Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLES VIII, l’Affable, roi de France, fils de Louis XI

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1010).

CHARLES VIII, l’Affable, roi de France, fils de Louis XI, né à Amboise en 1470, mort en 1498. On a prétendu avec plus ou moins de vraisemblance qu’il n’était que le fils supposé de Louis XI, qui se serait prêté à cette imposture pour mettre fin aux prétentions de son frère le duc de Berry. Quoi qu’il en soit, le jeune prince fut élevé loin de la cour et son éducation fut tellement négligée, qu’il ne savait ni lire ni écrire lorsqu’il monta sur le trône (1483). Placé sous la tutelle de sa sœur, Anne de Beaujeu, il ne fut que le spectateur passif des événements qui remplirent les premières années de son règne. Ses premiers actes, en prenant le pouvoir (1491), furent de rendre la liberté au duc d’Orléans, emprisonné à la suite de sa révolte (v. guerre folle), de rejeter la main de la fille de Maximilien d’Autriche, à laquelle il était fiancé, et d’épouser Anne de Bretagne, héritière du riche duché de ce nom. Menacé d’une ligue entre Maximilien, l’Angleterre et l’Espagne, il rendit follement au premier l’Artois et la Franche-Comté, à Ferdinand le Catholique, le Roussillon et la Cerdagne, et s’engagea à payer à Henri VII 745,000 écus d’or. Cette politique déplorable s’explique sans se justifier par les projets romanesques qui fermentaient dans la tête chimérique du jeune monarque. Il voulait faire valoir les prétentions des princes français au royaume de Naples et rêvait même de chasser les Turcs de Constantinople et de rétablir en sa faveur l’empire byzantin (il s’était fait céder par André Paléologue ses droits à cet empire détruit). Il avait d’ailleurs quelques appuis douteux dans la Péninsule. Les préparatifs de cette expédition furent conduits contre toutes les règles de la prudence, et le roi partit, en 1494, avec 30,000 hommes, sans argent, sans vivres, sans magasins et sans réserve, tomba malade à Asti et dut emprunter à la duchesse de Savoie ses diamants, qu’il mit en gage pour nourrir ses soldats. La division des États italiens favorisa cette entreprise, qui avait plutôt le caractère d’une équipée que d’une expédition militaire, et Charles traversa l’Italie du nord plutôt en conquérant qu’en allié. Florence chassa les Médicis et lui ouvrit ses portes ; Ludovic Sforce, duc de Milan, craignant pour ses possessions, favorisait sa marche sur Naples ; le pape Alexandre VI lui donnait l’investiture du royaume de Naples et de Jérusalem, et lui livrait en même temps (mais après l’avoir fait empoisonner) le prince Zizim, frère proscrit de Bajazet, dont le monarque français comptait se faire un instrument pour diviser les Turcs. Les États napolitains furent conquis en quelques jours ; Ferdinand II s’enfuit, et Charles fit une entrée triomphale à Naples, revêtu des ornements impériaux. Si la promptitude de cette conquête étonne, la facilité avec laquelle on la perdit ne paraît pas moins surprenante. Quelques mois s’étaient à peine écoulés, et les Napolitains étaient déjà las de la domination française. D’un autre côté, une ligue ennemie se formait sans mystère entre les premiers instigateurs de l’expédition, le pape, le duc de Milan, auxquels se joignirent les Vénitiens, l’Espagne, l’empereur, etc. Instruit que les coalisés voulaient lui couper la retraite, le roi de France laisse 5,000 hommes à Naples, traverse l’Italie avec précaution et rencontre les ennemis à Fornoue, sur les bords du Tanaro. Une victoire décisive sur des forces au moins triples des siennes lui permet de continuer sa retraite et de délivrer le duc d’Orléans assiégé dans Novare (1495). Cette folle expédition n’amena aucun résultat, et la garnison du Naples dut capituler peu de temps après. De retour en France, Charles se livra sans retenue à des débauches effrénées qui tarirent en lui les sources de la vie. Comme il préparait une nouvelle expédition en Italie, il mourut au château d’Amboise des suites d’un coup qu’il s’était donné à la tête. Il avait eu trois fils morts en bas âge. Son cousin, le duc d’Orléans, lui succéda sous le nom de Louis XII. Incapable, présomptueux, ignorant, ce prince, néanmoins, était aimé pour la douceur et la générosité de son caractère.

Charles VIII (histoire de), roi de France, par le comte de Ségur (Paris, 1835, 2 vol. in-8o). Cette histoire d’un règne de quinze ans est divisée en trois parties intitulées ; États de Tours, Réunion de la Bretagne à la France, Conquête de Naples. La troisième, qui étudie les événements des six dernières de ces quinze années, est de beaucoup la plus étendue. C’est en effet celle qui devait comprendre le plus de récits et de descriptions, mettre en scène le plus de personnages. Malgré cela, les deux premières parties sont dignes d’attention, car elles ont des rapports plus intimes avec l’histoire intérieure de la France. La brièveté du récit ne nuit d’ailleurs en rien à l’intérêt. Avant d’aborder l’histoire de son héros, M. de Ségur commence par tracer un portrait de Louis XI. Ce despote de la féodalité n’avait laissé ni testament ni aucun acte authentique exprimant sa dernière volonté. Charles VIII, encore bien jeune, petit et difforme, passa de la tutelle de son père à celle de sa sœur, Anne de Beaujeu, qui gouverna le royaume comme régente. C’est ce titre qui donna à ses actes un reflet de l’autorité royale et lui permit de traiter de rébellions, d’attentats et de conspirations, les résistances intéressées du duc d’Orléans et des autres princes. Les états généraux tenus à Tours, en 1484, eurent surtout à s’occuper de régler ces différends. Cette assemblée a laissé des traces dans l’histoire plutôt à cause de la vivacité des débats que par l’importance de ses résultats. On y traita de presque tous les intérêts publics, et l’on rédigea de longues doléances distribuées sous les cinq titres de l’Église, de la Noblesse, du Commerce, de la Justice, de la Marchandise. Les états de Tours avaient affermi et accru la puissance de la dame de Beaujeu. En arrivant à la deuxième partie de l’ouvrage, qui a pour titre : Réunion de la Bretagne à la France, l’auteur s’applique surtout à recueillir et à raconter les faits plus spécialement relatifs au règne d’Anne de France ou de Beaujeu, ainsi que les fautes et les malheurs du duc d’Orléans. La régente éprouva une vive et persévérante opposition, dont elle sut triompher. La Bretagne et le duc d’Orléans, premier prince du sang, qui oubliait ses devoirs et ses intérêts même, furent vaincus, le 27 juillet 1488, par La Trémouille, à la bataille de Saint-Aubin. Le duc perdit sa liberté, et les Bretons conservèrent par un traité quelques restes d’indépendance. Une des idées les plus heureuses de la dame de Beaujeu fut de songer à marier le roi, son pupille, qui atteignait l’âge de vingt ans, à la jeune héritière de Bretagne, belle et jeune fille savante, recherchée par plusieurs princes. Las de cette tutelle, Charles VIII se souvient enfin qu’il est roi, et, par un entraînement tout chevaleresque, va, sans permission de sa tutrice, délivrer le duc d’Orléans, prisonnier à Bourges. En retraçant ces événements, l’auteur n’énonce pas toujours assez rigoureusement les véritables dates pour prémunir les lecteurs contre des anachronismes qui, dans une histoire moins exacte que la sienne, auraient pour le lecteur des conséquences fâcheuses. Après avoir donné satisfaction à l’archiduc Maximilien par la cession de l’Artois et de la Franche-Comté, et à Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon, par la cession du Roussillon et de la Cerdagne, l’on ne songea plus, à la cour de France, qu’à l’exécution du projet suggéré à Charles VIII de conquérir Naples et Constantinople ; folle entreprise, s’il en fut. Cette campagne de 1494 n’avait l’approbation ni de l’amiral Graville, ni même du duc d’Orléans, qui eût voulu la restreindre à la conquête du Milanais, ni surtout de la dame de Beaujeu, qui avait, en ce moment, perdu presque tout crédit. Le bon petit roi écouta de préférence des conseillers ambitieux et cupides. L’entreprise s’accomplit ; ce fut, on le sait, une marche triomphale interrompue de temps à autre par des plaisirs, ou par de courtes résistances. Maître de Naples, Charles oublie la conquête de Constantinople. Les Français ne songent qu’à retourner dans leur patrie. D’ailleurs, les cours de Vienne et de Madrid parviennent à liguer contre la France Milan, Rome et Venise. La Trémouille dirige la retraite au milieu d’embarras et de périls croissants. Une brillante et décisive victoire sauve les Français et écrase les Italiens et les Allemands à Fornoue, en 1495 ; mais la retraite ressemble à une fuite, à une déroute. 20,000 Suisses accourent pour renforcer l’armée française, et l’effrayent elle-même autant que les ennemis ; leur approche dispose les deux partis à la paix ; on signe le traité de Verceil. 5,000 Français et 2,000 Suisses restaient à Naples sous les ordres du gouverneur ou vice-roi Montpensier. Une capitulation honteuse, résultat de l’indolence et de l’incapacité de Montpensier, termina cette aventureuse expédition. Pendant le séjour du roi en Italie, le royaume avait été assez sagement gouverné par le duo de Bourbon.

L’ouvrage de M. de Ségur se recommande, dit Daunou, « à tous les hommes de lettres par les grâces du style, à quelques-uns peut-être par les teintes néologiques de plusieurs pages ; aux gens de guerre, par une exposition savante des détails qui intéressent leur profession ; aux hommes d’État, par des réflexions profondes ou ingénieuses sur l’art de gouverner. Ce brillant ouvrage, quoiqu’on y puisse remarquer certaines formes plus ou moins hasardées, n’appartient point à la nouvelle école historique. Les faits n’y sont enchaînés que par leurs propres circonstances, et non par une théorie générale des causes et des effets de toutes les vicissitudes humaines. L’histoire ne s’y présente pas comme un système, mais comme une étude expérimentale, dont les résultats deviennent d’autant plus instructifs qu’ils ont été obtenus par l’observation seule, sans divination, sans hypothèse. »

L’auteur excelle dans l’art de peindre les personnages de cette époque ; on peut cependant lui reprocher quelques répétitions. Son style est brillant, rempli d’images pittoresques, et s’il n’est pas toujours irréprochable dans ses hardiesses, il brille souvent par des qualités supérieures.