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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Chanson de la pelle (LA), chanson populaire

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 928).

Chanson de la pelle (la), chanson populaire encore aujourd’hui très-souvent chantée dans quelques provinces et dans les chambrées de soldats ; l’origine en est peu connue, mais, sans trop de témérité, on pourrait en attribuer l’air et peut-être les paroles à l’ancien marmiton de Mademoiselle, devenu le célèbre Lulli, et l’auteur fameux de cette autre chanson si connue :

Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot, etc.

Un petit volume intitulé : la Musique du diable ou le Mercure galant dévalisé (Paris, Robert le Turc, 1711), nous montre en effet Lulli, à son entrée aux enfers, composant ce morceau à trois parties ; pour le faire chanter par les trois gosiers de Cerbère, qui le répète plusieurs fois, et s’en montre si enchanté, qu’il donne au musicien licence de passer. Quel qu’en soit d’ailleurs l’auteur, il est certain que la Chanson de la pelle était connue sous Louis XIV. La Champagne est la province où elle parait être encore aujourd’hui le plus répandue, mais sous une autre dénomination. Dans son Romancero de Champagne, M. Tarbé donne, en effet (t. II, p. 227), sous le titre de Chanson du pressoir à Ludes, le fragment suivant :

 Pelle en haut.
Pelle en bas,
Pelle avec son joli petit manche,
Et pelle qui n’en a pas.

Ce pourrait bien être là, remarquons-le en passant, ce qui a inspiré le trop fameux couplet ;

J’ai un pied qui r’mue.
Et l’autre qui ne va guère,

J’ai un pied qui r’mue.
Et l’autre qui ne va plus.

On trouve, au sujet de la Chanson de la pelle, un curieux passage dans une pièce représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Gaîté, le 4 novembre 1826, et publiée la même année (Paris, Bezou, in-8o), sous ce titre : la Salle de police, tableau militaire en un acte, mêlé de vaudevilles, par MM. Carmouche et Vander-Burch. Bouffé, alors à la Gaîté, jouait le rôle de Chollet, conscrit, et faisait comme il suit, scène X, les honneurs du lieu dont la pièce porte le titre :

Chollet. Dites donc, mes officiers, je pense au règlement, voyez-vous. Je suis le plus ancien ici ; je suis habitant ; il est d’usage de payer la bienvenue et de chanter la romance de la Salle de police.

D’Hërmilly. Ah ! Pelle noire, pelle blanche… Je m’en souviens encore…

César. En avant la romance !…

Chollet. Savez-vous bien la musique ?

Tous. Oui ! oui !…

César, Parbleu ! Qui est-ce qui ne la sait pas ?

Tous. En canon (air connu) :

Pelle noire, pelle blanche.
Pelle avec son petit manche,
   Pelle en haut, pelle en bas,
Et pelle qui n’en a guère.
   Pelle en haut, pelle en bas,
Et pelle qui n’en a pas.

Chollet. (Il est monté sur un tabouret et suit la musique de ce canon, qui est charbonné sur le mur : chaque note est figurée par une pelle de boulanger placée comme les paroles l’indiquent.) Ma foi ! nos officiers, à vous le pompon ! Aussi c’t’air-là est fièrement bien faite, et c’lui qui l’a inventée, c’était encore un fameux génie. »