus grand mérite, l’ornement et l’honneur du barreau dijonnais. Député aux États de Blois en 1588, il y porta la parole avec tant de sagesse et d’éloquence, que le Roi ne craignit pas d’avouer publiquement que Bernard lui avoit dit ses vérités sans l’offenser, et qu’il lui avoit parlé en homme de bien. Sa harangue fut imprimée ainsi que sa relation de ce qui se passa aux États de Blois.

Élu maire de Dijon en 1592, et conseiller au parlement en 1594, Bernard tint, et même avec chaleur, le parti de la ligue, aux États de laquelle il avoit été député en 1593, ainsi qu’aux conférences de Surenne ; mais après la réduction de la Bourgogne, non moins fidelle à Henri IV, qu’il l’avoit été au duc de Mayenne, ce fut à Bernard que le roi donna le soin de ramener Marseille en son obéissance. Muni de pouvoirs aussi honorables qu’étendus, Bernard réussit dans cette négociation, à la double satisfaction des Marseillais et du Monarque, qui lui donna pour récompense la charge de lieutenant-général du bailliage de Châlon-sur-Saône où il mourut subitement le 28 mars 1609. Son portrait est gravé par Rousselet.

Jean Bernard, son fils, né à Dijon en janvier 1576, célébra cet événement dans une espèce de poëme intitulé : Versus numerales restitutæ Massiliensibus libertatis. 1596. Il fit imprimer aussi diverses harangues adressées à Louis XIII et à la reine Anne d’Autriche, et mourut Cons. d’État.

Jacques Laverne, seigneur d’Athée, Maire pour la 3.e fois en 1593, ayant tenté de ramener Dijon en l’obéissance du Roi, porta sa tête sur un échafaud dressé par les ordres du duc de Mayenne le 29 octobre 1594. Ch. Fevret dit de ce magistrat : Ingenii dotibus abundè ornatus, cœteros præstantiore facundiâ superabat.

Marc-Antoine Millotet, né à Dijon le 1.er mai 1603, avocat général au parlement en 1635, deux fois maire en 1650 et 1652, sauva cette ville des troubles de la fronde, après avoir eu sans cesse à lutter contre les fauteurs de cette guerre civile, d’où la devise qu’il arbora sur les jetons frappés pendant sa mairie, piratarum scopulus[10]. Il mourut à Châlon-sur-Saône en 1687, et laissa sur l’histoire de la province des manuscrits précieux et estimés pour leur fidélité.

Marc-Antoine Millotet son père, aussi avocat général au parlement, étoit un bon poëte latin ; il avoit surtout un merveilleux talent pour les inscriptions ; ce fut lui qui fournit celles qui étoient au piédestal de la statue de Henri IV, sur le Pont-Neuf, et ce beau distique qu’on lisoit sur la principale porte de l’arsenal de Paris :

Etna hæc arma Jovi Henrico vulcania tela ministrat
Tela giganteos debellatura furores.

Place Saint-Vincent.Revenons par la rue de Lamonnoye, nous arriverons sur la Place où exista jadis l’église Saint-Vincent, dont la date remonte aux premiers temps du christianisme en Bourgogne.

C’étoit la chapelle baptismale, intra muros, des premiers chrétiens, et la chapelle épiscopale des évêques de Langres, qui dans ces temps faisoient leur résidence presque habituelle à Dijon. L’abbé Fyot pense qu’elle ne prit le nom de Saint-Vincent qu’en 863, lorsque les reliques de ce martyr furent apportées en France. En 888, cette église fut cédée aux religieux de Saint-Bénigne pour s’y retirer, et mettre les reliques de leur patron à l’abri des incursions des Normands ; mais le danger passé, ces moines l’abandonnèrent, et l’église Saint-Vincent fut cédée à l’abbaye de Saint-Étienne qui s’offrit de la réparer. Cette église, ainsi que l’hôtel des évêques de Langres qui la joignoit, ayant été brûlée dans l’incendie de 1137, l’on ne reconstruisit qu’une simple chapelle qui fut desservie par les religieux et les prêtres de Saint-Étienne jusqu’en 1757 ; alors elle fut démolie, et la rue où elle étoit située a conservé le nom de Saint-Vincent.

Dans la même rue étoit aussi l’église S.t-Médard, l’une des anciennes paroisses de Dijon. L’on raconte qu’Ismar, comte de Dijon, voyageant avec son escorte, fit rencontre d’une bande de fugitifs qui sauvoient de la fureur des Normands et du pillage de Soissons, le corps de Saint Médard que Clotaire I.er y avoit fait inhumer ; il retira de leurs mains cette chasse précieuse et l’apporta à l’église S.t-Étienne environ l’an 901.

La dévotion des peuples fut si grande pour les reliques de ce pieux évêque[11], le concours des fidelles devint si considérable, que l’on fit élever, près de Saint-Étienne, une église en l’honneur de Saint-Médard l’an 921, et l’on y transféra les fonctions curiales. Cette paroisse fut desservie par les prêtres de Saint-Étienne jusqu’en 1571 qu’elle tomboit de vétusté ; alors le service paroissial fut reporté à S.t-Étienne. Les guerres civiles de la ligue et de la fronde ne permirent pas de songer à rebâtir la paroisse S.t-Médard, et en 1678, elle fut démolie pour découvrir le portail de S.t-Michel qu’elle masquoit entièrement ; alors on affecta la nef collatérale nord de S.t-Étienne au service de la paroisse, et l’un des chanoines de S.t-Étienne, sous le nom de trésorier, fut chargé des fonctions pastorales.

Le portail S.t-Michel termine la place S.t-Vincent. M. Antoine a donné la gravure de la belle perspective que forme ce portail depuis l’entrée de la rue Rameau.

L’église S.t-Michel date de 898 ; elle portoit le titre de Basilique, et étoit desservie par plusieurs religieux de S.tÉtienne qui avoient leur couvent particulier dans la rue Jeannin, dite pour cela, Chanoine, dans l’antique édifice appelé le vieux Couvent. Cette église menaçant d’une ruine prochaine dans le commencement du XI.e siècle, Garnier de Mailly, abbé de S.t-Étienne, la fit rétablir ; mais bientôt devenue insuffisante eu égard au grand nombre de paroissiens, ceux-ci se cotisèrent pour faire élever le vaisseau actuel dans les dernières années du XV.e siècle ; il a 61 mètres de longueur, 19 ½ de largeur, 20 de hauteur.

La tour Portelle, reste des anciens murs de Dijon, en obstruoit l’entrée ; elle fut démolie en 1571 d’après les ordres du gouverneur de la province. La partie méridionale du portail avoit été bâtie en même temps que l’église, mais l’arcade du milieu, et celle au nord, ne furent élevées que dans le XVII.e siècle, l’une aux frais des paroissiens, l’autre par les libéralités du président Fyot. Ce portail est composé de trois larges arcades gothiques sur lesquelles on a disposé les cinq ordres d’architecture, couronnés de chaque côté par deux petits dômes, et l’arcade du milieu, par une campanille. Dans le milieu de cette arcade étoit une colonne qui portoit la statue de Saint Michel, et le bas-relief du jugement dernier, enlevé en 1794, replacé en 1804, exécuté, ainsi que le portail qu’il décore, d’après les plans et les dessins de Sambin.

Hugues Sambin, né à Dijon en 1551, dit le petit-Hugues ou Huguet, à cause de la petitesse de sa taille, fut l’élève et l’ami du fameux Michel-Ange. Le plafond du grand bureau de la chambre des comptes, les stalles de Saint-Benigne étoient exécutés par Sambin et Gaudrillet son gendre ; il fit imprimer à Lyon, 1572, in-fol., un œuvre, qu’il dédia à Léonor Chabot, intitulé, de la diversité des termes usités en architecture.

L’abbé Richard, mépartiste de l’église S.t-Michel, publia successivement, chaque année depuis 1753 à 1760, les tablettes historiques de Bourgogne où sont insérés de fort bons mémoires sur l’histoire et la vie des Ducs de cette province ; il fut reçu en 1750 à l’académie des sciences, arts et belles lettres de Dijon, dont les registres mentionnent plus de vingt discours qu’il y prononça sur divers sujets.

Dans l’église Saint-Michel étoit la sépulture de plusieurs familles distinguées, les Le Compasseur[12], les Gagne, les Vintimille[13], Benigne Milletot, et René Fleutelot, maire de Dijon, qui contribua puissamment à la réduction de cette ville en l’obéissance d’Henri IV, et mourut dans la même année 1595.

Le conseiller Breunot rapporte que ce maire ayant été sur pied toute la nuit pour dispositions de service, le jour même de la bataille de Fontaine-Française, Henri IV, dès les cinq heures du matin, accompagné d’un seul valet de chambre, fut, à pied, de son logis, en celui du maire, et colloqua avec une chambrière pour avoir les clefs des portes de la ville. — M.  dort, dit cette fille, il a été sur pied toute la nuit, et je n’oserois, ni ne voudrois le réveiller. Henri IV insiste pour qu’on aille au moins lui dire qu’il faut absolument les clefs des portes ; nouveau refus, quand ce seroit pour le Roi, je ne l’éveillerois pas. Henri fut obligé de se nommer, or, vas donc lui dire que c’est le Roi qui est ici, et qui te parle. — Fleutelot, que ce colloque avoit éveillé, s’habille à la hâte, accourt avec les clefs, demande excuse de la conduite de sa domestique ; le Roi sortit de la ville à la tête de ses troupes, suivant la route de Mirebeau, sur laquelle il devoit revenir couronné des lauriers de la victoire.

Place Saint-Michel.Sur la place, au nord de cette église, étoit, l’année dernière, le quartier-général de la 18.e division militaire, qui s’étend sur les départemens de l’Aube, de l’Yonne, de la Haute-Marne, de la Côte-d’Or et de Saône et Loire ; l’état-major se compose d’un général de division, d’un général de brigade et leurs aides-de-camp, d’un commandant d’armes de la place, des inspecteurs et sous-inspecteurs aux revues, commissaires ordonnateur et des guerres, des chefs de services militaires, etc., etc., etc.

Sur cette même place, demeuroit le père de l’auteur de Médée. HilaireBernard de Requeleyne de Longepierre y naquit le 18 octobre 1659. À 14 ans il s’enfermoit pour se livrer à l’étude des auteurs grecs et latins ; à 18 ans il retiroit déjà les fruits de son assiduité au travail ; aussi Baillet l’a-t-il placé sur la liste de ses enfants célèbres. Précepteur du comte de Toulouse et du Régent, secrétaire des commandemens des ducs de Berri et d’Orléans, son séjour à la Cour ne lui fit point abandonner ses goûts pour l’étude ; il traduisit les vers aimables d’Anacréon et de Sapho, les idylles de Théocrite et de Bion, et quoi qu’en ait voulu dire J.-B. Rousseau dans sa cantate du traducteur Dandinière, ses tragédies, que Lamonnoye comparoit à celles d’Euripide, sont les œuvres qui lui ont assigné un rang parmi les tragiques français. Sa Médée est jugée supérieure à celle de Corneille, aussi est-elle restée au théâtre ; Longepierre a fait revivre dans cette pièce les mâles beautés des anciens ; la scène des enfans, au IV.e acte, est du plus grand effet. Ce poëte mourut à Paris le 30 mars 1721 ; son portrait est gravé.

Sur la place Saint-Michel demeuroit encore, Claude Morin, né à Charolles, avocat au parlement de Dijon, célèbre canoniste, et le meilleur écrivain du barreau de cette ville où il mourut en 179 . Ses consultations sont citées avec éloge dans les œuvres des plus savans canonistes ; trois de ses mémoires, en faveur d’un neveu de Rameau, sont insérés au recueil des causes amusantes, comme des modèles d’agrément et de la plus fine plaisanterie.

Place Saint-Étienne.À droite de l’église Saint-Michel étoit l’ancienne abbaye de S.t Étienne.

Les premiers chrétiens, qui avoient sur cette place une chapelle souterraine dans laquelle ils célébroient en secret les mystères de leur culte, élevèrent en 343, sur son emplacement, une Basilique sous le vocable de St.-Étienne, desservie par les clercs que les évêques de Langres y envoyoient, lesquels vivant en commun, donnèrent naissance, dans le XII.e siècle, à l’abbaye de Saint-Étienne, placée sous la règle de S.t Augustin, laquelle après avoir eu vingt-six abbés réguliers, fut mise en commende en 1510, sécularisée en 1613, érigée en Cathédrale en 1731[14], supprimée en 1792, convertie en une halle au blé sur la fin du XVIII.e siècle.[15].

Le portail d’architecture ionique et corinthienne, gravé en tête du premier bréviaire de ce diocèse, fut élevé en 1721 sur les dessins de Noinville, on admiroit dans le fronton le bas-relief du martyre de Saint Étienne, ouvrage de la jeunesse de Bouchardon, qui vient d’être replacé au-dessus de la principale porte de la Cathédrale actuelle.

Plusieurs personnages distingués, ont eu leur sépulture dans cette église : les évêques de Langres Josserand et Charles de Poitiers, les deux premiers évêques de Dijon Jean et Claude Bouhier, les présidens Odebert et Bouhier, les Lantin, les Taisand y furent inhumés. On y voyoit aussi les mausolées du président Bégat et de l’archevêque Frémyot ; François Fyot, J.-B. Ménétrier, et Santeuil y reçurent la sépulture.

Jean Bégat, né à Dijon en 1523, président au parlement de Dijon, mourut en cette ville le 19 juin 1572. Ce magistrat, qui avoit également la confiance de la province et de sa compagnie, fut chargé de plusieurs missions en Cour pour y solliciter la révocation de l’Édit de Nantes, ce qui lui donna occasion de publier plusieurs mémoires en faveur de son opinion qui alors ne prévalut pas[16]. Ce qui fit beaucoup d’honneur au président Bégat, ce fut les cahiers qu’il dressa pour la réformation de la Coutume du duché de Bourgogne, et ses dissertations sur plusieurs points de jurisprudence, desquelles M. Bouhier faisoit le plus grand cas, et qu’il a fait imprimer à la suite de son édition de la Coutume, qui parut en 1717.

André Frémyot, fils du président Bénigne Frémyot et de Margueritte de Berbisey, est né à Dijon le 26 août 1573 ; il fut abbé de Saint-Étienne en 1595, conseiller au parlement, en 1599, élu du clergé en 1602, archevêque de Bourges en 1603, conseiller d’État, ambassadeur de Henri IV et Louis XIII à la Cour de Rome et près des treize Cantons suisses. Dans les diverses fonctions qu’il eut à remplir, ce Prélat développa de grands talens et sut se concilier l’estime générale.

Il mourut à Paris le 13 mai 1641 ; son cœur fut apporté à l’abbaye de Saint-Étienne dont il fut le dernier abbé commendataire. Son portrait fut gravé par Montcornet. Le curé Nardot publia son éloge. Dijon, 1641, in-4.°

François Fyot de Vaugimois, né à Dijon en 1560, conseiller au parlement en 1593, conseiller d’État en 1625, mourut doyen du parlement de Dijon en 1636, après avoir bien servi son prince et sa patrie, par sa fidélité et son courage au milieu des guerres civiles, par son intégrité et ses lumières dans l’administration de la justice, par son humanité et sa bienfaisance envers les infortunés.[17]

Jean-Baptiste Ménétrier, contrôleur provincial de l’artillerie, né à Dijon en 1564, y mourut en 1634. On lisoit sur un des anciens vitraux de l’église, cette épitaphe :
Ci-gît Jean le Menetrier ;
L’an de sa vie soixante et dix,
Il mit le pied à l’étrier
Pour s’en aller en paradis.

Ménétrier étoit l’un des savans antiquaires de son temps ; il fit imprimer en 1625, 1627, 1642, plusieurs dissertations sur des médailles romaines.

Un autre antiquaire du même nom et de la même ville, Cl. Ménétrier, mort à Dijon en 1657, a publié en latin l’explication des symboles de la statue de Diane à Ephèse, in-4.o

Jean-Baptiste Santeuil, chanoine régulier de S.t-Victor de Paris, très protégé par la Maison de Condé, ayant été amené, par le Duc de Bourbon, aux États tenus à Dijon en 1697, y trouva la mort et fut d’abord inhumé à Saint-Étienne.

Le Prince avoit pris plaisir à mettre aux prises le Victorin avec les beaux esprits dijonnais ; aussi sa présence donna-t-elle lieu à plusieurs pièces de vers, chansons, satyres, épigrammes, parmi lesquelles nous n’en rapporterons qu’une.

L’on sait que Santeuil étoit un homme de plaisir[18], un mélange d’esprit et de folie ; l’avocat-général Moreau lui ayant adressé une pièce de vers qui commençoit par ces mots :

Santeuil est un fou, ce dit-on,
On le dit à Paris[19], on le dit à Dijon[20],
etc. etc.
Le Victorin ne s’en fâcha point, et dédaigna d’y répondre ; mais quelqu’un riposta à Moreau par l’épigramme suivante, qui mit le poète de St.-Victor dans une fureur épouvantable.
Santeuil est un fou, ce dit-on ;
Il ne l’est pas sur ma parole :
La Bourgogne à genoux, le traitant d’Apollon,
Pour chaque demi-vers, lui compte une pistole ;
Non, Santeuil n’est pas fou, non,
Mais la Province est une folle.

On alla plus loin ; pour exciter encore plus la verve de Santeuil, on résolut de l’enivrer, et afin d’y réussir plus surement, on glissa furtivement dans son verre une dose de tabac d’Espagne ; à peine Santeuil eut-il bu, qu’il fut saisi d’une colique violente à laquelle il succomba le 5 août 1697 à 2 heures du matin, malgré qu’Aimé Piron son ami ne l’eût pas quitté, et lui eût prodigué tous les secours de son art.[21]

Pendant la nuit où ce poëte mourut, Lamonnoye s’étoit amusé à lui faire son épitaphe dont il comptoit se divertir avec lui le lendemain : quelle fut sa surprise d’apprendre en s’éveillant l’accident qui avoit mis le Victorin au tombeau !

Enterré d’abord à S.t-Étienne, Santeuil en fut exhumé pour être transporté à Saint-Victor qui réclama les restes de ce moderne poëte latin, et, pour éviter les frais de translation, son corps fut emballé dans une caisse sur laquelle on écrivit, marchandises mêlées : ainsi, par l’effet du hasard, l’épigramme poursuivit Santeuil jusques sur son cercueil ; ce poëte étoit en effet un mélange du sacré avec le profane, de sagesse et de folie, de gaieté et de raison. Son portrait est gravé par Edelinck et Desrochers.

Parmi les Ecclésiastiques qui ont été attachés à l’église Saint-Étienne, l’on doit remarquer en premier ordre son historiographe Claude Fyot, né à Dijon le 9 octobre 1630, mort le 17 avril 1721, député du Clergé en 1665, conseiller d’État en 1669, deux fois élu des États de Bourgogne, ecclésiastique aussi pieux que savant éclairé. Sa dissertation sur l’ancienneté de Dijon, est encore ce que l’on peut lire de plus satisfaisant sur l’origine de cette ville. Son portrait gravé par Humbelot, est à la tête de son histoire de l’abbaye de Saint-Étienne, imprimée à Dijon, 1696, in-fol.

Benigne Joly, né à Dijon le 22 août 1644, mort en la même ville le 9 septembre 1694, en odeur de sainteté, fondateur des Missionnaires de Saint-Lazare, des Sœurs de l’hôpital, et du Bon-Pasteur, surnommé le père des pauvres. Émilien Soyrot, chanoine de la S.te-Chapelle, Denis-Antoine Beaugendre, dom Hubert Maillard, bénédictin, ont publié l’abrégé de sa vie en 1695 et 1707. Bazin et Desrochers ont gravé son portrait.

Jean Vallot, trésorier de S.t-Médard, né à Dijon, y mourut le 3 septembre 1668. Il est auteur d’un traité sur l’admiration, et de plusieurs oraisons funèbres qui furent applaudies dans leur temps.

Pierre-François Léauté, né à Dijon le 1.er janvier 1674, curé de S.t-Médard, étoit très versé dans la connoissance des langues orientales ; il avoit traduit la bible d’après le texte hébreu ; sa modestie l’empêcha de publier ce travail qui étoit accompagné de notes très savantes.

Plusieurs musiciens distingués ont fait honneur à cette Cathédrale.

Pierre-Richard Menault, natif de Beaune, en étoit maître de musique ; il a fait graver six messes de sa composition. Il mourut en 1694.

Jean-Bapt. Drouard du Bousset, né à Asnières en 1662, devint maître de musique de la Chapelle du Louvre, gendre de Ballart, et compositeur de l’Académie française ; il publia 7 vol. in-4.o d’airs qui firent pendant 34 ans les délices de la Cour de France, et mourut à Paris le 3 octobre 1725.

Claude Balbâtre, né à Dijon en 1723, fut dès ses premières années confié à son oncle qui étoit organiste de la Cathédrale, et il lui succéda. Une mesquinerie de la part du Chapitre lui fit abandonner cette église, et il alla à Paris où ses talens l’eurent bientôt placé à Saint-Roch où étoit le meilleur orgue de la capitale, puis à Notre-Dame. Balbâtre avoit dans son jeu beaucoup d’harmonie, d’expression et de chaleur ; c’est à lui que l’on doit la substitution du piano au clavecin ; il mourut à Paris au mois de mai 1799.

Dans une épître adressée à Balbâtre, sur la fin de 1775, par M. Picardet aîné, l’on remarque ces vers qui ont le mérite de peindre les talens de ce musicien.

Quelle touche aimable et facile !
Traits rapides, chants soutenus,
Tantôt légers, vifs et rompus,
Sous ta main doucement mobile ;
Tantôt mollement étendus,
Foibles, plus sourds, au loin perdus,
Dans l’espace vague et tranquille.
C’est à la fois le flageolet,
Le luth galant, la clarinette,
J’entends Tircis, j’entends Lisette
Allant danser dans ce bosquet,
Unir le son de la musette
Aux gais refrains du galoubet.

Nicolas Gautherot, né à Is-sur-Tille en 1753, prit à la Cathédrale de Dijon où il avoit été enfant de chœur, les premières leçons de musique ; il devint l’un des plus savans démonstrateurs pour le clavecin et pour la harpe. Musicien profond, Gautherot n’exécutoit point, mais il savoit, par des principes surs, enseigner les combinaisons infinies qu’offre la musique, et publia sa théorie des sons. Il s’occupa aussi des sciences physiques et des mystères de l’électricité et du galvanisme, découvertes dont il cherchoit à pénétrer les causes, et sur lesquelles il lut plusieurs mémoires à la classe physique de l’Institut. Il mourut à Paris au mois de novembre 1803.

Les bâtimens de l’ancienne abbaye de Saint-Étienne, devinrent ceux de l’Évêché ; ils sont occupés aujourd’hui par la Sous-préfecture de Dijon, établie en 1811, et qui comprend 125,564 habitans, 280 communes, 12 cantons, 2951 kilomètres quarrés, administrée par un Auditeur au Conseil d’État, comme chef-lieu de département.

Rue et place
du Prétoire.
À droite, commence la rue du Prétoire, en face de laquelle est le portail de l’ancienne Chambre des Comptes de Bourgogne et Bresse, gravé dans le voyage pittoresque de France et sur un jeton de cette Cour frappé en 1648 ; son architecture est d’ordre corinthien, il fut élevé en 1645 d’après les dessins de Dubois.

L’existence de cette Cour remonte aux Ducs de Bourgogne de la première race, c’est-à-dire au XI.e siècle ; leurs chanceliers la présidoient à leur défaut, elle étoit formée à l’instar de celle de Paris ; aussi lors de la réunion de la Bourgogne à la France, cette chambre devint-elle la seconde du Royaume ; ses archives étoient au nombre des plus riches et des plus intéressantes de la France par rapport au rang que tinrent en Europe les derniers Ducs de Bourgogne, leurs alliances, leurs traités de paix et de commerce avec les puissances du continent.

Le palais de la chambre des comptes date de la fin du XIV.e siècle ; l’intérieur existe encore tel qu’il étoit sous les Ducs.

Cette compagnie a compté parmi ses membres des magistrats distingués.

Prosper Bauyn, né à Dijon en 1510, mort en cette ville le 26 décembre 1587, a laissé des recueils manuscrits pleins de recherches intéressantes sur l’histoire de la province, et des mémoires sur la vie de nos quatre derniers Ducs ; il avoit écrit la relation du voyage du Duc Jean en Hongrie et de la bataille de Nicopolis, les négociations du traité d’Arras, etc., etc. ; tous ces ouvrages sont appuyés de preuves justificatives inédites, infiniment précieuses.

Hector Joly, né à Dijon en 1585, et qui y décéda le 22 septembre 1660, est l’historiographe de cette chambre des comptes, de sa juridiction, de ses prérogatives, des fonctions et des devoirs de ses principaux officiers. Dijon, Palliot, 1653, in-fol.

Étienne Pérard, doyen de cette compagnie, né à Dijon le 5 mai 1590, mort le 5 mai 1663, honoré d’un brevet de Conseiller d’État, joignoit à beaucoup d’instruction et de mérite une grande patience à déchiffrer les chartres ; il avoit recueilli et copié de sa main toutes celles qui se trouvent en rapport avec l’histoire de Bourgogne, cartulaire qui fut imprimé par son fils, Dijon, 1664, in- fol. et sert de preuves aux histoires de la province.

Étienne Moreau, avocat-général, né à Dijon, le 1.er septembre 1639, de Jacques Moreau, auditeur des comptes, et de Catherine Roserot, mourut à Dijon le 27 avril 1699. Homme de beaucoup d’esprit, orateur distingué, poëte agréable, il réussissoit également dans les genres héroïque et lyrique, dans la musique et les devises ; mais, trop enclin à la raillerie, ses épigrammes lui firent beaucoup d’ennemis. Lamonnoye l’appeloit le grand maître des bons mots, le réputoit excellent connoisseur en vers et en prose. Ses poésies furent imprimées à Lyon en 1667, sous le titre de Nouvelles fleurs du Parnasse.

Son frère, Philibert-Bernard Moreau de Mautour, né le 21 décembre 1654, auditeur à la chambre des comptes de Paris en 1682, membre de l’académie des inscriptions et belles-lettres en 1701, mort à Paris le 7 septembre 1737, s’est distingué parmi les membres de cette compagnie savante, comme un antiquaire laborieux, un critique plein de sagacité, un historien érudit, et par un grand nombre de dissertations savantes insérées dans les mémoires de cette académie.

N. Bouillet d’Aizerey, procureur gén. de cette Cour, chancelier de l’Académie de Dijon, est auteur de discours sur l’ancienne chevalerie, les abus de l’esprit, les dangers de l’amour propre, la politesse, l’esclavage ; on a de lui des dissertations sur les causes de la réunion de la Bourgogne à la France, sur l’héroïsme des femmes, sur la grotte de la Balme ; quelques-unes ont été imprimées ; il mourut à Dijon le 16 novembre 1775.

Jean Nadault, né à Montbard en 1701, mort en 1779, avocat général, membre de l’Académie de Dijon, correspondant de celle des sciences de Paris, eut la plus grande part à la Collection académique où plusieurs de ses mémoires sur la physique et l’histoire naturelle se trouvent insérés.

Je terminerai la nécrologie de cette Cour par le fils d’un maître des comptes de Dôle, Cl. Barthel. Morisot, né à Dijon le 12 avril 1592, mort le 22 octobre 1661. 17 ouvrages imprimés, sur différens sujets, attestent la variété de ses connoissances, mais on doit distinguer surtout sa géographie maritime. Dijon, 1643, in-fol., ouvrage estimé dans son temps, dont Louis Spirinx, artiste dijonnais, a gravé les planches. Sous le titre de Peruviana, Dijon, 1645, in-4.°, Morisot avoit écrit l’histoire des démêlés du cardinal de Richelieu avec Marie de Médicis et Gaston d’Orléans ; ce livre est rempli de traits curieux, ainsi que sa satyre contre les Jésuites, Veritatis lacrymæ. Genève, 1625, in-12. Jean Morelet, son compatriote, auteur du bellum sequanicum secundum, lequel mourut le 7 mai 1679, âgé de 90 ans, a publié l’éloge de Morisot ; M. de Fontette conservoit son portrait.

Rue Saint-Étienne.Descendons la rue Saint-Étienne, nous passerons devant les maisons de plusieurs Dijonnais ou Bourguignons célèbres.

Cl. Varenne, surnommé le grand, avocat du premier mérite, né à Semur le 4 octobre 1659, mourut à Dijon le 12 juillet 1734. Cet avocat étoit placé, par le président Bouhier, au rang des premiers jurisconsultes de France : ses Factums sont encore aujourd’hui recherchés comme des modèles pour le classement des faits, l’ordre des moyens, la solidité des preuves, la force du raisonnement, la chaleur de la discussion, les grâces et les ornemens du style.[22]

Son fils Jacques Varenne, secrétaire en chef des États de Bourgogne, ayant pris une part trop active aux démêlés qui existoient de son temps entre le Parlement et les Élus de la province, en éprouva les plus grands désagrémens ; condamné par la Cour des aides de Paris, au sujet des mémoires qu’il avoit écrits en 1762 dans cette affaire, il fut obligé de recourir à des lettres de grâce, et les obtint par le crédit du Prince de Condé ; mais elles furent entérinées le 29 août 1763 dans les termes les plus sévères ; le premier président, Malsherbes, adressa à M. de Varenne ces paroles foudroyantes : le Roi vous accorde des lettres de grâce, la Cour les entérine : retirez-vous ; la peine vous est remise, mais le crime vous reste. Louis XV, pour témoigner son mécontentement d’un pareil arrêt, décora Varenne du cordon de Saint-Michel. Il est auteur d’une traduction des ruines de Pæstum. Paris, Jombert, 1769. in-4.°

Pierre Hoin, né à Saint-Nicolas-les-Cîteaux, habile chirurgien à Dijon, est auteur d’un traité de la peste, Dijon, 1721, in-4.°, et de plusieurs autres ouvrages de son art.

Son fils et son petit-fils suivirent avec succès la même carrière : la science de la chirurgie semble héréditaire dans cette famille.

Jean-Jacques-Louis Hoin, né à Dijon le 10 avril 1722, chirurgien de mérite dont les biographes n’ont pas parlé, mais malgré cela, très connu de ceux qui pratiquent l’art de guérir. Depuis 1752 jusqu’à sa mort, ce chirurgien publia chaque année divers mémoires sur l’art qu’il exerçoit ; on fait mention de plus de vingt-cinq dans une nomenclature de ses ouvrages dressée par l’Académie de Dijon, de laquelle il étoit un membre distingué ; ses écrits sur les hernies, la taille, la cataracte, la vitalité des enfans, sont les ouvrages qui font le plus d’honneur à ce célèbre praticien. Il mourut le 4 octobre 1772 ; le docteur Maret prononça son éloge.[23]

François-Jacques Hoin, né à Dijon le 27 octobre 1748, fils du précédent, professeur d’accouchemens, étoit membre de l’Académie de Dijon, qui conserve plusieurs de ses mémoires sur la position de l’enfant, le forceps, la taille ; il marcha sur les traces de son père, et mourut le 16 février 1806.

La maison de Vienne avoit dans cette rue un très bel hôtel qui devint celui de Biron ; il donne sur les rues de Saint-Étienne, du Trésor et du Collége.

Charles de Gontaut Duc de Biron, amiral et maréchal de France, gouverneur de Bourgogne, fut l’ami et le confident de Henri IV ; c’étoit lui que ce Prince présenta aux prévôt et échevins de Paris, en ces termes obligeans et qui n’appartenoient qu’à ce Roi : Messieurs, voilà le maréchal de Biron que je présente volontiers à mes amis et à mes ennemis. Ce maréchal se distingua aux batailles d’Ivry et d’Aumale, mais surtout au combat de Fontaine-Française, où Henri IV le dégagea lui-même des mains des ennemis, trait que Voltaire a consigné dans sa Henriade :

Ton Roi, jeune Biron, t’arrache à ces soldats,
Dont les coups redoublés achevoient ton trépas ;
Tu vis… songe du moins à lui rester fidelle.

C’est ce que Biron ne fit pas. Comblé qu’il étoit des bienfaits du Roi, il se ligua avec l’Espagne et la Savoye qui flattoient son ambition de la Souveraineté des deux Bourgognes ; son dessein fut découvert, et il eut la tête tranchée le 31 juillet 1602 dans la cour de la Bastille. Son portrait est gravé par Leclerc et Daret.

Le maréchal de Biron laissa de Gillette Sebillotte, dijonnaise, un fils naturel, légitimé, qui mourut au siège de Dôle en 1636.

Rue des Singes.Dans le prolongement de la rue S.t-Étienne est la rue des Singes. Cette dénomination se rattache à la profession de ceux qui habitoient autrefois dans ce quartier, de même que les rues Vannerie, Tonnellerie, Chaudronnerie ; le nom de singe est donné populairement, à Dijon, mais sans intention d’offenser, au maître couvreur, comme au plus habile pour grimper au faîte des maisons, ainsi que l’animal agile et leste dont on a emprunté le nom pour le caractériser.

François Baudot, né à Dijon le 8 janvier 1638, maître des comptes, maire de Dijon en 1694, mort en cette ville le 4 avril 1711, habitoit à l’angle de cette rue et de celle du Collége.

On a de lui la traduction de quelques hymnes, et celle des fastes d’Ovide en vers français ; mais, ce qui fait le plus d’honneur à M. Baudot, ce sont ses lettres à M. Taisand, sur l’antiquité de la ville d’Autun, et l’origine de celle de Dijon, où elles furent imprimées en 1710, in-12, dans lesquelles il est démontré jusqu’à l’évidence, contre Hugues de Salins, médecin de Beaune, que l’ancienne Bibracte doit être placée à Autun.

Dans cet opuscule, M. Baudot prouve qu’il étoit très versé dans la science de l’antiquité ; la maison qu’il habitoit, renferme plusieurs fragmens d’antiques, incrustés dans le mur de la cour d’entrée, trouvés dans ce lieu même où étoit l’une des tours de la première enceinte de Dijon.

Rue du Collége.Non loin de cette maison, au couchant, fut jadis le Temple de la FortuneCarantillus vint accomplir son vœu en faveur de Flavius-Tiberius : les fragmens en ont été recueillis, reconnus, gravés, publiés et expliqués par Jean Richard, dans sa lettre à J. Patouillet, Paris, 1685, in-12 ; d’après lesquels il conclut et quo hi lapides effossi loco, existimo olim templum fortunæ extructum fuisse.[24]

Sur les débris de ce temple furent élevées les premières fortifications de Dijon, et sur l’emplacement de ces murs furent édifiés les anciens hôtels des la Tremouille et des Brulart, remplacés en 1581 par l’ancien collége des Jésuites, auquel a succédé l’école de droit et celle des beaux-arts.

La fondation de ce collége est due à Odinet Godran qui, par son testament, institua la ville de Dijon et les Jésuites ses héritiers, à la charge d’élever un collége. Pierre Odebert, Bernard Martin, le président de Berbisey, le duc de Bellegarde[25] augmentèrent ces fondations ; la ville de Dijon, les États de Bourgogne aidèrent à son établissement, et ce collège devint bientôt l’un des plus riches de la Société de Jésus. En 1618, il acheta le fief de Marsannay ; en 1628, le domaine de Lichey ; en 1640, une portion de l’éminage de Dijon ; en 1650, la baronie de Pourlans. Il fut dirigé par les Jésuites depuis le 29 juillet 1587 jusqu’au 11 juillet 1763, époque de leur suppression à Dijon.

Dans tous les temps l’enseignement y fut remis en des mains habiles, aussi ce collége s’honoroit-il d’avoir eu pour élèves les Longepierre, les Lamonnoye, les Bouhier, les Debrosses, les Bossuet, les Buffon, les Crébillon, les Piron, et tant d’autres qui feront à jamais l’honneur de Dijon, de la Bourgogne et de la France. Diis Divio diva viris.

La Compagnie de Jésus est l’un des ordres monastiques qui a fourni le plus de gens instruits ; la liste de ceux de la maison de Dijon est ample, cependant je ne vous parlerai que des plus marquans.

François Remond, né à Dijon en 1558, fils de Guillaume Remond conseiller au parlement, reçu Jésuite en 1580, professa avec distinction la théologie à Bordeaux, Parme et Padoue, fut directeur de l’Académie de Mantoue où il mourut le 14 novembre 1631, en confessant des malades attaqués de la peste. Les poésies latines de ce Jésuite, l’alexiade, entre autres, plusieurs fois réimprimées dans des recueils de pièces fugitives, sont justement appréciées des amateurs de la littérature latine.

Étienne Binet, né à Dijon en 1568, Jésuite en 1590, recteur de plusieurs maisons de son ordre et de celle de Paris, mourut le 4 juillet 1639 après 49 ans d’utiles travaux. L’abbé Papillon donne les titres de 37 ouvrages par lui composés sur différens sujets de morale et de piété. Ses essais sur les merveilles de la nature, 1621, in-8.°, ont eu jusqu’à douze éditions dont la dernière est de 1646. Son portrait peint par Lebrun, a été gravé par Lasne et Charpignon.

Barthelemi Jacquinot, né à Dijon en 1569, entra dès l’âge de 18 ans chez les Jésuites, et tenoit un rang distingué dans leur société. Recteur à Lyon, supérieur à Paris, provincial assistant du général, confesseur de la Reine d’Angleterre, il finit par revenir dans sa patrie en qualité de recteur l’an 1644. Envoyé à Rome pour concourir à la nomination d’un général, il en fut nommé assistant, et y mourut le 1.er août 1647. On a de lui plusieurs ouvrages de piété.

Guillaume Pasquelin, né à Beaune le 25 novembre 1575, professa la théologie à Rome, y prêcha devant le Pape dont il se concilia le suffrage et l’estime. La surdité l’ayant forcé de quitter la chaire, il fut envoyé au couvent de Lyon ; le P. Michaelis, qui en étoit recteur, l’ayant injustement et traîtreusement desservi près du général, Pasquelin indigné, quitta la Société, et fut nommé théologal à Beaune. Là, conservant profondément le souvenir des injustices qu’on lui avoit fait éprouver dans son ordre, Pasquelin composa deux ouvrages contre les Jésuites, et les fit imprimer ; mais ces diatribes furent supprimées, et leur distribution prohibée par des ordres supérieurs. Cependant à sa mort, arrivée le 29 mars 1632, Pasquelin se réconcilia avec son ordre, et légua sa bibliothèque au couvent des Jésuites de Dijon.

Andoche Morel, Claude Vallon, natifs de Dijon, Étienne Thiroux, qui y mourut le 16 avril 1727, sont auteurs de plusieurs ouvrages de dévotion.

Guillaume Daubenton, né à Auxerre le 21 octobre 1648, admis chez les Jésuites en 1665, étoit né avec de grands talens pour l’éloquence de la chaire. Choisi par Louis XIV pour être recteur à Strasbourg, ce Prince le donna pour confesseur à Philippe V son petit-fils, qu’il suivit à Madrid où il mourut le 7 août 1723, également regretté des peuples, des grands et du Prince. On a de lui plusieurs oraisons funèbres et la vie de Saint François Régis.

Marcel Leblanc, né à Dijon le 12 août 1653, professeur de rhétorique au collége de cette ville, fut l’un des mathématiciens que Louis XIV envoya au Roi de Siam ; il y arriva le 27 mars 1687. Une révolution, de laquelle Leblanc écrivit la relation, ayant détrôné le Roi de Siam, les Français quittèrent ce pays ; mais le vaisseau sur lequel Leblanc étoit embarqué, ayant été pris, ce Jésuite fut fait prisonnier et envoyé à Midelbourg où il resta jusqu’en 1690. À cette époque, Leblanc ayant recouvré sa liberté, s’en revint à Dijon où il fut nommé préfet des classes et professeur de mathématiques ; mais son goût dominant pour les voyages, lui fit entreprendre celui de la Chine, et il se rembarqua ; blessé à la tête dans une tourmente qu’essuya le vaisseau qu’il montoit, Marcel Leblanc mourut à Mozambique en mai 1693.

Un autre Jésuite, savant dans les mathématiques, est Cl. Richard, né en Bourgogne, mort à Madrid le 20 octobre 1664. Il corrigea l’édition des œuvres d’Archimède, composa de savans commentaires sur Euclide et Perge de Pamphylie ; il fut auteur d’une table des sinus, ouvrages qui prouvent combien ce Jésuite étoit instruit dans les sciences exactes.

Jean-François Baltus, né à Metz en 1667, fut très long-temps de maison à Dijon, et mourut bibliothécaire à Rheims le 9 mars 1743. On a de lui les ouvrages suivants :

Réponse à l’histoire des Oracles. Strasbourg, 1707, in-8.o 2 vol. critique à laquelle Fontenelle ne répondit point, et qui lui fit dire que pour cette fois le diable avoit gagné son procès.

Défense des SS. Pères accusés de Platonisme. Paris, 1711, in-4.o Ouvrage très savant.

La religion chrétienne prouvée par les prophéties. 1728, in-4.o

Défense des prophéties de la Religion chrétienne. 1737, in-12, 3 vol.

Jean-Baptiste Phlipotot Duchesne, né en Champagne en 1682, long-temps professeur à Dijon, mourut en 1755. Il est l’auteur des abrégés de l’histoire ancienne, de l’histoire d’Espagne, de la science de la jeune noblesse, 1730, in-12, 3 vol, et de quelques écrits de controverse.

François Oudin, né à Vignori le 1.er novembre 1673, profès le 13 octobre 1691, vint à Dijon en 1694, et y professa la rhétorique jusqu’à sa mort arrivée le 28 avril 1752. Ce Jésuite possédoit six langues, citoit avec une justesse admirable les passages des anciens poëtes latins, avoit lui-même un goût et une facilité extraordinaires pour versifier dans cette langue ; versé dans la science des antiquités littéraires, il joignoit à une érudition très étendue les grâces de la belle littérature ; il étoit d’une ardeur infatigable pour le travail, et plein de zèle pour tout ce qui pouvoit concourir à l’avantage de la science ; il consacroit sa modique pension pour subvenir aux frais d’instruction des écoliers indigens.

Le P. Oudin étoit de mœurs simples et d’un extérieur négligé, qui rendoit encore plus piquantes la finesse de ses réponses et le sel de ses réparties. Il est peint au naturel dans ces vers que le président Bouhier avoit coutume de lui adresser :

Rusticius tonso toga defluit, et malè laxus
In pede calceus hæret. At est bonus, at melior vir
Non alius quisquam, at mihi amicus, at ingenium ingens
Inculto sub corpore. (Horat. lib. 3, sat. 3)

Ce religieux étoit l’ami le plus intime du célèbre président Bouhier, qui expira entre ses bras, et de l’abbé d’Olivet, qui fut son disciple. Ses poésies latines sont insérées au recueil intitulé, poemata didascalia, 1749, in-12, 3 vol. Ses éloges sont consignés dans les mémoires du P. Nicéron ; ses recherches sur Hérodote furent imprimées à Dijon, 1749, in-4-° ; ses étymologies celtiques se trouvent aux œuvres diverses de l’abbé Gedoyn. Michault a consacré le second volume de ses mélanges philologiques à l’éloge du P. Oudin et à la nomenclature de ses ouvrages.

Louis Patouillet, né à Dijon le 31 mars 1699, élève du P. Oudin, embrassa le même ordre. Après s’être distingué dans l’art de la chaire à la Cour de Nancy, il se retira à Paris, et y publia plusieurs pièces de poésies latines, et divers écrits sur le jansénisme. Il donna les tomes 27 et 28 des Lettres édifiantes des missions étrangères ; les Entretiens d’Anselme et d’Isidore, 1756 in-12 ; la Vie de Pelage ; des Lettres critiques sur les œuvres d’Arnaud, 1759, in-12 ; et sur l’Art de vérifier les dates, 1750, in-12. Il mourut à Avignon en 1783.

Après la suppression des Jésuites en France, le collége de Dijon continua sa réputation sous des professeurs habiles, au choix desquels le bureau d’administration apportoit le plus grand soin, jusqu’à l’époque où il fut remplacé par l’école centrale à laquelle a succédé le lycée.

Parmi les professeurs qui ont remplacé les Jésuites, nous devons mentionner honorablement MM. Courtépée, Bailly et Mailly.

Claude Courtépée, prêtre, préfet des classes, né à Saulieu en 1721, fit d’excellentes études au collége de cette ville. Cet ecclésiastique joignoit à des mœurs pures, un caractère affable, et beaucoup de zèle pour l’instruction de la jeunesse ; toutes ses études se tournèrent sur l’histoire de la province ; infatigable dans ses recherches comme dans les voyages qu’il faisoit sur les lieux mêmes, il n’épargna ni veilles, ni fatigues, ni dépenses pour mettre à fin les travaux qu’il avoit entrepris ; il ne les avoit pas entièrement achevés lorsqu’il mourut à Dijon le 11 avril 1781. On a de lui plusieurs ouvrages :

Description historique et topographique du Duché de Bourgogne, Dijon, Causse, 1775 et suiv., in-8.o, 7 vol. ; les deux premiers en société avec M. Béguillet.[26]

Histoire abrégée du Duché de Bourgogne, depuis les Éduens jusqu’à Louis XI. Dijon, Causse, 1777. in-12. un volume.

Relation du prix de Beaune, en août 1778. Dijon, 1779, in-8.o

Louis Bailly, savant professeur de théologie, né au hameau de Monbis, paroisse de Bligny-sous-Beaune, en 1730, mort en ladite ville le 21 avril 1808, est auteur des traités théologiques, de verâ Religione, Dijon, 1771, in-12, 2 vol. ; de Ecclesiâ, Dijon, 1776, 2 vol. ; Theologia dogmatica et moralis, 1789, in-12, 8 vol. ; ouvrages qui ont eu dans l’année même de leur publication une seconde édition à Louvain, et depuis réimprimés plusieurs fois. Rien ne prouve mieux le mérite de ce professeur, que l’empressement qui fut mis à adopter ses ouvrages pour l’enseignement dans les séminaires.

Jean-Baptiste Mailly, libraire à Dijon où il naquit le 16 juillet 1744, professeur d’histoire au CollégeGodran, fit imprimer ses cours sous le titre de Fastes juifs, romains et français, 1782, in-8.o, 2 vol., abrégés dans le genre de l’histoire du président Henaut, et dans lesquels il n’a rien omis de ce qui pouvoit piquer la curiosité des jeunes-gens et captiver leur attention. Mailly publia l’Esprit de la fronde, Paris, 1772, in-12, 5 vol. ; l’Esprit des croisades, Dijon, Frantin, 1780, in-12, 4 vol. ; ouvrages faits pour honorer leur auteur ; Poésies diverses de deux amis, en société avec M. le Sénateur François de Neufchâteau, 1768, in-8.o Il étoit membre de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon ; il mourut dans cette ville le 26 mars 1794.

Jean-Marie-Bernard Clément, né à Dijon le 25 décembre 1742, d’abord professeur au collége de cette ville, le quitta bientôt, et vint en 1768 s’établir à Paris ; là il se livra à la critique, et ne craignit pas d’attaquer de front les écrivains les plus en crédit. Delille, Voltaire, essuyèrent les critiques de ce moderne Aristarque ; Voltaire s’en vengea par l’épithète d’inclément qui lui demeura ; mais S.t Lambert eut le crédit de le faire renfermer au fort l’Évêque ; J.-J. Rousseau s’éleva fortement contre cet acte d’autorité, et employa son crédit pour faire mettre en liberté l’inclément détracteur du poême des saisons. 15 vol. de critiques, les traductions des harangues de Cicéron, des amours de Leucippe, de la Jérusalem délivrée, ont assigné à M. Clément un rang honorable dans la république des lettres. Il mourut à Paris le 3 février 1812.[27]

Je pourrois vous nommer encore d’autres professeurs émérites de ce collége, non moins distingués, mais je me suis promis de ne pas vous parler des vivants.

Depuis que le lycée a été installé à l’ancien hospice Sainte-Anne, les bâtimens de l’ancien collége des Jésuites ont été affectés à la bibliothèque publique, au cabinet d’histoire naturelle et de physique, à la faculté de droit, et à l’école spéciale des beaux arts.

La Bibliothèque des Jésuites est devenue celle de la ville de Dijon. Le P. Pasquelin la commença en lui léguant ses livres ; P. Fevret l’augmenta par le don de sa bibliothèque ; B. Martin y ajouta la sienne. Le catalogue qui en fut imprimé en 1708, ne porte qu’à 6000 le nombre des volumes qui la composoient ; mais, chaque année elle recevoit quelque accroissement par les soins du bureau d’administration ; elle s’augmenta beaucoup par le zèle et les soins de Charles Boullemier qui fut pendant 40 années chargé de la conservation de ce dépôt littéraire. Mais ce fut surtout après la suppression des ordres monastiques et des corporations, qu’elle s’accrut notablement par la réunion de tous les livres, (à part les doubles exemplaires), qui provenoient des monastères et des établissemens publics supprimés. Le vaisseau de cette bibliothèque est formé de trois salles immenses qui règnent sur les trois côtés de la cour des classes ; il renferme plus de 40,000 volumes imprimés et environ 600 manuscrits, rangés méthodiquement et avec beaucoup d’ordre et de goût par les soins du Conservateur actuel. Elle est ouverte au public les lundi, mercredi, vendredi.

On a déposé à l’angle de deux de ces salles un globe terrestre de 2 m 27 c de diamètre, travaillé avec la plus grande exactitude par le P. Legrand, religieux capucin de maison à Dijon.

Charles Boullemier, né à Dijon le 12 novembre 1725, étoit un antiquaire savant, un critique profond, un bibliographe érudit ; il fut le principal collaborateur de la seconde édition de la Bibliothèque historique de France, publiée par M. de Fontette ; il composa plusieurs dissertations savantes sur différens points d’histoire ; quelques-unes se trouvent insérées dans les mémoires de l’Académie de Dijon dont il étoit l’un des membres distingués. Conservateur de la bibliothèque publique depuis 1764, ce dépôt s’enrichit considérablement par ses soins ; garde des médailles de l’Académie, il en dressa le catalogue, et dans l’arrangement de ce médailler, il déploya des connoissances profondes en numismatique. M. Boullemier étoit attaché depuis 1754 à l’église de la Madeleine en qualité de Chapelain ; lorsqu’il perdit en 1790 la ressource de cette prébende, ce savant se trouva très gêné et fut obligé de vendre une partie de sa bibliothèque dont il ne se réserva que l’usage. Ses manuscrits ont passé entre les mains de M. Baudot, qui a publié son éloge ; il mourut le 11 avril 1803.

Le Cabinet d’histoire naturelle, qui occupe le premier étage de l’aile orientale de la cour d’entrée, provient de M. le président Jehannin de Chamblanc, magistrat très versé dans les sciences de la nature ; il se compose de plus de 2000 articles, et renferme surtout une riche et nombreuse collection de minéraux, de madrepores, de coquillages, etc. etc. On y remarque encore des anciennes armes, des arcs, flèches et ustensiles dont se servent les Sauvages, et autres objets d’arts et de curiosité que M. de Chamblanc se plaisoit à recueillir. Il serait à désirer qu’on pût procurer à cette riche collection un local où elle pût se déployer avec tout l’avantage dont elle est susceptible.

Sur la demande des États de la province, une Université avoit été accordée à la ville de Dijon ; mais d’après les observations de celles de Paris et de Besançon, elle fut restreinte à la seule faculté de droit, érigée par lettres-patentes du 6 juillet 1722 ; elle donnoit ses leçons dans les salles du cloître des Jacobins ; MM. Davot et Bannelier, Fromageot, Arnoult aîné et Bernard, se sont distingués parmi les professeurs qui ont occupé les chaires de cette faculté.

Jean-Baptiste Fromageot, né à Dijon le 10 septembre 1724, avocat distingué, auteur des Lois ecclésiastiques tirées des seuls livres saints, et de plusieurs mémoires couronnés par différentes Académies, mourut à Besançon le 14 août 1753, très regretté au barreau et par les sociétés littéraires dont il étoit membre ; celle de Dijon l’avoit associé à ses travaux dès l’âge de 15 ans, lors de sa première formation.

On doit encore mentionner Jean-Louis Delusseux, auteur d’un excellent abrégé des Instituts de Justinien, et François Jacquinot, auteur du Comes juridicus, espèce de dictionnaire des principales maximes de droit, très utile à ceux qui l’enseignent, comme à ceux qui en font l’application.

Mais parmi les savans professeurs de droit qu’a fourni la Bourgogne, je ne dois pas omettre de vous signaler,

Hugues Doneau, né à Chalon-sur-Saône le 23 décembre 1527. Étant tombé sous un maître extrêmement sévère, il prit l’étude en aversion ; son père l’y ramena en feignant de vouloir le donner pour valet à un porcher qui passoit devant sa porte, et Doneau se remit à l’étude avec une nouvelle ardeur, prit ses grades aux universités de Toulouse et de Bourges, embrassa la réforme de Calvin et professoit le droit dans cette dernière ville à l’époque de la Saint-Barthelemi. Ses élèves le sauvèrent du massacre de cette journée en l’habillant à l’allemande et l’escortant assez loin hors de la ville, résolus de le défendre contre qui que ce fût. Doneau, rival de Cujas dont il parloit assez mal, se retira d’abord à Genève, puis à Heidelberg et Leyde, et y professa le droit, enfin, à Altorf où il mourut le 4 mai 1591. Papillon mentionne 32 de ses traités sur diverses matières de jurisprudence qui furent recueillis en 5 vol. in-fol., réimprimés à Lucques, 1770, en 12 vol. in-fol. On estimoit surtout ce qu’il a écrit sur les testamens. Son portrait est gravé par C. de Pas et Th. de Bry.

François Florent, natif d’Arnay-le-Duc, reçu avocat à Dijon en 1622, en exerça les fonctions avec une telle réputation, que quoique très jeune, Ch. Fevret le choisit pour un des interlocuteurs de son dialogue de claris fori burgundici oratoribus. S’étant rendu à Paris, Florent y fut lié avec les Grotius, les Sirmond, les Dupuy, les Rigaut, les Ménage et autres. Le garde des sceaux Molé, l’honora de son estime, et lui procura une chaire de droit canon à l’université de Paris, avec une pension de 2000 liv, ; il mourut le 29 octobre 1650. Doujat fut l’éditeur de ses œuvres, 1679, in-4.°, 2 vol., et publia son éloge.

Depuis 1806, une École de Droit a été établie à Dijon dans une partie des bâtimens de l’ancien Collége. M. Proudhon, dont les ouvrages sont justement appréciés en France et chez l’étranger, en fut le premier directeur, et en est aujourd’hui le doyen.

L’École de Dessin qui, dès son origine, étoit placée dans les salles qui touchoient au Musée, est actuellement dans l’ancienne église des Jésuites ; cet établissement est dû, en partie, au zèle patriotique de M. Legouz-Gerland qui décida M. Devosges père à se fixer à Dijon, médita avec lui les moyens de fonder en cette ville une école publique de dessin, donna tous ses soins pour mettre ce projet à exécution, et réussit enfin à faire adopter son plan par les Élus de la province.

L’École de Bourgogne fut donc ouverte à Dijon en 1765 dans une maison de la rue Jeannin ; dès cette époque, l’on y vit accourir une foule d’élèves, et parmi eux se trouvèrent des sujets de la plus grande espérance et qui justifièrent la devise qu’elle avoit adoptée, oriendo jam nitescit. Les tableaux des Gagneraux, des Prudhon, des Naigeon, des Devosges, décorent le Musée ; les sculptures des Bertrand, des Petitot, des Renaud, que ses émules à Rome ont surnommé le Michel-Ange français, attesteront dans tous les temps que l’école de Bourgogne fut célèbre dès sa naissance.

François Devosges, fondateur de l’école de Bourgogne, né à Gray le 25 janvier 1732, élève de Coustou, mort à Dijon le 22 décembre 1811, fut longtemps le seul professeur de cette école ; quoique privé de la vue pendant plusieurs années, il n’en acquit pas moins les plus grands talens dans son art ; ses tableaux de Saint Marcel, de l’Assomption, de Saint Pierre pleurant son péché, de Cléobis et Biton traînant aux autels de Junon le char de leur mère, ses esquisses de la mort frappant nos premiers parens, de la peste de David, seront à jamais la preuve de ses talens dans l’exécution, comme ses élèves attesteront sans cesse l’excellence de ses principes, et la bonté de ses leçons. M. Fremiet a donné son éloge. M. Corot a gravé son portrait.

À des mœurs infiniment douces, à une candeur admirable, M. Devosges joignoit une rare modestie, et le précieux talent de se faire écouter et aimer de ses élèves. Dans un voyage qu’il fit à Paris en 1801, ceux de ses disciples qui habitoient la capitale, saisirent cette occasion pour lui donner une fête qui fut celle de la reconnoissance. Ce vieillard respectable, attendri jusqu’aux larmes, des sentimens que lui exprimoient ses élèves devenus des maîtres, regardoit ce jour comme le plus beau de sa vie, et n’en parloit jamais que ses yeux ne décelassent l’émotion de son cœur.

Bénigne Gagneraux, né à Dijon en 1756, mort à Florence le 18 août 1795, des suites de la persécution suscitée à Rome contre les artistes français, est un des élèves qui font le plus d’honneur à la Bourgogne.

Pendant qu’il étoit à Rome, étant entré dans le couvent des Chartreux, jadis les bains de Dioclétien, pour y dessiner quelques monumens antiques, il aperçut une vaste salle dont les murs venoient d’être enduits de plâtre ; il fit remarquer à un des religieux combien elle étoit susceptible d’une belle décoration à la fresque ; il lui fut répondu que le couvent n’avoit rien à donner pour dessiner que du charbon ; aussi, fut-ce avec ce seul secours qu’il jeta l’esquisse d’une Bacchanale dont la belle ordonnance et la composition savante attirèrent au couvent tous les amateurs et les artistes de cette capitale du monde chrétien, et l’on fut obligé de mettre des gardes au couvent. Sa Sainteté vint elle-même visiter ce chef-d’œuvre, accompagnée du Roi de Suède qui nomma Gagneraux, son premier peintre, et le chargea du tableau de son entrevue avec le Pape. Dans ce tableau, le jeune peintre justifia l’opinion qu’avoient conçue de lui ces deux Souverains.

Obligé de sortir de Rome après la mort du ministre français Basseville, Gagneraux ne trouva d’asyle que dans une cabane de berger ; ce fut là où son frère le découvrit ; il se retira dans les États du Grand-Duc de Toscane, qui utilisa ses talens, mais Gagneraux ne fit qu’y languir des suites des maux qu’il avoit éprouvés en fuyant de Rome, et il mourut un mois après son établissement à Florence. Ce peintre est auteur des tableaux de Servilie accusée par Sabinus, de Curius refusant les présens des Samnites, du passage du Rhin à Tolhuis, et de la bataille de Senef, ouvrages qui suffisent pour établir sa réputation.

Les autres élèves marquans de cette école sont en grand nombre, mais vous savez que je ne puis vous occuper que des personnes dont la mort a terminé les travaux.

C’est le cas de vous parler ici des autres peintres marquans qu’a fournis la Bourgogne.

Jacques-Philippe Ferrand, né à Joigny en Bourgogne en 1653, mort à Paris en 1732, fut valet de chambre de Louis XIV, et membre de l’académie de peinture ; il excelloit dans la peinture en émail, et en a publié un traité curieux. Paris, 1723. in-12.

Le peintre Lebeau naquit en cette province ; plusieurs de ses tableaux décorent le Musée : les têtes du Christ, des Évangélistes, le tableau des disciples d’Emaüs, mais surtout celui de Saint Luc peignant la Sainte Vierge, sont des chef-d’œuvres dont on ne se lasse pas d’admirer la belle ordonnance, la correction du dessin, la vérité du coloris, le jet des draperies, et la touche ferme et gracieuse.

Jean-Baptiste Lallemand, né à Dijon vers 1710, n’avoit d’autres moyens d’existence que de travailler dans la boutique de son père qui étoit tailleur d’habits ; mais le peu de loisir qu’on lui laissoit, étoit bien vite employé à resaisir ses pinceaux.

Naturam expellas furcâ, tamen usque recurret.

Il obtint cependant l’agrément de son père pour aller travailler à Paris comme garçon tailleur. Un jour qu’il étoit l’aiguille à la main sur l’établi, une personne dit en causant avec le maître, qu’elle auroit besoin de quelques tableaux pour décorer sa maison de campagne ; je me charge de vous les faire, interrompt Lallemand ; l’étranger se retourne, laisse tomber un regard de dédain sur le garçon tailleur, et sourit de pitié ; Lallemand se lève, jette son aiguille avec dépit, et s’écrie, comme le Corrège, et moi aussi je suis peintre. On le regarde avec un étonnement auquel succéda bientôt la confiance, on l’accepte pour peintre, il met la main à l’œuvre, et ses tableaux des saisons sont le signal des succès qui l’attendoient. Lallemand voulant connoître les chef-d’œuvres de l’Italie, fit le voyage de Rome ; les Cardinaux se disputèrent l’avantage d’occuper ses pinceaux ; il passa en Angleterre, et revint se fixer à Paris où il fut reçu membre de l’Académie de Saint-Luc ; il a dessiné toutes les vues de Bourgogne et de Dijon, qui sont gravées dans le voyage pittoresque de France ; Lallemand excelloit surtout dans les paysages ; ses tableaux de marine balancent ceux de Vernet ; la plupart de ses œuvres sont gravées. Il mourut à Paris le ....

Jean-Baptiste Greuze, né à Tournus en 1725, encore adolescent, n’ayant jamais eu de maître, s’étoit amusé à jeter un croquis sur un mur nouvellement blanchi. Un peintre passe, regarde, admire, se fait amener le jeune homme, lui propose de le suivre à Rome ; Greuze accepte, et revient en France avec un talent qu’il avoit porté jusqu’à la perfection, et qui lui faisoit autant d’admirateurs que d’envieux. La fraîcheur du coloris, la vérité de l’expression, sont les caractères distinctifs de ce peintre célèbre ; la moralité des sujets qu’il travailloit, l’a fait surnommer le Peintre des Moeurs ; la Lecture de famille, le Paralytique, l’Accordée de village, le Retour de la chasse, sont des sujets qui font autant d’honneur à son pinceau qu’à son cœur ; son tableau de Sainte Marie Égyptienne est son chef-d’œuvre. Greuze mourut à Paris en 1805. Son portrait, peint par lui-même, est gravé par Flipart.

Nicolas Venevaut, natif de Dijon, membre de l’Académie royale de peinture et de celle des sciences, arts et belles-lettres de Dijon où il fut reçu en 1763, excelloit surtout dans le paysage. Il mourut sur la fin de 1775.

À côté des peintres doivent se placer ceux qui nous reproduisent et multiplient leurs ouvrages. Je vous ai déjà parlé du graveur Monnier ; il en est encore deux autres qui se sont fait une réputation.

François Perrier, né à Saint-Jean-de-Laône, mort professeur de l’Académie de Saint-Luc en 1650 ; passionné pour les arts, mais maltraité de la fortune, pour faire le voyage de Rome, Perrier se rendit le conducteur d’un aveugle mendiant ; arrivé dans cette capitale des beaux arts, il fut obligé de se mettre au service de Lanfranc, peintre habile, à l’école duquel il se forma dans la peinture et la gravure. De retour de son voyage d’Italie en 1530, Perrier s’arrêta à Lyon, y grava à l’eau-forte les dessins et bas-reliefs qu’il avoit tirés à Rome d’après les antiques, et peignit le cloître des Chartreux ; il vint à Paris où Vouët le mit en réputation, il décora de ses peintures à la fresque les galeries de l’hôtel de la Vrillière et du château de Raincy, la chapelle des Visitandines, et celle du château de Chilly. Les compositions de Perrier étoient belles, savantes et pleines de feu, son pinceau étoit délicat ; ses recueils furent gravés par lui, in-fol. obl. Lyon, 1638. Paris, 1645.

Pierre Palliot, né à Paris, mourut à Dijon le 5 avril 1698, âgé de près de 90 ans ; il étoit dans cette ville libraire, imprimeur et graveur ; il est auteur d’une nouvelle édition de l’Indice armorial de Gelyot (mort à Dijon, sa patrie, le 3 mai 1641), qu’il augmenta de plus de moitié ; de la Science des armoiries, du parlement de Bourgogne, que Petitot a continué ; et de plus de 14 vol. in-4-° manuscrits sur l’histoire de la province. Lamonnoye en parle comme d’un puits de science, et de l’écrivain le plus laborieux de son temps ; il lui adressa l’épigramme suivante :

Vrai registre vivant, oracle plein de foi,
Trésor en recherches fertile,
Fameux Palliot, explique-moi
Cette énigme si difficile :
Comment à toujours lire occupant ton esprit,
Tu sus trouver le temps d’écrire ?
Et comment ayant tant écrit,
Tu sus trouver le temps de lire ?

Son portrait fut gravé par Drevet.

Je vous ai parlé des sculpteurs Dubois, Larmier et Marlet, et de ceux qu’a produits l’école de Bourgogne ; il en est un que Dijon ne doit pas oublier, et dont le ciseau a conservé les traits des hommes célèbres que cette ville est fière d’avoir produits.

François Attiret, né à Dôle le 13 décembre 1728, après avoir remporté les prix de sculpture à Rome et à Paris où il fut nommé professeur de l’Académie de Saint-Luc, vint fixer à Dijon sa principale résidence. Les quatre Saisons, Melpomène et Thalie, sont des ouvrages d’une exécution savante ; il sut donner un grand caractère aux statues de Saint André et de Saint Jean l’Évangéliste, que vous avez admirées à la Cathédrale ; il exécuta à Paris la statue en marbre de Voltaire, qui étoit placée au foyer de la comédie française. La Bourgogne doit à M. Attiret les bustes des Vauban et Chamilly, Bouhier et Bossuet, Jeannin et Fêvret, Maret et Durande, Legouz-Gerland et Devosges, Énaux et Leroux, et dans leurs traits, l’artiste habile a su rendre le feu de leur génie. On doit encore à M. Attiret la belle fontaine de Dôle ; il termina ses jours dans cette ville le 14 juillet 1804.

Je vous ai entretenu long-temps de cette maison à laquelle se rattache le souvenir de tant d’hommes marquans dans les sciences, les lettres et les arts ; poursuivons notre course.Rue du Trésor. La rue à droite est celle du Trésor, ainsi appelée de la juridiction des trésoriers de France qui y avoit son auditoire, affecté aujourd’hui au Tribunal de première instance de l’arrondissement de Dijon, composé de deux présidens, cinq juges et quatre suppléans ; un procureur impérial et deux substituts, un greffier et cinq commis, dix-sept avoués, quinze huissiers, sont employés près ce tribunal qui comprend le même arrondissement que la Sous-préfecture de Dijon.

Parmi les trésoriers de France, on a remarqué Nicolas Harbet, né à Auxonne en 1610, mort à Dijon en 1670, qui a traduit en latin les quatrains de Pibrac, ouvrage imprimé à Paris, 1666, in-4.o ; il le dédia à Denis Marin son compatriote, auquel il adressa ce calembourg emphatique Marinari id est sapere.

Pierre Taisand, né à Dijon le 7 janvier 1644, commença sa carrière comme avocat, et fut l’un des plus distingués du barreau ; en 1680, il fut pourvu d’un office de trésorier de France, mais sans cesser de s’occuper des matières de jurisprudence. Il publia l’Histoire du droit romain, et un volume de Commentaires sur la Coutume de Bourgogne, Dijon, 1698 ; son fils fut l’éditeur des Vies des plus célèbres jurisconsultes anciens et modernes. Dijon, 1721. in-4.o Pierre Taisand mourut le 12 mars 1715, et fut inhumé à Saint-Étienne.

Claude Gelot, procureur du Roi près de cette juridiction, né à Pouilly près Seurre, le 1.er novembre 1717, étoit membre de l’Académie de Dijon, qui possède dans ses archives plus de vingt mémoires intéressans de cet homme de lettres, dont les plus marquans sont ceux sur des anneaux d’or trouvés près de Semur, sur les préjugés, sur la culture de la soyeuse, sur la critique du livre des mœurs, etc. etc. Il mourut à Dijon le 10 janvier 1779.

Rue Madeleine.Après la rue du Collége, est dans la même direction la rue Madeleine.

La Commanderie des religieux hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, fondée par le Duc Hugues III l’an 1170, par reconnoissance des services qu’ils lui avoient rendus dans la Terre sainte, fut d’abord établie au faubourg Saint-Pierre ; mais leur maison ayant été brûlée par les Suisses en 1513, ils furent transférés trois ans après dans cette rue sur un emplacement qui avoit dépendu des anciens vicomtes de Dijon.

Près de là étoit une maison de Templiers, appelée le petit Temple de Dijon, laquelle, après la suppression de cet ordre en 1309, avoit été réunie à la Commanderie de la Madeleine.

Dans cette église, élevée par François I.er, devenue aujourd’hui un magasin de charbon, étoient déposés les restes de M. Legouz-Gerland, transférés depuis au Jardin botanique ; l’abbé Boullemier étoit l’un des chapelains attachés à sa desserte.

Jacques de Jant, né à Dijon en 1626, chevalier servant de Malthe, conseiller d’État, capitaine et garde général des frontières du royaume, surintendant de la navigation de France, fut chargé de diverses négociations à la Cour de Lisbonne, desquelles il a rédigé les mémoires ; il est encore auteur de l’histoire d’Osman et autres ouvrages. Il mourut en septembre 1676.

Rue de la Conciergerie.Vis-à-vis la porte principale de l’église de la Madeleine est la rue de la Conciergerie, parce qu’elle touche aux prisons des tribunaux ; jadis elle portoit le nom de la Vicomté.

À la seule exception des causes des ecclésiastiques et de celles des nobles, les Comtes étoient les juges naturels du territoire ; ils condamnoient avec leurs assesseurs, au bannissement et même à la mort ; ils siégeoient en pleine campagne sous un arbre, ou sous le porche des églises ; ce ne fut que sous Charlemagne qu’il leur fut assigné un auditoire ; ils connoissoient de la guerre et des finances dans toute l’étendue de leur ressort ; la garde des places fortes leur étoit confiée ; ils conduisaient à l’armée les milices dont ils prenoient le commandement ; ils avoient inspection sur les fabrications des monnoies, les deniers royaux et leur recouvrement ; etc. etc.

Dans leurs attributions étoit le maintien de la police, le soin de veiller à ce que les ordonnances du Prince fussent exactement observées ; ils étoient les défenseurs nés des pupilles, les protecteurs des veuves. L’importance de leurs fonctions étoit telle que Charlemagne crut devoir leur créer des surveillans appelés Missi dominici, qui avoient chacun un arrondissement étendu, qu’ils étoient tenus de parcourir et de visiter chaque année.

Les Vicomtes étoient les suppléans des Comtes, et finirent par les remplacer. Ceux de Dijon avoient leur hôtel dans ce quartier ; ils jouissoient dans la banlieue de leur domicile, d’exemptions qui rendoient ce quartier très populeux ; ils avoient des droits si étendus qu’ils firent ombrage au Duc Robert qui les acquit du vicomte Guillaume de Pontailler, en 1276, par échange contre la terre de Magny-sur-Tille. Mais la commune de Dijon effrayée de cette cumulation de pouvoirs entre les mains des Ducs, recourut à l’entremise du Roi de France Philippe III, et obtint du Duc Robert, que ces droits lui seroient remis ; l’acte en fut passé en 1284, de là le titre de Vicomtes-Maïeurs que portoient autrefois les Maires de Dijon.

Avant cette aliénation, la Vicomté de Dijon fut possédée par les Leriche, les sires de Châtillon, les seigneurs de Champlitte, et ceux de Pontailler, qui tenoient un rang honorable à la Cour des Ducs de Bourgogne ; la maison et le jardin qu’ils possédoient dans cette rue, furent acquis, en 1586, par Henri III, pour y élever le bâtiment des requêtes du Palais.

Non loin des bâtimens de la Commanderie de la Madeleine, au couchant, on voyoit ayant la révolution, un hôtel appelé le petit S.t-Bénigne, où étoit la chapelle de la Vicomté. Sur la porte extérieure l’on remarquoit les statues agenouillées du vicomte Jean Bonnot et de son épouse ; et ce portail conduisoit à une ancienne tour, que l’on assure avoir été la prison de St. Benigne, et où il souffrit les tourmens dont son martyre fut précédé, ce que semble prouver l’acte de 1429, par lequel Guillaume de Pontailler vendant cet emplacement à Jean Bonnot, le charge de faire célébrer tous les jours une messe dans la chapelle de la tour où Saint-Bénigne fut mis en chartre et reçut la couronne du martyre. Les chapelains de la Madeleine furent chargés de ce service qui s’acquittoit régulièrement encore au commencement du XVIII.e siècle. Cette tour fut démolie en 1809, je vous en ai parlé avant de commencer notre dernière tournée.

Rue Portelle.La rue Portelle qui suit, tire sa dénomination de l’une des portes de la première enceinte de Dijon ; on l’appeloit aussi rue des Orfévres, du nom de ceux qui l’habitoient ; elle aboutit à la place Saint-Georges, aujourd’hui du Mont-Blanc.

Place Saint-Georges.La maison ayant sa principale façade sur cette place entre les rues Portelle et Charrue, sur laquelle on voyoit encore en 1811 un grand bas-relief représentant un S.t-Georges à cheval, armé de pied en cap, et la lance à la main, a donné à cette place le nom du saint sous lequel elle étoit connue. Cet hôtel étoit celui d’une des branches de l’illustre maison de Vienne dont le cri de guerre étoit Saint Georges au puissant Duc ; il fut construit en 1430 par Guillaume de Vienne, surnommé le Sage, sire de Saint-Georges et de S.te-Croix, restaurateur de l’illustre et célèbre Confrérie de Saint-Georges dont le chapitre général se tenoit à Seurre ; il fut nommé le premier chevalier de la Toison d’or ; son portrait est gravé.

La maison de Vienne étoit l’une des plus anciennes des deux Bourgogne ; parmi les personnages illustres qu’elle a fournis, nous nous contenterons de vous parler d’un seul.

Jean de Vienne, amiral de France et gouverneur de Calais, défendit cette place pendant plus d’un an contre le Roi d’Angleterre ; et le siège qu’elle soutint, est immortalisé par le dévouement généreux qui a fourni au théâtre français l’une de ses meilleures tragédies nationales.

Ce gouverneur ayant été fait prisonnier des Anglais, ne respiroit contre eux que la vengeance. En 1377, il opéra une descente en Angleterre, prit et brûla Rye, saccagea l’île de Wigth, et dévasta plus de dix lieues de pays ; en 1380, ligué avec le Roi d’Écosse, il pénétra dans la mer d’Irlande, prit et brûla la ville de Penreth, et seroit allé plus loin, si, par l’effet d’une intrigue, il n’eût été rappelé en France. Ce fut entre ses mains, comme le plus vaillant et le plus expérimenté des chevaliers, que la noblesse de France remit la bannière de Notre-Dame à la bataille de Nicopolis en 1396 ; Jean de Vienne montra qu’il étoit digne d’un tel honneur en déployant à cette action une bravoure héroïque, et périssant les armes à la main à la tête de 2000 chevaliers français. Son corps fut apporté en Bourgogne, et inhumé à l’abbaye de Bellevaux près de Besançon.

Guillaume de Vienne son père, lui avoit survécu ; fier d’avoir donné le jour à ce brave chevalier, il ne voulut avoir sur sa tombe que le souvenir de son fils, et l’on y inscrivit, ainsi qu’il l’avoit désiré, ci gît le père de Jean de Vienne.

Rue Voltaire.À votre gauche se retrouve la rue Charrue, dont je vous ai parlé ce matin, et celle Voltaire, autrefois de la Chapelotte, plus anciennement rue de la Parcheminerie.

L’usage exclusif du parchemin pour tous les actes susceptibles d’être scellés, pour tous ceux émanés de la chancellerie des Ducs, des tribunaux, des communes, des couvens et des notaires, nécessitoit un grand nombre d’ouvriers pour préparer et confectionner le parchemin ; ils adoptèrent cette rue de préférence, par rapport au cours de Suzon qui passe sous les maisons du côté occidental de cette rue, et ils lui donnèrent le nom de leur profession.

Depuis, cette rue a pris le nom de Chapelotte, de celui de la petite collégiale que je vous ai signalée ; lors de la révolution, on lui a donné le nom de Voltaire, qui n’a d’autre rapport avec Dijon que d’avoir été membre de l’Académie de cette ville, et d’avoir habité long-temps le château de Ferney dans le ressort du parlement, de l’intendance et de l’administration des Élus de Bourgogne ; mais un grand homme appartient à tous les pays, et c’est un hommage rendu par Dijon à l’auteur de la Henriade, de Mahomet et d’Alzire.

Au commencement de cette rue, au levant, étoit l’hôtel de Plaines, famille en crédit sous les derniers Ducs de Bourgogne, dont le dernier rejeton, fidelle à ses princes, abandonna son pays pour rester attaché à l’héritière de Bourgogne. Cet hôtel, rebâti par M. le président de Sassenay, est l’un des plus beaux de Dijon.

Dans cette rue, demeuroit Philibert de la Mare, né à Dijon le 13 décembre 1615, reçu au parlement en 1637, mort à Dijon le 16 mai 1687, décoré du cordon de Saint Michel.

Antiquaire savant, scholiaste érudit, critique judicieux, homme de lettres et de goût, M. de la Mare étoit en relation avec tous les savans de son siècle ; il avoit formé son style sur celui de M. de Thou, et possédoit principalement, au dire de Lamonnoye, l’art d’écrire l’histoire et les éloges des savans. Son Commentaire de bello burgundico, son Conspectus historicorum Burgundiæ, fournissent la preuve de ce qu’avance son compatriote, et sont les plus marquans de trente écrits sur différens sujets, sortis de la plume savante de ce laborieux magistrat. Sa bibliothèque étoit nombreuse et surtout riche en manuscrits, la plupart provenant du grand Saumaise ; ils furent achetés 2500 liv. pour la bibliothèque du Roi, aujourd’hui la bibliothèque impériale.

Rue du Bourg.La rue à droite est celle du Bourg. Pour suivre exactement la première enceinte de Dijon, il faudrait remonter le long des boucheries jusqu’à la porte aux lions ; mais nous agrandirons le cercle d’une seule rue pour vous faire connoître l’un des quartiers les plus beaux de cette ville.

À l’angle sud ouest de la rue du Bourg et de celle Poulaillerie, étoit la boutique d’apothicairerie du père de l’auteur de la Métromanie ; ce qui a fait donner à cette rue, qui conservoit la dénomination des volailles qui s’y débitoient jadis, le nom de rue Piron.

Rue Piron.Aimé Piron, né à Dijon le 1.er octobre 1640, cultivoit avec beaucoup d’agrémens la poésie bourguignonne ; il publia pendant plus de trente années de suite les Noëls qu’on s’arrachoit pour les aller chanter, le soir, aux portes des maisons, pendant l’avent, et célébra en vers patois tous les événemens de son temps. Ses poésies étoient remplies de sel attique et de cette finesse à laquelle se prête si bien le langage bourguignon ; elles furent toutes imprimées séparément chaque année, mais il seroit presque impossible aujourd’hui d’en réunir une collection complette.

Lamonnoye étoit lié avec Aimé Piron ; il lui reprochoit de ne point encore tirer assez de parti de la naïveté et de la grâce de l’idiome du pays, et Piron se retranchoit sur l’importunité du libraire, et l’impatience de ces bonnes-gens qui croyoient n’avoir jamais assez tôt ses Noëls pour les vendre ; mais il pressa Lamonnoye de l’aider et d’en composer aussi quelques-uns por l’aimor des fran Barozai. Lamonnoye y consentit et composa ses noëls charmans qui laissèrent bien loin derrière eux les Avents de l’apothicaire.

Aimé Piron avoit épousé en secondes noces Anne Dubois, fille du célèbre sculpteur de ce nom, de laquelle il eut le fils qui rendit le nom de Piron immortel ; il mourut le 9 décembre 1727.

Alexis Piron naquit à Dijon le 9 juillet 1689 ; à peine eut-il achevé ses classes au collége des Jésuites, qu’il se livra exclusivement à faire des vers ; son père n’approuvoit point une passion aussi dominante, mais remontrances, menaces, persécutions même, ne purent prévaloir sur un penchant naturel, nascimur poetæ. Ce fut cette opposition de ses parens qu’il mit sur la scène dans sa métromanie ; Crébillon avoit éprouvé de la part de son père une pareille contrariété ; Longepierre, au contraire, devint poëte par complaisance pour le sien.

Le jeune Piron étoit dominé par des passions vives, et toujours il étoit entraîné par l’amour du plaisir et de sa liberté. Très foiblement aidé de sa famille dont l’aisance avoit été enlevée par des événemens qu’on n’avoit pu prévoir, il fut réduit aux fonctions de simple copiste dans un bureau à Paris ; encore ne dut-il cette place qu’à sa belle écriture presque aussi nette que le burin. À part quelques poésies fugitives qui déceloient du talent, Piron resta depuis 1719 à 1722 à Paris dans une espèce d’obscurité ; mais les pièces qu’il donna successivement au théâtre, l’en firent sortir et lui procurèrent des prôneurs et des appuis parmi lesquels compte M. de Livry, qui fut un des protecteurs de Piron les plus délicats et les plus généreux ; et ce ne fut que très long-temps après que Piron le découvrit pour être celui qui, depuis plusieurs années, lui faisoit toucher une pension, dont il n’avoit pu jusques là connoître la source.

Ce poëte disoit, en parlant des maîtres de la scène, je voudrois être Racine, et avoir été Corneille ; cependant il avoit la conviction de son mérite, s’il faut en juger par deux anecdotes assez connues.

Les comédiens ayant désiré quelques changemens à sa tragédie de Fernand-Cortez, l’acteur Legrand fut député près de l’auteur pour lui demander quelques corrections. À ce mot de correction, le poëte se gendarme, l’acteur insiste, et cite l’exemple de Voltaire qui corrigeoit ses pièces au gré du public : cela est très différent, réplique Piron, Voltaire travaille en marqueterie, et je jette en bronze.

Se présentant un jour pour entrer dans l’appartement d’un homme de lettres, au moment où un grand seigneur ouvroit la porte pour en sortir : débats de civilités à qui passera le premier ; le maître du logis dit alors à celui qu’il reconduisoit, passez, Monsieur, passez, c’est un poëte. Alors Piron enfonce son chapeau, passe le premier, en disant : puisque les qualités sont connues, je prends mon rang.

Ce poëte avoit le ton gai et malin, les saillies vives et brillantes, les plaisanteries fines et adroites, la riposte heureuse et prompte ; la justesse et l’énergie de ses bons mots n’ont peut-être pas moins contribué à étendre sa réputation que ses poésies et ses œuvres dramatiques ; ils sont imprimés séparément, copiés dans tous les recueils ; nous n’en rapporterons que les moins connus, mais avérés, et qui paroissent les plus singuliers.

Piron avoit fait hommage à la reine de Suède, d’un exemplaire de sa tragédie de Gustave-Vasa. Cette princesse chargea son ambassadeur de témoigner à l’auteur le plaisir qu’elle avoit eu à entendre la lecture de sa pièce, et de lui faire un cadeau qui pût lui être agréable.

L’ambassadeur, après avoir donné lecture à Piron de la lettre de sa Souveraine, lui permit de s’expliquer sur le cadeau qu’il désiroit. La Cour de France étoit alors en négociation avec celle de Suède pour en obtenir une armée en faveur du Roi de Pologne ; Piron répondit gaiement qu’il ne demandait à la Reine rien autre chose que d’envoyer dix mille hommes au Roi Stanislas. Cette plaisanterie fut très applaudie à la Cour de Louis XV ; mais Piron écrivoit à sa mère, le 27 septembre 1737, tout en resta là, et j’en fus pour mon désintéressement romain.

Je ne puis résister au plaisir de vous rapporter encore deux de ses bons mots.

Un poëte lui lisoit une pièce dans laquelle il y avoit une infinité de vers pillés ; à tout instant Piron ôtoit son bonnet et le remettoit ; l’auteur, que ce geste fatiguoit, en demanda la raison, n’y prenez pas garde, répondit Piron, ce sont des gens de ma connoissance que je salue.

Il avoit prédit la chute d’une pièce de théâtre ; après la représentation, l’auteur vint en triomphe lui annoncer que cependant sa pièce n’avoit pas été sifflée ; je le crois bien, répondit Piron, on ne sauroit siffler quand on baille.

Une ode licencieuse que ce poëte avoit composée dans sa jeunesse[28], lui ayant fermé les portes de l’Académie française, le poëte s’en vengea par cette épigramme si connue qu’il destinoit pour son épitaphe :

Ci-gît Piron qui ne fut rien,
Pas même académicien.

On inféra de là que Piron dédaignoit toutes les réunions littéraires ; l’Académie de Dijon peut fournir la preuve contraire : il y fut reçu académicien honoraire le 11 janvier 1762, et se montra même très sensible à cette marque d’estime, ainsi qu’à l’honneur que lui fit cette compagnie de placer son buste au salon des séances parmi ceux des grands hommes de la province ; l’auteur de la Métromanie le méritoit sans doute, mais il n’en fut pas moins très flatté de voir son nom accolé à ceux des Bouhier, des Crébillon, des Debrosses et des Buffon, et il donna constamment à cette Académie des preuves de son attachement, soit en lui faisant hommage de plusieurs pièces de vers, avant qu’elles ne parussent ; soit en annonçant l’intention de la rendre dépositaire de ses manuscrits ; soit enfin par une correspondance suivie avec les Legouz-Gerland, de Ruffey, Maret, Debrosses et Dumai. Piron adressa à l’Académie un très bel exemplaire de la première édition de ses œuvres, (Paris, Duchesne, 1758, in-12, 3 vol. mar. r. fil. B. et B.) sur lequel il fit imprimer par le relieur :

À Messieurs de l’Académie de Dijon, de la part de leur très humble et très respectueux serviteur et admirateur, Piron.

Ce poëte célèbre avoit épousé Marie-Thérèse Quenaudon, de laquelle il devint veuf en 1751, et qui ne lui donna pas d’enfans ; il mourut à Paris le 21 janvier 1773. M. Perret a publié son éloge, M. de Juvigny fut l’éditeur de ses œuvres complettes. Son portrait est gravé plusieurs fois.

Son neveu, Bernard Piron, né à Dijon le 16 décembre 1718, reçu avocat au parlement de cette ville, membre de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres dès 1740, date de sa formation, n’étoit, pas moins que son oncle, habile à aiguiser l’épigramme ; on en cite de lui beaucoup d’heureuses, et même un peu trop mordantes ; elles n’ont jamais été imprimées ; passionné pour la poésie, Bernard Piron s’occupa exclusivement à faire des vers, et, quoique peu riche, négligea tous les autres genres de travail. Il mourut à Dijon le 9 mai 1812 ; en lui s’éteignit et le nom, et les talens poétiques des Piron.

Nous sommes sur la place S.t-Jean : portez vos regards à gauche, le bâtiment qui termine votre point de vue, est l’hôtel de l’Académie des sciences.

La patrie de tant d’hommes célèbres dans tous les genres, devoit leur offrir un point de contact, un centre de réunion. Les Lantin, les Bouhier, les avoient reçus dans leurs bibliothèques, mais M. Pouffier sentit qu’il leur falloit un local indépendant des circonstances, et même un revenu proportionné aux frais des séances, aux dépenses de rassemblement ; il en fit les fonds par son testament du 1.er octobre 1725, et l’Académie des sciences, constituée en vertu de lettres-patentes du mois de juin 1740, tint sa première séance publique le 13 janvier 1741 dans l’une des salles de l’hôtel-de-ville.

Mais M. Pouffier, dans sa fondation, ayant eu principalement en vue le complément de l’université que la province n’avoit pu obtenir, ne s’étoit occupé que de la philosophie et de la médecine ; une autre société, pour la partie des belles-lettres, s’étoit formée en 1752, et tenoit ses séances dans la bibliothèque du président de Ruffey : elle se réunit, en 1759, à celle fondée par M. Pouffier ; alors l’Académie reçut son complément, elle embrassa les sciences, les arts et les belles-lettres, ce qui fut le motif de la devise qu’elle adopta, certat tergeminis tollere honoribus.

Le doyen du parlement avoit été chargé, par M. Pouffier, de fournir le local des séances publiques et particulières, soit dans l’hôtel qu’il avoit affecté au Décanat à cette condition, soit à ses frais, dans tout autre local convenable. L’Académie tint ses séances, d’abord dans l’une des salles de l’hôtel-de-ville, puis dans celle du cloître des Jacobins, depuis 1763 à 1774 ; alors elle acheta, des fonds provenant de la générosité de son fondateur, l’hôtel de Grammont, qui lui offroit pour les séances publiques un magnifique salon élevé sur les dessins de Mansard ; cet hôtel fut réparé, distribué, agrandi aux frais de l’Académie.

La bibliothèque est composée de livres que plusieurs académiciens lui ont donnés, de ceux dont on lui a fait l’hommage, et d’ouvrages publiés par ses membres et ses associés correspondans ; le médailler est un don de M. le président de Ruffey et de madame la Comtesse de Rochechoüart.

Le cabinet d’histoire naturelle est dû à M. de Clugny et à M. Legouz-Gerland. Il possède la collection de mines de fer formée par MM. Bouchu et de Courtivron ; on y voit de belles quilles de basalte provenant du volcan de Drevin près Couches, actuellement éteint, dont l’éruption fut reconnue devoir se rapporter à une époque infiniment reculée, mais aussi dont l’existence ne laisse pas la matière d’un doute. Le Marquis du Terrail et M.me de Crussol son épouse, fondèrent le prix que l’Académie distribue chaque année sur diverses questions de littérature ou d’utilité publique ; les mémoires de cette société ont été publiés en 1769 et 1774, grand in-8.o 2 vol. et de 1782 à 1785, pour la partie des sciences. in-8.o 4 vol.

Cette Académie s’enorgueillit, à juste titre, des hommes de mérite qu’elle a comptés parmi ses membres : les Bossuet, Crébillon, Rameau, Buffon, Piron, ont leurs bustes au salon des séances publiques, parmi ceux des grands hommes de la province ; les Hoin, Leroux, Énaux, Maret et Durande, Monnier et Devosges ont les leurs au salon des séances particulières, qui est encore décoré des portraits de Pouffier, de Legouz-Gerland, du marquis de Mimeures[29], et du Comte de Vergennes.

Presque tous les savans dijonnais du XVIII.e siècle, dont je vous ai parlé, étoient membres de cette Académie ; les Herschell, Saussure et Bomare, les Bertholon, Vicq-d’Azir, Rozier, Perronnet, Gaillard, Desormaux, Bullet, Boufflers, Caffieri, Vincent, marquoient parmi ses correspondans ; les comtes Lacépède, Chaptal, François de Neufchateau, les Carnot, Parmentier, Delandine, etc. etc. honorent encore aujourd’hui la liste de ses associés ; cependant il est encore quelques dijonnais membres de cette Académie, que je ne dois pas omettre dans cette liste.

Jean-Bernard Leblanc, né à Dijon le 3 décembre 1707, auteur de la tragédie d’Abenzaïd, représentée en 1735, dont les journaux du temps ont fait l’éloge, et qui eut d’abord au théâtre du succès, est encore connu par quelques poésies. Son poëme sur l’histoire des gens de lettres de Bourgogne, Dijon, 1726, in-8.°, ses Dialogues sur les mœurs des Anglais, sa traduction des Discours politiques de Hume, lui firent offrir par le roi de Prusse une place à l’Académie de Berlin, s’il vouloit venir demeurer dans ses états, mais Leblanc préféra de rester dans sa patrie ; il fut nommé historiographe des bâtimens du Roi, et mourut à Paris en 1781.

Antoine Bret, né à Dijon en 1717, mort à Paris le 25 février 1792, est connu par différens ouvrages en vers et en prose qu’il publia successivement. Ses poésies légères et ses comédies sont réunies en deux vol. in-8.o 1778. Vie de Ninon de L’Enclos, 1751, in-12. Les quatre Saisons, poëme, 1764, in-4.o Essais de Contes moraux, 1763, in-12. Les Amans illustres, 1769, in-12., 3 vol. Fables orientales, 1772, in-8.o Mémoires de Bussi-Rabutin, 1774, in-12., 2 vol. Commentaire sur les œuvres de Molière, 1791, in-8.o, 6 vol. On lui attribue encore les romans de Cytheride, 1743, les Galanteries de Thérèse, 1745, la Courtisanne grecque, 1746, 2 vol. Histoire bavarde, 1749, et beaucoup de pièces fugitives, insérées dans l’Almanach des muses, le Mercure de France et autres journaux.

Jean-Bernard Michault, né à Dijon le 18 janvier 1707, mourut le 16 novembre 1770. Il fut le premier secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences de cette ville, et eut des connoissances littéraires et bibliographiques très étendues ; il publia, en 1734, in-8.o, des réflexions critiques sur l’élégie ; en 1736, in-4.o l’explication des dessins des tombeaux des ducs de Bourgogne ; en 1738, des lettres sur la botanique ; en 1741, une dissertation sur le vent de Galerne ; en 1751, les lettres choisies de la Rivière, in-12, 2 vol. ; en 1754, des mélanges philologiques, in-12., 2 volumes ; en 1761, des mémoires sur Lenglet-Dufresnoi ; il est auteur de plusieurs éloges et notices insérés dans les hommes illustres du P. Niceron, de ceux de Dalechamp, du chevalier de Merré, d’Anlezi, Crébillon et autres. M. de Morveau publia le sien dans son recueil d’éloges historiques. Paris, 1775, 3 vol.

Henri-Claude Picardet, né à Dijon le 30 septembre 1728, commença sa carrière littéraire par plusieurs ouvrages sur l’éducation, Dijon, 1756 et 1763, in-12 ; son histoire des deux Abdalonymes, 1779, in- 8.°, est un roman moral destiné à l’instruction de la jeunesse ; il avoit entrepris la grande apologétique, ou réfutation de toutes les hérésies, mais sa mauvaise santé le força d’abandonner un aussi grand ouvrage. Le village de Neuilly, dont M. Picardet étoit prieur, se ressent encore des prix que ce vertueux ecclésiastique et le seigneur de ce village y avoient fondés en faveur du jeune homme qui, pendant l’année, se seroit montré le plus sage et le plus laborieux de sa paroisse ; institution qui, pour un autre sexe, rivalisoit avec la cérémonie de la Rosière[30].

Pierre-Isaac Poissonnier, né à Dijon le 5 juillet 1720, fut reçu à 26 ans professeur de médecine à l’université de Paris ; en 1758, il fut envoyé à l’impératrice de Russie, comme un des plus habiles médecins qu’eût à lui donner la Cour de France ; à son retour, il fut couvert de titres honorables et de récompenses, nommé premier médecin des armées, inspecteur-général de la médecine dans les colonies, membre de l’Académie des sciences ; il fut encore gratifié d’une pension de 12,000 f. et du cordon de Saint Michel.

M. Poissonnier fut le premier qui ouvrît un cours de chimie à Paris ; il publia les tomes 5 et 6 du cours de chirurgie, un traité sur les fractures et luxations, 1749, in-12. ; formules des hôpitaux militaires, 1758, in-8.o ; un essai sur les moyens de dessaler l’eau de la mer, 1763 ; un traité sur les fièvres de St.-Domingue, 1763, in-8.o ; un traité sur les maladies et la nourriture des gens de mer, 1780, in-8.o 2.v. ; abrégé d’anatomie, in-12., 1783, 2 vol., etc., etc., etc. ; il succomba à ses douloureuses infirmités le 22 août 1799, et fut inhumé à Paris ; son portrait est gravé par Benoist.

Les Thiard ne se sont pas moins distingués dans les lettres que dans la carrière des armes, et dans les hautes dignités de l’église. (V. pag. 350, 365.)

Claude de Thiard, comte de Bissi, né en 1721, lieutenant-général dès 1762, a pris une part active à toutes les guerres qui ont eu lieu depuis 1741 à la paix de 1763 ; gouverneur d’Auxonne en 1750, lieutenant-général au gouvernement de Languedoc en 1771, il avoit été reçu à l’Académie française en 1750, et à celle de Dijon en 1765. On connoît de lui des lettres sur le patriotisme, 1750, in-8.o ; l’histoire d’Emma, 1752, in-12. Rappelé en 1801 à la deuxième classe de l’institut, il mourut à Paris le 26 septembre 1810.

Gaspard-Ponthus, marquis de Thyard, né le 16 mars 1723, obligé par délicatesse de tempérament d’abandonner le parti des armes auquel il s’étoit d’abord consacré, s’adonna à la culture des belles-lettres. Plusieurs mémoires sur la bonne chère des anciens lui ouvrirent, en 1769, les portes de l’Académie de Dijon ; il a donné une traduction des Nuits d’Young, et l’histoire de Ponthus de Thyard suivie de la généalogie de sa maison, 1784, in-8.o On a de lui plusieurs pièces de poésie insérées dans les journaux du temps. Il mourut à Semur le 28 avril 1786.

Deux antiquaires bourguignons appartenoient encore à cette société savante.

Jean-Baptiste Lacurne de Sainte-Palaye, né à Auxerre le 6 juin 1697, membre de l’Académie française, et de celle des inscriptions, étoit un antiquaire laborieux et un savant éclairé. Ses mémoires sur l’ancienne chevalerie, 1769, 2 vol., et 1781, 3 vol. in- 12 ; ceux sur Froissart et autres chroniqueurs anciens ; une foule de dissertations savantes dont il a enrichi les mémoires de l’Académie des inscriptions, lui donnent un rang distingué parmi les plus habiles antiquaires et les plus érudits ; ce savant avoit un calme et une sérénité d’ame, qui étoit l’indice de ses vertus morales ; il ne se consola jamais de la perte de son frère, avec lequel il avoit passé la plus grande partie de sa vie, et fut le rejoindre au tombeau le 1.er mai 1781, âgé de 84 ans.

François Pazumot, né à Beaune le 13 avril 1753, mort en la même ville le 10 octobre 1804, consacra toutes ses études à la science des antiquités ; quarante-six dissertations ou mémoires historiques qu’il publia successivement, et dont le détail est donné dans toutes les biographies, attestent ses vastes connoissances, son érudition consommée, sa critique judicieuse ; ses derniers travaux furent consacrés à la religion chrétienne ; il fournit plusieurs articles aux éditeurs des annales de la religion, et composoit un traité des preuves du christianisme, lorsque la mort le surprit dans un voyage qu’il avoit fait dans sa patrie.

Pourrois-je ne pas vous nommer parmi les illustres de cette Académie, Jérôme-François de la Lande, né à Bourg le 11 juillet 1732, dans le ressort de l’ancien parlement et de l’ex-intendance de Bourgogne, l’un des célèbres astronomes du XVIII.e siècle, membre de tous les corps savans de l’Europe, dont il a enrichi les portefeuilles de ses découvertes profondes, de ses nombreux écrits en astronomie, au nombre de 160, collaborateur du grand ouvrage sur les arts et métiers, pensionnaire des cours de St.-Pétersbourg et Berlin ; la Lande ternit la fin de ses jours en professant hautement l’athéisme, au point que par lettre du camp de Schoenbrunn, du 18 janer 1806, S. M. lui fit enjoindre de ne plus rien donner au public sous son nom ; cette lettre, lue dans une séance générale de l’institut, portoit en substance que M. de la Lande, dont le nom, jusqu’ici, étoit attaché à d’importans travaux dans les sciences, venoit de tomber dans un état d’enfance qui se manifestoit, soit par de petits articles indignes de son nom, soit par la profession publique qu’il faisoit de l’athéisme, doctrine désolante qui, si elle ne démoralise pas quelques particuliers, démoralise le corps social. Il mourut à Paris le 4 avril 1807. Son portrait est gravé par Malœuvre.

L’hôtel de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres, est en ce moment le siège de l’Académie impériale universitaire qui y fait la plus grande partie de ses cours ; elle est composée des facultés de droit, des sciences et des lettres ; il ne manquoit que celles de théologie et de médecine, mais si l’on ne les a pas suppléées, quant aux grades, elles sont remplacées, quant à l’instruction, la première, par le séminaire ; la seconde, par un établissement d’instruction médicale créé par décret du 28 août 1808, et composé de six professeurs, qui font les cours théoriques et pratiques de médecine, chirurgie, pharmacie, suffisans pour l’instruction des simples officiers de santé.

Ces facultés sont sous la direction d’un Recteur aussi respectable par son aménité que par la vaste étendue de ses connoissances.

Pont-Arnot.Cet hôtel a sa principale porte sur une place appelée le Pont-Arnot, parce qu’elle est sur le cours de Suzon, recouvert par des Arnots ou voûtes sous lesquelles coule cette petite rivière.

Place Morimont.Un peu plus au nord est la place Morimont, ainsi dénommée, non de ce qu’elle est affectée aux supplices des criminels (mori-mons), mais de ce qu’à l’angle Nord-Est de cette place étoit l’ancien hôtel des abbés de Morimont.

Cette abbaye, l’une des quatre filles de Cîteaux, étoit considérée comme chef d’ordre, tant parce qu’elle comptoit plus de sept cents monastères de sa filiation, que parce que les ordres militaires de Calatrava, d’Alcantara, du Christ, d’Avis et de Monteza, reconnoissoient l’abbé de Morimont pour leur supérieur immédiat.

Rue St.-Jean.Au nord de cette place est la grande rue Saint-Jean, dans laquelle demeuroit Antoine Leroux, né à Dijon en 1780, chirurgien d’un mérite distingué, membre de plusieurs sociétés savantes, auteur des méthodes curatives de la rage, du venin de la vipère, de la pustule maligne, dont l’efficacité est généralement reconnue ; cet habile chirurgien joignoit à une savante théorie, l’adresse dans les opérations ; il mourut à Dijon le 23 octobre 1792.

À l’angle Nord-Est de cette rue est le bel hôtel Montaugé, élevé sur les plans et les dessins du célèbre le Muet.

Pierre le Muet, né à Dijon le 7 octobre 1591, fils de Philippe le Muet, garde d’artillerie, et d’Anne de Cirey, fut l’un des plus célèbres architectes de son temps, et très instruit dans les mathématiques ; le cardinal de Richelieu l’employa à fortifier plusieurs villes de Picardie ; la reine Anne le choisit pour achever la construction du Val-de-Grâce, l’un des plus beaux monumens de la capitale ; il donna les plans du grand hôtel de Luynes, de ceux de l’Aigle et de Beauvilliers, admirés à Paris. Le Muet a composé plusieurs traités d’architecture estimés : les cinq ordres d’architecture des anciens, 1641, in-8.o ; Règles des cinq ordres d’architecture de Vignoles, 1632, in-8.o ; la manière de bien bâtir 1626, in-fol., ouvrages dont les gens de l’art font beaucoup de cas. Il mourut à Paris le 28 septembre 1669 ; mais ce n’est point le seul architecte distingué qu’ait fourni la Bourgogne.

Guillaume Philandrier, né à Châtillon en 1505, fut le restaurateur de la bonne architecture en France, l’annotateur de Vitruve, auquel il ajouta un cinquième ordre d’architecture, et fraya la route à Vignole, qui ne fit que suivre les règles tracées par Philandrier. La cathédrale de Rhodez, dont il devint archidiacre, est un de ses ouvrages, et atteste ses talens et son génie. Philandrier fut constamment attaché au cardinal d’Armagnac, son Mécène et son ami, près duquel il mourut à Toulouse, le 18 février 1565. Phil. de la Mare publia son éloge.

Louis Savot, né à Saulieu en 1579, fut à-la-fois naturaliste et médecin, antiquaire et architecte ; il publia l’art de guérir par la saignée, traduit de Galien. Paris, 1603, in-12. Discours sur les médailles. Paris, 1627, in-4.o L’architecture française. Paris, 1624, in-8.o, qui est le plus estimé de ses ouvrages. Savot étoit aussi respectable par ses vertus que par ses talens ; il mourut à Paris, médecin de Louis XIV, en 1640.

Léonard Racle, né à Dijon le 30 novembre 1736, mort à Pont-de-Vaux le 8 janvier 1791, fut l’ami de Voltaire, édifia Ferney et le port de Versoix ; ses ponts en fer, d’une seule arche, son mémoire sur la cycloïde, les moyens qu’il avoit imaginés pour abriter les vaisseaux en rade, prouvent les talens et l’étendue des connoissances de cet ingénieur, dont M. Amanton a publié l’éloge. Dijon, 1810, in-8.°

Jacques-Germain Soufflot, né en 1713 à Irancy, près d’Auxerre, manifesta, dès sa plus grande jeunesse, un goût décidé pour l’architecture, étudia cet art avec passion, et y acquit des talens distingués ; la bourse, le théâtre, le bel hôpital de Lyon, Ste.-Geneviève de Paris, porteront aux siècles futurs le mérite de cet artiste. Soufflot étoit intendant des bâtimens du roi, membre de l’Académie d’architecture, décoré du cordon de St.-Michel ; il mourut à Paris le 29 août 1780. Son portrait est gravé par Cars.

À côté du bel hôtel édifié sur les dessins de Lemuet, est la rue Brûlart, qui portoit autrefois le nom de petite rue St.-Jean.

Rue Brûlart.Trois magistrats, du nom de Brûlart, ont présidé l’ancien parlement de Bourgogne ; le plus illustre est Nicolas Brûlart, né à Dijon le 19 janvier 1627, et qui succéda en 1657 au président Laisné de la Marguerie.

Il n’avoit que trente ans lorsqu’il fut revêtu de cette haute magistrature ; mais son mérite personnel, sa pénétration, sa fermeté, l’eurent bientôt placé au rang des plus grands magistrats.

Très zélé pour les intérêts de la province, il s’opposa avec fermeté à l’enregistrement de quelques édits préjudiciables à la Bourgogne ; cette résistance ayant déplu à la Cour, Brûlart fut exilé dans la citadelle de Perpignan. À son rappel, le prince de Condé espéra plus de soumission, et reproduisit à l’enregistrement les mêmes édits ; mais non moins ferme que le célèbre procureur-général dont il descendoit, Nicolas Brûlart, répondit avec fermeté : Prince, je vois encore d’ici les tours de Perpignan, et les édits furent retirés pour ne reparoître plus.

Il mourut le 30 août 1692, honoré des regrets de toutes les classes de citoyens, et fut inhumé près de ses pères, en l’église des cordeliers de Dijon. Son portrait est gravé par Landri ; le P. Cenami publia son oraison funèbre. Dijon, 1692.

De l’autre côté de la rue Brûlart étoit l’hôtel de Sennecey.

La maison de Beaufremont, dont celle de Sennecey étoit une branche, étoit l’une des quatre plus anciennes familles de la province ; les aînés prenoient le titre de premier baron chrétien de Bourgogne ; cette race, disoit Henri IV, étoit sage dès le ventre de la mère ; elle avoit contracté des alliances avec presque toutes les maisons souveraines de l’Europe.

Parmi les gentilshommes de cette maison, nous remarquerons :

Pierre de Beaufremont, qui publia le superbe tournois de 1443. V. p. 311.

Nicolas de Beaufremont-Sennecey qui fut deux fois de suite (chose alors sans exemple) élu de la noblesse des états de Bourgogne ; député de cet ordre aux états-généraux de 1560 et 1576, il présida la chambre de la noblesse, et y porta la parole avec la liberté d’un Gaulois, et la dignité d’un Romain ; il fut nommé grand-prévôt, et dans cette place il prit, il faut le dire, une part trop active aux massacres de la Saint Barthelemi, en livrant à la férocité du peuple le malheureux président de la place. il mourut le 20 février 1582.

Claude son fils, élu des états de Bourgogne, président de la noblesse aux états-généraux de 1588 et 1593, y porta la parole avec beaucoup de dignité, de force et d’agrémens ; grand partisan de la ligue, il fut son ambassadeur à Rome, mais il l’abandonna en 1595, et mourut l’année suivante.

Henri, fils du précédent, élu de la province en 1605, président de la noblesse de France aux états-généraux de 1614, ambassadeur en Espagne, maréchal-de-camp, gouverneur d’Auxonne, mourut en 1622 des suites de ses blessures au siège de St.-Antonin.

Ces trois personnages eurent également la confiance de la province, de la noblesse et de leurs rois ; ils sont les seuls qui puissent se vanter d’avoir fourni de pères en fils, et de suite, cinq présidens à la noblesse de France assemblée en états-généraux.

L’hôtel des Beaufremont est devenu celui de M. Gabriel Courtois de Quincey, dernier évêque de Belley, né à Dijon en 1714, grand archidiacre du diocèse de Dijon, sacré évêque le 22 août 1751.

Il est assez curieux de connoître l’anecdote qui fit nommer M. de Quincey à l’évêché de Belley ; le jeune Courtois avoit un beau physique et un extérieur soigné ; on le surnommoit à Paris l’Abbé à la belle jambe : c’en étoit assez pour que l’évêque de Mirepoix, alors chargé de la feuille des bénéfices, ne fût pas disposé en sa faveur.

Un jour ce jeune ecclésiastique voyageoit dans la diligence de Lyon à Paris ; plusieurs abbés s’y trouvèrent, qui ayant à se plaindre de l’évêque de Mirepoix, ne l’épargnèrent pas ; M. de Quincey le défendit avec tant d’esprit et d’adresse, qu’il réduisit ses adversaires au silence.

Parmi les voyageurs étoit un vieux prêtre qui n’avoit pris aucune part à la discussion ; lorsqu’on fut arrivé à Paris, il engagea l’abbé de Quincey d’aller le voir aux Théatins ; peut-être, ajouta-t-il, aurai-je le bonheur de vous être utile, et de vous prouver combien je suis sensible à l’intérêt que vous avez mis à défendre mon frère, l’évêque de Mirepoix.

L’abbé de Quincey ne manqua pas au rendez-vous ; et du plus loin que l’abbé Boyer l’aperçut, il lui tendit les bras, et lui dit, en l’embrassant, allez remercier mon frère, qui vient de vous nommer à l’évêché de Belley ; M. de Quincey s’y rend avec empressement, et l’évêque de Mirepoix n’est pas moins surpris de rencontrer dans celui qu’il venoit nommer, l’abbé qu’il avoit jugé si défavorablement sur l’apparence, mais qui par la suite sut si bien justifier son choix.

Un autre prélat, Bourguignon d’origine, avoit illustré le même siège ; Jean-Pierre Camus, dont l’aïeul étoit maire d’Auxonne, est né à Paris en 1582, fut sacré dans sa cathédrale le 30 août 1609, par Saint François de Sales, dont il étoit l’ami intime. Cet évêque de Belley est connu par ses perpétuelles déclamations contre l’inutile oisiveté des moines de son temps, seul défaut que lui reprochoit le cardinal de Richelieu, sans cela, lui disoit ce ministre, je vous canoniserois. Plût à Dieu, Monseigneur, repart l’évêque, que cela pût arriver, nous aurions l’un et l’autre ce que nous désirons, vous seriez pape et je serois saint.

La vie pieuse et exemplaire de l’évêque de Belley, ses nombreux écrits de controverse et de morale (Niceron en mentionne 186), lui firent offrir les riches évêchés d’Arras et d’Amiens, il les refusa ; la petite femme que j’ai, répondit-il, est assez bonne pour un camus ; il la quitta cependant en 1629, mais ce fut pour se livrer entièrement à l’étude, et se retira dans son abbaye d’Aulnay ; puis dans la vue de travailler plus saintement encore à son salut, il vint se confiner à l’hôpital des incurables à Paris, où il termina ses jours le 26 avril 1652. Son portrait est gravé par Picart et Mellan.

Place St-Jean.Cette place où nous sommes arrivés par la rue Piron, est celle de Saint-Jean, sur laquelle l’on avoit coutume d’allumer chaque année le soir de la veille de Saint Jean-Baptiste, la follière de la Saint Jean, à laquelle Henri IV mit le feu le 23 juin 1595, à huit heures du soir après souper.

Ce feu de joie paroît aussi ancien que le monde, puisqu’il n’est autre chose que la fête du solstice d’été, qui autrefois commençoit l’année, que les Grecs célébroient par leurs fêtes laphries en l’honneur de Diane, que les Romains fêtoient en l’honneur de Janus, et les Juifs, lorsqu’ils rendirent hommage à Moloch, qui n’est autre que Saturne, ou le dieu des périodes et des temps. Michault a fait de l’origine de ces feux le sujet de l’une de ses savantes dissertations ; M. Mailly s’étoit aussi occupé de l’explication de cet usage.

Sur la place St.-Jean étoient plusieurs hôtels remarquables.

En face de la rue Piron étoit l’hôtel d’Orange.

Jean de Châlon, Prince d’Orange, étoit l’un des plus puissans seigneurs de la cour des ducs de Bourgogne ; Louis XI qui connoissoit toute son influence dans la province, le chargea du soin de lui en concilier les habitans, et de les amener à lui laisser prendre la garde du pays de Bourgogne pendant la minorité de la princesse Marie, sa nièce et sa filleule, qu’il annonçoit vouloir marier avec le Dauphin ; le prince d’Orange réussit complètement dans cette mission ; il reçut des états des deux provinces la promesse de fidélité au roi de France, et leur consentement pour recevoir, dans leur pays, garnison française.

Mais dès que Louis XI se vit en possession de ces belles provinces, il cessa de dissimuler, qui nescit dissimulare, nescit regnare, telle étoit sa devise ; il éloigna la conclusion du mariage de la jeune duchesse avec son fils, sous prétexte que celui-ci étoit trop jeune, et ne craignit même pas d’avancer hautement qu’il n’avoit pris possession du duché de Bourgogne qu’à titre de réversibilité à la couronne, faute d’hoirs mâles, et qu’il ne s’étoit emparé du comté qu’en vertu de la donation d’Otton.

Alors Jean de Châlon ne voulut pas encourir, de la part des deux Bourgogne, le reproche de les avoir trompées ; il se retourna du côté de la princesse Marie, qui le nomma son lieutenant-général dans ses pays de Bourgogne, et il fit servir le même crédit qu’il avoit employé en faveur de Louis XI, à faire rentrer dans les mains de l’héritière de Bourgogne, les provinces de son patrimoine ; la Franche-Comté abandonna Louis XI, et retourna, ainsi que le comté d’Auxonne, en l’obéissance de la jeune Marie.

Furieux de la révolution qui venoit de s’opérer dans ces pays, Louis XI fit tomber toute sa colère sur le prince d’Orange, qu’on appeloit par dérision le prince des trente deniers ; il ordonna au sire de Craon de se saisir de sa personne et de le faire brûler vif, mais à défaut d’avoir pu s’emparer de ce prince, on lui fit son procès comme faux et traître chevalier, il fut pendu en effigie, par les pieds, ses biens furent confisqués, et sa maison de la place St.-Jean rasée.

Le prince d’Orange sentant bien qu’il ne pourroit pas ramener en l’obéissance de Marie le duché de Bourgogne, mit tous ses efforts à lui conserver du moins la Franche-Comté, et cependant ne put empêcher Louis XI de s’en rendre maître ; mais après cinq années de guerre entre les deux provinces de Bourgogne, la Franche-Comté fut rendue à la fille du duc Charles, Louis XI conserva le duché, et le prince d’Orange amnistié fut réintégré dans ses biens.

Philibert de Châlon, prince d’Orange, fils du précédent, piqué de n’avoir pas obtenu le pas sur un ambassadeur, quitta la cour de François I.er, et passa au service de l’Empereur ; ses biens de France furent pour la seconde fois confisqués. En 1521 il avoit repris Tournai sur les Français, mais ayant été fait leur prisonnier en 1524, il fut renfermé à la tour de Bourges, où il resta jusqu’au traité de Madrid. En 1527, il prit Rome, et saccagea cette ville ; il fut tué en 1530 dans le combat de Pistoye. Ce prince ne laissa qu’une fille, qui porta ses biens dans la maison de Nassau, de laquelle l’hôtel d’Orange fut acheté par Charles Fêvret, qui l’a fait rebâtir.

À gauche de cet hôtel est la maison où naquit le grand Bossuet, aujourd’hui occupée par un libraire[31] ; à droite est l’hôtel de Jaucourt.

Au côté opposé étoit l’hôtel de Lantenay, depuis appelé de Montgomery, après le mariage de Huguette de Corcelles-Pourlans avec Robert de Montgomeri, issu des anciens rois d’Écosse, et qui habita longtemps cet hôtel dans le XV.e siècle.

Son fils Jacques, duc de Lorges, fut un des plus braves[32] et des plus vaillans capitaines du siècle de François I.er Ce Monarque étant allé passer les premiers jours du mois de janvier 1521 à Romorantin, chez la duchesse d’Angoulême sa mère, informé que la veille de l’Épiphanie le comte de St.-Pol avoit rassemblé chez lui un grand nombre de seigneurs de la cour, pour y tirer le roi de la fêve, François I.er eut la fantaisie d’envoyer défier le roi du festin, plaisanterie assez conforme aux mœurs de chevalerie qui florissoient sous ce règne.

Le comte de St.-Pol, en brave chevalier, accepte le défi avec ses convives ; ils firent ramasser à la hâte des pelotes de neige, des œufs, des pommes, barricadèrent les portes, et se mirent en devoir de soutenir l’assaut.

Mais les assiégés, et cela devoit être, eurent bientôt épuisé leurs munitions de guerre, tandis que les assaillans qui à l’extérieur ne manquoient pas de pelotes de neige, poussoient vigoureusement l’attaque ; ils étoient prêts à enfoncer les portes du logis, lorsque le plus ardent des convives, le capitaine de Lorges, saisissant un tison enflammé, le jetta sur les assiégeans ; il tomba sur la tête du roi, qui fut renversé sans connoissance, et rapporté au château de Romorantin, perdant tout son sang.

On voulut rechercher quel étoit l’imprudent qui avoit été cause de cet accident, mais François I.er ne le voulut pas permettre ; c’est moi, dit-il, qui ai fait la folie, il est juste que j’en boive ma part, et le duc de Lorges ne perdit pas même la faveur du prince[33].

Aussi mal-adroit, mais plus malheureux, Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, fils du précédent, paya de sa tête un accident plus sérieux, mais du même genre ; il semble qu’il ait été dans les destinées de cette famille d’être funeste à nos Rois.

Pendant les réjouissances auxquelles donna lieu le double mariage d’Élizabeth de France avec Philippe II, Roi d’Espagne, et de Margueritte sa tante avec le duc de Savoie, le Roi Henri II avoit préparé des tournois et des carrousels dans des lices dressées à cet effet dans la rue St.-Antoine ; après y avoir lui-même rompu plusieurs lances, enorgueilli de ses succès, sur la fin du troisième jour, 29 juin 1559, le Monarque voulut entrer en lice avec le comte de Montgomery. Ce gentilhomme, extrêmement adroit et heureux les armes à la main, se défendit tant qu’il put d’un si dangereux honneur, mais le prince insista, ordonna même, et le duc de Lorges fut contraint d’obéir. Dans le combat, la lance de Montgomery se brise contre le plastron du Roi, le contrecoup fait ouvrir la visière du casque de Henri II, un éclat de lance y pénètre, et blesse le Monarque à l’œil droit, si fortement, qu’il en fut renversé, perdit la parole et la connoissance le lendemain, et mourut onze jours après, le 10 juillet 1559.

Le Roi avoit ordonné de ne point inquiéter le duc de Lorges, qui en effet ne pouvoit être coupable d’un aussi fâcheux événement ; malgré cela Montgomery crut prudent de s’éloigner de la Cour, et de rester quelque temps en Angleterre ; mais étant rentré en France, ayant été fait prisonnier à Domfront, à la tête d’un parti protestant, et amené à Paris, il y fut immolé à la vengeance de Catherine de Médicis, qui vouloit punir en lui le meurtrier du Roi son époux.

À la lecture de son arrêt de mort qui déclaroit ses enfans roturiers, de Lorges dit : S’ils n’ont la vertu des nobles pour s’en relever, je consens à leur flétrissure : il fut décapité le 26 juin 1574.

Cet hôtel de Montgomery fut ensuite habité par le président Legouz-de-la-Berchère, qui le tenoit de ses ancêtres ; ce fut-là où reçut le jour, en 1647, Charles Legouz-de-la-Berchère, l’un des prélats marquans de la fin du XVII.e siècle. En 1682, il fut vendu aux Oratoriens pour y établir le séminaire du diocèse.

Le Séminaire établi en 1569 dans les bâtimens de la commanderie de la Madeleine, confirmé par lettres-patentes de 1665, transféré à Langres, par M. de Simiane, fut rétabli à Dijon en 1680, sous la direction des pères de l’Oratoire.

Douze bourses étoient fondées dans ce séminaire par les libéralités de P. Odebert, Jean Chretiennot, Jacob de Charmelieu, Hugues Jannon[34] ; le P. Charles de l’Oratoire, les dames de Clugny et de Thésut furent au nombre de ces fondateurs ; aujourd’hui ce séminaire est occupé par des maisons de commerce, le nouveau ayant été placé dans la partie du couvent des Bénédictins, dont l’entrée donne dans la rue Docteur-Maret.

On compte parmi les professeurs de l’ancien séminaire plusieurs ecclésiastiques distingués.

Jean-Baptiste Molinier, né à Arles en 1675, mort le 15 mars 1745, prédicateur célèbre qu’admira Masillon, mais ne soignant point assez ses discours, dans lesquels à côté de traits vifs et saillans se trouvent des disparates foibles et peu travaillés ; ils ont été recueillis en 14 vol. in-12, 1730 et 1734. Le sermon du ciel est son chef-d’œuvre. Son portrait est gravé.

Jean Fauras, né à Dijon le 23 mars 1681, mort en cette ville le 28 octobre 1731, dont plusieurs pièces de poésies latines, estimées dans leur temps, furent imprimées, 1710, in-8.°.

Pierre Tissard, né à Paris en 1666, mort en 1740, auteur de plusieurs pièces de vers imprimées, traducteur, en vers latins, des fables choisies de la Fontaine. 1738, in-12.

Le frère Louis, qui possédoit des talens innés pour l’architecture, et qui fit construire la superbe rotonde de l’hospice Ste.-Anne de Dijon, étoit de maison dans ce séminaire.

Non loin de cet établissement, au nord, étoit l’Oratoire.

Ce couvent fut dans l’origine celui du Val-des-Choux, cénobites austères fondés en 1224 par Jean de Montréal[35] en sa terre de Magny-sur-Tille, puis transférés à Dijon en 1363 par Étienne de Musigny et sa femme, desquels l’on voyoit encore, avant la suppression des monastères, les statues au-dessus de la principale porte d’entrée.

Cette maison passa des religieux du Val-des-Choux à la congrégation de l’Oratoire établie à Dijon en 1621, et qui a fourni plusieurs ecclésiastiques distingués.

Claude Séguenot, né à Avalon le 7 mai 1596, entra à l’Oratoire en 1624, après avoir brillé dans le barreau de Dijon et dans celui de Paris ; il fut choisi par la reine Henriette pour l’accompagner en Angleterre ; à son retour, en 1629, il fut nommé supérieur de la maison de Nancy, puis de celle de Dijon, à la tête de laquelle il resta long-temps. Sa traduction du traité de la virginité de Saint Augustin, dans laquelle le P. Joseph, capucin, crut voir la satire de sa conduite, le fit enfermer pendant quatre années à la Bastille, d’où il ne sortit qu’après la mort du cardinal, en 1642. Le P. Séguenot, très lié avec les Saint Cyran, les d’Arnaud et autres, fut, en 1660, exilé à Boulogne, pour s’être montré trop imbu de la doctrine de Jansénius ; il n’en sortit qu’en 1666, époque à laquelle il fut nommé assistant du général, et supérieur de la maison de Paris, où il mourut le 7 mars 1676.

Claude Saumaise, né à Dijon en 1603, reçu à l’Oratoire en 1635, supérieur des maisons de Tours, Rouen, Dijon, assistant du général en 1669, fut chargé par le chapitre général d’écrire l’histoire de la congrégation ; la mort ne lui permit pas d’achever ce travail, sur lequel il a laissé beaucoup de matériaux. Il mourut à Paris le 25 mars 1680.

Hugues Bouchard, né à Dijon le 8 août 1605, après avoir mené une vie licencieuse, se retira à l’Oratoire en 1632, entreprit les missions les plus pénibles, s’y distingua pendant 40 années par des talens supérieurs ; le cardinal le Camus, le célèbre abbé de Rancé firent plusieurs fois des retraites sous sa conduite. Il mourut à Paris en odeur de sainteté, le 10 octobre 1681.

François de Clugny, né à Aigues-Mortes, le 4 septembre 1637, supérieur de la maison de Dijon en 1655, y mourut en odeur de sainteté le 21 octobre 1694 ; ses œuvres spirituelles forment 10 vol. in-12. ; elles ont été publiées séparément, sous l’humble nom d’un pécheur[36]. Cars fils a gravé son portrait.

Edme-Bernard Bourrée, né à Dijon le 15 février 1652, professeur de théologie à Langres, Châlon-sur-Saône et Dijon, mourut en cette ville le 26 mai 1722. Il publia l’abrégé de la vie du P. Clugny qui précède, et plus de 40 v. d’ouvrages théologiques et de dévotion.

Claude Mallemans, né à Beaune, entra, en 1674, dans la congrégation de l’Oratoire, professa pendant 34 ans la philosophie au collége du Plessis, mourut le 17 avril 1723, âgé de 77 ans ; il publia en 1679 un Traité physique sur la création du monde, plusieurs lettres savantes sur la Pentapole, et sur la quadrature du cercle. Deux de ses frères ont aussi publié des dissertations savantes.

Pierre Pacaud, né en Bretagne, mort le 9 mai 1760, dans un âge avancé, fut long-temps de maison à Dijon ; il eut une grande réputation dans l’art de la prédication, et portoit dans la chaire la noble simplicité de l’évangile. Ses discours sur les points importans de la religion ont été publiés en 1745, in-12., 3 vol.

Presque en face du couvent de l’Oratoire étoit l’hôtel de Vergennes.

Charles Gravier, comte de Vergennes, né en Bourgogne, l’an 1719, étoit doué d’un esprit actif et conciliant, d’un coup d’œil infiniment juste ; il joignoit à un travail opiniâtre les moyens de se rendre accessible à tout le monde.

L’ambassade de Constantinople, en 1755, ouvrit sa carrière diplomatique ; il s’y concilia l’estime de la France et de la Porte, des impératrices Catherine et Marie-Thérèse ; envoyé comme ambassadeur en Suède, en 1771, il eut beaucoup de part à la révolution qui s’opéra dans ce royaume ; ministre des affaires étrangères en 1774, on lui dut la paix de Teschen et celle de 1783, les traités de commerce avec la Russie et celui avec l’Angleterre. Chargé du département de l’intérieur, président du conseil des finances, dans toutes les fonctions auxquelles il fut appelé, M. de Vergennes mérita la confiance du Monarque et des sujets ; il ne se délassoit de ses travaux qu’au sein de sa famille, dont il étoit chéri, et dans un cercle d’amis vertueux ; sa vie fut un modèle pour les hommes publics, sa mort leur offrit encore des leçons.

Elle fut un véritable deuil public ; Louis XVI le pleura, les peuples le regrettèrent, les spectacles furent fermés, toute la cour assista à ses obsèques, qui eurent lieu le 13 février 1787. Son portrait est gravé.

Rue Bossuet.Cette rue, qui portoit le nom de l’Oratoire, a pris celui d’un des plus grands hommes dont Dijon, la France, l’Église, le XVII.e siècle aient à s’honorer.

Jacques-Benigne Bossuet naquit à Dijon le 27 septembre 1627, dans la maison qui appartenoit à ses pères, place St.-Jean, n.° 1290 ; il étoit fils de Benigne Bossuet, alors avocat et conseil des états de Bourgogne, puis substitut du procureur-général du parlement de Dijon en 1631, enfin conseiller au parlement de Metz en 1633, dont il mourut le doyen ; Margueritte Mochet, fille de Claude Mochet, seigneur d’Azu et de St.-Romain, avocat au parlement de Bourgogne[37], étoit mère de cet évêque.

La famille Bossuet étoit originaire de Seurre : dès les premières années du XVI.e siècle, elle donna des maires à cette ville, ses armes étoient un cep de vigne, et pour devise bon Bois Bossu est : vers 1550 une branche de cette famille vint s’établir à Auxonne et une autre à Dijon. Jacques Bossuet fut maire de Dijon en 1612, André Bossuet étoit en 1616 conseiller au grenier à sel d’Auxonne, tous les deux eurent pour fils un Benigne Bossuet, dont l’un issu de Claudine Margeret, et l’autre fils de Claudine de Bretagne, aïeule du célèbre évêque de Meaux et de l’intendant de Soissons.

Jacques-Benigne Bossuet fit ses premières études au collége de Dijon ; son ardeur au travail l’avoit fait surnommer par ses condisciples bos sueto aratro ; à l’âge de quinze ans il fut envoyé à Paris pour achever son éducation, il se consacra à l’état ecclésiastique, fut nommé archidiacre et doyen de la cathédrale de Metz, où il passa quelques années près de son père, qui, devenu veuf, avoit reçu l’ordre de la prêtrise.

Dès l’âge de seize ans[38], le jeune Bossuet prononça un sermon sur un sujet donné, et parla, pendant une heure, comme s’il eût été préparé ; Voiture, qui y étoit présent, dit qu’il n’avoit jamais entendu prêcher sitôt ni si tard ; il étoit onze heures du soir.

Ses succès dans l’art de la chaire, ayant eu de l’éclat, Bossuet fut appelé à la cour, pour y prêcher les carêmes de 1661 et 1662, il y prêcha celui de 1666 et l’avent de 1668 ; le Roi fut si satisfait du jeune orateur, qu’il le nomma à l’évêché de Condom, et lui confia l’instruction du Dauphin. Ce fut pour cet illustre élève que Bossuet composa son célèbre discours sur l’histoire universelle ; il fut nommé premier aumônier de Mad.e la Dauphine, et en 1681 évêque de Meaux.

Les mœurs de Bossuet étoient aussi sévères que sa morale ; ayant pris une part très active aux accusations dirigées contre l’illustre Fénélon, sur lequel il l’emporta, Louis XIV lui demandoit un jour à ce sujet : Qu’auriez-vous donc fait si j’avois protégé M. de Cambray ? Sire, j’aurois crié vingt fois plus haut ; quand on défend la vérité, l’on est assuré de triompher tôt ou tard.

Sur le déclin de ses ans, le grand Bossuet s’étoit confiné dans son diocèse, où il aimoit à faire l’instruction aux enfans et aux pauvres, non moins grand en catéchisant dans une église de village qu’il ne le fut dans la chapelle de Versailles.

Les oraisons funèbres de Bossuet lui ont assigné le premier rang parmi les orateurs chrétiens ; ses traités sur les matières de religion l’ont mis au nombre des pères de l’église ; ses discussions théologiques l’ont fait surnommer la lampe ardente de l’église gallicane. Il mourut de la pierre à Paris, le 12 avril 1704. Son portrait est le chef-d’œuvre de Rigaud et de Drevet. L’abbé Talbert, le P. Larue, M. de Burigny et autres, ont publié l’éloge de ce Chrysostôme moderne, le plus illustre des prélats français.

Je termine à lui ces essais biographiques ; après vous avoir entretenu du grand Bossuet, que pourrois-je vous dire qui pût encore vous intéresser ? Je dois laisser votre esprit se reposer sur la pensée de ce grand homme.

Vous voyez la rue de l’hôtel où vous êtes descendu ; mais veuillez permettre que ce soit mon tour, et que j’aie l’honneur de vous recevoir chez moi ; nous y ferons une tournée moins fatigante, sur les plans de Noinville et Beaurain pour l’extérieur, de Miquel pour l’intérieur de la ville, et de Lepautre pour notre dernière tournée ; vous reverrez avec plaisir les gravures des monumens et des lieux qui vous ont intéressé ; je vous les montrerai dans le Voyage pittoresque de France, l’histoire générale de Bourgogne, les ouvrages de M. Legouz-Gerland, de M. Baudot, et les gravures données par M. Antoine ; je pourrai vous faire voir une assez nombreuse collection des portraits des hommes célèbres de Bourgogne, desquels je vous ai entretenu ; je mettrai à votre disposition les histoires de Bourgogne de Paradin, St. Julien de Baleure, D. Plancher et D. Merle, celles publiées par Courtépée, Beguillet et Mille, les fragmens qu’en ont donnés les abbés Richard et Chennevet à la suite des almanachs de la province, les dissertations de Legouz-Gerland, Baudot, Boullemier, la Bibliothèque historique de France, par Fevret-Fontette.

Je vous ouvrirai le recueil de chartres de Perard, celui des titres des états de Bourgogne, le parlement de Bourgogne de Palliot, la chambre des comptes par Hector Joly, l’armorial des gentilshommes ayant entrée aux états, le Panthéon dijonnais, la dissert. de claris fori burgund. orat., la bibliothèque des auteurs de Bourgogne de Papillon, l’histoire de Saint-Étienne par Fyot, de Notre-Dame par Gaudrillet, l’état des officiers de nos ducs par D. Desalles, les mémoires de l’Académie de Dijon, la collection des journaux de la province, de la ville et du département, les nécrologies de Moréri, Niceron, Chaudon et Delandine, Desessarts, la maison Fort, Prudhomme, et Michaut, etc., etc., etc. C’est dans tous ces ouvrages et quelques autres[39] que j’ai puisé ce que j’ai pu vous dire d’intéressant, car en matière d’histoire je n’ai rien dû inventer, rien imaginer ; mais comme je n’ai pas eu la prétention de vouloir tout dire, si vous désirez plus de détails, c’est dans ces sources où vous pourrez les rechercher ; elles vous satisferont pleinement sur tous les objets qui peuvent avoir piqué votre curiosité.

Mon plan étoit de vous montrer combien la ville de Dijon peut offrir d’intérêt, sous les rapports historiques et biographiques ; mon but sera rempli, si ces essais ont pu vous inspirer le désir d’en apprendre davantage.

FIN.


  1. Jean Girard, né à Dijon, long-temps lieutenant-général du bailliage, et Maire de la ville d’Auxonne, fut, au dire de Théodore de Beze, un homme de bonnes lettres et d’un gentil esprit ; il excelloit dans la poésie latine ; Papillon mentionne treize de ses ouvrages qui furent imprimés ; son portrait fut gravé en 1558 par Fradin ; il mourut en 1586, âgé de soixante et douze ans.
  2. Héliodore de Thiard, son aïeul, avoit commencé sa carrière militaire par le combat de la Gresille, où attaqué par huit soldats, il parvint à conserver l’enseigne qu’il portoit ; il enleva par escalade aux ligueurs la ville de Verdun-sur-Saône, et la remit sous l’obéissance de Henri III qui lui en confia le gouvernement. Il vendit son patrimoine pour fournir à l’approvisionnement de cette place, et eut deux fois à la défendre contre les troupes de la ligue. Ayant entrepris de délivrer la ville de Beaune dont le duc de Mayenne s’étoit emparé, il reçut cinq blessures à cette attaque, et ne cessa de combattre que lorsqu’il eut perdu les forces et la vie, le 22 août 1593, âgé de trente-trois ans. Il méritoit d’avoir pour femme une héroïne. Margueritte de Busseuil, partageant la vaillance de son mari, défendit avec lui Verdun contre les troupes de la ligue, et mourut sur la brèche par l’explosion des poudres qu’elle distribuoit elle-même aux soldats.
  3. Denis Marin, né à Auxonne le 26 janvier 1601, s’éleva par son propre mérite au rang d’intendant des finances de France sous le règne de Louis XIV ; il avoit la confiance de ce monarque et du grand Colbert ; il fut membre de ce Conseil dont émanèrent les ordonnances de Louis XIV sur la réformation de la justice, fut le protecteur et le bienfaiteur de sa patrie, et mourut à Paris le 27 juin 1678. M. Amanton a publié son éloge, in-8.°
  4. Cette maison, écossaise d’origine, subsiste depuis long-temps en Bourgogne. Le chevalier de Conighan, lieutenant-colonel au régiment Dauphin en 1734, défendit Colorno sous les ordres de M. de Contades, qui, après avoir eu la prudence de consulter ce vieux soldat, fut assez généreux pour lui faire honneur du succès de cette opération. Tous deux en furent récompensés ; M. de Conighan fut nommé colonel du régiment de Flandres, mais il ne voulut jamais quitter son ancien uniforme : Je suis trop âgé, disoit-il, pour changer de livrée. Cet officier, dit l’histoire, étoit un vieillard de tête et de main.
  5. En réponse à la lettre qui lui annonçoit la prise de cette ville, M. de Montausier écrivit au Dauphin qu’il n’en étoit pas étonné : Vous aviez avec vous du canon, une armée, et Vauban.
  6. Ponthus de Thiard, né à Bissy en 1521, a illustré le siège épiscopal de Châlon-sur-Saône. Ses poésies le firent surnommer, dans son temps, l’Anacréon français ; il n’étoit pas moins profond dans les mathématiques, et la philosophie, omniapontus erat. Il étoit lié avec les Ronsard, les Desportes, les Pasquier, et resta constamment attaché au parti des six rois sous lesquels il vécut : il mourut le 3 septembre 1605, à Bragny où il fut inhumé. Cyrus de Thiard, son neveu, lui succéda au siège épiscopal de Châlon. Le portrait de Ponthus est gravé par Deleu. Henri Pons de Thiard, autre prélat de la même famille, né à Pierre le 25 mai 1657, Évêque de Toul en 1687, de Meaux en 1704, Abbé de Saint-Germain-des-Prés, Cardinal en 1715, avoit assisté à trois conclaves. Il mourut à Paris le 26 juillet 1737. Il a écrit deux vol. in-4.o sur la Constitution Unigenitus, et c’est ce qu’il y a de mieux sur cette matière jadis très importante, aujourd’hui dans l’oubli. Son portrait peint par Rigaud, a été gravé par Desrochers.
  7. Cet ordre fut institué par Philippe-le-Bon, le jour de ses noces avec Isabelle de Portugal ; le troisième chapitre général se tint à l’occasion de la naissance du Comte de Charolais, l’an 1433, à la Sainte-Chapelle : l’on y voyoit encore, dans ces derniers temps, les écussons des chevaliers au-dessus des stalles des chanoines. Plus haut étoient suspendus les drapeaux pris à la célèbre bataille de Rocroi, desquels le vainqueur fit hommage à cette église le 24 juin 1643.
  8. Louis XIV vint encore à Dijon les 5 novembre 1658, 8 février 1668, 30 avril 1674, et le 6 juin 1683.
  9. Étoit-ce à Louis XI à blâmer les libéralités de Philippe-le-Bon envers son chancelier ? Louis XI dont on connoît les prodigalités vis-à-vis de Jacques Coytier son médecin, auquel il donna, en moins de huit mois, 98000 écus, indépendamment des domaines considérables dont il avoit déjà gratifié ce médecin, qui le maîtrisoit au point de le menacer de le laisser mourir, s’il ne déféroit à ses volontés.
  10. M. Amanton s’est occupé de l’histoire métallique des Maires de Dijon, qu’il doit publier incessamment. Ses recherches ne peuvent rester sans intérêt pour l’histoire de la ville de Dijon.
  11. Saint Médard, mort à Noyon le 8 juin 545, fonda, dix ans avant sa mort, à Salency, lieu de sa naissance, la cérémonie de cette rose déférée à la plus vertueuse, recherchée avec empressement, qui fit aimer la vertu, et conserva si long-temps cette pureté de mœurs, le bonheur et la gloire des habitans de Salency ; institution morale qu’on s’est, avec raison, empressé d’adopter dans plusieurs communes rurales.
  12. Gaspard Le Compasseur-Créqui-Montfort, marquis de Courtivron, mestre de camp de cavalerie, pensionnaire de l’Académie des sciences, né en 1715, embrassa de bonne heure la profession des armes, dans laquelle il se distingua lors de la campagne de Bohême, en qualité de maréchal général de l’armée du Comte de Saxe, qu’il tira en Bavière d’un péril éminent où l’impétuosité de son courage l’avoit engagé ; gravement blessé à cette action, il fut obligé de renoncer à l’état militaire, et depuis se livra tout entier aux sciences. Différens mémoires sur des objets de mécanique, d’astronomie et d’optique, furent le fruit de ses loisirs : on lui doit encore plusieurs mémoires sur l’épizootie de Bourgogne ; et dans la grande description des arts et métiers, l’art des forges et fourneaux à fer, en société avec M. Bouchu ; un traité d’optique, 1752, in-4.o Il mourut le 4 octobre 1785. Ce fut au marquis de Courtivron, pour lors commandant en Bohème, que fut adressé ce fameux billet du Comte de Saxe :
    À hommes de cœur, courtes paroles ; qu’on se batte, j’arrive. Maurice de Saxe.
    M. de Courtivron répondit à l’idée que ce billet donnait de lui.
  13. Jacques de Vintimille, descendant des Comtes souverains de Vintimiglia, alliés aux Paléologue, aux Lascaris, et autres grandes familles de l’empire d’Orient. Son père ayant été tué en 1522, à la prise de Rhodes par Soliman, contraint d’abandonner en bas âge le lieu de sa naissance, le jeune Vintimille fut amené et élevé en France par les soins de Georges Vauzelles, chevalier de l’ordre de Malthe, qui le fit instruire dans les sciences des lois et des mathématiques, dans les belles-lettres et les beaux arts. Il fréquenta les universités d’Espagne et d’Italie, revint à Paris, y publia les Pandectes florentines, traduisit la cyropédie de Xenophon, l’histoire d’Hérodian, le Prince de Machiavel, ouvrages qui le firent accueillir à la Cour de France, et lui valurent une place de Conseiller dans le Parlement de Bourgogne, où il fut reçu en 1550, et mourut en 1582. Son portrait est gravé.
  14. L’Évêché de Dijon ne fut érigé qu’en 1731 ; jusques-là Dijon avoit fait partie du diocèse de Langres, dont l’Évêque étoit duc et pair de France, parce que la Bourgogne étoit la première pairie du royaume. La mense épiscopale fut formée des abbayes de Saint-Benigne, de Bèze et de Saint-Étienne : Jean Bouhier fut le premier prélat qui occupa ce siège ; Claude Bouhier l’occupa en 1744 ; Marc-Antoine d’Apchon, en 1757 ; Jacq.-Jos.-Fr. de Vogüé, en 1776 ; René Desmonstiers, en 1787 ; J. B. Volfius, en 1791 ; H. Reymond, en 1800.
  15. Ce fut dans cette église que, le 6 mars 1773, fut faite, par M. Guyton de Morveau, la première épreuve de son procédé de désinfection de l’air ; découverte qui fait le plus grand honneur au savant qui l’a inventée, comme au siècle qui l’a vu naître. M. Guyton-Morveau est un de ceux qui a fait faire les plus grands pas aux sciences physiques et naturelles.
  16. Ce fut la révocation de cet édit, sous le règne de Louis XIV, en 1685, qui fit quitter la Bourgogne à Georges-Louis Lesage, né à Couches le 9 janvier 1676, descendant par les femmes de Théodore Agrippa d’Aubigné, aïeul de Mad.e de Maintenon. Savant professeur de mathématiques et de philosophie à Genève, M. Lesage s’y fixa, et y publia sur ces sciences, plusieurs ouvrages très estimés, dont les principaux sont : Le mécanisme de l’esprit, 1699, in-12 ; La Religion du philosophe, 1702, in-12 ; Aphorismes de philosophie, 1718, in-12 ; Abrégé de physique, 1730 ; et autres, mentionnés dans la Bibliothèque de Bourgogne. Il mourut à Genève en 1759. Son fils G. L. Lesage n’a pas eu moins de réputation et de talens ; sa vie a été publiée par Pierre Prévost d’Irai. Genève 1805, in-8.°, 600 pages.
  17. François Fyot de Montpont, né à Dijon le 1.er décembre 1669, conseiller au Parlement de Paris en 1690, y mourut le 4 juillet 1716. Il avoit publié, Qualités nécessaires au Juge, in-12, 1700 ; Tableau du sénat romain, 1715, in-12 ; Éloge et devoirs de l’avocat, in. 12, 1713, etc. etc.
  18. On lit dans les mélanges de Michault, cette anecdote sur Santeuil et Bossuet.L’Évêque, après avoir donné quelques avis à Santeuil, finit par lui dire : Votre vie est peu édifiante, et si j’étois votre supérieur, je vous enverrois dans une petite cure dire votre bréviaire. Et moi, repart vivement Santeuil, si j’étois Roi de France, je vous ferois sortir de votre Germigny, et vous enverrois dans l’île de Pathmos, faire un nouvel Apocalypse.
  19. Le père Rapin lui montrant une pièce de vers latins où le mot quoniam se trouvoit souvent répété, Santeuil lui récita le pseaume Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam, etc. Rapin lui laisse réciter en entier le pseaume, et lui tournant le dos, lui riposte par ce demi-vers de Virgile : Insanire libet quoniam tibi.
  20. Dans son voyage de Bourgogne, Santeuil étant allé à Cîteaux, demanda à l’un des moines qui lui montroit la maison, de lui faire voir l’appartement de la Molesse dont il est parlé dans le Lutrin. Vous y êtes, lui répondit le Bernardin, mais actuellement la Molesse n’y est plus, c’est la Folie qui a pris sa place.
  21. À ses derniers momens, un page se présente jusques dans sa chambre pour savoir de ses nouvelles de la part de Son Altesse ; Santeuil lève les yeux au ciel, et dit : Tu solus altissimus. Ce furent les dernières paroles qu’il prononça.
  22. Les gastronomes connoissent encore un Pierre Varenne mort à Dijon en 1678, auteur du Cuisinier français, qui a été plus souvent réimprimé que le plus savant ouvrage ; c’est celui-là que les gourmands appellent aussi par dérision, le grand Varenne.
  23. Claude Jean-Bapt. Hoin, son second fils, né à Dijon le 5 juin 1750, premier peintre de Monsieur, frère de Louis XVI, doyen de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, est aujourd’hui Conservateur des Musées de peinture, sculpture et gravure de cette ville.
  24. Cet avocat J. Richard, natif de Dijon, étoit un érudit, vir multæ lectionis, et un agréable poëte latin : ses vers, dit Ch. Févret, respiroient la gravité de Virgile, la finesse de Martial, la douceur de Catulle ; il est l’annotateur de Pétrone, et laissa des fragmens historiques sur l’ancienne origine des Francs.
  25. Roger de Saint-Larry, duc de Bellegarde, Pair et grand Écuyer de France, Gouverneur de Bourgogne, comblé de biens et d’honneurs par les Rois Henri III, Henri IV et Louis XIII, après avoir été le torrent de la faveur, fut abreuvé de disgrâces pour l’attachement qu’il conserva à Gaston d’Orléans ; ainsi de Thou et Chabot-Brion furent victimes des sentimens qu’ils conservèrent à leurs amis tombés dans l’infortune. Le Duc de Bellegarde avoit été l’amant de Gabrielle d’Estrées qu’il vanta si fort à Henri IV, que ce prince la lui enleva et exila l’amant récédé. Ce seigneur réunissoit la franchise gauloise à l’urbanité française, étoit d’un excellent conseil. Il mourut à Paris le 13 juillet 1646, âgé de quatre-vingt-trois ans ; son corps fut transporté à Dijon et inhumé dans l’église des Jésuites, ainsi qu’il l’avoit désiré. Son portrait est gravé par de Pas et Montcornet.
  26. Edme Béguillet, notaire à Dijon, est né dans cette ville et mourut à Paris en mai 1786 ; il s’étoit occupé d’une grande Histoire de la ville de Dijon, de laquelle il parle dans la dissertation qu’il fit insérer au Journal encyclopédique d’août 1776, sur la Mairie et la Commune de Dijon ; il publia en 1772, in-12, 2 vol. une Histoire abrégée des guerres des deux Bourgogne sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV. Béguillet est encore connu par une quantité d’écrits économiques, tels que les Principes de la végétation, l’Ænologie, la Mouture économique, le Manuel du meunier et du charpentier de moulins, sur le blé cornu, sur la connoissance des grains, les subsistances, etc. Il fut de société avec Poncelin dans l’Histoire de Paris et de ses monumens, 1780, in-8o, 3 vol.
  27. Laurent Bourceret, natif de Dijon, professeur au collége de Bourgogne, recteur de l’Université en 1584, mort principal du collége de la Marche, le 25 septembre 1629, dans un âge très avancé, est auteur de plusieurs harangues imprimées, 1584 et 1627, in-8o, parmi lesquelles on distingue celle qui a pour sujet : Hæreticos non expellendos, non cogendos, sed nobiscum retinendos et conservandos esse.
    Benigne Grenan, né à Noyers en Bourgogne en 1681, professeur de rhétorique au collége d’Harcourt, y mourut le 13 mai 1723 ; il a laissé des harangues et des poésies en langue latine, estimées pour l’élégance du style et la noblesse des pensées ; les unes et les autres sont insérées en partie dans les recueils des œuvres des professeurs de l’Université de Paris.
  28. La tradition rapporte, au sujet de cette pièce de vers, des détails qu’il n’est pas hors de propos de consigner. Piron étoit à déjeûner avec plusieurs jeunes gens de son âge ; le bon vin ayant un peu trop, et même outre mesure, égayé les propos, un défi fut porté à qui feroit la pièce de poésie la plus libertine pour être lue et jugée à leur prochaine réunion ; chacun des convives donna la sienne ; Piron montra son Ode à Priape, elle fut jugée celle qui l’emportoit sur les autres ; elle est en effet le nec plus ultrà de la licence, mais en même temps un chef-d’œuvre de verve et de vraie poésie
    Plusieurs copies en furent prises et l’ode circula. Cependant le respect dû aux mœurs ne pouvoit tolérer qu’on répandît dans le public une pièce aussi licencieuse, et le Procureur général informa d’office contre le quidam auteur de ces vers libertins, pour le faire punir suivant la sévérité des lois. Le jeune Piron étoit connu pour l’avoir faite, il ne pouvoit manquer d’être dénoncé à l’autorité, et conséquemment alloit être flétri dès les premiers pas de sa carrière. Un magistrat de mœurs sévères, mais indulgent pour les fautes de jeunesse, découvrant dans cette ode, le germe de talens supérieurs, et ne voulant pas priver son siècle d’un poëte qui s’annonçoit, et comprimer dès son début l’essor du génie, fut trouver le Procureur général, et lui dit qu’il venoit lui désigner celui qui avoit fait l’ode contre laquelle il avoit donné son réquisitoire, et se nomma pour en être l’auteur. Le Procureur général interdit, comprit aussitôt que le Président Bouhier vouloit sauver le jeune poëte, et l’information resta assoupie au greffe de la Cour.
  29. Jacques-Louis Vallon, marquis de Mimeures, né à Dijon le 19 novembre 1659, Chevalier de Saint Louis, Lieutenant général des armées du Roi, Gouverneur d’Auxonne où il mourut le 3 mars 1719, fut admis en 1707 à l’Académie française. Poëte latin et français, ses vers pleins de finesse et de grâces, sont dignes de Tibulle et d’Anacréon ; sa seule traduction de la XIX.e ode, liv. I.er d’Horace, suffit pour assigner au marquis de Mimeures un rang distingué parmi les poëtes français, au jugement de Dalembert et de Voltaire.
  30. En 1769, un jeune homme nommé Philibeau étant mort quelque temps avant la distribution de la médaille, celui qui l’obtint, jugeant le défunt plus digne que lui de la recevoir, l’attacha à un rameau orné de deux couronnes, l’une d’épis, l’autre de roses, et fut planter le rameau sur la tombe de son ami, en disant, tu la méritois mieux que moi.
  31. En allant visiter la maison d’un grand homme, on aimeroit à la retrouver sans aucun changement, et telle qu’elle étoit à l’époque où il l’habita ; mais peu de personnes s’imposeroient la loi de conserver religieusement une maison dans son état ancien ; il n’appartient qu’à la pauvreté de les laisser telles qu’elles furent jadis, et j’aime mieux la modeste maison de Vauban occupée par un sabotier que par un homme riche ; du moins en y entrant, j’y reconnois la place où reposoit le berceau d’un grand homme, la croisée par laquelle le soleil répandoit sur lui ses rayons bienfaisans ; j’y retrouve la cheminée, le foyer près duquel je me le représente assis ; j’examine avec respect tous les détails de la maison : il n’en est pas de même si elle a changé de forme et de distribution intérieure.
  32. Brantome raconte qu’un jour que François I.er regardoit combattre des lions depuis le balcon du palais des Tournelles, une dame laissa tomber son gant, dans l’arène, et dit au capitaine de Lorges : Si vous voulez que je croie que vous m’aimez autant que vous me le jurez tous les jours, allez ramasser mon gant. De Lorges descend, se fait ouvrir l’arène, ramasse le gant au milieu de ces animaux furieux, remonte au balcon, et jette le gant au nez de la dame qu’il ne voulut jamais voir depuis, quelques agaceries qu’il en reçût.
  33. On attribue à cet événement, l’usage de porter la barbe longue et les cheveux courts ; François I.er ayant été obligé de se faire couper les siens par rapport à sa blessure, tous les courtisans s’empressèrent d’adopter cette mode qui subsista jusqu’aux énormes perruques dont on s’affubla la tête sous le règne de Louis XIV.
  34. Hugues Jannon, né à Dijon en 1617, chanoine de Nuits, obédienciaire de Saint-Just à Lyon, curé d’Auxonne où il mourut en 1689, fut encore fondateur de deux bourses au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, à la collation de l’Official d’Auxonne, en faveur de deux jeunes gens aspirant au sacerdoce, parmi lesquels on devoit préférer ceux nés à Auxonne ; l’acte de cette fondation est du 29 novembre 1688 : l’hospice de Sainte-Reine compte aussi cet ecclésiastique au nombre de ses bienfaiteurs.
  35. Autant ce Jean de Montréal fut libéral envers les églises, autant son frère Anseric en fut le spoliateur, pillant les temples, maltraitant leurs ministres. Ses excès furent tels, que des plaintes en étant parvenues à Saint Louis, ce monarque avertit le duc Hugues IV d’avoir à réprimer les violences de son vassal. Celui-ci, au lieu de réparer ses torts, alla hardiment se présenter au Roi ; mais il ne put ni se justifier, ni répondre à ses accusateurs, pas même se déterminer à recourir à la clémence du Souverain, et sa terre de Montréal fut confisquée.
  36. À côté de cet humble pécheur, plaçons un pauvre Prêtre ; c’est le nom sous lequel est connu Claude Bernard, né à Dijon le 26 décembre 1588, qui, né de parens riches et tenant dans la société un rang honorable, se dégoûta du monde où cependant il brilloit autant par son esprit que par son affabilité, embrassa l’état ecclésiastique et s’y consacra à la pauvreté et au service des indigens. Ayant résigné le seul bénéfice qu’il eût, s’étant dépouillé d’un patrimoine d’environ 400,000 fr., le cardinal de Richelieu le nomma à une riche abbaye du diocèse de Soissons ; Bernard la refusa, se bornant à demander au Ministre de faire raccommoder les planches de la charette sur laquelle il accompagnoit les criminels au supplice, fonctions pénibles auxquelles il s’étoit voué ; il mourut le 23 mars 1641, en revenant de l’une de ces exécutions. Ce saint homme avoit l’esprit vif et enjoué, sa conversation plaisoit aux grands qu’il ménageoit pour les faire servir d’appui aux pauvres ; il alloit à la Cour, y disoit la vérité, mais d’une manière si adroite, qu’elle lui concilioit la bienveillance et le respect. Sollicitant un jour un puissant en faveur d’un malheureux, il en reçut un soufflet : Donnez-m’en deux, dit-il, et accordez-moi ce que je vous demande. Il l’obtint. Legauffre a écrit sa vie ; Rousselet, Desrochers et autres, ont gravé son portrait.
  37. Claude Mochet ou Du Mouchet, fils de Guyon du Mouchet, échanson du Roi d’Espagne, grand bailli d’épée et gouverneur du Charolais, et d’Étiennette Perrenot, petite-fille du Chancelier de ce nom, nièce du Cardinal de Granvelle, étoit, dit Ch. Fevret, un homme qu’on ne sauroit assez louer, et dont on ne doit prononcer le nom qu’avec vénération, tant par rapport à ses grands talens, qu’à cause de ses belles qualités et de ses éminentes vertus : Summâ cum lande ab omnibus colebatur. Reçu avocat avant les troubles de la ligue, il quitta le barreau pour le service militaire, se distingua à la tête de la cavalerie, et commandoit un corps de cuirassiers. Ces troubles appaisés, Claude Mochet retourna à sa première profession, et ne s’y distingua pas moins que dans la carrière des armes. Député de Bourgogne aux états de 1614, il y fit admirer la force et la solidité de son esprit, et déploya un grand courage dans les circonstances les plus difficiles : il en fut récompensé par un brevet de Conseiller honoraire au parlement de Bourgogne. Il avoit épousé Edmée Humbert.
  38. Cet âge prouve que c’est bien gratuitement que l’on a avancé qu’il y avoit eu un contrat de mariage signé entre Bossuet et Mlle. Desvieux de Moléon, et que quoique ce mariage n’ait pas été célébré, il en naquit un fils naturel qui étoit Saint-Hyacinthe. Le savant éditeur du Chef-d’œuvre d’un inconnu (Paris, Renouard, 1807, in-8.o), a réfuté cette calomnie jusqu’à l’évidence. M. de Burigny en a justifié complètement Bossuet, dans la vie de cet illustre prélat.
  39. Je dois plusieurs bons renseignemens à MM. Amanton, Conseiller de Préfecture ; Antoine, doyen des Ingénieurs des ponts et chaussées ; Baudot aîné, ancien Substitut ; Baudot puîné, Juge de première instance ; Coindé, Archiviste de la Préfecture ; Garot, chef du bureau de l’état civil ; Leschevin, Commissaire des poudres et salpêtres ; Peignot, Inspecteur de la librairie ; Vaillant, Secrétaire-général de la Préf. ; Volfius, Évêque démission. Je les prie d’en agréer mes remercîmens publics.