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Grand’mère/18

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Traduction par Josefa Božena Koppová.
Imprimerie Dr. Ed. Grégr. (p. 367-408).
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xviii.


La comtesse garda le portrait de grand’mère et lui remit les portraits de ses petits-enfants ; si leurs parents en furent charmés, grand’mère le fut plus encore. La comtesse avait réussi à faire passer leur âme, pour ainsi dire, dans le traits de leurs visages, en sorte que grand’mère, en les montrant aux personnes de sa connaissance, ne disait que la vérité, quand elle ajoutait :

« Il ne leur manque que d’ouvrir la bouche et de parler. »

« Après que ses petits-enfants, quelques années plus tard, eurent quitté la maison paternelle, elle se plaisait à redire : « Non ! ce n’est pas l’habitude, parmi les gens de notre condition, de se faire peindre ; ce n’est pourtant pas inutile. Je me souviens encore très-bien de ce visage-là ; mais avec l’âge, la mémoire s’affaiblit, et les traits s’effacent de la pensée. Puis, je ressens tant de plaisir à considérer ce tableau ! »

On transportait alors, dans les granges du château, les dernières petites meules de quinze gerbes de froment. Comme on savait que la princesse n’avait pas l’intention de rester longtemps encore dans sa terre ; mais qu’elle avait hâte de partir, avec la comtesse, pour l’Italie, monsieur l’administrateur avait fixé la fête des moissonneurs pour la fin de la récolte des froments. Christine, qui était bien la plus jolie fille de tous les pays d’alentour, n’en était pas moins toute sage ; et grand’mère avait bien deviné le choix qui serait fait d’elle, pour présenter la couronne de la fête à madame la princesse.

Derrière la cour, il y avait un grand espace couvert en partie de gazon, et en partie de hautes meules de paille. Au milieu, les garçons avaient dressé une haute perche, ou plutôt un mât orné de branches de sapin, de rubans, de fichus et de foulards rouges, flottant au vent en guise de petits drapeaux. Entre les ramilles de sapin brillait toute la variété des fleurs champêtres, entremêlées d’épis de blé ! Autour des meules, on avait établi des bancs, et improvisé des tonnelles avec des branches de sapin. Autour du mât enguirlandé, on avait battu le sol en façon d’aire pour la danse.

« Grand’mère, grand’mère, » dit Christine, vous m’avez consolée tout ce temps : et c’est votre parole qui m’a fait vivre. J’ai écrit à Mila pour lui faire partager toute mon espérance ; or, voici la fête des moissonneurs et nous ne savons pas jusqu’à présent, à quoi nous attendre. Dites-le moi, je vous en supplie : seraient-ce des pommes de consolation seulement et un vain espoir, que vous nous auriez montrés, en attendant que nous prenions notre parti de la séparation ?

Et grand’mère lui répondit en souriant : « Petite folle ! Voilà qui serait en vérité bien avisé à moi de chercher à vous consoler de semblable manière ! Je m’en tiens à ce que j’ai dit. »

Fais-toi belle pour demain ; madame la princesse tient à ce qu’on soit bien mise. Toutefois, si demain j’ai encore vie et santé pour regarder, et si tu me questionnes encore, c’est alors que je pourrai te dire la vérité. C’est qu’elle savait dès lors véritablement comment avait dû se traiter l’affaire de Mila ; et si elle n’eut pas promis à la princesse le silence envers Christine, elle n’eut pas non plus différé de délivrer la pauvre fille du poids de ses pénibles pensées.

Tous ceux qui avaient fait le travail de corvée, ainsi que les gens du château s’étaient rassemblés, le lendemain, tous en habits de fête, sur ce grand espace libre derrière la cour. On chargea sur une voiture plusieurs fois quinze gerbes ; les chevaux même portaient des rubans à la tête, conduits par un des garçons à cheval, tandis que Christine, avec quelques jeunes compagnes, était assise sur la voiture. Filles et garçons se rangèrent par couple autour du véhicule ; les personnes plus âgées les suivaient. Les moissonneurs portaient des faux et des faucilles ; les moissonneuses, des faucilles et des râteaux. Toutes avaient à leur corsage un bouquet composé d’épis de blé, de bluets et d’autres fleurs des champs ; les jeunes gens les avaient fixés à leurs chapeaux ou à leurs bonnets. Le valet conducteur de l’attelage faisait claquer son fouet ; et les moissonneurs chantaient, tout en se dirigeant vers le château devant lequel la voiture s’arrêta. Christine et ses compagnes en descendirent. Elle portait la couronne d’épis qu’elle avait posée sur sa robe rouge ; les garçons prirent rang derrière elle, et entrèrent, en chantant, dans l’antichambre où la princesse faisait son entrée en même temps qu’eux. Christine, déjà tremblante de peur, se prit à rougir de timidité ; et baissant les yeux, elle adressa, d’une voix hésitante, à madame la princesse, ses félicitations et ses souhaits pour une bonne et heureuse récolte et de l’année présente et de l’année prochaine ; puis, après lui avoir fait une profonde révérence, elle déposa la couronne aux pieds de la princesse. Alors tous les moissonneurs levant en l’air leurs chapeaux crièrent : « Longue vie et santé à notre bonne maîtresse ! » Elle les remercia de sa parole affable, et les adressa à l’administrateur pour leur faire servir à manger et à boire.

« Et à toi, ma chère fille, je suis particulièrement reconnaissante des vœux et de la couronne que tu m’as présentés, » dit-elle à Christine, en suspendant la couronne à son bras. Je vois que tous les autres sont rangés en couples, au lieu que tu restes seule.

La meilleure manière de t’obliger serait peut-être de te procurer un danseur. »

Elle sourit, ouvrit la porte du salon, et Mila en sortit en costume de paysan.

« Jésus Marie ! s’écria Christine, c’est Jacques ; et elle serait tombée par accablement de tant de joie, si Mila ne l’eut soutenue dans ses bras.

La princesse entra silencieusement au salon. « Allez tous, allez, » dit Mila à ses camarades : madame la princesse ne veut pas que nous la remerciions. » Et quand ils furent dehors, il leva en l’air une bourse remplie d’argent, en disant : « C’est la comtesse qui me l’a donnée, pour être partagée entre vous. Prends-la, et fais toi-même le partage, dit-il, en tendant la bourse à Thomas, qui le regardait avec autant d’étonnement que tous les autres. Ce fut seulement derrière le château qu’ils poussèrent leurs cris de joie ; que Jacques embrassa droitement sa Christine, et put raconter à tous qu’il devait son rachat à madame la princesse.

« Et à grand’mère, » ajouta Christine. « Sans elle, rien ne se fut fait.

On alla à la danse. Les employés avec leurs familles, celles des Proschek, du meûnier et du chasseur étaient venus prendre place entre les moissonneurs. Ce fut grand’mère qui y fut la première, poussée par la joie d’assister au bonheur que ses chers protégés avaient de se retrouver.

Ils ne savaient comment lui exprimer leur reconnaissance.

« Ne me remerciez pas ; je n’en ai touché qu’un mot ; madame la princesse l’a accueilli et Dieu a donné sa bénédiction.

« Mais vous, grand’mère ! » lui dit Christine en menaçant du doigt avec un sourire, « vous saviez pourtant, dès hier, que Mila était revenu et qu’il se tenait caché chez Venceslas ; et vous ne m’en avez rien dit ! »

Je n’en avais pas la permission. Au reste, je t’avais dit que tu le reverrais bientôt. Cette parole devait te suffire. N’oublie pas, ma fille, que tout vient à point à qui sait attendre.

La musique, les cris de joie, la danse et les rires retentirent autour de l’arbre de fête. Les employés écrivains du château engagèrent à la danse les jeunes villageoises, et les filles des employés ne rougirent pas d’avoir pour danseurs des fils de paysans ; danseurs et danseuses étaient satisfaits les uns des autres.

La bière répandue à flots, les doux rosoglio, avec la danse, mirent le feu dans toutes les têtes ; et quand la princesse vint, avec la comtesse, voir comment cette jeunesse exécutait sa danse nationale, la joie se trouva montée à son plus haut période ; toute honte disparut ; les bonnets volèrent en l’air aux cris de « Vive notre princesse ! » On but et on but encore, et sans cesse, à sa santé. Les deux dames étaient dans l’enchantement et distribuaient quelques paroles agréables à l’un et l’autre ; la comtesse souhaita à Christine, qui lui baisait la main, d’être heureuse en son mariage ; elle adressa aussi la parole au meûnier et au chasseur, s’entretint confidemment avec grand’mère ; et la femme et la fille de l’administrateur, qui ne pouvaient souffrir grand’mère, parce qu’elle avait déjoué tous leurs plans, durent en dévorer même leur courroux. Mais quand les pères attablés pour boire avaient, comme on dit, la tête sous les bouchons ; quand ils se furent mis à déblatérer contre ceux qu’ils appelaient les écrivailleurs et contre leur chef ; quand l’un d’eux eut soulevé son verre, pour le présenter à boire à madame la princesse, et que Thomas lui faisait force opposition, madame la princesse n’était déjà plus là.

Quelques jours après la fête des moissonneurs, elle partit avec Hortense pour l’Italie ; mais avant de quitter grand’mère, la comtesse lui avait remis de beaux grenats comme cadeau de noces pour Christine.

Grand’mère était contente ; tout avait tourné comme elle le souhaitait. Elle n’était plus tourmentée que d’un souci, celui d’une lettre à envoyer à sa fille Jeanne. Thérèse se serait bien chargée de la rédiger ; mais elle n’eut pourtant pas été dictée comme elle désirait qu’elle le fût. C’est pourquoi elle appela un jour Barounka dans sa chambrette, ferma la porte à clef, et lui montrant la table sur laquelle une feuille de papier, de l’encre et une plume se trouvaient déjà préparées, elle lui dit : « Assieds-toi, Barounka, tu vas écrire à ta tante Jeanne. » Barounka s’assit, et grand’mère à côté d’elle, afin de voir sur le papier ; et elle commença à dicter : « Loué soit Jésus Christ ! »

« Mais grand’mère, objecta Barounka, ce n’est pas ainsi qu’on commence une lettre. Il faut écrire en haut : « Ma chère Jeannette ! »

Pas du tout, mon enfant ; ton bisaïeul et ton grand’père ont toujours écrit de cette manière, et je n’ai jamais écrit autrement à mes enfants. Quand tu entres chez quelqu’un, tu commences par saluer. Alors commence par le salut chrétien. « Loué soit Jésus Christ ! » Ma chère Jeannette ; je te salue et t’embrasse mille fois, et te fais savoir que, grâces à Dieu, je suis bien portante. Il est vrai que la toux me fatigue un peu ; mais qu’y-a-t-il d’étonnant, puisque dans peu je compterai quatre-vingts ans ? C’est un bel âge, ma chère fille, et on a de quoi remercier le bon Dieu, quand celui qui le passe est en aussi bonne santé que moi : j’ai l’ouïe et la vue toujours bonnes ; je pourrais bien encore raccommoder, mais Barounka le fait pour moi ; et je suis encore assez ingambe. J’espère que cette lettre vous trouvera, et toi, et Dorothée, en parfaite santé. Comme j’ai appris par ta lettre que l’oncle est malade, je prends part à votre peine, mais avec l’espoir que la maladie n’est pas dangereuse. C’est souvent qu’il est indisposé ; et on dit que de fréquentes, mais petites maladies ne mettent pas en branle la sonnerie. Tu m’écris aussi que tu veux te marier, et que tu n’attends plus que mon consentement. Ma chère fille ! Puisque tu as fait un choix selon ton cœur, que puis-je répondre sinon que Dieu te rende heureuse et qu’il vous bénisse tous deux ; que vous viviez pour son honneur et sa gloire, et que vous vous rendiez utiles au monde ? Quelle raison aurais-je de faire opposition, puisque Georges est un digne homme, et que tu l’aimes ? Ce n’est pas moi qui aurai à vivre avec lui, mais ce sera toi. Je croyais cependant que tu aurais fait choix d’un tchèque, car on est encore mieux fait pour son pareil ; mais il ne t’était pas destiné, et je ne te blâme pas pour cela. Nous sommes tous les enfants d’un père unique ; une mère nous nourrit : nous devons donc nous aimer, lors même que nous ne serions pas du même pays. Salue Georges de ma part ; et, si Dieu vous donne la santé, et que tout votre petit ménage soit bien réglé, en sorte que rien ne vous empêche de partir ensuite, arrivez au milieu de nous. Les enfants se réjouissent déjà de voir leur tante. Que Dieu vous donne à tous la santé et sa bénédiction ! Adieu ! »

Barounka dut lire une fois encore à grand’mère la lettre qu’elles plièrent et cachetèrent ensemble ; grand’mère la serra dans son coffre, en attendant d’aller à l’église et d’avoir ainsi l’occasion de la mettre elle-même à la poste.

L’un de ces soirs qui précédèrent la fête de sainte Catherine, la jeunesse du pays était, en grande partie, rassemblée, filles et garçons, à l’auberge du pays. La maison était non-seulement toute luisante de propreté, à l’intérieur comme au dehors ; mais de plus, les portes extérieures étaient encadrées de tiges de sapins et un rameau vert avait été inséré derrière chaque tableau de la grande salle ; les rideaux des fenêtres étaient blancs comme neige, et le carrelage de la pièce avait été blanchi à la craie. Une longue table en bois de tilleul et recouverte d’une nappe blanche, garnie de romarin, de rubans blancs et rouges tenait rassemblées autour d’elles plusieurs filles d’honneur, que leur beauté faisait ressembler à un plant de roses et d’œillets. Elles étaient venues pour tresser des couronnes de fleurs. La plus belle était destinée à Christine, la jeune fiancée, assise au milieu d’elles, vers le haut bout de la table. Déchargée, pour ces solennelles circonstances, de tous les soins domestiques, elle se trouve mise comme en tutelle sous le bavard et sous une intermédiaire des fiançailles. La première de ces deux honorables fonctions était remplie par le conducteur ordinaire des pèlerins Martinetz ; la seconde, par grand’mère. Celle-ci n’avait pu en faire agréer le refus à Christine, encore qu’elle voulût éviter une charge qui la mettrait en évidence. Madame la meûnière remplaçait, dans la conduite du ménage, la maîtresse de la maison, qui, depuis bien des années, n’était plus agissante ; elle avait aussi pour aides la femme de Coudrna et sa fille, Cécile. Grand’mère était assise au milieu des filles d’honneur, et bien qu’il n’y eut pour elle rien à assembler, à attacher ou à coudre, on n’en avait pas moins, à chaque instant, besoin de ses conseils.

La fiancée nouait alors des rubans sur de belles branches de romarin destinées au havard et au premier garçon d’honneur ; la plus jeune des filles d’honneur tressait la couronne de la fiancée ; la première des filles d’honneur en préparait une pour le fiancé ; les autres filles en faisaient autant, chacune, pour son garçon d’honneur. Ce qui resta de romarin devait être rattaché, avec des nœuds de ruban, sur de petites branches, destinées aux invités, ou même servir à l’ornement des harnais et de la tête des chevaux qui devaient transporter la fiancée.

Le regard de la fiancée brille d’amour et de joie, chaque fois qu’il se porte vers son beau fiancé qui va et vient alentour. L’usage accorde alors plus de liberté, à chacun d’eux, d’entretenir sa future, qu’il ne lui en est accordé à lui, à l’égard de sa fiancée ; mais par moments, il ne lui en adresse que de plus ardents regards. La fiancée est servie par le premier des garçons d’honneur, et c’est au fiancé d’avoir soin de la première fille d’honneur. Il y a permission générale de se livrer à la gaieté, à un honnête badinage, de dire des chansonnettes, de faire des plaisanteries et des saillies ; ce dernier rôle est dévolu surtout au bavard, au lieu que les fiancés n’ont pas, eux, la liberté de trop montrer leur joie. Christine parlait très-peu ; elle avait les yeux baissés sur cette table, couverte de vert romarin et à laquelle elle était assise. Et quand la plus jeune et la première des filles d’honneur commencèrent à tresser les couronnes de noce, et que toute la société se mit à chanter :

« Où t’es-tu envolée, chère colombe,
Où, hélas, as-tu volé,
Que tu as souillé ta petite plume blanche,
hélas ! gâtée ?

Christine se couvrit le visage de son tablier blanc, car elle s’était prise à pleurer.

Le fiancé la regarda avec une sorte d’anxiété, et en demandant au bavard : « Pourquoi pleure-t-elle ainsi ?

« Tu sais, mon fiancé, » lui répondit gaîment Martinetz, que l’affection et la joie n’ont qu’une même couche, et c’est pourquoi il arrive parfois que l’une éveille l’autre. Laisse cela : aujourd’hui les pleurs, et demain la joie.

À cette chanson il en succéda beaucoup d’autres, les unes pleines de gaieté ; les autres de gravité ; celles-ci célébraient la jeunesse, la beauté et l’amour ; celles-là, la liberté du garçon resté célibataire ; finalement, jeunes gens et jeunes filles célébrèrent, dans leurs chansons, les avantages de l’état de mariage, alors qu’un jeune couple s’aime d’un amour fidèle, comme celui de deux tourterelles, et vivent en paix comme les grains de blé dans un même épi. Les saillies du bavard venaient toujours faire une diversion railleuse au thème célébré dans la chanson.

Ils en étaient à celle de la Concorde entre les époux, lorsque le bavard réclama pour lui seul la parole, en faveur d’un chant de sa composition tout battant neuf.

« Eh bien ! chantez-le nous ; nous sommes curieux d’entendre votre savoir-faire.

Le bavard se plaça au milieu de la salle. Et il le prit sur ce ton de chant railleur, qui lui allait aussi bien à la noce, que son ton grave dans les cantiques de pèlerinage. Et elle disait :

« Oh ! Joie des anges !
Rien n’est au-dessus de l’accord de ces époux :
Si je dis : « Fais cuire des pois,
c’est de l’orge mondé qu’elle met au feu ;
Si je lui demande de la viande,
elle prépare des mets farineux.
Ô joie des anges !
Rien ne surpasse l’accord des époux.

De la chansonnette et du chanteur, nous ne donnerions pas seulement un vieux denier fendu, s’écrièrent les filles, qui se mirent à chanter du coup, afin de couper court au contentement qu’auraient eu les garçons d’entendre la suite. C’était au milieu de ces chants et de ces plaisanteries qu’étaient faits les bouquets, et, tressées les couronnes. Les jeunes filles se levèrent, se prirent par la main et marchant en rond alentour de la table, elles chantèrent :

Voilà que c’est fait !
Tout est fini :
Les gâteaux sont prêts,
et les couronnes, tressées.

Et c’était précisément l’instant où paraissait, à la porte de la salle, la femme du meûnier, qui, avec ses aides, apportaient des brassées de victuailles.

Le meûnier et le premier des garçons d’honneur se chargeaient de servir à boire. On se remit de nouveau à la table, couverte cette fois, non plus de romarin, mais des mets de la fête et de gâteaux. Les garçons avaient pris leurs places au côté de leurs filles d’honneur. La fiancée était entre la première fille d’honneur et la respectable intermédiaire de fiançailles ; la fiancée, entre le premier garçon d’honneur et la seconde des filles d’honneur, qui lui tranchait les aliments et les lui servait. La première des demoiselles d’honneur en faisait autant au fiancé. Le bavard ne faisait que tournoyer autour de la table, se laissant servir et verser à boire par les filles d’honneur ; mais elle devaient tolérer chacune de ses plaisanteries, lors même que le sel en était un peu gros.

Quand on eut fini de desservir complètement, le bavard vint déposer sur la table trois plats, présent qu’il offrait lui même à la fiancée. Le premier contenait du froment ; en le lui présentant, il lui fit le souhait qu’elle devînt féconde. Le second contenait, mêlée à des porreaux, un peu de cendre que la fiancée dut en séparer pour s’exercer à la patience ; le troisième était un plat mystérieux ; et partant, il était bien couvert. Il va sans dire qu’elle n’aurait pas dû montrer de curiosité, et qu’elle aurait dû accepter le plat sans regarder en l’intérieur. Mais qui aurait donc été celle qui s’en fût abstenue ? Christine en perdit son repos d’esprit. Saisissant le moment où personne n’y faisait plus attention, elle leva une petite corne de la serviette blanche qui le recouvrait, et — frrr — le passereau qui s’y trouvait voleta vers le plafond. « Tu vois, chère demoiselle, notre fiancée, ce que c’est que la curiosité, » lui dit grand’mère, en lui appliquant un petit coup sur l’épaule : la vérité est qu’on aimerait pourtant mieux mourir que de ne pas regarder ce qu’il y a là dedans ; et une fois qu’on a soulevé un coin du voile, on n’a pourtant rien attrappé du tout. »

Toute cette jeunesse se tint réunie encore assez avant dans la nuit, car on dansa encore après le souper. Le fiancé et un garçon d’honneur reconduisirent chez elle l’intermédiaire des fiançailles, et la prièrent en la quittant, de venir le lendemain matin de bonne heure. Ce fut de bonne heure en effet que les habitants de la vallée et de Žernov se trouvaient déjà sur pied. Une partie se rendirent à l’église ; d’autres étaient invités au repas des noces ou à la danse ; mais ceux-là même qui n’avaient point d’invitation ne purent résister à la curiosité d’aller voir cette noce, dont on avait parlé plusieurs semaines à l’avance. On avait dit que la noce ferait beaucoup de bruit ; que la fiancée se rendrait à l’église avec une voiture et des chevaux du château ; qu’elle porterait un collier de grenats précieux, un tablier blanc admirablement brodé, et une jaquette de taffetas rose avec la jupe, couleur bleu de ciel. Or, on savait tout cela à Žernov, avant que la fiancée eut peut-être eu le temps d’y penser.

Ils connaissaient aussi tout le menu : le nombre et la qualité des mets du festin ; puis, le trousseau de la fiancée : combien de pièces de linge de corps ; combien d’objets de literie ; combien de meubles entraient dans sa dot ; et ils savaient tout, comme si elle leur en eut donné l’écrit. Or, ne point aller regarder une noce de tant d’importance ; ne point savoir comment la couronne allait au front de la jeune mariée ; si elle versait beaucoup de larmes ; quelles étaient aussi les toilettes et la mise des invités, c’eut là chose qu’on n’eut jamais pardonné à personne. C’était là aussi un événement qui faisait époque dans leur histoire. Il y aurait bien matière à défrayer les conversations pendant six mois au moins : comment rester indifférent, et ne point aller voir ?

Quand la famille du chasseur qui était descendue à la Vieille Blanchisserie, et celle des Proschek arrivèrent à la maison d’auberge, ce ne fut qu’avec peine qu’elles purent fendre la foule qui se pressait, assemblée déjà dans la petite cour.

Les invités de la fiancée, et ceux qui étaient de sa parenté y étaient déjà réunis : le meûnier était en grande toilette, ses bottes étaient luisantes comme un miroir. Il était témoin pour la fiancée. C’était une tabatière d’argent qu’il tenait en main. Madame la meûnière était en robe de soie ; de fines perles ornaient son cou blanc. Sur sa tête brillait un bonnet en brocart d’or.

Grand’mère, elle aussi, portait son antique robe de noce, et elle était coiffée de ce bonnet blanc, à ailes de pigeon, qu’elle ne portait qu’aux fêtes. Quant aux filles d’honneur, aux garçons d’honneur et au bavard, ce n’était point à la maison d’auberge qu’ils se trouvaient. Ils étaient allés à Žernov chercher le fiancé. La future n’était pas non plus dans la grande salle : elle se tenait retirée dans sa chambre particulière.

Soudain retentit, dans la petite cour, ce cri : « Les voici, les voici qui viennent ! » Et les sons des instruments, clarinettes, flûtes et violons se faisaient entendre à partir du moulin. C’était le fiancé que ce cortège amenait. Et alors les spectateurs de se chuchoter entre eux : « Regardez, regardez ! » C’est la sœur de Mila, c’est Thérèse qui est la seconde demoiselle d’honneur, et c’est une des Tichanek qui est la première. Nul doute que la charge n’eut été remplie, si elle n’eut pas été encore mariée, par l’autre amie de Christine, la femme de Thomas.

« Thomas, lui, est témoin pour le fiancé.

« Et où est-elle donc, la femme de Thomas, que je ne la vois point ? »

« Elle aide la fiancée à sa toilette. Elle n’ira point à l’église, car elle est sur son terme ; tels étaient les propos des commères. »

« Alors la fiancée peut préparer tout de suite son présent de baptême ; elle ne prendra, certes, pas d’autre marraine, car elles sont liées ensemble comme deux doigts de la main. C’est ce que l’on sait très-bien. »

Eh ! mais ! « Voici venir le maire ! c’est une affaire bien étonnante que la famille de Mila l’ait invité ; car c’est bien lui qui a été la cause de l’enrôlement de Jacques. »

« Le maire, après tout, n’est pas un méchant homme ; c’est Lucie qui l’a poussé ; et l’administrateur a encore salé la chose. Jacques, lui, a bien fait de ne se venger ni sur lui, ni sur Lucie, elle en tombera malade de colère.

« Mais elle est fiancée, » dit une autre voix.

« Et avec qui donc ? Je n’en ai pas entendu parler, » dit encore une autre.

Oui, elle est fiancée depuis avant-hier avec Joseph Nyoltovitz.

Il y avait déjà longtemps qu’il la recherchait. C’est vrai. Mais elle n’en voulut jamais entendre parler, tant qu’elle conserva l’espoir d’être épousée par Jacques.

Voyez quel beau garçon c’est que le fiancé : et comme il fait plaisir à voir !

« Regardez quel beau foulard il a reçu de sa fiancée, à qui il n’a pas dû en coûter moins de dix florins, disaient ces femmes.

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