Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)/10

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Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 471-472).



CHAPITRE X.


Moyen de faire pratiquer la vertu par les vieillards ; dernières considérations sur l’ensemble des lois.


Voici encore une loi excellente, selon moi, établie par Lycurgue, pour faire pratiquer la vertu jusque dans la vieillesse. En plaçant au dernier terme de la vie le droit d’être élu sénateur, il a fait que dans la vieillesse même on ne négligeât point la vertu[1]. Il faut aussi admirer l’appui qu’il prête à la vieillesse des gens de bien. Comme il n’accorde qu’aux vieillards le droit de concours pour les qualités morales, il a rendu la vieillesse plus honorable que la force des jeunes gens. Et certes, c’est avec raison que ce concours est l’objet d’une recherche toute particulière. Sans doute, c’est une belle chose que les jeux gymniques, mais ils ne sont que pour le corps, tandis que le concours pour être élu sénateur met à portée de juger les belles âmes. Et d’autant que l’âme est supérieure au corps, autant les luttes où l’âme est en jeu sont plus dignes d’émulation que celles du corps.

Cela étant, comment ne pas admirer complètement Lycurgue ? Convaincu que les ennemis de la vertu sont un obstacle à la prospérité des États, ce grand homme a contraint, à Sparte, tous les citoyens à l’exercice public de la vertu. Ainsi la différence qui existe, parmi les particuliers, entre ceux qui négligent la vertu et ceux qui la pratiquent, doit exister aussi entre Sparte et toutes les autres villes, vu que seule elle pratique publiquement le bien.

N’est-ce pas un fait notable que toutes les autres cités punissent quiconque fait du tort à son semblable, et que Lycurgue ne punisse pas moins quiconque néglige de se montrer ouvertement homme de bien ? Il pensait sans doute que les trafiquants d’esclaves, les fraudeurs, les voleurs, ne causent de préjudice qu’à leurs dupes, tandis que les lâches et les efféminés trahissent des villes entières. C’est donc avec raison, selon moi du moins, qu’il a infligé aux gens de cette espèce les plus rigoureux châtiments.

Il a d’ailleurs imposé la nécessité absolue de pratiquer toutes les vertus civiles : car il a voulu que tous ceux qui satisfont à la loi, sans distinction, fussent admis à tous les droits de citoyens, et il n’a tenu compte ni de la différence de fortune, ni de la faiblesse du corps. Seulement, tout homme qui, par lâcheté d’âme, se soustrait aux exigences de la loi, il le déclare placé hors de la loi d’égalité.

Quant à l’antiquité reculée de cette législation, elle est évidente, puisque Lycurgue, dit-on, était contemporain des Héraclides[2]. Cependant, malgré cette antiquité, elles ont encore un air de nouveauté aux yeux des autres peuples ; et, chose des plus étranges, tout le monde loue ces institutions, mais les imiter, aucune cité ne le veut.



  1. Les premières lignes de ce chapitre sont fort controversées. J’ai suivi de préférence le texte de Weiske.
  2. De Pauw est loin de croire à cette assertion. Voy. Rech. philosoph. t. II, p. 378 et suivantes. Fr. Haase lui-même ne disconvient point que les traditions relatives à Lycurgue ne soient pleines de fables. En général, on fixe l’époque où vécut Lycurgue vers l’an 898 avant J. C.