Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Histoire littéraire de la)

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France (histoire littéraire de la), par les bénédictins, continuée par l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Cette histoire fut entreprise, en 1728, par dom Rivet, assisté de dom Poucet et de dom Colomb, religieux de l’abbaye de Saint-Vincent du Mans. De 1733 à 1747, dom Rivet publia 8 vol. in-4º de ce grand ouvrage, qui aujourd’hui en forme 19. Le neuvième volume fut publié en 1750 par dom Taillandier ; les trois suivants, de 1756 à 1763, par dom Clément et dom Clémencet. L’ouvrage resta interrompu. En 1800, Bonaparte chargea l’Institut de le continuer. La classe d’histoire et de littérature ancienne, qui, en 1814, reprit son ancien nom d’Académie des inscriptions et belles-lettres, a publié, de 1814 à 1838, 7 volumes, dont le dernier achève l’histoire littéraire du xiiie siècle.

Voici le plan de dom Rivet : offrir, dans chaque article, la vie des auteurs, l’indication et l’analyse des ouvrages ; y ajouter la notice des différentes éditions, assigner les rangs, non par ordre de matières, ni par celui de la publication des écrits, mais en s’asservissant à la date de la mort des auteurs ; et, si cette date était ignorée, d’après l’époque de leurs dernières actions connues, ou d’après le temps où ils avaient vécu. En tête de chaque volume qui commencerait un siècle, ou qui en renfermerait plusieurs, placer un discours historique sur l’état des lettres pendant la période, et, à la fin de chaque volume, des tables chronologiques destinées à réunir, dans un heureux rapprochement, les principaux traits de l’histoire littéraire. Les discours préliminaires qui ouvrent plusieurs des volumes de la collection sont des morceaux de littérature très-recommandables et très-intéressants ; c’est le tableau de l’état et de l’histoire des lettres à diverses époques. On y distingue tout ce qui concerne les études en France, l’établissement des écoles épiscopales et monastiques, les érections des collèges et des universités, les régimes des différentes académies, les inventions utiles, les découvertes importantes, etc. Les protecteurs des lettres n’y sont pas oubliés, et c’était justice. Ces discours mériteraient d’être réimprimés en corps d’ouvrage distinct. Le plan suivi par les bénédictins présenta deux inconvénients : la méthode de ranger les auteurs d’après la date de leur mort fait que des disciples, morts jeunes, sont connus avant le maître qui les avait formés ; ensuite elle s’oppose au classement des ouvrages et des écrivains par ordre de manières.

Leurs continuateurs ont modifié le classement des matières, la méthode de la composition et les formes de l’analyse. Parmi les auteurs des volumes de la continuation, on doit mentionner Raynouard, Fauriel, MM. Lajard, Paulin Pâris, Littré, Victor Leclerc et Renan. Les architectes de la dernière heure ont apporté autant d’érudition et plus de critique que les religieux de Saint-Maur.

Le vaste recueil de L’Histoire littéraire de la France est comme le panthéon intellectuel de la nation (Alf. Maury). Tout ce qui a brillé par l’intelligence et l’esprit y trouve son inscription et son monument. Cet ouvrage forme le pendant des Historiens de France, collection également continuée par l’Académie des inscriptions. Cette histoire, il faut bien le remarquer, n’embrasse pas seulement celle des œuvres d’imagination ; elle traite encore de tout ce qui peut faire connaître l’état des sciences et des connaissances humaines à une époque où leur peu d’avancement ne permettait point entre elles ces divisions tranchées qui se sont établies par la suite. C’est pourquoi, et pour d’autres raisons encore, l’édifice s’élève lentement, malgré l’activité des nouveaux travailleurs.

Le tome XXIIIe, publié en 1856, comprend la fin du xiiie siècle ; le tome XXIVe, publié en 1864, entame le xive siècle. Comment un ouvrage qui doit parcourir toute notre littérature, comment un ouvrage qui marche si lentement pourra-t-il être jamais terminé ? Mais il faut prendre son parti d’une lenteur insurmontable, tant les monuments de notre ancienne littérature abondent, bien que beaucoup des productions du moyen âge soient perdues.- « Il existe en France, dit M. Villemain dans le Journal des savants, une vaste littérature non interrompue depuis le ve siècle, toute latine, il est vrai, pendant cinq siècles encore, puis, à partir de là, pendant cinq à six siècles, latine et française, avec un accroissement graduel de puissance et d’activité pour la forme française, jusqu’au moment où cette forme devient presque exclusive en France et dominante au dehors. » C’est avec l’âge français, avec la Chanson de Roland, que commence le grand intérêt de l’Histoire littéraire. C’est cette partie, la plus riche et la plus belle, qui est échue aux continuateurs. M. Villemain juge ainsi leur travail, plus parfait dans les derniers volumes : « La difficulté pour les savants auteurs a été grande, d’autant qu’ils voulaient rendre leur ouvrage plus complet et plus neuf ; ils ont eu à travailler le plus souvent sur des textes manuscrits dont l’analyse est une découverte pour les curieux. Ils ont eu à constater, jusqu’à l’accablement du lecteur, la fécondité singulière de nos postes dans ces temps qu’on avait crus stériles ; puis enfin, à part ces longs poëmes narratifs, dont le nom du moins n’était pas ignoré, ils ont eu à recueillir, dans des œuvres plus courtes, dispersées, inconnues, mille indices plus légers, mille traces fugitives de l’esprit français, sous des points de vue précieux pour l’histoire. »

L’Histoire littéraire de la France court risque de n’être jamais terminée. L’unique moyen de la mener à terme serait peut-être d’autoriser la commission de l’Institut, devenue comité directeur, à nommer des sous-commissions prises en dehors de l’Académie, dans lesquelles entreraient des hommes de lettres, des bibliographes, des professeurs, enfin tous les auxiliaires jugés capables d’apporter un utile concours.

Voici, sur cette œuvre importante, l’opinion de M. 0. Gréard, dans la Revue de l’instruction publique ; S’il est une œuvre qui doive relever le moyen âge du discrédit où l’a jeté, dans ces derniers temps, l’ardeur intempérante de ses défenseurs, c’est assurément celle que l’Académie des inscriptions et belles-lettres a entrepris de continuer et de mener à bonne fin. Le malheur du moyen âge, en effet, dans cette polémique, n’est pas d’avoir été condamné, bien qu’il n’eût pas besoin de l’être, c’est plutôt d’avoir trouvé des avocats qui, d’une étude historique faisant un procès en diffamation contre la civilisation moderne, n’ont pas hésité, pour les besoins de leur cause, à le défigurer… Ramenés à leur vrai point de vue, étudiés sans prévention, ces longs siècles de travail et d’efforts, qui ne sont ni des siècles d’or ni des siècles de fer, ne méritent ni ces honneurs ni ce dédain. La littérature qu’ils ont produite en offre surabondamment la preuve ; elle ne présente sans doute aucun des caractères du génie qui s’impose au souvenir et à l’admiration des peuples les plus oublieux de leur gloire ; mais il ne lui manque non plus aucune des qualités particulières aux premiers développements des œuvres de l’esprit : ni la grâce qui s’ignore, ni la foi naïve, ni la verve piquante et railleuse, ni la variété féconde, si féconde que, pour résumer le tableau « incomplet » de cent ans d’essais, il n’a pas fallu moins de huit grands in-quarto de 900 pages chacun. Telle qu’elle est, cette exubérance même est un des cachets de l’esprit du temps ; et c’est en prêtant ainsi son aide à l’histoire politique, que la publication de l’Histoire littéraire de la France contribuera â rendre au moyen âge sa véritable physionomie. »


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