Girault - Manuel de l'étranger à Dijon, 1824 - Essais, seconde partie

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SECONDE PARTIE.


Rue Guillaume.Vous êtes logé, Monsieur, dans la rue de ce bon abbé Guillaume, duquel Dijon aime à conserver le souvenir, il vivoit dans le XI.e siècle ; disciple de Saint Mayeul abbé de Cluny, D. Guillaume devint un célèbre réformateur de monastères, rétablit la discipline dans celui de Saint Bénigne dont il fut le 39.e abbé. Il y prêcha d’exemple ; ses vertus et sa piété le placèrent au rang des saints de son ordre, et parmi les grands hommes de son siècle. Ce fut lui qui fit édifier le portail de Saint-Bénigne, estimé pour ses belles proportions, monument que les orages révolutionnaires ont, en partie, mutilé, mais dont Urbain Plancher nous a conservé la gravure.

Ce qui rendit surtout la mémoire de l’abbé Guillaume respectable aux Dijonnais, c’est que, dans une année de famine générale, il vendit jusques aux croix, couronnes d’or et vases précieux, desquels le roi Gontran avoit enrichi son église, pour en distribuer le prix aux pauvres, tant il est vrai que la vertu sans les œuvres est morte. C’est ce trait de la vie de ce saint abbé qui a conservé son nom au souvenir de la postérité et maintenu sa mémoire en vénération ; c’est cet acte de bienfaisance dont les Dijonnais se sont montrés reconnoissans, en maintenant à cette rue le nom de Guillaume.

Dans la rue Guillaume, nacquit en 1755, et demeura dans sa jeunesse, Jean-Antoine Lansel, membre de plusieurs sociétés littéraires de Paris et des départemens ; chef de division, pour la partie des manufactures et du commerce, au ministère de l’intérieur. M. Lansel a donné plusieurs bons mémoires sur l’industrie et le commerce que peut avoir la ville de Dijon, 1789 ; sur la nécessité d’un régime pour conserver et faire fleurir le commerce et les manufactures en France. 1793. 2.e édition. De l’industrie et du commerce du Languedoc. 1785, etc. etc. Il mourut à Paris en 1808.

Rue Docteur-Maret.En face de nous est la rue Docteur Maret, rue nouvellement ouverte à travers les jardins de Saint-Bénigne, et à laquelle on a donné le nom d’un médecin célèbre, père de M. le Duc de Bassano et de M. le Comte Maret, conseiller d’État.

Hugues Maret, né à Dijon le 6 octobre 1726, long-temps secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, arts et belles-lettres de cette ville, fut enlevé à cette compagnie dont il étoit l’âme, le 11 juin 1785, et mourut victime de son zèle dans l’épidémie de Fresne-Saint-Mametz, dont il étoit allé arrêter les progrès, d’après les ordres du Gouvernement. Ce médecin parvint à mettre un terme à cette maladie, mais il en fut atteint et y fut immolé lui-même. — Le docteur Maret, censeur royal, correspondant de l’académie des sciences de Paris, est connu par une foule d’écrits sur la médecine, la physique et l’histoire naturelle, par sa correspondance avec les corps savans de l’Europe ; il publia les éloges de Rameau, de Legouz-Gerland, de Durey de Noinville, et l’histoire de l’académie en tête du premier volume des mémoires de cette société, desquels il fut éditeur. Entre autres couronnes académiques qui ceignirent le front respectable de ce médecin célèbre, l’on doit distinguer celle que lui déféra l’académie d’Amiens, (sur l’influence des mœurs des Français sur leur santé ;) c’est un des plus intéressans mémoires du docteur Maret ; il fut imprimé à Amiens, 1772. in-12. M. Mailly prononça son éloge.

Jean-Philibert Maret, oncle du précédent, né à Dijon le 8 novembre 1705, y mourut en octobre 1780. C’étoit un chirurgien de grand mérite ; une foule de mémoires relatifs à son art, parmi lesquels on remarque ceux sur l’ouie, l’hydrophobe, la pierre, le bec de lièvre, l’hermaphrodite Drouart, lui ont mérité une place distinguée parmi les membres de l’académie de Dijon. Le docteur Maret publia son éloge.

L’intendance de Bourgogne, créée en 1629, a eu long-temps son hôtel à l’extrémité de cette rue, dans un bâtiment qui appartenoit aux Bénédictins. Parmi les intendans dont puissent s’honorer les provinces de Bourgogne et Bresse, l’on ne peut oublier François-Auguste de Thou, fils du célèbre président de ce nom, qui exerça cette magistrature à Dijon depuis 1632 à 1636 ; heureux s’il y fut resté plus longtemps.

Héritier des vertus et des talens de son père, estimé des savans pour son érudition, aimé de tous pour sa douceur et son esprit, il devint suspect au cardinal de Richelieu par rapport à ses liaisons avec la duchesse de Chevreuse. De Thou s’attacha au grand écuyer de France, Cinq-Mars, dans l’espérance de s’avancer par son crédit ; ce fut précisément la cause de sa perte ; le principal ministre enveloppa les deux amis dans la même proscription ; le père a mis mon nom dans son histoire, je mettrai le nom du fils dans la mienne, disoit le cardinal ministre ; aussi, malgré qu’on n’ait pu acquérir contre de Thou la moindre preuve de conspiration, par ordre exprès de Richelieu, il fut décapité avec Cinq-Mars à Lyon le 12 septembre 1642. Toute la France regretta celui qui périssoit pour n’avoir pas voulu accuser son ami, et l’on lit sur lui ce distique :

Morte pari periêre duo, sed dispari causâ,
Fit reus ille loquens, fit reus ille tacens.

En 1683, l’intendance de Bourgogne passa à l’un des descendans de cette illustre famille, Nicolas-Auguste de Harlay, fils de Christophe-Auguste de Harlay et de Françoise-Charlotte de Thou, mort en 1704. Cet intendant étoit petit-fils de ce fameux Achilles de Harlay, premier président du parlement de Paris au temps de la ligue, qui répondit avec fierté au duc de Guise : c’est grand pitié que le valet mette le maître hors de la maison ; au reste mon âme est à Dieu, mon cœur est au roi, et quant à mon corps, je l’abandonne, s’il le faut, aux méchans qui désolent ce royaume. Son portrait est gravé par Gantrel.

François-Antoine Ferrand passa en 1694 à cette intendance ; il composa des mémoires sur la Bourgogne ; son portrait fut gravé par Simoneau.

Commençons notre seconde tournée par descendre cette rue, et nous ferons une station à l’église Saint-Bénigne, Cathédrale des diocèses de Dijon et de Langres, dont l’évêque étoit jadis duc et Pair de France.

Malgré tout le merveilleux dont on a entouré le martyre de cet apôtre de la Bourgogne, l’on ne doit cependant pas douter, dit M. Legouz-Gerland, de la mission de Saint Bénigne à Dijon ; d’après cela, il y a même raison pour ne pas douter davantage de son martyre.

Bénigne, disciple de Saint Polycarpe, fut envoyé dans les Gaules avec Andoche et Thyrse. Arrivés à Autun, ils furent reçus par le sénateur Fauste, chez lequel ils passèrent quelques années ; mais Bénigne y laissa ses compagnons, et vint à Langres où il convertit à la foi chrétienne les fils de Sainte Léonille ; de là il se rendit à Dijon, y combattit avez zèle le culte des idoles, et dans cette ville, il fit à la religion catholique un grand nombre de prosélytes.

Marc-Aurèle étant arrivé à Dijon, informé des succès qu’obtenoient les prédications de Bénigne, donna des ordres pour qu’il lui fût amené : cet apôtre fut rencontré à Épagny ; il comparut devant l’Empereur qui chercha à le gagner par des promesses et descendit jusqu’aux sollicitations ; mais le zèle de Bénigne n’y déféra point, rien ne put ébranler sa foi, il eut le courage de résister au Prince, et souffrit le martyre le 1.er novembre 178, en confessant la religion qu’il étoit venu annoncer aux peuples de la Bourgogne.

La fête de ce Saint, qui se célébra pendant plusieurs siècles, le jour même anniversaire de son martyre, depuis l’établissement de la fête de tous les Saints au 1.er novembre, fut reportée au 24 du même mois, en vertu de lettres patentes du 30 novembre 1703.

L’abbaye de Saint-Bénigne regarde le roi Gontran comme son fondateur : elle fut considérée comme un chef d’ordre ; Saint Bernard ne la désignoit que sous le nom d’Église de Dijon ; sa chronique qui comprend depuis 485 à 1052, est très estimée. (Spicileg.)

La primitive église, élevée en l’honneur de Saint Bénigne, fut cette célèbre Rotonde si fort estimée pour l’élégance de sa construction, composée de trois églises l’une sur l’autre, décorée de cent quatre colonnes de marbre blanc d’une délicatesse admirable ; elle avoit été construite par Saint Grégoire qui étoit évêque de Langres dans le V.e siècle ; le corps de Saint Bénigne y fut solennellement déposé ; on y plaça aussi les tombeaux de Saint Hilaire qui étoit sénateur à Dijon, et de Sainte Quiette sa femme. Ce monument fut démoli de fond en comble pendant la révolution, mais vous en retrouverez la gravure dans le tome 2.e du voyage pittoresque de France, et dans le tome 1.er de l’histoire générale du duché de Bourgogne.

Au couchant de cette antique église, fut élevée, sur la fin du XIII.e siècle, la basilique actuelle, qui fut achevée en 1288, sous l’Abbé Hugues d’Arc-sur-Tille ; elle a 71 mètres de longueur, 29 de large, et 28 de hauteur : elle a souffert quelques mutilations pendant les temps orageux de 1793, et vous les apercevez sous le porche où l’on ne voit plus que les niches des statues dont il étoit décoré ; nous devons encore à D. Plancher de nous en avoir transmis la gravure. Le portail remonte au XI.e siècle.

Parmi ces statues, on remarquoit surtout celle d’une reine ayant un pied d’oye, pede aucae, d’où elle fut appelée Reine pédauque. La curiosité de savoir quelle pouvoit être cette princesse, a long-temps occupé les érudits, et ce pied difforme a donné lieu à plusieurs dissertations très savantes. Un Bourguignon, le docte abbé Lebeuf[1], a résolu le problême : il a démontré que cette reine ne pouvoit être que celle de Saba, dont la figure étoit charmante, mais les pieds mal conformés, et de laquelle la statue fut placée sous le portail de certaines églises, (Saint-Pourçain, Nesle et Nevers), pour la même raison qu’on décore les auditoires des tribunaux, du jugement de Salomon ; car ce fut d’abord sous les porches des églises que se rendoit la justice, celle ecclésiastique surtout.

C’étoit dans cette église que les ducs et les rois venoient prendre possession du duché de Bourgogne, et juroient au pied des autels la conservation des privilèges de l’abbaye, de la province et de la ville ; ensuite ils recevoient l’anneau ducal des mains de l’abbé de Saint-Bénigne, et les députés des villes leur prêtoient serment de fidélité ; (c’est le sujet des vignettes des liv. 6, 13 et notes du tom. 2.e de l’histoire générale de Bourgogne) ; en signe de quoi le maire de Dijon passant une écharpe blanche à la bride du cheval du duc, le conduisoit à la Sainte-Chapelle, pour y jurer également la confirmation des privilèges de cette église.

L’église Saint-Bénigne renferme quelques tombes et plusieurs cénotaphes dignes d’attirer votre attention.

Une des plus anciennes est celle d’Othe-Guillaume contemporain de ce bon abbé Guillaume, elle date du 27 septembre 1027. Ce prince qui fut la tige des comtes de Bourgogne, étoit fils d’Albert duc de Lombardie, et de Gerberge, comtesse de Bourgogne, qui, devenue veuve, épousa le duc Henri I.er ; ce dernier n’ayant pas d’enfans, adopta le fils de son épouse, le fit élever à sa Cour, et lui donna son duché de Bourgogne.

Othe-Guillaume étoit aimé des grands et des peuples ; bon, humain, généreux, juste et d’une vaillance à toute épreuve, il sut se maintenir en possession du duché de Bourgogne contre les forces du roi Robert qui, l’an 1003, vint, sans fruit, mettre le siège devant Auxerre, et, deux ans après, vint fondre sur la Bourgogne, avec aussi peu de succès. En 1014, des négociations ayant été entamées, Othe-Guillaume céda ses droits sur le duché, ne se réservant que le comté de Bourgogne et la qualité de Comte de Dijon pour sa vie. Il mourut en 1027.

Il ne reste plus que les tables en marbre noir des tombeaux des Ducs de la seconde race, qui, lors de la suppression des monastères, furent transportés du couvent des Chartreux en cette église, dès-lors adoptée pour Cathédrale ; ils tombèrent sous le marteau révolutionnaire, mais l’on espère pouvoir en restaurer un d’après les fragmens de pilastres et les petites statues que M. Devosges père sauva, comme objets d’arts, des mains des Vandales de 1793 : on sera guidé, dans cette opération, par la gravure fidèle de ces tombeaux que nous a transmise l’estimable D. Plancher.

On remarque encore dans cette église la tombe d’un roi de Pologne qui y fut inhumé en 1388, Uladislas, dux albus Poloniæ.

Charles-Quint abdiqua l’empire pour se faire moine ; Uladislas le blanc, quitta le froc pour monter sur le thrône, mais il ne put y réussir.

Ce Prince, le dernier de la race des Piasts qui régna en Pologne 528 ans, nous apprend lui-même son histoire dans la bulle expédiée en sa faveur le 17 kal. octobre 1382 :

« Il exposoit au S. Père, que les lois de la Pologne ne permettant pas aux femmes de succéder au trône, qu’étant le plus proche parent mâle de Casimir III roi de Pologne, et son plus prochain héritier ; ce dernier, auquel il ne restoit que des filles, ne pouvant se dissimuler que sa couronne appartiendroit à Uladislas, conçut le projet de l’éloigner du thrône à force de persécutions, le dépouilla de ses duchés, et lui dressa tant d’embûches qu’il le força de s’expatrier de la Pologne ; que lui ne se jugeant pas même en sûreté en Allemagne, passa en France, et que ne pouvant y vivre selon son rang, il se retira à Cîteaux où il fit profession, mais n’y resta que six mois, sa santé ne lui permettant pas de supporter plus long-temps les austérités de cet ordre, et enfin se retira à Saint-Bénigne de Dijon où il demeura plusieurs années.

« Qu’après la mort de Casimir III, en 1370, il voulut faire valoir ses droits sur un thrône qui lui appartenoit légitimement et où le vœu des peuples l’appeloit ; mais que Louis Roi de Hongrie, que Casimir avoit fait reconnoître pour son successeur dès 1335, se maintint sur le thrône de Pologne, et mit sa tête à prix, ce qui le fit repasser en France, d’après l’avis même de ses proches, et qu’il revint à Saint-Bénigne où il passa encore quelques années, mais sans se lier par aucun vœu. »

Louis de Hongrie étant mort le 14 septembre 1382, peu regretté des Polonais qu’il avoit laissé tyranniser par la reine Elizabeth sa mère nommée par lui régente de Pologne, Uladislas pensa que le moment de recouvrer ses états étoit arrivé ; il sollicita et obtint une bulle de sécularisation, et se rendit en Pologne. Sigismond, marquis de Brandebourg, s’en étoit fait reconnoître pour roi ; il fut déposé la même année dans la diète de Viliscza ; et malgré les droits fondés d’Uladislas, la couronne fut déférée en 1384 à la princesse Hedwige fille du roi Louis, qui épousa Jagellon, grand-duc de Lithuanie, chef de la dynastie des Jagellons qui régna jusqu’à Henri III.

Uladislas accepta 12000 florins d’or comptant et une pension de 1000 flor. par an, pour retourner dans son monastère ; mais il préféra se retirer à Strasbourg où il mourut en 1388 ; il voulut cependant être inhumé en l’église Saint-Bénigne à laquelle il légua 2500 florins pour deux anniversaires.

Remarquez dans la principale nef, la tombe d’Étienne Tabourot, sieur des Accords, né à Dijon en 1549, inhumé en 1590, poëte facétieux, le Rabelais de la Bourgogne, homme instruit, mais qui ne consacra sa plume qu’à des bagatelles, souvent ordurières et de mauvais goût : cependant ses bigarrures, ses touches, ses escraignes dijonnoises eurent du succès dans leur temps et furent même réimprimées plusieurs fois. Son portrait est gravé.

Cette Cathédrale est encore décorée de plusieurs cénotaphes et mausolées, la plupart sortis du ciseau d’artistes dijonnais.

Au-devant des piliers de l’arcade de la principale porte, vous voyez ceux de J. B. Legouz-de-la-Berchère, premier président du parlement de Bourgogne, mort en 1631, âgé de 63 ans, et de Marguerite Brulart son épouse ; ils étoient dans l’église des cordeliers.

Ce couple vertueux donna le jour, le 3 mars 1600, à Pierre Legouz de la Berchère, aussi premier président des parlemens de Dijon et de Grenoble, décédé en cette dernière ville à l’âge de 53 ans, le 29 novembre 1653.

Ce magistrat étoit surnommé l’Incorruptible : exilé à Saumur en 1637, il n’en fut que plus inébranlable dans son opinion, et se montra le digne successeur de Nicolas Brulart son oncle. Il étoit très charitable et se plaignoit souvent que son confesseur, chargé de la distribution de ses aumônes, ménageoit plus sa bourse que sa conscience ; mais aussi il avoit un tel esprit de domination qu’il disoit que si le roi lui ôtoit sa place et ses biens, il se feroit maître d’école, afin de pouvoir ordonner au moins aux enfans, ne pouvant plus commander aux hommes. Papillon prétend que l’on doit à ce magistrat la conservation d’Auxonne, et d’avoir garanti cette ville des insultes de l’armée de Galas en 1636.

Son fils, Charles Legouz de la Berchère, né à Dijon en 1647, évêque de Lavaur en 1677, archevêque d’Aix en 1685, d’Alby en 1687, de Narbonne en 1703, où il mourut le 2 juin 1719, fut un prélat distingué, et l’un des commissaires pour le recueil des actes et mémoires du clergé de France, imprimé en 1760 in-fol. 13 vol. Son portrait est gravé par Boulogne et Audran.

À gauche est le beau mausolée du président de Berbisey, jadis placé à l’église des Carmes, exécuté par Martin.

Parallèlement, est la statue de Claude Frémyot, autre président, mort en 1670, âgé de 77 ans ; ce mausolée étoit dans l’église Notre-Dame.

Plus loin est le cénotaphe d’Elisabeth de la Mare, femme de François Bailly, morte en 1663 ; vis-à-vis est celui de Margueritte de Vallon, femme de Jacques de Mucie, morte le 24 novembre 1674 ; tous deux sont l’ouvrage de Dubois.

En face de la porte collatérale est l’épitaphe des frères Rigoley, tous deux successivement premiers Présidens de la chambre des comptes, tous deux morts dans la même année à la fleur de l’âge et sincèrement regrettés.

Un membre de la même famille s’est fait connoître dans la république des lettres. Jean-Antoine Rigoley de Juvigny, mort à Paris le 21 février 1788, conseiller au parlement de Metz, membre de l’académie de Dijon, publia plusieurs mémoires sur la vie et les ouvrages de Lamonnoye, fut éditeur des œuvres complètes de Piron ; il composa plusieurs discours sur les progrès et la décadence des lettres, et fut l’un des collaborateurs de la bibliothèque française. Son portrait fut gravé par Miger en 1765.

L’église de Saint-Bénigne étant devenue la cathédrale du diocèse, l’abbatiale a été convertie en palais épiscopal, et le séminaire a succédé au couvent des religieux Bénédictins, dont plusieurs ont fait honneur à cette maison et à la province.

Odo-Louis Mathion, né à Dijon en 1620, mort en 1700, duquel le géographe Samson parle comme d’un savant éclairé, étoit très versé dans les sciences mathématiques, fut l’inventeur du mécanisme d’une nouvelle montre et du compas graduateur.

Claude David, né à Dijon en 1644, mort le 16 novembre 1705, a publié une dissertation très savante sur l’authenticité des livres attribués à Saint Denis l’Aréopagite ; Paris, 1702. in-8.°

Claude Guesnié, né à Dijon en 1647, mort le 21 octobre 1722, fut le collaborateur du glossaire de du Cange, le co-éditeur de la belle édition de Saint Augustin.

Hugues Mathou, né à Mâcon en 1622, prieur de Saint-Bénigne en 1669, fut éditeur des œuvres de Robert Pullus, grand-vicaire de l’archevêché de Sens dont il publia l’histoire ecclésiastiq. en 1688. Il mourut à Châlon le 29 avr. 1705.

Urbain Plancher, né dans l’Anjou, mais qui fut pendant très long-temps religieux de la maison de Dijon où il mourut en 1750, âgé de 83 ans, est auteur d’une histoire générale du duché de Bourgogne en 4 vol. in-fol. dont le dernier a été publié par dom Merle. Cette histoire est enrichie de pièces justificatives précieuses et de dissertations très savantes ; elle est ornée de gravures d’autant plus intéressantes que les monumens qui y sont représentés ont presque tous été détruits dans les dernières années du siècle qui vient de s’écouler.

Parmi les savans Bénédictins qui ont fait honneur à la Bourgogne, nous devons mentionner avec éloge Edmond Martenne, né à Saint-Jean-de-Laône le 22 décembre 1654, mort le 20 juin 1739, signalé par des vertus éminentes, des recherches laborieuses, par une vaste étendue de connoissances et par la pureté de ses mœurs. 14 volumes in-fol. de pièces historiques par lui recueillies et publiées ; Thesaurus anecdot. in-fol. 5 vol. ; veter. scriptor. ampliss. Collectio, in-fol. 9 vol. ; de antiq. eccl. Ritibus, in-4.o 5 vol. ; Voyage littéraire, 1724. in-4.o 2 vol., et plusieurs dissertations savantes, ont marqué à ce religieux un rang distingué parmi les érudits de sa congrégation.

Charles Clémencet, né à Painblanc dans le Beaunois, en 1704, après avoir professé avec distinction la rhétorique au célèbre collège de Pont-le-Voy, fut appelé à Paris au monastère des Blancs-manteaux, où il mourut le 5 avril 1778. Doué d’une mémoire heureuse et d’un grand amour de l’étude, il travailla jusqu’à son dernier jour. On lui doit l’histoire de Port-royal, 1757. in-12. 10 vol., les tomes X et XI, en partie, de l’histoire littéraire de France, et 2 vol. sur les histoires ecclésiastiques de Fleury et de Racine. Mais ce qui transmet son nom à la postérité, est l’art de vérifier les dates, commencé par d’Antine qui publia la première édition, 1750. in-4o, en société avec D. Durand, ouvrage que D. Clémencet refondit presque entièrement avec D. Clément, et fit réimprimer en 1770. in-fol.

François Clément, né à Bèze le 7 avril 1714, à 2 myr. ½ de Dijon, fit d’excellentes études au collége de cette ville. Bénédictin des Blancs-manteaux, il se dévoua comme plusieurs de ses confrères à une étude approfondie de l’histoire. Il acheva le tome XI.e et composa le XII.e vol. de l’histoire littéraire de France, les tomes XII et XIII du recueil des historiens de France ; mais l’ouvrage qui lui fait le plus d’honneur, est la troisième édition de l’art de vérifier les dates, in-fol. 3 vol. ; il mit 13 ans entiers à le composer, et se levoit au milieu des nuits pour travailler à ce monument le plus précieux qu’on ait pu élever à l’histoire. L’acad. des inscr. l’avoit associé à ses travaux ; il travailloit depuis long-temps à l’art de vérifier les dates avant J. C. ; il n’en étoit qu’à la chronologie des Arsacides, lorsqu’il fut frappé d’apoplexie le 29 mars 1793[2].

Ainsi avoient été atteints par la mort les savans D. Pommeraye et D. Caffiaux, historiographes des provinces de Normandie et de Picardie ; le P. Maimbourg, le P. Ange, l’érudit Salmon, et tant d’autres.

En sortant de cette église par la porte collatérale, à gauche est la rue S.t-Bénigne, à l’angle de laquelle étoit l’hôtel de Jaucourt ; à droite est la rue de la Prévôté, qui porta pendant un certain temps le nom de Rue royale ; en face est la place et l’église St.-Philibert.

Rue St. Benigne.L’hôtel de Jaucourt fut bâti par Philippe de Jaucourt, qui porta la bannière du duc Philippe le Hardi en 1379, lorsqu’il marcha sur Troyes pour protéger cette ville contre les Anglais qui n’osèrent pas se hazarder d’en approcher.

Rue de la Prévôté.Avant l’établissement des communes, les Prévôts étoient les juges des lieux, et rendoient la justice au nom du Prince ; d’où certains maires et juges inférieurs conservoient le titre de prévôts ; ils étoient en même temps les administrateurs et receveurs du domaine du Souverain, percevoient les amendes et procuroient l’exécution des jugemens en matière criminelle et de police ; ils étoient partie publique près de l’administration municipale et maîtres des foires. Comme, dans le principe, la commune tenoit ses assemblées sur la place Saint-Philibert, le Prévôt, qui devoit s’y trouver, avoit son hôtel à la proximité, et sans doute dans cette rue qui en a conservé le nom. La prévôté de Dijon fut réunie à la mairie de cette ville, en 1579.

Place Saint-Philibert.La place Saint-Philibert est l’ancien cimetière de Dijon ; elle étoit dans les dépendances de l’abbaye de Saint Bénigne qui, dans le IX.e siècle, y fit édifier une chapelle pour les novices et les personnes attachées à la maison, d’où le nom de la rue des Novices qui touche à cette église. Dans le XI.e siècle cette chapelle devint une paroisse desservie par les religieux de Saint-Bénigne ; en 1513 elle fut édifiée aux frais des citoyens. Dès le XV.e siècle elle étoit érigée en cure, et des méparts y étoient fondés ; elle a été supprimée en 1791, et n’a point été rétablie ; c’est aujourd’hui un hangar militaire.

Sur la place Saint-Philibert est l’une des maisons des Filles de Vincent de Paule à Dijon. Les institutions utiles sont les seules qui soient assurées de survivre à toutes les opinions, aux commotions des empires, aux secousses des révolutions ; aussi les établissemens de Vincent de Paule sont-ils les premiers qu’on se soit empressé de rétablir (décr. du 27 prairial IX) ; ces filles respectables qui vont chercher les malheureux dans leurs réduits, qui dirigent sur eux les aumônes du riche et les soins du pauvre, qui apportent aux malades les secours, les remèdes, les consolations, nous représentent le spectacle de la bienfaisance et de la philantropie réunies à la religion.

Cet établissement n’est pas le seul qui soit institué en faveur de l’humanité souffrante et malheureuse. La société de la Miséricorde, qui autrefois distribuoit des secours en bois et charbon aux indigens, des confitures et des sirops aux malades, des aumônes aux pauvres honteux, établie dès 1658, supprimée comme toutes les confrairies, est remplacée par un bureau médical de consultation gratuite et de vaccine, ouvert tous les jours aux pauvres malades de tout sexe et de tout âge, qui y sont pansés gratuitement.

La Société de la charité maternelle, en faveur des enfans nouveaux nés, issus de légitime mariage, est composée des dames les plus marquantes de la ville ; elle distribue chaque année plus de 8000 fr. de secours aux femmes en couche.

Le bureau de bienfaisance, composé de trente membres, distribue aussi chaque année plus de 18,000 fr. de secours à domicile.

Rue des Novices.Cette église, à l’extrémité de la rue des Novices, est celle de Saint-Jean, l’une des plus anciennes de Dijon, et que Grégoire de Tours appelle la Basilique hors des murs. Ce fut d’abord une chapelle sépulchrale que s’étoit choisie l’évêque Saint Urbain son fondateur, en même temps qu’il l’avoit destinée à servir de baptistaire aux peuples des campagnes ; ce qui fit appeler les alentours de ce temple le Quartier de la Chrétienté, et son chef, le Doyen de la Chrétienté, par rapport à ceux qui venoient y recevoir le baptême et s’en retournoient chrétiens, et encore par l’obligation imposée aux nouveaux baptisés de se représenter au doyen la premier jour du carême, pour renouveler entre ses mains les promesses de leur baptême : aussi les habitans des campagnes voisines avoient-ils conservé l’usage de venir recevoir les cendres à l’église Saint Jean, où le prédicateur du carême devoit son premier discours, appelé Sermon des Aubrez (Aubains étrangers.)

Saint Urbain, sixième évêque de Langres, y fut enterré en 375 ; on lit encore son épitaphe sur un marbre noir au milieu de cette église.

Ce fut dans cette chapelle que Chramne, fils de Clotaire, poursuivant ses frères, vint en 555, un jour de dimanche, consulter les sorts des saints qui lui prédirent sa fin malheureuse et la punition de ses crimes. Isaïe, chap. V, 5 ; Saint Mathieu, chap. VII, 27, et Saint Paul, Thess. 1, ch. V. 2, le menacèrent de la fin tragique qui l’attendoit.

Saint Grégoire, XVI.e évêque de Langres, reçut aussi la sépulture dans cette église : ce prélat, issu de famille sénatoriale, étoit un modèle de vertus ; il ne se nourrissoit que de pain d’orge et d’eau, sans cesse en prières ou annonçant la parole de Dieu ; il distribuoit aux pauvres non-seulement les revenus de son église, mais son propre patrimoine ; cet évêque habitoit Dijon. Il parut avec éclat aux conciles de 517, 525, 538. Sous son épiscopat, l’on découvrit le tombeau de Saint Bénigne, et l’on édifia la crypte où il fut déposé. Cet évêque mourut à Langres l’an 539 ; son corps fut, ainsi qu’il l’avoit demandé, transporté à Dijon, et inhumé en la chapelle Saint-Jean, près de ses prédécesseurs. Il avoit épousé Armentaire, de laquelle il eut deux fils, Saint Tétric, qui lui succéda au siège de Langres, aussi inhumé dans la même église, et Saint Grégoire, aïeul du célèbre Grégoire, évêque de Tours, le père de notre histoire de France.

Dans le IX.e siècle, cette chapelle devint une abbaye ; dans le X.e une paroisse ; dans le XV.e où elle fut rebâtie, une collégiale ; actuellement elle est convertie en une halle aux foires, dont l’entrée a été faite du côté du chœur, et donne sur la place Saint-Jean ; elle avoit 54 mèt. de longueur, 31 de largeur, 23 de hauteur.

Parmi les chanoines de cette collégiale, remarquons François Juret, né à Dijon en 1553, mort le 21 décembre 1626, bon poète latin, critique érudit et scholiaste savant. Papillon donne les titres de cinquante-huit ouvrages composés par Juret ; il étoit lié avec les Harlay, les Dupuy, les Pithou et autres savans de son siècle, qui le plaçoient inter Europæ lumina. Doctissimus Juretus docuit me, disoit le grand Saumaise. Ce mot seul doit suffire à son éloge.

M. Leauté, doyen de cette église, membre de l’acad. de Dijon, étoit connu par plusieurs mémoires sur le vide, sur l’air, le systême de Newton, l’honneur, etc. etc. il mourut en 1759.[3]

Rue du
Tillô.
Vous apercevez sur la droite l’entrée de la rue du Tillô, nom qui lui vient sans doute de quelque tilleul, en patois tillô, qui y étoit en évidence. Avec un léger changement d’orthographe, et même sans déranger la prononciation, l’on pourroit consacrer cette rue à la mémoire d’un antiquaire dijonnais.

Jean-Benigne Lucotte du Tilliot, né à Dijon le 8 septembre 1668, étoit un érudit profond et un littérateur éclairé ; son cabinet devint un muséum précieux par les morceaux qu’il y rassembla ; ses écrits étoient pleins de recherches savantes, de discussions judicieuses ; on peut en juger par l’histoire de la Mère folle de Dijon, qu’il publia en 1741 ; il mourut en 1750.

L’abbaye de Cluny avoit son hôtel près le cimetière Saint-Philibert, à l’angle de la rue dont je viens de vous entretenir.

Rue du Lycée.Descendons la rue Saint-Philibert, aujourd’hui du Lycée, parce que cet établissement qui a succédé au collège, à l’école centrale, y fut placé en 1804 dans les bâtimens que le président Odebert avoit fait élever en 1625, pour y établir l’hospice Sainte-Anne, fondé par lui. Cette maison est vaste, les cours en sont spacieuses, les appartemens bien aérés ; elle est très propre à remplir sa nouvelle destination ; c’est un des Lycées les plus beaux, les mieux tenus de l’Empire.

À côté du Lycée est la maison du célèbre sculpteur Dubois, qu’il fit bâtir sur l’emplacement de l’ancien hôtel de Rothelin, habitée par lui jusqu’à son décès ; Dubois avoit embelli son domicile de plusieurs sculptures et bas-reliefs que l’on aime à retrouver dans le local même de l’artiste qui en avoit décoré sa demeure.

Rue Cazotte.Vis-à-vis est la rue du Four, depuis surnommée Cazotte, du nom de Claude-Joseph Cazotte, Dijonnais, né en 1720, mort au champ d’honneur le 11 juin 1792, proche parent de Jacques Cazotte, né et mort dans les mêmes années.

Ce dernier avoit été commissaire de marine, et dans les premiers temps de la révolution, il se retira dans le village de Pierry, dont il étoit maire. Cazotte ayant manifesté son opinion contre les changemens apportés à la constitution de 1791, fut conduit à Paris au mois d’août 1792, et renfermé dans les prisons de l’abbaye. Arrivèrent ces jours affreux de septembre, pendant lesquels on massacroit tous les prisonniers ; Cazotte n’échappa à la mort que par le dévouement de sa fille unique, âgée de 17 ans, qui s’étoit volontairement enfermée dans la prison de son père, pour le consoler et le servir. Lorsque les assassins arrivèrent près de Cazotte, cette fille courageuse entoure son père de ses bras, le couvre de son corps, et bravant les poignards, réclame la grâce de mourir avec lui ; un tel héroïsme désarme les furieux, Cazotte et sa fille saisissent ce moment d’émotion pour traverser les cours, déjà pleines de victimes, et d’une populace avide de carnage, mais qui respecta pour le moment, la vieillesse marchant sous l’égide de la piété filiale.

Quelques jours après, Cazotte fut réintégré dans les prisons, et à la suite de 27 heures de débâts, sa tête tomba sous la hache révolutionnaire, le 25 septembre 1792 ; il étoit âgé de 72 ans.

Cazotte avoit cultivé avec succès les belles-lettres et la poésie ; ses œuvres mêlées ont été publiées en 2 vol. in-8.°, parmi lesquelles on distingue le poëme d’Olivier, le Diable amoureux, le Lord-impromptu, et quelques poésies fugitives assez aimables.

On lit dans les œuvres posthumes de M. de la Harpe, qu’il a été trouvé dans ses papiers le morceau suivant :

« Il me semble que c’étoit hier, et c’étoit cependant au commencement de 1788. Nous étions à table chez un de nos confrères à l’académie, grand seigneur et homme d’esprit ; la compagnie étoit nombreuse et de tout état, gens de cour, gens de robe, gens de lettres, académiciens, etc. On avoit fait grande chère comme de coutume ; au dessert, les vins de Malvoisie et de Constance ajoutoient à la gaîté de la bonne compagnie, cette sorte de liberté qui n’en gardoit pas toujours le ton ; on en étoit alors venu dans le monde au point où tout est permis pour faire rire. Champfort nous avoit lu de ses contes impies et libertins, et les grandes dames avoient écouté, sans avoir même recours à l’éventail ; de là un déluge de plaisanteries sur la religion ; l’un citoit une tirade de la Pucelle ; l’autre rappeloit ces vers philosophiques de Diderot,

Et des boyaux du dernier Prêtre,
Serrez le cou du dernier Roi.

et d’applaudir ; un troisième se lève, et tenant son verre plein : Oui, Messieurs, s’écrie-t-il, je suis aussi sûr qu’il n’y a pas de Dieu, que je suis sûr qu’Homère est un sot, et en effet il étoit sûr de l’un comme de l’autre, et l’on avoit parlé d’Homère et de Dieu, et il y avoit là des convives qui avoient dit du bien de l’un et de l’autre. La conversation devient plus sérieuse ; on se répand en admiration sur la révolution qu’avoit faite Voltaire, et l’on convient que c’est là le premier titre de sa gloire. « Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’anti-chambre comme dans le salon. Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coëffeur lut avoit dit, tout en le poudrant, voyez-vous, Monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre ; on conclut que la révolution ne tardera pas à se consommer, qu’il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie, et l’on en est à calculer la probabilité de l’époque, et quels seront ceux de la société qui verront le règne de la raison. Les plus vieux se plaignoient de ne pouvoir s’en flatter, les plus jeunes se réjouissoient d’en avoir une espérance très vraisemblable, et l’on félicitoit surtout l’académie d’en avoir préparé le grand œuvre, et d’avoir été le chef-lieu, le centre, le mobile de la liberté de penser.

« Un seul des convives n’avoit point pris de part à toute la joie de cette conversation, et avoit même laissé tomber tout doucement quelques plaisanteries sur notre bel enthousiasme. C’étoit Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatué des rêveries des illuminés. Il prend la parole, et du ton le plus sérieux, « Messieurs, (dit-il) soyez satisfaits, vous verrez tous cette grande et sublime révolution que vous désirez tant. Vous savez que je suis un peu prophête ; je vous le répète, vous la verrez. » On lui répond par le refrein connu, faut pas être grand sorcier pour ça. — « Soit, mais peut-être faut-il l’être un peu plus pour ce qui me reste à vous dire. Savez-vous ce qui arrivera de cette révolution, ce qui en arrivera pour vous, tous tant que vous êtes ici, et ce qui en sera la suite immédiate, l’effet bien prouvé, la conséquence bien reconnue ? » — Ah ! voyons, (dit Condorcet avec son rire sournois et niais), un philosophe n’est pas fâché de rencontrer un prophête. — « Vous, M. de Condorcet, vous expirerez étendu sur le pavé d’un cachot[4], vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dérober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-là vous forcera de porter toujours sur vous. »

« Grand étonnement d’abord ; mais on se rappelle que le bon Cazotte est sujet à rêver tout éveillé, et l’on rit de plus belle. — « M. Cazotte, le conte que vous nous faites ici n’est pas si plaisant que votre Diable amoureux[5]. Mais quel diable vous a mis dans la tête ce cachot, et ce poison et ces bourreaux ? qu’est-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le règne de la raison ? — C’est précisément ce que je vous dis : c’est au nom de la philosophie, de l’humanité, de la liberté, c’est sous le règne de la raison qu’il vous arrivera de finir ainsi, et ce sera bien le règne de la raison, car alors elle aura des temples, et même il n’y aura plus dans toute la France, en ce temps-là, que des temples de la raison. » — « Par ma foi (dit Champfort avec le rire du sarcasme), vous ne serez pas un des prêtres de ces temples-là. — « Je l’espère ; mais vous, M. Champfort, qui en serez un, et très digne de l’être, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir[6], et pourtant vous n’en mourrez que quelques mois après. » On se regarde, on rit encore. « Vous, M. Vicq-d’Azyr, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-même, mais après vous vous les ferez ouvrir six fois dans un jour, au milieu d’un accès de goutte, pour être plus sûr de votre fait, et vous mourrez dans la nuit[7]. Vous, M. de Nicolaï, vous mourrez sur l’échafaud[8]. Vous, M. Bailly, sur l’échafaud[9]. Vous, M. de Malesherbes, sur l’échafaud[10]. Ah ! Dieu soit béni, (dit Roucher), il paroît que Monsieur n’en veut qu’à l’académie, il vient d’en faire une terrible exécution ; et moi, grâce au ciel..... « Vous ! vous mourrez aussi sur l’échafaud[11]. » Oh ! c’est une gageure (s’écrie-t-on de toutes parts), il a juré de tout exterminer. » — « Non, ce n’est pas moi qui l’ai juré. — Mais nous serons donc subjugués par les Turcs ou les Tartares ? encore. — Point du tout ; je vous l’ai dit : vous serez alors gouvernés par la seule philosophie, par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi, seront tous des philosophes, auront à tout moment dans la bouche toutes les mêmes phrases que vous débitez depuis une heure, répéteront toutes vos maximes, citeront tout comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle..... » — On se disoit à l’oreille, vous voyez bien qu’il est fou ; car il gardoit toujours le plus grand sérieux. — « Est-ce que vous ne voyez pas qu’il plaisante, et vous savez qu’il entre toujours du merveilleux dans ses plaisanteries. — Oui (répond Champfort), mais son merveilleux n’est pas gai, il est trop patibulaire, et quand tout cela arrivera-t-il ? — Six ans ne se passeront pas, que tout ce que je vous dis ne soit accompli. »

« — Voilà bien des miracles (et cette fois c’étoit moi-même qui parlois), et vous ne m’y mettez pour rien ? — Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire, vous serez alors chrétien[12].

« Grandes exclamations. — Ah ! (reprit Champfort), je suis rassuré ; si nous ne devons périr que quand La Harpe sera chrétien, nous sommes immortels.

« — Pour ça (dit alors Mad.e la duchesse de Grammont), nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de n’être pour rien dans les révolutions. Quand je dis pour rien, nous nous en mêlons toujours un peu ; mais il est reçu qu’on ne s’en prend pas à nous, et notre sexe… — Votre sexe, Mesd.es, ne vous en défendra pas cette fois, et vous aurez beau ne vous mêler de rien, vous serez traitées tout comme les hommes, sans aucune différence quelconque. — Mais qu’est-ce que vous dites donc là, M. Cazotte ? c’est la fin du monde que vous nous prêchez. — Je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que vous, Mad.e la Duchesse, vous serez conduite à l’échafaud, vous, et beaucoup d’autres Dames avec vous, dans la charrette du bourreau, et les mains liées derrière le dos. — Ah! j’espère que dans ce cas-là, j’aurai du moins un carosse drapé de noir. Non, Mad.e, de plus grandes dames que vous, iront comme vous en charrette, et les mains liées comme vous. — De plus grandes dames que moi ! quoi ! les princesses du sang[13] ! — De plus grandes dames encore[14] ..... Ici un mouvement très sensible dans toute la compagnie, et la figure du maître se rembrunit ; on commençoit à trouver que la plaisanterie étoit forte. Mad.e de Grammont, pour dissiper le nuage, n’insista pas sur cette dernière réponse, et se contenta de dire du ton le plus léger : vous verrez qu’il ne me laissera pas seulement un confesseur. — Non, Mad.e, vous n’en aurez pas, ni vous, ni personne. Le dernier supplicié qui en aura un par grâce, sera ..... Il s’arrêta un moment. Eh bien ! quel est donc l’heureux mortel qui aura cette prérogative ? — C’est la seule qui lui restera, et ce sera le Roi de France[15].

« Le maître de la maison se leva brusquement, et tout le monde avec lui. Il alla vers M. Cazotte, et lui dit avec un ton pénétré : mon cher M. Cazotte, c’est assez faire durer cette facétie lugubre, vous la poussez trop loin, et jusqu’à compromettre la société où vous êtes vous-même. Cazotte ne répondit rien, et se disposoit à se retirer, quand mad.e de Grammont, qui vouloit toujours éviter le sérieux, et ramener la gaîté, s’avança vers lui : « M. le prophête, qui nous dites à tous notre bonne aventure, vous ne nous dites rien de la vôtre. » Il fut quelque temps en silence et les yeux baissés. — « Mad.e, avez-vous lu le siège de Jérusalem dans Joseph ? — Oh ! sans doute, qu’est-ce qui n’a pas lu ça ! mais faites comme si je ne l’avois pas lu. — Eh bien ! Mad.e, pendant ce siège, un homme fit sept jours de suite le tour des remparts, à la vue des assiégeans et des assiégés, criant incessamment d’une voix sinistre et tonnante : malheur à Jérusalem ; et le septième jour il cria : malheur à Jérusalem, malheur à moi-même ! et dans le moment une pierre énorme, lancée par les machines ennemies, l’atteignit et le mit en pièces. « Et après cette réponse, M. Cazotte fit sa révérence, et sortit.

Poursuivons la rue du Lycée ; remarquez la ruelle à droite.

Rue Richelieu.Le nom d’un de nos plus grands hommes d’état est attaché à la plus vilaine de nos rues ; le fameux Cardinal de Richelieu lui donne le sien : ce ministre a ses partisans et ses détracteurs ; mais on ne peut lui refuser d’avoir été un très habile politique, d’avoir contenu les mouvemens de l’intérieur, et d’avoir, au dehors, rendu la France respectable à ses ennemis. Ô grand homme ! s’écria le Czar Pierre, en considérant son mausolée dans l’église de la Sorbonne à Paris ; si tu vivois, je te donnerois la moitié de mes états, pour apprendre de toi à gouverner l’autre. Le cardinal de Richelieu avoit été Abbé de Cîteaux depuis 1635 jusqu’à sa mort ; ce fut sans doute ce qui fit attacher son nom à la rue ouverte non loin des jardins de l’ancien hôtel dit le Petit Cîteaux, occupé jusqu’à la révolution, par l’un des profès de cette maison, sous la qualité de gouverneur, résidence ordinaire des abbés de Cîteaux lorsqu’ils venoient à Dijon[16].

Cet hôtel provient des dons des ducs Hugues II et Eudes II. Il fut construit en 1171, et long-temps habité par Jean de Cirey, Dijonnais, 43.e abbé de Cîteaux, surnommé le bon Abbé, successeur d’Humbert de Laône.

Élu de la province, en 1476, député de Bourgogne aux états-généraux tenus à Tours en 1484, Jean de Cirey soutint avec fermeté et défendit avec éloquence les droits et les privilèges de la Bourgogne, à laquelle il fit adjuger le premier rang après les députés de l’Île de France. Il parut avec éclat aux conciles d’Orléans et de Tours, fut très estimé de Louis XI, et du pape Innocent VIII, et en obtint plusieurs priviléges, jadis très magnifiques, aujourd’hui anéantis avec le monastère auquel ils étoient concédés. Cet abbé mourut le 27 décembre 1503 ; Jacques de Pontailler lui succéda. La mémoire de Jean de Cirey est surtout recommandable en ce que ce fut lui qui attira à Dijon Pierre Metlinger, le premier imprimeur que cette ville ait possédé, qui de Dôle où il étoit en 1490, vint s’établir à Dijon, où il imprima cette même année et la suivante, les constitutions, priviléges et vie des Saints de l’abbaye de Cîteaux, sous ces titres,

Constitutiones pro bonâ ordinis Cisterciensis gubernatione latæ et à pontificibus approbatæ, jussu Capituli generalis editæ. Divione per Petrum Metlinger alamannum 1490, in-4.°

Collectio privilegiorum ordinis Cisterciensis operâ et impensâ reverendissimi in Christo patris Joannis abbatis Cistercii. Divione Metlinger, 1491, IV nonas julias, in-4.°

On répute ce volume le plus ancien bullaire qui ait été imprimé.

Compendium Sanctorum ordinis Cisterciensis. 1491, in-4.°

Ainsi Dijon doit à Jean de Cirey de lui avoir apporté l’art de l’imprimerie, que, sur la fin du dernier siècle, les presses de MM. Causse et Frantin ont mis en honneur dans cette ville.

Rue Porte-d’Ouche.Vous reconnoissez sans doute la Porte d’Ouche, devant laquelle nous avons déjà passé ce matin ; la rue Porte d’Ouche qui y aboutit, est une rue marchande, à laquelle aucun souvenir ne se rattache. Au sud-est étoit la tour de Guise, élevée dans le temps de la Ligue, par les ordres et les soins de la maison de Lorraine, qui commandoit despotiquement en Bourgogne ; elle fut édifiée pour la défense de la Porte d’Ouche, dont elle joignoit les Tourelles, seul quartier de la ville qui n’étoit pas couvert par des ouvrages de fortifications.

À cette tour étoit adossée la communauté du Refuge, aujourd’hui cazerne de la garde départementale, et dont les autres bâtiments sont affectés au service des vivres et à celui des fourrages militaires.

Le Refuge étoit un couvent destiné à renfermer les filles et les femmes de mauvaise vie ; son établissement étoit dû à J. B. Gonthier, chanoine de la Sainte-Chapelle, qui fit venir d’Avignon, en 1653, des religieuses de l’ordre du Refuge, et consacra leur église la même année. Le chanoine Gonthier étoit dijonnais, fils de Gaspard Gonthier, conseiller au parlement, et de Marie Gallois ; il mourut à Dijon le 1.er juin 1678, âgé de 51 ans. Il publia quelques livres de dévotion.

Maurice David, né à Dijon en 1614, d’abord avocat, marié à une D.lle de Thésut, de laquelle il eut plusieurs enfans, devint veuf en 1660, reçut la prêtrise, et fut nommé, en 1663, supérieur de la maison du Refuge. Il publia un petit ouvrage, intitulé : Animadversiones in observation. chronologic. Possini ad Pachymer. Divione 1679, in-8.o Cet opuscule mérita à son auteur plus de considération que bien des volumes in-fol. ; il réforma la chronologie, et même celle qu’avoit suivie le célèbre du Cange ; l’abbé Fleury faisoit le plus grand cas de ce petit ouvrage. David mourut dans l’année de la publication de ses savantes remarques, le 11 novembre 1679, sans avoir joui de l’honneur qu’elles devoient lui procurer parmi les érudits de son siècle.

Un autre David est mentionné par Ch. Fevret, comme le Scœvola de la Bourgogne. Vous savez que Cicéron appeloit Q. Mutius Scœvola l’orateur le plus éloquent des jurisconsultes et le plus habile jurisconsulte de tous les orateurs : Fevret en dit autant de Cl. David, inter ætatis suæ jurisconsultes primus, inter summos, eximius : il vante surtout sa concision, sa logique entraînante et serrée, son habileté dans la riposte, sa fine plaisanterie qui, déconcertant ses adversaires, faisoit prendre plaisir à l’entendre. Vix enim quisquam paucis tam multa, tant præclara, tant reconditæ eruditionis brevi verborum compendio dilucidiùs constringebat, sub perpetuæ festivitatis dulcedine.

La rue du Sachot ne mérite pas d’arrêter vos regards. Remontons par la rue Maison-Rouge.

Rue Maison-Rouge.C’est dans ce quartier qu’étoit jadis la principale maison des Frères de la doctrine chrétienne, institués, en 1681, par M de la Salle, chanoine de Rheims, établis à Dijon dès 1705 par les libéralités du chanoine Gonthier, dont je viens de vous parler, de MM. Rigoley et de Blaisy. Ces instituteurs des indigens furent englobés dans la suppression générale des ordres religieux ; mais comme les établissemens utiles sont les seuls qui aient l’avantage de se survivre à eux-mêmes, cette association est rétablie depuis plusieurs années, sans que Dijon en ait encore une maison.

L’instruction primaire étoit l’unique but de cette congrégation ; les écoles de ces bons frères ne sont ni célèbres ni fastueuses ; leurs chaires ne sont ni courues ni recherchées ; leurs leçons ne sont ni brillantes ni pompeuses ; leurs succès n’ont rien d’éclatant. Malgré cela, ces hommes modestes et zélés ne se rebutent jamais de la monotonie de leurs obligations, ni des imperfections du jeune âge ; ils font le bien pour le seul plaisir de le faire, sans même en espérer d’autre récompense que dans leur satisfaction intérieure.

Ces hommes simples, constamment voués par état aux premiers degrés de l’instruction, sans jamais pouvoir en dépasser les bornes, ont été ridiculisés par le surnom d’Ignorantins ; mais s’il est vrai que la considération publique doive toujours être en rapport avec les services rendus à l’ordre social, qui, plus que ces bons religieux, peut avoir droit à la reconnoissance publique ? eux, par qui la classe indigente, et c’est la plus nombreuse, reçoit les élémens des connoissances les plus indispensables à l’homme en société.

Rue Crébillon.À droite est la rue Crébillon, jadis des Carmes, plus anciennement rue Gauche. Les Carmes, établis d’abord à la Porte au Fermerot, avoient leur monastère en la rue Gauche depuis 1371 ; leur couvent ni leur église n’offroient rien de remarquable que les mausolées en marbre de Pierre Bouchu, intendant de Bourgogne, et du président de Berbisey ; vous avez remarqué le dernier à la Cathédrale où il a été replacé.

Laurent Bureau, né à Liernais, près Saulieu, étoit profès de cette maison ; de la condition de pâtre, il devint évêque de Sisteron, confesseur des rois Charles VIII et Louis XII ; son mérite lui suscita beaucoup d’ennemis, et la jalousie le fit périr aux états de Blois, en 1504, où l’on croit qu’il fut empoisonné.

Prosper Jolyot naquit à Dijon le 15 janvier 1674, de Melchior Jolyot, l’un des greffiers en chef de la Chambre des Comptes, et de Henriette Gagnard, qui demeuroient proche du Morimont. Quelques vignes que possédoient ces époux sur le finage de Brochon, au climat appelé le Cray-Billon, donnèrent à leur fils le nom sous lequel il est connu parmi les tragiques Français.

On raconte que le jeune Jolyot, destiné par son père à la carrière du barreau, fut placé à Paris dans une étude de procureur ; mais qu’ayant montré pour cet apprentissage la plus grande répugnance, et s’amusant au contraire à faire des vers, M. Prieur, dans l’étude duquel il étoit clerc, lui dit qu’il feroit mieux de travailler pour le théâtre. Le jeune poëte goûta fort ce conseil, et ses premiers pas, dans cette carrière, furent marqués par des succès. Idoménée, mais sur-tout Atrée, dont la marche est du plus grand tragique[17], lui firent une réputation brillante ; ces lauriers transportèrent de joie le procureur, qui attaqué d’une maladie mortelle, se fit conduire à la première représentation d’Atrée, et en sortant, embrassa l’auteur avec effusion, et s’écria : Je meurs content, je vous ai fait poëte, je laisse un homme à la nation ; mais ces succès restèrent sans influence sur Melchior Jolyot, qui d’abord déshérita le tragique. C’est ce trait de la vie de son illustre compatriote que Piron a mis au théâtre, dans l’une des scènes de sa Métromanie.

Crébillon, à la fleur de l’âge, avoit de la réputation, mais point de fortune ; il avoit composé son Électre à Dijon, pendant l’année 1708 ; je souhaite, disoit-il à Voltaire, au sujet de sa tragédie d’Oreste, que le frère vous fasse autant d’honneur que la sœur m’en a fait. Rhadamiste parut en 1711, et malgré la critique de Boileau, elle enleva tous les suffrages, et eut deux éditions dans la même semaine. Tant de succès lui ouvrirent les portes de l’Académie française en 1731 ; il fut nommé censeur royal en 1735.

Sa tragédie de Catilina donna lieu à deux anecdotes piquantes, qui feront connoître le caractère de Crébillon. Il n’en avoit encore composé que les deux premiers actes, lorsqu’il fit une maladie assez sérieuse ; son médecin qui le croyoit apparemment hors d’état de guérir, eut la maladresse de lui demander en cadeau les deux actes de cette tragédie ; Crébillon, qui sentoit tout ce qu’une telle demande avoit d’inconvenant, lui répondit par ce vers de Rhadamiste.

Ah ! doit-on hériter de ceux qu’on assassine ?

Le poëte guérit malgré les pronostics du médecin, acheva sa tragédie, et la fit représenter ; son fils lui demanda des billets pour quelques-uns de ses amis, qui vouloient assister à la première représentation de cette pièce ; vous savez bien, Monsieur, reprit le poëte, que je ne veux pas que personne se croie dans l’obligation de m’applaudir. — Soyez tranquille, vos billets ne vous obtiendront pas grâce, si la pièce ne le mérite pas. — En ce cas vous en aurez.

La vie de ce tragique tenoit de la singularité ; il dormoit peu, couchoit sur la dure, fumoit beaucoup, aimoit à être seul, entouré de chiens et de chats, qui faisoient de son cabinet une espèce de ménagerie ; quelqu’un lui en demandoit le motif, il répondit : c’est que je connois les hommes[18] ; mais du reste il étoit modeste, officieux et sensible ; sa candeur alloit par fois jusqu’à la bonhomie, et cependant il avoit la connaissance de son mérite, et savoit même quelquefois assez à propos aiguiser l’épigramme.

Lorsque les couplets satyriques attribués à J. B. Rousseau furent répandus dans le public, Danchet qui s’y trouvoit peint comme un imbécille, rencoutrant Crébillon, lui dit : savez-vous que le couplet qui vous regarde est abominable ? — M. Danchet, repart Crébillon, j’aime mieux que Rousseau me fasse passer pour un débauché que pour une bête.

Dans sa tragédie de Xercès, Crébillon faisoit mourir presque tous les personnages ; une actrice qui avoit la réputation d’avoir empoisonné plusieurs personnes de ses faveurs, lui dit : M. Crébillon, donnez-moi la liste de vos morts. — Et vous, Mademoiselle, repart le tragique, donnez-moi la liste de tous ceux que vous avez blessés. Mais à part ces ripostes qu’on provoquoit, Crébillon ne s’est jamais permis la moindre satire. Dans son discours de réception à l’académie française, qu’il avoit composé en vers ; à la lecture de celui-ci :

Aucun fiel n’a jamais empoisonné ma plume.

la salle retentit d’applaudissemens.

Un jeune homme vint un jour lui faire la lecture d’une satire ; Crébillon l’écouta tranquillement, et quand la lecture fut achevée, il lui dit : jugez, Monsieur, combien ce malheureux genre est facile et méprisable, puisqu’à votre âge vous y réussissez.

Crébillon avoit composé une tragédie de Cromwel ; Louis XV en étant informé, l’arrêta un jour, et lui dit : M. de Crébillon, vous travaillez à une tragédie de Cromwel ? — Oui, Sire ; — Croyez-moi, reprend le Monarque, n’usez pas tous vos vers sur ce sujet-là. Le poète comprit l’intention du prince, et la pièce resta dans le porte-feuille.

Crébillon fut pendant douze années brouillé avec Piron ; toutefois ce dernier prouva qu’il lui avoit toujours rendu justice, en lui composant l’épitaphe suivante :

Tandis que l’auteur de Thieste
De l’Olympe atteint le sommet,
Tandis que la troupe céleste
Lui présente le calumet,
Et qu’Hébé du tabac y met,
Au Parnasse grand deuil on mène ;
Sur-tout la pauvre Melpomène
Qui ne va plus qu’à cloche-pied ;
Terreur étoit de son domaine,
Ce ne sera plus que pitié.

Crébillon avoit épousé Charlotte Péaget, de laquelle il avoit été éperdument amoureux ; il en eut deux enfans, dont l’un se fit un nom dans la république des lettres. Ce tragique mourut à Paris le 17 juin 1762, et fut enterré à l’église de Saint Gervais, où Louis XV lui fit ériger un mausolée en marbre, exécuté par le célèbre Lemoine. Son portrait est le chef-d’œuvre de Balechou.

Rue Berbisey.En face est la rue Berbisey, prolongement de la rue Chapelotte.

Jean de Berbisey, baron de Vantoux, dont les ancêtres étoient membres du grand conseil de nos ducs, et qui depuis tinrent un rang honorable dans le parlement de Bourgogne, en fut nommé premier président en 1715, et en exerça les fonctions pendant trente années, avec distinction. Il demeuroit dans cette rue, à laquelle la reconnoissance attacha son nom ; Jean de Berbisey affecta son hôtel pour être à perpétuité celui des premiers présidens qui lui succéderoient, et par acte de 1748, il joignit à cette libéralité la terre de Vantoux, dont la maison, et sur-tout les dehors, commandoient l’admiration. Il ne borna point ses largesses à la compagnie dont il étoit le chef ; ce magistrat avoit fait les fonds d’apprentissage de divers métiers en faveur des enfans indigens ; il avoit fondé des prix au collége pour les enfans d’une classe plus élevée ; il avoit fait plusieurs dotations aux Carmes, chez lesquels il avoit choisi sa sépulture, et où il avoit fait ériger à son père, mort le 8 sept. 1697, le mausolée que vous avez remarqué à la Cathédrale, où il a été transféré.

La communauté des filles de S.te-Marthe, fondée à Dijon en 1678, par Jacques de Neufcheses, évêque de Châlon, pour le soulagement des prisonniers et des pauvres malades à domicile, avoit son monastère dans la rue Berbisey, qu’elle terminoit en face de la rue Brulart.

Les anciens souverains du comté de Neuchâtel avoient leur hôtel à l’angle des rues Berbisey et du Chaignot.

Philippe d’Hochberg, maréchal de Bourgogne, l’habitoit ; il fut le dernier mâle de sa race, et Christophe de Bade se mit en possession de ses états, en vertu de concordat arrêté entre eux, sous l’agrément de l’Empereur. Louis d’Orléans-Longueville qui avoit épousé Jeanne, fille unique de Philippe d’Hochberg, n’obtint de cette riche succession que le comté de Neufchâtel et 250 florins d’or.

Cet hôtel est devenu celui de M. Richard de Ruffey. Germain-Gilles Richard de Ruffey, né à Dijon le 17 octobre 1706, président à la Chambre des Comptes de la même ville, fut un philologue instruit, cultivant les belles-lettres, poëte fécond, ami des beaux arts, et non moins versé dans la science de l’histoire et des antiquités ; il mourut à Dijon le 19 septembre 1794.

Ses études et son zèle le dirigeoient principalement sur tout ce qui étoit en rapport avec sa patrie ; il avoit réuni en 1752, une société littéraire, qui tenoit ses séances dans le salon de sa bibliothèque, et se rallia sept ans après à l’académie des sciences et arts, fondée par M. Pouffier ; M. de Ruffey en fut un des membres les plus zélés.

L’expérience avoit appris que les anciennes fortifications de Dijon recéloient dans leurs fondations des débris de monumens antiques ; M. de Ruffey suivit assidûment les démolitions de l’ancienne tour, qui étoit au chevet de l’église Saint-Étienne, fit transporter chez lui tous les fragmens de sculpture que les fouilles mirent à découvert, et les fit incruster à perpétuelle mémoire dans les murs de clôture de son jardin. Cette collection de débris antiques est d’autant plus intéressante qu’elle conservera à nos neveux des monumens de la première existence de Dijon, et qu’elle offrira dans un même local des restes que l’antiquaire aime à trouver rapprochés, pour en bien saisir l’ensemble et les rapports. C’est ainsi que parmi ces fragmens, M. Antoine a trouvé de quoi composer ce beau monument, qui dès les temps celtiques exista au confluent de l’Ouche et de Suzon.

Rue du Chaignot.Nous allons suivre la rue du Chaignot qui aboutissoit autrefois à la tour Fondoire ou porte Nanxion, près de laquelle les templiers[19] avoient une maison dans le XIII.e siècle, et nous suivrons la rue Sainte-Anne, autrefois des Crais.

Rue Ste Anne.Les religieuses de Tart, dont le monastère fut fondé dès 1131, avoient une suprématie sur beaucoup de communautés de filles de l’ordre de Saint Bernard. Comme première maison de filles de l’ordre de Cîteaux, elles tenoient chaque année à Tart un chapitre général ; mais exposées dans leur village aux malheurs qu’entraînent les guerres, voyant leur abbaye ruinée par l’armée de Galas, elles obtinrent leur translation à Dijon vers le milieu du XVII.e siècle.

Leur église est une rotonde parfaitement éclairée, et dans les plus belles proportions, sur 25 mèt. ½ de long, 15 ½ de large. Elle fut construite dans le commencement du XVIII.e siècle, sur les dessins du frère Louis de l’Oratoire. Le président de Berbisey et l’abbesse Amée de la Michaudière, descendante de la famille de Saint Bernard, en posèrent la première pierre. On admire dans cette église le magnifique retable à six colonnes corinthiennes en marbre noir, surmonté d’un groupe d’anges, et offrant dans l’entre-colonnement les statues en marbre blanc de la Sainte Vierge visitée par Sainte Elizabeth, ouvrage composé par le célèbre Dubois, pour le monastère de la Visitation, d’où il fut transporté dans cette rotonde, où il fait un effet admirable. Dans une chapelle collatérale on s’arrête devant le beau tableau de la communion de Sainte Catherine de Sienne par Quentin.

Cette maison est aujourd’hui affectée à l’hôpital Sainte-Anne, fondé en 1645 par les libéralités du président Odebert (V. Lycée) et de Odette Maillard son épouse, desquels on a transporté les mausolées dans cette église, afin que les restes des bienfaiteurs soient en perpétuelle vénération dans le lieu même qui doit son existence à leurs bienfaits.

Rue de la Fraternité.À l’angle-nord de cette rue étoit l’ancien hôtel de l’abbaye d’Ogny, fondée en 1106, par Milon de Frolois, sous la règle de Ste. Geneviève, et à laquelle succéda en 1609 le couvent des Carmélites, fondé à Dijon par Anne de la Lobere, l’une des compagnes de Ste. Thérèse. Le portail de cette église est d’une riche architecture ; les dessins en furent donnés par Tassin[20] ; la gravure en existe dans un des cartouches du plan de Dijon, par Miquel, professeur aux écoles d’artillerie d’Auxonne.

Aujourd’hui les cellules de ces pieuses filles sont occupées par les soldats de la cohorte, et par des magasins de l’administration militaire.

En face de la rue Fraternité, ci-devant des Carmélites, étoit l’église de la Chapelle aux riches, vulgairement Chapelotte, fondée sur la fin du XII.e siècle, par les frères Leriche, desquels elle prit le nom, et non pas comme quelques-uns l’ont prétendu, de ce que les canonicats étant peu rentés, il falloit être riche pour les posséder. Cette église est démolie.

Parmi les chanoines de cette collégiale on doit remarquer :

Edme Thomas est né à Dijon, le 9 février 1591, de Jacques Thomas, doyen du Parlement, et de Jeanne Chasot, fut doyen de la Chapelotte, en 1629, et nommé, en 1638, chanoine et official d’Autun, où il mourut le 28 octobre 1660. Edme Thomas est auteur d’une histoire d’Autun, dont il n’y eut que les cent premières pages imprimées à Lyon, l’année de son décès ; cet ouvrage dont on possède la suite, manuscrite, dans plusieurs bibliothèques, contient des recherches savantes et profondes, une critique judicieuse et éclairée, et c’est la meilleure histoire de l’antique capitale des Éduens.

Claude Robert, né à Cheslay, entre Bar-sur-Seine et Tonnerre, l’an 1564, précepteur d’André Fremyot, archevêque de Bourges, et de Jacques de Neufchèses, évêque de Châlon, fut d’abord pourvu d’un canonicat dans cette église ; l’évêque de Châlon lui en donna un dans sa cathédrale, et le nomma son grand vicaire. Robert mourut à Châlon-sur-Saône le 16 mai 1637, entre les bras de son évêque, qui le regretta sincèrement.

Claude Robert fut le premier auteur du Gallia christiana, publié en 1626, ouvrage dont l’idée lui fut donnée par le cardinal Baronius, et dont le plan fut bientôt goûté, agrandi et appliqué à toutes les provinces ecclésiastiques. Ce recueil a forcé de mettre à découvert les archives des abbayes, chapitres et couvens dont les richesses étoient ignorées, et il est devenu l’une des pierres angulaires de notre histoire de France. Un savant recommandable qui fournit le plus de matériaux à ce grand ouvrage, fut Dom Claude Estiennot, né à Varennes, près d’Avalon, le 16 mai 1658, auteur de l’histoire du Vexin français, in-fol. 3 vol., des antiquités de son ordre au diocèse de Bourges, et de celle de quinze autres diocèses. D. Estiennot composa en onze ans 45 vol. in-fol. ; aussi ce laborieux écrivain disoit-il de lui :

Immorior studiis, et amore senesco sciendi.

Il mourut à Rome le 20 juin 1699, procureur-général de son ordre.

Philibert Papillon, né à Dijon le 1.er mai 1666, d’une famille ancienne dans la robe, consacra toute sa vie à l’étude spéciale de l’histoire littéraire de la Bourgogne. Plusieurs dissertations savantes insérées dans des mémoires de littérature, sa bibliothèque des auteurs de Bourgogne, publiée en 1742, ouvrage entrepris à la sollicitation de M. le président Bouhier, auquel il fut dédié, sont ses titres comme savant éclairé, et ses droits à l’estime de ses compatriotes, parmi lesquels il mourut le 23 février 1738. Son portrait gravé par Petit, est en tête de ses œuvres. L’abbé Joly a composé son éloge[21].

Philippe-Louis Joly, né à Dijon, publia, en 1748, in-fol. des remarques critiques sur le dict. de Bayle, fut l’éditeur de la bibliothèque des auteurs de Bourgogne, des poésies de la Monnoye, des mém. hist. et critiq. de Bruys, et fut auteur du traité de versification en tête du dict. des rimes, et d’un vol. d’éloges de quelques auteurs français.

Place de la réunion.Nous arrivons sur la place de la Réunion, autrefois des Cordeliers ; son nom actuel provient de ce que ce fut dans les salles du couvent de ces moines que s’opéra, en 1789, la réunion des trois ordres de la province ; cette place, qu’on appela en 1791, place Mirabeau, étoit autrefois décorée d’une fontaine publique, qu’il seroit bien intéressant de pouvoir rétablir.

La maison à gauche entre les rues de la Fraternité et Charrue, est l’un des ouvrages du célèbre le Muet ; c’étoit anciennement l’hôtel de Thianges, habité par la famille des Quarré d’Aligny, qui a donné à l’ancien parlement des magistrats distingués.

Gaspard Quarré d’Aligny, né à Dijon le 20 décembre 1605, avocat-général en 1641, conseiller d’état en 1652, mort le 5 janvier 1659, fit imprimer à Paris, en 1658, in-4.°, ses plaidoyers qui eurent en leur temps un grand succès ; il avoit composé l’histoire des anciens rois, ducs et comtes de Bourgogne jusqu’en 965, ouvrage resté manuscrit.

François Quarré d’Aligny, né à Dijon en 1644, succéda à son père dans la place d’avocat-général, et mourut le 31 octobre 1721. Ses écrits sur les Amazones, sur les Sybilles, sur la durée de la vie des premiers hommes, sur les sept sages de la Grèce, sur l’invention des lettres et de l’imprimerie, lui assurent une réputation distinguée parmi les sectateurs de l’antiquité.

Les membres de cette famille eurent leur sépulture à l’église St. Pierre.

Rue Charrue.De l’autre côté de cette maison est la rue Charrue, dans laquelle plusieurs personnages illustres avoient leurs hôtels.

Guillaume Hugonnet, chancelier de Bourgogne, occupoit l’hôtel qui a appartenu depuis au président Joly de Bévy ; ce chancelier périt victime de sa fidélité à la fille de son souverain.

La princesse Marie, fille unique et seule héritière de Charles le téméraire, dernier duc de Bourgogne, avoit député son chancelier avec le seigneur d’Imbercourt, pour hâter la conclusion de son mariage avec le Dauphin, fils de Louis XI ; ce Monarque retint, sous divers prétextes, ces ambassadeurs à sa cour le plus long-temps qu’il lui fut possible ; d’autre part, les Gantois qui tenoient en captivité la fille de leur souverain, l’engagèrent à envoyer au roi de nouveaux ambassadeurs, et les lui désignèrent, Louis XI insinua à ces derniers que la princesse se défioit des Gantois, et remit à ces députés les lettres que Marie de Bourgogne avoit données à son chancelier ; les Gantois animés par le rapport de leurs députés, se présentent chez la princesse Marie, l’accablent de reproches et d’outrages, se saisissent d’Hugonnet et d’Imbercourt, que Louis XI avoit renvoyés, les condamnent à la mort, et malgré les supplications et les larmes de la jeune duchesse, qui se présenta en habit de deuil, les cheveux épars et les mains suppliantes au lieu du supplice, ces sujets fidèles furent décapités en sa présence, le 11 mars 1477. Ce trait a fourni le sujet de la vignette du 22.e livre de l’histoire générale de Bourgogne.

Claude Patarin, vice-chancelier du duché de Milan, premier président du parlement de Bourgogne, avoit aussi son hôtel en cette rue ; il étoit occupé dans ces derniers temps par M. le procureur-général Pérard ; Claude Patarin étoit un homme profond dans la connoissance des lois ; ses vertus lui méritèrent d’être appelé le père du peuple. Il assista, en 1527, à l’assemblée des notables, convoquée à Cognac, relativement à l’exécution du traité de Madrid, par lequel François I.er avoit consenti de céder à Charles-Quint le duché de Bourgogne pour rançon. Les députés de cette province opinans les premiers, ne craignirent pas de dire au Monarque en personne : ce serment est nul, puisqu’il vous est arraché par la violence ; si toutefois vous persistez à rejeter de fidèles sujets, et si les états-généraux nous retranchent de leur association, il ne vous appartient plus de disposer de nous ; nous adopterons telle forme de gouvernement qu’il nous plaira, et nous déclarons d’avance que nous n’obéirons jamais à des maîtres qui ne seront pas de notre choix. Patarin opina dans le même sens, et son avis fut que le roi ne pouvoit aliéner le domaine de la couronne. Ainsi la fermeté des Bourguignons sut conserver à la monarchie française l’une de ses plus belles provinces.

Patarin mourut le 21 novembre 1551, et fut enterré aux Cordeliers.

Dans la rue Charrue demeuroit l’avocat J. B. Taphinon, né à Montbard, mort à Dijon en juin 1746 ; les productions de sa jeunesse lui méritoient une place parmi les enfans célèbres de Baillet ; sa dissertation sur Racine lui valut l’amitié de Boileau, qui lui écrivoit obligeamment « qu’en faveur du style et du feu qui étinceloit dans cet écrit, il lui pardonnoit d’avoir critiqué son ami Racine, et qu’il avoit remarqué avec plaisir qu’il lui rendoit dans Britannicus, Iphigénie, Phèdre et Andromaque, ce qu’il lui ôtoit dans ses autres tragédies. » Taphinon concourut plusieurs fois pour les prix de l’académie française et celle des jeux floraux, qui ont inséré ses pièces dans leurs savans recueils ; il fut un des premiers membres de l’académie formée à Dijon, en 1740.

Rue du
petit Potet.
La rue du Petit-Potet, donne aussi sur la place de la Réunion. Dans cette rue, l’hôtel la Trémouille avoit sa principale entrée ; il passa à la famille des Godrans, qui le céda aux Jésuites, et sous ces pères il fit partie des bâtimens de l’ancien collège, actuellement affectés à l’école de droit et à celle des beaux-arts.

La Trémouille habitoit cet hôtel, lorsqu’il défendit Dijon contre les Suisses. (Voy. Château, pag. 83.)

Rue Turgot.À droite est la rue Turgot, nouvellement ouverte sur l’emplacement de l’église des Cordeliers.

Turgot fut un des ministres les plus vertueux du règne de Louis XVI ; ce qui lui fait le plus d’honneur est son intendance de Limoges, qu’il administra douze années avec un esprit d’équité et de bienfaisance qui n’y seront jamais oubliés ; il n’y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple, dit un jour Louis XVI en plein conseil ; cependant toutes ses opérations furent entravées, et son administration ne fut pas heureuse, parce que, dit Malesherbes, il ne connoissoit les hommes que dans les livres. Son portrait est gravé par Vatelet ; il étoit né à Paris, le 10 mai 1727, et y mourut le 18 mars 1781.

La suppression d’une lettre dans la dénomination de cette rue, rendroit son nom plus en rapport avec la nécrologie de Bourgogne.

François Thurot, né à Nuits le 22 juillet 1727, quitta l’étude de la chirurgie, à laquelle son père l’avoit destiné, pour servir sur mer ; il s’embarqua à Dunkerque en 1744, il fut aussitôt fait prisonnier, et conduit en Angleterre ; delà cette haine forte qu’il conserva toute sa vie contre cette nation à laquelle il ne pardonna jamais.

Un cartel d’échange ayant été établi, Thurot n’y fut pas compris, et il résolut de tout sacrifier pour repasser en France ; il guette l’entrée de la nuit, se précipite dans une chaloupe, la détache, se fait une voile de sa chemise, parvient à force de rames, à se diriger, et après mille dangers arrive à Calais peu d’heures après le commissaire français. Cette intrépidité lui valut la protection du commissaire, le maréchal de Belle-Isle ; de mousse, il devint en moins de deux ans pilote habile et capitaine expérimenté ; les armateurs se disputaient l’avantage d’avoir Thurot sur leurs bords ; plusieurs combats particuliers dont il se tira toujours avec honneur, achevèrent sa réputation, et il fut nommé capitaine de marine royale dans la guerre de 1756 ; il se signala par plusieurs expéditions glorieuses, et en 1760, il fut chargé avec cinq frégates de faire une descente en Irlande ; le capitaine Elliot l’ayant atteint à la hauteur de Clarik-Fergus, le combat fut terrible ; Thurot abandonné par ses autres bâtimens, se défend seul sur la frégate la Belle-Isle, contre trois vaisseaux ennemis ; la frégate est démâtée, criblée, faisant eau de toutes parts ; Thurot est inébranlable, et préférant la mort à la honte de baisser son pavillon, il lâche sa dernière bordée ; à l’instant il est atteint dans l’estomac d’une balle de pierrier, et meurt sur son bord les armes à la main, le 28 février 1760 ; son corps fut jeté à la mer ainsi qu’il l’avoit désiré, ne voulant pas même tomber mort entre les mains de ses ennemis. Son portrait est gravé par Petit.

M. de la Place lui fit l’épitaphe suivante, la meilleure de celles qui parurent dans le temps :

Jeune et trahi par la victoire,
Ci-gît l’intrépide Thurot
Qui vécut assez pour sa gloire,
Et pour l’État mourut trop tôt.

Sur le local de la rue Turgot, existoit dans le XI.e siècle une chapelle dite de Notre-Dame ; elle fut cédée aux Cordeliers, qui furent établis à Dijon vers 1243 ; leur église ne fut achevée qu’en 1379, rebâtie en 1651, démolie en 1792. On y remarquoit les sépultures de :

Jeanne de Savoye, fille de Blanche de Bourgogne et d’Édouard comte de Savoye, épouse de Jean le Bon, duc de Bretagne ; cette princesse voulut succéder à son père, et à ce sujet entraîna le duc son époux dans des guerres qui ne lui furent pas favorables. Elle mourut au bois de Vincennes, le 29 juin 1344.

Philippe de Vienne, évêque de Langres, mort en 1456.

Jean d’Amboise, aussi évêque de Langres, successeur de Charles d’Amboise son frère, dans le gouvernement de Bourgogne, frère du fameux cardinal Georges d’Amboise ; il fut un excellent orateur, et mérita par ses vertus le titre de nourricier des pauvres et de père de la patrie.

Enfin, l’on y voyoit le mausolée du président Legouz de la Berchère, et celui de son épouse que vous avez vus à St.-Benigne, où ils ont été transférés.

Les assemblées des états de la province qui se tenoient dans les salles de l’abbaye de St.-Étienne, commencèrent en 1602 à se tenir dans le bâtiment que venoient de faire construire les Cordeliers sur l’emplacement de l’ancien hôtel de l’abbaye d’Auberive ; ce ne fut qu’en 1712 que les états s’ouvrirent dans le palais élevé aux frais de la province, près de l’ancien palais des Ducs.

Quelques Cordeliers du couvent de Dijon se sont distingués.

Jacques-Florent Goujon, né à Dijon le 15 novembre 1621, entreprit en 1666 le voyage de la Terre-Sainte, et en publia l’histoire en 1670, in-4.o ; il mourut en 1693, aumônier d’un régiment de dragons.

Jean-Baptiste Bazin, né à Auxonne le 14 janvier 1637, gardien du couvent de Dijon, préfet de la custodie, définiteur de la province, procureur-général de l’ordre en 1673, revint mourir à Auxonne sa patrie, le 30 janvier 1708 ; il avoit fait plusieurs ouvrages sur les saints et les couvens de son ordre.

François Delachère, originaire de Dijon, né le 26 novembre 1660, missionnaire au Sénégal en 1686, y séjourna trois ans, rédigea le journal de son voyage, et mourut dans le couvent de Dijon, le 20 mai 1734 ; il avoit composé le nécrologe de ce monastère.

Rue Franklin.Parallèlement à la rue Turgot, a également été ouverte sur le terrein des Cordeliers, une nouvelle rue surnommé Franklin.

Vous connoissez de réputation ce philosophe du nouveau monde, né à Boston dans les États-Unis d’Amérique, en 1706, d’un fabricant de chandelles et de savon ; la profession, de son père lui déplut ; il choisit celle d’imprimeur, et s’établit à Philadelphie. Au milieu des occupations de son état, Franklin trouva le moyen d’étendre ses connoissances, et d’en acquérir de très grandes en politique, en morale et en physique. Les États-Unis le députèrent à Paris pour suivre les négociations qu’entraînoit la scission de sa patrie avec la Grande-Bretagne ; Franklin réussit à obtenir l’appui de la France, qui valut l’indépendance de l’Amérique. À son retour, nommé gouverneur de la Pensylvanie, il se dévoua tout entier aux intérêts de cette colonie, où il mourut le 17 avril 1790. — Les États-Unis d’Amérique, l’Assemblée nationale de France portèrent le deuil de cet homme que regrettoient les deux mondes ; on attribue au ministre Turgot ce beau vers qui fait devise au bas du portrait de Franklin :

Eripuit cœlo fulmen, sceptrumque tyrannis.

Rue Saint-Pierre.Cette large rue que nous allons suivre, est celle de Saint Pierre, jadis d’Auberive, parce que l’abbaye de ce nom y avoit un hôtel.

Cette rue étoit avant la révolution, terminée par l’église Saint Pierre, paroisse qui remonte au XI.e siècle ; d’abord bâtie dans le faubourg, elle ne se trouva placée dans l’intérieur de la ville que par l’effet de la nouvelle enceinte élevée dans le XIII.e siècle ; cette église supprimée lors de la Constitution civile du Clergé, fut démolie pour l’élargissement de la rue qu’elle obstruoit ; sa démolition n’offre rien à regretter.

Benigne Saumaise, conseiller au parlement en 1594, doyen de cette Cour, mort le 15 janvier 1640, âgé de 80 ans, fut enterré dans cette église ; il étoit père du grand Saumaise, qui disoit qu’en fait de poésie, peu de gens l’avoient égalé ; il avoit traduit en vers la géographie de Denys d’Alexandrie, imprimée à Paris en 1597, in-12.

Dans la rue Saint-Pierre nacquit, le 12 octobre 1726, Pierre-Henri Larcher, fils d’Henri Larcher, trésorier de France et de Pétronille Gauthier.

P. H. Larcher étoit membre de l’Académie des inscript. et belles-lettres, de l’Institut impérial, et de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon ; il mourut à Paris le 21 décembre 1812. On a de lui quelques traductions de Pope et d’Euripide, un Essai sur le Sénat romain, mais surtout la traduction d’Hérodote la plus estimée, in-8.°, 1802, 9 vol. et de la retraite des dix mille de Xénophon.

Dans cette même rue demeuroit aussi Nicolas Fournier, médecin de la ville et des états, membre de l’Académie des sciences de Dijon, mort le 21 février 1782, qui pendant 40 années qu’il habita Dijon, publia plus de 50 mémoires relatifs à son art.

Porte
St Pierre.
Vous voyez la porte Saint-Pierre, encore dans une ancienne tour, à laquelle viennent aboutir trois routes principales.

Celle de Lyon par Châlon, Seurre et Saint-Jean-de-Laône ;

Celle de Strasbourg par Besançon, Dôle et Auxonne ;

Celle de Rome par Milan, le Simplon, Genêve et Dôle.

En face de la rue Saint-Pierre, est la rue Chabot-Charni, autrefois Saint-Julien.

Rue Chabot-Charni.Le côté oriental de cette rue est presque entièrement formé par l’hôtel des anciens sires de Vergy, ou de la Sénéchaussée, parce que la charge de grand Sénéchal de Bourgogne fut héréditaire dans cette famille pendant plus de trois siècles, depuis Hugues de Vergy, dont la fille Alix fut mariée au duc de Bourgogne Eudes III.

Ayant passé aux Chabot, cet hôtel fut occupé par Léonor de Chabot-Charni, amiral de France, commandant en Bourgogne, qui en fit relever les murs de clôture, sur lesquels il fit placer les anchres et emblêmes maritimes qu’on y voyoit encore sur la fin du siècle dernier.

Ce fut dans l’un des salons de cet hôtel que, par le conseil de Pierre Jeannin, il fut décidé de suspendre l’exécution des ordres de Charles IX pour le massacre de la Saint Barthelemi. Cette considération, dit l’historiographe de Bourgogne, auroit dû faire donner à cette rue le nom de Chabot-Charni ; son vœu est rempli : la reconnoissance publique a acquitté la dette de l’humanité envers ce gouverneur, qui se montra le père et le protecteur des citoyens placés sous son commandement.

Mais après avoir été, sous Chabot-Charni, le temple de la bienfaisance et de la philantropie, ce palais devint bientôt après le repaire des discordes civiles ; il fut habité par ce fameux duc de Mayenne, qui le constitua le foyer des fureurs de la ligue, ourdie contre le meilleur des rois.

Enfin, ce vaste édifice ayant été cédé à l’abbaye de Rougemont, depuis appelée Saint-Julien, fut pendant plus d’un siècle l’asyle de la piété religieuse ; il est aujourd’hui divisé en plusieurs maisons de commerce.

Les Bénédictines de Rougemont, fondées vers la fin du XI.e siècle, réunies en 1664 au prieuré de Saint-Julien sur Deheune, obtinrent leur translation à Dijon, en 1673, à la sollicitation d’Agnès de Rouville, leur abbesse, qui acheta cet hôtel en 1676.

Cour d’Espoisses.Au côté opposé de cette rue, le prieuré d’Époisses, ordre de Grammont, paroisse de Bretennière, fondé en 1189, supprimé en 1771, avoit un hospice considérable, dont une partie de l’emplacement retient encore aujourd’hui le nom de Cour d’Espoisses.

Rue Buffon.La rue à droite étoit celle du Grand-Potet ; elle a pris le nom de Buffon, parce que Benjamin Leclerc, conseiller aux requêtes du palais, père du Pline français, y avoit son hôtel.

Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, nacquit à Montbard le 7 septembre 1707 : Anne Christine Marlin, sa mère, étoit une femme de beaucoup d’esprit, ayant des connoissances et une tête bien organisée ; et comme son opinion étoit que les enfans tenoient de leur mère presque toutes leurs facultés intellectuelles, Buffon aimoit à dire qu’il devoit beaucoup à la sienne. Au corps d’un athlète il joignoit l’ame d’un sage ; sa figure mâle et noble annonçoit la force de son tempérament et de son génie ; son caractère vif et même bouillant décéloit le feu de son imagination. Buffon avoit fait ses études au collège de Dijon ; dès ses plus jeunes années il se passionnoit pour la géométrie, et tandis que ses camarades prenoient leur récréation[22], il se retiroit à l’écart pour lire et relire les élémens d’Euclide qu’il portoit toujours avec lui ; aussi avoit-il conservé le goût du travail. Il s’y livroit constamment 12 et 14 heures par jour, dans ce pavillon des jardins de Montbard, que le prince Henri de Prusse avoit surnommé le berceau de l’histoire naturelle, et dont J. J. Rousseau baisa respectueusement le seuil avant d’oser le franchir. Là Buffon se rendoit tous les jours au lever du soleil, faisoit fermer les volets et les portes, et travailloit dans le silence, à la clarté des bougies, coëffé d’un bonnet de soie grise, enveloppé d’une robe de chambre rouge à larges raies blanches, assis dans un vieux fauteuil de cuir noir, devant un simple bureau en chêne, au-dessus duquel étoit la gravure de Newton.

Le style de cet écrivain nous paroît naturel et facile, mais le travail est caché par l’art ; Buffon écrivoit difficilement ; il ne craignoit pas de passer quelquefois une matinée entière à l’arrangement d’une phrase ; il faisoit mettre au net ce qu’il avoit composé, le revoyoit le lendemain ou quelques jours après, y faisoit les changemens qu’il croyoit convenables, le redonnoit à la copie, et le corrigeoit encore, jusqu’à ce qu’il n’y trouvât plus rien à reprendre. C’est ainsi qu’on assure qu’il écrivit jusqu’à dix-huit fois ses époques de la nature. Aussi ses descriptions sont des chef-d’œuvres de style ; ses discours sont le charme de l’imagination, ses réflexions sont l’éclair du génie ; correction, pureté, élégance, harmonie, images, clarté, enchaînement des idées, il n’est aucune des qualités d’un grand écrivain dont ses ouvrages n’offrent le modèle.

À table, où Buffon aimoit à rester long-temps, sa conversation étoit simple mais noble, et celle d’un homme qui sait élever ou abaisser son génie au niveau des circonstances ; c’est là où l’on pouvoit goûter le plaisir de l’entendre à son aise ; là, il s’abandonnoit par fois à toutes les gaîtés qui lui passoient par la tête ; il alloit même jusqu’à des propos un peu libres, dont il rioit beaucoup tout le premier. Il aimoit à gloser sur la chronique scandaleuse du pays, et c’étoit un divertissement pour lui de s’en faire instruire par le perruquier son voisin.

Buffon aimoit la société des femmes, et ne se montroit jamais en public sous des dehors négligés ; il tenoit sur-tout à la coëffure, et tous les jours se faisoit mettre des papillotes : tout homme, disoit-il, doit s’efforcer d’avoir un extérieur qui prévienne en sa faveur.

Lorsqu’il fut nommé Comte (en mai 1771), et que le Roi lui eût accordé l’honneur des entrées, Buffon se montra jaloux d’être qualifié de son nouveau titre et de ses droits honorifiques vis-à-vis de ses vassaux. Il se promenoit tous les dimanches, en grand paré, sous l’allée d’arbres qui conduit à l’église, et après avoir entendu la messe de paroisse, il y revenoit accompagné de son fils et du P. Ignace, entouré des habitans auxquels il adressoit souvent la parole.

Ce grand-homme mourut le 16 avril 1788, âgé de 81 ans, déclarant, avant de recevoir les sacremens, que ses erreurs en matière de foi étoient celles de son esprit et non celles de son cœur ; il fit publiquement une confession générale de toute sa vie, sans s’inquiéter de ceux qui étoient présens à ce grand acte de religion.

Le seul monument à sa mémoire est la colonne que lui fit élever son fils à Montbard en 1785, avec cette inscription :

Excelsæ turri, humilis columna ;
Parenti suo, filius Buffon.

À côté de Buffon, puis-je ne pas mentionner ses collaborateurs ?

Jean-Louis-Marie Daubenton, né à Montbard le 29 mai 1716, membre de l’académie des sciences, fut chargé par Buffon de la partie anatomique de son histoire naturelle, dans laquelle il mit autant de clarté et de sagacité que son compatriote apportait de génie et d’élégance dans ses descriptions. On doit à Daubenton la savante classification des productions de la nature, au cabinet du jardin des plantes ; une foule de découvertes anatomiques, plusieurs mémoires sur l’amélioration des troupeaux, la qualité des arbres, la classification des minéraux. Il fut nommé membre du Sénat, place que lui méritaient ses succès en histoire naturelle, son amour pour sa patrie, son attachement à tous ses devoirs. Il fut frappé d’apoplexie à la première séance du Sénat à laquelle il assista, mourut le dernier jour du XVIII.e siècle, et fut inhumé au Jardin des Plantes. Ainsi le cardinal Bentivoglio fut frappé dans le conclave ; le jésuite Chapelain, en entrant dans l’église ; Molière, en jouant son malade imaginaire ; et l’abbé Barthelemi, s’endormit en lisant Horace, pour ne se réveiller jamais.

On rapporte que, sous le règne de la terreur, Daubenton ayant eu besoin d’un certificat de civisme, il fut demandé à la section sous le nom d’un berger qui donnoit ses soins à multiplier et naturaliser en France la race des Mérinos, et il lui fut accordé. On le lui eût refusé sans doute, s’il se fût présenté avec tous les titres qui, dans tout autre temps, l’eussent recommandé à la reconnoissance nationale.

Philibert Gueneau de Montbeillard, né à Semur en 1720, reçut à Dijon une excellente éducation ; il fut l’ami et le collaborateur de Buffon qui ne craignoit pas de dire que c’étoit l’homme dont la façon de voir, de parler et d’écrire, avoit le plus de rapport avec la sienne ; Buffon l’avoit chargé de la partie des oiseaux ; les premiers articles parurent sous le nom de l’illustre naturaliste qui se l’étoit associé, ils ne furent pas reconnus, et ce fut Buffon qui en nomma l’auteur. On raconte à ce sujet, que Buffon félicité sur son article du Paon par le prince Louis de Gonzague, dit à Son Altesse qu’il alloit lui en montrer l’auteur, et lui présenta M. de Montbeillard. Le prince admira que la nature eût placé si près l’un de l’autre deux grands hommes, et que ces grands hommes fussent amis. La partie des oiseaux achevée, M. de Montbeillard entreprit celle des insectes ; mais la mort l’arrêta dans ses travaux ; il expira à Semur le 28 novembre 1785, généralement regretté.

Vis-à-vis l’hôtel de Buffon, étoit celui de l’abbaye de la Bussière, construit sur une portion du cimetière des Juifs, que le duc Eudes IV avoit concédé à ce monastère. Cet hôtel fut, dans le dernier siècle, la résidence du président de Migieux, à qui nous devons le recueil des sceaux gothiques, Paris, 1779. in-4.°, monument intéressant de l’histoire du moyen âge. Il mourut le 18 décembre 1788, âgé de 65 ans.

Vous voyez le modeste portique de ce théâtre de Dijon, si redouté par les acteurs médiocres, et dont les maîtres de la scène ambitionnoient les applaudissemens. C’étoit, sous nos Ducs, l’hôtel de Beaufremont : en 1717, il fut acheté par la ville pour y établir un jeu de paume, qu’on appeloit le Tripot des Barres ; en 1743, il fut converti en une salle de spectacle, qui est celle existante aujourd’hui.

Rue Legouz-Gerland.La rue qu’on aperçoit à côté de ce théâtre, a été prise sur les jardins de l’ancien évêché ; elle porte le nom de Legouz-Gerland, grand-bailli du Dijonnais, fondateur du jardin botanique.

Il nacquit à Dijon le 17 novembre 1695, et y mourut le 17 mars 1774 ; il est auteur de l’histoire des premiers Rois de Bourgogne et de celle des antiquités de Dijon, imprimées en cette ville en 1771. in-4.o ; d’une histoire de la courtisanne Laïs ; d’une dissertation sur la religion des Druides ; d’un voyage d’Italie ; d’une histoire de Pompée ; d’un parallèle de César et d’Auguste ; et de plusieurs dissertations intéressantes insérées dans les Mémoires de l’académie de Dijon qui a publié en 1774 son éloge, dont le docteur Maret est auteur.

Peu d’hommes ont été plus que Legouz-Gerland, dévoués à leur patrie : il fonda le jardin botanique et fit don de 6000 fr. pour son entretien ; il forma le cabinet d’histoire naturelle, et contribua puissamment à l’érection de l’école de dessin ; ses écrits et ses actions ont été constamment dirigés à l’avantage de la ville qui lui donna naissance. Son portrait, peint par Devosge père, a été gravé par Marcenay.

Rue d’Apchon.Les Juifs furent tantôt reçus et tolérés, tantôt chassés et proscrits par les Ducs de Bourgogne, suivant que ces princes avoient besoin d’argent. Dans le XII.e siècle on leur concéda ce quartier de la ville, d’où il prit le nom de rue des Juifs ; c’est aujourd’hui la rue d’Apchon : quoique cet évêque ne soit point né dans ses murs, Dijon devoit à la reconnoissance d’éterniser le nom de ce prélat, et de rappeler aux citoyens le souvenir de ses vertus.

Claude-Marc-Antoine d’Apchon, natif de Montbrison en Forez, après avoir passé les premières années de sa vie dans la carrière des armes, embrassa l’état ecclésiastique, fut nommé doyen de la chapelle aux Riches, grand-vicaire de Dijon en 1752, puis Évêque de cette ville en 1755. Ce prélat consacroit son temps, sa fortune, sa vie même à des actes de bienfaisance, à la pratique des vertus morales et chrétiennes dont il donnoit un si bel exemple : père des indigens et des affligés, il savoit mettre dans les secours qu’il leur distribuoit, autant de délicatesse que de générosité.

Informé que deux demoiselles âgées et d’une famille honnête, éprouvoient des besoins, il se transporte chez elles et les prie de lui remettre un tableau dont on lui avoit dit qu’elles étoient propriétaires ; du geste il en désigne un dans l’appartement ; aussitôt le tableau est décroché et offert, mais l’évêque ne veut l’accepter qu’autant qu’on le laissera maître d’y assigner un prix, et remercie de ce qu’on veut bien s’en défaire en sa faveur : on cède par respect, un rouleau de louis est déposé sur la cheminée.

La cherté des subsistances avoit excité le 18 avril 1775 une émeute populaire à Dijon ; aucune autorité, aucune force n’avoient pu arrêter le peuple ; plusieurs hôtels étoient au pillage, l’insurrection étoit à son comble. D’Apchon se présente seul à la multitude effrénée, elle s’arrête :

Tum pietate gravem ac meritis si fortè virum quem Conspexere silent.

Il porte la parole avec cette douceur, cette onction qui lui étoient ordinaires : Mais, Monseigneur ; — mais, mes enfans, que faites-vous ? que demandez-vous ?Du pain, Monseigneur, du pain, ...... qui nous en donnera ?Moi, mes enfants, moi, à l’Évêché, tant qu’il y en aura ..... Eh ! ne suis-je pas votre père à tous ? Il donne le bras à deux des plus mutins, les emmène à l’Évêché où il avoit eu soin de faire trouver un approvisionnement de pains, les distribue au peuple. Tous rentrent dans l’obéissance et couvrent le prélat de leurs bénédictions.

Cet acte le fit nommer à l’Archevêché d’Auch en mars 1776 ; lorsqu’il en prit possession, une épizootie avoit ravagé toute la contrée ; il fit acheter sept mille bêtes à cornes, et les répartit entre les cultivateurs les moins aisés de son diocèse.

Un incendie ayant éclaté dans une maison, deux enfans étoient sur le point de périr dans les flammes ; d’Apchon s’y transporte, invite, presse, prie les ouvriers d’aller à leur secours, promet 200 louis à celui qui les sauvera ; personne n’ose s’y exposer : ce sera donc moi, dit le Prélat ; il se fait dresser une échelle, entre lui-même par une fenêtre, pénètre à travers les flammes, on l’y croit englouti ; mais il reparoît bientôt après avec les deux enfans sur ses épaules, et les rend à leur famille en y ajoutant la somme qu’il avoit promise à celui qui tenteroit de les sauver.

Toute la vie de cet archevêque est remplie de pareils traits : — il mourut à Paris en 1783. Son portrait est gravé.

Rue Chancelier-l’Hospital.Sur votre droite est la rue des Ursulines, aujourd’hui celle du célèbre Chancelier-l’Hospital.

Les Ursulines de Dijon furent fondées en 1611 par Françoise de Xaintonge et Catherine de Montholon, fille de l’illustre garde des sceaux de ce nom, morte en 1650. On voyoit dans leur église les statues de Saint Joseph et de Saint Augustin, exécutées par Bouchardon, et plusieurs tableaux de Quentin et de Revel.

Michel de L’Hospital nacquit à Aigues-Perse en 1505 ; son père étoit médecin.

Ce grand homme fut successivement auditeur de la Rote à Rome, conseiller au parlement de Paris, ambassadeur au concile de Trente, surintendant des finances, chancelier de France ; et dans toutes ces fonctions, il déploya les plus grands talens, la plus héroïque fermeté, les plus rares vertus. En se faisant redouter des sangsues de l’État, il donna l’exemple du plus grand désintéressement, et après avoir été douze ans dans le parlement et six ans à la tête des finances, sa fortune étoit restée si bornée, que le Roi fut obligé de doter sa fille. Devenu chef de la justice, il se montra philosophe au milieu des factions qui agitoient la Cour et le royaume, et justifioit la devise du juste :

Si fractus illabatur orbis,
Impavidum ferient ruinæ.
Il parut avec beaucoup d’éloquence aux États d’Orléans, au colloque de Poissy, à l’assemblée de Moulins ; on lui doit l’édit qui fait coïncider l’année avec le cours du soleil, et qui fixe, au 1.er janvier, l’ouverture de l’année qui jusques-là n’avoit commencé qu’à

Pâques.

Exclu du Conseil par Catherine de Médicis, l’Hospital se retira dans sa campagne, et remit les sceaux sans regret : j’ignorois, écrivoit-il, que la vie et les plaisirs champêtres eussent autant de charmes ; j’ai vu blanchir mes cheveux avant de connoître l’état dans lequel je pouvois rencontrer le bonheur.

Le nom de l’Hospital n’avoit point été placé sur les tables de proscription de la Saint-Barthelemi, et cependant ce magistrat eût été l’une des victimes de cette sanglante journée, si des gardes envoyés par le Roi, n’eussent fait retourner les furieux qui alloient l’assassiner. Je ne croyois pas, dit l’Hospital, avoir jamais mérité ni la mort, ni le pardon. Il mourut le 13 mars 1573 ; Louis XVI lui fit ériger une statue. Son portrait est gravé par Marcenay et Desrochers.

Rue Vieux-Collège.En face de la principale porte du couvent des Ursulines, devenu aujourd’hui l’une des casernes de la garnison, est la rue du vieux Collége, jadis des Béliots.

Jusqu’au milieu du XV.e siècle, l’instruction publique à Dijon étoit demeurée dans les mains du chapitre de la Sainte-Chapelle ; les écoles, d’abord placées dans le cloître de cette église, furent transférées en 1340 dans l’hospice de la rue Saint-Fiacre, qui étoit sous la juridiction de cette collégiale.

Dans les premières années du XVI.e siècle, deux prêtres, les frères Martin, ouvrirent, dans la rue des Béliots, une maison d’institution qui fut appelée le collége des Martins, et qui subsista jusqu’en 1603, époque de l’établissement de celui des Jésuites à Dijon.

Pierre Turrel, Autunois, fut longtemps recteur de ce collége, et sa réputation rendit les écoles des Martins florissantes : majorem imò nec parem recepit Gallia, disoit Chasseneux : poëte, philosophe, astrologue, cette dernière qualité pensa lui coûter la vie.

Accusé d’impiété pour avoir osé se mêler de prédire l’avenir, dans son livre intitulé, fatale précision sur les astres, et disposition d’icelle sur la région de Jupiter, maintenant appelée Bourgoigne, pour l’an 1529 et autres subséquentes ; Turrel eût succombé sous cette accusation, si Duchatel, son élève, n’eût entrepris sa défense, et n’eût plaidé sa cause avec tant de zèle, de force et d’éloquence, qu’il le fit absoudre.

Ce plaidoyer de Duchatel lui procura l’évêché de Mâcon[23], la place de grand aumônier de France, et celle de bibliothécaire de François I.er, dont il fut jusqu’à sa mort le conseil et l’ami.

Cet évêque entendant un jour le chancelier Poyet trahir le roi par une lâche adulation, lui dit avec véhémence : de quel front osez-vous hasarder devant S. M. des flatteries qui feroient baisser les yeux aux Néron et aux Caligula ? Les courtisans s’élevèrent contre la hardiesse de l’apostrophe ; mais François I.er ajouta : et moi, je vous ordonne de déployer en toute occasion cette liberté généreuse dont j’ai besoin ; ma protection, mon amitié sont à ce prix.

Duchatel, au dire du chancelier l’Hospital, étoit l’ornement des muses, savant dans le grec et dans les langues orientales, prédicateur éloquent ; il mourut d’apoplexie en prêchant dans sa cathédrale d’Orléans le 3 février 1552. Ainsi le cardinal de Berulle mourut en célébrant le saint sacrifice de la messe ; Montaigne, à l’élévation de la messe qu’il se faisoit dire dans son appartement ; le P. Élisée Coppel, carme déchaussé du couvent de Besançon, à la suite du carême qu’il avoit prêché avec tant de succès et d’applaudissemens à Dijon, en 1783.

Jean Bégat, Étienne Tabourot, Benigne Pérard, Claude Robert, étoient élèves du collége des Martins.

Dans la rue vieux Collége, habitoit Denis Languet, procureur-général au parlement de Dijon, père du célèbre curé de Saint Sulpice et de l’archevêque de Sens.

Jean-Baptiste Languet, né à Dijon le 6 mai 1675, devint curé de Saint-Sulpice de Paris, en 1714 : n’ayant que cent écus dans la caisse de sa fabrique, il entreprit de faire élever cette superbe Basilique, l’ornement de la capitale de l’Empire ; il employa cette modique somme à acheter des pierres et les fit étaler dans les environs de cette église, afin d’annoncer au public ses desseins par un commencement d’exécution : alors les aumônes, les libéralités sollicitées par le curé, devinrent tellement abondantes, que l’on posa en 1718 la première pierre de cette Basilique, qui fut achevée en 1745.

Jamais homme ne fut plus habile à se procurer des aumônes ; il en distribuoit pour plus d’un million par an aux indigens et surtout aux pauvres honteux ; dans un temps où le pain étoit cher, en 1725, ce curé vendit tout son mobilier pour en distribuer le prix aux malheureux, et depuis cette époque il resta logé sans tapisserie, couchant sur un lit de serge qu’on lui avoit prêté. Peu de temps après il vendit son patrimoine pour l’employer au soulagement de la classe indigente. Il ne cessa de soutenir jusqu’à sa mort l’établissement des filles de l’enfant Jésus qu’il avoit fondé en faveur des demoiselles pauvres, et qui servoit de ressource à plus de 800 familles. En sortant de visiter cette maison, charmé de l’ordre qui y régnoit, le cardinal de Fleury lui fit proposer de le créer surintendant général des hôpitaux du royaume ; il répondit en souriant : Je ne veux pas qu’il soit dit que les bontés de S. E. m’ont conduit à l’hôpital.

Ce Curé sut se délivrer des convulsionnaires de sa paroisse par l’arme de la plaisanterie : il les recommanda au prône, comme atteints d’une folie épidémique, désigna les maisons de quelques-uns d’entre eux, invitant ceux de ses paroissiens qui passeroient devant leur porte, de s’agenouiller sur le seuil et d’y réciter pour eux un Pater et un Ave : cette exhortation fit rire certains de ses auditeurs, mais des gens simples l’en crurent et allèrent bonnement à la porte des convulsionnaires ; ce moyen obtint tout l’effet que le curé en désiroit ; dès la même nuit les convulsionnaires quittèrent sa paroisse.

Jean-Baptiste Languet avoit refusé plusieurs évêchés ; il mourut en 1750 dans son abbaye de Bernai. Son portrait fut gravé par Desrochers, Odieuvre et Saint-Aubin.

François-Joseph Languet son frère[24], né à Dijon le 25 août 1677, ami du grand Bossuet, évêque de Soissons en 1715, archevêque de Sens en 1730, conseiller d’État, l’un des quarante de l’Académie française, fut un prélat pieux et éclairé : il s’occupa principalement de matières de controverse dans lesquelles il mit beaucoup de chaleur ; on fait mention de 71 ouvrages par lui composés en matière de religion : il mourut le 3 mai 1753. Son portrait est gravé par Desrochers, Chevalier et Gaillard.

Hubert Languet, de la même famille, né à Vitteaux en 1518, fut un des hommes les plus savans, un des politiques les plus habiles de son siècle ; il pensoit sur les monarques comme on en parloit dans le Sénat de Rome après l’expulsion des Tarquins, et son ouvrage, intitulé, Vindiciæ contra tyrannos, en est la preuve. Ambassadeur de Saxe à la Cour de France, il fit à Charles IX, au nom des princes protestans, une harangue non moins éloquente que hardie, et fut assez heureux pour sauver Duplessis-Mornay du massacre de la Saint-Barthelemi. Languet mourut à Anvers le 30 septembre 1581. Philibert de Lamare publia sa vie, in-12. 1700. — Son portrait est gravé.

Rue Saumaise.La rue Porc-Sanglier est devenue la rue Saumaise.

La communauté du bon Pasteur y fut établie dès 1681, par les soins de Benigne Joly ; c’étoit une maison de réclusion pour les femmes débauchées.

Claude Saumaise, né à Semur le 15 avril 1588, élevé à Dijon chez son père qui y devint conseiller au parlement, épousa, le 5 septembre 1623, Anne, fille de Josias Mercier, homme accrédité parmi les protestans et les savans de son siècle.

En 1629, Saumaise revint à Dijon ; son père voulut lui résigner sa charge ; quoiqu’il fût protestant, le parlement y avoit donné les mains ; mais le chancelier, Michel de Marillac, fut inexorable, et Saumaise retourna à ses occupations favorites.

En 1631, appelé à Leyde par les États de Hollande, pour y remplacer Scaliger, il y resta jusqu’en 1635, que des soupçons de peste le firent repasser en France. Étant à Paris, le roi lui accorda un brevet de Conseiller d’État et le cordon de l’ordre de Saint-Michel. Saumaise vint à Dijon, il y fut vivement sollicité par le prince de Condé de rester en France, et il y avoit accédé, sous condition qu’il seroit rappelé par un ordre exprès du roi, et qu’on lui feroit la même pension de 3,600 l. qu’on avoit faite à Grotius lorsqu’il fut rappelé de Hollande ; mais ces conditions ayant tardé à être acceptées par la Cour, Saumaise retourna en Hollande en 1636.

Quatre ans après la mort de son père, il revint de nouveau dans sa patrie ; le cardinal de Richelieu lui fit offrir une pension de 12000 liv. pour rester en France et y travailler à l’histoire de son ministère ; mais Saumaise fit répondre qu’il n’étoit point homme à sacrifier sa plume à la flatterie.

En 1650, Saumaise se rendit en Suède, à la sollicitation de la reine Christine ; il voulut y paroître en habit de Cour, pour complaire à sa femme qui aimoit à dire qu’elle avoit épousé le plus savant de tous les nobles, et le plus noble de tous les savans ; et s’y montra, non avec la robe de lettré, mais en costume de gentil-homme, ce qui fit faire beaucoup de plaisanteries à ses dépens. Il y fit peu d’années après un second voyage ; comme il tardoit un peu trop à repasser en Hollande, les États le réclamèrent à la reine, dans les termes les plus honorables ; et dans son voyage pour retourner à Leyde, il eut l’honneur d’être admis à la table du roi de Danemark.

La santé de ce savant, sans cesse altérée par de fréquentes attaques de goutte, le porta à accompagner sa femme aux eaux de Spa ; il y mourut le 3 septembre 1653, et fut enterré sans pompe et même sans épitaphe dans l’église de Maëstricht. Son portrait fut gravé par Matham, Desrochers et autres.

Saumaise est auteur de plus de quatre-vingts ouvrages imprimés, et de plus de soixante restés manuscrits ; son érudition étoit immense, il fut le héros de la littérature de son temps, et le plus habile critique de son siècle.

Optimus interpres veteris Salmasius ævi. (Grotius.)

Ce savant avoit pour femme une autre Xantippe qui le maîtrisoit au point que la reine Christine disoit, qu’elle admiroit encore plus Saumaise pour sa douceur et sa patience que pour toute l’immensité de son savoir.

Un autre protestant célèbre, de cette province, est Théodore de Bèze, né à Vezelai le 24 juin 1519, qui, dès sa jeunesse, fut recherché pour les agrémens de sa figure et pour ses talens en poésie ; il chanta la volupté avec la délicatesse de Catulle et la licence de Pétrone ; ses poésies qui étoient l’image de ses mœurs, furent publiées en 1548, sous le titre de Juvenilia Bezæ, et réimprimées par Barbou en 1757.

Disciple le plus fidèle de Calvin, ce fut lui qu’il députa au colloque de Poissy en 1561 ; ministre de Genève après la mort de son chef, il devint le coryphée de sa secte, parut avec éclat aux conférences de Berne et de la Rochelle. Son éloquence, les agrémens de sa conversation, ses manières insinuantes, son heureuse vieillesse, le firent appeler par ses partisans le phénix de son siècle ; il mourut le 23 octobre 1605. On a imprimé une foule de ses ouvrages en matière de religion. Son portrait est gravé par Granthome, Odiœuvre et Desrochers.

Rue Dubois.Ce bâtiment à gauche est l’ancien couvent des Minimes, reçus à Dijon en 1599, et auxquels on céda l’ancien collège des Martins : la duchesse de Bellegarde, Bénigne Frasans et Michele d’Esbarres en étoient regardés comme les fondateurs.

Entre autres religieux sortis de cette maison, l’on remarque Louis Doni d’Attichi, évêque d’Autun en 1652, auteur d’une histoire des cardinaux, sous le titre Flores historiæ Cardinalium. in-fol. 3 vol. Son portrait est gravé par Lochon et Nanteuil, 1665.

Le cardinal de Richelieu demandant s’il restoit encore quelqu’un de la famille Marillac qu’il avoit persécutée, on lui répondit qu’il ne restoit plus que Doni d’Attichi, qui s’étoit jeté chez les Minimes. En ce cas, reprit le ministre, il fera là assez pénitence. Aussi d’Attichi a-t-il dit très peu de choses de ce cardinal dans son histoire, et le roi lui en demandant la raison : Sire, reprit-il, si j’avois voulu en dire davantage, je l’aurois peint de couleurs trop noires.

Jacques Sallier, né à Saulieu en 1615, provincial de l’ordre, mourut à Dijon le 20 août 1707. M. de Lamonnoye dit qu’il entendoit parfaitement la scholastique, dont il publia un traité en 3 vol. in-4.°

On a encore de lui un opuscule intitulé de plagiis, en réponse au chanoine Maltête, qu’il désigne sous le nom de Cacocephalus, ouvrage dans lequel Sallier se disculpe de l’accusation de plagiat.

Je ne dois pas manquer l’occasion de vous parler de son neveu :

Claude Sallier, né à Saulieu le 4 avril 1686, mort à Paris le 9 janvier 1761, garde de la bibliothèque du roi, membre de l’académie française et de celle des inscriptions, se distingua parmi les membres de ces compagnies savantes, par des dissertations remplies d’érudition, des recherches curieuses, une judicieuse critique ; il travailla au catalogue de la bibliothèque du roi, en 10 vol. in-fol., qui, sous lui, fut ouverte au public pour la première fois. Il publia l’histoire de Saint Louis par Joinville, accompagnée d’un glossaire pour lequel il fut aidé par Melot, son confrère et son ami.

Anicet Melot, né à Dijon en 1697, mort à Paris le 10 septembre 1759, étoit, ainsi que l’abbé Sallier, garde de la bibliothèque du roi, mais pour la partie des manuscrits. Il enrichit les mémoires de l’acad. des inscr., de plusieurs dissertations savantes et d’un intérêt marquant.

La rue des Minimes porte à présent le nom d’un Dijonnais célèbre :

Jean Dubois, né à Dijon en 1626, fameux sculpteur et non moins habile architecte, avoit décoré de ses ouvrages la plupart des églises de sa patrie. On alloit voir à Saint-Étienne, les statues de Saint Étienne et de Saint Médard ; à la Sainte-Chapelle, celles de Saint André et de Saint Yves ; à Saint-Michel, celle de Saint Philippe ; aux Jacobins, celles de Saint Thomas et de la Sainte Vierge ; à Saint-Jean, le groupe de la Résurrection, etc., etc. ; mais c’étoit surtout au chœur de l’abbaye de la Ferté-sur-Grosne, qu’il falloit aller pour connoître l’élégance de son ciseau et les richesses de son génie. D. Martenne nous assure dans son voyage littéraire, que les bas-reliefs en bois de cette église surpassent tout ce que l’on pourroit imaginer de plus riche en ce genre.

On admire les sculptures de la maison que cet artiste habitait près du Lycée ; le superbe rétable de Sainte-Anne ; le magnifique groupe de l’Assomption. Dubois n’étoit pas moins habile à saisir les ressemblances ; son buste de Fr.-Cl. Jehannin, lui valut de la célébrité en ce genre, et M. de Harlay, alors intendant de Bourgogne (1688), proposa à Dubois un voyage à Paris pour y travailler au buste du chancelier Boucherat son beau-père ; Dubois l’exécuta, et son ouvrage fit l’admiration de la capitale ; le chancelier voulut retenir cet artiste à Paris, mais Dubois s’en défendit honnêtement, et termina sa réponse au ministre par cette phrase qui peint la candeur de ses sentimens : Je demande à V. Ex. la permission de jouir du repos que l’on goûte ordinairement dans sa patrie et au milieu de sa famille.

Il y mourut ainsi qu’il l’avoit désiré, le 29 novembre 1694, et fut enterré à Saint-Philibert. Celui qui avoit érigé tant de monumens funéraires, n’eut pas même une épitaphe. Sa fille fut mère du célèbre Piron.

Porte Neuve.Voici la Porte Neuve ; nous sommes à la moitié de notre seconde promenade ; vous êtes peut-être fatigué, reposons-nous quelques instants sous les beaux marronniers du bastion de Saulx.


Rue Jeannin.Continuons notre tournée ; cette rue qui conduit à la Porte neuve, a eu plusieurs noms.

Les étuves ou bains publics établis par le duc Jean en 1410, y étoient situés, les fontaines de Mont-Musard et de Champ-Maillot y fournissoient l’eau nécessaire, et comme ces bains devinrent par la suite des lieux de débauches et de prostitutions, cette rue en prit le nom de rue des Ribottes.

Elle le quitta pour celui de rue Chanoine, par rapport aux logemens affectés aux prêtres desservans de Saint-Michel. Aujourd’hui elle porte le nom de l’un des plus grands hommes dont la Bourgogne ait à s’honorer :

Pierre Jeannin, né à Autun en 1540, fils de Pierre Jeannin tanneur de ladite ville, ne rougissoit point de cette origine, mais ne souffroit pas qu’on voulût chercher à l’en humilier, et répondit à un prince qui avoit dessein de le mortifier, en lui demandant quels étoient ses aïeux : Je suis le fils de mes vertus.

Disciple du fameux Cujas, son début au barreau fut en faveur de la ville d’Autun sa patrie, dont il défendit la préséance contre les prétentions de la ville de Châlons. Il étonna, dans cette cause, les meilleures têtes du palais, grandiùs aliquid magnificentiùsque intonuerat, dit de lui Ch. Fêvret. Bientôt nommé Conseil de la ville et de la province, ce fut d’après son avis et ses sages représentations qu’il fut sursis en Bourgogne à l’exécution des ordres de Charles IX pour le massacre de la Saint-Barthelemi ; Jeannin s’appuya de cette belle loi de Théodose qui, touché de repentir de ce que son édit pour le massacre de Thessalonique avoit été mis trop promptement à exécution, défendit aux gouverneurs des provinces de faire exécuter de pareils ordres avant les trente jours, pendant lequel temps ils devoient en référer à l’Empereur : le succès fut tel que Jeannin l’avoit prévu ; deux jours après, un courrier apporta la révocation de ces ordres sanguinaires.

Député de la ville de Dijon aux États de Blois, Jeannin y opina avec beaucoup d’éloquence ; nommé conseiller, puis président au parlement de Paris, charge créée exprès pour lui, il y parut en jurisconsulte profond.

Jeannin tint le parti de la ligue jusqu’à la réduction de la province, fruit du triomphe de Henri IV à Fontaine-Française ; depuis il fut sincèrement attaché à ce Prince, dont il devint le conseil et l’ami.

Voyez-vous ce bon homme, disoit le Roi à la Reine en lui présentant Jeannin ; c’est un des plus hommes de bien de mon royaume, le plus affectionné à mon service, le plus capable de servir l’État ; s’il arrive que Dieu dispose de moi, je vous prie de vous reposer sur sa fidélité et la passion qu’il a du bien de mes peuples.

Jeannin, nommé premier président du parlement de Bourgogne, fut dans cette place le modèle des magistrats. Plénipotentiaire à la Haye, ce fut à lui que la Hollande dut son indépendance ; aussi sa mémoire est-elle en perpétuelle vénération dans les fastes bataves : les États-généraux de Hollande remercièrent solennellement Henri IV de leur avoir envoyé un ministre aussi sage et aussi éclairé.

Son portrait, gravé par Svanembourg, Mont-Cornet, Nanteuil, etc., etc., étoit en Hollande dans toutes les maisons, et Jeannin fut obligé de solliciter qu’on lui envoyât de France de quoi subvenir aux dépenses de son retour.

Il fut nommé surintendant des finances de France, et rendit compte de son administration aux États-généraux assemblés ; après avoir disposé pendant sept années du trésor public, il sortit de cette place sans fortune : Explevit abstinentissimè. Henri IV se le reprochoit et disoit qu’il doroit quelques-uns de ses sujets pour cacher leur malice, mais que pour le président Jeannin, il en avoit toujours dit du bien, sans jamais lui en faire.

L’Ambassadeur d’Espagne ayant un jour demandé à Henri IV quel étoit le caractère de ses ministres, ce monarque lui dit : je vais sur-le-champ vous les faire connoître. Il fait appeler le chancelier Silleri, et lui dit : je suis fort en peine, M. le chancelier, de voir sur ma tête un plancher qui semble menacer ruine. Sire, dit le chancelier, il faut consulter des architectes et faire les réparations si elles sont nécessaires. Le Roi fait entrer le ministre de la guerre, et lui tient le même discours. Sire, répond Villeroi, vous avez grande raison, cela fait peur. Enfin, Henri IV manda le président Jeannin auquel il dit la même chose : Je ne sais pas, Sire, ce que vous voulez dire, ce plancher est bon ou j’ai la berlue ; allez, Sire, dormez en repos, il durera plus que nous. Quand ils furent sortis, le Monarque dit à l’Ambassadeur, vous connoissez à présent mes ministres : le chancelier ne sait jamais ce qu’il veut faire ; Villeroi me donne toujours raison ; Jeannin pense toujours juste et ne me cèle pas la vérité.

Mais le témoignage le plus flatteur qui ait été rendu à ce grand homme, fut lorsque Henri IV se plaignant à tous ses ministres assemblés que le secret de l’État avoit été dévoilé, leur dit, en prenant Jeannin par la main : Je réponds pour le bon homme, c’est à vous autres à vous examiner.

Une telle confiance fit à Jeannin beaucoup d’ennemis parmi les courtisans. Il avoit vécu sous cinq rois et les avoit tous également bien servis. Après la mort de son fils unique, il se retira à sa maison de campagne près d’Autun, et y mourut le 30 octobre 1622, âgé de 82 ans. Anne Guéniot, son épouse, lui survécut.

Ruelle de la monnoie.Cette ruelle à gauche est celle de la Monnoie, parce qu’elle longe l’ancien hôtel des monnoies de cette ville : cette conformité de nom et d’orthographe avec la rue qui porte le nom de l’auteur des Noëls bourguignons, devrait faire donner à cette ruelle une autre dénomination, et nulle ne lui conviendroit mieux que celle des anciens propriétaires de l’hôtel des monnoies ; les Sires de Croï.

Nous lisons dans nos histoires de Bourgogne, que Louis XI ayant mis un impôt sur le sel de Salins, Philippe le Bon défendit à ses sujets de le payer, et envoya le sire de Croï, comte de Chimay, se plaindre au Roi de cette infraction au traité d’Arras ; Louis XI demanda au sire de Croï, si le Duc étoit d’un métal différent des autres princes ? — il le faut bien, repart vivement Chimay, puisqu’il vous a reçu et protégé quand personne n’osoit le faire. Louis XI, déconcerté de la fermeté de cette réponse, se tut ; mais on jugea ce silence même être l’arrêt de sa perte, et le Comte de Dunois lui ayant marqué son étonnement d’une réponse de cette hardiesse à un Monarque aussi absolu que Louis XI, Croï lui répondit : j’aurois été à 50 lieues, que si le Roi eût parlé comme il l’a fait de mon maître, je serois venu exprès pour lui répondre comme je l’ai fait. La gabelle fut supprimée, et le comte de Chimay ne fut point inquiété par Louis XI.

Si Philippe le Bon étoit défendu avec cette fermeté par ses officiers, il ne mettoit pas moins de chaleur à les défendre lui-même. Louis XI, mécontent d’Olivier de la Marche, vouloit que le Duc lui livrât ce serviteur fidèle ; Philippe fit répondre au Monarque que si le Roi ou quelqu’autre attentoit sur lui, il en feroit raison. Aussi ce bon Duc étoit-il adoré en Bourgogne.

Cet Olivier de la Marche, né en Bourgogne en 1422, capitaine des gardes des deux derniers ducs, les servit avec zèle ; commanda les troupes du duc Charles à la bataille de Nus, et fut fait prisonnier à celle de Nancy, où son Souverain perdit la vie. Olivier resta attaché à l’héritière de Bourgogne qui lui continua sa place de grand-maître d’hôtel, et le nomma son ambassadeur à la Cour de France. Il mourut à Bruxelles en 1501. Il composa des mémoires imprimés, sous son nom, à Lyon en 1562, et qui sont estimés pour leur véracité et les détails intéressans qu’ils renferment. Son portrait est gravé par Gazan.

Dans le principe, la monnoie étoit frappée dans l’une des cours du palais de nos Ducs, celle où est aujourd’hui le palais sénatorial ; mais, depuis 1711, elle se fabriquoit dans cet hôtel des anciens sires de Croï ; les flaons s’y marquoient à la lettre P ; elle fut supprimée en 1772, et Dijon n’en conserva plus que la juridiction.

L’espace entre cette ruelle et la rue Vannerie, est dénommé sur le plan de Lepautre, rue Baillet. Nous connoissons deux personnages marquans de ce nom. Jean Baillet, avocat du Roi, à Châlons-sur-Saône, qui succéda à Claude Patarin dans la place de premier président du parlement de Bourgogne, et mourut en fonctions l’an 1554, aïeul de celui qui suit.

Philippe Baillet de Vaulgrenant, conseiller au grand conseil, reçu président au parlement de Dijon en 1586, quitta le mortier pour le casque, réputant que dans les temps de troubles l’épée est plus nécessaire que la plume. Il se jeta dans Saint-Jean-de-Laône qu’il maintint en l’obéissance du Roi, et dont il fut fait gouverneur ; les services qu’il rendit au Roi furent récompensés par le collier de Saint-Michel et une compagnie de cinquante hommes d’armes, avec laquelle il fut au siège de Paris. Vaulgrenant continua depuis la profession des armes, et mourut à Dijon. Sa sépulture étoit en l’église Saint-Jean.

Sans doute ces magistrats avoient leur hôtel dans cette rue.

Rue des Prisons.Ensuite de la rue Jeannin, est celle des Prisons, autrefois des fous, dénominations qui ne présentent que des idées de l’avilissement de l’homme ; il seroit bien plus moral de n’offrir aux citoyens que des exemples de vertus, des souvenirs de belles actions ; l’ancien maire de Dijon, dont le père demeuroit en cette rue, sembleroit devoir lui attacher sa dénomination :

Pierre-Bernard Ranfer de Bretenière, né à Dijon le 20 décembre 1738, de Simon Ranfer, avocat du premier mérite, et de ....... Vaudremont, fut reçu maître des comptes en 1762, maire de Dijon en 1802, et mourut en fonctions le 26 janvier 1806, victime de son zèle envers les prisonniers de guerre, parmi lesquels une épidémie s’étoit manifestée. M. de Bretenière étoit bienfaisant et très charitable ; il avoit l’ame forte et l’esprit nourri des auteurs les plus estimés ; ses voyages en Italie lui avoient acquis un goût sûr pour les beaux arts. On doit à ses soins l’établissement du lycée et les écoles ouvertes aux indigens sous la direction des filles de Saint-Vincent de Paule ; il décora d’inscriptions les deux premières salles de l’hôtel-de-ville, et les constitua en quelque sorte le Panthéon dijonnais.

Rue du Faucon.Le prolongement de cette rue est celle du Faucon ; sans doute là étoit l’hôtel de la fauconnerie, ou des grands fauconniers de nos Ducs ; cette rue est terminée par l’hôtel des comtes de la Marche, anciens premiers présidens du parlement de Bourgogne qui, depuis 1745 à 1772, furent, de père en fils, revêtus de cette magistrature : c’est le fils qui fit édifier ces superbes jardins de Montmusard, dans leur temps les délices de Dijon et l’admiration des étrangers.

Rue Vannerie.Nous allons suivre la rue Vannerie, qui étoit anciennement la rue des vanniers, comme la rue des forges étoit celle des ouvriers en fer. La portion de cette rue qui va de la place Saint-Michel à la rue Jeannin, s’appeloit autrefois rue de la Serrurerie, du nom des ouvriers qui l’habitoient plus spécialement ; Rue Chaudronnerieà gauche est la rue Chaudronnerie, jadis le quartier des chaudronniers, où se tenoit anciennement le marché de la Teille, ou du chanvre, et du Mégis, ou des peaux.

Rue du Griffon.Dans le prolongement de la rue Chaudronnerie, est celle du Griffon, jadis de la Draperie, du nom des marchands qui l’habitoient ; nous présumerions qu’une ancienne famille de Dijon, qui a presque constamment donné des maires à cette ville dans le XIV.e siècle, les Griffon, habitoit cette rue, et lui aura communiqué son nom.

Girard, Guillaume et Pierre Griffon administrèrent Dijon dans le siècle que l’histoire nous signale comme le plus orageux ; sans doute ils méritèrent bien de leur patrie dans ces temps difficiles, et le nom de cette rue seroit un monument de reconnoissance.

Une éruption de l’Etna, la plus terrible que l’on ait encore vue ; plusieurs villes renversées par des orages épouvantables ; les moissons ravagées par les sauterelles trois années de suite ; des phénomènes apparoissant dans le ciel, remplirent les esprits de terreur et de crainte ; des maladies épidémiques exercèrent un tel ravage, que suivant le proverbe

En mil trois cent quarante-neuf,
De cent, ne demeuroient que neuf.

Des guerres déchirant une partie de l’Europe ; la prise de Calais ; la perte des batailles de Creci et de Poitiers ; le roi Jean, prisonnier à la tour de Londres ; les désastres des grandes compagnies ; des Écorcheurs, se disant les ennemis de Dieu et des hommes ; telles sont les couleurs sous lesquelles l’histoire nous peint le XIV.e siècle.

Dans cette rue étoit dernièrement l’hôtel de la 18e. Conservation forestière qui a pour arrondissement les mêmes départemens que la Cour impériale. Elle exerce son administration sur 372622 hectares de bois surveillés par le Conservateur, vingt-six inspecteurs, quarante-un gardes généraux et onze cent sept gardes particuliers.

Le Conservateur actuel est beau-frère du duc d’Abrantès.

Andoche Junot, né à Bussi-le grand le 25 octobre 1771, commença sa carrière militaire dès 1792 en qualité de volontaire dans le premier bataillon de la Côte-d’Or, et s’y fit connoître par un courage dont les élans alloient jusqu’à l’intrépidité. En 1796, il fit la campagne d’Égypte avec le titre de premier aide-de-camp du général en chef ; dans l’expédition de Syrie, à la tête de trois cents Français, il ne craignit pas de livrer bataille à dix mille Turcs, et remporta sur eux la victoire de Nazareth que le Gouvernement désigna pour être le sujet d’un tableau au concours.

Au retour de l’Égypte, le général Junot fut gouverneur de Paris jusqu’en 1804, nommé colonel-général des hussards, ambassadeur à Lisbonne, lieutenant-général en Portugal ; il quitta ce royaume pour se rendre à l’armée d’Allemagne, auprès de la personne de l’Empereur, et se distingua sous ses yeux à la mémorable bataille d’Austerlitz. Depuis il continua à être employé dans les hauts grades de l’armée. L’Égypte et l’Italie, le Portugal et l’Espagne, l’Allemagne et la Pologne, la Prusse et la Russie furent successivement les témoins de sa haute vaillance.

Ce général dut à ses services de voir s’accumuler sur sa tête une réunion honorable de distinctions militaires. Au titre de Duc d’Abrantès qui lui avoit été conféré, il joignoit ceux de grand officier de l’Empire, grand aigle de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre de la Couronne de fer, grand’Croix des ordres de Saint-Henri et du Christ ; il étoit capitaine et gouverneur général des provinces illyriennes, lorsqu’une maladie l’ayant rappelé sur son sol natal, il y mourut, au milieu de sa famille, le 29 juillet 1813, et fut enterré à Montbard.

On voit encore dans la rue du Griffon une maison remarquable par ses sculptures extérieures et dix cariatides ; c’est le berceau des Pouffier, dont les armes sont encore sur la façade, une marmite remplie de fleurs ; elles doivent à leur singularité de n’avoir pas été effacées lors de la destruction scrupuleuse de tout ce qui tenoit à la féodalité ancienne.

Rue Roulotte.En face de la rue Chaudronnerie est celle de la Roulotte ou Roüellotte (petite ruelle), jadis rue des Nonains, parce que les Bernardines expulsées de Tart dans le tumulte des guerres, vinrent d’abord se réfugier dans ce quartier. Bernard de la Monnoye avoit sa maison à l’extrémité de cette rue, à l’angle sud-est, donnant sur le rempart ; c’est là que fut écrit le livre de ses Noëls qu’il a datés de la rue de la Roulotte ; les autres furent composés dans la rue du Tillô.

Continuant la rue Vannerie, l’on trouve l’ancien hôtel de la Couste d’Arcelot, aujourd’hui de Macheco ; ceux de M. de la Tour-du-Pin, dernier commandant de la province ; et de M. le comte de Montigny, dernier trésorier général des États de Bourgogne, premier Maire de Dijon, élu par les suffrages du peuple en 1790, homme bienfaisant, charitable, dévoué aux intérêts de sa patrie, et auquel on doit plusieurs embellissemens qu’il entreprenoit dans le double but de fournir à la classe indigente des moyens de travailler. Il n’a pas tenu à lui que le ruisseau de Suzon ne fût rendu pérenne, il avoit offert d’en faire les frais ; il s’étoit aussi proposé d’élever de nouvelles halles sur le local des anciennes, si on eût voulu y ajouter les maisons adjacentes.

La suite de cette rue prend le nom Rue du Chanet.de rue du Chanet ; elle est remarquable par plusieurs anciens hôtels.

Celui de M. d’Ozilly est l’ancien hôtel des comtes de Saulx, qui le possédoient dès 1412 ; celui de M. Cœur de Roi est l’ancien hôtel de Tavannes, 3.e branche et la seule qui reste de cette ancienne maison, qui s’étant alliée à celle de Saulx, prit le nom de Saulx-Tavannes.

Le personnage le plus marquant de cette maison est Gaspard de Saulx-Tavannes, né à Dijon en mars 1509, inhumé à la Sainte-Chapelle en 1573.

Il se signala le 13 août 1544 à la journée de Renti, en présence de Henri II ; il y combattit avec une telle valeur qu’il força l’ennemi, presque déjà triomphant, de lui céder la victoire ; comme il revenoit de cette action couvert du sang de ses ennemis et du sien, le Roi détachant le collier de l’ordre qu’il avoit à son cou, en revêtit Tavannes en l’embrassant[25] ; marque, dit Brantôme, certes très honorablement acquise à lui, avec une forme et une façon peu vue, bien différente de celle que j’ai vu depuis acquérir par Pourchas et importunité d’hommes et de dames.

Le motif secret de la bravoure de Tavannes à cette journée, est assez curieux à connoître. Le comte de Walenfurt qui commandoit un corps de Reistres appelés les Diables noirs à cause de leur intrépidité, s’étoit vanté qu’avec ce corps seul, il déferait entièrement toute la gendarmerie française, et il avoit fait peindre sur sa bannière, un renard dévorant un coq, par allusion au mot gallus, qui a double signification.

Gaspard de Saulx qui portoit dans les armes de Margueritte de Tavannes sa mère, un coq d’or, griffé de sable, sur un champ d’azur, s’imagine que cette allégorie offensante lui est personnelle, et dès-lors se regarde comme intéressé par honneur, à enlever aux Impériaux le drapeau qu’il croyoit menacer sa vaillance et sa gloire ; il fit en effet des efforts prodigieux qui décidèrent la défaite des Reistres, et par suite celle de toute l’armée. — Tavannes s’attribua tout l’honneur de cette victoire et le fit bien sentir au duc de Guise qui lui disant, M. de Tavannes, nous avons fait la plus belle charge qui fût jamais. ...... Monsieur, répond Tavannes, vous m’avez fort bien soutenu.

Gaspard de Saulx donna des marques non moins éclatantes de bravoure et d’habileté dans les batailles de Jarnac et de Moncontour ; il y mérita le bâton de maréchal de France, honneur d’autant plus grand que le nombre en étant alors fixé à quatre, et les places étant remplies, il fallut en créer pour lui une cinquième, sous la condition expresse que cette place demeureroit éteinte à la première qui viendroit à vaquer.

On est fâché de voir ce maréchal ternir une aussi belle vie. Bien différent de l’amiral Chabot et du président Jeannin ses compatriotes, Tavannes couroit les rues de Paris durant le massacre de la Saint-Barthelemi, criant au peuple : Saignez, saignez, les médecins assurent que la saignée est aussi bonne en tout ce mois d’août, comme en mai. Cependant il faut lui rendre la justice de dire que ce fut d’après ses conseils que le Roi de Navarre et le Prince de Condé ne furent point enveloppés dans ce massacre. Ainsi la France est redevable à Tavannes de lui avoir conservé son Henri IV. Charles IX ayant demandé au maréchal de Tavannes à qui l’on pourroit donner le gouvernement de Provence qui venoit de vaquer ? donnez-le, Sire, répondit le maréchal, à un homme de bien qui ne dépende que de vous. — Quelques jours après, le Roi lui dit qu’il avoit profité de l’avis qu’il lui avoit donné, et qu’il avoit donné le gouvernement de Provence ; devinez à qui ? dit le Roi ; Tavannes ne sait qui nommer, à vous-même, reprend Charles IX : — j’y consens, Sire, (répond Tavannes), et je fais autant pour vous en l’acceptant, que vous faites pour moi en me le donnant.

Le maréchal de Tavannes vit la mort s’approcher sans en être ému. Quelqu’un lui demanda s’il ne désireroit pas revenir en santé ; non, répondit-il, j’ai eu beaucoup de peine à faire les deux tiers du chemin, il faudrait recommencer si je guérissois, il est temps de me reposer, je ne suis plus propre à la fatigue. Son portrait est gravé par la Roussière. in-fol.

Il avoit épousé Françoise de la Baume-Montrevel, dont les aïeux avoient aussi leur hôtel dans la même rue, et des deux fils qu’il en eut, Jean, vicomte de Tavannes, fut assez osé pour faire tirer le canon de Talant sur le couvent des Chartreux où Henri IV soupoit le 13 juin 1595 ; l’autre, Guillaume, comte de Tavannes, resta fidelle à son roi, et lui rendit de grands services pour la réduction de cette province.

Dans le siècle suivant, deux gentilshommes de cette maison renouvelèrent pareille opposition. Lors des troubles de la Fronde, en 1650, l’on vit, près d’Arc-sur-Tille, le comte de Tavannes, partisan des princes, mettre en déroute le marquis de Tavannes qui tenoit le parti de la Cour.

Peu de maisons ont été plus illustrées que celle de la Baume ; elle a fourni des cardinaux, des maréchaux de France et de Savoye, un vice-roi, plusieurs lieutenans-généraux, parmi lesquels nous remarquerons :

Étienne de la Baume dit le Gallois, grand-maître des Arbalétriers de France, gouverneur de Cambray qu’il défendit vaillamment contre Édouard, roi d’Angleterre, en 1339 ; il mourut en 1362.

Jean de la Baume, maréchal de France en 1421, que les ducs de Savoye, d’Anjou, d’Orléans, de Bourgogne, cherchoient à attirer dans leur parti, mais qui resté fidelle au roi de France, le délivra lorsqu’il étoit enfermé dans Meaux, et le servit utilement contre les Anglais. Il mourut en 1435.

Pierre de la Baume, cardinal archevêque de Besançon, mort en 1544, avoit obtenu d’avoir pour coadjuteur son neveu Cl. de la Baume, alors âgé de 12 ans. Lorsqu’en 1575, la nuit du 21 juin, les Huguenots tentèrent de surprendre Besançon, Claude de la Baume se met à la tête des habitans la rondache au bras, le coutelas à la main, fond sur les ennemis, les culbute dans la rivière et fait pendre de suite ceux qui sont faits prisonniers. Il fut nommé cardinal en 1578, mourut à Artois le 15 juin 1584, et y fut inhumé près de son prédécesseur.

Nicolas-Auguste Labaume-Montrevel se distingua tellement au siège de Lille, qu’il fut avancé à la demande de Turenne, et parvint de grade en grade à celui de maréchal de France en 1703 ; il mourut à Paris le 11 octobre 1716, âgé de 70 ans, victime d’une foiblesse superstitieuse. Étant à table chez le duc de Biron, on renversa une salière sur lui ; il en fut si effrayé, qu’il s’écria, je suis mort ! il tomba en syncope, la fièvre le prit, et il mourut au bout de quatre jours. Cependant on lui accordoit beaucoup de bravoure, et il en avoit donné des preuves dans plus d’une occasion. Son portrait est gravé par Mariette.

L’hôtel de Saulx fut postérieurement habité par la famille de Clugny, dont un des membres ........ de Clugny fut ministre des finances en 1776, et mourut en fonctions le 14 novembre de la même année.

Ferry de Clugny de Conforgien, maître des requêtes du Duc, l’un des rédacteurs de la Coutume de Bourgogne, né à Autun, fut employé avec succès par Charles le Téméraire dans diverses négociations auprès du Pape, de l’Empereur, des Rois de France et d’Angleterre ; il fut nommé chevalier de la Toison d’or en 1473, évêque de Tournay, enfin, cardinal en 1480. Il mourut à Rome le 7 octobre 1483, et fut enterré à Sainte-Marie del Popolo.

Rue d’Assas.La rue qui conduisoit à l’hôtel des comtes de Saulx, portoit le nom de rue au Comte ; mais la suppression des titres féodaux fit dans le temps proscrire cette dénomination, et la rue de traverse de la rue Vannerie à celle Saint-Nicolas, reçut le nom du Curtius français.

Vous connoissez ce trait d’une bravoure héroïque qui porta ce chevalier à se dévouer à la mort pour sauver le corps qu’il commandait.

À l’affaire de Clostercamp en 1760, le régiment d’Auvergne infanterie ayant été placé à l’entrée de la nuit près d’un bois, d’Assas y pénètre seul pour reconnoître le terrein et parer à toute surprise ; après avoir fait quelques pas, il fut saisi par des grenadiers ennemis qui, lui mettant la baïonnette sur la poitrine, le menacent de le percer s’il jette le moindre cri : mais comprenant par la défense même, que le régiment alloit être surpris, d’Assas s’écria avec force : à moi, Auvergne, feu ..... ce sont les Ennemis, ... tirez ; et il tombe percé de coups. Ce que ce brave officier avoit prévu arriva ; le régiment fit une vigoureuse résistance, le combat s’engagea et l’armée française fut sauvée.

Louis XVI voulant éterniser le souvenir de cette action, créa une pension de mille francs héréditaire dans la famille d’Assas jusqu’à l’extinction des mâles, et ordonna que toutes les fois qu’un d’Assas demanderoit du service dans le régiment d’Auvergne, il y fût reçu quel que fût le nombre des officiers.

La paroisse Saint-Nicolas, consacrée en 1610, avoit sa principale entrée dans cette rue ; la tour seule en subsiste, on l’a conservée par rapport à l’horloge qui sert de régulateur à ce quartier. Cette église d’abord située au faubourg, dans la rue des Coquins, ayant été démolie en 1558, rebâtie, détruite de nouveau en 1636, parce que la ville étoit menacée de sièges, fut reportée dans la ville en 1606 ; elle a été démolie en 1792, et n’offroit rien qui fût digne d’être remarqué que la tombe modeste de Quentin, célèbre peintre dijonnais, qui y fut inhumé le 11 septembre 1636.

M. Liébault, vicaire de cette paroisse, mort le 3 septembre 1763, s’est fait connoître par plusieurs dissertations sur la lumière, la grêle, les comètes et les années climatériques, qui lui ont ouvert les portes de l’Académie de Dijon, où il fut admis le 12 août 1740.

Jean Liebaut, médecin, né à Dijon, fut l’un des collaborateurs de la Maison rustique ; on a de lui des traités sur les maladies, l’ornement et la beauté des femmes. 1582. in-8.o 3 vol. Thesaurus sanitatis. 1578. in-8.o De præcavendis curandisque venenis comment. — Scholies sur Jacq. Hollerius. 1579. in-8.o Il mourut sur la fin de juin 1596 dans une des rues de Paris, sur une borne où il fut contraint de s’asseoir. Ainsi moururent Charron et Débonnaire, auteurs de traités sur la sagesse.

Denis-Xavier Clément, né à Dijon en 1706, paroisse Saint-Nicolas, prédicateur du Roi, confesseur des Dames de France, ayant surmonté par sa patience une difficulté d’élocution, se consacra de bonne heure à la chaire. Il avoit une onction douce qui ramenoit dans le sein de l’Église les plus incrédules et les plus débauchés. Ses sermons furent imprimés en 1772. 4 vol. in-12. Il mourut à Paris en 1771.

Rue Vieux-Marché.La rue en face de cette église est appelée la rue du vieux Marché, parce qu’anciennement on y tenoit le marché au blé.

Rue J. J. Rousseau.Après la rue d’Assas, on arrive au Coin des cinq Rues : celle à droite est la grande rue Saint-Nicolas, qui conduit à la porte et au faubourg de ce nom ; tous trois portent aujourd’hui celui de J.-J. Rousseau. — La rue en face de la rue d’Assas est celle Desilles ; Rue du Pilori.la troisième est celle du Pilori, en face de laquelle est l’Hôtel-de-ville, ainsi appelée parce que jadis le poteau du carcan y étoit placé. Le nom de cette rue est celui d’un supplice, et de la dégradation de l’homme : s’il lui faut des exemples, offrons-lui bien plutôt celui de la vertu en honneur, que celui de la punition des crimes. Cette rue, et celle Ramaille, qui font avenue à l’hôtel-de-ville, devroient porter les noms de ceux des Maires de Dijon qui ont le mieux mérité de cette ville. Parmi les anciens, nous indiquerions Bénigne de Cirey et Millotet ; et parmi les modernes, Chartraire de Montigny et Lejéas.

Entre la rue du Pilori, et celle Saint-Martin, sont les halles bâties par la ville en 1426 sur un emplacement provenant de la famille Champeaux, d’où elles furent long-temps appelées les halles Champeaux : là se tenoit le marché de la chair salée et du queul ou des assaisonnemens, tous les samedis. En 1459, on augmenta ces halles de plusieurs magasins, et depuis 1666, on y plaça les foires établies par Louis XIV, à la Saint-Martin, à la mi-carême et à la Sainte-Hostie, lesquelles succédèrent à celles établies par nos Ducs en faveur des abbayes de Saint-Étienne et de Saint-Bénigne, qui se tenoient sur les places dépendantes de ces monastères. De ces anciennes foires il ne subsiste plus qu’un reste dans celle de Saint-Jean, qui s’est toujours tenue sur la place de ce nom, et dans les étalages de faïence et terrerie qui ont continué de couvrir, en temps de foires, la place Saint-Étienne.

Les foires de 1666 ont été reportées aux dixièmes jours des mois de mars, juin et novembre ; elles ont continué de se tenir aux halles de la rue Saint-Martin jusqu’en 1812, que les marchands de quincaille sont allés déballer à la halle Saint-Jean.

Rue Saint Martin.La rue Saint-Martin fut pendant long-temps appelée la rue de l’Archerie par rapport aux arches et boutiques où se vendoient le lard et le queul.

Vous savez que Saint Martin fut jadis le patron de la France, et que la mort de cet évêque fut long-temps le seul point de notre chronologie ; on portoit sa chappe à l’armée en guise de bannière ; on célébroit sa fête au 11 novembre avec les plus grandes solennités ; et comme toutes les fêtes se terminoient ordinairement par des banquets, le peuple n’a pas voulu perdre cette coutume, et les artisans vont tous les ans demander à leurs pratiques le vin de la Saint-Martin. Cette rue peut prendre son nom de ce que dans les premiers temps de Dijon, elle conduisoit à l’ancienne église de Saint-Martin-des-Champs.

Rue Desilles.La rue Desilles, autrefois Macheco, du nom d’une ancienne famille de Dijon, porte aujourd’hui le nom de ce jeune officier du régiment du Roi, qui voulant empêcher l’effusion du sang lors de l’insurrection de la garnison de Nancy, arracha, à diverses reprises, les mèches des mains des canonniers, enfin se jeta sur les canons et mourut victime de son zèle le 31 août 1790.

Ce trait d’un courage philantropique est sans doute admirable, mais il n’est en aucun rapport ni avec la province, ni avec la ville de Dijon. — Si, pour faire avenue à celui de Napoléon, l’on vouloit, dans ce quartier, une série de noms guerriers, on pouvoit y placer celui du baron de Sirot ou du maréchal de Chamilly.

Claude Lestouf, baron de Sirot, né à Sirot en Bourgogne le 12 juillet 1600, lieutenant-général des armées du roi, étoit employé en 1625 et 1626 dans les armées de l’Empereur ; il eut l’honneur singulier et peut-être unique de mesurer ses armes à celles de deux rois. Christian IV, roi de Dannemark, qu’il avoit démonté, l’envoya complimenter sur sa valeur par un de ses officiers ; Gustave-Adolphe, roi de Suède, auquel il disputa un étendard que ce prince vouloit sauver, blessa Lestouf à l’épaule d’un coup de carabine, lequel riposta par un coup de pistolet qui brûla les cheveux du monarque et fit tomber son chapeau, dont Sirot s’empara n’ayant pu se saisir de sa personne. Ce guerrier coopéra activement au succès de la bataille de Rocroi en 1643, et ce fut véritablement à lui que l’on dut cette victoire. Il y commandoit la réserve, et comme l’aile droite des ennemis avoit enfoncé notre aile gauche, tandis que le duc d’Enghien poussoit tout ce qui étoit devant lui, un jeune officier major, qui croyoit la bataille perdue, vint porter à Sirot l’ordre de se retirer.

Sirot, instruit dans l’art des combats par une longue expérience, lui répondit : je vois bien, Monsieur, que vous ne savez pas comment on gagne les batailles, quant à moi, je veux gagner celle-ci ; et en même temps marchant contre les ennemis, il les arrête, les oblige de fuir à leur tour, et donne le loisir au duc d’Enghien de rallier les troupes, de les ramener au combat et de remporter la victoire.

Le baron de Sirot, blessé au siège de Gergeau, y mourut le 8 avril 1652. Ses mémoires, à la fin desquels il a donné sa généalogie, ont été imprimés en 1683. in-12. 2 vol. Son portrait est gravé par Tourneyser et Giffart.

Noël Bouton de Chamilly prit naissance à Chamilly en Bourgogne le 6 avril 1636. Dans sa jeunesse il servit en Portugal avec le grade de capitaine de cavalerie, sous le maréchal de Schomberg ; pendant les loisirs de la campagne, il se lia de l’amitié la plus tendre avec une religieuse portugaise ; leurs lettres amoureuses, livrées à l’impression en 1682, furent souvent réimprimées. Chamilly s’immortalisa par sa belle défense de Grave, qui lui valut le bâton de maréchal de France en 1703. Louis XIV lui ayant en outre permis de demander une grâce, Sire, répondit ce maréchal, je vous prie de m’accorder celle de mon colonel, qui est à la bastille. — Et qui peut être votre colonel ? répart le roi avec surprise. — C’est M. de Briquemaut ; j’ai eu autrefois une compagnie dans son régiment, il m’a formé dans l’art de la guerre, et je ne pourrois sans ingratitude oublier ce service. Le roi lui accorda sa demande. Le maréchal de Chamilly mourut à Paris le 8 janvier 1715. Son portrait est gravé par Thomassin et Scupel.

Rue Pouffier.Après cette rue Désilles, celle que vous voyez à droite, étoit jadis celle du marché des porcs ou du Sargis, nom qu’elle a quitté dans le XV.e siècle pour prendre celui du Vert-bois, par rapport à de grands arbres qui la terminoient au nord. On l’appela aussi rue des Tondeurs, à cause des fabricans d’étoffes de laine qui vinrent l’habiter. C’est aujourd’hui la grand’-rue Pouffier.

Hector-Bernard Pouffier avoit son hôtel en face de cette rue ; il naquit à Dijon en 1658, et y mourut le 17 mars 1736, doyen du parlement de Bourgogne. M. Lantin prononça son éloge.

Plusieurs des ancêtres de M. Pouffier avoient été doyens des Cours souveraines de Dijon ; il voulut rendre cette place honorable et recherchée, et engager, par un surcroît de fortune, les magistrats à continuer jusqu’à leur mort l’exercice de leurs fonctions, parce que c’est lorsqu’ils ont vieilli sous la pourpre, que leurs services et surtout leurs conseils sont plus utiles à la chose publique. En conséquence, par ses dispositions olographes des 1.er octobre 1725, 20 juin 1726 et 10 mars 1732, il donna à perpétuité au doyen des conseillers au parlement, sa maison de la rue Vert-bois, avec les principaux meubles qui la garnissoient ; sa terre d’Aizerey, ses domaines de Sennecey et Magny-sur-Tille, et une somme de 40,000 fr. payable dans l’année de son décès.

Mais M. Pouffier voulut que ces libéralités servissent en même temps à l’avantage de la science. N’ayant pu obtenir pour la ville de Dijon une université complète, pour laquelle, dans une disposition antérieure, il avoit assuré une partie de ses biens ; il voulut compléter en quelque sorte les facultés qui manquoient, et institua une Académie pour s’occuper de la médecine et des arts, composée de six honoraires, douze pensionnaires et six associés, sous la direction de cinq magistrats ; il chargea le doyen du parlement de fournir pour les séances et conférences un local convenable dans son hôtel, de subvenir à toutes les dépenses de mobilier, bois, lumière, papiers, frais de correspondance et salaire du garçon de bureau, etc., etc., de payer les gages du secrétaire, achat de livres nouveaux et une somme annuelle de 2000 fr. pour les six prix qu’il voulut être distribués chaque année le dimanche après la Saint-Bernard ; sa bibliothèque fut destinée à l’usage des conférences académiques qu’il établissoit.

M. Pouffier ne borna point là ses libéralités ; il légua 40,000 fr. à l’hôpital de Dijon ; les églises et les pauvres d’Aizerey et de Saint-Nicolas eurent part à ses largesses. Il fut inhumé en l’église de la Visitation, conformément à ses intentions écrites.

À l’autre extrémité de la grande rue Pouffier, étoit l’ancien hôtel de Mailly ou d’Arc-sur-Tille, occupé par M. Legouz de Saint-Seine, dernier premier président de l’ancien parlement de Bourgogne.

Rue Verrerie.Dans le prolongement de cette rue est celle Verrerie, du nom des marchands qui l’habitoient. C’est dans cette rue que demeuroit François-Bernard Coquart, né à Dijon le 4 janvier 1700, avocat très habile dans la plaidoirie, et en même temps agréable poëte. Il suffit de dire à son éloge qu’il eut l’honneur rare d’être complimenté par la Cour après l’un de ses plaidoyers, et que Lamonnoye, Piron et le président Bouhier, en faisoient beaucoup de cas. Ses poésies ont été imprimées à Dijon par Desventes. 1754. in-12. 2 vol. ; on cite surtout une élégie insérée au Mercure de mai 1722, une épître publiée dans celui de juin 1728. Coquart mourut à Dijon en 1771. Il avoit été l’un des premiers membres de l’Académie formée dans cette ville en 1740.

À l’angle des rues Pouffier et du Champ de Mars, demeuroit Joseph Énaux, habile chirurgien, professeur d’accouchemens, établi à Dijon dès 1754, où il mourut le 27 novembre 1799. Il joignoit à la justesse de l’esprit la dextérité de la main, portoit la clarté dans les objets les plus complexes, et trouvoit des ressources contre les accidens les plus graves. On lui doit plusieurs mémoires sur son art, entre autres ceux sur les tumeurs polypeuses, sur le bec de lièvre, etc., etc.

Rue du Champ-de-Mars.La rue du Champ de Mars est la continuation des rues d’Assas et Désilles. La dénomination de cette rue atteste le séjour des Romains dans cette ville ; c’étoit sans doute en ce lieu qu’ils exerçoient leurs troupes aux manœuvres et aux évolutions militaires ; dans le XV.e siècle, cette rue avoit encore une fontaine publique, ornée de bassins, d’emblêmes et de bas reliefs ; ces fontaines contribuoient en même temps à l’ornement et à la salubrité de la ville. Dans un mémoire imprimé en 1807, M. Antoine, doyen du Corps impérial des ponts et chaussées de France, a démontré la nécessité, la possibilité de rétablir à peu de frais quelques-unes de ces fontaines ; il seroit bien à désirer que les projets que forme sans cesse ce savant estimable, pour la prospérité de la ville qu’il habite, pussent enfin recevoir quelque exécution.

Rue Napoléon.En face de l’une des rues du Champ de Mars est l’Hôtel de la Préfecture dans la rue Napoléon, jadis Charbonnerie, plus anciennement rue de la Courroyerie, qui a pris le nom de S. M., depuis qu’elle y a logé les 16 et 17 floréal an VIII, en allant triompher à Marengo.

Je me suis imposé la loi de ne vous parler d’aucun homme vivant ; à la vérité celui-ci fait exception à tous les autres, mais c’est peut-être encore une raison de plus pour que je tienne davantage à ma promesse. Que pourrois-je en effet vous dire sur ce génie extraordinaire que ne sachent la France, l’Europe, l’univers entier qu’il a rempli de la grandeur de son nom, du bruit de ses victoires, de l’éclat de ses triomphes, de la sagesse de ses lois que l’Allemagne et l’Italie se sont empressées d’adopter ? C’est donc parce qu’il y a trop à dire sur ce grand et puissant monarque, que je dois garder sur lui un silence respectueux. Homère seul put chanter Achille, Apelles seul put peindre Alexandre.

Philippe de Chabot-Brion, comte de Charni, gouverneur de Bourgogne et de Normandie, avoit son hôtel dans la rue Napoléon. Cet amiral, qui avoit été fait prisonnier à la bataille de Pavie avec François I.er, dont il étoit le favori, fut envoyé en 1535 contre la Bresse et la Savoye, et soumit en très peu de temps ces provinces. Les Grands du royaume en conçurent une basse jalousie et le desservirent par rapport aux liaisons qu’il conservoit avec le connétable de Montmorency, auquel il continuoit de rester attaché.

François I.er fit venir Chabot, et lui dit qu’il étoit informé de ses liaisons avec le connétable et qu’il lui défendoit de les continuer. Chabot répondit avec une générosité rare, qu’il savoit ce qu’il devoit à son Roi, mais qu’il n’ignoroit pas non plus ce qu’il devoit à son ami ; que le connétable étoit un sujet fidelle qui avoit toujours bien servi l’État, et qu’il ne l’abandonneroit jamais. Le Roi le menaça de lui faire son procès : « Vous le pouvez, Sire ; je ne demande là-dessus ni délai ni grâce ; ma conduite a toujours été telle que je ne crains ni pour ma vie ni pour mon honneur. » Cette réponse ayant piqué le monarque, Chabot fut arrêté, renfermé au château de Melun ; et son ennemi déclaré, le chancelier Poyet, fut chargé de chercher des commissaires dans divers parlemens pour lui faire son procès. On parvint à créer à l’amiral Chabot des crimes imaginaires ; il fut condamné à perdre sa charge et à une amende de 70,000 écus, mais cependant déclaré exempt du crime de lèze-majesté et d’infidélité au premier chef. Le chancelier revint triomphant apporter au roi la procédure et l’arrêt. Un prince tel que François I.er avoit pu agir par humeur, mais étoit incapable d’une injustice marquée ; il fut indigné à la vue de cette infâme procédure et dit au chancelier pour toute réponse, je n’aurois jamais cru avoir dans mon royaume tant de juges iniques. Il ordonna que Chabot fût mis en liberté, et, à la sollicitation de la duchesse d’Estampes, il lui permit de reparoître à la Cour. La première fois qu’il s’y présenta, François I.er l’abordant, lui dit : eh bien ! homme irréprochable, vanterez-vous encore votre innocence ? — Sire, répondit Chabot, ma prison m’a appris que nul ne peut se dire innocent devant son Dieu et devant son roi ; mais j’ai du moins cette consolation, que la rage de mes ennemis n’a pu me trouver coupable d’aucune félonie envers V. M. Le monarque ne consultant plus alors que son cœur, lui rendit ses bonnes grâces ; mais le coup étoit porté, Chabot avoit succombé sous le poids de l’humiliation ; il mourut le 1er juin 1543, laissant à l’État le regret de sa perte. Il fut enterré aux Célestins de Paris où le roi lui fit ériger un superbe tombeau, tardive et insuffisante réparation d’un mal irréparable. Son portrait se trouve gravé dans Thevet.

À côté de cet ancien hôtel, étoit celui de Benigne Frémyot, père de M.me de Chantal et de l’archevêque de Bourges. Ce magistrat soutint avec tant de courage le parti de Henri IV en Bourgogne, que les ligueurs ayant fait prisonnier son fils André, le menacèrent de lui envoyer sa tête s’il ne se rangeait de leur côté : je m’estimerois heureux, répondit le président Frémyot, de le sacrifier pour une si belle cause ; il vaut mieux que le fils périsse innocent, que le père de vivre perfide. Il étoit à la tête des conseillers restés fidelles au roi, et présidoit la section du parlement qui siégeoit à Semur. Le duc de Mayenne, désespérant de l’attirer dans son parti, dit dans un moment d’humeur ; plaisante écritoire pour tant la rechercher. Le président Jeannin qui se connoissoit en hommes, lui répliqua que de cette écritoire on verroit un jour sortir des boulets. Les événemens justifièrent la vérité de cette prédiction.

Après la réduction de la province, le président Frémyot fut nommé conseiller d’État, maire de Dijon, et le roi lui accorda les revenus de l’abbaye de Saint-Étienne, dont il disposa en faveur de son fils André, qui devint archevêque de Bourges. (Voyez Saint-Étienne, à la 3.e partie.)

Le président Frémyot mourut en août 1611, et fut inhumé en l’église Notre-Dame de Dijon.

C’est sur l’emplacement de ces deux hôtels que M. Bouhier de Lantenay fit élever en 1750, sur les dessins de M. Lenoir, le magnifique édifice qui devint l’hôtel de l’intendance, et par suite celui de la préfecture.

Le premier qui l’habita en qualité de préfet, fut Charles-Philippe-Toussaint Guiraudet, ancien secrétaire général des relations extérieures, traducteur de Machiavel, auteur de la Théorie de l’impôt et de la Famille considérée comme élémens des sociétés. M. Guiraudet étoit un administrateur consommé, un littérateur très instruit, et d’une société très agréable. Il mourut subitement à Dijon le 5 février 1804, universellement regretté.

La préfecture de Dijon fut occupée pendant les années 1808 et 1809 par M. Mathieu Molé, conseiller d’État, directeur général des ponts et chaussées ; elle l’est depuis un an par M. le comte de Cossé-Brissac. Ces deux noms rappellent de grands souvenirs et d’importans services rendus à l’État dans la haute magistrature et à la tête des armées. M. de Cossé réunit à l’avantage de la naissance, la qualité d’homme aimable et instruit, le mérite d’un administrateur sage et éclairé.

Place Napoléon.Au midi de cette rue est la place Napoléon, jadis Charbonnerie.

Sur cette place étoit l’ancien hôtel de Pot, construit par Regnier Pot, chambellan des ducs Philippe le Hardi, Jean Sans-Peur, et Philippe le Bon, mort en 1455. Philippe Pot, son fils, filleul et favori de Philippe le Bon, se distingua par ses rares et éminentes qualités ; il fut le chevalier le plus accompli de son temps, et étoit surnommé la Bouche d’or, pour son éloquence ; Louis XI rétablit en sa faveur la place de grand sénéchal de Bourgogne. Charles VIII ayant supprimé le parlement de cette province, Philippe Pot fut député vers le Roi par les États de Bourgogne, et, dans cette circonstance, porta la parole avec tant de dignité et de force, que le parlement fut rétabli à Dijon. Nommé gouverneur de la province, sa douceur, sa sagesse, ses bienfaits lui acquirent le nom de Père de la Patrie ; il mourut en sept. 1494, et fut inhumé à Cîteaux où les religieux lui firent élever le mausolée qui, lors de la démolition de ce couvent, fut transporté et rétabli dans le jardin de M. de Ruffey.

Sa devise, son cri de guerre étoient tant L. vaut. L’on rapporte à ce sujet, qu’ayant volé au secours de Constantinople assiégé par Mahomet second, Philippe Pot, entouré de janissaires, les combattant avec intrépidité, mais enfin accablé par le nombre, fut obligé de rendre les armes. Le sultan devant qui il fut amené, ayant appris par ses gardes le courage héroïque avec lequel ce chevalier français avoit défendu sa liberté, admirant l’air noble et martial qui distinguoit ce jeune guerrier, conçut le dessein de l’attacher à son service, mais en vain il employa douceur et promesses, menaces et persécutions, il ne put y réussir ; enfin, Mahomet lui dit : si tu peux vaincre l’ennemi que je t’opposerai, je te renverrai dans ta patrie.

Au jour assigné, Philippe est conduit dans une espèce de cirque où étoit le Grand-Seigneur et sa Cour ; il crut avoir à combattre quelque guerrier redoutable ; l’ennemi qu’on oppose à ce héros est un lion affamé. À la vue de ce terrible animal, le chevalier saisit son sabre, lève les yeux vers le ciel, et s’écrie avec le ton présage du triomphe, tant L. vaut ; le lion s’élance sur Philippe ; à l’instant, celui-ci lui coupe d’un coup de sabre les deux pieds de devant, l’animal tombe furieux, remplit l’arène de ses rugissemens ; Philippe s’élance à son tour sur son ennemi, d’un autre coup de sabre il lui enlève la langue, enfin lui perce le cœur, et fier de son triomphe, remercie Dieu dans les mêmes termes qu’il avoit invoqué son assistance, et répète son cri de guerre tant L. vaut.

Charmé de la valeur et de l’adresse de cet intrépide chevalier, Mahomet descend dans le cirque, embrasse le vainqueur, lui passe son baudrier au cou, le priant de le porter en souvenir de l’admiration dont il venoit de le pénétrer, et lui rend sa liberté. De là vient le cimeterre dont ce brave chevalier avoit surchargé l’écu de ses armoiries.

Ce trait fut peint dans un tableau ex voto, déposé par Philippe Pot en la chapelle de la Vierge à l’église Notre-Dame de Dijon.

Sur la même place, au lieu où est la maison Bazard, étoit l’ancien hôtel des Vergy. Il avoit été construit en 1439 par Antoine de Vergy, l’ami du duc Jean, qui accompagnoit ce prince, lorsqu’il fut assassiné par le Dauphin et les partisans de la maison d’Orléans sur le pont de Montereau. Créé maréchal de France par le roi d’Angleterre, alors s’intitulant Roi de France, il défit plusieurs fois les troupes françaises, et en cela il ne suivit pas l’exemple de Guérin de Vergy, son devancier, qui contraignit Lothaire à rendre la liberté à Louis le Débonnaire, gémissant sous la tyrannie de ses fils.

Nous ne pouvons taire que Guillaume de Vergy marchoit à la tête de l’un des corps de troupes qui vint en 1513 investir Dijon. Comblé de biens et d’honneurs par les derniers ducs de Bourgogne et les rois Louis XI et Charles VIII, il passa néanmoins au service de la princesse de Bourgogne, épouse de Maximilien ; quel qu’en soit le motif, il n’en est aucun qui puisse jamais autoriser à porter les armes contre sa patrie. Ce seigneur auroit pu suivre l’héritière de nos ducs, même la servir de son bras, mais dans toute autre guerre ; ce n’étoit pas à un Vergy à venir assiéger Dijon.

Cette famille des Vergy étoit l’une des cinq grandes maisons de Bourgogne : Nobles de Vienne, Preux de Vergy, Riches de Chalon, bons Barons de Beaufremont, Fiers de Neufchatel.

Parmi les personnages marquans de la maison de Vergy, je ne vous parle pas de cette malheureuse Gabrielle, que Dubelloy a mise au théâtre, et dont il place la scène horrible en Bourgogne, parce qu’il est prouvé dans les mémoires historiques sur Raoul de Coucy, Paris, Pierres, 1781, tom. 1.er, que cette amante infortunée étoit de la maison de le Vergies, dont le château étoit voisin de celui du sire de Faïel et de celui de Coucy, dans les environs de Saint-Quentin.

Sur cette même place Napoléon est le bureau de la poste aux lettres, où étoit employé Phil.-Denis Pierres, né à Paris en 1741, ancien premier imprimeur du roi. M. Pierres possédoit au plus haut degré les connoissances relatives à un art dans lequel il avoit tenu le premier rang, et que le vœu des savans l’appeloit à reprendre. Il avoit entrepris pour la grande collection des arts et métiers, de traiter l’art de l’imprimerie ; cet ouvrage auquel il avoit consacré le reste de sa vie, eût formé 3 vol. in-fol. Il fut l’inventeur d’une nouvelle presse d’imprimerie beaucoup plus simple, dont il publia la description en 1786 ; lié d’amitié avec les Franklin, les Daubenton, les Lacépède, ce fut à lui que le roi de Pologne s’adressa pour avoir le plan de la bibliothèque publique qu’il vouloit établir à Varsovie, et l’indication des livres les plus estimés sur toutes sortes de matières. Il mourut à Dijon le 28 février 1808, âgé de 68 ans. M. Leschevin a publié son éloge. Son portrait est gravé par Chrétien.

Porte au Fermerot.La porte Bouchefol, four-Morot ou Fermerot, fermée depuis le siège des Suisses, n’a point été rouverte, mais la rue conserve toujours le nom de cette porte.

Là étoit situé le monastère des Dames de la Visitation de Sainte-Marie, établi en 1622 par M.me de Chantal, fondatrice de l’ordre, réparé en 1678, démoli en 1806.

Jeanne-Françoise Frémyot, fille du célèbre président de ce nom, et de Margueritte Berbisey, naquit à Dijon le 13 janvier 1572, presque vis-à-vis ce couvent. Elle avoit épousé en 1699, Christophe de Rabutin, baron de Chantal, et de ce mariage est issu Celse Benigne Rabutin de Bourbilly, père de M.me de Sévigné.

M.me de Chantal, restée veuve de bonne heure, le baron son époux ayant été tué à la chasse par l’effet d’une imprudence malheureuse, cette sainte femme renonça au monde, ne s’occupa plus que de bonnes œuvres et de l’éducation de ses enfans. On montre encore à Bourbilly le grand four où cette Dame charitable faisoit cuire, elle-même, toutes les semaines, le pain des pauvres ; on conserve encore à Chantal le souvenir de ses vertus chrétiennes et morales, des exemples de douceur, de piété, de bienfaisance qu’elle y donna, pendant qu’elle vécut dans la maison de son beau-père qui voulut l’avoir près de lui, après la fin tragique de son époux.

L’éducation de ses enfants terminée, M.me de Chantal n’eut plus d’autres pensées que celles de la religion ; pieuse amie de Saint François de Sales, ce fut avec ce saint évêque qu’elle s’occupa de fonder l’ordre de la Visitation, dont elle fut la première religieuse, la première supérieure, la protectrice et la mère. Elle mourut à Moulins le 13 décembre 1641. Elle fut canonisée en 1767. Son portrait fut gravé par Montcornet, Leclerc, Giffart et autres. L’abbé Marsollier et plusieurs autres ont publié sa vie.

À côté de l’aïeule, pourrois-je ne pas mentionner sa petite-fille, M.me de Sévigné.

Marie de Rabutin, fille de Celse Benigne Rabutin de Bourbilly et de Marie de Coulanges, naquit à Bourbilly en Bourgogne le 5 février 1626. Orpheline dès l’âge de cinq ans, devenue veuve après cinq années de mariage du marquis de Sévigné, qu’elle avoit épousé en 1644, sa tendresse pour ses enfans lui fit refuser les partis les plus avantageux, et c’est aussi à ce sentiment que nous devons ces lettres inimitables, le modèle, mais le désespoir de tous ceux qui courent la même carrière ; vrais tableaux de l’Albâne, dans lesquels les grâces sont jointes à l’esprit et le sentiment à la délicatesse.

La tendresse maternelle fit la réputation de M.me de Sévigné, mais aussi elle causa sa mort ; les soins qu’elle prodigua à M.me de Grignan sa fille, dans une maladie grave, l’accablèrent de fatigues ; elle en contracta une fièvre continue à laquelle elle succomba le 14 janvier 1696, au château de Grignan.

On peut juger par une seule répartie de la justesse et de la finesse de l’esprit de M.me de Sévigné. Elle termina d’un seul mot la longue dispute entre les anciens et les modernes : les anciens sont beaux, mais nous sommes plus jolis. Son portrait est gravé par Nanteuil.

Pendant que j’en suis aux Rabutins, je dois vous parler de ce fameux comte Roger de Bussi-Rabutin, qui appartenoit par la branche de Couches à l’ancienne maison de Bourgogne.

Il naquit à Épiry près d’Autun, le 3 avril 1618. Sa valeur qui parut avec éclat dans plusieurs sièges et batailles, lui mérita le grade de lieutenant-général des armées du roi et le gouvernement du Nivernois ; mais ce qui lui donna le plus de réputation, ce fut son histoire amoureuse des Gaules, dans laquelle il s’étoit amusé à peindre, avec autant d’esprit que de méchanceté, toutes les femmes de la Cour de Louis XIV. Il fut mis à la Bastille et n’en sortit que pour aller en exil dans sa terre de Bussy, où il resta 17 années. Ce fut ce château dont il s’amusa à couvrir les murs des portraits des femmes de la Cour, avec des devises qui caractérisoient chacune d’elles, d’une manière plus ou moins offensante. M. Millin en a donné une description assez étendue, avec gravure, dans son voyage au midi de la France

Dans son long exil, Bussy s’occupa à écrire ses mémoires en 2 vol. in-4.o ; ses lettres, en 7 vol. in-12, plusieurs fois réimprimées ; un discours sur les adversités de la vie, etc., etc. Il étoit membre de l’Académie française, avoit épousé en premières noces Gabrielle de Toulonjeon, du chef de laquelle il se trouvoit doublement allié à la marquise de Sévigné.

Après plusieurs démarches, Bussy-Rabutin ayant obtenu l’agrément de reparoître à la Cour, le Roi évita de le regarder ; Bussy qui se flattoit de l’emporter en valeur sur le maréchal de Turenne, en génie sur Pascal, en poésie sur Boileau, outré de dépit, se confina pour toujours dans ses terres ; il y mourut le 9 avril 1693, et fut inhumé à l’église Notre-Dame d’Autun. Son portrait est gravé par Lefebvre et Édelink.

On assigne pour cause à sa disgrâce, le couplet qu’il fit sur le Roi et Mad.e de la Vallière :
Que Deodatus est heureux
De baiser ce bec amoureux
Qui d’une oreille à l’autre va ! etc.

Louis XIV ne lui pardonna jamais cette plaisanterie sur sa maîtresse.

Rue Pichou.En face du monastère des Visitandines est la rue Pichou. Ce poëte étoit de Dijon ; il avoit une heureuse mémoire et beaucoup de vivacité dans l’esprit ; l’histoire et la poésie étoient les deux maîtresses dont il fut constamment épris. Au dire de son panégyriste, il avoit ce talent poétique que la nature ne donne pas à tout le monde ; Pichou fut auteur de plusieurs pièces de théâtre : l’Infidelle Confidente souvent représentée sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, effaça la gloire des pièces qui y avoient été jouées jusqu’alors ; la Philis de Scyre enleva tous les suffrages de la Cour, et le cardinal de Richelieu la réputoit la pastorale la plus juste et la mieux travaillée qu’on eût encore vue. Pichou mourut assassiné vers 1630. Le président le Sueur, savant traducteur de Pindare, le poëte Vergier, l’antiquaire Winckelman, Pierre Belon, Jean Magnon de Tournus, avoient eu avant lui une fin non moins tragique et malheureuse.

Au lieu de ce dramatique obscur aujourd’hui ignoré, j’arrêterai vos regards sur un Bourguignon qui lui succéda au théâtre, et dont les ouvrages y sont restés : Edme Boursault, né à Mussy-l’Évêque en 1638, auteur d’Ésope à la cour, à la ville, du Mercure galant, et de plusieurs autres comédies dont le recueil forme 3 vol, 1746, in-12. Boursault n’avoit pas fait d’études, et ne parloit que le patois bourguignon, lorsqu’il arriva à Paris ; mais il fut bientôt en état de parler français purement et même avec élégance. Il amusa longtemps la cour, la ville et les provinces, par sa gazette en vers que les Franciscains eurent le crédit de faire supprimer. Boursault étoit secrétaire de la duchesse d’Angoulême, et eût été nommé précepteur du Dauphin, s’il eût su la langue latine ; Thomas Corneille le pressoit de demander sa réception à l’Académie française, il ne voulut jamais y consentir : Que feriez-vous, lui répondit-il, d’un homme qui ne sait ni latin ni grec ? On a de lui un grand nombre d’écrits, romans, lettres, fables, contes, pièces en vers, etc., etc. Il mourut en 1701, à Mont-Luçon, où il avoit été nommé receveur des tailles.

Rue Saint-Bernard.À côté de cette rue est celle Saint Bernard.

Saint Bernard naquit à Fontaine-les-Dijon, l’an 1091, de Tesselin-Leroux et d’Alèthe de Montbard[26], qui fut l’une des héroïnes littéraires du XII.e siècle. Un couvent de Feuillans étoit édifié sur l’éminence même où étoit le château des ancêtres de Saint Bernard ; on y avoit conservé, à la vénération des fidelles, la chambre même où ce grand homme étoit né.

Bernard prit l’habit monastique à Cîteaux à l’âge de 22 ans, avec trente de ses camarades auxquels son éloquence avoit persuadé de renoncer au monde ; l’austérité fut bientôt empreinte sur des traits que la nature avoit ornés de ses grâces, et sa sagesse le fit nommer, presque au sortir du noviciat, premier abbé de Clairvaux, où il mourut le 20 août 1153, après avoir édifié cette maison par 40 années d’austérités, de pénitence et de vertus.

Saint Bernard étoit véritablement la merveille de son siècle ; on s’adressoit à lui de tous les coins de l’Europe ; le Pape Eugène III qui fut son disciple, le consultoit souvent, et l’appeloit son maître ; son monastère devint le séminaire des prélats ; le concile du Puy s’en rapporta à lui seul pour prononcer entre les papes Innocent et Anaclet ; il se déclara en faveur du premier, et toute l’église y souscrivit ; les avis de Saint Bernard étoient des oracles pour les souverains et pour les peuples. Il prêcha la seconde croisade, et malgré l’opposition de l’abbé Suger, il y entraîna la France et l’Allemagne ; l’enthousiasme fut tel à Vezelai en Bourgogne, où l’on dressa une estrade, sur laquelle cet éloquent Cénobite parut avec Louis le jeune, qu’il fut obligé de mettre sa robe en pièces pour suppléer aux croix qu’il distribuoit à tous ceux qui s’enrôloient pour cette expédition. On vouloit l’en déclarer le chef, mais il refusa cet honneur pour retourner dans sa solitude.

Ce grand homme est placé au rang des pères de l’église. Plein des maximes de l’écriture sainte, Saint Ambroise et Saint Augustin étoient les auteurs auxquels il s’étoit principalement attaché. Ses sermons respirent une éloquence douce et persuasive, ses sentences morales renferment un grand sens en peu de mots, son imagination féconde lui fournissoit, toujours à propos, les traits brillans dont ses discours sont parsemés ; il possédoit sur-tout l’art de donner des louanges sans flatterie, et de dire la vérité sans offenser.

Il avoit été donné, dit un moderne, à cet homme extraordinaire, de dominer les esprits ; on le voyoit d’un moment à l’autre, passer de son désert au milieu des Cours, jamais déplacé quelque part qu’il fût ; et sans titre, sans caractère, jouissant de cette considération personnelle qui est supérieure à toute autorité. Son portrait fut gravé par Mariette, Lombard, Desrochers et autres.

L’abbaye de Clairvaux possédoit dans ce quartier un ancien couvent ; c’est sans doute ce qui a fait donner à cette rue le nom de son premier abbé et de son fondateur.

Place Suzon.Les rue et place de Suzon n’offrent rien de remarquable que le bel hôtel de Talmay, jadis de la Toison.

Rue Bannelier.La nouvelle rue ouverte le long des bâtimens où Bannelier donna pendant tant d’années ses doctes leçons, méritoit bien de porter le nom de ce savant professeur de droit.

Jean Bannelier, né à Dijon en 1683, fut un des plus célèbres avocats de la province ; il étoit professeur et doyen de la faculté de droit. Entre autres ouvrages de jurisprudence, il publia un excellent commentaire sur les traités de droit français, composés par M. Davot, à l’usage de la Bourgogne. Les décisions de ces deux savans professeurs ont été long-temps, et sont même encore aujourd’hui, les oracles du barreau de Dijon. Bannelier demeuroit dans la rue Saint-Fiacre ; il mourut en 1766.

Gabriël Davot, duquel Bannelier ne doit point être séparé, naquit à Auxonne, le 13 mars 1677, d’un père notaire et procureur-syndic de ladite ville ; reçu avocat le 25 juin 1696, la justesse de son esprit, son discernement prompt et exquis, joints à l’étendue de ses connoissances, le firent bientôt distinguer, et Jean Melenet, avocat du premier mérite, lui accorda sa fille en mariage.

Davot fut reçu, le 15 mars 1698, en l’office de substitut du procureur-général ; en 1722, nommé professeur de droit français ; en 1743, pourvu d’une charge de secrétaire du roi : dans ces diverses fonctions, il déploya des talens supérieurs, et mourut subitement le 12 août 1743, dans le cabinet de M. de Saint-Contest, intendant de Bourgogne, où il opinoit avec d’autres jurisconsultes sur une affaire très importante. Ainsi Pline nous apprend que mourut le juge Bebius sur son tribunal ; ainsi terminèrent leurs jours l’avocat-général Servin aux pieds de Louis XIII, auquel il portoit des remontrances en un lit de justice ; et le marquis de Chauvelin, dans l’appartement même de Louis XV. Davot habitoit dans la rue du Vieux-Collége.

Jean Melenet, avocat du premier ordre, né à Montot, près Saint-Jean-de-Laône en 1660, étoit un de ces hommes rares, dont l’éloquence mâle et vigoureuse entraînoit avec rapidité, et dont la probité étoit incorruptible ; il avoit épousé en 1682 Olympe Camus, de laquelle il eut plusieurs enfans, et mourut à Dijon le 12 juillet 1722 ; il avoit composé sur la coutume des commentaires qui n’étoient que manuscrits, mais très recherchés. Parmi les autres jurisconsultes qui ont écrit sur la coutume du duché de Bourgogne, on doit placer en premier ordre Barthelemy de Chasseneuz, né au mois d’août 1480, à Issy-l’Évêque, près d’Autun. Après avoir étudié le droit dans les universités les plus célèbres de son temps, il revint dans sa patrie y exercer la profession d’avocat. Ce fut là qu’il commença son commentaire sur la coutume de Bourgogne, qui eut de son vivant cinq éditions successives, et que depuis sa mort on a encore réimprimé plus de quinze fois. Un ouvrage de cette réputation lui mérita d’être nommé par François I.er, premier président du parlement de Provence ; il y excita la jalousie, et fut calomnié ; mais un arrêt solennel rendu en 1535, le justifia pleinement de toutes les inculpations qui lui avoient été faites.

Quelques années après il coopéra, par sa présidence et sa signature, au fameux arrêt rendu le 18 novembre 1540, contre les malheureux paysans de Cabrières et de Mérindol, qui furent condamnés au feu, parce qu’ils étoient protestans, et dont les femmes et les enfans furent expulsés du royaume. Chasseneuz fit tout ce qu’il put pour éluder l’exécution de ce cruel arrêt ; l’on croit même que ce fut à sa sollicitation que furent expédiées les lettres du 18 février 1541, par lesquelles le roi accorda un pardon général à ces malheureux habitans ; mais pendant que le parlement délibéroit sur leur exécution, Chasseneuz, à ce que l’on rapporte, mourut empoisonné dans un bouquet de fleurs qui lui fut présenté ; ainsi le cardinal Ximénès fut empoisonné dans un pâté de truites ; le cardinal Bibiéna, dans des œufs frais ; l’Augustin Gonzalès, dans l’hostie qu’il venoit de consacrer. Le portrait de Chasseneuz est gravé par Cundier, 1724, in-fol.

On donne pour motif des délais apportés par Chasseneuz à l’exécution de l’arrêt de 1540, un conte absurde qu’on s’est plu à répéter.

Un sieur d’Allein ayant rappelé à Chasseneuz que pendant qu’il étoit à Autun, des paysans ayant demandé l’excommunication des rats qui désoloient leurs terres, il avoit pris la défense de ces animaux, remontré que le terme qui leur étoit assigné pour comparoir, étoit trop court, et qu’il y avoit du danger pour eux à se mettre en campagne, d’autant que les chats des villages voisins étoient aux aguets pour les arrêter ; après avoir représenté à Chasseneuz qu’il avoit obtenu que les rats seroient cités de nouveau avec un plus long délai, d’Allein lui dit : Pensez-vous qu’un premier président doive moins qu’un avocat respecter les formes de l’ordre judiciaire ? ou croyez-vous qu’une société d’hommes mérite moins d’égards que les plus méprisables des animaux ? Interpellation qui faisant rentrer Chasseneuz en lui-même, le fit revenir de son opinion.

Mais le président Bouhier a démontré que cette fable avoit été inventée à plaisir par les protestans, pour ridiculiser les juges qui avoient rendu l’arrêt contre les Vaudois.

On doit encore placer au nombre des commentateurs de la coutume :

Jean Guillaume, né à Arnay, en 1570, mort à Dijon en 1626, duquel le président Bouhier dit, qu’il égala de bonne heure, par ses lumières, les plus savans de ses confrères, et qu’il les surpassa tous par son éloquence. Le prince de Condé qui l’avoit choisi pour son conseil dans un procès important, honora ses obsèques de sa présence.

Bernard Martin, né à Dijon en 1574, et qui y mourut le 15 novembre 1639, célèbre avocat dont Fêvret faisoit le plus grand cas. M. de Bévy destinoit ses commentaires à figurer à la suite de ceux de M. le président Bouhier ; le premier volume seulement a été imprimé ; les changemens apportés à la jurisprudence, n’ont pas permis de publier le surplus. Bernard Martin et Anne Boulier, son épouse, donnèrent 3000 fr. au collége de Dijon, pour subvenir aux frais de la distribution annuelle des prix. Sa bibliothèque fut léguée à ce collége.

Jacques-Auguste de Chevannes, né à Dijon en 1624, mort en 1690.

Philippe de Villers, dijonnais, mort en sa patrie le 1.er janvier 1622.

François-Claude Jehanin, né à Dijon en 1630, y mourut le 22 novembre 1698 ; Lamonnoye l’avoit surnommé le Papinien de la Bourgogne. Son buste, ouvrage de Dubois, est au-dessus de son mausolée en l’église Saint-Michel ; l’épitaphe est de Paul Petit.

Nicolas et François Perrier, jurisconsultes distingués, morts sur la fin du XVII.e siècle, et Guillaume Raviot, né à Dijon le 29 novembre 1667, mort le 5 octobre 1751, qui a publié le recueil des arrêts rassemblés par François Perrier, en 2 vol. in-fol. Son portrait, en tête de ses œuvres, est gravé par Antoine.

Rue Fêvret.Une autre rue porte le nom de Fêvret.

Plusieurs hommes de mérite de ce nom, ont habité cette ville.

Charles Fêvret, né à Semur le 16 décembre 1583, fils de Jacques Fêvret et de Suzanne Guichard, avocat du plus grand mérite, l’arbitre général de la province, auteur du traité de l’abus, et de plusieurs autres ouvrages, mourut à Dijon le 12 août 1661. Son portrait, en tête de ses œuvres, est gravé par Lebrun et Avroux.

À son occasion, je vous parlerai de la sédition du Lanturelu.

La ville de Dijon avoit le privilége d’élire ses magistrats ; on voulut y porter atteinte, en forçant la province de recevoir l’édit des élections ; le peuple s’en mêla, crut que l’on vouloit établir les aides en Bourgogne, et le 28 février 1630, les vignerons s’armèrent de hallebardes et de pieux, élurent un chef, qu’ils appelèrent le Roi Machas, brûlèrent le portrait de Louis XIII, couroient les rues en chantant dans leur marche le vaudeville du Lanturelu, et criant Lanturelu, vive l’Empereur ; ils incendièrent quelques maisons, entre autres celle du premier président, les découvrirent, commirent plusieurs autres excès ; cependant les bons citoyens prirent les armes, et dès le lendemain, les plus mutins de la troupe furent tués ou arrêtés, et leurs membres suspendus aux portes de la ville.

Louis XIII, à qui l’on avoit présenté les propos de ces séditieux, comme le crime de toute la ville, se rendit de Troyes à Dijon, le 27 avril, en fit sortir tous les vignerons, et défendit au corps municipal de se présenter devant lui ; il y fut cependant admis dès le lendemain, à la sollicitation du duc de Bellegarde, avec cent des principaux habitans ; tous se prosternèrent aux pieds du Monarque ; Charles Fêvret plaida à genoux la cause de la ville de Dijon avec tant d’éloquence, que le roi ne put ni retenir ses larmes, ni refuser le pardon[27].

Pierre Fêvret, fils dit précédent, et d’Anne Brunet, né à Dijon le 28 novembre 1625, chanoine de la Ste.-Chapelle, mort le 18 décembre 1706, sous-doyen du parlement, donna aux Jésuites sa riche bibliothèque, à condition qu’elle seroit ouverte au public ; ainsi les livres du chanoine Fêvret, ceux du Jésuite Pasquelin et de Bernard Martin, qui léguèrent aussi les leurs à la même condition, ont formé le noyau de la bibliothèque publique, dont le catalogue fut imprimé en 1708, in-4.o Dijon, 162 pages.

Charles-Marie Fêvret de Fontette, arrière-petit-fils de Charles Fêvret, né à Dijon en avril 1710, fils de Charles Fêvret de St.-Mesmin et de Marie de Fontette, conseiller au parlement, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, directeur de celle des sciences et arts de Dijon, est auteur de la seconde édition de la bibliothèque historique de France, qu’il augmenta de quatre volumes in-fol., ouvrage plein de recherches, d’une érudition immense, et le plus beau monument de notre histoire littéraire de France. Il mourut le 21 février 1772. M. Perret a donné son éloge.

Rue Debrosses.La rue Debrosses est encore une des rues nouvellement ouvertes sur le terrein des religieux de l’ordre de Saint-Dominique.

Charles Debrosses, né à Dijon le 7 février 1709, succéda, en 1775, à M. de la Marche, dans la place de premier président du parlement de Bourgogne ; il demeuroit sur la place St.-Jean ; l’Académie des inscriptions et belles-lettres l’avoit admis parmi ses membres.

M. Debrosses, dit Buffon, étoit un de ces hommes qui peuvent, suivant les circonstances, devenir les premiers en tous genres ; qui manifestent leur génie par des productions naturelles toujours différentes de celles des autres, et souvent plus parfaites. Son traité de la formation mécanique des langues, est rempli de sagacité et d’idées philosophiques ; son Salluste dénote une profonde connoissance de l’histoire, des écrivains et des mœurs de l’ancienne Rome ; son histoire des navigations aux terres australes, est très estimée ; il en préparoit une nouvelle édition sur un exemplaire qu’il avoit chargé de notes, lorsque la mort le surprit à Paris, où ses affaires l’avoient appelé. Il y fut inhumé le 7 mai 1777. Son portrait peint par Cochin, est gravé par Saint-Aubin.

Rue Quentin.À la suite est la rue Quentin, du nom du peintre distingué, inhumé à St.-Nicolas de Dijon, le 11 septembre 1636. Le Poussin voyant aux Jacobines de cette ville son tableau de la communion de Sainte Catherine, et apprenant que l’auteur de ce tableau demeuroit à Dijon, dit tout haut : Il n’entend pas ses intérêts ; que ne va-t-il en Italie ! il y ferait fortune.

On admire au muséum de Dijon plusieurs ouvrages de Quentin ; son tableau de la Circoncision qui étoit aux Jacobins, celui de la Nativité que possédoient les Minimes, celui de la Résurrection que l’on voyoit à St.-Nicolas, et celui du Couronnement d’épines qui provient de l’église des Capucins. Ses quatre grands tableaux des mystères de la Vierge décorent la grande salle de l’école de droit ; son tableau de S.te Catherine est à l’hôpital Sainte-Anne.

Rue Odebert.Enfin, la rue Odebert est la cinquième et dernière des rues ouvertes dans l’enclos des Jacobins.

Pierre Odebert, né à Avalon en 1574, président au parlement de Bourgogne, en remplit pendant quarante-deux ans les fonctions à la satisfaction générale ; mais ce ne fut pas son seul titre à la reconnoissance de ses compatriotes.

En 1645, il fonda, bâtit et dota de plus de 80,000 fr. le bel hôpital de Sainte-Anne, devenu aujourd’hui le Lycée ; il ajouta quatre professeurs à ceux déjà fondés au collège de Dijon par les Godran, et à cet effet légua 30,000 fr. à ce collège ; il fonda aussi plusieurs bourses au séminaire et aux cordeliers de la même ville.

Odette Maillard, son épouse, partageoit ses sentimens de bienfaisance ; c’est à ce couple vertueux qu’Avalon doit la fondation de son collége, de son hôpital et du couvent des Capucins ; et pour couronner toutes leurs bonnes œuvres, ces époux instituèrent les pauvres, leurs héritiers.

Pierre Odebert mourut le 19 novembre 1661, et fut enterré à Saint-Étienne de Dijon ; son mausolée sculpté par Dubois, a été transféré à l’église S.te-Anne où vous l’avez admiré, afin que la bienfaisance reçût à perpétuité les hommages qui lui sont dus, dans le lieu même où elle s’exerce tous les jours au nom de ces époux vertueux. Son portrait a été gravé par Lombart et Palliot.

À côté du président Odebert, nous devons mentionner un autre magistrat, non moins libéral et bienfaisant : Mel. Cochet de Saint-Vallier, né à Beaune en 1664, mort président du parlement de Paris, le 19 décembre 1738, connu par son traité de l’indult, en 3 vol. in-4.°, plus connu encore par les actes de sa bienfaisance. Il légua 10,000 fr. de rente pour marier chaque année une fille noble de province, 4000 fr. pour doter chaque année une autre qui voudroit entrer en religion, huit bourses pour les jeunes gentilshommes peu fortunés qui viendroient étudier à Paris, et assigna des secours considérables pour les veuves des magistrats qui éprouveraient des besoins. Ces traits d’humanité ne peuvent jamais être oubliés tant qu’il existera des cœurs reconnoissans.

Son portrait est gravé par Simoneau et Thomassin.

Le monastère des Jacobins, fondé en 1237 par Alix de Vergy, duchesse de Bourgogne, n’offroit rien de remarquable ; l’église a été convertie en une halle pour les légumes. Elle a 57 mètres de longueur, 16 ½ de hauteur, 21 ½ de largeur.

Elle fut la sépulture de quelques personnes remarquables.

Charlotte d’Orléans Longueville, morte à Dijon en 1549, fut enterrée dans cette église ; elle étoit mère de Jacques de Savoye, duc de Nemours, vainqueur du baron des Adrets, et du duc de Deux-Ponts, qui contribua à sauver Charles IX, que les rebelles étoient sur le point d’investir à Meaux, en 1567.

Des membres des familles Le Compasseur et Godran y furent inhumés.

Dans le XIV.e siècle, les maire et échevins s’assembloient dans les salles du cloître du couvent des Jacobins ; l’université de droit y donna ses leçons depuis 1723 jusqu’à sa suppression en 1790 ; l’Académie des sciences y tint ses séances jusqu’à l’acquisition de son hôtel.

Quelques religieux de ce monastère ont eu de la réputation.

Martin Porée, confesseur de Philippe-le-Hardi, chancelier de Bourgogne en 1394, évêque d’Arras en 1408, ambassadeur au concile de Constance en 1414, mort dans son évêché le 6 septembre 1426.

Philippe Joly, né à Dijon en 1664, prieur du couvent de cette ville, prédicateur estimé, avoit surtout un merveilleux talent pour la poésie bourguignonne ; quelques unes de ses pièces ont été imprimées ; il mourut à Dijon le 6 décembre 1734.

Le père Vernisy, religieux de cette maison, né à Dijon, y mourut en juillet 1785 ; il étoit versé dans l’histoire des insectes et la botanique ; il étoit membre de l’Académie de Dijon, qui possède la collection de ses savans écrits sur l’histoire naturelle.

Rue Musette.À gauche est la rue Musette, terminée par le portail Notre-Dame.

Dans cette rue étoit l’une des entrées de l’hôtel Chambellan, qui avoit aussi des issues sur la place Notre-Dame, et sur la rue au Change.

On voit encore dans cet hôtel des salons décorés comme au temps de sa construction, avec des moulures en or, des bas reliefs, des statues revêtues d’une feuille d’or et parfaitement conservées ; on y remarque la chapelle dont les vitraux peints, sont chargés des armoiries des Chambellan ; le principal escalier a son noyau terminé par un jardinier debout, portant sur sa tête une large corbeille de fleurs qui, débordant en tous sens, forme le plafond supérieur qui couvre les degrés.

Plusieurs Chambellan furent maires de Dijon dans les XIV et XV.e siècles ; Marie Chambellan, fille de Henri et dernière héritière de cette maison, porta cet hôtel en dot en 1489 à Guy de Rochefort de Pluvault, premier président du parlement de Bourgogne, lequel devint chancelier de France en 1497, cinq ans après la mort de son frère, Guillaume de Rochefort, aussi chancelier de France, par les conseils duquel Charles VIII épousa Anne de Bretagne, au lieu de s’emparer des états de cette princesse par la force des armes.

Dans la place de chancelier, Guy de Rochefort soutint dignement l’honneur de la couronne ; en 1497, il fit créer le grand conseil ; en 1499 il reçut à Arras l’hommage de l’archiduc Philippe pour les comtés de Flandres et d’Artois. Il mourut en janvier 1507, et fut inhumé à Cîteaux.

Marie Chambellan sa veuve fut gouvernante de la reine épouse de François 1.er ; son fils, Jean de Rochefort, bailli de Dijon, portoit la cornette blanche à la bataille de Pavie, où il fut fait prisonnier ; en 1536 il fut ambassadeur de France à la Cour de Rome. Il se montra également habile dans les emplois civils et militaires. L’hôtel de Rochefort étoit dans la rue Petite-Poissonnerie.

En face de la rue Musette est le portail de l’église Notre-Dame, gravé plusieurs fois comme l’un des plus beaux monumens de l’architecture gothique ; vous le trouverez dans le parallèle des édifices remarquables, par Durand, dans le cours d’architecture de Patte, etc. etc.

Cette église est la première paroisse de Dijon ; elle fut édifiée au XIII.e siècle dans l’emplacement de l’ancienne chapelle du marché, qui, elle-même, avoit succédé à la chapelle de St.-Jacques de Trimolois ; son vaisseau est regardé par les connoisseurs, comme le chef-d’œuvre de l’architecture gothique ; la délicatesse des colonnes, la hardiesse de la voûte, l’élégance des colonnades supérieures faisoient dire à M. de Vauban qu’il ne manquoit à ce temple qu’une boëte pour le renfermer ; M. Soufflot admiroit tellement cette église, qu’il l’avoit fait exécuter en bois dans toutes ses proportions, comme un modèle d’élégance et de légèreté. Elle a 65 mètres de longueur, 23 mètres de largeur et 18 mètres ½ de hauteur.

C’est dans cette église que les maires de Dijon venoient prêter serment après leur installation ; que s’exécutoit le vœu fait par la ville à Sainte-Anne en 1531, pour la délivrance de la peste ; celui fait en 1595, pour la réduction de la ville en l’obéissance de Henri IV ; celui de Louis XIII, en 1638, lorsqu’il mit son royaume sous la protection de la Vierge. L’Assomption qui est au rond point de cette église, est du ciseau de Dubois, et son chef-d’œuvre ; on y remarque le tableau de l’Annonciation, original de Revel, et quatre grands tableaux dans le chœur, copiés par le même artiste, d’après les meilleurs maîtres.

Après la bataille de Rosebec, la ville de Courtrai ayant refusé de rendre au roi de France les éperons dorés des chevaliers français tués sous ses murs en 1302, le vainqueur enleva de force ce trophée, dont l’existence étoit une humiliation, et fit mettre le feu à la ville. Le duc Philippe-le-Hardi se saisit de l’horloge, qu’il fit conduire à Dijon en décembre 1382, et la fit placer sur l’une des tours de l’église Notre-Dame. C’étoit la seconde horloge à roue et à sonnerie qu’avoit construite Jacques Marc, mécanicien flamand, ouvrage, dit Froissart, historien contemporain, le plus beau qu’on pût trouver de çà et de là les mers. Dans la tour opposée, sont placées les anciennes archives de la ville, pour les garantir du feu, et obvier à ce qui étoit arrivé dans les incendies de 1137 et 1227, où les archives de la ville devinrent la proie des flammes.

Ce fut dans l’une des chapelles de cette église que le comte de Charni et les douze chevaliers qui avoient tenu avec lui le pas d’armes de Marsannay, assigné par Pierre de Beaufremont, vinrent offrir et déposer leurs écus et leurs lances.

Ce tournois pompeusement annoncé dans toute l’Europe, ouvert le 11 juillet 1443, avoit pour but le maintien et l’honneur des armes ; il fut d’abord assigné sur la chaussée d’Auxonne, à l’arbre des Hermites, mais depuis transféré à l’arbre de Charlemagne, sur la charme de Marsannay ; on y combattit à pied et à cheval ; des pavillons dressés en différens endroits étoient garnis de vaisselle et de buffets, de vins, de serviteurs, le tout, dit Olivier de la Marche, d’une manière de faire si honorable, que tous gens de biens y étoient accueillis et servis, que mieux on ne sauroit faire.

Les écus attachés à l’arbre de Charlemagne furent présentés par deux rois d’armes à genoux, devant l’image de Notre-Dame de bon espoir ; on les voyoit encore suspendus dans sa chapelle, avant la révolution.

Parmi les curés de Notre-Dame on doit citer :

Thomas Chaudot, mort le 8 août 1684, en odeur de sainteté ;

Jacques Genreau, mort en 1737, auteur de plusieurs ouvrages de piété ;

Louis Carelet, né en 1746, mort le 20 mars 1781, qui publia 7 vol. in-12 de sermons et instructions morales ;

L’abbé Derepas, chanoine de cette église, mort en 1758, étoit un des premiers membres de l’Académie des sciences de Dijon, formée en 1740 ; les registres de cette compagnie mentionnent honorablement ses discours sur les bienséances, les maladies de l’esprit, les chagrins de la vie, la critique, le plagiat et la cause des erreurs dans la recherche de la vérité. L’abbé Richard a prononcé son éloge.

Cette église se trouve entre la rue au Change et celle de la Chouette.

Rue au Change.Dans la première habitoient les changeurs de monnoies, profession devenue nécessaire dans un temps où chaque petit prince, et même certaines églises, avoient leurs monnoies particulières ; cette rue porta le nom de l’Arbre de Jessé.

Rue de la Chouette.La seconde prend son nom d’une chouette sculptée sur l’un des arcs-boutans de cette église ; c’est dans cette rue qu’étoit l’ancien auditoire de la Juridiction consulaire, tenue par des marchands.

Vous savez, Monsieur, que ce tribunal prit naissance sous le règne de Charles IX, et que son établissement fut l’ouvrage du Chancelier l’Hôpital. On rapporte que Charles IX assistant à un arrêt qui mettoit hors de cour deux marchands qui plaidoient depuis douze années, indigné de l’énormité des frais et des longueurs de la procédure, institua des tribunaux spécialement consacrés aux matières de commerce, composés de juges élus par les marchands entre eux, et dispensés des formalités ordinaires de la procédure.

L’édit de leur création est de l’an 1563 ; c’est de cette époque que date aussi l’érection d’un tribunal de ce genre à Dijon ; son auditoire de la rue de la Chouette ayant été vendu comme propriété nationale, a été transféré dans l’une des ailes du palais des états de Bourgogne, donnant dans la rue au Change.

Revenons sur nos pas ; en descendant la rue Musette, où étoient en 1437 les latrines publiques, Rue Poissonnerie.on trouve la rue de la Poissonnerie, en face de laquelle étoit le tripot de la Mère folle.

Dans la maison de la rue des Champs, presque en face de la rue Poissonnerie, se tenoient les assemblées de la Mère folle, institution burlesque, du genre de la fête des Foux, dont on ne connoît pas précisément l’origine, mais qui étoit en pleine vigueur au temps de Philippe-le-Bon, lequel en confirma l’existence par lettres-patentes du 27 décembre 1454 ; l’évêque de Langres, Jean d’Amboise, gouverneur de Bourgogne, la confirma par ses lettres de 1482. Cette association étoit composée des personnages les plus marquans. Le prince de Condé y fut admis en 1626, le comte d’Harcourt, la Rivière, évêque de Langres, les Vandenesse, les Requeleyne en étoient membres superlatifs, mirélifiques et scientifiques loppinans. Le chef de cette société portoit le nom de Mère folle ; il avoit une cour de souverain, ses officiers de justice et de maison, son chancelier, son grand écuyer, fauconnier, grand veneur et autres ; ses dames d’honneur, ses hérauts, ses pages ; deux cents hommes d’infanterie, cinquante cavaliers, cinquante suisses formoient sa garde ; l’appel de ses jugemens se relevoit nuement au parlement ; son sceau, représentant une femme assise, la marotte à la main, portoit pour légende : Numerus stultorum infinitus est. Le fiscal ou griffon vert étoit le secrétaire de cette compagnie. Le costume des membres étoit aux couleurs vertes, jaunes et rouges, taillé et chamarré ridiculement ; tous les discours, tous les actes s’y faisoient en rimes bourguignonnes ou françaises. Lorsque la Mère folle marchoit par la ville, c’était dans de grands chariots peints, traînés par six chevaux caparaçonnés aux trois couleurs, conduits par des cochers et postillons chamarrés de livrées, et sur les chars étoient masqués et bigarrés ceux qui récitaient des vers bourguignons, lorsqu’on arrêtait le char au-devant des hôtels des principaux personnages de la ville. Une troupe de musiciens remplissoit les intermèdes. Tels étoient les spectacles du temps.

S’il arrivoit dans la ville quelque événement singulier, comme meurtre, mariage bizarre, séduction du sexe, rapt, etc., le chariot et l’infanterie dijonnaise étoient sur pied, l’on habilloit une personne de la troupe de même que ceux auxquels la chose étoit arrivée, l’on s’étudioit à les représenter au naturel, et souvent la crainte des huées de la Mère folle retenoit de commettre de mauvaises actions. Castigat ridendo mores.

Cependant les désordres, les débauches de cette société de mère folie, la firent supprimer par édit donné à Lyon le 21 juin 1630. Elle ne se rassembla plus qu’avec l’autorité et permission du gouverneur, et dès lors peu à peu elle s’éteignit. M. du Tilliot en a publié l’histoire. Dijon, 1741, in-4.o et in-12.

Rue des Champs.Dans le XV.e siècle, la rue des Champs étoit affectée aux filles publiques ; on s’étonnera de voir ces lieux de débauches, non-seulement tolérés, mais autorisés par une ordonnance de Saint Louis ; au reste il faut connoître les circonstances qui y donnèrent lieu.

Un capitulaire de Charlemagne de l’an 800, portoit contre les filles publiques la peine du fouet, et contre ceux qui leur donneroient asyle, l’obligation de les porter sur leurs épaules depuis leur domicile jusqu’au lieu du marché public ; cette ordonnance ne fut presque jamais observée, le libertinage reprit le dessus, il devint si scandaleux, que Saint Louis rendit contre les filles amoureuses et folles de leur corps, en 1254, une ordonnance portant qu’elles seroient chassées des villes et villages, dépouillées de leurs atours, et que leurs biens appartiendroient au premier occupant ; il prononça jusqu’à la confiscation des maisons où elles auroient été reçues.

Cette ordonnance ne produisit d’autre effet que de faire rechercher les moyens de l’éluder ; les filles publiques prirent le costume et les manières extérieures des femmes de bien et de qualité, et sous ce voile se livroient impunément à leur honteux commerce ; les libertins se méprenoient souvent, et les femmes honnêtes se trouvoient exposées à des insultes ; ce fut alors et pour ce motif qu’on changea pour la première fois de plan de conduite à leur égard, et pour que les femmes vertueuses fussent du moins respectées, non-seulement on toléra les femmes publiques, mais on régularisa leur métier, en les plaçant sous la main de la police ; des rues, dans chaque ville, leur furent assignées, on leur donna un costume particulier, on fixa des heures, passé lesquelles elles devoient être rentrées. Cette nouvelle ordonnance date de la même année 1254. À Paris, les rues de l’Abreuvoir, Fromenteau, Glatigny, Cour-Robert, Champ-Fleury, etc., etc., leur furent abandonnées pour y établir leurs bordeaux ou clapiers ; à Dijon, ce fut d’abord à la rue du Châtel ou St.-Fiacre, qu’étoit le logis des fillettes communes ; mais, en 1425, une ordonnance de police les en fit déloger, parce qu’étant voisines des classes publiques, les écoliers s’y affoloient ; elles furent transférées dans la rue des Champs.

Cet ordre de choses dura jusqu’en 1560, que les États-généraux d’Orléans proscrivirent ces lieux publics de prostitution, et la maison qu’elles occupoient à Dijon, fut concédée à l’exécuteur des jugemens criminels.

Les sires de Champlitte et de Pontailler avoient leur hôtel dans cette rue ; Guillaume de Champlitte, vicomte de Dijon, prince de la Morée, dont il avoit fait la conquête, l’habitoit dans le XI.e siècle.

Le prolongement de la rue des Champs prend le nom de rue des Godran, qui y avoient leur hôtel.

Rue des Godran.Odinet Godran, président au parlement de Bourgogne, fut un des bienfaiteurs de la ville de Dijon ; par son testament du 9 février 1581, il institua pour ses héritiers la ville de Dijon et le couvent des Jésuites, à la charge de fonder un collége, où seroient enseignées gratuitement les langues grecque et latine, les belleslettres italiennes et françaises, la philosophie morale d’Aristote, l’arithmétique et même l’écriture et l’agriculture ; et en cas de non acceptation, leur substitua le chapitre et la commune d’Autun, aux mêmes charges et conditions. Il mourut peu après cet acte d’une libéralité éclairée.

La ville de Dijon ne laissa point aller à celle d’Autun l’avantage que devoient lui procurer les fondations des Godran ; elle augmenta même la dotation. Le président Odebert fonda deux autres chaires ; Pierre Fevret, Pasquelin et Bernard Martin y léguèrent leurs bibliothèques ; ce dernier et Jean de Berbisey firent les fonds de la distribution annuelle des prix, et le collége de Dijon se trouva être l’un des plus richement dotés de la France.

La famille Godran avoit fait encore plusieurs autres fondations pieuses ; elle étoit distinguée à Dijon par l’amour des lettres et de la vertu ; Philibert Godran fut l’un des otages donnés aux Suisses en 1513.

Jean Godran, avocat, né à Dijon le 17 avril 1606, mort en cette ville le 10 février 1683, fut auteur d’une histoire abrégée des chevaliers de la Toison d’Or, et des quatre derniers ducs de Bourgogne.

Coin du Miroir.À la suite de cette rue est le quartier appelé le Coin du Miroir, du nom de l’ancienne abbaye du Miroir, près de Cuiseau, dont les abbés avoient en ce lieu un hôtel, ou plutôt une ancienne tour quarrée, crénelée, entourée de fossés, qui depuis plusieurs siècles avoit passé aux Chartreux de Champ-Mol, qui la démolirent, et y édifièrent le grand corps de logis que l’on voit aujourd’hui.

Cette abbaye, de l’ordre de Cîteaux, fondée en 1131, de laquelle Robert fut le premier abbé, députoit aux anciens états du comté d’Auxonne, dans le ressort duquel elle étoit située. D. de Vienne en étoit élu en 1507 ; sur la fin du siècle dernier, elle n’étoit plus composée que de trois religieux, et la suppression des ordres monastiques n’a fait que prévenir l’extinction de ce monastère, presque déjà abandonné.

C’étoit ordinairement devant cet hôtel du Miroir que se représentoient les mystères. À l’entrée solennelle du duc Charles à Dijon, en 1473, on y avoit représenté un lion colossal, portant le collier de la toison d’or avec les armes du duc, tenant de sa patte droite une épée, que lui donnoit Jérémie ; ce prophête tenoit de l’autre main un rouleau, sur lequel étoit écrit : Respice statim gladium munus à Deo, in quo dejicies adversarios populi mei.

Huit autres prophêtes, quatre de chaque côté du lion, tenoient aussi des rouleaux, sur chacun desquels étoient écrites des devises tirées de l’écriture sainte, et analogues au lion, principal emblème de ce mystère. Cette allégorie étoit loin de présager au duc Charles les revers qui l’attendoient chez les Suisses.

Dans les autres rues par où le prince devoit passer, on avoit établi des représentations emblématiques du même genre. Telle est l’origine de nos spectacles français, aujourd’hui si brillans, si épurés, si perfectionnés.

Rue du Chapeau-Rouge.En remontant la rue Guillaume, on trouve à gauche la rue du Chapeau-Rouge : dans cette rue demeura l’avocat Claude Perret, né à Verdun-sur-Doubs, en 1720, mort à Dijon le 9 août 1788, jurisconsulte distingué du barreau de cette ville, ancien secrétaire perpétuel de son Académie pour la partie des belles-lettres, auteur des usages de Bresse, 1773, in-4o, 2 vol . ; des éloges de Bullier, Piron, Fontette, etc., etc., homme aussi versé dans les matières de jurisprudence que dans la carrière des lettres et dans l’histoire littéraire.

Rue Mably.À droite est la rue Mably, autrefois rue Carlot, qui prit le nom de rue Fleury de celui de J. F. Joly de Fleury, intendant de Bourgogne en 1749. Pendant la révolution, l’on effaça ce nom, qui étoit en rapport avec la province, et un monument de gratitude, pour y substituer celui d’un Dauphinois, qui ne vint peut-être jamais à Dijon.

Gabriël Bonnot de Mably, né à Grenoble le 14 mars 1709, mort le 23 avril 1785, après avoir reçu avec piété les derniers sacremens, étoit surtout un politique profond. Les Hollandais, les Polonais, les Américains eurent recours à ses lumières ; ses ouvrages de politique et d’histoire respirent une grande connoissance des hommes et des peuples, des mœurs et des lois ; il avoit annoncé la révolution de France, et fut le premier et le seul auquel une société littéraire accorda un prix sur une question qu’elle n’avoit pas proposée. Cet honneur fut déféré aux Entretiens de Phocion.

Vous voilà revenu, Monsieur, au point d’où vous étiez parti ; rentrez pour prendre un peu de repos, vous devez en avoir besoin ; puisque vous voulez que nous ne nous séparions pas, nous dînerons ensemble ; je pourrai peut-être répondre à quelques réflexions que vous aurez faites sur ce que je vous ai raconté dans notre seconde course ; je m’estimerois trop heureux, si je pouvois ne vous rien laisser à désirer sur une ville qui a déjà su vous inspirer tant d’intérêt.




  1. Je ne retrouverai peut-être pas l’occasion de vous parler de ce savant distingué : Jean Lebeuf, né à Auxerre le 7 mars 1687, mort le 10 avril 1760, chanoine d’Auxerre, membre de l’Académie des inscr. et de celle de Dijon, étoit un prodige d’érudition ; elle éclate dans tous ses écrits ; il ne cessa jusqu’au dernier de ses jours, de se livrer aux recherches les plus laborieuses ; les éditeurs de Du Cange lui doivent plusieurs articles très savans, et le surnomment verum minimè tritarum indagator sagacissimus. L’aspect d’un monument d’antiquité le jetoit dans un enthousiasme et dans des distractions, admirés des savans, mais qui étonnoient le vulgaire. Le cardinal de la Rochefoucaud lui ayant fait obtenir une pension de mille francs sur le clergé, l’abbé Lebeuf,  aussi désintéressé que modeste, fut honteux de se voir si riche ; un de ses amis lui dit qu’on n’étoit pas content de ce que le cardinal avoit fait pour lui : Je m’en doutois bien, répondit le docte abbé, je n’en demandois pas tant, et je suis prêt à le rendre. Il avoit pris le change, on vouloit se plaindre de la modicité du bienfait.
    Papillon donne l’énumération de plus de 260 ouvrages sur différens sujets sortis de la plume savante de ce laborieux écrivain, parmi lesquels les histoires de Paris et d’Auxerre tiennent le premier rang ; les autres sont pour la plupart insérés dans les recueils et dans les mercures du temps. Son portrait fut gravé par Odiœuvre. M. Lebeau prononça son éloge.
  2. Son neveu et son élève, Philippe-Daniel Duboy-Laverne, né à Tréchâteau, département de la Côte-d’Or, le 17 septembre 1755, mort à Paris le 13 novemb. 1802, étoit directeur de l’imprimerie de la république. Lors de la suppression des monastères, il rendit à son oncle les secours qu’il en avoit reçus dans sa jeunesse, et lui prodigua tous ses soins. L’élève de D. Clément devoit être un homme instruit ; aussi Duboy-Laverne étoit-il lié avec tous les savans de la fin du XVIIIe. siécle ; l’un d’eux, M. Sylvestre de Sacy, a publié son éloge. On doit à Duboy-Laverne, les tables de 9 vol. des Mémoires de l’académie des inscriptions et belles-lettres ; il tira la typographie orientale de la poussière dans laquelle elle restoit ensevelie, depuis un siècle, dans l’imprimerie du Louvre ; il exécuta plusieurs belles éditions qui lui assignent un rang parmi les meilleurs typographes.
  3. Un autre physicien qui fait honneur à la Bourgogne, et que je ne dois pas passer sous silence, est Edme Mariotte, prieur de Saint-Martin-sous-Beaune, membre de l’académie des sciences, auteur de plusieurs traités sur l’eau, la vue, les couleurs, l’air, le choc des corps, le nivellement, etc. etc. réunis en 2 vol. in-4.°, Leyde, 1717 ; on lui attribue ce beau distique sur les conquêtes de Louis XIV :
    Una dies Lotharos vinxit, Burgundos hebdomas una,
    Una domat Batavos luna, quid annus erit ?

    Edme Mariotte mourut le 12 mai 1684.

  4. V. Diction. hist. de Chaudon et de Landine, supplément, tom. 2, pag. 13.
  5. Joli petit roman de Cazotte.
  6. Dict. histor. de Chaudon et de Landine, Supplément, tom. 1, pag. 456.
  7. Mort le 20 juin 1794, dans un délire, ne parlant que du tribunal révolutionnaire.
  8. Décapité le 7 juillet 1794.
  9. Décapité le 12 novembre 1793.
  10. Décapité le 22 avril 1793.
  11. Décapité fin de juillet 1794.
  12. Il mourut le 11 février 1803, dans de grands sentimens de piété.
  13. Décapitée le 10 mai 1794.
  14. Décapitée le 16 octobre 1793.
  15. Décapité le 21 janvier 1793.
  16. Cîteaux étoit une abbaye régulière, chef d’ordre, à deux myriam. de Dijon, que les ducs de Bourgogne, de la première race, avoient affectée à leur sépulture. Vous prendrez une idée de sa puissance, lorsque vous saurez qu’elle comptoit plus de trois mille monastères sous sa domination ; et dans sa dépendance, des Rois, des Princes souverains, des Prélats, etc. etc. que l’abbé présida lors du dernier chapitre général convoqué et tenu à Cîteaux en 1783.
  17. Après une représentation de cette pièce, on demandoit à Crébillon, pourquoi il avoit adopté le genre terrible ? Je n’avois pas à choisir, répondit-il ; Corneille a pris le ciel, Racine la terre, ils ne m’ont laissé que les enfers.
  18. Ayant cédé à la sollicitation de ses amis, il se présenta à Versailles ; l’auteur de Rhadamiste n’y fut regardé de personne.
  19. Le dernier grand-maître de cet ordre célèbre étoit Bourguignon. Jacques de Molay, quoiqu’il se déclare pauvre dans son interrogatoire et ne savoir ni lire ni écrire, étoit cependant de la maison de Longvy, branche de l’illustre maison de Châlon. Il fut sacrifié à l’envie qu’on avoit de détruire l’ordre dont il étoit le chef, et mourut sur un échafaud le 11 mars 1314, protestant de son innocence, et ajournant le Pape et le Roi de France à comparoître devant Dieu dans l’année. Que cette prédiction soit vraie ou fausse, toujours est-il que le Pape et le Roi ne passèrent pas l’année qui vit périr au milieu des bûchers 73 templiers, pour des crimes dont il n’est pas encore prouvé qu’ils étoient coupables.
  20. Nicolas Tassin, né à Dijon, étoit un géographe exact et laborieux ; l’abbé Lenglet dit qu’il dégagea la géographie de l’obscurité où elle étoit auparavant, et que son travail est encore estimé par les maîtres ; ses premières cartes datent de 1631, les dernières de 1667. — Les plans et profils des villes de France, de Lorraine, de Bourgogne, de Suisse, des environs de Paris ; les cartes de France, des provinces, des côtes de France, sont ses principaux ouvrages.
  21. Plusieurs personnages de ce nom ont fait honneur à la Bourgogne : Almaque Papillon, né à Dijon en 1487, poëte français, ami de Marot, valet de chambre de François I, fut fait prisonnier avec ce prince à la bataille de Pavie ; on lui attribue la pièce de vers intitulée, le trône d’honneur. Il mourut en 1559. Thomas Papillon, son neveu, naquit à Dijon en 1514, célèbre avocat au parlement de Paris, l’un des plus grands orateurs de son siècle : on publia en 1613, 1616, 1624, ses traités sur diverses matières de jurisprudence, réimprimés à Leyde en 1629, dans la collection Thesaurus juris romani ; ces ouvrages ont été estimés. Ce jurisconsulte mourut à Paris en 1596.
  22. Lorsque bien des gens s’étonnoient de ce que son père souffroit qu’à dix-sept ans Buffon s’amusât encore à faire des cercles, nom par lequel ils ridiculisoient ses études mathématiques, le président Bouhier, au contraire, jugea des-lors quelle seroit la supériorité de ce jeune homme laborieux.
  23. Avant de l’élever à cette dignité, François I.er voulut connoître sa famille, et lui demanda s’il étoit gentilhomme ? Sire, répondit-il, Noé avoit trois fils, je ne sais pas bien duquel des trois je suis descendu.
  24. On avoit prétendu qu’un M. Languet de Gergy qui étoit à la Bastille, n’ayant point eu d’enfans, et ayant intérêt d’en avoir, demanda et obtint permission que sa femme vînt passer une journée avec lui, et que dans cette entrevue sa femme devint enceinte de deux garçons, dont l’un fut curé de Saint-Sulpice, et l’autre archevêque de Sens. Mais Denis Languet étant mort en 1680, et ses fils étant nés, l’un en 1675, l’autre en 1677, c’est une fausse assertion que M. Amanton a réfutée dans le Moniteur du 15 février 1805.
  25. Louis XI, en pareille circonstance, dit plus agréablement au jeune Raoul de Lannoy : Pâques-Dieu, mon ami, vous êtes trop furieux en un combat, il faut vous enchaîner ; et il passa au cou du guerrier une chaîne d’or de 500 écus.
  26. Elle fut enterrée à Saint-Benigne, mais exhumée vingt ans après sa mort pour être transportée à Clairvaux, à la sollicitation de son fils.
  27. La réponse du garde des sceaux, la relation de cette émeute, de l’arrivée du Roi, la harangue de Fêvret, sont insérés au Mercure de 1630, tom. 16, pag. 148 et suiv. Le discours de cet orateur pouvoit être bon pour le temps, mais on n’admireroit pas aujourd’hui qu’il comparât Dijon à une vieille médaille recommandable par les seules rides de son antiquité. Celui du garde des sceaux est meilleur que celui de Fêvret ; on y lit pour motif de pardon : S. M. a voulu se souvenir que c’est d’ici que le christianisme est entré dans la maison royale de France. Après avoir fait expédier des lettres d’abolition, le Roi partit de Dijon le 29 avril pour Saint-Jean-de-Laône, s’embarqua sur la Saône pour descendre à Lyon, où il arriva le 2 mai.