Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes/La Guitare
LA GUITARE.
Est un instrument propre à accompagner la voix et à figurer dans quelques compositions instrumentales peu bruyantes, comme aussi à exécuter seul des morceaux plus ou moins compliqués et à plusieurs parties, dont le charme est réel lorsqu’ils sont rendus par de véritables virtuoses.
Elle a six cordes accordées en quartes et en tierces, comme il suit : On l’accorde aussi quelquefois de la manière suivante, surtout pour les morceaux écrits dans le ton de MiLes trois cordes graves sont en soie recouverte d’un fil d’argent, les trois autres sont en boyau. La Guitare est un instrument transpositeur de trois octaves et une quinte d’étendue, et qu’on écrit sur la clé de Sol, une octave au-dessus du son réel.
Les trilles majeurs et mineurs se font sur toute l’étendue de cette gamme.
Il est presque impossible de bien écrire la Guitare sans en jouer soi-même. La plupart des compositeurs qui l’emploient sont pourtant loin de la connaître, aussi lui donnent-ils à exécuter des choses d’une excessive difficulté sans sonorité et sans effet.
Nous allons essayer néanmoins d’indiquer la manière d’écrire pour elle de simples accompagnements.
Dans la position ordinaire de la main droite, le petit doigt étant appuyé sur la caisse de l’instrument, le pouce est destiné à pincer les trois cordes graves l’index pince le Sol le doigt du milieu le Si et l’annulaire la chanterelle ou le Mi D’où il suit que lorsqu’il s’agit de faire entendre des accords à plus de quatre notes, le pouce est obligé de glisser sur une ou deux des cordes inférieures pendant que les trois autres doigts attaquent directement les trois cordes hautes. Dans les accords de quatre notes chaque doigt attaque seulement la corde qui lui est destinée, les doigts changent de cordes seulement lorsqu’il s’agit de plaquer des accords graves comme ceux ci :La Guitare étant surtout un instrument d’harmonie, il est très important de connaître les accords et par suite les arpèges qu’elle peut faire. En voici un certain nombre dans différens tons.
Nous commençons par les plus aisés, par ceux qui se font sans employer le Barrage, procédé au moyen duquel l’index de la main gauche placé transversalement sur le manche, sur deux, trois, ou quatre cordes, sert de Sillet factice. (On sait que le sillet est la petite pièce transversale du manche, sur laquelle reposent les cordes, et qui en détermine la longueur propre à être mise en vibration)
Les tons qui amènent des bémols à la clé sont incomparablement plus difficiles que les précédens et nécessitent tous le Barrage. Les accords Les plus faciles sont les suivants.
Il faut éviter dans tous les accords d’employer en même tems la première et la troisième des cordes graves sans la seconde, parce que le pouce serait obligé alors de sauter par-dessus cette seconde corde pour aller de la première à la troisième.
Il est impossible de plaquer ces accords ; mais en leur ajoutant la seconde corde grave ils deviennent aisés.
De même en Fa , en Sol, en La etc.
Les arpèges suivants sont d’un excellent effet sur la Guitare :
Dans ce dernier arpège les deux notes aigües liées se font en accrochant la chanterelle avec le petit doigt de la main gauche.
Les arpèges se dirigeant de haut en bas sont assez incommodes quoique très exécutables.
Les mêmes en sens inverse sont au contraire très aisés.
À cause du mouvement rétrograde du pouce sur les deux notes graves, les suivants sont beaucoup plus difficiles et moins avantageux.
Les gammes liées de deux en deux avec la répercussion d’une note sont élégantes et assez sonores, surtout dans les tons brillants de l’instrument
Les gammes en tierces quoique difficiles à leurs deux extrémités peuvent s’employer dans un mouvement modéré.
Les suites de sixtes et d’octaves sont dans le même cas.
Les notes répercutées deux, trois, quatre et même six ou huit fois se font aisément ; les roulements prolongés sur la même note ne sont guère bons que sur la chanterelle ou tout au moins sur les trois cordes hautes.
Les notes marquées d’un P se pincent avec le pouce, les autres avec le premier et le second doigt successivement.
Pour les roulements il faut faire succéder le pouce aux second et premier doigts sur la même corde.
Les sons harmoniques sortent très bien sur la Guitare et on en fait en maintes occasions un très heureux usage. Les meilleurs sont ceux qu’on produit en effleurant l’octave, la quinte, la quarte et la tierce majeures des cordes à vide.
Ainsi que nous l’avons expliqué aux chapitres des instruments à archet, l’octave effleurée fait entendre cette même octave.
En effleurant les octaves des 6 cordes à vide
EXEMPLE. En effleurant les quartes des six cordes à vide.
EXEMPLE. En effleurant les quintes des six cordes à vide.
EXEMPLE. En effleurant les 3ce Maj. des six cordes à vide.
EXEMPLE. En effleurant les 3ce Mineures des six cordes à vide.
Ces derniers sons harmoniques sont les moins sonores et sortent difficilement. Il est bien entendu que cette expression de sons réels est relative au diapason propre à la Guitare et non point au diapason général ; car absolument parlant, ces sons réels sont entendus à l’octave inférieure comme tous les autres sons de cet instrument.
On peut encore produire sur chaque corde des gammes chromatiques et diatoniques en sons harmoniques artificiels. Il s’agit pour cela d’appuyer avec les doigts de la main gauche sur les notes qu’on veut faire entendre à l’octave supérieure, d’effleurer ensuite le milieu de la corde avec l’index de la main droite et de pincer derrière l’index avec le pouce de cette même main.
On ne peut, je le répète, sans en jouer écrire pour la Guitare des morceaux à plusieurs parties, chargés de traits et dans lesquels toutes les ressources de l’instrument sont mises en œuvre. Il faut, pour se faire une idée de ce que les virtuoses savent produire en ce genre, étudier les compositions des célèbres guitaristes tels que Zani de Ferranti, Huerta, Sor, etc.
Depuis l’introduction du Piano dans toutes les maisons où existe la moindre velléité musicale, la Guitare est devenue d’un usage assez rare, partout ailleurs qu’en Espagne et en Italie. Quelques virtuoses l’ont cultivée et la cultivent encore comme un instrument solo, de manière à en tirer des effets délicieux autant qu’originaux. Les compositeurs ne l’emploient guère à l’église, au théâtre, ni au concert. La faible sonorité dont elle est pourvue, et qui ne permet pas de l’associer à d’autres instruments ni à plusieurs voix douées d’un éclat ordinaire, en est sans doute la cause. Son caractère mélancolique et rêveur pourrait néanmoins être plus souvent mis en évidence ; le charme en est réel, et il n’est pas impossible d’écrire de manière à le laisser appercevoir. La Guitare, à l’inverse de la plupart des instruments, perd à être employée collectivement. Le son de douze Guitares jouant à l’unisson est presque ridicule.