Grains de mil/Épilogue
ÉPILOGUE
LES PETITES CHOSES.
A UN AMI DIFFICILE.
Tu veux savoir, ami, « pourquoi, dans ce volume,
Si courte la pensée a jailli de ma plume,
Si bref le vers. »
Peut-être, ô doux censeur, puisqu’ainsi tu te poses,
Que les êtres petits et les petites choses
Nous sont plus chers :
La mère, sur l’enfant, jeune et fragile tête,
Que Dieu n’a point donné, mais qu’on dirait qu’il prête,
Met plus d’amour ;
Et, du destin cruel pour compenser l’injure,
Nos cœurs aiment plus fort, hélas ! ce qui ne dure
Qu’à peine un jour.
Mais j’ai d’autres motifs, j’allais te dire excuses,
Car je sens à ta voix, ami, que tu m’accuses,
Et les voici :
Grand ou petit, ces mots par lesquels chacun jure,
N’ont que fort peu de sens. — Tu ne t’en fais, Nature,
Aucun souci.
L’œil du ciron infime et l’œil de la panthère,
Faits avec le même soin, à la même lumière
Boivent tous deux ;
L’Océan voit nager mille monstres véloces, —
Mais une goutte d’eau contient mille colosses,
Non moins hideux.
Dans le firmament bleu les astres font leurs rondes, —
Mais dans un seul rayon dansent aussi des mondes
Atomes d’or ;
Nulle œuvre n’a de fin pour la main éternelle :
Touche le papillon, la poudre de son aile
Est plume encor.
De même l’Art ignore aussi la petitesse ;
La moindre noix devient, quand sur elle il s’abaisse
Tout un palais ;
L’Art sait former un dieu dans un morceau de fange
Et peut emprisonner terre et ciel, chose étrange,
Entre deux traits.
Sens ou volume entr’eux sont comme âme et matière ;
La masse peut compter, mais du corps c’est l’affaire,
Non de l’esprit ;
Notre œil obtus voit mal ; qu’y faire ? sans murmure
Frotter notre œil. En soi, pour l’Art ou la Nature,
Rien n’est petit.
Voilà. — Mais je veux même avouer davantage,
Un goût à moi, qui sait ? Y verras-tu, toi sage,
Un goût pervers ?
La vapeur sur le verre et le flou sur la prune
Me plaisent, comme au bois, sur le front de la lune,
Des rameaux verts.
Et je trouve au petit ce vif attrait peut-être,
Que, vain pour l’œil frivole, il peut souvent, sans l’être,
Paraître obscur.
Jeu, pudeur ou dédain, on peut prendre le masque
Et pour des temps meilleurs se réserver le casque
Plus fort, plus sûr.
Le bref peut contenir le grand. Dans son espace,
Le gland te cache, orgueil des forêts de la Thrace,
Chêne géant !
Tout est dans tout. L’entier est dans ce qui commence
Et dans ce qui finit. Rien n’est petit. L’immense
Sort du néant.
Puis dans sa forme à soi chaque métal se coule ;
Chaque arbre fait sa feuille. Ainsi donc point de moule
Prison du goût !
Grands ou courts, ces fragments sont ce qu’ils sont, qu’importe ?
Mauvais, refuse-leur, bons, ouvre-leur ta porte,
Et puis c’est tout.