Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Paul et Virginie, roman, par Bernardin de Saint-Pierre

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Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 2p. 425).

Paul et Virginie, roman, par Bernardin de Saint-Pierre (Paris, 1788). Cette production, qui est non-seulement le chef-d’œuvre de l’auteur, mais encore un des chefs-d’œuvre de notre langue, cette pastorale, d’une forme si neuve, fut inspirée, dit-on, à l’auteur par une anecdote recueillie à l’île de France ; mais cette anecdote n’offrait rien du charme que Bernardin a répandu dans son récit. C’est lui qui a créé les deux figures de Paul et de Virginie, qu’on n’oubliera jamais, qui a imaginé cette vie si simple et si pure, et qui, réalisant les rêves de la jeunesse, a peint le bonheur de la vertu et de l’innocence dans une pauvre famille, rejetée loin de l’Europe par l’infortune et par le préjugé.

« Ce ne fut pas sans surprise, dit M. de Barante, qu’on vit, au milieu d’un siècle si éloigné de la simplicité des sentiments et de la peinture naïve de la nature, apparaître comme par phénomène un écrit revêtu de ces couleurs, dont l’usage paraissait perdu. La postérité aura peine à croire que Paul et Virginie ait été composé à la fin du XVIIIe siècle. Sans doute, elle devinera qu’un esprit amoureux de la solitude et de la méditation, inspiré par le spectacle d’une nature encore sauvage et presque vierge, pouvait seul tracer ce tableau. »

« D’où vient, dit M. Patin, ce charme secret qui nous pénètre à la lecture de Paul et Virginie ? Ce n’est sans doute ni du rang des personnages, ni de l’éclat de leur vie, ni de la singularité de leurs aventures. Deux pauvres femmes exilées, qui n’ont plus d’autre bien que leurs enfants ; deux jeunes gens simples et ignorants ; deux vieux serviteurs ; un ami dans le voisinage, voilà tous les membres de cette petite société. C’est dans une île presque déserte (l’île de France), dans une gorge de montagnes, au milieu des rochers, qu’ils se sont retirés tous pour y cacher leur infortune. Ils y habitent des chaumières élevées par leurs mains, décorées pour tout ornement des instruments de leurs travaux, et qu’entourent quelques faibles cultures qui soutiennent leur existence… Jamais, j’ose le dire, des images plus ravissantes de bonheur et de vertu ne s’étaient trouvées réunies, dans un même ouvrage, à une peinture plus vraie de la vie commune et vulgaire ; c’est l’expression fidèle de ces mœurs simples et rustiques qui nous rend si vraisemblable la perfection presque idéale de cette morale évangélique. C’est cette vérité de mœurs qui fait à mon sens le premier mérite de Paul et Virginie, et je trouve l’éloge le plus complet de l’ouvrage dans cette exclamation naïve du gouverneur, lorsqu’il s’écrie, charmé du spectacle de ces familles fortunées : « Il n’y a ici que des meubles de bois ; mais on y trouve des visages sereins, et des cœurs d’or. »

Terminons par cet autre jugement de Chateaubriand : « Le charme de Paul et Virginie consiste en une certaine morale mélancolique, qui brille dans l’ouvrage, et qu’où pourrait comparer à cet éclat uniforme que la lune répand sur une solitude parée de fleurs. Les personnages sont aussi simples que l’intrigue : ce sont deux beaux enfanta dont on aperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves et deux pieuses maîtresses. Ces honnêtes gens ont un écrivain digne de leur vie : un vieillard demeuré seul dans la montagne, et qui survit à ce qu’il aima, raconte à un voyageur les malheurs de ses amis sur les débris de leurs cabanes… Cette pastorale ne ressemble ni aux idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait aux grandes scènes rustiques d’Hésiode, d’Homère et de la Bible ; mais elle rappelle quelque chose d’ineffable, comme la parabole du Bon Pasteur. » Le roman de Paul et Virginie a eu un nombre considérable d’éditions et il a été traduit dans la plupart des langues. Dans son roman de Graziella, Lamartine a fait une admirable analyse du chef-d’œuvre de Bernardin de Saint-Pierre.