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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Algérie

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 199-200).

ALGÉRIE, colonie française au N. de l’Afrique, entre le Maroc et la régence de Tunis, baignée au N. par la Méditerranée et bornée au S. par le Sahara. Elle est traversée parallèlement aux côtes par l’Atlas, dont les principaux rameaux sont l’Ouarenseris, le Jurjura et le petit Atlas. Les côtes forment, de l’O. à l’E., les caps de Figalo, Falcon, Carbon, Ivi, Colombi, Tenez, Sidi-Ferruch, Matifou, de Fer, de Rosa, et les golfes d’Oran, d’Arzew, d’Alger, de Bougie, de Stora et de Bone. Les principaux cours d’eau sont le Moulou-la, la Tafna, le Chelif, l’Qued-el-Kebir, la Seibouse, le Mazafran, etc.

Le climat de l’Algérie est sain et tempéré sur le versant septentrional de l’Atlas, insalubre seulement sur quelques points marécageux des plaines ; les chaleurs excessives n’y sont que de très-peu de durée, et n’ont lieu que de juillet à novembre ; les mois de pluie sont décembre, janvier et février ; la végétation est en pleine activité dès le mois de février, et les récoltes sont mûres à la fin du mois de mai ; le sol conserve son ancien renom de fertilité. Le sommet des montagnes est couvert de forêts dont les essences dominantes sont le lentisque, l’olivier sauvage, le chêne vert, le chêne-liège, le sumac, le palmier, le cyprès, le myrte ; les animaux les plus remarquables sont le lion, le léopard, la panthère, l’hyène, le chacal, l’autruche, etc. ; les côtes abondent en poisson, mais leur richesse principale est le corail ; les richesses minérales de l’Algérie sont encore peu connues ; on y trouve du fer, du cuivre, du plomb, etc.

Le territoire de cette colonie comprenait, sous la domination romaine, les provinces de Numidie, de Mauritanie et d’Afrique proprement dite, où se trouvait Carthage (régence de Tunis). Les Arabes s’y établirent dès la fin du VIIe siècle. Les Maures, chassés d’Espagne en 1492, refluèrent en Algérie et se firent pirates ; plus tard, les Espagnols leur enlevèrent Oran, Bougie et Alger, mais ils en furent chassés par les frères Barberousse.

Aujourd’hui, que l’Algérie est française, elle se divise en trois grandes provinces, Alger, Oran et Constantine, partagées chacune en plusieurs subdivisions, dont les unes sont administrées civilement et les autres militairement. D’après le recensement de 1850, la population de l’Algérie s’élevait à 167,670 Européens et 2,183,793 indigènes.

On a vu, à l’article Alger, comment les Français parvinrent à s’emparer de ce nid de pirates. Il nous reste à indiquer le développement de cette conquête, et les phases que la colonie a parcourues depuis 1830 jusqu’à nos jours. — La régence barbaresque dont Alger avait été la capitale, était formée, outre la province d’Alger, de trois beyliks : Titery au sud, Oran à l’ouest, Constantine à l’est. La force des choses voulait qu’Alger restant en notre possession, notre domination s’étendît insensiblement pour remplacer celle des Turcs, renversée dans son centre. Le bey d’Oran se soumit de plein gré, immédiatement après l’occupation d’Alger. À la suite d’une petite expédition, celui de Titery se rendit, dès la fin de l’année 1830, au maréchal Clauzel, qu’une ordonnance du 12 août avait donné pour successeur au comte de Bourmont. Cependant, maîtres de quelques-unes des villes les plus importantes, les Français n’eurent guère d’action sur les populations nomades des campagnes, qui, délivrées du joug des Turcs, s’abandonnèrent sans réserve au sentiment de la nationalité, qu’un homme de génie, Abd-el-Kader, sut exploiter contre nous, dès 1831. Aussi, si l’on excepte l’attaque contre Blidah et Medeah, l’administration du maréchal Clauzel ne fut signalée que par une multitude d’arrêtés qui n’apportèrent aucune amélioration aux embarras qui suivent toujours une conquête. Le général duc de Rovigo, nommé gouverneur de la colonie en décembre 1832, s’empara de Bone et noua des relations avec différentes tribus des environs d’Alger. Son successeur, le général Voirol, occupa Mostaganem et Bougie (1833-34). C’est pendant son administration qu’Abd-el-Kader s’essaya pour la première fois à lutter contre nous, et se fit battre par le général Desmichels. En 1835, sous l’administration du comte Drouet d’Erlon, qui le premier eut le titre de gouverneur général de l’Algérie, nos troupes essuyèrent le désastre de la Macta, où nos blessés furent massacrés et notre armée mise en fuite. Cette défaite ramena le maréchal Clauzel à la tête de la colonie. Il vengea l’affront fait à nos armes, enleva à Abd-el-Kader sa capitale, Mascara, et fit, en novembre 1836, une tentative infructueuse sur Constantine. C’est dans la retraite difficile qui suivit, que le chef de bataillon Changarnier commandant de l’arrière-garde, se voyant pressé par une nuée d’Arabes, forma ses hommes en carré et leur dit : « Voyons ces gens-là en face ; ils sont six mille, vous êtes trois cents ; la partie est égale. »

Le général Damrémont qui remplaça le maréchal Clauzel comme gouverneur général, en février 1837, prépara une seconde expédition contre Constantine. Il tomba glorieusement, emporté par un boulet, la veille même de l’assaut, fixé au 13 octobre : Cette mort anima nos soldats au lieu de les décourager, et le lendemain l’assaut fut livré avec une vigueur qui décida du succès. Un combat acharné s’engagea dans les rues ; mais nos troupes restèrent maîtresses de la ville et ne tardèrent pas à l’être de la plus grande partie de la province. Le lieutenant général Valée, qui avait commandé l’assaut, reçut le bâton de maréchal et le commandement de l’Algérie. C’est à ce siège célèbre que se signalèrent plusieurs officiers dont le nom a depuis eu du retentissement, Bedeau, Lamoricière, Leflô, Mac-Mahon, Canrobert, etc. Dans le même temps, à l’autre bout de l’Algérie, Abd-el-Kader, dont la puissance avait considérablement grandi, tenait étroitement bloquées nos garnisons de la province d’Oran, et amena le général Bugeaud à signer le traité de la Tafna (30 mai 1837), qui, tout en consacrant la souveraineté de la France, reconnaissait l’autorité de l’émir sur les provinces d’Oran, de Titery et d’Alger, à l’exception des villes d’Oran, Arzew, Mazagran, Mostaganem, Alger, Blidah, Coléah, le Sahel, la Métidja, et qui ne pouvait avoir d’autres conséquences que de laisser à l’émir le temps de reprendre des forces.

Le maréchal Valée fit occuper, en 1838, Blidah et Coléah ; dans la Métidja, ainsi que Djidjelli et Sétif, dans la province de Constantine, lorsque l’expédition des Bibans ou Portes-de-Fer, conduite par le duc d’Orléans, fournit à Abd-el-Kader le prétexte de rompre le traité de la Tafna, de prêcher contre nous la guerre sainte, et de venir saccager notre territoire jusque sous les murs d’Alger.

Malgré nos succès, qui mirent en lumière les talents et la bravoure de plusieurs de nos généraux les plus remarquables, Duvivier,. Changarnier, Lamoricière, Bedeau, Cavaignac ;. malgré l’occupation de Médéah et de Milianah, après l’admirable affaire du col de Téniah, en 1840, Abd-el-Kader, toujours vaincu, toujours insaisissable, reparaissait le lendemain de chaque défaite, aussi redoutable que la veille.

Cette même année fut témoin d’un événement bien glorieux pour notre armée, et qu’on se refuserait à croire, tant il est merveilleux. Cent vingt-trois hommes d’infanterie, commandés par le capitaine Lelièvre, retranchés dans la petite ville de Mazagran, tinrent tête pendant quatre jours consécutifs à plus de douze mille Arabes. Un de ceux-ci écrivait : « On s’est battu quatre jours et quatre nuits ; c’étaient quatre grands jours, car ils ne commençaient pas et ne finissaient pas au son du tambour ; c’étaient des jours noirs, car la fumée de la poudre obscurcissait les rayons du soleil, et les nuits étaient des nuits de feu, éclairées par les flammes des bivacs et par celle des amorces. »

Enfin, c’est au général Bugeaud, nommé gouverneur général en février 1841, qu’il était réservé de pacifier à peu près définitivement, après plusieurs années de nouveaux efforts, la colonie qui nous avait déjà coûté tant d’or et de sang. Il commença par la destruction des places d’armes de l’émir, Tagdempt, Bogliar, Thaza, Saïda, et lui enleva Mascara. En 1842, il s’empara de Sebdou, sa dernière place, et occupa la province de Titery. Le duc d’Aumale, en 1843, à l’affaire de Taguin, enleva la Smala. Bathna, Biskra, Dellys, furent occupés en 1844, et le Maroc, qui avait donné appui à l’émir, reçut son châtiment à Mogador et à la bataille de l’Isly. La paix, à la suite de ces succès réitérés, paraissait établie, lorsque, en 1845, Abd-el-Kader, rentré dans la province d’Oran, renouvelle ses tentatives, et les prédications de Bou-Maza soulèvent le Dahra. Cette insurrection est bientôt réprimée par les colonels Saint-Arnaud et Pélissier, pendant que le général Bedeau achève la soumission de l’Aurès.

C’est dans une de ces marches, que le colonel Pélissier, arrêté par les Ouled-Riah, qui s’étaient réfugiés dans des grottes inabordables, se vit réduit à la cruelle, mais impérieuse nécessité de faire allumer de grands feux devant l’ouverture de ces grottes. Cinq cents personnes, hommes, femmes, enfants, périrent dans cette circonstance ; action terrible, qui arrive aux dernières limites de ce que l’on a appelé les droits de la guerre, mais que, dans la situation où se trouvait le futur vainqueur de Sébastopol, réclamaient en quelque sorte la rapidité des ordres qu’il avait à exécuter et la sûreté des hommes qu’il commandait ; double but qu’il compromettait inévitablement en laissant sur ses derrières une tribu aussi fanatique et aussi belliqueuse que les Ouled-Riah. Ajoutons qu’il les fit sommer deux fois avant d’en venir à cette épouvantable extrémité.

Les différentes tribus qui avaient de nouveau accueilli l’émir furent châtiées, en 1846, et Abd-el-Kader, dépouillé de toute puissance et de tout prestige, fut définitivement rejeté dans le Maroc. En 1847 eut lieu l’expédition contre la grande Kabylie, dirigée par le maréchal Bugeaud, et à la fin de cette année, le 28 décembre, Abd-el-Kader se rendit au général Lamoricière. Après avoir vu la population civile s’accroître en 1848, par la fondation d’un certain nombre de colonies agricoles, l’Algérie ne fut plus le théâtre que de quelques expéditions secondaires : la destruction de Narah, en 1850 ; l’expédition contre la petite Kabylie, par le général St-Arnaud, en 1851 ; l’expédition du général Mac-Mahon ; la réduction définitive du Djurjura, par les généraux Camou et Pélissier ; la prise de Laghouat et la soumission d’Aïn Madhy, en 1852 ; la prise d’Ouargla, en 1853 ; la reddition de Tuggurt, en 1854 ; enfin la soumission définitive de la grande Kabylie, par le maréchal Randon, en 1857.

Organisation politique et administrative de l’Algérie. La première ordonnance un peu complète sur l’organisation de l’Algérie date de 1834 ; elle plaçait à la tête de la colonie un gouverneur général dépendant du ministère de la guerre, et à côté du gouverneur un conseil composé d’un intendant civil, du commandant de la marine, du procureur général, du directeur des finances, et d’un intendant militaire. En 1845, une nouvelle ordonnance divisa l’Algérie en trois zones : la zone civile soumise à administration civile ; la zone mixte, où l’autorité militaire remplissait les fonctions civiles ; la zone arabe, où le régime militaire était en vigueur.

La république de 1848 donna à l’Algérie le droit de se faire représenter dans nos assemblées, droit qui fut supprimé en 1852. Elle maintint d’ailleurs le gouvernement général et la suprématie de l’autorité militaire, représentée à Alger par un gouverneur militaire et à Paris par le ministère de la guerre. L’Algérie fut divisée en trois provinces, comprenant chacune une division, placée sous le commandement d’un général, et un département administré par un préfet. Préfets et généraux relevaient du gouverneur.

Cet état de choses dura jusqu’en 1858 ; à cette époque, un ministère nouveau et spécial fut créé pour l’Algérie ; le gouvernement général fut supprimé ; le ministre correspondait directement avec les préfets et les généraux. Cette disposition, qui retirait les affaires d’Algérie au ministère de la guerre, avait évidemment pour signification et pour but l’extension et la prédominance du pouvoir civil. Mais le ministère spécial se montra impuissant à remplir la tâche qui lui donnait une raison d’être ; il fut supprimé après une durée de deux ans, et ses attributions furent transmises, au gouvernement général reconstitué.

L’organisation municipale a son point de départ, en Algérie, dans une ordonnance du 28 septembre 1847. La république introduisit dans cette organisation le principe électif qui n’y est plus en vigueur depuis 1852. Les maires et adjoints sont à la nomination de l’empereur pour les communes importantes, et à la nomination du gouverneur pour celles d’une importance secondaire. Les conseillers municipaux sont nommés pour trois ans par le gouverneur. En territoire militaire, l’administration appartient au général commandant la division. La justice est rendue, en territoire civil, par une cour impériale, des tribunaux de première instance, des tribunaux de commerce, des juges de paix. En territoire militaire, il n’y a pour les crimes, délits et contraventions, d’autre juridiction que la juridiction militaire.

L’administration des indigènes, la branche la plus importante de l’administration, est confiée à des bureaux arabes, sous la direction et le contrôle des commandants supérieurs. Les bureaux arabes sont composés d’officiers désignés par le gouverneur ; ces officiers ne forment pas un corps spécial et ne subissent aucun examen d’entrée. Les bureaux arabes sont de première, de deuxième et de troisième classe. Il y a 11 bureaux de première classe, 21 bureaux de deuxième classe et 13 de troisième classe. Une direction des affaires arabes est placée à Alger auprès du gouverneur, et des bureaux divisionnaires sont institués au chef-lieu de chaque division. Les bureaux arabes sont composés de deux ou trois officiers et d’un interprète militaire. Ils sont dirigés, ceux de première classe par un capitaine, ceux de deuxième par un capitaine ou par un lieutenant, ceux de troisième par un lieutenant. Les interprètes militaires forment un corps spécial. Les bureaux arabes constituent l’administration supérieure des Arabes ; le détail est laissé aux chefs indigènes. Le pays est divisé en tribus commandées par des caïds ; une réunion de tribus forme un aghalik, et une réunion d’aghaliks, un bachaghalik, sous le commandement d’aghas et de bachaghas. Assistés par les chefs indigènes, les bureaux arabes surveillent les tribus, font dresser les rôles d’impôts, et assurent la perception des contributions ; ils rendent la justice dans un certain nombre de cas mal définis, interviennent officiellement et officieusement dans les relations entre Européens et indigènes, dirigent l’industrie et l’agriculture en pays arabe, surveillent l’instruction publique.

L’Algérie présente deux régimes distincts de la propriété. À côté de la propriété individuelle et divisée des Européens se trouve la propriété collective, ou plutôt l’usufruit collectif des tribus ou des fractions de tribus arabes. La constitution de la propriété arabe explique l’absence d’impôt foncier en Algérie. Les Arabes payent l’achour, le zekkat, le hockor et la lezma. L’achour est la dîme sur les céréales. Le hockor est le loyer de la terre ; il ne se paye pas partout. Le zekkat est l’impôt sur les troupeaux. La lezma est une sorte d’impôt sur le capital ; on ne l’applique qu’aux tribus du Sahara. Tous les impôts sont perçus en argent.

Les cultes professés par les habitants de l’Algérie sont : le culte musulman, le culte catholique, le culte protestant et le culte israélite. Les trois derniers sont dans les attributions du ministre des cultes. Le culte musulman reste placé dans les attributions de l’autorité supérieure algérienne.


Colonisation de l’Algérie. — C’est une opinion assez générale que les Français savent combattre, vaincre, conquérir, mais qu’ils sont dépourvus de ce qu’un phrénologue appellerait la faculté colonisatrice. L’Algérie est un des exemples qu’on cite volontiers à l’appui de cette opinion. On se demande si, en d’autres mains que les nôtres, elle n’eût pas offert le spectacle d’un progrès plus rapide et plus visible. « Le meilleur produit que nous ayons jusqu’à ce jour tiré du sol africain est notre armée d’Afrique, » a dit spirituellement M. A. de Broglie. Ce peu d’aptitude de la nation française à fonder des établissements coloniaux solides peut être attribué à bien des causes. D’abord, on fait jouer ici, comme en beaucoup d’autres questions, un grand rôle aux instincts et aux caractères primitifs qui distinguent les races. Ensuite, on n’a pas de peine à montrer que la France ne saurait fournir un essaim de colons comme l’Angleterre, parce que, chez nous, la propriété foncière est beaucoup plus morcelée, et que nos lois de succession, en partageant les immeubles du père de famille par portions égales entre tous ses enfants, tiennent les yeux et les pieds de nos plus pauvres paysans attachés à la terre où ils sont nés par l’espoir d’en avoir, un jour ou l’autre, quelque fragment. Enfin, on se rejette sur nos institutions, sur le peu de place qu’elles laissent à l’esprit d’association et à l’esprit municipal. Il est clair que notre organisation administrative, si savante, n’a pas contribué à développer chez nous la spontanéité, la responsabilité, l’initiative individuelles, si nécessaires aux colons ; qu’elle nous a habitués à compter peu sur nous-mêmes, et à remettre en partie aux mains de l’État le soin de nos intérêts et la détermination de nos droits ; qu’elle nous a fait une vie sociale réglée, disciplinée, toute unie, qui est devenue comme un climat nécessaire à notre tempérament.

À ces causes générales se joignent, pour expliquer le peu de succès de nos efforts colonisateurs en Algérie, les conditions peu favorables que nous y avons rencontrées.

Une première difficulté de la colonisation, c’est l’absence, en Algérie, d’un de ces produits spéciaux qui permettent à une colonie de se développer spontanément par le commerce. « En Algérie, dit avec raison M. A. de Broglie, point de cultures tropicales, point d’épices, point de mines d’or, partant point d’échanges préexistant entre la métropole et le territoire destiné à porter une colonie nouvelle, point de flux naturel des capitaux vers ce territoire. » Donc la colonisation doit être agricole ; au lieu de venir à la suite du commerce, elle doit appeler le commerce en Algérie ; c’est par l’immigration des hommes que tout doit commencer.

Les émigrants manquant en France, ou s’y trouvant en petit nombre, la colonisation est impossible faute de colons, si l’on ne se résigne pas à les demander au reste de l’Europe, en un mot à les prendre où ils se trouvent. Mais quel appât la terre d’Afrique offre-t-elle à l’émigration européenne ? Le régime économique et le régime politique actuels de l’Algérie sont-ils capables d’attirer les bras et les capitaux ?

Ici se présentent les deux grands obstacles qui s’opposent au développement de notre colonie. Le sol de l’Algérie n’est pas libre de toute occupation ; il appartient à une vieille société à demi civilisée qui le détient en le dévastant et qui ne laisse pas de place pour les émigrants ; une sorte de communisme féodal et barbare, jusqu’ici respecté par la conquête, confisque le territoire et ne permet pas à la propriété individuelle de le féconder. Constitution de la tribu arabe et de la propriété collective qui en est le lien économique, impossibilité de l’émigration européenne, sont deux faits connexes. Ajoutons que le domaine de chaque tribu n’étant pas déterminé par un titre régulier et positif de propriété, aucune transaction entre les Arabes et les Européens pouvant donner des terres à ces derniers, n’est à l’abri des fraudes et des revendications. Dans de telles conditions, on comprend qu’aucun progrès ne soit possible en Algérie. Une colonie où la propriété individuelle est une exception n’est pas viable. Donc, rien de possible, si l’on ne parvient pas à faire reculer et à briser peu à peu la propriété collective de manière à accorder une large place aux colons européens, et, avec le temps, à transformer en colons les Arabes eux-mêmes.

Si le sol algérien exerce une attraction médiocre sur les Européens, ce n’est pas seulement à la constitution de la société arabe qu’il faut s’en prendre, mais aussi au régime militaire que nous croyons devoir y maintenir. Ces mots régime militaire n’ont jamais signifié règne des lois, essor des libertés et des énergies individuelles ; au contraire, ils éveillent dans tout esprit les idées d’arbitraire et de compression : c’est une sorte d’épouvantail qui se dresse de l’autre côté de la Méditerranée et qui fait fuir les intérêts, comme des oiseaux effarouchés. Que la tribu arabe, tant qu’elle subsiste, relève à certains égards de l’autorité militaire, on le comprend ; mais ce que l’on comprend moins, c’est qu’il soit nécessaire d’étendre cette autorité aux Européens, et qu’on ne puisse avoir d’autres tribunaux à leur offrir que dés conseils de guerre. Comme l’esprit souffle où il veut, le capital va où il lui convient ; il se défie de l’excès de protection ; il se demande si l’on ne voudra pas le protéger contre lui-même, c’est-à-dire le diriger ; les règlements et les formalités l’impatientent, et dans les précautions mêmes qu’on prend de sa sécurité, il trouve des entraves. L’Algérie est une plante de serre chaude, bien maigre : elle n’a pas encore porté de fruits : le soin qu’on met à l’empêcher de croître à l’air libre et au grand soleil est-il bien capable de lui donner de la vigueur….. ?

En résumé, délimiter en la restreignant la propriété collective arabe, et préparer, favoriser sa transformation en propriété individuelle ; offrir sur la terre d’Afrique aux émigrants des garanties judiciaires et des libertés municipales, c’est-à-dire les premières conditions de toute vie civile : telles sont les deux questions capitales de la colonisation algérienne. Le sénatus-consulte de 1863, relatif à la constitution de la propriété en Algérie, montre que le gouvernement français a compris toute l’importance de la première ; qu’il nous soit permis d’appeler son attention sur la seconde.