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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLES VII, le Victorieux, roi de France, cinquième fils du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1009-1010).

CHARLES VII, le Victorieux, roi de France, cinquième fils du précédent, né à l’hôtel Saint-Paul en 1403, mort en 1461. Il porta d’abord le nom de comte de Ponthieu, et devint dauphin en 1416. Dernier fils survivant de Charles VI, héritier présomptif de la couronne, il n’eut cependant qu’une part insignifiante au gouvernement et ne fut qu’un instrument passif entre les mains du connétable d’Armagnac. Lieutenant général du royaume en 1417, obligé de fuir de Paris l’année suivante lors de la fameuse entrée des Bourguignons, il se retira à Bourges, puis à Poitiers, dans le Languedoc, prit le titre de régent et se refusa à tous les arrangements qui auraient conservé le pouvoir au duc de Bourgogne. Lors de la tragédie du pont de Montereau (1419), il publia des manifestes pour se disculper du meurtre de Jean sans Peur, accompli en sa présence ; mais il n’en demeura pas moins chargé de la solidarité de cette sanglante représaille. Sa mère, l’indigne Isabeau de Bavière, le poursuivit de sa haine et contribua à la conclusion du traité de Troyes, par lequel il était exclu du trône au profit du roi d’Angleterre. À la mort de son père, il se fit couronner à Poitiers, pendant que le duc de Bedford, maître de Paris et d’une partie du royaume, prenait les rênes du gouvernement au nom de son neveu Henri IV, encore en bas âge. Les Anglais poursuivirent le cours de leurs succès, et les troupes de Charles VII perdirent successivement les batailles de Crevant (1423) et de Verneuil (1424). Lui-même, qualifié ironiquement du titre de roi de Bourges, livré aux plaisirs, jouet de ses maîtresses et de ses favoris, indifférent au sort de la France comme à sa propre fortune, se laissait dépouiller non-seulement sans rien tenter de sa personne, mais encore sans donner aucun encouragement à la poignée de défenseurs qui lui restaient. Promenant sa royauté nomade de château en château, se dérobant à tous les devoirs comme à toutes les charges de la suprême puissance, il laissait ses capitaines, Dunois, La Hire, Xaintrailles, Richemond, s’épuiser en efforts infructueux, et semblait abandonner sa cause au hasard et à la fatalité. Déjà maîtres des trois quarts du royaume, les Anglais vinrent mettre le siège devant Orléans, et bientôt la funeste journée des Harengs (1429) vint porter le découragement parmi les derniers champions de l’indépendance nationale. C’est à ce moment qu’une jeune paysanne, exaltée par les misères et les douleurs de la patrie, se présenta au roi en affirmant qu’elle avait reçu du ciel la mission de sauver la France, fit tomber toutes les préventions par l’ardeur et la sincérité de sa conviction, enflamma la nation et l’armée de l’enthousiasme patriotique et religieux dont elle était dévorée, et, après une suite de succès extraordinaires, fit lever le siège d’Orléans et conduisit le roi à Reims, où l’onction sacrée lui donna aux yeux des peuples le prestige de la légitimité (1430). Après cet effort, Charles VII retomba dans son insouciance pusillanime, et paralysa l’élan national en abandonnant son armée et en retournant à Chinon se plonger dans la mollesse et les plaisirs. « Ce n’est pas, dit Sismondi, un des moindres inconvénients des monarchies absolues que l’influence qu’elles donnent aux vices d’un seul homme pour anéantir l’effet de toutes les vertus, de tout l’héroïsme de ses sujets. » Le monarque ingrat abandonna l’héroïque Jeanne Darc à la ligue hostile des favoris de cour, et pendant son long procès ne tenta rien pour la sauver. Néanmoins, l’impulsion donnée par la vierge de Vaucouleurs survécut même à sa perte ; les bandes indisciplinées qui combattaient pour le roi de France continuèrent une lutte marquée par de nombreux succès ; les insurrections et les complots se multiplièrent dans les provinces occupées par les Anglais : l’Île-de-France, le pays de Caux et Paris donnaient l’exemple ; quelques seigneurs puissants se rallièrent à Charles, et le duc de Bourgogne lui-même, brouillé avec les Anglais, se réconcilia solennellement avec lui par le traité d’Arras (1435). L’année suivante, Paris affranchi rouvrait ses portes au roi de France, dans le caractère et la conduite duquel il s’accomplit alors la plus heureuse comme la plus inexplicable des transformations. Ce prince indolent et efféminé saisit d’une main terme les rênes du gouvernement, s’occupa avec activité et persévérance à réparer les maux du pays, réforma son armée, dont les brigandages désolaient ses provinces, réorganisa les finances délabrées, montra le plus grand courage aux sièges de Montereau (1437) et de Pontoisa (1442), et obtint enfin une trêve honorable (1444), qu’il sut employer à relever la France épuisée. Pendant cette période réparatrice, tes cités sortirent de leurs décombres, les campagnes furent rendues à l’agriculture, les villes au commerce et à l’industrie, l’armée devint permanente et fut l’égide du pays au lieu d’être l’effroi des populations, les finances prospérèrent, et, sous l’influence de Jacques Cœur, le Colbert du XVe siècle, le commerce maritime fut créé et la prospérité publique se développa avec cette énergie créatrice qui suit les grandes calamités. Lorsque les Anglais, par une inspiration malheureuse, rompirent la trêve en 1448, ils trouvèrent une nation forte, unie et compacte, et n’essuyèrent plus que des revers. En moins d’un an, la Normandie était entièrement reconquise ; en 1453, la Guyenne redevint définitivement française, et Henri VI, de ses immenses domaines, ne posséda plus que la ville de Calais. En 1457, les troupes françaises opérèrent même une descente sur les côtes d Angleterre.

La métamorphose mémorable qui s’était opérée dans le caractère de Charles VII a été attribuée à l’influence de sa maîtresse Agnès Sorel, qui se serait constamment appliquée à réveiller dans le cœur de son royal amant l’amour de la gloire, le sentiment de sa dignité, le patriotisme et toutes les vertus viriles du commandement. Ces faits ont été contestés ; mais il est certain que cette favorite eut un grand ascendant sur le prince et que la période glorieuse que nous avons rappelée coïncide précisément avec la durée de sa faveur.

La fin du règne de Charles VII fut troublée par les révoltes et les machinations du dauphin (depuis Louis XI), par les trahisons du duc d’Alençon et par des intrigues de cour qui amenèrent la perte de Jacques Cœur. Enveloppé par les trames du dauphin et craignant d’être empoisonné, le malheureux prince s’imposa un jeûne si prolongé qu’il en mourut, à Mehun-sur-Yèvres, près de Bourges. L’établissement des armées permanentes eut malheureusement pour effet de nécessiter les tailles perpétuelles. Par la pragmatique-sanction de Bourges (1437), Charles avait réglé les rapports du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel et fondé les principes qui depuis firent autorité en ces matières délicates, il faut rappeler encore que ce prince, dès qu’il fut informé de la découverte de l’imprimerie, envoya en Allemagne un agent capable (v. Janson) pour étudier l’art nouveau, et qu’il ne dépendit pas de lui que la typographie ne fût dès lors introduite en France.

Charles VII chez ses grands vassaux, tragédie en cinq actes de M. Alexandre Dumas, représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre de l’Odeon, le 20 octobre 1831. Charles VII, proclamé roi, quitte le château d’Espally pour aller se faire couronner à Poitiers. Quel est l’état de la France ? Des troubles menaçants agitent Paris ; Philippe de Bourgogne et Jean de Bretagne s’unissent au duc de Bedford ; quelques villes au nord de la Loire restent à peu près seules fidèles au nouveau monarque. Cependant plusieurs vaillants capitaines prêtent encore à Charles l’appui de leurs bras. Tel est le cadre historique, assez restreint d’ailleurs, jeté par l’auteur autour de son action qui en est plus d’une fois gênée. Cette action incohérente, et farouche, illuminée par endroits de quelques éclairs vraiment poétiques, a son point de départ loin de la mère patrie. Le comte de Savoisy, condamné, en expiation d’un meurtre, à aller guerroyer contre les infidèles, arme une galère et fait voile vers la Syrie, laissant derrière lui Bérengère, sa noble épouse. Un jour, dans le désert, il sauve de la mort un jeune Arabe du nom d’Yacoub, qu’un de ses archers, Raymond, vient de frapper. Mais Yacoub n’obtient la vie qu’en perdant la liberté. Esclave de Savoisy, il le suit en France, où les hommes d’armes et les gens du comte l’abreuvent de dédains et d’injures. Mais bientôt, un regard, une douce parole de Bérengère, consolent Yacoub et lui font à demi oublier son beau ciel oriental. Yacoub aime Bérengère, C’est ici que le drame s’engage. Le comte de Savoisy répudie sa femme parce qu’il n’en a pas eu d’enfants. Il attend du saint-père l’autorisation de divorcer :

De peur que si la mort le frappait aujourd’hui
Son antique maison ne mourut avec lui.

En effet, Raymond arrive porteur du message attendu ; mais Yacoub, saisi de fureur à l’aspect de celui qui faillit le tuer en Syrie, s’élance sur Raymond et l’étend mort à ses pieds. Le comte fera justice ; et quant à Bérengère, elle apprend par son chapelain le triste sort qui lui est réservé. Au moment où Savoisy va procéder au jugement de Yacoub, on annonce l’arrivée de Charles VII et d’Agnès Sorel. N’importe, le comte n’en usera pas moins de sondroit de haute et basse justice ; et il condamne Yacoub à mort ; mais Charles fait grâce à l’esclave, qui ne l’accepte pas. Yacoub va se tuer, lorsque Bérengère lui ordonne de vivre. Cette voix si chère pénètre le cœur de l’Arabe ; alors la comtesse parle d’amour… ; elle exige et obtient la promesse d’une entière obéissance. À ce moment, on vient annoncer à Charles VII que La Fayette et Gaucourt sont tombés au pouvoir des Anglais ; et l’indolent monarque, sortant enfin d’une indifférence pour la perte de ses États que l’auteur a poussée jusqu’au ridicule, tire son épée et appelle aux armes :

J’ai tiré mon épée après la France entière,
Mon épée au fourreau rentrera la dernière,

dit-il, et il part sans emmener le comte de Savoisy, qui ne rejoindra l’armée que le lendemain : le soir même, il doit s’unir à la jeune comtesse de Graville. On voit qu’il ne perd pas de temps. Mais avant, il entend les prières, les supplications de Bérengère, qui, ne pouvant rien changer à l’implacable résolution du comte, le quitte la malédiction et la menace à la bouche. Le comte ordonne qu’on conduise Bérengère dans un couvent. Mais c’est une suivante vêtue de ses habits et voilée qui s’éloigne à sa place, tandis qu’elle, ivre de jalousie et de fureur, ordonne à Yacoub de tuer le comte. L’esclave hésite à frapper celui qui l’a sauvé de la mort ; mais Bérengère aimait le comte, malgré ses perfidies ; s’il vit, elle peut l’aimer encore :

Ainsi, tant qu’il vivra, songes-y, je t’échappe,
Car je l’aime, entends-tu ? . . . .

Et elle le pousse alors dans la chambre du comte, qui vient expirer sur la scène. « Maintenant, femme, dit Yacoub,

Fais-moi tout oublier, car c’est vraiment infâme !
Viens donc, tu m’as promis de venir ; je t’attends !
D’être à moi pour toujours…

BÉRENGÈRE, expirant empoisonnée auprès du comte.
               Me voilà… prends-moi.

On accourt pour arrêter l’assassin. Yacoub fait voir aux hommes d’armes l’écrit par lequel le comte, le matin même, lui a donné la liberté :

Demeurez en hurlant près du sépulcre ouvert ;
Pour Yacoub, il est libre ; il retourne au désert.

On a reproché à Charles VII chez ses grands vassaux des défauts nombreux. La composition manque d’unité ; deux actions s’y mêlent, s’y croisent, arrêtent la marche du drame. L’épisode historique qui semble, en baptisant l’ouvrage, vouloir accaparer le principal intérêt, est inutile et pourrait disparaître sans grand inconvénient. Le roi y joue un rôle effacé et la belle Agnès, sa compagne, en le rendant tardivement à sa dignité, ne parvient pas à en faire un héros suffisant. L’histoire de Bérengère et d’Yacoub n’offre en somme que des réminiscences d’Hermione et d’Oreste déguisées par le procédé romantique sous une couleur moyen âge. Le comte de Savoisy, repoussant une femme qui ne lui donne pas de rejeton, n’est pas sympathique, et le caractère de Bérengère, réussi dans beaucoup d’endroits, laisse trop et désirer en certains autres. Comment cette femme, qui, vingt années durant, fut le modèle des épouses, se transforme-t-elle si subitement en une sorte de furie ? Il a fallu le prodigieux talent de M. Alexandre Dumas pour que les tons criards de son tableau fussent acceptés. Il en a atténué le fâcheux effet par des détails semés à profusion et quelques scènes magistralement dessinées. L’enchanteur, d’un coup de sa plume, a ôté au spectateur le loisir et la possibilité de critiquer son œuvre. On voudrait protester, se récrier, mais lui, l’auteur habile et prompt à esquiver l’observation, vous tient sous le charme et vous entraîne jusqu’au dénoûment. Là, qui songerait à retourner en arrière, qui songerait à recommencer le chemin parcouru et à planter à travers les alexandrins énergiques et quelque peu sauvages les jalons de l’analyse ? On se dit bien : le caractère d’Yacoub est faux, il est en dehors de la nature ; mais comme on ne peut nier qu’il soit tracé avec une rare puissance et une vigueur inaccoutumée, on se tait et on songe que l’art, après tout, a ses licences… surtout entre les mains de l’auteur d’Antony.

Charles VII chez ses grands vassaux, habillé à l’italienne, a fourni le sujet de la Gemma di Vergi, opéra mis en musique par Donizetti. Gemma, représentée d’abord en 1836, à Milan, au théâtre de la Scala, nous est revenue dix ans plus tard, c’est-à-dire le 16 décembre 1845. Elle fut exécutée au théâtre des Italiens de Paris par d’excellents interprètes, et l’on y a applaudi Yacoub, devenu l’Arabe Tamas sous la plume de l’arrangeur du livret italien. Les librettistes italiens ne manquent pas, on le voit, d’imagination.