Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MARGUERITE DE FRANCE, reine de Navarre, première femme de Henri IV

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1171).

MARGUERITE DE FRANCE, reine de Navarre, première femme de Henri IV, née à Saint-Germain-en-Laye le 14 mai 1552, morte à Paris le 27 mai 1615. Cette sœur des derniers Valois a mérité plus que toute autre de figurer dans la galerie des femmes galantes de Brantôme, son contemporain. Née avec les dispositions les plus heureuses, d’un esprit vif et cultivé, elle se plut dans les plus singuliers désordres et se fit remarquer, toute jeune, à cette cour du Louvre, qui passerait difficilement pourtant pour une école de bonnes mœurs. Aussi, lorsqu’elle fut promise au roi de Navarre, le Béarnais ne cacha-t-il pas sa répugnance. Quoiqu’on ne lui connût qu’un amant avoué, le duc de Guise, celui qui devait être dagué à Blois, ses goûts licencieux étaient si peu secrets que Charles IX dit : « En donnant ma sœur Margot au prince de Béarn, je la donne à tous les huguenots du royaume, » paroles qui pouvaient s’entendre en ce que le mariage de Henri de Béarn avec la sœur du roi était, pour les protestants, un gage de réconciliation, mais que la malignité des courtisans interpréta tout autrement. Le mariage fut célébré au Louvre le 18 août 1572, et les fêtes auxquelles il donna lieu, en attirant à Paris toute la noblesse calviniste, suggérèrent à Catherine de Médicis l’idée des massacres de la Saint-Barthélémy, si toutefois ce mariage n’était pas un piège destiné à faciliter l’exécution d’un projet longuement médité d’avance. Il est certain, en tout cas, que Marguerite n’était pas dans le secret ; elle faillit même être une des victimes de cette nuit fatale. On tuait les huguenots jusque dans les corridors du Louvre, et un de ces malheureux vint se réfugier près d’elle. Voici comment elle a raconté dans ses Mémoires cette tragique aventure : « Comme j’estois la plus endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte de ma chambre, criant : Navarre ! Navarre ! Ma nourrice, pensant que c’estoit le roi mon mari, courut vitement à la porte ; un gentilhomme, déjà blessé et poursuivi par des archers, entra avec eux dans ma chambre. Lui, se voulant garantir, se jette dessus mon lit ; moi, sentant cet homme qui me tient, je me jette à la ruelle et lui après moi, me tenant toujours à la travers le corps : Je ne savois si les archers en vouloient à lui ou à moi, car nous criions tous deux et étions aussi effrayés l’un que l’autre. Enfin Dieu voulut que M. de Nançay, capitaine aux gardes, vînt, qui me trouvant en cet état-là, encore qu’il eût de la compassion, ne put se tenir de rire et se courrouça fort aux archers, les fit sortir et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenait, et que je fis coucher et panser dans mon cabinet jusqu’à ce qu’il fût du tout guéri. Et changeai bien vite de chemise, parce qu’il m’avoit couverte de sang. »

Pendant ce temps ; Henri n’échappait à la mort qu’en abjurant, et il était ensuite retenu prisonnier au Louvre. On conçoit qu’il ait eu fort peu d’affection pour la sœur d’un roi qui l’avait attiré dans un tel traquenard, et, quoiqu’il fût d’humeur galante, ce fut vers d’autres femmes de la cour qu’il tourna les yeux. Marguerite prit prétexte de ses nombreuses infidélités pour se donner envers lui les mêmes torts. Au milieu de sa vie de désordre, elle manifestait pourtant une certaine noblesse de sentiments qui peut faire incliner à l’indulgence. Son jeune frère le duc d’Alençon étant, comme Henri de Béarn, gardé à vue dans le Louvre, elle demanda à partager sa prison et fut l’âme du complot qui avait pour but l’évasion des deux princes. Il s’agissait aussi de gagner des partisans au duc d’Alençon et de le substituer comme héritier de Charles IX au duc d’Anjou, alors en Pologne, obscure intrigue qui fut déjouée. À cette époque se rattachent les tragiques amours de Marguerite avec La Mole, impliqué, de concert avec Coconas, l’amant de la duchesse de Nevers, dans le complot de l’évasion des princes ; ils périrent sur l’échafaud (1574), et Marguerite se fit apporter la tête sanglante de son amant. On raconte qu’elle la conserva embaumée dans un des meubles de sa chambre, et qu’elle ne craignait pas d’embrasser ces restes lugubres quand le souvenir de ses amours perdues lui revenait au cœur. Après La Mole, elle prit pour amant Bussy d’Amboise, un favori de Henri III. Du Guast avant eu l’imprudence d’en parler trop haut fut tué à coups d’épée par Vitteaux, gentilhomme attaché au duc d’Alençon, sans doute à l’instigation de Marguerite. Henri parvint à s’échapper de Saint-Germain en février 1576. Lorsqu’il eut passé la Loire, il s’écria : « Je laisse en deçà deux choses, la messe et ma femme. Pour la messe, j’essayerai de m’en passer ; pour ma femme, je la veux ravoir, » preuve que la mésintelligence était loin d’être complète entre les deux époux. D’abord gardée à vue avec d’Alençon, Marguerite n’alla pas en Navarre aussitôt qu’elle eut réussi à s’évader ; elle négocia la réconciliation de son frère avec Henri III et, sous le prétexte de prendre les eaux de Spa, fit dans le Hainaut et le pays de Liège un voyage tout politique ; il s’agissait d’enlever les Pays-Bas à l’Espagne et d’y créer, pour d’Alençon, un royaume indépendant. Cette intrigue n’eut pas de suite (1577). Elle rejoignit Henri dans son royaume de Navarre en 1578, et ils continuèrent à vivre sous le même toit sans se soucier aucunement l’un de l’autre. Le Béarnais ne se cachait pas d’avoir des maîtresses dans la palais même de Nérac, et il eut un jour l’audace de requérir l’aide de Marguerite dans une circonstance scabreuse : sa maîtresse, la Fosseuse, accouchait, et, pour pallier un peu ce scandale, ce fut la reine de Navarre qui prit soin d’elle et cacha l’enfant. Le bon accord dura cinq années ; il fut rompu, grâce à l’intolérance de l’entourage du roi. Henri, aussitôt libre, avait abjuré le catholicisme ; Marguerite conserva sa religion et eut dans le palais une chapelle où elle put se livrer à l’exercice du culte avec les personnes de sa maison. Quelques paysans catholiques voulurent assister à la messe, à la porte de la chapelle, ce qui n’était pas bien gênant, et Marguerite voulait qu’on le permît. Ils furent chassés si rudement par les ordres du secrétaire de Henri que Marguerite exigea pour elle-même une réparation éclatante. Henri la lui ayant refusée de peur de mécontenter ses huguenots, elle quitta la cour de Béarn et reparut au Louvre (1582). Ce fut, si l’on en croit les annalistes et les paroles de Henri lui-même, l’époque la plus scandaleuse de sa vie ; elle faisait entrer dans son lit jusqu’à ses palefreniers. Les chroniqueurs ont sans doute exagéré ses désordres, et la haine de Henri III contre de Bussy, cet éternel ennemi de ses mignons, suffit peut-être à expliquer les affronts que Marguerite reçut au Louvre, affronts si publics que le roi de Navarre, malgré le peu de souci qu’il avait de sa femme, crut devoir en demander raison au roi de France. Ces récriminations ne servirent qu’à mettre à nu les misères conjugales du royal couple et les débauches des deux cours. Marguerite retourna en Béarn, mais Henri lui fit si froide mine qu’elle le quitta presque aussitôt ; elle se retira dans l’Agenois et, voulant mettre à profit l’état de troubles où vivait le midi de la France depuis les guerres de religion, elle essaya de se créer là une petite royauté. À la fois rebelle contre son mari et contre son frère, il lui était difficile de se maintenir, et plus d’une fois elle fut réduite, à la tête d’une poignée de fidèles, à la vie aventureuse d’une princesse de roman. Rejetée dans l’Auvergne, elle se retira, moitié de gré, moitié de force, dans le château d’Usson, où elle vécut dix-huit années dans une demi-captivité (1587-1615). C’est dans cette retraite qu’elle écrivit ses Mémoires (v. l’article suivant) ; elle n’avait pas renoncé à la galanterie, et ce ne fut pas une retraite de cénobite à laquelle elle se condamna. De temps à autre, le bruit de ses déportements parvenait jusqu’aux oreilles de Henri, qui se laissait aller à de véritables colères. Elle avait fait venir des chameaux pour son amusement, et elle faisait sur ces montures excentriques des excursions à travers l’Auvergne. « Il est venu, écrit Henri à la comtesse de Guiche, la belle Corisandre, il est venu un homme de la part de la dame aux chameaux me demander passe-port pour passer cinq cents tonneaux de vin, sans payer taxe, pour sa bouche ; et ainsi est écrit en une patente. C’est se déclarer ivrognesse en parchemin. De peur qu’elle ne tombât de si haut que le dos de ses bêtes, je le lui ai refusé. » Dans une autre lettre, il ne se gêne pas pour souhaiter ouvertement sa mort. Quelque temps après l’assassinat du duc de Guise à Blois, il écrit : « Je n’attends que l’heure de ouïr dire que l’on aura envoyé étrangler la feue reine de Navarre. Cela, avec la mort de sa mère, me ferait bien chanter le cantique de Siméon. » L’avénement de Henri IV au trône de France ne changea rien à la destinée de Marguerite ; elle se plaignait peu, du reste, de l’abandon où elle vivait, et fort gaiement elle avait pris pour amant son geôlier, le gouverneur du château d’Usson, Canillac. Henri IV, au plus fort de sa passion pour Gabrielle, et au moment où il l’aurait volontiers épousée, essaya d’arracher à Marguerite son consentement nécessaire au divorce ; elle s’y refusa obstinément, disant en propres termes qu’elle ne céderait jamais sa place à une p….. ; c’est ce que Brantôme appelle lâcher le mot tout outre. Elle donna aussitôt ce consentement lorsque Henri IV voulut épouser Marie de Médicis, et le roi lui fit en quelque sorte réparation des sarcasmes qu’il lui avait jadis adressés, en la remerciant de son bon procédé. « Aussi suis-je très-satisfait, lui écrivit-il, de la candeur et de l’ingénuité de vostre procédure et espère que Dieu bénira le reste de vos jours d’une amitié fraternelle accompagnée d’une félicité publique qui les rendra très-heureux. » (21 octobre 1599.) Six ans après, Marguerite reparut un moment à la cour. Elle se fit bâtir, rue de Seine, un palais dont les jardins descendaient jusqu’au quai et sur les dépendances duquel elle fonda le couvent des Petits-Augustins (actuellement le palais des Beaux-arts). Elle s’y entoura d’une société de lettrés, de poëtes, de philosophes, au milieu desquels elle acheva sa vie d’une façon aussi brillante qu’elle l’avait commencée. Quoique bien fanée, car elle approchait de la soixantaine, la face enduite de cosmétiques au point de se faire venir des érysipèles, elle avait encore des amants ; un de ses écuyers assassina par jalousie son camarade prés du carrosse même de Marguerite ; le poète Maynard, son secrétaire, a chanté cet événement. Elle fit elle-même son épitaphe en vers. Cette épitaphe, gravée sur une table de marbre noir, se trouvait encore en 1790 dans l’église des Petits-Augustins, qui fut à cette époque convertie en musée historique.