Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Irlandais-Unis, Association fondée en 1791, en Irlande, dans le but secret de secouer le joug de l’Angleterre

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 2p. 794).

Irlandais-Unis, Association fondée en 1791, en Irlande, dans le but secret de secouer le joug de l’Angleterre. Des sociétés de même nature avaient déjà existé précédemment ; c’étaient les white boys (enfants blancs), ainsi appelés à cause de chemises qu’ils portaient par-dessus leurs vêtements dans leurs expéditions nocturnes ; c’étaient encore les kearts ofoak (cœurs de chêne), les righl boys (enfants du droit). En 1779, le gouvernement anglais ayant été contraint, par la nécessité de la guerre d’Amérique, de dégarnir l’Irlande de troupes, les Irlandais, sous prétexte de la défense du pays, organisèrent des corps de volontaires qui, deux ans après, présentaient un effectif de 40,000 hommes. Ces volontaires présentèrent des pétitions les armes à la main, et le gouvernement effrayé fut forcé de consentir à l’abrogation de quelques lois pénales portées contre les catholiques. Mais ces réformes incomplètes ne satisfaisaient pas les Irlandais, chez qui la Révolution française eut un contre-coup violent. Les volontaires, qui s’étaient dissous quelques années auparavant, se réorganisèrent en 1791 et formèrent la vaste association des Irlandais-Unis, dans laquelle entrèrent bon nombre de protestants. Cette association avait pour but apparent de propager les principes de la Révolution française ; elle poursuivait en réalité une révolution qui aurait détaché l’Irlande de l’Angleterre et l’aurait transformée en république indépendante. Le général Russell et Théobald Wolf Tone en furent les premiers organisateurs ; elle fut ensuite dirigée par-Edward Fitz-Gerald, Arthur O’Connor, descendant des anciens rois d’Irlande, Olivier Bond, le docteur Mac-Nevin et Thomas Addis Emmet. La comité directeur prenait le nom de comité national ; l’association se fractionnait en comités de baronnies, do comtés, de provinces ; les membres s’engageaient sous le sceau du serment à se garder mutuellement le secret et à répandre leur principe par tous les moyens de propagande publique et privée qui seraient en leur puissance, jusqu’au moment où l’on serait en force pour engager une lutte ouverte. Ce moment parut être venu à la an de l’année 1796 ; des relations secrètes avaient été établies entre le comité national et le gouvernement français ; une flotte portant 25,000 hommes commandés par Hoche apparut sur les côtes d’Irlande ; mais des accidents de mer et surtout l’impéritie de l’amiral empêchèrent le débarquement, qui eût été le signal d’une insurrection générale dans l’Ile.

Le gouvernement déclara l’Irlande en état de siège, et poursuivit l’association des Irlandais-Unis, qui n’en continua pas moins d’exister secrètement. Elle comptait à la fin do 1797 plus de 500,000 membres. > Je ne sais quelle flamme héroïque, dit lord Cloncurry dans ses mémoires, s’était alors allumée dans toutes les classes de la société. Au barreau, à la chaire, dans le salon du grand seigneur

IRLA

7 89

comme dans la cabane du paysan, la même étincelle électrique faisait vibrer les âmes à l’unisson, et animait d’un mâle courage jusqu’au cœur des femmes et des enfants. • Mais il se trouva un membre de l’association, un Irlandais, pour vendre son pays ; il se nommait Thomas Reynolds ; c’était un marchand catholique de Dublin, On lui donna, pour payer sa trahison, 5,000 liv. st. comptant, et une pension de 1,500 livres. Il dévoila tout, le nom des directeurs du comité et les plans d’insurrection ; Emmet, Mac-Nevin et Bond furent arrêtés le 12 mai 1798. Fitz-Gerald put s’échapper, et, caché dans Dublin, il prépara un soulèvement dont la date fut fixée au 23 mai. Une seconde trahison, celle du capitaine de milice Armstrong, arrêta l’entreprise, Un détachement, à la tête duquel étaient le juge Svan, le major Sirr et le capitaine Rvan, investit la maison dans laquelle était réfugié Fitz-Gerald ; armé seulement d’un poignard, le conjuré se défendit en désespéré ; il tua le capitaine, blessa le juge ; déjà le peuple s’assemblait et allait le délivrer, lorsqu’un coup de feu le mit hors de combat, et on l’emporta h la forteresse. Tous les membres du comité étaient prisonniers.

L’insurrection eut lieu cependant au jour dit ; dans la nuit du 23 mai, sans ordres, sans chefs, sans armes, les paysans s’insurgèrent dans tous les districts voisins de Dublin et envahirent la capitale ; les fusils anglais eurent raison de leurs bâtons et de leurs piques ; le soulèvement fut dompté. Cependant, dans le sud de l’Ile, les Irlandais-Unis tinrent pendant longtemps en échec les troupes anglaises. Les vengeances de l’Angleterre furent atroces ; le sang coula par torrents. Lord Camden et lord Castlereagh, qui furent les exécuteurs implacables de la politique anglaise, ont laissé en Irlande un souvenir exécré. La rébellion entièrement apaisée, des pofmiutions paisibles et nullement disposées à a révolte furent soumises au régime des cours martiales, aux exécutions sans jugement, à la torture, aux massacres. Trente mille hommes périrent. Aux mois d’août et de septembre, deux descentes de troupes françaises, sous les ordres de Humbert et de Hadry, galvanisèrent encore les débris de l’insurrection terrorisée ; mais ces mouvements furent bientôt réprimés. La corruption vint alors achever l’œuvre commencée par la violence. Profitant de l’épuisement du pays et de la juste impopularité où était tombé le parlement irlandais, instrument docile de tyrannie entre les mains de l’Angleterre, Pitt exécuta enfin le profond dessein qu’il couvait depuis longtemps. Le bill d’union fut acheté d un parlement corrompu. Lord Castlereagh, un des négociateurs de cette transaction, fut, paralt-il, superbe, en cette circonstance, d arrogance et de mépris pour l’humanité. • Et que diriez-vous, mylord, s’écriait un honnête membre du parlement auquel il venait de faire des propositions corruptrices, si je publiais ce que vous venez de me proposer ici î

— Ce que je dirais ? répondit imperturbablementlord Castlereagh, apparemment je le nierais, et je suppose que, de nous deux, ce n’est pas vous qui maniez le mieux l’épée et le pistolet. > Les dernières séances du parlement d’Irlande offrent un intérêt dramatique ; on assiste à l’agonie d’un peuple. Le célèbre orateur Grattan se fit transporter, mourant, dans l’enceinte, pour protester contre cette dégradation de son pays ; l’acte qui assimilait l’Irlande à une province conquise fut néanmoins voté.

Cependant l’association des Irlandais-Unis n’était pas détruite. Le frère de Thomas Addis Emmet, lejeune Robert Emmet, âgé d’une vingtaine d’années à peine, entreprit de la réorganiser ; il alla en France en 1802, vit le premier consul, qui s’engagea formellement à appuyer l’insurrection par l’envoi d’une flotte. Des circonstances imprévues firent éclater le mouvement avant le terme convenu ; le 23 juillet 1303, les Irlandais-Unis déployèrent à Dublin le drapeau vert avec les devises : Indépendance nationaleLiberté de conscience, et engagèrent une bataille désespérée.

Les insurgés furent vaincus. Ils se dispersèrent dans les campagnes et soulevèrent les paysans ; battus de nou veau, on s’empara d’eux, et tous passèrent devant les cours martiales ; leurs discours énergiques, surtout celui de Robert Emmet, impressionnèrent fortement la foule, et l’on put craindre une nouvelle sédition ; mais les précautions étaient prises. Condamnés à mort, les conjurés furent, suivant l’usage, pendus, puis décapités, et le bourreau montra la tête de chacun d’eux au peuple en disant : Voici la tête d’un traître |