Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Marguerite de Navarre (MÉMOIRES DE)

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 4p. 1171).

Marguerite de Navarre (MÉMOIRES DE), publiés en 1658. Ces mémoires de la première femme du Béarnais offrent des détails intéressants sur les règnes de Charles IX, de Henri III, et sur les premières années de Henri IV, de 1565 à 1587. La reine Margot, comme l’appelait Charles IX, les écrivit dans la forteresse d’Usson, pour charmer les loisirs de sa retraite forcée. Ils se ressentent de la culture de son esprit et de l’aménité de son caractère, mais ils sont bien loin de tout dire ; ceux qui y chercheraient des révélations piquantes sur les intrigues amoureuses de la reine de Navarre, sur ses démêlés conjugaux et sur les infortunes de quelques-uns de ses amants verraient leur curiosité déçue. Cependant elle se met sans cesse en scène et elle se peint elle-même d’une façon très-vive, tout en ne montrant que son rôle politique de sœur et de femme de rois ennemis. On peut lui reconnaître le mérite d’une certaine franchise, de cette franchise qui ne doit pas dépasser le cercle des convenances. Favorisée par la naissance, mais victime des combinaisons et des intérêts de la politique, jetée en appât aux protestants à la veille de la Saint-Barthélemy, toujours forcée de prendre parti contre son frère ou contre Henri IV, son mari, elle n’a d’ami que son frère d’Alençon. Elle se fait son chargé d’affaires à la cour ; elle se dévoue à sa fortune ; elle travaille à l’élever ; elle intrigue pour lui ; elle cherche à séduire les gouverneurs des villes et des forteresses ; elle va même en pays ennemi, et elle raconte ses traverses d’une manière vive et animée, qui révèle en elle un esprit d’expédient et d’à-propos propre à la tirer de tous les mauvais pas. Sa relation, qui s’arrête au règne de Henri IV, est d’une lecture agréable ; son style toujours recherché, même dans ses négligences, se ressent des préoccupations littéraires de son siècle. C’est un des produits les plus élégants de la prose française à cette époque.

« Ce serait une grande erreur de goût, dit M. Sainte-Beuve, que de considérer ces gracieux mémoires comme une œuvre de naturel et de simplicité ; c’en est une bien plutôt de distinction et de finesse. L’esprit y brille, mais l’instruction, et la science ne s’y dissimulent point. Dès la troisième ligne, nous avons un mot grec : « Je louerois davantage votre œuvre, écrit-elle à Brantôme, si elle ne me louoit tant, ne voulant qu’on attribue la louange que j’en ferois plutôt à la philastie qu’à la raison ; » à la philastie, c’est-à-dire à l’amour-propre… La langue de ses mémoires n’est pas une exception à opposer à la manière et au goût de son temps ; ce n’en est qu’un plus heureux emploi. Elle sait la mythologie, l’histoire ; elle cite couramment Burrhus, Pyrrhus, Timon, le centaure Chiron et le reste. Sa langue est volontiers métaphorique et s’égaye de poésie… Une des rares distinctions de ses mémoires, c’est qu’elle n’y dit pas tout, et qu’au milieu de toutes les accusations odieuses et excessives dont on l’a chargée, elle reste, plume en main, femme délicate et des plus discrètes. Rien ne ressemble moins à des confessions que ses mémoires. « On y trouve, dit Bayle, beaucoup de péchés d’omission ; mais pouvait-on espérer que la reine Marguerite y avouerait des choses qui auraient pu la flétrir ? On réserve ces aveux pour le tribunal de la confession ; on ne les destine pas à l’histoire. » Tout au plus, en effet, quand on est averti par l’histoire et par les pamphlets du temps, peut-on deviner quelques-uns des sentiments dont elle ne fait que nous offrir la superficie et le côté spécieux. »