Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Courrier français (LE), ancien journal quotidien

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Administration du grand dictionnaire universel (5, part. 2p. 366-367).

Courrier français (LE), ancien journal quotidien, et l’un des principaux organes du parti libéral sous la Restauration et le gouvernement de Juillet. Fondée le 21 juin 1819 avec les débris des Annales politiques, morales et littéraires de MM. Willenave, Depping et J. Pierrot, cette feuille parut jusqu’au 1er février 1820 sous le simple titre de Courrier ; elle était l’organe du parti appelé doctrinaire, et avait pour principaux rédacteurs MM. de Broglie et Kératry. En décembre 1819, elle se fusionna avec la Renommée, que rédigeaient Benjamin Constant, Jouy, Pagès, etc., et elle eut alors pour rédacteurs tous les publicistes distingués. Le 1er février 1820, le Courrier français (c’est désormais ainsi qu’il se nomme) subit une transformation complète : titre, rédaction, abonnés, tout se trouve renouvelé. Laffitte, Casimir Périer, Valentin de La Pelouze, Benjamin Constant, Pagès (de l’Ariége), Aignan, de Jouy, Lebrun, Gohier, ex-directeur ; Bavoux, Labbey de Pompierre, etc., en devinrent bientôt les principaux actionnaires. L’administration en avait été confiée dans le principe à Willenave sous la surveillance des rédacteurs qui se relayaient de semaine en semaine. Châtelain et Guyet remplacèrent Ferdinand Flocon. Les autres écrivains qui prirent part, dans les premiers temps, à la rédaction du journal furent Augustin Thierry, Paganel, Mahul, de Villemarest, Bory de Saint-Vincent, Moreau, Ulpian, Le Hodey. Le 22 juin 1820,1e Courrier français recueillit la succession du journal le Censeur, feuille très-influente, dirigée par MM. Comte et Dunoyer, et que le rétablissement de la censure faisait disparaître. Le 4 avril 1821, l’administration du Courrier français fut changée, COUR

et les actionnaires se formèrent en société commanditaire sur la proposition de Casimir Périer, qui rédigea le nouvel acte social. L’administrateur n’ayant pas voulu devenir gérant, M. de La Pelouze accepta cette fonction, qu’il a remplie depuis avec tant de succès, et M. Châtelain devint rédacteur en chef. À partir de cette époque, le Courrier français prit cette attitude ferme et franche qui lui donna une si grande influence sur l’opinion publique jusqu à la fin de la Restauration et pendant les premières années qui suivirent 1830. Il rendit d’incontestables services au pays comme tribune de l’opposition. Il lit courageusement tout le bien que peut produire

l’expression constante et forte des opinions les plus saines, la défense permanente des intérêts publics. Le Courrier lutta corps à corps avec le pouvoir, et démasqua sans relâche la fraude, l’hypocrisie et l’arbitraire. La vigueur et la persistance de ses efforts lui méritèrent avec justice la réputation d’être "/organe le plus courageux et le plus éloquent des réclamations publiques.

Le Courrier dut passer par de rudes épreuves. Il eut à subir le premier essai de la loi de tendance au commencement de 1883. La loi de tendance était ce décret de la réaction royaliste qui armait le ministère du droit d’interpréter, d’éplucher, de noter, pendant trois mois, six mois, un an, les passages des journaux libéraux qui, pris en masse, tendaient à exprimer un blâme ou une critique sur les actes du gouvernement et de ses agents, à déconsidérer l’autorité royale ou la religion. En vertu de la loi de tendance, un journal était suspendu, et, en cas de récidive, supprimé. Le Courrier eut à répondre d’une longue suite d’articles relatifs à la guerre d’Espagne. Malgré les efforts de M. Mérilhou, son défenseur, il fut suspendu pour quinze jours, comme ayant porté atteinte à la paix, publique. Le ministère avait à cœur de se débarrasser du Courrier ; le premier coup était porté ; il s’agissait de frapper le second. La suppression dépendait d’une seconde condamnation : aussi, dès le mois de juin 1824, le ministère lit intenter à cette feuille un nouveau procès qui portait sur cent quatre-vingt-deux articles répartis dans une rédaction de quatorze mois, et ayant trait k la guerre d’Espagne, aux manœuvres électorales, à différentes affaires particulières, telles que la détention du journaliste Magallon, l’éloge de Carnot, où l’on voulait voir celui du régicide ; le refus fait par le curé de La Ferté-sous-Jouarre de recevoir Manuel comme pariain, etc., etc. La cour, par l’organe du premier président Séguier, ayant déclaré qu’il y avait partage, cet arrêt fut interprété en faveur du journal, et M. de Villèle abandonna la poursuite. Mais le comte de Montlausier ayant dénoncé indirectement, par des lettres adressées au Drapeau blanc, l’existence d’une société mystérieuse désignée sous le nom de Congrégation, etc., les libéraux tirèrent grand parti de ces révélations. Un double procès de tendance fut intenté au Constitutionnel et au Courrier. La cour, statuant sur les plaidoiries de MM. Dupin et Mérilhou, rejeta les conclusions du ministère public, et établit en fait l’existence d’une corporation religieuse défendue par les lois. Ces deux procès eurent un grand éclat. Tandis que la Constitutionnel s’était fait de plus en plus le journal des intérêts et des besoins, du bonnet de coton et du pain de sucre, pour parler le langage de la caricature, le Courrier, alors dirigé par Châtelain, homme de talent et homme de cœur, s’était placé au premier rang entre toutes les feuilles de cette époque. Aussi, comme nous l’avons dit, exerçat-il une grande influence sur l’opinion publique jusqu’à la fin de la Restauration et pendant les premières années du gouvernement de J uillet. En dix ans, il subit plus de vingt procès et paya plus de 100,000 fr : d’amende. Pendant cette brillante période de 1820 à 1842, il compta successivement parmi ses rédacteurs Benjamin Constant., Casimir Périer, Goliier, ancien membre du Directoire exécutif ; Châtelain, Cormenin, Mignet, l’abbé de Pradt, Chambolle, Léon Faucher, etc., etc. Les articles de M. Mignet sur la politique extérieure furent remarqués du prince de Talleyrand. On doit une mention des plus honorables à l’administrateur du journal, M. Valeutin de La Pelouze, homme d’intelligence et de dévouement politique, qui proposa Châtelain pour la rédaction en chef, en un temps où le journalisme demandait tant de tact, d’énergie et détalent. M. Valentin de La Pelouze avait pris en 1821 la direction du Courrier. S’il montra, durant tout le cours de son administration, une indépendance de caractère et d’opinions contre laquelle vinrent échouer les persécutions et les séductions, d’autre part il enrichit le journal d’articles sur les finances, matières qu’il avait l’art de mettre à la portée des lecteurs étrangers a cet ordre de questions.

Léon Faucher était entré en 1835 au Courrier français, dont il était devenu le rédacteur en chef, en 1839, à la mort de Châtelain. Contrairement à l’usage établi, il signait ses articles. Il défendit la coalition avec ardeur. Son talent incontesté ne put préserver la feuille qu’il dirigeait du coup qui lui était porté par l’établissement de la presse à boa marché. En 1812, le Courrier français changea de main, et les nouveaux propriétaires en modifièrent la couleur. En 1845, M. de Rivière l’ayant acheté, Xavier Durrieu en prit la direction et s’associa à la lutte do.

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journal la Réforme contre le National. Après février, il y eut interruption dans sa publication, il reparut avec le même rédacteur en chef, devenu représentant du peuple dans l’Ariége, le 1er juillet 1848. Sa résurrection fut de courte durée : au bout de quelques mois il cessait de vivre.

Au mois de décembre 1863, ce titre, si plein d’engagements, fut pris par un journal financier non politique qui n’avait avec son devancier rien de commun que le nom. Ce journal se transforma bientôt ; il devint politique deux ans plus tard tout en restant feuille hebdomadaire ; mais l’administration, dès le début, lui refusa l’autorisation de se vendre sur la voie publique. En outre, le ministre de l’intérieur appelé, aux termes de la loi du 17 février 1852, à donnera une société en commandite, formée par acte du 31 décembre 1865, sous la raison sociale Weiss et compagnie, l’autorisation pour l’exploitation du Courrier français, refusait d’agréer une combinaison qui transférait la gérance du journal à MM. Weiss et Hervé. Ce nouveau Courrier français végétait obscurémenUorsqu’en 1866 un jeune et énergique publiciste, M. Vermorel, essaya de le relever avec l’aide d’un ancien collaborateur de Proudhon, M. Georges Duchène, autrefois gérant du Peuple, et de quelques amis pleins d’ardeur, entre autres M. Jules Vallès. Saisi les 10 et 17 juin et frappé de condamnations diverses, il n’en voulut pas moins rester résolument placé en dehors de tous les partis officiellement reconnus et en dehors de toutes les influences qui dominaient à peu près exclusivement la presse et le monde politique depuis 1852.

Le 18 juin 1867, le Courrier français devint quotidien, se donnant la mission d’affirmer les grands principes socialistes qui depuis la suppression du Peuple n’avaient pas eu d’organe avoué. Tout en donnant une large place dans ses colonnes h l’étude des questions sociales, il entama avec une famille devenue fameuse une courageuse polémique qui lui acquit une vogue inespérée et fit en quelques jours monter son tirage au delà de 22,000 exemplaires. Malheureusement les procès pleuvaient de toutes parts sur’ la jeune feuille vengeresse, et en quelques mois les amendes encourues par elle s’élevaient à plus de 15,000 fr. ; nous ne parlons pas des condamnations à la prison distribuées avec trop de générosité à la plupart de ses rédacteurs. Le Courrier français, sans cesse menacé dans son existence, vit s’accroître ses embarras financiers ; la division se mit au camp des actionnaires, et des menées dont la source fut diversement indiquée entraînèrent en mars 1868 la dissolution de la société. On le frappait ainsi à mort en pleine réussite, au moment où son succès était établi. Le journal passa alors, jusqu’à sa mise en adjudication, entre les mains d’un capitaliste, qui s’en saisit à titre de garantie d’un prêt fait à la société dans un moment critique et qui le laissa à peu près périr en moins d’un mois. Adjugé le l 3 avril 1868 à M. de Schryver, le Courrier français, auquel la vente sur la voie publique était interdite, reparut après une courte suspension de dix jours. M. Alfred Deberle, qui s’était créé dans l’ancienne rédaction du journal une place distinguée par ses articles satiriques publiés chaque semaine sous le titre : la Comédie politique, devint alors de fait, mais sans en vouloir prendre le titre, rédacteur en chef du Courrier français. Deux nouvelles poursuites fondirent presque aussitôt sur la nouvelle direction et atteignirent à leur tour MM. Alfred Deberle et Schryver, par l’amende et par la prison. Enfin, le 30 juin, un jugement de la sixième chambre du tribunal correctionnel de ia Seine ordonna la suppression de ce vaillant organe, dont la trop courte existence laissera cependant dans l’histoire de la presse contemporaine une trace durable. C’était courir au-devant d’une mort certaine que de prendre à notre époque l’attitude qu’il avait osé prendre ; aussi doit-on savoir gré à ses rédacteurs d’avoir eu ce courage. Constitué en dehors de tout calcul pécuniaire, il a été réellement ce qu’il avait voulu être, c’est-à-dire un journal du peuple, auquel le peuple coopérait chaque jour par ses communications, ses observations et ses réclamations. Les travailleurs avaient en lui un défenseur zélé, un soutien plein de hardiesse et d’énergie. lia laissé, en disparaissant, un vide véritable dans la lutte quotidienne des intérêts sociaux, et peut-être, vu les lois existantes, no sera-t-il pas de si tôt remplacé. Les amis de la discussion doivent le regretter.