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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Convention nationale (HISTOIRE DE LA), par M. de Barante

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Administration du grand dictionnaire universel (5, part. 1p. 42).

Convention nationale (HISTOIRE DE LA), par M. de Barante (1851-53 ; 6 vol. in-8°). Cet ouvrage est une sorte de pamphlet de circonstance. Hâtons-nous d’expliquer et de justifier cette proposition, qui pourrait sembler paradoxale. Au lendemain de la révolution de 1848, un certain nombre d’hommes des régimes précédents, qui ne voyaient qu’avec un amer dépit l’établissement de la démocratie, déversèrent leurs rancunes en des ouvrages dont la plupart sont oubliés déjà, mais qui n’en avaient pas moins pour objet de faire détester le présent, sous couleur d’étudier le passé. C’est dans cet esprit que Lerminier écrivit ses Institutions de la Grèce antique ; c’est sous l’empire du même sentiment que l’historien des ducs de Bourgogne entreprit l’histoire de la grande assemblée révolutionnaire ; et c’est en constatant ce fait que l’on peut dire, sans trop d’exagération, que ce livre fut une œuvre de circonstance et de parti pris.

Dans son histoire des ducs de Bourgogne, l’auteur avait appliqué la devise empruntée à Quintilien : Scribitur ad narrandum, non ad probandum. Ici, comme on l’a déjà fait remarquer à l’article Barante, il écrit non-seulement pour raconter, mais surtout pour prouver, pour prouver contre la démocratie et la Révolution.

On sent ce que doit être un ouvrage entrepris sous l’empire de cette préoccupation exclusive : un livre de parti, un réquisitoire, et, comme nous le disions en commençant, un véritable pamphlet. Ancien fonctionnaire de tous les régimes, né dans cette classe que la toge avait anoblie, et qui était comme la pépinière où se cultivaient les sujets destinés aux fonctions publiques, ayant endossé, jeune encore, l’habit brodé, qu’il conserva fidèlement sous tous les gouvernements et qui ne tomba de ses épaules qu’à la révolution de Février, rejeté décidément à cette époque sur la rive, comme une épave des temps anciens, l’ingénieux historien des ducs de Bourgogne était l’homme le moins propre à l’étude de la grande période révolutionnaire. Peintre souvent heureux des scènes du moyen âge, il était au-dessous d’une telle histoire, dont le sens lui échappe absolument et sous laquelle il demeure comme écrasé. Il l’a racontée sans la comprendre, pour ainsi dire, et ses récits, d’ailleurs ennuyeux et pesants, fourmillent d’erreurs, de contre-sens et de non-sens. Ce sont, en un mot, des thèses où l’esprit du passé exhale son arriéré de rancunes ; c’est histoire de la Révolution, telle à peu près qu’on la racontait sous la Restauration dans les petits salons de M. de Féletz, et dont la formule peut être ainsi résumée : négation du droit, altération des faits, diffamation des hommes.

Il est entendu qu’ici nous n’accusons nullement l’intention, mais les préjugés de race et d’éducation, en un mot ces infirmités acquises dont il est si difficile de guérir.

Quant au style et à la méthode, il ne nous semble pas excessif de classer l’Histoire de la Convention parmi les plus pâles compilations que l’esprit de réaction ait inspirées aux Épiménides de notre temps.

Nous n’avons pas à analyser cet ouvrage dans ses détails ; les faits sont suffisamment connus. Après avoir jeté un coup d’œil sur l’Assemblée législative, l’auteur entre en matière par des récits détaillés du 20 juin, du 10 août et des journées de septembre. Viennent ensuite les luttes de la Gironde et de la Montagne, le procès du roi, la révolution du 31 mai, grandes tragédies qui forment la première période de la Convention. La seconde phase, qui s’étend jusqu’au 9 thermidor, n’est pas moins remplie d’événements mémorables ; la dernière enfin, qui se prolonge jusqu’à la mise en vigueur de la Constitution de l’an III et à l’installation du Directoire, comprend la réaction thermidorienne et les derniers travaux de la Convention.

M. de Barante a inséré dans son récit de longs fragments de discours, des exposés étendus des principales discussions, des rapports, témoignages, pièces justificatives, etc. ; et c’est encore, après tout, cette partie qui donne quelque-intérêt à l’ouvrage. Et encore préférera-t-on toujours pour les recherches la partie correspondante de l’Histoire parlementaire de la Révolution, car le travail de M. de Barante manque de précision, de clarté, pèche par la division des chapitres, qui ne sont pas assez multipliés, et laisse trop souvent le lecteur dans l’incertitude sur les petites dates, qui ne sont pas plus indifférentes que celles des grands événements, quand il s’agit d’une histoire comme celle de la Révolution. Ceci est un détail, sans doute ; mais l’ensemble ne rachète pas ces imperfections secondaires. Il suffira de dire que le systématique historien n’accorde rien à la grande Assemblée ; non-seulement il oublie trop souvent ses créations impérissables, mais encore il méconnaît son rôle dans l’œuvre de la défense nationale, il conteste l’efficacité des énergiques mesures de défense prises par elle, il présente les mesures qu’elle adopta comme des obstacles plutôt que comme un secours utile pour les armées de la République. Les plus violents ennemis de la Révolution n’ont jamais poussé aussi loin l’aveuglement et la passion.