Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/FERNIG (Félicité et Théophile (DE), héroïnes françaises

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 1p. 260-261).

FERNIG (Félicité et Théophile (DE), héroïnes françaises, célèbres dans les fastes de la Révolution comme officiers d’état-major auprès de Dumouriez, de Beurnonville, du duc de Chartres (depuis Louis-Philippe), à Jemmapes, à Valmy, à Anderlecht, à Nerwinde, etc., nées au village de Mortagne (Nord), la première vers 1776, la seconde vers 1779. Elles étaient filles d’un ancien officier, dont les fils servaient, l’un à l’armée des Pyrénées, l’autre à l’armée du Rhin. Félicité et Théophile remplaçaient leur mère morte auprès de deux plus jeunes sœurs encore en bas âge. En 1792, Félicité avait seize ans, Théophile en avait treize. C’était l’époque où les frontières de la France étaient de toutes parts menacées d’invasion. Les uhlans légers de Clairfayt franchissaient souvent la limite du pays belge pour venir piller, incendier la contrée. M. de Fernig, qui commandait la garde nationale de Mortagne, avait communiqué son ardeur patriotique aux villageois de son canton. Sous ses efforts, le pays s’était transformé en un véritable camp, d’où partaient chaque nuit des patrouilles qu’il dirigeait presque toujours en personne et qui avaient de fréquentes rencontres avec les hussards autrichiens. Théophile et Félicité, émues des dangers que courait leur père, émues aussi sans doute des dangers de la patrie, résolurent de se mêler, à l’insu de M. de Fernig, dans les rangs des soldats improvisés par lui, de combattre avec eux, de veiller sur leur père. Quelques habitants du village, dont la complicité leur était nécessaire pour les dérober aux regards du chef, furent seuls instruits de leur résolution. Elles revêtirent des habits masculins que leurs frères avaient laissés à la maison en partant pour l’armée ; elles s’armèrent de leurs fusils de chasse, et, suivant plusieurs nuits la petite colonne guidée par M. de Fernig, elles firent le coup de feu avec les maraudeurs autrichiens, s’aguerrirent au combat, à la fatigue, à la mort, et électrisèrent par leur courage les soldats citoyens. Leur secret fut bien gardé, si bien gardé que M. de Fernig, en rentrant le matin à son logis et en racontant à table les exploits de la nuit à ses enfants, ne soupçonnait pas que deux d’entre eux avaient combattu à ses côtés et peut-être préservé ses jours. « Cependant, dit Lamartine, Beurnonville, qui commandait le camp de Saint-Amand, à peu de distance de l’extrême frontière, ayant entendu parler de l’héroïsme des volontaires de Mortagne, monta à cheval à la tête d’un fort détachement de cavalerie et vint balayer le pays de ces fourrageurs de Clairfayt. En approchant de Mortagne, au point du jour, il rencontra la colonne de M. de Fernig. Cette troupe rentrait au village après une nuit de fatigue et de combat, où les coups de feu n’avaient cessé de retentir sur toute la ligne, et où M. de Fernig avait été délivré lui-même par ses filles des mains d’un groupe de hussards qui l’entraînaient prisonnier. La colonne harassée, et ramenant plusieurs hussards blessés et cinq prisonniers, chantait la Marseillaise au son d’un seul tambour déchiré de balles. Beurnonville arrêta M. de Fernig, le remercia au nom de la France, et, pour honorer le courage et le patriotisme de ses paysans, voulut les passer en revue avec tous les honneurs de la guerre. Le jour commençait à poindre. Ces braves gens s’alignèrent sous les arbres, fiers d’être traités en soldats par le général français. Mais, descendu de cheval et passant devant le front de cette petite troupe, Beurnonville s’aperçut que deux des plus jeunes volontaires, cachés derrière les rangs, fuyaient ses regards et passaient furtivement d’un groupe à l’autre pour éviter d’être abordés par lui. Ne comprenant rien à cette timidité dans des hommes qui portaient le fusil, il pria M. de Fernig de faire approcher ces braves enfants. Les rangs s’ouvrirent et laissèrent à découvert les deux jeunes filles ; mais leurs habits d’homme, leurs visages défigurés par la fumée de la poudre des coups de feu tirés pendant le combat, leurs lèvres noircies par les cartouches qu’elles avaient déchirées avec les dents les rendaient méconnaissables aux yeux mêmes de leur propre père. M. de Fernig fut surpris de ne pas connaître ces deux combattants de sa petite armée. « Qui êtes-vous ? » leur demanda-t-il d’un ton sévère. À ces mots un chuchotement sourd, accompagné de sourires universels, courut dans les rangs. Théophile et Félicité, voyant leur secret découvert, tombèrent à genoux, rougirent, pleurèrent, sanglotèrent, se dénoncèrent et implorèrent, en entourant de leurs bras les jambes de leur père, le pardon de leur pieuse supercherie. M. de Fernig embrassa ses filles en pleurant lui-même. Il les présenta à Beurnonville, qui raconta cette scène dans sa dépêche à la Convention. La Convention cita les noms de ces deux jeunes filles à la France, et leur envoya des chevaux et des armes d’honneur au nom de la patrie. Les citoyennes Ferning (sic) furent encore signalées au pays dans une lettre des commissaires envoyés à Châlons, Carra, Sillery et Prieur, lettre adressée à la Convention nationale et lue par un des secrétaires à la séance du 3 octobre 1792 : « Ces deux jeunes enfants, aussi modestes que courageuses, sont sans cesse aux avant-gardes et dans les postes les plus périlleux, est-il dit dans cette pièce. Au milieu de l’armée, composée de jeunes citoyens, elles y sont respectées et honorées ; c’est toujours le prix de la vertu. » Dumouriez, à l’époque de son premier commandement en Flandre, fixa sur elles l’admiration de ses soldats. Mais à nos premiers revers, les Autrichiens, dans un esprit de basse vengeance, incendièrent et rasèrent la maison des deux héroïnes. M. de Fernig n’eut plus alors d’autre patrie que l’armée. Dumouriez emmena le père, un des fils et les deux filles avec lui dans la campagne de l’Argonne. Il donna au père et au fils des grades dans l’état-major. Félicité et Théophile, toujours entre leur père et leurs frères, portaient l’habit, les armes et faisaient les fonctions d’officiers d’ordonnance. Elles combattirent à Valmy, puis à Jemmapes. L’aînée, Félicité, suivait à cheval le duc de Chartres, qu’elle ne voulait pas quitter pendant la bataille. Théophile, elle, portait les ordres du général en chef, et marchait avec lui à l’assaut des redoutes de l’aile gauche. Dumouriez montrait ces deux jeunes guerrières à ses soldats comme un modèle de patriotisme et un augure de la victoire. Leur exemple fut d’ailleurs suivi par plusieurs citoyennes de cette époque extraordinaire, que l’héroïsme des deux sœurs entraîna, elles aussi, à la frontière. Mais laissons encore la parole à Lamartine, qui a consacré quelques pages touchantes aux demoiselles de Fernig, dans les Girondins.

« Dans une de ces rencontres entre l’avant-garde française et l’arrière-garde autrichienne, une des jeunes amazones Fernig, Félicité, qui portait les ordres de Dumouriez à la tête des colonnes, entraînée par son ardeur, se trouva enveloppée avec une poignée de hussards français par un détachement de uhlans ennemis. Dégagée avec peine des sabres qui l’enveloppaient, elle tournait bride avec un groupe de hussards pour rejoindre la colonne, quand elle aperçoit un jeune officier de volontaires belges de son parti, renversé de cheval d’un coup de feu et se défendant avec son sabre contre les uhlans, qui cherchaient à l’achever. Bien que cet officier lui fût inconnu, à cet aspect Félicité s’élance au secours du blessé, tue de deux coups de pistolet deux des uhlans, met les autres en fuite, descend de cheval, relève le mourant, le confie à ses hussards, le fait porter, l’accompagne, le recommande elle-même à l’ambulance et revient rejoindre son général. Ce jeune officier belge s’appelait Vander Walen. Laissé, après le départ de l’armée française, dans les hôpitaux de Bruxelles, il oublia ses blessures, mais il ne pouvait jamais oublier la secourable apparition qu’il avait eue sur le champ de carnage. Ce visage de femme sous les habits d’un compagnon d’armes, se précipitant dans la mêlée pour l’arracher à la mort, et penché ensuite à l’ambulance sur son lit sanglant, obsédait sans cesse son souvenir. Quand Dumouriez eut fui à l’étranger, et que l’armée eut perdu la trace des deux jeunes guerrières qu’il avait entraînées dans ses infortunes et dans son exil, Vander Walen quitta le service militaire, et voyagea en Allemagne à la recherche de sa libératrice. Il parcourut longtemps en vain les principales villes du Nord sans pouvoir obtenir aucun renseignement sur la famille de Fernig. Il la découvrit enfin réfugiée au fond du Danemark. Sa reconnaissance se changea en amour pour la jeune fille, qui avait repris les habits, les grâces, la modestie de son sexe. Il l’épousa et la ramena dans Sa patrie. »

On croirait lire un roman. Deux lettres, écrites par les deux sœurs au secrétaire général de la préfecture de la Seine, Méjean, datées du 28 thermidor an VIII, et qui ont été conservées dans les collections d’autographes, montrent combien leur position était touchante et triste à cette époque. « Ainsi donc, y est-il dit, la misère nous chasse... d’une patrie pour qui nous avons tout sacrifié ! Nous partons en l’adorant toujours. Abattues par le chagrin le plus dévorant, nous retournons en Hollande, cette terre hospitalière, y consoler notre famille languissante. » En 1802, Félicité et Théophile rentrèrent en France. Théophile suivit ensuite Félicité, sa sœur et sa compagne de gloire, à Bruxelles. Elle y mourut, âgée seulement de trente-neuf ans, en 1818, sans avoir été mariée. Elle cultivait les arts. Musicienne et poète, elle a laissé des poésies empreintes d’une mâle énergie et d’une sensibilité féminine. Félicité, devenue Mme  Vander Walen, vivait encore à Bruxelles en 1831. Elle est morte depuis, et les deux sœurs, inséparables dans la vie, dans la mort, comme sur les champs de bataille, reposent ensemble sur la terre de Belgique. Quant a leur père, il avait été nommé greffier à Mortagne.

La Société d’agriculture de Valenciennes possède : 1° un portrait de Théophile et de Félicité de Fernig, d’après une toile du musée de Versailles ; 2° une esquisse : Le capitaine Ferning reconnaissant ses deux filles enrôlées à son insu dans la compagnie de garde nationale qu’il commandait. Théophile Fernig figure parmi les personnages d’un drame militaire, la Révolution. Outre les Girondins, on peut citer encore plusieurs ouvrages où il est question des charmantes aides de camp de Dumouriez, notamment les Archives historiques et littéraires du Nord de la France, par MM. Dinaux, Leglay, etc., et le Dictionnaire encyclopédique de la France, de Philippe Lebas.

Le lieutenant général comte de Fernig (Louis-Joseph-César), né à Mortagne (Nord) en 1772, mort le 24 août 1847, était frère des précédentes. Une de leurs jeunes sœurs devint la femme du général Guilleminot. Un fils de Mme  Vander Walen (Félicité) est conseiller à la cour d’appel de Douai ; un autre fils est directeur de la maison de force à Vilvorde (Belgique).