Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LA FAYETTE (Marie-Madeleine PIOCHE DE LA VERGNE, comtesse DE), une des femmes les plus célèbres du XVIIe siècle

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 53).

LA FAYETTE (Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, comtesse de), une des femmes les plus célèbres du XVIIe siècle, née à Paris en 1634, morte en 1693. Elle était la fille de Aymar de La Vergne, maréchal de camp et gouverneur du Havre. Son père, homme d’esprit, la fit étudier d’abord sous sa propre direction, puis il lui donna pour précepteur Ménage et le P. Rapin, qui cultivèrent ses heureuses dispositions. Ils lui enseignèrent les lettres françaises, le latin, l’italien, et ils en firent une des étoiles de l’hôtel de Rambouillet. Ménage la célébra, sous son nom de Mlle de La Vergne et sous le nom latin de Laverna, dans des madrigaux en toutes langues, où il laissait apercevoir pour son élève un enthousiasme qui ressemblait à de l’amour. C’est assez visible dans ce joli madrigal italien :

    In van, Fili, tu chiedi
      Se lungamente durara l’ardore
      Che ’l tuo bel viso mi desto nel core ;
      Chi lo potrebbe dire ?
      Incerta, o Fili, è l’ora di morire.

« C’est en vain, Philis, que tu me demandes si longtemps durera l’amour que ton beau visage a éveillé dans mon cœur. Qui pourrait le dire ? L’heure de la mort, Philis, est incertaine. »

En 1655, Mlle de La Vergne épousa le comte de La Fayette, frère de la belle Louise de La Fayette, qui s’éteignait à cette époque au couvent de Chaillot, sous le nom de mère Angélique. En allant visiter celle qui, dans le monde, eût été sa belle-sœur, Mme de La Fayette entra en relation avec la reine déchue Henriette d’Angleterre, et ce fut l’origine de sa faveur près de la seconde Henriette, lorsque celle-ci devint duchesse d’Orléans (1661). Madame, nom sous lequel cette sympathique princesse est toujours désignée, en fit une de ses dames d’honneur et eut toujours pour elle la plus grande affection, quoiqu’il y eût entre elles dix années de différence d’âge. « Mlle de La Trémouille et Mme de La Fayette, dit cette dernière en parlant d’elle-même à la troisième personne, étaient du nombre des personnes qui voyaient souvent Madame. La première lui plaisait par sa bonté et par une certaine ingénuité à conter tout ce qu’elle avait dans le cœur, qui ressentait la simplicité des premiers siècles ; l’autre lui avait été agréable par son bonheur, car, bien qu’on lui trouvât du mérite, c’était une sorte de mérite si sérieux en apparence qu’il ne semblait pas qu’il dût plaire à une princesse aussi jeune que Madame. »

Ce qui distingue, en effet, Mme de La Fayette, c’est que, outre la délicatesse et la grâce dont toutes les femmes de cette époque de galanterie étaient douées, elle possédait la ferme raison, la solidité d’esprit et le sérieux jugement sans lesquels se perdent dans le vide toutes les qualités aimables. Aussi les esprits frivoles de l’époque, Gourville et Bussi-Rabutin, l’ont-ils représentée comme une figure morose et acariâtre ; mais Mme de Sévigné, Segrais, Huet, La Fontaine surent apprécier toute sa valeur et la mirent au-dessus des femmes les plus distinguées : Comme écrivain, elle avait le goût fin et délicat ; elle estimait, dans le style, la brièveté et la concision, peut-être outre mesure, car elle disait qu’une page qu’on parvient à retrancher dans un livre vaut au moins un louis, et un mot dans une phrase un franc. Ses lettres à Mme de Sévigné ne sont quelquefois que d’une ligne ou deux, et encore écrivait-elle rarement ; elle disait qu’elle aimerait mieux mourir que d’avoir un amant qui la forcerait de lui écrire tous les jours. Elle se complaisait surtout à la littérature romanesque, celle qui met en scène des passions extraordinaires et subites, des ressemblances et des méprises entre les héros, des aventures invraisemblables pour un médaillon, un portrait de femme, pour la conquête d’un bijou, d’un ruban. C’est dans ce genre, voisin de la Clélie et de l’Astrée, qu’elle écrivit, mais avec beaucoup plus de sobriété, ses premiers essais, la Princesse de Montpensier (1661), Zaïde (1670). La mort de Madame, arrivée à cette époque, fut sa première douleur ; comme elle avait coutume d’écrire brièvement, sous forme de journal, ses impressions, elle composa, sur ses notes, l’Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, qu’elle garda manuscrite et qui ne fut imprimée que longtemps après sa mort. Elle avait profité des conseils de Segrais pour tracer le plan et l’ordonnance de Zaïde ; ce fut La Rochefoucauld qu’elle prit pour collaborateur de la Princesse de Clèves, son œuvre capitale (1678). Ils étaient étroitement liés depuis une dizaine d’années, et la mort seule put les séparer ; ils mirent en commun, pour écrire ce petit chef-d’œuvre, l’une ce qu’elle avait encore de jeunesse et de grâce dans l’esprit, l’autre sa science de la vie et son morose scepticisme.

« Il est intéressant de rechercher, dit Sainte-Beuve, dans quelle situation particulière naquirent ces êtres si charmants, si purs, ces personnages nobles et sans tache, ces sentiments si frais, si accomplis, si tendres ; Mme de La Fayette mit là tout ce que son âme aimante et poétique tenait en réserve de premiers rêves toujours chéris, et M. de La Rochefoucauld se plut sans doute à retrouver dans M. de Nemours cette fleur brillante de chevalerie dont il avait trop mésusé, et, en quelque sorte, un miroir embelli où recommençait sa jeunesse. Ainsi, ces deux amis vieillis remontaient par l’imagination à cette première beauté de l’âge où ils ne s’étaient pas connus et où ils n’avaient pu s’aimer. »

La Princesse de Clèves eut un retentissement considérable dans la haute société du XVIIe siècle ; il en parut des réfutations et des critiques : Lettres à madame la marquise de X*** sur le sujet de la Princesse de Clèves (1678), attribuée au P. Bouhours, et qui est de son élève, Valincourt ; Conversations sur la critique de la Princesse de Clèves (1679, in-12), etc.

Mme La Fayette et La Rochefoucauld depuis longtemps souffraient ; ils sentaient peu à peu la vie se retirer d’eux et se demandaient tristement lequel resterait seul pour pleurer l’autre. Ce fut elle qui resta. Dans la nuit du 16 au 17 mars 1680, La Rochefoucauld mourut. « J’ai la tête si pleine de ce malheur et de l’extrême affliction de notre pauvre amie, écrit Mme de Sévigné, qu’il faut que je vous en parle… Où Mme de La Fayette retrouvera-t-elle un tel ami, une telle société, une pareille douceur, un agrément, une confiance, une considération pour elle et pour son fils ? Elle est infirme ; elle est toujours dans sa chambre ; elle ne court point les rues. M. de La Rochefoucauld était sédentaire aussi : cet état les rendait nécessaires l’un à l’autre ; rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. Songez-y, ma fille, vous trouverez qu’il est impossible de faire une perte plus considérable, et dont le temps puisse moins consoler. Je n’ai pas quitté cette pauvre amie tous ces jours-ci. »

Mme de La Fayette languit encore treize ans, toujours maladive et souffrante. Dans la réclusion à laquelle elle s’était condamnée, elle composa ses Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689, des Portraits, l’Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, une nouvelle, la Comtesse de Tende, et quelques autres ouvrages qui se sont perdus. Son fils, l’abbé de La Fayette, prêtait libéralement tous les manuscrits de sa mère, et sa facilité est cause que les Mémoires, ouvrage assez précieux, ne nous sont parvenus que tronqués et défigurés. Ce fut surtout pour remplir son existence si vide depuis la mort de son ami qu’elle continua d’écrire, et l’on retrouve à peine, dans ses derniers ouvrages, les qualités qui distinguent les premiers. Bientôt la lassitude et l’ennui l’emportèrent. Dans ses dernières années, elle s’était jetée dans la religion. Son confesseur eut quelque peine à la détacher des « vanités » du monde, et il lui écrivait sévèrement : « Il est important, madame, de vous nourrir d’un pain plus solide que ne sont des pensées qui n’ont point de but, et dont les plus innocentes sont celles qui ne sont qu’inutiles ; et je croirais que vous ne pourriez mieux employer un temps si tranquille qu’à vous rendre compte à vous-même d’une vie déjà fort longue, et dont il ne vous reste rien qu’une réputation dont vous comprenez mieux que personne la vanité… En vain l’on se défend, en vain on dissimule ; le voile se déchire à mesure que la vie et ses cupidités s’évanouissent et l’on est convaincu qu’il en faudrait mener une toute nouvelle quand il n’est plus permis de vivre. Il faut donc commencer par le désir sincère de se voir soi-même comme on est vu par son juge. Cette vue est accablante… On sent qu’on a vécu jusque-là dans l’illusion et le mensonge ; qu’on s’est nourri de viandes en peinture ; qu’on n’a pris de la vertu que l’ajustement et la parure, et qu’on en a négligé le fond, parce que ce fond est de tout rapporter à Dieu et au salut et de se mépriser soi-même en tous sens, etc. »

Voilà ce que devenaient la poésie, les joies de la gloire littéraire sous les lourdes et brutales mains de ce prêtre !