Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Confession de l’amant (LA) (Confessio amantis), poëme en huit livres, de Gower

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 4p. 901).

Confession de l’amant (la) (Confessio amantis], poëme en huit livres, de Gower, composé en 1393, publié en M83, puis en 1532, 1554, et enfin réimprimé avec gravures en 1857. Ce singulier ouvrage, d’une longueur démesurée, roule sur la morale et la métaphysique de l’amour. Il n’est pas sans rapport avec nos anciens fabliaux, et l’on pourrait le rapprocher surtout du Roman de la rose. Malgré son titre latin (Confessio amantis), il est écrit en anglais. C’est le cas de faire remarquer, avec le dernier éditeur de

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Gcwer, qu’au commencement du xive siècle

on parlait en Angleterre trois langues rivales : la cour, la noblesse, le parlement et même les tribunaux employaient le français ; le clergé se servait généralement du latin, et les actes publics étaient dressés dans l’une ou l’autre de ces langues, tandis que les descendants de la race anglo-saxonne faisaient usage d’un dialecte de dérivation saxonne, mais modifié par le temps, et mêlé à t’occasion de mots d’origine romane. Ces trois idiomes, au milieu et avec l’aide desquels l’anglais se forma rapidement, subsistèrent côte à côtejusqu’à la fin du siècle. En 1362, le parlement s’ouvrit par un discours en anglais ; les tribunaux imitèrent cet exemple, et Gower, dont les premiers ouvrages avaient été écrits en français et en latin, employa sa langue maternelle dans la Confession de l’amant.

Ce poëme fut composé sur la, demande de Richard IL Gower répondit à l’invitation par une production d’environ trente mille vers. Le plan est original et ingénieux. C’est un long dialogue entre un amant et un confesseur. Par une licence un peu hardie, il arrive que ce confesseur est un prêtre de Vénus, déguisé, qui s’appelle Genius. En conséquence de cette fiction, tous les péchés dont le pénitent s’accuse sont estimés d’après le plaisir que chacun d’eux doit causer aux dames ; ceci conduit le poeie à une analyse approfondie des sentiments de l’amoureux pénitent, et, dans les entr’actes de sa confession sentimentale, it glisse un cours de scolastique. Cette confession se prolonge tellement que les années s’envolent, et, près de l’absolution, le pénitent perd patience, et déclare qu’il est tellement vieux que sa belle maîtresse lui est à peu près indifférente. Toute négociation se trouve alors rompue, et le po8me finit.

Voilà, § ans contredit, une conception des plus bizarres. Ce qui ne l’est pas moins, c’est la façon burlesque dont l’auteur habille l’histoire et la science. On trouve de tout dans son livre : une exposition de la science hermétique et de la philosophie d’Aristote, un traité de politique, d’innombrables légendes de tous les pays et de toutes les époques ; bref, tout le fatras de l’érudition pédante.sque du temps. Gower, que Warton appelle un des plus savants hommes de son siècle, suppose que le latin fut inventé par la vieille prophètesse Carmens ; que les grammairiens Aristarchus, Donatus et Didymus réglèrent la syntaxe, la prononciation et la prosodie ; qu’il fut orné (les fleurs de l’éloquence et de la rhétorique par Cicérôn, puis enrichi de traductions d’après l’arabe, le chaldéen et le.grec, et qu’enfin, après beaucoup de travaux d’écrivains célèbres, il atteignit la perfection dans Ovide, poète dès amants. Plus loin, il découvre que le sage Ulysse apprit la rhétorique de Cicérôn, la magie de Zoroastre, l’astronomie de Ptolémée, et la philosophie de Platon. Tout cela çst délayé dans un style diffus, émaillé de citations avec renvois aux textes, etc.

Il va sans dire que les épisodes sont nombreux ; mais plusieurs sont amusants.’De ce nombre est le fameux conte the Wife of Batk (S’Epouse de Bath), reproduit par Chaucer, ami et admirateur de Gower, imité plus tard par Dryden, et enfin transformé par Voltaire en un conte charmant : Ce qui plait aux dames, Le fond de la nouvelle de Voltaire et de Dryden appartient incontestablement à Gower. Le styléde ce dernier est diffus et obscur dans cet épisode, qui n’a pas moins de cinq cents vers. Ce n’est point, ici, comme chez les deux imitateurs, pour avoir fait violence à une jeune paysanne que le chevalier est condamné, sous peine de mort, à dire ce qui plaît le plus aux dames, mais bien pour avoir pris d’assaut une forteresse féodale et tué le fils du seigneur. On s’étonne que Dryden et Voltaire aient tous deux- manqué’un très-joli trait de l’épisode de Gower : lorsque le chevalier, instruit par la vieille, déclare au tribunal féminin que le plaisir principal des femmes est de dominer, la dame présidente s’écrie, avec toute l’éloquence d’une conviction profonde : «O trahison ! Malheur à toi 1 Ainsi tu viens audacieusement de publier la plus grande privauté que toutes les femmes désirent le plus. Je voudrais que tu fusses consumé sur l’heure ! » On- trouve aussi dans le livre de Gower l’histoire d’Apollinus, prince de Tyr, d’où Shakspeare a tiré son histoire de Périclès, si toutefois Shakspeare est bien l’auteur de ce drame. Gower a beaucoup puisé lui-même, pour sa Confession de l’amant, dans le Panthéon ou Chronique universelle de Viterbe.