Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BONAPARTE (Louis), troisième frère de Napoléon

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 951-952).

BONAPARTE (Louis), troisième frère de Napoléon, né à Ajaccio le 4 septembre 1778. Après avoir suivi à Marseille sa famille expulsée par Paoli, il fut envoyé à l’école de Châlons pour y subir l’examen nécessaire pour entrer dans l’artillerie. Sur la fausse nouvelle du licenciement de cette école, il retourna près de sa mère ; mais son frère, qui venait d’être nommé général, l’attacha à sa personne avec le grade de sous-lieutenant, et lui fit faire ses premières armes à la prise d’Oneille et au combat de Cairo. Placé comme lieutenant dans une compagnie de canonniers volontaires, il fut détaché à l’école de Châlons, et presque aussitôt rappelé par son frère, qui l’emmena en Italie. Là, il se distingua au passage du Pô et au pont d’Arcole. Ce fut lui qui porta la nouvelle de la paix de Campo-Formio à Paris, d’où, afin de l’arracher à une passion naissante pour la fille d’un émigré, Napoléon l’emmena en Égypte. Renvoyé en France pour demander des renforts, il n’avait encore rien pu obtenir, lorsque son frère débarqua à Fréjus. L’ayant secondé au 18 brumaire, il reçut les épaulettes de colonel ; toutefois, il se rendit en Prusse, afin de ne pas être contraint à épouser Hortense de Beauharnais. Une seconde fois il évita cette union en partant pour l’expédition de Portugal ; mais, cédant enfin aux sollicitations de Mme  Bonaparte, il se maria le 4 janvier 1802, malgré lui, pour obtenir la tranquillité. Parvenu, en 1804, au grade de général de division, nommé conseiller d’État à la section de législation, il reçut, après l’établissement de l’empire, le titre de prince et celui de connétable, enterré dans un oubli de deux siècles ; puis remplaça Murat dans le commandement de la garnison de Paris, à la condition de ne s’occuper que des affaires militaires. Son activité à organiser une armée destinée à protéger le nord de la France lui valut de l’empereur des témoignages publics de satisfaction. Une autre distinction onéreuse l’attendait : il fut placé, malgré lui, par son frère, sur le trône de Hollande le 5 juin 1806. Aimé du peuple, quoique au début il eût trop favorisé les Français, il s’attacha aux Hollandais et manda à l’empereur qu’il abdiquerait si la France ne rendait à la Hollande ce qu’elle lui devait, si on laissait à sa charge l’entretien des troupes françaises, et si on ne lui permettait pas de diminuer les armements. Napoléon céda, et Louis, faisant habilement revenir sa flottille de Boulogne, prit ses précautions pour se suffire à lui-même au besoin. À la tête d’un corps de 15, 000 hommes, il marcha contre les Prussiens et leur prit Munster, Osnabruck et Paderborn, bloqua les places fortes de Hameln et de Nieubourg, et occupa Rinteln. Blessé d’un ordre de l’empereur, qui lui enjoignait de s’emparer du Hanovre, il refusa d’obéir et rentra à La Haye. Le décret du 21 novembre 1806 relatif au blocus des îles Britanniques étant un arrêt de ruine pour ses sujets, il l’éluda d’abord, puis ferma ses ports à tous les vaisseaux sans exception. Louis se consacra alors au bonheur de ses peuples ; il fit rédiger un code civil et criminel, régularisa les contributions que les exigences de la France l’avaient obligé d’établir, le cadastre, les finances, créa une direction des beaux-arts et un institut des sciences et des arts, et ouvrit une grande exposition des produits de l’industrie nationale. Il créa en même temps l’ordre de l’Union et du Mérite. Accablé de la perte de son fils aîné Louis, enlevé par le croup, il alla passer deux mois dans les Pyrénées, puis, après être resté quelque temps à Utrecht, il choisit en 1808 pour capitale de la Hollande la ville d’Amsterdam.

Pendant ce temps, les relations entre les deux frères s’aigrirent par suite des exigences de l’empereur, qui ne ménageait pas l’amour-propre de Louis, et le forçait même à rapporter ses lois. Néanmoins Louis, dont le fils Napoléon-Louis venait d’être investi du titre de grand-duc de Clèves et de Berg, à la première nouvelle du débarquement des Anglais dans l’île de Valcheren, marcha contre eux afin de protéger Anvers, lorsque Bernadotte arriva pour lui ravir le commandement. Comprenant que Napoléon avait l’intention d’envahir la Hollande, Louis ne se rendit qu’avec peine au congrès des rois alliés formé par l’empereur en décembre 1809. Ayant soutenu avec force les intérêts de son pays contre son frère, qui ne prenait plus la peine de dissimuler ses projets, il se vit l’objet d’une surveillance active. L’empereur, apprenant qu’en dépit de sa police Louis avait réussi à faire passer en Hollande l’ordre de défendre les lignes à l’aide de la marine et des inondations, entra en fureur et lui donna le choix entre décommander les travaux ou renoncer au trône. Louis céda, espérant s’échapper nuitamment ; mais il était gardé à vue par la gendarmerie. Après quatre mois de luttes, il fut obligé de signer un traité qui lui interdisait tout commerce avec l’Angleterre, lui imposait des troupes et des douanes françaises pour veiller à l’exécution de ce traité, et lui arrachait la cession, en faveur de l’empereur, du Brabant hollandais, de la Zélande, y compris l’île de Schourren, et de plusieurs autres lieux importants. Alors seulement il put retourner dans ses États.

Une querelle futile entre un bourgeois d’Amsterdam et le cocher de l’ambassadeur français servit de prétexte à une si violente missive de l’empereur que Louis, voyant ses ministres reculer devant le projet d’inonder la capitale plutôt que de se rendre, abdiqua le 1er  juillet 1810 en faveur de son fils, sous la régence de sa mère, assistée d’un conseil de régence. L’armée française entra le 4 à Amsterdam, mais Louis s’était déjà réfugié en Bohême, aux bains de Tœplitz, sous le titre de comte de Saint-Leu, qu’il conserva depuis. À la nouvelle de la réunion de la Hollande à l’Empire français, Louis protesta entre les mains des empereurs d’Autriche et de Russie, puis il partit pour Grœtz, d’où il offrit ses services à l’empereur lors du désastre de Russie. Espérant recouvrer son trône, il essaya d’intéresser l’Autriche en sa faveur, et passa en Suisse pour mieux suivre les événements. Après la bataille de Leipzig, au lieu d’écouter Murat, qui lui conseillait de solliciter l’appui des alliés, il réclama son trône à Napoléon par une lettre, qui ne le précédait que de quelques heures. Il fut averti en route que l’empereur refusait de le recevoir, et il trouva sa réponse en Suisse. À aucun prix Napoléon ne consentait à sa restauration ; il lui permettait de l’essayer par les armes. Se retournant alors du côté de ses anciens sujets, il apprit qu’ils traitaient avec la maison d’Orange, sans avoir même prononcé son nom.

Retiré à Soleure, d’où il dut sortir en décembre 1813, il se rendit à Paris, où il eut deux entrevues très-froides avec l’empereur : Ce dernier ne suivit pas ses conseils réitérés de faire la paix, et fut obligé d’abdiquer. Louis accompagna Marie-Louise à Blois, et se retira à Lausanne. Apprenant alors que Louis XVIII avait érigé en duché la terre de Saint-Leu, et que le traité de Fontainebleau garantissait à la famille impériale une rente de 2,500,000 fr., il fit insérer une protestation dans le journal d’Aarau, et se rendit à Rome. Là il força juridiquement sa femme à lui remettre son fils aîné, et se sépara d’elle. Bien qu’il eût résisté à toutes les instances de rapprochement pendant les Cent-Jours, il fut, comme les autres membres de sa famille, frappé par la loi d’exil du 12 janvier 1816. Il se retira à Florence avec l’autorisation du grand-duc de Toscane. En 1830, il se rencontra à Bolsena avec sa femme, qui s’inquiétait, comme lui, de l’avenir de leurs enfants. La mort de son second fils, en 1831, ébranla profondément sa santé, à laquelle la captivité de son fils à Ham, après les affaires de Strasbourg et de Boulogne, porta le dernier coup. Il écrivit alors aux différents ministres de Louis-Philippe pour obtenir l’autorisation d’embrasser son fils ; mais le prince captif refusa les garanties que l’on exigeait de lui. Après l’évasion de Ham, Louis partit pour Livourne, n’ayant pas perdu tout espoir ; mais le ministère anglais refusa un passe-port à celui qui est aujourd’hui Napoléon III, et priva ainsi le roi Louis de la dernière joie qu’il se promettait. Ce fut le coup de grâce ; Louis n’y survécut pas. Frappé d’une attaque d’apoplexie le 24 juillet 1846, il s’éteignit doucement le lendemain, loin de sa patrie et de sa famille. L’année suivante son corps fut transporté à Saint-Leu.

Il avait eu de son mariage avec Hortense de Beauharnais trois fils : Napoléon-Charles, né à Paris le 10 octobre 1802, mort à La Haye le 5 mai 1806 ; Napoléon-Louis, né à Paris le 11 octobre 1804, mort à Forli le 17 mars 1831 ; Charles-Louis-Napoléon, l’empereur actuel des Français.

Philosophe, méprisant le faste, ami des lettres, ne désirant qu’une vie tranquille, Louis Bonaparte, porté au trône malgré lui, n’eut qu’une ambition, celle de régner dans le calme, en faisant le bonheur de ses sujets. Les circonstances ne permirent pas la réalisation de ces projets bienveillants pour la Hollande, et il fut aussi malheureux roi que malheureux époux. Le plus beau titre de gloire de Louis aux yeux de l’histoire, c’est de n’avoir pas hésité à lutter contre la volonté de son frère, une fois qu’il fut monté sur le trône. Devenu Hollandais de cœur, il maintint les droits de ses sujets et, par dévouement pour leurs intérêts, perdit l’affection presque paternelle que l’empereur lui avait toujours témoignée. Napoléon se souvenait de lui avoir donné des leçons ; il le regardait comme l’enfant de ses œuvres, et il ne put le voir sans une vive irritation résister à sa volonté puissante, devant laquelle se courbaient les plus puissants monarques. Louis, certain de marcher dans la voie de l’équité, refusa de suivre la route que l’empereur voulait lui tracer, et, regardant la Hollande comme un dépôt que la Providence lui avait confié par l’intermédiaire de son frère, désira rendre ce dépôt non-seulement intact, mais encore amélioré. C’était la politique d’un homme de cœur ; mais c’était moins du cœur qu’une obéissance passive que Napoléon exigeait de ses frères. Néanmoins, dans son testament, l’empereur, entraîné par son ancienne sympathie, fit passer les enfants de Louis avant ceux de Lucien et de Joseph dans l’ordre de sa succession.

Le roi Louis a laissé quelques ouvrages : Marie ou les Peines de l’amour (1808), peinture exacte des mœurs hollandaises ; des Odes en 1813 ; un Mémoire sur la versification, dans lequel il propose la substitution des vers rhythmiques aux vers rimés. Il ajoutait, comme essai : Ruth et Noémi, opéra ; Lucrèce, tragédie, et l’Avare, de Molière, mis en vers ; Histoire du parlement anglais depuis son origine jusqu’à l’an VII, avec des notes par Napoléon (1820) ; Documents historiques et réflexions sur le gouvernement de la Hollande (1820), livre que Napoléon Ier, dans son testament, a appelé « un libelle plein d’assertions fausses et de pièces falsifiées » ; Réponse à Walter Scott sur son histoire de Napoléon (1828) ; Nouveau recueil de poésies (1828) ; Observations sur l’histoire de Napoléon de M. de Norvins (1834).

Bonaparte (PORTRAITS DE LOUIS). Gérard a exécuté un portrait du roi de Hollande, en 1800 ; Cartellier a fait un buste de ce prince, en 1806, et une statue qui le représente en costume de connétable et qui a été exposée en 1810. Ces trois ouvrages ornent les galeries historiques de Versailles.