Grammaire de l’hébreu biblique/Écriture/Paragraphe 30

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Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 75-77).
§ 30. Chutes de voyelles.

a Les voyelles, soit primitives, soit hébraïques, disparaissent souvent par l’effet du caractère énergique du ton ou de son déplacement. La voyelle disparue laisse un léger vestige, le shewa (mobile ou moyen) ou ses substituts les ḥaṭef. Ainsi le mot דָּבָר devient דְּבַר à l’état construit où le ton principal disparaît, et דְּבָרִים au pluriel absolu où le ton passe sur īm.

b Les voyelles longues, soit primitives, soit hébraïques, ne tombent pas ; p. ex. dans le type מֵיטִיב pour mai̯ṭīb les deux voyelles longues demeurent dans la flexion : cst. מֵיטִיב, pl. מֵֽיטִיבִים, cst. מֵֽיטִיבֵי.

Dans les alternances comme celle de : fut. indicatif יָקוּם, fut. jussif יָקֹם, fut. inverti וַיָּ֫קָם, on a à faire à des formes différentes : la forme primitive de l’indicatif a une voyelle longue et la forme primitive du jussif une voyelle brève.

c Les voyelles brèves primitives en syllabe fermée sont protégées par la nature même de la syllabe ; elles peuvent changer de timbre mais elles ne tombent pas, p. ex. *qudšī > קָדְשִׁי.

d Les voyelles brèves primitives en syllabe ouverte sont exposées à tomber. Voici les principaux faits qu’on peut observer :

A) Dans les mots dissyllabes mileraʿ :

  1. 1) La première voyelle demeure si la seconde est une brève primitive (moyenne hébraïque), p. ex. *qaṭal > קָטַל ; *dabar > דָּבָר ; *ʿinabעֵנָב ; *ʾilai̯ > אֵלַי « vers moi ».
  2. 2) Si la seconde voyelle est longue, la première voyelle primitive a demeure[1], les voyelles primitives i, u tombent, p. ex. avec 1re voyelle a : *qaṭālקָטוֹל (infin. absolu), *šalāmשָׁלוֹם, *qaṭūl > קָטוּל (part. passif) ; avec 1re voyelle i : *zirāʿ (ar. ḏirāʿ ذِرَاع) > זְרוֹעַ ; ṣirār > צְרוֹר (§ 6 g), *ḥimār (حِمَار) > חֲמוֹר (avec ḥaṭef pataḥ sous la gutturale, § 21 g) [cependant dans les formes primitives qiṭāl et qiṭūl, avec 1re radicale א, l’i ne tombe pas, mais devient ◌ֵ, p. ex. אֵזוֹר, אֵבוּס, § 21 h] ; avec 1re voyelle u : *lubūšלְבוּשׁ « vêtement » (opp. participe passif לָבוּשׁ « revêtu ») ; *gubūlגְּבוּל « frontière ».

e B) Dans les mots mileraʿ de plus de deux syllabes :

Généralement la voyelle prétonique demeure et la voyelle antéprétonique (à la 2e place avant le ton) tombe, p. ex. *ṣadaqat > צְדָקָה ; *ḥakamat > חֲכָמָה « une sage » ; *zaqinatזְקֵנָה « vieille » ; *qaṭal-te̦m > קְטַלְתֶּם.

Mais dans la flexion du parfait (sans suffixes) l’antéprétonique demeure et la prétonique tombe, p. ex. *qaṭalatקָֽטְלָה ; *qaṭalūקָֽטְלוּ ; *ḥakamatחָֽכְמָה « elle est sage » ; *zaqinat > זָֽקְנָה « elle est vieille ». La différence de traitement d’une forme primitive telle que ḥakamat, selon qu’elle est verbale ou nominale s’explique probablement par une différence dans la place du ton, à un stade antérieur de la langue. La forme verbale חָֽכְמָה se rattacherait à un stade ḥákamat antérieur au stade ḥakámat représenté par la forme pausale חָכָ֑מָה* (cf. § 95 c).

La voyelle antéprétonique a demeure dans certaines formes, p. ex. פָּֽרָשִׁים comme pluriel de פָּרָשׁ « cheval » § 96 B b ; שָֽׁבֻעוֹת, sg. שָׁבוּעַ « semaine » § 96 D b ; גָּֽלוּתִי « mon exil » § 88 M j ; מָֽעֻזִּי « mon refuge » § 88 L e ; מָֽגִנִּי « mon bouclier » § 88 L h. Il faut remarquer surtout le pronom אָֽנֹכִ֫י (§ 39 a) et les formes du parfait avec le waw inversif וְקָֽטַלְתִּ֫י, וְקָֽטַלְתָּ֫ (§ 43 a)[2].

f C) Dans les mots mileʿel de plus de deux syllabes, on remarquera les cas pratiques suivants :

Au parfait avec suffixes a prétonique se maintient, p. ex. qaṭalániקְטָלַ֫נִי ; l’i tombe au piel, p. ex. קִטְּלַ֫נִי, mais se maintient au qal, p. ex. שְׁכֵחַ֫נִי « il m’a oublié » (§ 61 e).

Au futur avec suffixes a prétonique se maintient, i et u tombent, p. ex. יִלְבָּשֵׁ֫נִי (de i̯ilbaš > יִלְבַּשׁ), mais יִתְּנֵ֫נִי (de i̯ittin > יִתֵּן), יִקְטְלֵ֫נִי (de i̯iqṭul > יִקְטֹל).

Remarque. Dans la flexion du futur l’a prétonique tombe, comme les voyelles i, u, p. ex. יִלְבְּשׁוּ, יִמְצְאוּ ; יִתְּנוּ, יִמָּֽצְאוּ ; יִקְטְלוּ.

g D) Le traitement de la voyelle moyenne ◌ֵ dans la flexion demande une considération à part.

À l’état absolu le ◌ֵ se maintient généralement ; mais à l’état cst. généralement il tombe. Ainsi *miʾatמֵאָה « cent », cst. מְאַת ; pl. abs. מֵאוֹת (l’état cst. serait מְאוֹת*) ; שֵׁם, שֵׁמוֹת, cst. שְׁמוֹת. Le ◌ֵ se maintient à l’état cst. dans certains mots : dans les mots comme אֵזוֹר (§ 21 h) ; dans זֵעַת « sueur de », נֵכַר « l’étranger (abstrait) de », מַהְפֵּכַת « catastrophe de », תַּרְדֵּמַת « profond sommeil de », בְּרֵכַת « piscine de », עֲרֵמַת « tas de », etc.

Dans le verbe on a à l’impératif du type יָשַׁב : שֵׁב, שְׁבִי, שְׁבוּ. Au participe du type קֹטֵל on a קֹֽטְלָה ou קֹֽטֵלָה ou (surtout) קֹטֶ֫לֶת ; pl. קֹֽטְלִים (§ 50 g).

Au participe du type מֵקִים on a p. ex. cst. מֵשִׁיב (Ruth 4, 15) ; מְשִׁיבָה*, pl. מְשִׁיבִים.

Au participe du type מֵסֵב : on a p. ex. מֵרַע « faisant mal » ; pl. מְרֵעִים (opposer le participe מֵיטִיב avec ẹ̄ long, § b).

Dans l’adjectif du type קִטֵּל on a p. ex. אִלֵּם « muet », pl. אִלְּמִים.

  1. Le qameṣ est particulièrement stable devant le ton (qameṣ prétonique).
  2. D’une façon générale, la stabilité anormale d’une voyelle ◌ָֽ, ◌ֵ, ◌ֹ n’est pas un indice infaillible de sa longueur.