Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Cloître-Saint-Merri (COMBAT DE LA RUE DU)

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 2p. 465-466).

Cloître-Saint-Merri (COMBAT DE LA RUE DU). La rue du Cloître-Saint-Merri fut le théâtre de l’un des plus sanglants et des plus extraordinaires épisodes de l’insurrection des 5 et 6 juin 1832. Le 5, l’enterrement du général Lamarque ayant donné au parti républicain le signal d’une prise d’armes générale, on éleva, dans la soirée du 5 et dans la nuit du 5 au 6, des barricades sur plusieurs points. La plus forte fut établie au midi de la rue Saint-Martin, à la hauteur de la rue du Cloïtre-Saint-Merri, et à quelques pas de l’église de ce nom. Dans l’espace compris entre les deux remparts, au coin de la rue du Cloître-Saint-Merri et faisant face à la rue Aubry-le-Boucher, se trouvait la maison n" 30, dont 110 insurgés environ occupaient le rez-de-chaussée et les abords, et qui devait leur servir tout à la fois de quartier général, de citadelle, d’ambulance. La position était bien choisie:si l’on abordait de front par la rue Aubry-le-Boucher, on tombait sous le feu parti des croisées du numéro 30; si l’on attaquait de revers, il fallait affronter les combattants postés dans l’intérieur des barricades, hommes déterminés, qui donnaient la mort d’une main sûre, et qu’animait un courage extraordinaire. Dans la soirée du 5, une colonne de gardes nationaux vint se heurter à la barricade, et se dispersa après avoir perdu 5 hommes. Cette première attaque fut suivie de deux autres, que les insurgés repoussèrent également avec beaucoup de vigueur. Vers deux heures du matin, un détachement d’infanterie arrivait par le bas de la rue Saint-Martin, et traversait les barricades alors presque désertes, non sans recevoir des fenêtres une pluie de moellons et de pavés, et bon nombre de coups de fusil. Bientôt après, les insurgés, ayant trouvé une boutique d’armurier dans la cour de la maison qu’ils occupaient, se distribuèrent les 50 fusils de chasse qu’elle renfermait. Sur ces entrefaites, on annonça l’approche de la garde municipale. Alors les insurgés descendent en masse dans la rue, laissent approcher la garde municipale à portée du pistolet, et la repoussent trois fois de suite au cri de : Vive la république ! Leur exaltation semblait croître avec leurs dangers. Un enfant de douze ans, qui combattait parmi eux, ayant été cruellement blessé à la tête, Jeanne, un décoré de Juillet qui dirigeait la défense avec quelques vieillards, anciens soldats pour la plupart, Jeanne ne put, malgré les sollicitations les plus pressantes, faire quitter la barricade à cet héroïque enfant. Du reste, ce bouillant courage s’alliait, chez les combattants de la rue du Cloître-Saint-Merri, à un sentiment profond d’humanité. Après chaque engagement, ils sautaient par-dessus la barricade, prenaient les blessés dans leurs bras, les emportaient et les soignaient comme des frères. Le 6 au matin, les attaques se succédèrent plus fréquentes ; elles furent toujours énergiquement repoussées. Les insurgés renouvelaient leurs munitions épuisées en dépouillant les morts de leurs gibernes. Une jeune fille, dont l’amant était dans les barricades, s’était placée à l’une des fenêtres d’un café voisin, et avertissait par signes de l’arrivée des soldats, n’interrompant cette occupation que pour panser les blessés ou apporter aux combattants quelques aliments. Cependant la lutte ne pouvait se prolonger, chaque nouvelle attaque laissant dans les rangs des insurgés des vides qu’on ne pouvait combler. Abandonnés à eux-mêmes, en hommes intrépides, ils demeurèrent fermes à leur poste, attendant la mort avec un courage héroïque. Vers le milieu du jour, un détachement d’infanterie se présenta par la rue Aubry-le-Boucher ; mais, après quelques paroles échangées entre Jeanne et le commandant de ce détachement, celui-ci se retira sans avoir attaqué. Quelques instants après, la garde nationale de la banlieue déboucha par le bas de la rue Saint-Martin. Accueillie par un feu roulant, elle s’arrêta indécise, puis bientôt, culbutée et prise d’une indicible frayeur, elle s’enfuit et se dispersa dans toutes les directions. Ainsi, une poignée d’hommes, 60 braves, défiaient un gouvernement, tenaient en échec une armée, parlementaient, livraient bataille. Cependant bientôt les attaques se succédèrent rapidement. Pressés avec acharnement, cernés, réduits presque à moitié, n’ayant plus qu’une centaine de cartouches, les insurgés déployaient une intrépidité merveilleuse. Un vieillard au front chauve, à la barbe grise, tomba mort dans l’intérieur des barricades au moment où il élevait un drapeau en excitant ses compagnons. Près de lui, un jeune homme qui battait la charge eut la main fracassée par une balle : on voulut le transporter à l’ambulance : « Quand ils seront partis, » dit-il, et il continua à battre sa caisse de la main droite. Un des combattants de la rue se plaignant de la faim et demandant des vivres : « Des vivres ! répondit Jeanne ; il est trois heures, et à quatre heures nous serons morts ! » Il fallut recourir à l’artillerie. Deux pièces de canon, placées en avant de Saint-Nicolas-des-Champs, furent pointées contre la petite barricade du nord, dont les boulets emportèrent bientôt des pans entiers. On fit avancer en même temps une autre pièce par la rue Aubry-le-Boucher pour réduire la maison no 30. Enfin, vers quatre heures, les barricades furent attaquées de tous les côtés à la fois par des gardes nationaux et des soldats venant du haut de la rue Saint-Martin ; par un bataillon du 42e de ligne débouchant de la rue de la Verrerie ; par une colonne du 1er de ligne lancée, sous les ordres du général Laidet, dans le prolongement de la rue des Arcis. La résistance devenait impossible. Les défenseurs des barricades s’élancèrent à la fois. Les uns, sur les pas de Jeanne, percèrent audacieusement la première ligne des soldats, et s’échappèrent par la rue Maubuée, en perdant trois hommes seulement ; les autres s’engouffrèrent dans la maison no 30, dont ils refermèrent et barricadèrent la porte derrière eux. Un instant après cette maison était envahie ; 17 insurgés, poursuivis de chambre en chambre, furent tués à coups de baïonnette. Quelques-uns s’échappèrent par les toits et pénétrèrent par une fenêtre dans la maison no 48 de la rue du Cloître-Saint-Merri, où ils furent découverts et allaient être égorgés, sans la généreuse intervention du capitaine Billet, du 48e de ligne. Deux autres insurgés, restés dans la maison no 30, et qui avaient échappé aux recherches des soldats en se tenant cachés sous un lit, furent sauvés par un médecin de l’Hôtel-Dieu, qui leur fit envelopper la tête dans des mouchoirs trempés de sang, et, réclamant pour eux le respect dû aux blessés, les fit passer impunément à travers les lignes des soldats. La prise de la barricade du Cloître-Saint-Merri consomma la défaite de l’insurrection ; le lendemain, un calme profond régnait à Paris. La résistance opiniâtre, inconcevable des insurgés de Saint-Merri a fait croire à quelques-uns que le gouvernement l’avait favorisée, pour agrandir sa victoire et rattacher plus étroitement à sa cause, par l’épouvante, la majorité de la bourgeoisie.

Le dernier acte de la sanglante tragédie que nous venons de raconter se dénoua devant le jury : Jeanne fut condamné à la déportation ; un autre accusé, à huit années de réclusion ; deux autres, à six années de la même peine ; un autre, à dix ans de travaux forcés, sans exposition, et un dernier à cinq ans de prison. Seize accusés furent acquittés, et, parmi eux, la jeune fille que nous avons vue annoncer aux insurgés l’arrivée des soldats, des fenêtres d’un café.