Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FÉVAL (Paul-Henri-Corentin), romancier et auteur dramatique français

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 1p. 313).

FÉVAL (Paul-Henri-Corentin), romancier et auteur dramatique français, né k Rennes le 28 novembre 1817. Il descend d’une ancienne famille de robe. Son aïeul, le baron de Létang, remplissait les hautes fonctions de procureur généra ! près la cour de Rennes, et 80n père, savant jurisconsulte, était conseiller au même tribunal. Ses parents le placèrent au lycée de Rennes, où il fit d’assez bonnes études jusqu’à l’époque de la révolution de Juillet. Lorsque le vent de l’émeute eut balayé la branche aînée avec le trône de Charles X, la mode vint de s’affubler de cocardes aux trois couleurs ; le jeune Féval, royaliste dans l’âme, orna son chapeau d’une immense cocarde blanche. Grand émoi dans le petit monde des collégiens, grande colère contre l’auteur de cette protestation. Plusieurs batailles eurent lieu, et, pour mettre un terme à ces scènes de pugilat, le jeune homme dut rentrer dans sa famille. Là, ses instincts se trahirent d’une manière encore plus vive ; la maison paternelle était devenue un foyer d’insurrection, le centre des mécontents, un asile ouvert à tous les ennemis de la branche cadette. Paul Kéval trouva très-amusant déjouer au conspirateur ; il prit son rôle au sérieux et se laissa emporter jusqu’à insulter la maréchaussée. Le gendarme se montra bon prince, et c’est au tribunal de sa mère qu’il traduisit le coupable. Celle-ci jugea qu’il convenait d’assouplir encore ce caractère emporté et reconduisit son rils au lycée, où il resta de 1831 k 1833.

Ses éludes terminées, la famille voulant conserver ses traditions, ht faire son droit k Paul Feval, qui conquit le grade d’avocat à l’âge de dix-neuf ans. Plus d’un homme se Sert de sa plume avec talent, qui ne sait pas manier la parole ; le jeune avocat échoua au barreau. Il est vrai qu’il négligeait Cujas et Barthole pour Racine et Corneille, et sun.ont pour une littérature beaucoup moins classique.

Entraîné par ses guùts et attiré par cet aimant qui entraîne k Paris tout jeunéhomme de province qui se sent du talent, Paul Féval y vint occuper une place de commis dans une maison de banque. Les chiffres semblèrent bien arides k cette imagination si ardente et si mobile, et, plus d une fois, opér rant une habile soustraction sur ses heures de travail, le futur romancier, avant d’entrer lui-même dans la carrière, passait son temps à lire les œuvres de ses devanciers. Un matin le banquier, en guise de compte courant, trouva entre les mains de son commis un roman de Balzac ; il lui dit poliment que, n’ayant nullement l’intention de contrecarrer ses instincts, afin qu’il pût se consacrer entièrement aux lettres, il lui rendait la libre disposition de son temps. Mais, comme on ne vil pas que de l’air du temps, Paul Féval entra, en qualité d’inspecteur, dans une compagnie d’affichage, qu’il abandonna pour un journal, sans perdre ni gagner au change, car il ne fut ni plus ni moins payé par le directeur de la feuille publique que pur celui des affiches.

Dans ses heures de loisir, Paul Féval avait composé plusieurs romans ; mais il ne pouvait parvenir à escompter cette fortune en

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portefeuille, sans cesse accueilli par cet éternel refrain des éditeurs:« Vous n’êtes pas connu ! » qu’on répète à tous ceux qui cherchent à se faire connaître. Ne possédant plus que dix louis, mais riche de cœur et d’espérance, il prêta sa bourse à un ami. Dès le lendemain, il l’ut payé en railleries, et donna, l’épêe k la main, une leçon de probité à son créancier infidèle.

Si la vengeance est le plaisir des dieux, la nourriture est le besoin des hommes, et, pour vivre, Paul Féval accepta au Nouvelliste les modestes fonctions de correcteur d’épreuves. Il en profita pour glisser dans le journal quelques articles pleins d’originalité. Ils plurent au directeur de la Revue de Paris, qui donna asile dans sa publication.périodique k cette spirituelle fantaisie, intitulée le Club des phoques. Cette nouvelle fut remarquée, et le Commerce, la Quotidienne et l’Époque se hâtèrent d’ouvrir leurs colonnes au débutant. En 1843, Paul Féval se plaça tout d’un coup au rang de nos bons romanciers par la publication du Loup blanc, scènes de la vie bretonne. Le livre était très-intéressant, écrit vigoureusement et ressemblait un peu à une de ces légendes de la vieille Armorique, que les anciens du village racontent k la veillée pour réchauffer les sentiments d’honneur et de patriotisme de la jeunesse.

Un homme habile et plein de sagacité, M. Antètior Joly, directeur du Courrier français, devina la valeur du jeune romancier, qui, d’ailleurs, venait de faire ses preuves, et lui commanda un ouvrage intitulé les Mystères de Londres. Eugène Sue, avec ses Mystères de Paris, remplissait alors les cent bouches de la Renommée ; il s’agissait de lui faire concurrence. M. Joly avait traité avec un Anglais (jour le livre dont il avait conçu l’idée ; mais il ne reçut qu’un paquet de notes lourdes et insipides. Paul Féval lui parut l’homme propre à l’exécution de son dessein, et, bien qu’il voulût s’en excuser, alléguant qu’il ne connaissait pas l’Angleterre, il finit par se laisser persuader. Il écrivit donc le premier volume des Mystères de Londres en tâtonnant et presque au hasard; ce qu’il y avait de plus anglais dans son œuvre, c’était la signature: sir Francis Troloop. L’imagination avait réussi à couvrir le défaut de renseignements exacts, et cet essai hardi eut un succès fabuleux. Le romancier partit alors pour l’Angleterre, afin de puiser ses notes à la meilleure source ; il y séjourna quelque temps, et, en sachant répandre l’or à propos, il ramassa une moisson de détails de mœurs fort précieuse. De retour à Paris, il acheva son œuvre, cette fois en connaissance de cause. Le roman était bien conduit, bien soutenu; l’imagination y pétillait vive, colorée, puissante, et révélait un conteur habile, chatoyant, intarissable, maître de tous les fils de sa trame et enchaînant le lecteur dans l’inextricable réseau de l’intérêt. On pouvait reprocher à cette improvisation, pleine de passion et d’événements, des peintures exa— " gérées, des négligences et un défaut k peu

firès complet d’étégance ; mais, avec ses quaités et ses défauts, elle attachait et émouvait fortement. Ce roman, qui parut en 1844 (11 vol.), a eu plus de vingt éditions.

À cette époque, Paul Féval collaborait k la fois k la Chronique, k la Mode, à la France maritime, et publiait ses Compagnons du silence et son Fils du Diable (1847), tandis que ses Mystères de Londres étaient traduits dans plusieurs langues et perpétuaient k l’étranger la réputation de l’esprit français.

La révolution de 1848 éclata. Ce fut un coup de foudre pour notre écrivain resté fidèle légitimiste. Il essaya de fonder un tournai pour y soutenir ses opinions ; mais l’insuccès le dégoûta du journalisme militant. C’est alors qu’il aborda le théâtre et mit k la scène le Fils du Diable, la Bourgeoisie et les Mystères de Londres. Cet écrivain, si dramatique dans ses romans, l’était fort peu au théâtre, où ses pièces n’eurent point de succès. Découragé d’ailleurs par le triomphe du parti politique auquel il avait jadis, comme Annibal k l’âge de neuf ans, voué une haine » éternelle, il tomba gravement malade. Un médecin homœopathe, M. Pénoyée, se chargea de la cure, qu’il mena à bonne fin, et le docteur et son client s’entendirent si bien qu’un beau jodr M’te Pénoyée devint Mme Kéval.

La fortune, lorsqu’elle a commencé à nous sourire, n’épargne plus rien ; l’aisance vint à l’écrivain, en même temps que le bonheur. L’inépuisable fécondité de ce second Alexandre Dumas produisait de l’or, et beaucoup d’or. Plus de deux cents volumes sortirent de sa plume, parmi lesquels les plus recommandables sont:le Capitaine fnntàme, les Amours de Paris, la Quittance de minuit, Jean Diable, les Errants de la nuit, les Parvenus, les Compagnons du silence, le Capitaine Simon et Mme Cil Bios. On put bientôt comparer l’infatigable conteur a une locomotive littéraire chauffée à blanc par Anténor Joly avec le charbon du Courrier français.

En 1855, Paul Féval, qui avait déjà publié une Butnire des tribunaux secrets (1851, 8 vol.), parut vouloir aborder un genre plus sérieux et se livra à des études historiques; maisjl ne persista pas longtemps dans cette nouvelle voie, où il avait déployé plus d’imagination que de science. En 1857, le Siècle publia le Bossu, roman de cape et d’épée si

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émouvant, si leste, un peu dans le goût espagnol. Mis au théâtre, il n’obtint pas un succès moindre qu’au rez-de-chaussée du journal de M. Ilavin, et c’était à juste titre, car il est difficile de lire une œuvre plus intéressante. C’était, en outre, une peinture exacte des mœurs de la Régence et des saturnales financières de l’Écossais Law. Mentionnons

encore : les Couteaux d’or, la Louoe, liouchede-fer, les Habits noirs, Annette Laïs, la Duchesse de Nemours, Cœur d’acier, les Drames de la mort, l’Homme de fer, la Heine des épées, les Nuits de Paris, l’Avaleur de sabres, le Château de velours, les Revenants, etc. En 1867, il fut nommé président de la Société des gens de lettres, dans le sein de laquelle eurent lieu, à cette époque, des débats orafeux au sujet d’une publication intitulée le 'ré.ior littéraire. Il a été promu officier de la Légion d’honneur en 1867.

La vie de Paul Féval s’écoule heureuse et tranquille auprès de sa femme, dans sa charmante demeure, rue Saint-Maur-Popincourt. Il y travaille ordinairement jusqu’à midi, et sa facilité n’a nullement l’air de faiblir, ni sa veine’de s’épuiser. Depuis 1852, le voilà délivré de son dernier ennui : Sa bête noire, c’était la garde à monter, et il a fait de si nombreuses stations à la salle des haricots que, certes, il a dû y écrire plus d’un volume. En ce cas, nous nous félicitons de son peu de goût pour l’uniforme.

Paul Féval a dédié ses œuvres à Frédéric Soulié ; le patronage était fort judicieusement choisi, car P. Féval tient beaucoup de l’auteur des Mémoires du Diable, pour la fécondité et l’art de rendre un sujet dramatique. Comme chez Soulié, l’imagination, la passion dominent chez lui ; « son style est vif, animé, mais il ne se donne pas le temps de le châtier et peut-être inanque-t-il de distinction. La qualité principale, qu’on serait mal venu à lui contester, c’est l’intérêt ; il amuse, émeut et passionne son lecteur. Avec un pareil don, on ne peut qu’être un bon romancier ; aussi Paul Féval brille-t-il au premier rang des réputations littéraires de nos jours.


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