Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/MIRABEAU (Victor DE RIQUETTI, marquis DE)

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Administration du grand dictionnaire universel (11, part. 1p. 311-312).

MIRABEAU (Victor de Riquetti, marquis de), né à Perthuis (Provence) en 1715, mort en 1789. Il fut un des propagateurs de l’économie politique en France et se surnomma lui-même l’Ami des hommes, du titre d’un de ses ouvrages. Disciple de Quesnay, il quitta de bonne heure le service militaire pour se livrer entièrement à ses études favorites et à l’amélioration de ses terres. C’était un homme étrange et fantasque, orgueilleux comme tous ceux de sa race, mais comme eux débordant de vie et d’originalité, avec un caractère où se heurtaient tous les contrastes ; philanthrope et despote, féodal et réformateur, ami des hommes et persécuteur de sa famille, ennemi du despotisme et de la superstition, et cependant contempteur des philosophes, qu’il appelait, avec sa brutalité de grand seigneur, « la canaille philosophique, encyclopédique, plumière, écrivassière et littéraire, » tout en étant lui-même, dans sa spécialité d’économiste, un écrivassier et un rêveur. Il avait laissé à son frère le bailli le soin de sa terre de Mirabeau et vivait ordinairement dans son autre terre de Bignon ou dans une maison de campagne à Argenteuil, aux environs de Paris. Des dissensions domestiques l’avaient séparé de sa femme, qui lui avait donné onze enfants, et contre laquelle il soutint de nombreux procès qui ébruitaient ces scandales d’intérieur. Son antipathie contre son épouse rejaillit sur son fils aîné, sur celui qui devait donner tant d’éclat à son nom. On trouve des traces nombreuses de cette inimitié, accusée dès la naissance de l’enfant, dans les correspondances inédites du marquis avec son frère le bailli. Plus tard, il réprima les écarts du trop fougueux jeune homme avec une impitoyable dureté, obtint contre lui des lettres de cachet, le fît enfermer au fort de Ré, au château d’If, etc.

« Il serait curieux, dit Sainte-Beuve, et je le ferai peut-être un jour, de suivre les variations, les luttes, les contradictions violentes de ce père à la fois irrité, humilié et, à de rares instants, enorgueilli de son fils, durant ces années d’une célébrité si mélangée et encore douteuse, par où celui-ci préludait à la gloire. Pourtant, ce mot de gloire, le père implacable, vaincu dans ses derniers jours, a fini par le proférer de loin sur la tête radieuse de son fils. Lorsque décidément le Mirabeau pamphlétaire eut cessé d’écrire et que l’orateur eut levé la tête, quand il eut pris son grand rôle dans les assemblées des états de Provence et qu’il s’y fut dessiné comme tribun déjà et comme pacificateur tout ensemble, le vieillard, lisant la relation de ces scènes mémorables, s’écria : « Voilà de la gloire, de la vraie gloire ! » Et, vers le même temps (28 janvier 1789), il écrivait à son frère le bailli, parlant de son fils : « De longtemps ils n’auront vu telle tête en Provence... Je l’ai vérifié par moi-même, et, dans quelques conversations et communications, j’ai aperçu vraiment du génie ! » Génie et gloire, voilà le dernier mot de ce père si longtemps impitoyable et inexpugnable ! C’est la bénédiction finale qu’il envoie à son fils... Ne jugeons donc pas ces querelles de races et où, dans le fond, les génies de deux époques étaient aux prises, de notre point de vue domestique et bourgeois d’aujourd’hui. Reconnaissons qu’il y avait dans ces âmes extrêmes une grandeur qui nous étonne, qui nous surpasse et qui a péri :

Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris.

Quelque opinion qu’on garde sur ces duretés paternelles, il ne faut pas oublier qu’elles étaient un peu dans les mœurs de l’ancien régime. En outre, cet homme si farouche n’était-il pas légèrement fanfaron de rudesse, comme son fils l’était d’immoralité ? C’était le vice de race, le caractère typique de cette famille de glorieux et d’originaux.

D’ailleurs, et comme complément aux contrastes que nous avons signalés, cette espèce de Caton féodal avait mille qualités sensibles, compatissantes ; il s’occupait du sort de ses vassaux tout en les rudoyant ; il avait des accès de morale riante, appelant La Fontaine son vrai Père de l’Église ; il aimait les champs, les travaux de la terre, la vie simple et agreste ; enfin, quoi qu’on ait dit de ses manies d’économiste et quelle que fût la valeur de ses idées, elles n’en sont pas moins un témoignage qu’il rêvait, qu’il cherchait l’amélioration du sort de tous, le développement de la prospérité publique.

Voici la liste de ses principaux écrits : Mémoires sur les états provinciaux (1757) ; Théorie de l’impôt (1760) ; cet ouvrage le fit enfermer quelque temps à Vincennes ; Philosophie rurale ou Économie générale et particulière de l’agriculture (1764, 3 vol. in-12) ; Lettres sur le commerce des grains (1768) ; les Économiques (1769) ; Lettres économiques (1770) ; la Science ou les Droits et les devoirs de l’homme (1774) ; Lettres sur la législation (1775) ; Éducation civile d’un prince (1788), etc. En outre, il fut un des rédacteurs du Journal de l’agriculture et des Éphémérides du citoyen. Sa correspondance avec son frère est pleine de traits originaux ; ce qu’on en connaît fait désirer vivement la publication de ces archives domestiques.