Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BEUGNOT (Arthur-Auguste, comte), fils du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 2p. 657).

BEUGNOT (Arthur-Auguste, comte), fils du précédent, né à Bar-sur-Aube en 1797, mort en 1865. Il fut quelque temps avocat à la cour impériale de Paris ; mais il se livra bientôt presque entièrement aux travaux d’érudition. Le sujet de son premier ouvrage, qu’il fit paraître sous le titre de : Institutions de saint Louis (1821), avait été mis au concours par l’Institut. M. Beugnot obtint le premier prix, qui fut partagé entre lui et M. Mignet. Dans ce travail, M. Beugnot a assez bien mis en lumière, non-seulement les ordonnances relatives au gouvernement politique, aux rapports de l’Église avec l’État, mais encore les règlements concernant l’industrie, l’agriculture, le commerce et les monnaies. Deux ans après, en 1823, M. Beugnot publia un volume sur l’État civil, le commerce et la littérature des Juifs en France, en Espagne et en Italie, pendant le moyen âge, sujet également mis au concours par l’Institut. Historien impartial, M. Beugnot constate les services rendus aux sciences et au commerce par la nation juive ; il fait en même temps ressortir ses torts et les reproches qu’elle dut encourir, lorsqu’une longue persécution eut tari en elle la source des vertus. Dans son troisième ouvrage, publié en 1828 et intitulé : Cérémonies symboliques usitées dans l’ancienne jurisprudence française, M. Beugnot a fait pour la France ce qu’Hoffmann, Hantzel et Dunge ont fait pour l’Allemagne, et, en 1832, il entrait à l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Trois ans après, il publiait en deux volumes une Histoire de la destruction du paganisme en Occident. Ce travail, qui était le développement et le complément d’un Mémoire couronné par l’Institut sur le même sujet, embrasse la période historique comprise entre Constantin et Charlemagne, et qui sert de démarcation entre la société ancienne et la société moderne. M. Beugnot fut ensuite chargé par l’Institut de surveiller la publication du recueil des historiens des croisades. Les deux premiers volumes, publiés en 1840 et 1843, sur les Assises de Jérusalem, ont été revisés sur les textes et annotés de sa main. En 1839, M. Cousin, ministre de l’instruction publique, le chargea également de diriger la publication des arrêts du parlement de Paris, contenus dans 9,850 volumes enfouis aux Archives. De 1840 à 1848, M. Beugnot livra à l’impression trois volumes in-4o contenant les arrêts rendus depuis saint Louis jusqu’à Philippe le Long. Cette collection est connue sous la dénomination d’Olim. La science historique doit encore à M. Beugnot plusieurs autres ouvrages, tels que les Coutumes du Beauvoisis, (1842), qui font partie des publications de la Société de l’histoire de France ; un Mémoire sur la spoliation du clergé attribuée à Charles Martel, dans lequel M. Beugnot a cru démontrer la fausseté d’une tradition historique, néanmoins généralement accréditée ; une Vie de M. Becquey, un résumé de l’histoire de la Restauration ; enfin, trois Mémoires sur l’origine et le développement des municipalités rurales en France, publiés par le Journal des savants.

En 1841, M. Beugnot fut appelé à la pairie. Pendant sept ans qu’il en fit partie, il fut assurément l’un des membres les plus laborieux de la Chambre. Il prit part à toutes les discussions économiques, financières et d’organisation sociale, et quatre fois il fut rapporteur du budget, en 1843, 1844, 1845 et 1847. Il s’y montra surtout, avec M. de Montalembert, l’un des grands champions de la liberté d’enseignement et des congrégations religieuses. À ce sujet, il publia, en 1845, une brochure intitulée : l’État théologien, dans laquelle il combattait la prétention de l’État à se faire juge des doctrines religieuses, et à se porter comme arbitre entre ce qu’on appelait alors l’ultramontanisme et le gallicanisme. Après la révolution de Février, M. Beugnot ne déserta pas la vie politique, et il ne tarda pas à devenir un des chefs de la réaction. Néanmoins, il est juste de dire que, comme écrivain politique, il ne ménagea pas plus la vérité à son parti qu’à ses adversaires : deux écrits qu’il publia à cette époque en fournissent la preuve. Si, dans le premier, intitulé : Des doctrines antisociales, il malmenait durement les doctrines socialistes et communistes, dans le second, intitulé : Avis aux honnêtes gens sur leurs erreurs et leurs devoirs, il appréciait très-sévèrement la conduite politique des classes éclairées. Adversaire énergique de l’esprit révolutionnaire, M. Beugnot voulait se prémunir contre ce qu’il appelait la domination de Paris, et lui opposer le contre-poids des populations rurales. Il n’était pas cependant grand partisan du suffrage universel, dont il ne pensait pas qu’il pût sortir autre chose que la dictature d’un seul ou la dictature d’une assemblée. Il croyait, de plus, à la longue durée de cette dictature. « On prétend, disait-il, que la dictature ne pourra être autre chose qu’un expédient momentané. Gardons-nous d’une telle confiance. Quand une nation a expérimenté toutes les formes de gouvernement connues sans se fixer sur aucune, elle en arrive à se dégoûter des plus sages lois et des meilleures institutions, à douter d’elle-même et, par suite, à abdiquer. Le pouvoir absolu qui s’établit alors est toujours d’un maniement facile et d’une longue durée. » Il faut reconnaître que ces paroles annonçaient une singulière clairvoyance politique.

Envoyé à l’Assemblée législative par les électeurs de la Haute-Marne, M. Beugnot y vota toutes les mesures restrictives des libertés publiques, l’expédition de Rome, la loi du 31 mai, qui portait atteinte au suffrage universel, et combattit vivement le rappel de cette loi. Lorsque la majorité de la Législative se fut divisée, aucune des fractions de cette majorité ne put revendiquer M. Beugnot comme lui appartenant. Il entendit se tenir à l’écart de tout engagement de parti, croyant que ce qu’il y avait de plus sage à faire, c’était de maintenir le plus longtemps possible la bonne harmonie entre la Chambre et le président, d’éviter les questions de nature à amener des conflits, et de rechercher tous les expédients qui pouvaient opérer un rapprochement. C’est dans cet esprit que M. Beugnot s’associa aux divers votes ayant pour but de demander la révision de la Constitution de 1848 ; mais il ne faisait appel qu’à la légalité et répudiait toute mesure de violence. Dans cette assemblée, M. Beugnot fut le rapporteur de la loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement, connue sous le nom de loi Falloux. Son rapport est, à juste titre, considéré comme l’un des monuments les plus complets qui existent sur la question. Le rôle rempli par M. Beugnot cinq ans auparavant dans la Chambre des pairs indiquait d’avance tout ce que les congrégations religieuses avaient à attendre de lui. « Les membres des congrégations religieuses non reconnues par l’État, disait-il, pourront-ils ouvrir et diriger des établissements d’instruction secondaire ou y professer ? La réponse ne peut être douteuse. Nous réglons l’exercice d’un droit public, à la jouissance duquel sont appelés tous les citoyens sans autre exception que ceux dont l’immoralité a été déclarée par arrêt de justice. La République n’interdit qu’aux ignorants et aux indignes le droit d’enseigner. Elle ne connaît les corporations, ni pour les gêner, ni pour les protéger. Ainsi, nul doute que les membres des associations religieuses non reconnues, qui ne sont que des citoyens auxquels nul n’a le droit de demander ce qu’ils sont devant Dieu, jouiront de la faculté d’enseigner, parce que cette faculté est un droit civil, et qu’ils possèdent des qualités de ce genre. » C’est donc, en grande partie, à M. Beugnot que sont dus tous les collèges de jésuites et toutes les institutions d’enseignement secondaire dirigés par des congrégations religieuses qui existent aujourd’hui. Toutefois, le système d’enseignement dont M. Beugnot a été l’ardent champion a subi des modifications assez profondes, d’abord pendant la période dictatoriale qui suivit le coup d’État du 2 décembre, ensuite par la loi de 1855.

Dans les luttes qui, après la défaite et l’épuration de la minorité démocratique de l’Assemblée législative, s’étaient engagées entre la majorité conservatrice et le gouvernement, M. Beugnot avait pris une attitude neutre, et ses votes dans les questions de ce genre ne permettaient pas de le classer parmi ce qu’on appelait alors les partisans de l’Élysée. Néanmoins, après le coup d’État, son nom fut inscrit, sans qu’il en eût été prévenu, sur une liste de cent cinquante députés choisis pour assister de leurs lumières le pouvoir dictatorial. M. Beugnot demanda la radiation de son nom, et se présenta aux portes de l’Assemblée pour essayer de remplir son mandat. Le suffrage universel ayant consacré la suspension des libertés publiques et l’attribution des pouvoirs constituants entre les mains du prince Louis-Napoléon, M. Beugnot rentra dans la vie privée, et résista aux plus vives sollicitations de servir le gouvernement nouveau, qui devait plus d’une fois, dans la suite, réclamer son concours.

Une telle détermination chez un homme qui avait combattu l’esprit révolutionnaire dans toutes ses manifestations pendant quatre ans, et qui s’était rangé parmi les membres les plus résolus et les plus fermes du parti conservateur, causa une certaine surprise. Voici à cet égard les explications données par un de ses amis politiques, le comte Daru : « Il ne voulait pas que les peuples fussent sans frein, mais il ne voulait pas non plus qu’ils fussent sans droits. »

M. le comte Beugnot avait, dans sa jeunesse, un instant fréquenté le barreau. Il était au nombre des défenseurs des accusés du complot de Belfort, et il eut le bonheur de faire acquitter son client.

Outre les ouvrages de lui que nous avons déjà mentionnés, nous citerons les suivants : les Olim ou Registres des arrêts rendus par la cour du roi sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Louis le Hutin et de Philippe le Long (Paris, 1839-1848, 3 vol. in-4o), dans la collection des documents inédits sur l’histoire de France : l’État théologien (1845, in-18) ; Réflexions sur les doctrines antisociales et leurs conséquences (1849, in-8o) ; Mémoire sur le régime des terres dans les principautés fondées en Syrie par les Francs, à la suite des croisades (1854, in-8o).