Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Atta-troll (heine)

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 3p. 885).

Atta-Troll, poëme de Henri Heine, qui parut en "1847. À l’époque où cette œuvre fut écrite.

teur dans sa préface, avaient reçu l’injonction formelle de ne plus rester, désormais, insouciantes et paresseuses, et d’entrei » au service de la patrie à titre de vivandières de la nationalité germanique.. :’Par les dieux immortels ! il s’agissait de défendre les droits imprescriptibles de l’esprit, l’autonomie de l’art, l’indépendance souveraine de la poésie. Comme

cette défense a été la grande affaire de ma vie, je l’ai perdue de vue moins que jamais dans Atta-Troll. Par le fond et par la forme, ce poème était une protestation contre les plébiscités des tribuns du jour, et, dans le fait, à peine mes austères Romains en connurentils quelques traits que leur bile s’en émut singulièrement. On m’accusa, non-seulement de

tenter une réaction littéraire, mais encore de railler les plus saintes conquêtes du progrès social…’Mais tu mens, Brutus ; tu mens, Cassius ; tu mens, Asinius, quand vous prétendez que ma raillerie atteint ces idées, qui sont le plus précieux héritage de l’humanité, et pour lesquelles j’ai moi-même tant combattu et tant souffert 1 Non ; si le rire saisit irrésistiblement le poste, c’est quand il compare ces idées qui planent devant lui dans toute leur grandeur et leur clarté splewiide, avec les (ormes lourdes et grossières dont les affublent ses contemporains tudesques : il raille alors, pour ainsi dire, la peau d’ours de Ces idées. Il y a des’miroirs doïit la glace est taillée à facettes si obliques qu’Apollon même y serait ridicule, nous rions alors de la caricature, et non pas du dieu, ■

Atta-Troll est un poemé étrange, écrit en dehors dé toute règle, dans le genre capricieux et fantasque dé l’école romantique, et cependant, de même que Namouna d’Alfred de Musset, cette boutade humoristique est une des meilleures productions du poëte.

Atta-Troll, ours misanthrope, et sa compagne, la noire Munnua, dansent, sous le fouet d’un ancien carliste, montreur de bétes, à Cauterets, petite bourgade des Pyrénées. Atta-Troll rompt sa chaîne et s’enfuit vers, la montagne, ingénieuse allégorie de la démocratie allemande. Là, le vieil ours exhale ainsi sa haine contre le genre humain : • Hommes, pourquoi valez-vous mieux que nous ? Vous portez haut la tète, il est vrai ; mais il rampe dans ces têtes de bien basses pensées.-Hommes, valez-vous mieux que nous parce

que votre peau est lisse et unie ? vous partagez cet avantage avec les serpents. » Plus loin, il expose ainsi ses doctrines égalitaires : « Que l’égalité parfaite soit la loi fondamentale ; toutes les créatures de Dieu seront égales sans distinction de croyances, de pelages et d’odeurs. La stricte égalité. Que tout âne puisse parvenir à la plus haute fonction de l’État ; que le lion, en revanche, porte le sac au moulin. Plus d’un vertueux citoyen sent mauvais ici-bas, pendant que les valets des princes sont parfumés de lavande et d’ambre. » "u-Troll fait jurer à son fils, le jeune Une-

Oreille,

tla lune éclaire ce

leiix misanthropes. » Opendai

, en compagnie du pâle Lascaro,

e hu-

la sorcière U rak ; i, où il

dépeint, sous les couleurs les plus brillantes, la vision de la chasse maudite. Enfin, l’ours tombe sous le plomb vengeur de Lascaro ; « Mumnia fut son dernier soupir. » La légende se termine par cette belle épitaphe:• Atta-Troll, ours sans-culotte, égaiitaire, sauvage. Epoux estimable, esprit sérieux, âme religieuse, haïssant la frivolité. Dansant mal cependant ! portant la vertu dans sa velue poitrine. Quelquefois aussi ayant pué. Pas de talent, mais un caractère. »

(Vest Henri Heine lui-même qui nous a doi.né la traduction de ce beau poëme, et cette traduction n’est pas le moindre de ses titres à la renommée littéraire qu’il a conquise en France aussi bien qu’en Allemagne. Il rend presque toujours juste la pensée originale ; son langage est ferme et concis; et, à part quelques tâtonnements, quelques germanismes, on peut le placer à côté des étrangers qui ont le plus purement écrit dans notre langue. Heine, qui avait été salué du nom glorieux de chef de la jeune Allemagne, s’était donc mis tout à’ eoup a faire la caricature des hommes de son parti. Il fut accusé d’apostasie, bien qu’au fond il n’ait entendu jeter le ridicule que sur la maladresse et la gaucherie avec lesquelles ses compatriotes se faisaient les défenseurs des idées modernes.