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Giselle

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Théâtre, Texte établi par Maurice DreyfousG. Charpentier (p. 245-266).
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GISELLE OU LES WILIS

BALLET FANTASTIQUE EN DEUX ACTES
En collaboration avec MM. de Saint-Georges et Coralli
DÉCORATION DE M. CICÉRI, MUSIQUE DE M. ADOLPHE ADAM


Représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre de l’Adadémie royale de musique le lundi 28 juin 1841.




PERSONNAGES :

GISELLE, paysanne. Mmes C. Crisi.
MYRTHA, reine des Wilis. Dumilatre.
BATHILDE, fiancée du duc. Marquet.
BERTHE, mère de Giselle. Aline.
ZULMÉ, Wili.
MOYNA, Wili.
LE DUC ALBERT DE SILÉSIE, sous des habits villageois. MM. Petipa.
HILARION, garde-chasse. Coralli.
LE PRINCE DE COURLANDE. Quériau.
WILFRID, écuyer du duc. Adice.
UN VIEILLARD, paysan. L Petit.

TRADITION ALLEMANDE
DONT EST TIRÉ LE SUJET DU BALLET DE GISELLE OU LES WILIS.

Il existe une tradition de la danse nocturne connue dans les pays slaves sous le nom de Wili. — Les Wilis sont des fiancées mortes avant le jour des noces, ces pauvres jeunes créatures ne peuvent demeurer tranquilles sous leur tombeau. Dans leurs cœurs éteints, dans leurs pieds morts, est resté cet amour de la danse qu’elles n’ont pu satisfaire pendant leur vie, et, à minuit, elles se lèvent, se rassemblent en troupes sur la grande route, et malheur au jeune homme qui les rencontre ! il faut qu’il danse avec elles jusqu’à ce qu’il tombe mort.

Parées de leurs habits de noces, des couronnes de fleurs sur la tête, des anneaux brillants à leurs doigts, les Wilis dansent au clair de lune comme les Elfes ; leur figure, quoique d’un blanc de neige, est belle de jeunesse. Elles rient avec une joie si perfide, elles vous appellent avec tant de séduction, leur air a de si douces promesses, que ces Bacchantes mortes sont irrésistibles.

Henri Heine (de l’Allemagne).

GISELLE OU LES WILIS

ACTE PREMIER

Le théâtre représente une riante vallée de l’Allemagne. Au fond, des collines couvertes de vigne, une route élevée conduisant dans la vallée.

SCÈNE PREMIÈRE

Un tableau des vendanges sur les coteaux de la Thuringe ; il fait à peine jour. Les vignerons s’éloignent pour continuer leur récolte.

SCÈNE II

Hilarion paraît, regarde autour de lui, comme pour chercher quelqu’un ; puis il indique la chaumière de Giselle avec amour, et celle de Loys avec colère. C’est là qu’habite son rival. S’il peut jamais s’en venger, il le fera avec bonheur. La porte de la chaumière de Loys s’ouvre mystérieusement, Hilarion se cache pour voir ce qui va se passer.

SCÈNE III

Le jeune duc Albert de Silésie, sous les habits et le nom de Loys, sort de sa maisonnette, accompagné de son écuyer Wilfrid. Wilfrid semble conjurer le duc de renoncer à un projet secret ; mais Loys persiste, il montre la demeure de Giselle. Ce simple toit couvre celle qu’il aime, l’objet de son unique tendresse. Il ordonne à Wilfrid de le laisser seul. Wilfrid hésite encore, mais sur un geste de son maître, Wilfrid le salue respectueusement, puis s’éloigne.

Hilarion est resté stupéfait en voyant un beau seigneur comme Wilfrid témoigner tant d’égards à un simple paysan, son rival. Il paraît concevoir des soupçons qu’il éclaircira plus tard.

SCÈNE IV

Loys, ou plutôt le duc Albert, s’approche de la chaumière de Giselle, et frappe doucement à la porte. Hilarion est toujours caché. Giselle sort aussitôt et court dans les bras de son amant. Transports, bonheur des deux jeunes gens. Giselle raconte son rêve à Loys ; elle était jalouse d’une belle dame que Loys aimait, qu’il lui préférait.

Loys, troublé, la rassure ; il n’aime, il n’aimera jamais qu’elle. « C’est que si tu me trompais, lui dit la jeune fille, je le sens, j’en mourrais. » Elle porte la main à son cœur comme pour lui dire qu’elle en souffre souvent. Loys la rassure par de vives caresses.

Elle cueille des marguerites et les effeuille pour s’assurer de l’amour de Loys. — L’épreuve lui réussit et elle tombe dans les bras de son amant.

Hilarion n’y résistant plus, accourt près de Giselle et lui reproche sa conduite. Il était là : il a tout vu.

« Eh ! que m’importe ? répond gaiement Giselle, je n’en rougis pas, je l’aime, et je n’aimerai jamais que lui… » Puis elle tourne brusquement le dos à Hilarion, en lui riant au nez, tandis que Loys le repousse et le menace de sa colère, s’il ne cesse pas ses poursuites amoureuses près de Giselle. « C’est bon, dit Hilarion, avec un geste de menace, plus tard on verra. »

SCÈNE V

Une troupe de jeunes vigneronnes viennent chercher Giselle pour les vendanges. Le jour paraît, c’est le moment de s’y rendre ; mais Giselle, folle de danse et de plaisir, retient ses compagnes. La danse est après Loys ce qu’elle aime le mieux au monde. Elle propose aux jeunes filles de se divertir au lieu d’aller au travail. Elle danse seule d’abord pour les décider. Sa gaieté, sa joyeuse ardeur, ses pas pleins de verve et d’entraînement, qu’elle entremêle de témoignages d’amour pour Loys, sont bientôt imités par les vendangeuses. On jette au loin les paniers, les hottes, les instruments de travail, et grâce à Giselle, la danse devient bientôt un délire bruyant et général. Berthe, la mère de Giselle, sort alors de sa chaumière.

SCÈNE VI

« — Tu danseras donc toujours ? dit-elle à Giselle, le soir… le matin… c’est une véritable passion… et cela, au lieu de travailler, de soigner le ménage.

« — Elle danse si bien, dit Loys à Berthe.

« — C’est mon seul plaisir, répond Giselle, comme lui, ajoute-t-elle en montrant Loys, c’est mon seul bonheur !!!

« — Bah ! dit Berthe. Je suis sûre que si cette petite folle mourait, elle deviendrait Wili et danserait même après sa mort, comme toutes les filles qui ont trop aimé le bal !

« — Que voulez-vous dire ? » s’écrient les jeunes vendangeuses avec effroi, en se serrant les unes contre les autres.

Berthe alors, sur une musique lugubre, semble dépeindre une apparition des morts revenant au monde et dansant ensemble. La terreur des villageoises est à son comble. Giselle seule en rit, et répond gaiement à sa mère qu’elle est incorrigible, et que, morte ou vivante, elle dansera toujours.

« — Et pourtant, ajoute Berthe, cela ne te vaut rien… Il s’agit de ta santé, de ta vie peut-être !…

« — Elle est bien délicate, dit-elle à Loys, la fatigue, les émotions lui seront funestes ; le médecin l’a dit, cela peut te porter malheur. »

Loys, troublé par cette confidence, rassure la bonne mère, et Giselle, prenant la main de Loys, la presse sur son cœur, et semble dire qu’avec lui, elle n’a jamais de dangers à craindre.

Des fanfares de chasse se font entendre au loin. Loys, inquiet à ce bruit, donne vivement le signal du départ pour les vendanges, et entraîne les paysannes, tandis que Giselle, forcée de rentrer dans la chaumière avec sa mère, envoie un baiser d’adieu à Loys, qui s’éloigne suivi de tout le monde.

SCÈNE VII

A peine Hilarion se voit-il seul, qu’il explique son projet ; il veut à tout prix pénétrer le secret de son rival, savoir ce qu’il est… S’assurant que personne ne peut le découvrir, il entre furtivement dans la chaumière de Loys… À ce moment, les fanfares se rapprochent, et l’on voit des piqueurs et des valets de chasse sur la colline.

SCÈNE VIII

Le prince et Bathilde, sa fille, paraissent bientôt, à cheval, accompagnés d’une nombreuse suite de seigneurs, de dames, de fauconniers le faucon au poing. La chaleur du jour les accable ; ils viennent chercher un endroit favorable pour se reposer : un piqueur indique au prince la chaumière de Berthe ; il frappe à la porte, et Giselle paraît sur le seuil, suivie de sa mère. Le prince demande gaiement l’hospitalité à la vigneronne ; celle-ci lui offre d’entrer dans sa chaumière, quoique bien pauvre pour recevoir un si grand seigneur !

Pendant ce temps, Bathilde fait approcher Giselle ; elle l’examine et la trouve charmante. Giselle lui fait de son mieux les honneurs de sa modeste demeure ; elle engage Bathilde à s’asseoir et lui offre du laitage et des fruits ; Bathilde, ravie des grâces de Giselle, détache de son cou une chaîne d’or, et la passe à celui de la jeune fille, toute fière et toute honteuse de ce présent.

Bathilde interroge Giselle sur ses travaux, sur ses plaisirs.

« Elle est heureuse ! elle n’a ni chagrins, ni soucis ; le matin, le travail ; le soir, la danse ! Oui, dit Berthe à Bathilde, la danse surtout… c’est là sa folie. »

Bathilde sourit et demande à Giselle si son cœur a parlé, si elle aime quelqu’un !… « Oh ! oui ! s’écrie la jeune fille en montrant la chaumière de Loys, celui qui demeure là ! mon amoureux, mon fiancé !… je mourrais s’il ne m’aimait plus ! » Bathilde semble s’intéresser vivement à la jeune fille… leur position est la même, car elle aussi va se marier à un jeune et beau seigneur !… Elle dotera Giselle, qui semble lui plaire de plus en plus… Bathilde veut voir le fiancé de Giselle et elle rentre dans la chaumière, suivie de son père et de Berthe, tandis que Giselle va chercher Loys.

Le prince fait signe à sa suite de continuer la chasse ; il est fatigué et désire se reposer quelques instants. Il sonnera du cor quand il voudra les rappeler.

Hilarion, qui paraît à la porte de la chaumière de Loys, voit le prince et entend les ordres qu’il donne. Le prince entre avec sa fille dans la chaumière de Berthe.

SCÈNE IX

Tandis que Giselle va regarder sur la route si elle n’aperçoit pas son amant, Hilarion ressort de la chaumière de Loys, tenant une épée et un manteau de chevalier ; il connaît enfin son rival ! c’est un grand seigneur ! Il en est sûr à présent… c’est un séducteur déguisé ! il tient sa vengeance et veut le confondre en présence de Giselle et de tout le village. Il cache l’épée de Loys dans un buisson, en attendant que tous les vignerons soient rassemblés pour la fête.

SCÈNE X

Loys parait au fond… il regarde autour de lui avec inquiétude, et s’assure que la chasse est éloignée.

Giselle l’aperçoit et vole dans ses bras ! En ce moment, une joyeuse musique se fait entendre.

SCÈNE XI

Une marche commence. La vendange est faite. Un char, orné de pampres et de fleurs, arrive lentement, suivi de tous les paysans et paysannes de la vallée avec leurs paniers pleins de raisins. Un petit Bacchus est porté triomphalement à cheval sur un tonneau, selon la vieille tradition du pays. On entoure Giselle. On la déclare reine des vendanges… On la couronne de fleurs et de pampres. Loys est plus amoureux que jamais de la jolie vigneronne. La plus folle joie s’empare bientôt de tous les paysans.

On célèbre la fête des vendanges !… Giselle peut maintenant se livrer à son goût favori ; elle entraîne Loys au milieu de la troupe des vendangeurs, et danse avec lui, entourée de tout le village, qui se joint bientôt aux jeunes amants, dont le pas se termine par un baiser que Loys donne à Giselle… À cette vue, la fureur, la jalousie de l’envieux Hilarion n’ont plus de bornes… Il s’élance au milieu de la foule et déclare à Giselle que Loys est un trompeur, un suborneur, un seigneur déguisé !… Giselle, émue d’abord, répond à Hilarion qu’il ne sait ce qu’il dit, qu’il a rêvé cela… « Ah ! je l’ai rêvé, continue le garde-chasse… Eh bien, voyez vous-même, s’écrie-t-il en découvrant aux yeux des villageois l’épée et le manteau de Loys. Voilà ce que j’ai trouvé dans sa chaumière… Ce sont là des preuves, j’espère ? »

Albert, furieux, s’élance sur Hilarion, qui se cache derrière les villageois.

Giselle, frappée de surprise et de douleur à cette révélation, semble recevoir un coup terrible et s’appuie contre un arbre, chancelante et prête à tomber.

Tous les paysans s’arrêtent consternés ! Loys, ou plutôt Albert, court à Giselle, et, croyant encore pouvoir nier son rang, cherche à la rassurer, à la calmer par les protestations de sa tendresse. « On la trompe, lui dit-il, il n’est pour elle que Loys, un simple paysan, son amant, son fiancé !!! »

La pauvre fille ne demande pas mieux que de le croire. Déjà même l’espoir semble lui revenir au cœur ; elle se laisse aller, heureuse et confiante, dans les bras du perfide Albert, lorsque Hilarion, poursuivant sa vengeance, et se rappelant l’ordre du prince à sa suite, de revenir au son du cor, saisit celui d’un des seigneurs, appendu à un arbre, et en sonne avec force… À ce signal, on voit accourir toute la chasse, et le prince sort de la chaumière de Berthe. Hilarion désigne, à la suite du prince, Albert aux genoux de Giselle, et chacun, en reconnaissant le jeune duc, l’accable de saluts et de respect. Giselle, en voyant le prince, ne peut plus douter de son malheur et du rang élevé de l’adorateur qu’elle croyait son égal.

SCÈNE XII

Le prince s’approche à son tour, reconnaît Albert, et, se découvrant aussitôt, lui demande l’explication de son étrange conduite et du costume qu’il porte.

Albert se relève, stupéfait et confondu de cette rencontre.

Giselle a tout vu ! Elle est sûre alors de la nouvelle trahison de celui qu’elle aime, sa douleur est sans bornes ; elle semble faire un effort sur elle-même et s’éloigne d’Albert avec un sentiment de crainte et de terreur. Puis, comme atterrée par ce nouveau coup qui la frappe, elle court vers la chaumière et tombe dans les bras de sa mère, qui sort en ce moment accompagnée de la jeune Bathilde.

Bathilde s’avance vivement vers Giselle, et l’interroge avec un touchant intérêt sur l’agitation qu’elle éprouve. Celle-ci, pour toute réponse, lui montre Albert accablé et confondu.

— Que vois-je ?… dit Bathilde… le duc sous ce costume… Mais c’est lui que je dois épouser… C’est mon fiancé ! ajoute-t-elle en désignant l’anneau des fiançailles qu’elle porte à son doigt.

Albert s’approche de Bathilde et veut en vain l’empêcher d’achever ce terrible aveu ; mais Giselle a tout entendu, tout compris ! La plus profonde horreur se peint sur les traits de la malheureuse enfant ; sa tête se trouble, un horrible et sombre délire s’empare d’elle en se voyant trahie, perdue, déshonorée !… Sa raison s’égare, ses larmes coulent… puis elle rit d’un rire nerveux. Elle prend la main d’Albert, la pose sur son cœur et la repousse bientôt avec effroi. Elle saisit l’épée de Loys, restée à terre, joue d’abord machinalement avec cette arme, puis va se laisser tomber sur sa pointe aiguë, quand sa mère se précipite sur elle et la lui arrache. L’amour de la danse revient à la mémoire de la pauvre enfant : elle croit entendre l’air de son pas avec Albert… Elle s’élance et se met à danser avec ardeur, avec passion. Tant de douleurs subites, tant de cruelles secousses, jointes à ce dernier effort, ont enfin épuisé ses forces mourantes. La vie semble l’abandonner… sa mère la reçoit dans ses bras… Un dernier soupir s’échappe du cœur de la pauvre Giselle, elle jette un triste regard sur Albert au désespoir, et ses yeux se ferment pour toujours !

Bathilde, bonne et généreuse, fond en larmes. Albert, oubliant tout, cherche à ranimer Giselle sous ses brûlantes caresses… Il met la main sur le cœur de la jeune fille, et s’assure avec horreur qu’il a cessé de battre.

Il saisit son épée pour s’en frapper ; le prince l’arrête et le désarme. Berthe soutient le corps de sa malheureuse fille. On entraîne Albert, fou de désespoir et d’amour.

Les paysans, les seigneurs, toute la chasse, entourent et complètent ce triste tableau.

ACTE SECOND

Le théâtre représente une forêt sur le bord d’un étang. Un site humide et frais où croissent des joncs, des roseaux, des touffes de fleurs sauvages et de plantes aquatiques. Des bouleaux, des trembles et des saules pleureurs inclinent jusqu’à terre leurs pâles feuillages. A gauche, sous un cyprès, se dresse une croix de marbre blanc où est gravé le nom de Giselle. La tombe est comme enfouie dans une végétation épaisse d’herbes et de fleurs des champs. La lueur bleue d’une lune très-vive éclaire cette décoration d’un aspect froid et vaporeux.

SCÈNE PREMIÈRE

Quelques gardes-chasse arrivent par les avenues de la forêt ; ils semblent chercher un endroit favorable pour se mettre à l’affût, et vont s’établir sur le bord de l’étang, lorsque Hilarion accourt.

SCÈNE II

Hilarion témoigne la plus vive terreur en devinant les projets de ses camarades. « C’est un endroit maudit, leur dit-il, c’est le cercle de danse des Wilis ! » Il leur montre la tombe de Giselle… de Giselle qui dansait toujours. Il la désigne par la couronne de pampres qu’on lui mit sur le front pendant la fête, et qui est appendue à la croix de marbre.

A cet instant, on entend sonner minuit dans le lointain : c’est l’heure lugubre où, selon la chronique du pays, les Wilis se rendent à leur salle de bal.

Hilarion et ses compagnons écoutent l’horloge avec terreur ; ils regardent en tremblant autour d’eux, s’attendant à l’apparition des légers fantômes. « Fuyons, dit Hilarion, les Wilis sont impitoyables ; elles s’emparent des voyageurs et les font danser avec elles jusqu’à ce qu’ils meurent de fatigue ou soient engloutis dans le lac que vous voyez d’ici. »

Une musique fantastique commence alors ; les gardes-chasse pâlissent, chancellent et s’enfuient de tous côtés, avec les signes du plus grand effroi, poursuivis par des feux follets qui apparaissent de toutes parts.

SCÈNE III

Une gerbe de jonc marin s’entr’ouvre alors lentement, et du sein de l’humide feuillage on voit s’élancer la légère Myrtha, ombre transparente et pâle, la reine des Wilis. Elle apporte avec elle un jour mystérieux qui éclaire subitement la forêt, en perçant les ombres de la nuit. Il en est ainsi toutes les fois que les Wilis paraissent. Sur les blanches épaules de Myrtha, palpitent et frémissent des ailes diaphanes dans lesquelles la Wili peut s’envelopper comme avec un voile de gaz.

Cette apparition insaisissable ne peut rester en place, et s’élançant tantôt sur une touffe de fleurs, tantôt sur une branche de saule, voltige çà et là, parcourant et semblant reconnaître son petit empire, dont elle vient chaque nuit prendre de nouveau possession. Elle se baigne dans les eaux du lac, puis se suspend aux branches des saules et s’y balance.

Après un pas dansé par elle seule, elle cueille une branche de romarin, et en touche alternativement chaque plante, chaque buisson, chaque touffe de feuillage.

SCÈNE IV

A mesure que le sceptre fleuri de la reine des Wilis s’arrête sur un objet, la plante, la fleur, le buisson s’entr’ouvrent, et il s’en échappe une nouvelle Wili qui vient, à son tour, se grouper gracieusement autour de Myrtha, comme les abeilles autour de leur reine. Celle-ci, étendant alors ses ailes azurées sur ses sujettes, leur donne ainsi le signal de la danse. Plusieurs Wilis se présentent alors alternativement devant la souveraine.

C’est Moyna, l’odalisque, exécutant un pas oriental ; puis Zulmé, la Bayadère, qui vient développer ses poses indiennes ; puis deux Françaises, figurant une sorte de menuet bizarre ; puis des Allemandes, valsant entre elles… Puis enfin la troupe entière des Wilis, toutes mortes pour avoir trop aimé la danse, ou mortes trop tôt, sans avoir satisfait cette folle passion, à laquelle elles semblent se livrer encore avec fureur sous leur gracieuse métamorphose.

Bientôt, sur un signe de la reine, le bal fantastique s’arrête… Elle annonce une nouvelle sœur à ses sujettes. Toutes se rangent autour d’elle.

SCÈNE V

Un rayon de lune vif et clair se projette alors sur la tombe de Giselle, les fleurs qui la couvrent se relèvent et se dressent sur leurs tiges, comme pour former un passage à la blanche créature qu’elles recouvrent.

Giselle paraît enveloppée de son léger suaire. Elle s’avance vers Myrtha, qui la touche de sa branche de romarin ; le suaire tombe… Giselle est changée en Wili. Ses ailes naissent et se développent… Ses pieds rasent le sol ; elle danse, ou plutôt elle voltige dans l’air, comme ses gracieuses sœurs, se rappelant et indiquant avec joie les pas qu’elle a dansés, au premier acte, avant sa mort.

Un bruit lointain se fait entendre. Toutes les Wilis se dispersent et se cachent dans les roseaux.

SCÈNE VI

De jeunes villageois revenant de la fête du hameau voisin traversent gaiement la scène, conduits par un vieillard ; ils vont s’éloigner, lorsqu’une musique bizarre, l’air de la danse des Wilis se fait entendre ; les paysans semblent éprouver, malgré eux, une étrange envie de danser. Les Wilis les entourent aussitôt, les enlacent et les fascinent par leurs poses voluptueuses.

Chacune d’elles, cherchant à les retenir, à leur plaire, avec les figures de leur danse native… Les villageois, émus, vont se laisser séduire, danser et mourir, lorsque le vieillard se jette au milieu d’eux, leur dit avec effroi le danger qu’ils courent, et ils se sauvent tous, poursuivis par les Wilis furieuses de voir cette proie leur échapper.

SCÈNE VII

Albert parait suivi de Wilfrid, son fidèle écuyer. Le duc est triste, pâle ; ses vêtements sont en désordre ; sa raison s’est presque égarée à la suite de la mort de Giselle. Il s’approche lentement de la croix, semble chercher un souvenir et vouloir rappeler ses idées confuses.

Wilfrid supplie Albert de le suivre, de ne pas s’arrêter près de ce fatal tombeau, qui lui retrace tant de chagrins. Albert l’engage à s’éloigner… Wilfrid insiste encore ; mais Albert lui ordonne avec tant de fermeté de le quitter, que Wilfrid est forcé d’obéir, et sort en se promettant bien de faire une dernière tentative pour éloigner son maître de ce lieu funeste.

SCÈNE VIII

A peine resté seul, Albert donne un libre cours à sa douleur ; son cœur se déchire, il fond en larmes. Tout à coup, il pâlit, ses regards se fixent sur un objet étrange qui se dessine devant ses yeux… Il reste frappé de surprise et presque de terreur en reconnaissant Giselle, qui le regarde avec amour.

SCÈNE IX

En proie au plus violent délire, à la plus vive anxiété, il doute encore, il n’ose croire à ce qu’il voit ; car ce n’est plus la jolie Giselle, telle qu’il l’adorait, mais Giselle la Wili, dans sa nouvelle et bizarre métamorphose, toujours immobile devant lui. La Wili semble seulement l’appeler du regard. Albert, se croyant sous l’empire d’une douce illusion, s’approche d’elle à pas lents et avec précaution, comme un enfant qui veut saisir un papillon sur une fleur. Mais au moment où il étend la main vers Giselle, plus prompte que l’éclair, celle-ci s’élance loin de lui, et s’envole en traversant les airs comme une colombe craintive, pour se poser à une autre place, d’où elle lui jette des regards pleins d’amour.

Ce pas, ou plutôt ce vol, se répète plusieurs fois, au grand désespoir d’Albert, qui cherche vainement à joindre la Wili, fuyant quelquefois au-dessus de lui comme une légère vapeur.

Parfois, pourtant, elle lui fait un geste d’amour, lui jette une fleur, qu’elle enlève sur sa tige, lui adresse un baiser ; mais, impalpable comme un nuage, elle disparaît dès qu’il croit pouvoir la saisir.

Il y renonce enfin ! s’agenouille près de la croix, et joint les mains devant elle d’un air suppliant. La Wili, comme attirée par cette muette douleur si pleine d’amour, s’élance légèrement près de son amant ; il la touche ; déjà, ivre d’amour, de bonheur, il va s’en emparer, lorsque, glissant doucement entre ses bras, elle s’évanouit au milieu des roses, et Albert, en fermant les bras, n’embrasse plus que la croix du tombeau.

Le désespoir le plus profond s’empare de lui, il se relève et va s’éloigner de ce lieu de douleur, lorsque le plus étrange spectacle s’offre à ses yeux et le fascine au point qu’il est en quelque sorte arrêté, fixe, et forcé d’être témoin de l’étrange scène qui se déroule devant lui.

SCÈNE X

Caché derrière un saule pleureur, Albert voit paraître le misérable Hilarion, poursuivi par la troupe entière des Wilis.

Pâle, tremblant, presque mort de peur, le garde-chasse vient tomber au pied d’un arbre, et semble implorer la pitié de ses folles ennemies ! Mais la reine des Wilis, le touchant de son sceptre, le force à se lever et à imiter le mouvement de danse qu’elle commence elle-même autour de lui… Hilarion, mû par une force magique, danse malgré lui avec la belle Wili, jusqu’à ce que celle-ci le cède à une de ses compagnes, qui le cède, à son tour, à une autre, et ainsi de suite jusqu’à la dernière !

Dès que le malheureux croit son supplice terminé avec sa partenaire fatiguée, une autre la remplace avec une nouvelle vigueur, et lui, s’épuisant en efforts inouïs, sur des rhythmes de musique toujours plus rapides, finit par chanceler et se sentir accablé de lassitude et de douleur.

Prenant enfin un parti désespéré, il cherche à s’enfuir ; mais les Wilis l’entourent d’un vaste cercle, qui se rétrécit peu à peu, l’enferme et se convertit en une valse rapide, à laquelle une puissance surnaturelle l’oblige à se mêler. Un vertige alors s’empare du garde-chasse, qui sort des bras d’une valseuse pour tomber dans ceux d’une autre.

La victime, enveloppée de toutes parts dans ce gracieux et mortel réseau, sent bientôt ses genoux plier sous lui. Ses yeux se ferment, il n’y voit plus… et danse pourtant encore avec une ardente frénésie. La reine des Wilis s’en empare alors et le fait tourner et valser une dernière fois avec elle jusqu’à ce que le pauvre diable, arrivé sur le bord du lac, au dernier anneau de la chaîne des valseuses, ouvre les bras, croyant en saisir une nouvelle et va rouler dans l’abîme ! Les Wilis commencent alors une bacchanale joyeuse, dirigée par leur reine triomphante, lorsque l’une d’elles vient à découvrir Albert, et l’amène au milieu de leur cercle magique, encore tout étourdi de ce qu’il vient de voir.

SCÈNE XI

Les Wilis semblent s’applaudir de trouver une autre victime : leur troupe cruelle s’agite déjà autour de cette nouvelle proie ; mais au moment où Myrtha va toucher Albert de son sceptre enchanté, Giselle s’élance et retient le bras de la reine levé sur son amant.

SCÈNE XII

Fuis, dit Giselle à celui qu’elle aime, fuis, ou tu es mort, mort comme Hilarion, ajoute-t-elle en désignant le lac.

Albert reste un instant frappé de terreur à l’idée de partager le sort affreux du garde-chasse. Giselle profite de ce moment d’indécision pour s’emparer de la main d’Albert ; ils glissent tous deux par la force d’un pouvoir magique vers la croix de marbre ; elle lui indique ce signe sacré comme son égide, comme son seul salut !

La reine et toutes les Wilis le poursuivent jusqu’au tombeau ; mais Albert, toujours protégé par Giselle, arrive ainsi jusqu’à la croix, qu’il saisit ; et au moment où Myrtha va le toucher de son sceptre, la branche enchantée se brise entre les mains de la reine, qui arrête, ainsi que toutes les Wilis, frappées de surprise et d’épouvante.

Furieuses d’être ainsi trahies dans leurs cruelles espérances, les Wilis tournent autour d’Albert, et s’élancent plusieurs fois vers lui, toujours repoussées par une puissance au-dessus de la leur. La reine, alors, voulant se venger sur celle qui lui ravit sa proie, étend la main sur Giselle, dont les ailes s’ouvrent aussitôt, et qui se met à danser avec la plus gracieuse et la plus étrange ardeur, et comme emportée par un délire involontaire.

Albert, immobile, la regarde, accablé, confondu de cette scène bizarre !!! mais bientôt les grâces et les poses ravissantes de la Wili l’attirent malgré lui ; c’est ce que voulait la reine : il quitte la croix sainte qui le préserve de la mort et s’approche de Giselle, qui s’arrête alors avec épouvante, et le supplie de regagner son talisman sacré ; mais la reine, la touchant de nouveau, la force à continuer sa danse séductrice. Cette scène se renouvelle plusieurs fois, jusqu’à ce qu’enfin, cédant à la passion qui l’entraîne, Albert abandonne la croix et s’élance vers Giselle… Il saisit la branche enchantée, et veut mourir pour rejoindre la Wili, pour n’en plus être séparé !!!

Albert semble avoir des ailes, il rase le sol et voltige autour de la Wili, qui parfois essaye encore de le retenir.

Mais bientôt, entraînée par sa nouvelle nature, Giselle est forcée de se joindre à son amant. Un pas rapide, aérien, frénétique, commence entre eux. Ils semblent tous deux lutter de grâce et d’agilité : parfois ils s’arrêtent pour tomber dans les bras l’un de l’autre, puis la musique fantastique leur rend de nouvelles forces et une nouvelle ardeur !!!

Le corps entier des Wilis se mêle aux deux amants, en les encadrant dans des poses voluptueuses.

Une mortelle fatigue s’empare alors d’Albert. On voit qu’il lutte encore, mais que ses forces commencent à l’abandonner. Giselle s’approche de lui, s’arrête un instant, les yeux voilés de pleurs ; mais un signé de la reine l’oblige à s’envoler de nouveau. Encore quelques secondes, et Albert va périr de lassitude et d’épuisement, lorsque le jour commence à paraître… Les premiers rayons du soleil éclairent les ondes argentées du lac.

La ronde fantastique et tumultueuse des Wilis se ralentit à mesure que la nuit se dissipe.

Giselle semble renaître à l’espoir en voyant s’évanouir le prestige terrible qui entraînait Albert à sa perte.

Peu à peu, et sous les vifs rayons du soleil, la troupe entière des Wilis se courbe, s’affaisse, et tour à tour on les voit chanceler, s’éteindre et tomber sur la touffe de fleurs ou sur la tige qui les a vues naître, comme les fleurs de la nuit qui meurent aux approches du jour.

Pendant ce gracieux tableau, Giselle, subissant, comme ses légères sœurs, l’influence du jour, se laisse aller lentement dans les bras affaiblis d’Albert ; elle se rapproche de la tombe, comme entraînée vers elle par sa destinée.

Albert, devinant le sort qui menacé Giselle, l’emporte dans ses bras loin du tombeau, et la dépose sur un tertre au milieu d’une touffe de fleurs. Albert s’agenouille près d’elle, et lui donne un baiser, comme pour lui communiquer son âme et la rappeler à la vie.

Mais Giselle, lui montrant le soleil qui brille alors de tous ses feux, semble lui dire qu’elle doit obéir à son sort et le quitter pour jamais.

En ce moment des fanfares bruyantes retentissent au sein des bois.

Albert les écoute avec crainte, et Giselle avec une douce joie.

SCÈNE XIII

Wilfrid accourt. Le fidèle écuyer précède le prince, Bathilde et une suite nombreuse ; il les ramène près d’Albert, espérant que leurs efforts seront plus puissants que les siens pour l’arracher à ce lieu de douleur.

Tous s’arrêtent en l’apercevant. Albert s’élance vers son écuyer pour le retenir. Pendant ce temps la Wili touche à ses derniers instants : déjà les fleurs et les herbes qui l’entourent se relèvent sur elle, et la couvrent de leurs tiges légères… une partie de la gracieuse apparition est déjà cachée par elles.

Albert revient, et reste frappé de surprise et de douleur en voyant Giselle s’affaisser peu à peu et lentement au milieu de ce vert tombeau ; puis, du bras qu’elle conserve libre encore, elle indique à Albert la tremblante Bathilde, à genoux à quelques pas de lui, et lui tendant la main d’un air suppliant.

Giselle semble dire à son amant de donner son amour et sa foi à la douce jeune fille… c’est là son seul vœu, sa dernière prière, à elle qui ne peut plus aimer en ce monde ; puis, lui adressant un triste et éternel adieu, elle disparaît au milieu des herbes fleuries qui l’engloutissent alors entièrement.

Albert se relève avec une vive douleur ; mais l’ordre de la Wili lui semble sacré… Il arrache quelques-unes des fleurs qui recouvrent Giselle, les presse sur son cœur, sur ses lèvres, avec amour ; et faible et chancelant, il tombe dans les bras de ceux qui l’entourent en tendant la main à Bathilde !!!

FIN DE GISELLE.