Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)/11

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Gouvernement des Lacédémoniens (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 472-474).



CHAPITRE XI.


De l’armée lacédémonienne.


Ces lois excellentes sont communes à la paix et à la guerre ; mais, si l’on désire connaître ce que Lycurgue a créé de supérieur aux autres législations en fait d’organisation militaire, on peut en juger par ce qui suit.

D’abord les éphores font publier par un héraut l’âge auquel doivent servir soit les cavaliers et les hoplites, soit les artisans attachés à l’armée ; ce qui fait que toutes les ressources de la ville, les Lacédémoniens les ont à leur portée dans les camps : tous les instruments d’utilité générale qui peuvent y être nécessaires, il est enjoint de les y apporter ou sur des chariots, ou sur des bêtes de somme ; c’est le moyen de ne jamais ignorer ce qui manque.

Quant à l’uniforme sous les armes, voici ce que Lycurgue a imaginé : chacun doit avoir une casaque rouge et un bouclier d’airain[1] ; il a cru qu’une partie de cette armure se rapprochait moins du vêtement des femmes, et que l’autre était bien faite pour la guerre, vu qu’elle brille promptement et qu’elle est longue à se ternir. Il a permis les longs cheveux aux hommes sortis de la puberté, pensant qu’ils ont ainsi l’air plus grands, plus libres et plus farouches. L’uniforme ainsi réglé, il a partagé les cavaliers et les hoplites en six mores[2]. Chacune de ces mores nationales a un polémarque, quatre lochages, huit pentécostèrès, et seize énomotarques. Suivant le commandement, ces mores sont disposées par énomoties d’une seule, de trois ou de six colonnes.

Presque tout le monde se figure que l’ordre de bataille de l’armée lacédémonienne est fort compliqué : c’est s’imaginer le contraire de ce qui est. Dans l’ordonnance des troupes lacédémoniennes, les chefs occupent les têtes de file, et chaque colonne est toute prête à faire ce qu’on en attend. Il est tellement facile de bien comprendre cette disposition, que quiconque sait distinguer un homme d’un autre, ne peut s’y tromper ; les uns marchent en tête, les autres suivent ; voilà l’ordre. Les évolutions de front sont commandées par l’énomotarque, qui sert ainsi de héraut, et, d’après l’ordre, les phalanges diminuent ou augmentent de profondeur, ce qui se conçoit aisément. Cependant, pour être prêt à combattre également en cas de trouble ou de surprise, il y a une manœuvre de ralliement qu’il n’est pas facile de comprendre à moins d’avoir été élevé sous les lois de Lycurgue.

Voici, par exemple, des manœuvres très-facilement exécutées par les Lacédémoniens, que tous les tacticiens trouvent très-difficiles. Quand on s’avance par le flanc, la queue de l’armée suit énomotie par énomotie : dans cette position, aperçoit-on devant soi la phalange ennemie, ordre est donné à l’énomotarque de faire front par le flanc gauche sur toute la colonne, jusqu’à ce que le corps tout entier soit en face de l’ennemi. Ce mouvement exécuté, si l’ennemi se présente sur les derrières, chaque file fait une conversion, afin d’opposer à l’ennemi ses plus braves soldats.

Quand le commandant se trouve à la gauche, loin d’y voir un inconvénient, on y trouve un avantage : car, si l’ennemi cherche à envelopper le corps de ce côté, il ne le trouve point dégarni, mais couvert de ses boucliers. Si cependant, pour quelque raison, il paraît utile que le général soit à l’aile droite, on tait une conversion par le flanc gauche, de manière à ce que le général occupe la droite, et que la queue se retrouve à gauche. Si le corps des ennemis se montre sur la droite, au moment où l’on s’avance par le flanc on n’a pas besoin d’autre manœuvre que de faire virer chaque loche comme une galère, dont on oppose la proue à l’ennemi ; en ce cas le loche qui était en queue se trouve du côté de la lance[3]. Au contraire, si les ennemis se portent sur le flanc gauche, on ne les laisse plus faire, mais on les repousse, ou bien on fait exécuter une conversion aux loches pour les opposer à l’ennemi : alors le loche qui était en queue se trouve du côté du bouclier[4].



  1. Passage controversé : Fr. Haase nous a servi de guide. Cf. pour l’armure des Lacédémoniens, de Pauw, t. II, ρ 297 et suivantes
  2. On trouvera d’intéressants détails sur celle division de l’armée lacédémonienne dans l’édition de Fr. Haase, ainsi qu’un tableau destiné à faciliter l’intelligence des évolutions de ces différents corps.
  3. À droite.
  4. À gauche.