Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/PYRRHONIEN

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PYRRHONIEN, IENNE

PYRRHONIEN, IENNE adj. (pir-ro-ni-ain, i-è-ne). Hist. anc. Qui appartient à l’école de Pyrrhon ou au pyrrhonisme ; Philosophe pyrrhonien. Doctrines pyrrhoniennes.

— Qui est sceptique, qui doute de tout : En fait de science, il coûte plus à l’amour-propre d’être timide et pyrrhonien que d’être dogmatique et hardi. (Fonten.)

— s. m. Philosophe de la secte qui reconnaissait Pyrrhon pour chef. ‖ Philosophe sceptique : La nature confond les pyrrhoniens et la raison confond les dogmatistes. (Pasc.)

Encycl. École pyrrhonienne. On désigne sous ce nom l’école de philosophie fondée vers le milieu du ive siècle avant notre ère par Pyrrhon, dont nous avons exposé plus haut la doctrine (v. Pyrrhon). Les disciples de Pyrrhon se divisaient autrefois en quatre classes : les zététiques, les sceptiques, les éphectiques et les aporétiques, c’est-à-dire les investigateurs, les examinateurs, les suspendus, les douteurs.

Le pyrrhonien ou sceptique admet un critérium de vérité, le phénomène. L’homme lui apparaît en tant qu’être passif ; comme tel, l’homme constate les phénomènes qui s’offrent à lui. Il ne les affirme pas, il constate qu’il en a eu la perception. Il ne dira pas : Ceci est chaud, ceci est froid, mais seulement : Ceci me semble chaud, ceci me semble froid. Quant au dogmatisme, Pyrrhon se refuse à rien établir par son moyen. « À tout discours un discours est opposé, » dit-il. Frappé des conséquences de la dialectique, il craint qu’elle ne lui démontre victorieusement qu’une syllabe a mangé du fromage, comme faisaient les sophistes à leurs adversaires terrassés. Bien plus, le scepticisme pécherait par la base s’il commençait par affirmer la négation de toute croyance. Quand il dit : Je ne pose rien, il se hâte d’ajouter : Pas même cela que je ne pose rien.

Voici les dix lieux communs ou tropes, ou raisons, ou modes de suspension formulés par les plus anciens sceptiques. Nous les donnons dans l’ordre très-méthodique où les a rangés l’auteur du Manuel de philosophie ancienne.

L’infirmité des jugements et l’impossibilité d’atteindre la connaissance s’établissent par les motifs suivants :

1o La différence des animaux, de leur naissance, de leur organisation, de leurs sens et de leurs impressions en présence d’un objet identique.

2o La différence des caractères moraux et physiologiques de l’être humain.

3o La différence des organes sensitifs chez un même homme, chaque organe révélant une qualité particulière de l’objet, sans qu’on puisse démêler si cette qualité dépend de l’organe ou est inhérente à l’objet.

4o La différence qui tient aux divers états subis par l’organisme : maladie, sommeil, tristesse, vieillesse, etc.

5o La différence que la quantité de la chose sensible porte dans nos jugements : plus ou moins de froid, de mouvement, plus ou moins de vin bu changent tous les résultats.

6o La différence des modes d’éducation des hommes, de leurs lois, de leurs croyances religieuses.

7o Le mélange et l’union des choses dont il est impossible de juger séparément : le fer, de l’air dans lequel nous le pesons ; les couleurs, de l’humeur de nos yeux qu’elles traversent.

8o Les supports, lieux, positions et circonstances à part desquels l’objet ne saurait être envisagé.

9o La rareté ou la fréquence des phénomènes qui produisent la stupeur ou l’indifférence en face de ces phénomènes.

10o La relation qui est partout et sans laquelle nous ne jugeons de rien ; toutes les idées, tous les objets se rapportent à d’autres idées, à d’autres objets, et tout ce dont on juge est relatif à celui qui juge.

Voici cinq autres modes qui ont été posés postérieurement pour combattre Aristote et sa théorie de la démonstration. Ils sont admirablement ingénieux et complètent, par l’examen des phénomènes de la raison et des idées, les dix modes primitifs formulés spécialement, comme on a pu voir, au point de vue des phénomènes historiques et sensibles :

1o Contradiction. Le sentiment des hommes diffère sur toutes choses.

2o Progrès à l’infini. Toute preuve qu’on avance exige elle-même une preuve ; sans cela, sur qui reposerait sa légitimité ? Mais cette nouvelle preuve est dans la condition de la première et exige une nouvelle preuve à laquelle il en faut une nouvelle encore, et ainsi de suite jusqu’à l’infini.

3o Diallèle (l’un par l’autre). Celui qui prouve le sensible par l’intelligible devra procéder ensuite à la preuve de l’intelligible ; mais celui-ci ne pouvant se prouver par un autre intelligible (comme il a été formulé dans le mode précédent), il faudra le prouver par le sensible, ce qui est un cercle vicieux.

4o Hypothèse. C’est-à-dire vérité admise sans démonstration pour servir à une démonstration. L’hypothèse est inadmissible : il est insoutenable de prétendre que ce qui sert de fondement à une démonstration n’ait pas besoin d’être démontré.

5o Relativité. Tout intelligible est relatif aux êtres intelligents, tout sensible aux êtres doués de sensibilité, et toutes choses aux choses à part lesquelles on ne saurait les considérer.

Ænésidème, le plus illustre des sceptiques de la seconde époque, exposa très-puissamment leur doctrine dans un ouvrage intitulé Raisons des pyrrhoniens. Ce volumineux ouvrage était divisé en huit livres. Dans le premier, Ænésidème exposait la doctrine sceptique dans ses caractères les plus généraux et en notant les différences qui la séparent de l’enseignement de la nouvelle Académie, qui alors penchait fortement au scepticisme. Dans le second livre, il analysait les notions inexplicables du vrai, de la cause, de la passion, du mouvement, de la génération. Dans le troisième, il notait les contradictions attachées à l’idée de mouvement et à l’idée de sensation. Dans le quatrième livre, il argumentait contre les signes, contre les idées de nature, de monde et de dieu. Dans le cinquième, il étudiait la cause, exposait les huit modes vicieux affectés à sa vaine recherche. Les trois derniers livres étaient consacrés à la fin de l’homme et ne donnaient, comme on peut penser, qu’un résultat négatif.