Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLEMAGNE, roi des Francs, empereur d’Occident, fils de Pépin le Bref et de Bertrade

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1000-1003).

CHARLEMAGNE (de Carolus Magnus, Charles le Grand, ou, suivant quelques-uns, du tudesque karl-mann, l’homme fort), roi des Francs, empereur d’Occident, fils de Pépin le Bref et de Bertrade, né en Germanie, peut-être au château de Saltzbourg (Bavière), en 742, mort à Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814. Il fut couronné roi à la mort de Pépin (768), conjointement avec son frère Carloman, qui mourut en 771 et le laissa seul maître de l'empire des Francs. Il avait inauguré son règne par la soumission de l’Aquitaine, continuellement révoltée contre la suzeraineté franque. En 772, il commença sa longue guerre contre les tribus saxonnes, motivée, à ce qu’on rapporte, par les invasions de ces barbares et par leurs persécutions contre les missionnaires chrétiens, mais plus vraisemblablement par la violente antipathie des races franque et saxonne, dont les dernières, idolâtres, barbares, libres et indomptées dans leurs marches et leurs vastes forêts, avaient horreur de l’organisation et des mœurs nouvelles des Francs, disciplinés par la civilisation gallo-romaine et l’influence ecclésiastique. Charlemagne entreprit de les soumettre et de propager l’Évangile dans ces contrées, mais violemment, suivant les mœurs de son temps, et à peu près comme les Arabes propageaient le Coran. Dans une première expédition, il porta ses ravages jusqu’au principal sanctuaire des Saxons et brisa leur symbole national, l’Hermen-Saül (ou Irmensul), statue sacrée de la patrie, d’un dieu ou du vieux héros germanique Arminius. En 775, il dut préparer une nouvelle expédition, franchit le Rhin, le Weser, dévastant tout le pays sur son passage, pénétra jusqu’aux sources de la Lippe, reçut la soumission d’un grand nombre de peuplades, et baptisa les vaincus par milliers. Mais les fugitifs, les guerriers échappés au carnage, reviennent bientôt sous la conduite du fameux chef westphalien Witikind, attaquent les Francs, et, malgré des échecs multipliés, persistent dans leur résistance héroïque, vont se reformer dans leurs forêts et préparer de nouvelles révoltes et de nouvelles expéditions. Cette guerre dura ainsi plus de trente années. Précédemment, en 773 et 774, le roi des Francs avait terminé ses longues querelles avec son beau-père Didier, roi des Lombards, en descendant en Italie à la tête d’une armée et en se faisant couronner lui-même roi des Lombards. Il alla ensuite passer les fêtes de Pâques à Rome, où le pape Adrien le reçut triomphalement, et où il renouvela, dit-on, les donations de Pépin, en les augmentant même de pays qui n’étaient point sous sa suzeraineté. En 778, Charles fit une incursion en Espagne, à la faveur des divisions des chefs arabes. Il rasa Pampelune, menaça Saragosse, et soumit au tribut quelques walis ou gouverneurs musulmans ; mais, attaqué à son retour par les Vascons des Pyrénées, il vit son arrière-garde massacrée à Roncevaux, où périt le brave Roland, si fameux dans les poèmes du moyen âge. L’année suivante fut plus glorieuse ; il retourna dompter une nouvelle révolte des Saxons, les écrasa à Buckholz, et crut achever leur soumission en les décimant et en les livrant à une armée de prêtres, qui les soulevaient par leurs mesures inquisitoriales. C’est à cette époque que le roi des Francs, en vue d’organiser sa conquête, fonda en Saxe ces évêchés, ces riches et puissantes prélatures qui, pendant plus de dix siècles, furent investies de presque tous les droits de souveraineté. Mais ces mesures d’ordre étaient impuissantes contre l’héroïque obstination des vaincus. En 782, l’indomptable Witikind descendit du Danemark, son asile habituel, souleva toute la jeunesse saxonne, massacra les prêtres chrétiens et les garnisons franques ; écrasa les lieutenants de Charlemagne au combat sanglant de la Vallée du soleil, et retourna vers le Nord avec une partie de ses intrépides complices avant que la grande armée franque eût franchi le Rhin. Cette fois, le roi fut implacable ; il brûla, ravagea le pays, et fit décapiter en un seul jour, à Verden, 4,500 guerriers saxons. Ceux qui essayèrent de les venger furent eux-mêmes-massacrés en divers combats, et traqués comme des bêtes fauves à travers les marais glacés de la Saxe septentrionale. Tout le pays fut inondé de sang et dévasté par la flamme et le fer ; La Saxe épuisée s’affaissa aux pieds de son vainqueur, qui ne dédaigna point, au milieu de son triomphe, d’apaiser par d’habiles négociations leredoutable Witikind, maître encore de quelques cantons du Nord, et qui consentit enfin à désarmer et à recevoir le baptême, avec le roi des Francs pour parrain. Les vaincus, d’ailleurs, furent accablés, leurs institutions nationales détruites, et un capitulaire de 785 punit de mort ceux, d’entre eux qui refuseraient le baptême, enfreindraient le carême ou brûleraient leurs morts au lieu de les enterrer.

Pour contenir le midi de la Gaule, Charles avait formé de l’Aquitaine un royaume sous le sceptre de son fils Louis, encore en bas âge, mais entouré de conseillers et de chefs dévoués, en même temps qu’il établissait en Italie un autre de ses fils, Pépin. L’administration de ces royaumes vassaux fut calquée sur celle de la Gaule franque, et elle assura sa domination en complétant son système politique. Toutefois, les Arabes débordèrent plus d'une fois encore de l’Espagne et obtinrent même quelques succès partiels jusque sous les murs de Toulouse.

En 786-787, après avoir réprimé une conjuration des grands contre sa personne, Charlemagne acheva la soumission de l’Italie, à l’exception du duché lombard de Bénévent, soumis d’ailleurs au tribut. Il entreprit ensuite de réduire Tassillon, duc de Bavière et son vassal, qui s’entendait avec tous les ennemis de l’empire, Slaves, Avares, Saxons, Grecs, lombards, Sarrasins, etc. Accablé par trois armées et vaincu sans combat, puis condamné comme traître dans l’assemblée d’Ingelheim (788) le duc fut rasé et enfermé au monastère de Jumièges ; la Bavière, comme la Thuringe, la Saxe et une grande partie de la Germanie, disparut comme nation et se fondit dans la monarchie franque, dont le chef puissant étendit bientôt sa domination sur les belliqueuses tribus slaves de la Baltique, entre l’Elbe et la Vistule, et qui furent subjuguées en une seule campagne (789). Un ennemi plus redoutable se présenta, les hideux Avares, barbares de race hunnique, appelés précédemment par Tassillon, et qui, malgré sa défaite, avaient envahi la Bavière et la marche de Frioul. Pour arrêter leurs entreprises, il ne fallut pas moins qu’une guerre portée directement dans leurs foyers, guerre pleine de grandeur et qui, plus encore que toutes celles du règne de Charlemagne, a le caractère du grand combat de la civilisation contre la barbarie. Ces peuplades sauvages, l’horreur et l’effroi de l’Europe, étaient retranchées dans les marais de la Pannonie, entre la Theiss et le Danube ; leur camp était un prodigieux entassement de villages de bois semés dans les intervalles de neuf enceintes circulaires formées de haies d’arbres entrelacés et de blocs de pierre ; au centre, tout au fond de ce formidable repaire, s’élevait la demeure du khacan, le ring, où étaient entassées les rapines de plusieurs siècles, les dépouilles des peuples. Cette cité inexpugnable des Huns n’avait pas moins de quinze lieues de tour. Charles marcha contre les Avares avec trois armées (791) et dévasta le pays sans parvenir à rencontrer en bataille ces insaisissables cavaliers ; il emporta cependant la première des enceintes, mais son armée s’épuisa dans les pâturages déserts et les terres noyées de la Pannonie, et il dut renoncer pour cette campagne à une attaque décisive du ring. Son fils Pépin eut la gloire de terminer cette guerre en 796 ; il força les neuf cercles et enleva cet entassement de trésors qui étaient comme l’âme de ce peuple et le talisman de sa nationalité. La civilisation s’enrichit à son tour des dépouilles de la barbarie. Les Huns, malgré quelques vains efforts qui n’étaient plus que les convulsions de l’agonie, ne se relevèrent jamais de cette mémorable défaite, et l’Europe fut délivrée d’un péril permanent. Pendant la guerre des Avares, les indomptables Saxons tentèrent encore de secouer le joug. Le roi des Francs entreprit cette fois de dépeupler la Saxe, puisqu’il ne pouvait vaincre son opiniâtre résistance. Il déporta la partie la plus énergique du peuple en divers cantons chrétiens de la Gaule et de la Germanie, de la même manière.que les Babyloniens et les Perses avaient affaibli la nationalité juive, et éteignit ainsi l’un des plus redoutables foyers que la barbarie eût conservée en Europe. Toutefois, la Saxe ne fut complètement pacifiée qu’en 804, au prix de nouvelles rigueurs et de nouvelles déportations. On compte encore sous le règne de Charlemagne queiques guerres de moindre importance, contre les Bretons, les Maures, les Bohèmes, les Slaves, etc. M.Guizot porte à 53 le nombre des expéditions dirigées, soit par ce prince, soit par ses lieutenants. Son empire s’étendit de la Baltique à l’Èbre, et de l’Océan à l’Adriatique et à la Theiss. Il était alors le plus grand souverain du monde, et ses conseillers songèrent à ressusciter en sa faveur la dignité impériale. Lui-même n’accepta qu’avec répugnance, suivant l’assertion improbable d’Eginhard. L’Église romaine ne pouvait refuser sa toute-puissante consécration au guerrier illustre qui avait protégé la papauté contre les Lombards et les Grecs, refoulé la barbarie musulmane et idolâtrique, et propagé le christianisme avec la civilisation gallo-romaine jusqu’aux extrémités de l’Europe. Le 25 décembre 800, le pape Léon III le sacra et le couronna empereur des Romains dans la basilique de Saint-Pierre. Charles était alors à l’apogée de sa grandeur. Des princes chrétiens et musulmans étaient ses vassaux et ses tributaires ; son nom était répandu jusqu’aux extrémités.de la terre ; le fameux calife de Bagdad, Haroun-al-Raschid, qui d’ailleurs avait reçu ses envoyés et ne pouvait que désirer entretenir de bonnes relations avec l’ennemi de son ennemi (le calife schismatique d’Espagne), lui envoya une ambassade chargée de présents, dont quelques-uns excitèrent singulièrement la curiosité des Gaulois et des Germains, une horloge, sonnante, un éléphant, etc. Vers cette époque (801-802), des négociations furent ouvertes avec l’appui du pape pour unir l’empereur d’Occident avec l’impératrice grecque Irène, dans le but de reconstituer pacifiquement l’unité de l’empire romain ; mais Irène se montra peu soucieuse de réaliser ce rêve, et de se donner un maître, et sa chute vint bientôt rompre.les négociations entamées.

Charlemagne n’est pas moins célèbre comme législateur que comme guerrier. Dans l’organisation de son vaste empire, il fit de persévérants efforts pour réunir en un faisceau toutes les races et toutes les nations, pour fonder un gouvernement central, ressusciter une sorte d’unité romaine. Les officiers publics, ducs, comtes, margraves, etc., ne recevaient leurs bénéfices et leurs fonctions que temporairement, et ils étaient placés sous la surveillance des missi dominïci ou envoyés royaux, qui parcouraient sans cesse tout l’empire, recevaient les plaintes des peuples, portaient partout la volonté et les yeux du maître, réformaient les abus, redressaient les jugements injustes, présidaient les assemblées provinciales, etc. Tous les pouvoirs locaux émanaient de l’empereur ou lui étaient subordonnés. De même, les assemblées militaires et politiques du champ de Mars et du champ de Mai ne furent plus dans ses mains qu’un moyen de gouvernement, des conseils purement consultatifs qui n’avaient aucune initiative et ne rendaient aucune décision qui ne fût revisée par lui. Cette absorption de tous les pouvoirs, au milieu de l’effroyable anarchie et de la barbarie du temps, était d’ailleurs une garantie d’ordre et de sécurité publique. Ses lois, connues sous le nom de capitulaires (v. ce mot), ne forment pas un code complet et méthodique ; il y règne même une grande confusion. Mais le manque d’ensemble est racheté en partie par la passion de l’ordre moral et matériel, et par le sentiment de la justice qui éclatent dans les détails. Ce sont en général des lois administratives et politiques, des ordonnances civiles et ecclésiastiques. La législation canonique y occupe aussi une place considérable. On sent ici, et l’on sait d’ailleurs que le clergé avait une influence énorme sous ce règne. Charles, néanmoins, le subordonnait à son autorité, et, chose remarquable, malgré sa déférence, pour le pouvoir spirituel, non-seulement il empiéta sur ses attributions par ses règlements sur la discipline ecclésiastique, mais encore il convoqua des concilies, dicta leurs résolutions, et intervint même dans les questions de dogme, comme lorsqu’il fit condamner par le concile de Francfort le culte des images, admis par l’Église romaine.

La gloire la moins contestée de Charlemagne est d’avoir contribué à ramener la vie intellectuelle dans la Gaule franque. C’est, en effet, à partir du règne de cet illustre barbare que l’esprit ressuscite, que la décadence s’arrête, que la barbarie est refoulée. Il prit soin d’attirer dans ses États et de grouper autour de lui les supériorités intellectuelles de tous les pays : le Goth Théodulfe, théologien et poëte, qu’il fit évêque d’Orléans ; le diacre lombard Paul, l’auteur de l’Histoire des Lombards ; le Bavarois Leidrade, plus tard archevêque de Lyon ; l’Irlandais Clément ; le Toscan Pierre de Pise ; Paulin d’Aquilée ; l’Anglo-Saxon Alcuin, l’un des plus vastes esprits de son siècle et celui à qui revient le principal honneur d’avoir réorganisé l’enseignement, relevé les écoles et purifié les textes sacrés et profanes des fautes grossières que l’ignorance des copistes y avait successivement accumulées. Le monarque franc l’attacha à sa personne dès l’année 782, lui témoigna une affection constante, et fit de lui, suivant l’heureuse expression de M. Guizot, une sorte de premier ministre intellectuel. Sous son impulsion, des écoles furent fondées dans les villes épiscopales et dans les grands monastères, et formèrent la plupart des esprits distingués des siècles suivants. Lui-même enseigna avec un grand éclat dans cette École du palais où l’on a voulu un peu trop complaisamment retrouver l’origine de l’Université, et qui comptait parmi ses disciples Charlemagne et toute sa cour. Cette école amena la formation d’une espèce d’Académie dont les membres portaient des noms empruntés à l’histoire sacrée ou profane ; le roi s’appelait David ; Alcuin, Flaccus ; Théodulfe, Pindare, etc. Actif dans son repos même, Charles étudiait sans cesse ; il semble que cet esprit vierge, avide et investigateur, fraîchement initié à la civilisation, ait voulu tout connaître et tout posséder dans le monde des idées comme dans le monde des faits.Il acquit ainsi des notions sur la rhétorique, l’astronomie, la dialectique, l’art du calcul, la poésie, la musique, la langue latine, etc. Un curieux trait de mœurs, c’est qu’il ne savait point écrire, ou du moins qu’il réussit mal dans ses efforts pour apprendre à tracer des caractères. Mais peut-être faut-il interpréter autrement le passage d’Eginhard, et se ranger à l’opinion des historiens qui pensent qu’il s’agit non de l’écriture courante, mais de la calligraphie, de l’art de peindre les caractères.

Charlemagne, Germain de race et parlant ordinairement la langue tudesque, avait fixé sa cour en Germanie, à Aix-la-Chapelle, qu’il avait embellie de magnifiques monuments, inférieurs cependant aux constructions contemporaines des Arabes et des Byzantins.

Le prestige de sa grandeur s’augmenta encore avec les siècles, et son règne héroïque devint la source des épopées chevaleresques du moyen âge ; on lui attribua même sans fondements sérieux la création des universités, de la pairie, des états généraux, des cours vehmiques, etc. On a reproché au grand empereur son incontinence ; il est certain qu’il eut de nombreuses concubines et qu’il épousa au moins cinq femmes, qu’il répudia tour à tour ou qui moururent. Il eut vingt enfants connus, parmi lesquels Pépin, qu’il couronna roi d’Italie ; Louis le Débonnaire, qu’il désigna comme son successeur à l’empire ; Pépin le Bossu, qui conspira contre lui et finit ses jours dans un monastère ; Berthe, qui devint mère de l’historien Nithard ; Emma, qui épousa son secrétaire Eginhard, et qui fut l’héroïne d’une légende fort répandue, etc. Plusieurs de ses filles déshonorèrent sa maison par des désordres honteux.

L’œuvre de centralisation politique tentée par Charlemagne périt avec lui ; sous son fils même s’accomplit le déchirement et le divorce des parties hétérogènes de l’empire. La dissolution fut aussi rapide que radicale : vingt-neuf ans après sa mort (843, traité de Verdun), son empire est déjà décomposé en trois royaumes ; quarante-cinq années plus tard, on en comptait sept, décomposés eux-mêmes en une multitude de souverainetés locales, produits de la féodalité grandissante.

Quoique l’empereur franc n’ait été ni le premier de sa race ni l’auteur de son élévation, c’est de lui cependant que les rois de la seconde dynastie se sont appelés carlovingiens, ou plus exactement peut-être carolingiens (de Carolus, Charles), comme l’écrivent quelques historiens modernes.

Il est peu de héros à la vie desquels la légende ait plus ajouté qu’à celle de Charlemagne. Parmi tous les prodiges qu’on raconte de lui, toutes les aventures qu’on lui prête, beaucoup sont puériles ou insignifiantes ; nous croyons pourtant devoir en rapporter une parce qu’elle est peu connue et qu’elle nous paraît curieuse. La légende prétend que Charlemagne devint si amoureux d’une Allemande, qu’il en négligea à la fois et les affaires de son royaume et sa propre personne. Cette femme étant morte, sa passion, loin de diminuer, ne fit qu’augmenter ; il continua à aimer son cadavre, à le caresser, comme s’il se fût agi d’une personne vivante. L’archevêque Turpin, épouvanté de la durée de cette effroyable passion, alla un jour, pendant l’absence du prince, dans la chambre où était le cadavre, afin de s’assurer s’il n’y avait pas quelque maléfice qui fût la cause d’une passion si déréglée. Il visita exactement le cadavre, et trouva en effet un anneau magique, qui était placé sous la langue et qu’il emporta avec lui. En rentrant, Charlemagne, étonné de voir dans sa chambre un cadavre dont aucun talisman ne lui cachait plus la laideur, ordonna de l’ensevelir promptement. Mais l’anneau magique n’en opérait pas moins pour cela, et la passion que Charlemagne avait montrée pour le cadavre, il la transporta sur l’archevêque Turpin, qu’il suivait partout, et dont il ne pouvait se séparer. Le prélat fut effrayé de cette nouvelle folie ; craignant qu’on ne pût abuser un jour de la vertu singulière de cet anneau, il le jeta dans un lac, pour l’empêcher de tomber dans les mains de personne. Dès ce jour, Charlemagne devint si passionné pour ce lieu, qu’il ne voulut plus le quitter ; il y bâtit un palais, un monastère et voulut y être enseveli. Tout le monde a deviné qu’il s’agissait d’Aix-la-Chapelle, pour lequel la préférence bien connue de Charlemagne est expliquée d’une façon tout à fait ingénieuse.

Pour terminer cet article, nous citerons sur Charlemagne, sur son rôle, sur l’efficacité politique de ses conquêtes au point de vue des idées modernes, un jugement très-remarquable de M. Littré. « Le travail politique de Charlemagne ne fut pas perdu, et l’on doit regarder comme capital le service qu’il rendit par la conquête de la Germanie. En cela, il reprit l’œuvre abandonnée plus de sept siècles auparavant par les Romains, et, en faisant entrer cette grande contrée dans la république occidentale, il donna à la civilisation une stabilité qu’elle n’avait pas encore eue : au lieu d’être sur le Rhin, les limites en furent sur l’Oder et la Vistule. La barbarie, cessant d’avoir pour avant-garde les Germains, aurait dû leur passer sur le corps avant d’atteindre le reste de l’Occident ; et aussi, depuis lors, elle a été mise hors de cause, et s’est trouvée incapable de renouveler les grandes invasions. On ne peut trop apprécier l’efficacité des conquêtes que Charlemagne fit de ce côté. Sans doute, on n’alléguera pas ici, comme on fit tant de fois, les vertus patriarcales et l’innocence inoffensive des peuples barbares. Rien de plus mobile, de plus remuant, que de pareilles populations, pour qui la guerre est une occupation favorite. Les Gaulois se jetaient incessamment sur l’Italie, sur l’Espagne, sur la Grèce même et l’Asie-Mineure ; les Germains se répandaient sur l’empire romain, et, à moins de vouloir subir indéfiniment ces attaques dangereuses et rester, comme les empereurs romains, immobiles à la garde des frontières, il fallait bien se décider à la guerre d’invasion et à la conquête.

Quand je parle ainsi, on ne m’accusera pas, je l’espère, de prétendre que les hommes qui ont mené alors les affaires prévirent des résultats lointains, et agirent en vue du bien d’une civilisation à venir. Si Tibère suivit la politique conservatrice, c’est que cela convenait à son humeur et à son intérêt du moment. Si César et Charlemagne incorporèrent, l’un la Gaule, l’autre la Germanie, c’est qu’ils aimaient la guerre et poursuivaient des vues ambitieuses. Seulement, tel était alors le conflit de la civilisation et de la barbarie, qu’il importait que César ne fût pas vaincu, et que Charlemagne ne laissât pas, comme Varus, les ossements de ses légions dans les forêts saxonnes. Charlemagne fit pour la civilisation, en soumettant la Germanie, ce que César avait fait en soumettant la Gaule. Qu’on imagine ce qu’aurait été le flot de l’invasion, si la Gaule n’eût pas été romaine et se fût précipitée avec les nations septentrionales sur le monde civilisé. Loin de là, elle opposa aux envahisseurs une longue résistance, et, à vrai dire, depuis le règne de l’empereur Julien, elle fut le centre des grandes affaires jusque par delà Charlemagne. Cet ascendant qu’elle eut à l’heure de la dissolution de l’empire, elle le dut à sa position limitrophe de la barbarie, condition qui a joué jadis un rôle plus considérable qu’on ne pourrait le croire d’après l’état des choses actuelles, où elle est évidemment sans influence. Être à la fois le boulevard et l’avant-garde de la civilisation était une fonction capitale, dans un temps où la barbarie était si puissante. Ce fut une part notable de la prépondérance de la Grèce quand l’Italie était barbare, de l’Italie quand la Gaule était insoumise, de la Gaule quand la Germanie menaçait sans cesse de franchir le Rhin, de la Germanie quand au début du moyen âge, elle se trouva chargée d’arrêter et de civiliser les populations slaves et scandinaves qui bordaient sa frontière. Au point de vue historique enfin, on doit admirer la persévérance et le succès de Charlemagne dans une entreprise qui avait rebuté l’empire romain à l’apogée de sa grandeur. »

Charlemagne (vie de) [Vita et gesta Caroli Magni], par Eginhard. Cet ouvrage, un des plus précieux de la période carlovingienne, est divisé en deux parties : la première contient l’histoire des guerres entreprises par Charlemagne ; la seconde fait connaître ce grand prince dans sa vie intérieure, au milieu de sa cour et de sa famille. Eginhard paraît avoir pris pour modèle Suétone, et nous ne pouvons qu’être satisfaits de cette imitation, qui nous a valu un portrait détaillé du conquérant. On a contesté à Eginhard ses Annales, mais non sa Vie de Charlemagne. Cet ouvrage porte en lui-même, et presque à chaque phrase, la preuve de son authenticité. « Nous n’avons nul besoin d’insister sur son mérite, dit M. Guizot dans sa Notice sur Eginhard ; c’est sans contredit le morceau d’histoire le plus curieux qui nous soit parvenu sur Charlemagne, le seul qui nous fasse bien connaître ce qui, après dix siècles, a plus d’intérêt que les événements, le grand homme qui les a faits. » Publiée pour la première fois à Cologne en 1521 par le comte Hermann de Nuenar, la Vie de Charlemagne a été réimprimée depuis plus de vingt ans, soit en France, soit en Allemagne, et souvent avec des commentaires. Le meilleur texte est certainement celui de dom Bouquet. Sans parler de plusieurs paraphrases de la Vie de Charlemagne qui ne sont guère que des versions prolixes, elle a été traduite cinq fois en français : pur Élie Vinet (Poitiers, 1553, in-8o) ; par Léonard Pournas (Paris, 1614, in-12) ; par le président Cousin, dans son Histoire de l’empire d’Occident ; par M. Denis (Paris, 1812, in-12), et par M. Guizot, dans sa Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, où elle forme environ le tiers du troisième volume.

Charlemagne (histoire de), en espagnol Historia de Carlo Magno. Dans le prologue de l’édition si curieuse de ce livre, faite à Alcala en 1570, chez le libraire Sébastien Martinez, on lit ce qui suit : « Il en est de même d’une histoire venue à ma connaissance, en langue française, non moins agréable qu’utile, qui parle des grandes vertus et des exploits de Charlemagne, empereur de Rome et roi de France, et de ses chevaliers et barons, comme Roland et Oliviers et les autres pairs de France, dignes de louable mémoire pour les guerres cruelles qu’ils firent aux infidèles et pour les grands travaux qu’ils entreprirent afin de rehausser la foi catholique. Et comme il est certain qu’en langue castillane il n’y a pas de narration qui en fasse mention, excepté de la mort seule des Douze pairs à Roncevaux, il m’a semblé juste et utile que ladite histoire et des faits si remarquables fussent connus dans toutes les parties de l’Espagne, comme ils sont manifestés dans les autres royaumes. Par conséquent, moi, Nicolas de Piamonte, je me propose de traduire ladite composition de la langue française en romance castillane, sans changer, ni ajouter, ni enlever autre chose de la rédaction française. Et l’ouvrage est divisé en trois livres : le premier parle des commencements de la France, de qui lui resta le nom et du premier roi chrétien qu’il y eut en France, descend jusqu’à Charlemagne, qui fut ensuite empereur de Rome. Ce récit est traduit du latin en langue française. Le second parle de la rude bataille que le comte Oliviers livra à Fierabras, roi d’Alexandrie, fils du grand almirante Balan, et ce livre est en mètre français, bien versifié. Le troisième parle de quelques œuvres méritoires que fit Charlemagne ; et finalement de la trahison de Ganelon et de la mort des douze pairs, et ces livres furent extraits d’un livre bien approuvé, appelé Miroir historique (Espejo historial). »

On voit donc que cet ouvrage est une traduction directe du français. Aussi ne contient-il aucun détail sur la défaite de Roncevaux par Bernardo del Carpio, défaite qui, dans les vieilles chroniques et les anciennes romances espagnoles, flatte si agréablement la vanité nationale. Elle contient les histoires bien connues d’Olivier et de Fiérabras le Géant, d’Orlando et du traître Ganelon, et repose sur la chronique fabuleuse de Turpin, comme autorité principale. Elle n’en eut pas moins un grand succès et contribua plus que tout autre roman à conserver en Espagne, dans toute sa vigueur, le goût pour les romans de chevalerie, influence si grande et si pernicieuse, à laquelle la publication de Don Quichotte devait porter un coup mortel. Consultez, sur ce roman, Ticknor : Histoire de la littérature espagnole (t. I{{er]], trad. Magnabal), contenant les importantes annotations des commentateurs espagnols don Pascual de Gayangos et Enrique de Vedia.

Charlemagne (LES TRIOMPHES DE), roman épique de Lodovici, imprimé à Venise en 1535, L’ouvrage offre ceci de particulier, qu’au lieu d’être écrit en octaves, il est en terza rima, ou en tercets. L’auteur l’a divisé en deux parties ; chacune des deux parties se subdivise en cent chants, et chacun des deux cents chants en cinquante tercets. Presque tous les chants ont un exorde ou un prologue, qui change de sujet selon la fantaisie du poète. L’action est interrompue à tout moment par des digressions. Il ne faut pas chercher l’originalité de l’œuvre dans les exploits de Charlemagne et de son cousin Roland, dans les trahisons de Ganelon de Mayence, et tout cet appareil de fêtes et de tournois qui accompagne les prouesses d’un paladin. Mais les voyages de Roland, où le poëte fait l’essai d’une forme nouvelle, sans analogie avec la féerie chevaleresque, méritent de fixer l’attention. Des êtres moraux personnifiés, la Nature, l’Amour, le Vice, la Vertu, la Fortune, prennent part à l’action et développent des leçons morales ou des satires contre les abus et les vices du temps. Des épisodes, souvent gracieux, contrastent avec l’énergique indignation du poète qui flagelle les désordres et les scandales de la société, de la cour de Rome surtout. Il est fâcheux que l’odyssée de Renaud soit si fréquemment interrompue par le récit des expéditions de Charlemagne et les digressions de l’auteur, il est plus regrettable encore que le style soit médiocre. Sans ce défaut commun à tant de poèmes de cette époque, l’ouvrage de Lodovici se ferait lire, grâce aux visions allégoriques de Renaud, qui ont un but philosophique très-remarquable. L’emploi malheureux de la terza rima dans l’épopée indiqua aux poètes qu’ils avaient à faire usage d’un autre mètre.

Charlemagne (HISTOIRE DE), publiée en 1858 par M. Capefigue. Le rôle de Charlemagne, d’après l’auteur, est moins celui d’un fondateur que d’un organisateur ; encore convient-il de dire qu’il n’entreprit cette tâche difficile que sur la fin de son règne, que l’on peut diviser en deux époques, l’époque conquérante et l’époque organisatrice. La première période ne renferme qu’une longue série de victoires pendant quarante-six années, victoires dont M. Capefigue rabaisse la gloire en les représentant comme des conséquences forcées de l’état actuel du monde. Pendant la seconde période, Charlemagne gouverne et organise ses nouvelles possessions. Son système administratif et politique se divise en deux branches principales : les capitulaires embrassent le gouvernement public de la société et l’administration du domaine privé de l’empereur. Son organisation présente un aspect à la fois grandiose et minutieux, dont le principal ressort est une idée de génie, la création de ces missi dominici, inspecteurs impériaux par les yeux desquels l’empereur pouvait voir ce qui se passait dans les provinces les plus éloignées.

Le génie de Charlemagne plane sur la triple civilisation franque, germanique et lombarde. Il cherche à établir l’unité dans l’autorité en s’appuyant sur l’élément chrétien ; c’est la réalisation de la grande idée romaine. L’empire de Charlemagne, c’est l’invasion armée de la Neustrie par l’Austrasie, l’envahissement de la Gaule par la Germanie. La conquête romaine avait trop durement appesanti son joug pour qu’il n’y eût pas un retour des vaincus sur les vainqueurs dégénérés ; Charlemagne se chargea d’en diriger la marche. Il emprunta aux Romains celles de leurs institutions qu’il trouva bonnes et tira les autres du génie particulier aux races du Nord. Centralisant le pouvoir pour grandir l’autorité, il tenta de codifier les lois et protégea les sciences, les lettres et les arts, sans abdiquer cependant son caractère germanique quelque peu barbare. Sa grande œuvre, facilitée par les victoires de Charles Martel, le guerrier redoutable, et de Pépin, le fin politique, trouva dans la papauté un puissant auxiliaire. Adrien et Léon, deux hommes de génie, se servirent de Charlemagne pour consolider les fondements du christianisme, et, si ce conquérant leur prêta la force matérielle de son bras, il leur dut à son tour la force morale de son pouvoir. C’est pour avoir méconnu cette influence de la cour de Rome que Napoléon tomba de si haut, après avoir réalisé une partie des plans de Charlemagne, dit l’auteur en terminant, et il se demande ce qu’a fait ce Charlemagne, malgré toute sa gloire, pour Dieu, la justice et l’humanité. Singulière question pour un historien qui vient d’écrire le règne de Charlemagne.

C’est que M. Capefigue n’a fait qu’entrevoir le rôle du héros qu’il prend plaisir à rabaisser au profit de Charles Martel, de Pépin, et surtout de la papauté dont le conquérant s’est fait le soutien. Son histoire produit l’effet d’un récit sans philosophie, sans portée, dépourvu de ce qui éclaire l’esprit et nourrit le cœur. Le style est incorrect, dur, emphatique et souvent peu en harmonie avec la dignité de l’histoire. Nous nous contenterons de citer cette phrase : « L’Italie conquise par Charlemagne, c’est une belle jeune fille brune jetée dans la couche d’un baron des bords du Rhin, à la haute stature et dont la tête est ornée de cheveux longs et flottants. » Du reste, une figure comme celle de Charlemagne allait mal à la plume débile de M. Capefigue ; il faut à ses pipeaux, non pas des héros, mais des courtisanes corrompues ou des poupées à pseudo-couronnées.

Charlemagne, tragédie en cinq actes, de Népomucène Lemercier, représentée à Paris, sur le Théâtre-Français, le 27 juin 1816. Cette tragédie était composée depuis longtemps lorsqu’elle parut à la scène. Napoléon, qui l’avait lue en manuscrit, affectait d’y trouver un rare mérite ; le style, disait-il, en est cornélien. Cet éloge peut paraître intéressé, ainsi que le fait fort judicieusement remarquer M. de Pongerville ; le consul désirait que le poète ajoutât, vers le dénoûment, une scène où les envoyés d’un grand nombre de peuples auraient offert à Charlemagne l’empire d’Orient. Si l’effet scénique avait répondu à l’espoir de Napoléon, une haute récompense attendait Lemercier. Mais Lemercier n’était pas de ces hommes qu’on récompense. Le poète, longtemps l’ami du général, qui, dès que l’empire fut proclamé, renvoya le brevet et l’insigne de la Légion d’honneur, déclarant ne pouvoir se soumettre au nouveau serment exigé des membres de l’ordre, ce poète, disons-nous, devait se refuser, et en effet il se refusa obstinément à la demande du maître ; il ne fit jouer sa pièce qu’au commencement de la Restauration. Charlemagne, que l’auteur nous montre comme les Clovis et les Ali-Pacha, dans toutes ses grandeurs et dans toutes ses atrocités, obtint du succès ; la retraite forcée de Mlle Georges, qui interprétait le principal rôle, arrêta brusquement le cours de ses représentations. Elle est aujourd’hui oubliée ou à peu près. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est l’esprit qui l’a inspirée, de même que les meilleures œuvres de Lemercier. La vie de Lemercier ne fut qu’une longue et courageuse protestation de la pensée contre la force brutale des événements ou le despotisme des hommes, « d’un homme surtout, dit M. Hippolyte Lucas, de celui qui étreignit d’une main de fer les libertés françaises pour les enchaîner aux pieds de la gloire et qu’il appelait spirituellement son ami le premier consul. » L’existence modeste, indépendante, austère de Lemercier s’est trouvée en lutte avec la plus éclatante fortune que le monde ait jamais eue. Cela lui sera compté.

Charlemagne. Iconogr. Il existe fort peu de représentations de Charlemagne qui soient contemporaines de ce prince. Une statuette de bronze, du VIIIe siècle, qui a existé longtemps dans la cathédrale de Milan, représente le puissant empereur avec de longues moustaches, les cheveux courts, les jambes bardées de fer, une large épée à la main. Une mosaïque datée de 797 et trouvée dans le triclinium du pape Léon III, à Saint-Jean de Latran, lui donne le même visage et à peu près le même costume. Quelques sceaux, dont il a été publié des fac-similé, le représentent dans un costume assez semblable à celui des empereurs romains, et lui donnent un nez busqué, la barbe et les cheveux courts. Le cabinet des Bolli antichi, au Vatican, possède un portrait peint à fresque que quelques auteurs pensent avoir été exécuté d’après nature, lorsque l’empereur des Francs vint à Rome, et que d’autres croient postérieur de beaucoup au VIIIe siècle. « Ce portrait en buste, dit Mme Louise Colet, nous montre Charlemagne jeune, svelte, amaigri. Son beau visage mélancolique, entouré de cheveux blonds, a le type germain ; il me rappelle, avec plus de fermeté dans les traits et dans le regard, la tête expressive d’Alfred de Musset. » Une copie de ce portrait, faite pur Alaux, se voit au musée de Versailles. Un autre portrait, souvent reproduit, est celui qui figure au palais d’Aix-la-Chapelle, dans la salle des souverains, et qui fait voir Charlemagne vieux, ayant sur sa tête blanchie la couronne impériale, appuyant une de ses mains sur le globe du monde et tenant dans l’autre une large épée. Les représentations qui ont été faites de ce monarque par les artistes modernes sont pour la plupart des figures de pure fantaisie. Les plus répandues nous le montrent dans toute la pompe du costume impérial, avec une couronne et un manteau décorés de fleurs de lis, une cuirasse richement ciselée, une main appuyée sur un globe crucifère, l’autre tenant une épée ou une main de justice ; le visage est celui d’un homme déjà âgé, avec de longs cheveux et une barbe abondante. Les estampes de Crispin de Pas, de Nicolas de Bruyn, de Giovita Garavaglia, de Larmessin, nous offrent ainsi un Charlemagne qui n’a rien de commun, sans doute, avec la véridique portraiture du fils de Pépin. Un autre portrait, qui figurait autrefois dans le cabinet du roi et qui a été plusieurs fois gravé, s’écarte complètement des types que nous venons de décrire : Charlemagne y est représenté de profil, avec un nez camard ; il a une pelisse et une toque fourrées d’hermine. Un ivoire, provenant du cabinet Denon et qui a été lithographié par Laffitte, lui donne des traits tout à fait idéalisés ; la tête, vue de face, encadrée par de longs cheveux et une longue barbe, est couronnée de lauriers.

Parmi les tableaux représentant des épisodes de la vie de ce prince, nous citerons : le Couronnement de Charlemagne par Léon III, peint par Raphaël dans une des chambres du Vatican ; Charlemagne dictant ses capitulaires, un des premiers ouvrages d’Ary Scheffer (musée de Versailles) ; Charlemagne recevant Alcuin qui lui présente des manuscrits exécutés par les moines, plafond du Louvre, par Schnetz ; Charlemagne et Alcuin, peinture décorative du cercle des Jésuites, à Marseille, par M. Magaud (lithogr. par Sirouy) ; Charlemagne à Argenteuil, composition théâtrale exposée par Bouterweck au Salon de 1852 ; Charlemagne franchissant les Alpes, par Delaroche (v. ci-après), etc. Citons encore un buste colossal, sculpté par De Bay père, pour la bibliothèque publique de Nantes, une grande statue équestre, par M. Louis Rochet (v. ci-après), et le dessin, par M. Chenavard, d’une statuette destinée à la décoration du Panthéon, et qui n’a pas été exécutée. M. Théophile Gautier a dit de ce dernier ouvrage : « Le Charlemagne de M. Chenavard est une statue du plus beau caractère : c’est bien l’empereur géant, l’énorme intelligence servie par un corps de titan, le guerrier herculéen qui, selon la chronique du moine de Saint-Gall, portait à sa lance, embrochés comme des grenouilles, sept pauvres Saxons idolâtres, nescio quid murmurantes ; le vainqueur de Didier et de Witikind, l’empereur à l’œil d’épervier et à la barbe grisagne, comme disent les poètes du romancero français ; le compagnon des douze pairs, l’ami de Roland et d’Olivier, celui dont les grands os font reculer de surprise le voyageur, lorsqu’on ouvre la châsse byzantine plaquée d’or, constellée de grenats, qui les contient dans la sacristie d’Aix-la-Chapelle, sa ville bien-aimée. »

Charlemagne (LE COURONNEMENT DE), fresque de Raphaël, dans la chambre de l’Incendie du Bourg, au Vatican, Raphaël s’est fort peu préoccupé de la vérité historique dans la composition de ce tableau ; sous prétexte de nous montrer Charlemagne couronné par le pape Léon III, il a mis en scène François Ier et Léon X, les cardinaux et les seigneurs les plus illustres de son temps ; et, pour que nul n’en ignore, il a écrit, dans l’embrasure de la fenêtre qui s’ouvre à l’un des angles de la fresque, ces mots : Leo X. P. Max. Chr. MCCCCC XVII. Un peu avant cette dernière date, qui est celle de l’exécution de la peinture, François Ier, vainqueur à Marignan, avait eu une entrevue avec Léon X à Florence, et avait signé avec lui un traité d’alliance ; ce ne fut jamais que dans la fresque du Vatican qu’il reçut des mains du pontife la couronne impériale. Néanmoins, les anachronismes qui abondent dans cet ouvrage ne lui enlèvent rien de sa valeur artistique. L’ordonnance du tableau est tout à fait magistrale ; le pape, coiffé d’une mitre et assis sur un trône élevé derrière lequel est tendue une riche draperie, s’apprête à déposer la couronne impériale sur la tête de Charlemagne. Celui-ci, la tête nue et les épaules couvertes d’une chape dorée, est agenouillé sur les degrés du trône ; il tient d’une main un sceptre et de l’autre un globe, symbole de la puissance ; derrière lui est un petit page qui porte dans ses mains une couronne à pointes, et qui tourne vers nous son charmant visage. Onze personnages se tiennent debout autour du trône pontifical ; les uns sont revêtus d’insignes sacerdotaux, les autres paraissent faire partie de la suite de l’empereur. À droite, au premier plan, sont groupés des cardinaux et des ecclésiastiques ou des religieux d’un rang inférieur, les uns assis sur des bancs, les autres assis à terre ; les cardinaux, coiffés de la mitre blanche, nous tournent le dos pour la plupart. Dans le fond sont assis des évêques, et derrière eux se tiennent debout des officiers de Charlemagne. Sur le devant du tableau, à gauche, deux serviteurs demi-nus apportent un banc dont un officier, bardé de fer et à genoux, désigne la place du doigt. D’autres serviteurs apportent des vases antiques. Des objets de ce genre sont déjà déposés sur une table, et on voit, sur une seconde table, des chandeliers dorés garnis de cierges. La scène que nous venons de décrite se passe dans l’intérieur de la basilique de Saint-Pierre, dont l’architure forme au tableau le fond le plus riche et le plus imposant. Ce fond est attribué à Jean d’Udine. La tradition veut aussi que le dessin seul de la composition ait été exécuté par Raphaël, et que la peinture soit l’œuvre de Jules Romain. Cette belle fresque est malheureusement une de celles, dans les chambres, qui ait eu le plus à souffrir des injures du temps.

Charlemagne traversant les Alpes, tableau de Paul Delaroche, musée de Versailles. Charlemagne, monté sur un magnifique cheval noir, les épaules couvertes d’un ample manteau, la tête coiffée d’un casque, se retourne vers les guerriers qui le suivent et leur montre avec la pointe de son épée les cimes neigeuses du mont Cenis, que l’on entrevoit, sur la droite, à travers les troncs énormes des sapins. La belle tête du monarque, qu’encadre une longue chevelure blonde, a une expression de tranquille fierté qui contraste avec l’animation et le trouble des autres personnages. Une troupe de montagnards des Alpes s’est portée dans les rochers pour barrer le passage aux guerriers francs. La lutte est engagée. Sous les yeux mêmes de Charlemagne, un cavalier de l’avant-garde est aux prises avec un montagnard qu’il va pourfendre d’un coup de son épée… Mais c’est sur le devant du tableau que règne le plus grand désordre. Les Francs culbutent leurs ennemis dans un torrent qui tombe en cascade à travers les rochers. Il y a là des figures contorsionnées par des mouvements insolites. À droite, un cavalier et sa monture sont précipités dans un ravin ; le cheval, la crinière hérissée, les naseaux fumants, hennit dans son élan prodigieux ; le cavalier, désarçonné, étend sa main crispée vers l’abîme, où il plonge la tête la première. À gauche, un guerrier, demi-nu, brandit une énorme masse d’armes et s’apprête à en frapper un montagnard qui le vise avec son arc. Tout ce mouvement, toute cette animation n’est guère exprimée que par des lignes ; la couleur est froide, la touche manque d’ampleur et d’énergie. Ce tableau est un des plus vastes que Delaroche ait exécutés ; il ne mesure pas moins de 8 m. de long sur 4 m. 20 de hauteur. Suivant M. de Calonne, qui l’a jugé avec beaucoup de sévérité, « c’est une peinture décorative de la pire espèce ; le sujet ne convenait nullement au talent de Delaroche, et il ne faudrait pas lui reprocher trop amèrement d’y avoir si peu réussi ; ce talent se plaisait aux anecdotes historiques plutôt qu’à l’histoire même. » Le Charlemagne traversant les Alpes a été photographié dans l’Œuvre de Delaroche, publié par MM. Goupil et Ce. Le tableau a été exécuté en 1847. Une esquisse peinte en 1840 a été achetée 3,245 fr. par M. Adolphe Moreau, à la vente après décès de Paul Delaroche, en 1857.

Charlemagne (STATUE ÉQUESTRE DE), par M. Rochet ; exposition universelle de 1867. L’empereur, ayant sur la tête une couronne surmontée d’une croix, appuie la main gauche sur la garde de son épée et tient de la main droite un long sceptre dont l’extrémité inférieure repose sur son pied ; il est vêtu d’une tunique richement brodée, et un ample manteau couvre ses épaules. Il a le type germain, le nez légèrement déprimé au milieu, la chevelure et la barbe abondantes. Son attitude est calme et majestueuse. Il est monté sur un cheval entier plein de feu, que deux guerriers à pied tiennent par la bride. Le guerrier placé à droite a une mine des plus martiales : il tient à la main une hache à deux tranchants (francisque), et à son côté sont suspendus une large épée et un olifant ; les braies qui enveloppent ses jambes sont serrées par des courroies, et une peau de bête recouvre en partie sa cotte de mailles ; le second guerrier est plus jeune : il tient de la main gauche une lance et a un poignard et une hache accrochés à sa ceinture ; un manteau flotte sur ses épaules. Tout ce groupe est bien composé et d’un effet très-monumental. Les détails en sont étudiés avec soin.