Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Robespierre (Augustin-Bon-Joseph), dit Robespierre jeune, frère des précédents

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Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 4p. 1263).

ROBESPIERRE (Augustin-Bon-Joseph), dit Robespierre jeune, frère des précédents, né à Arras le 21 janvier 1763. Il obtint au collége Louis-le-Grand la survivance de la bourse de son frère, auquel il demeura constamment attaché, et suivit comme lui la carrière du barreau, dans sa ville natale, avec moins d’éclat, mais avec quelque succès. Lors de la Révolution, il en embrassa les principes avec chaleur, fut nommé président de la société des Amis de la constitution d’Arras, puis, en mars 1791, administrateur du Pas-de-Calais, enfin procureur-syndic après la journée du 10 août. Il venait d’être installé en cette qualité, lorsqu’il fut nommé, sans aucune démarche de son illustre frère, mais incontestablement par son influence, député de Paris à la Convention nationale. Les électeurs ne le connaissaient que par son nom ; c’était un engouement pour ainsi dire dynastique.

Cette espèce de dauphin révolutionnaire était d’ailleurs un homme de quelque valeur. Il vint siéger à la Montagne, défendit Marat aux Jacobins (24 octobre) contre les attaques envenimées des girondins, combattit Roland à la tribune de la Convention, vota la mort du roi sans appel ni sursis, prit une part assez active à la lutte contre les girondins, mais, en résumé, ne joua qu’un rôle effacé. Au 31 mai, il appuya les sections de Paris dans leur demande de suspension des Vingt-Deux.

En août 1793, il fut envoyé en mission dans le Midi, pour réprimer l’insurrection fédéraliste. Il n’avait guère de titre sérieux à cette mission, quoiqu’il ne manquât point de capacité ni d’énergie. Mais sa qualité de frère de l’Incorruptible lui donnait dans ses missions une véritable autorité, une importance quasi princière, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Il avait été envoyé évidemment pour partager l’honneur de l’affaire si populaire de la reprise de Toulon, que les efforts de Barras et de Fréron avaient fort avancée. Robespierre aîné voulut même faire rappeler ceux-ci, pour que son frère recueillît seul toute la gloire ; mais toutes les sociétés populaires du Midi réclamèrent avec énergie. Les deux vaillants représentants n’en furent pas moins fort effacés par la présence de Robespierre jeune.

Augustin eut une véritable cour, et l’un de ses complaisants les plus serviles fut un jeune officier corse, fort obscur alors, mais qui devait plus tard jouer un rôle si bruyant sous le nom de Napoléon. Pour le moment, il signait Brutus. Prodigieusement ambitieux, inquiet, intrigant, il avait d’abord caressé Barras et Fréron, puis, avec sa souplesse méridionale, il se retourna vers les Robespierre, leur jugeant plus de puissance et d’avenir, et, par leur entremise, fit passer au comité du Salut public un plan contre celui de son général, Dugommier.

Augustin montra d’ailleurs quelque capacité ; il prit, de concert avec ses collègues, des mesures pour approvisionner l’armée, indiqua la puissante diversion d’une invasion de l’Italie, donnant ainsi la première idée des campagnes où devait s’immortaliser Bonaparte, et coopéra de sa personne à la reprise de Toulon. « Salicetti et Robespierre jeune, le sabre à la main, ont indiqué aux premières troupes de la République le chemin de la victoire et ont monté à l’assaut. Ils ont donné l’exemple du courage. » (Moniteur 5 nivôse, an II.)

Il n’eut aucune part aux rigueurs exercées contre la ville rebelle, car il repartit pour Paris le lendemain même de la victoire. Il repartit en mission au bout de quelques semaines, pour le département des Alpes-Maritimes, en passant par la Haute-Saône, le Doubs et le Jura. Commissaire du comité de Salut public, il avait en quelque sorte plus de pouvoir que les simples représentants. À Vesoul, il fit mettre en liberté, peut-être un peu légèrement, un grand nombre de prisonniers, malgré l’avis du député Duroy, commissaire de la Convention (l’héroïque martyr de prairial). Mais pour le moment, la politique de Robespierre était à la clémence et, sans aucun doute, Augustin suivait les instructions de son aîné. À Besançon, il lutta contre le représentant Bernard de Saintes et contre le mouvement anticatholique, que son frère écrasait à Paris, et redonna force, dans ces contrées, au parti religieux. Il partit comblé des bénédictions des contre-révolutionnaires. Pour comprendre ces fluctuations de la politique robespierriste, il est nécessaire de se reporter à la biographie de Robespierre aîné et de se souvenir de sa lutte contre le parti philosophique et le culte de la Raison.

Dans ces missions, Augustin était accompagné de sa maîtresse, Mme de La Saudraye, femme de l’académicien de ce nom ; ce qui n’était pas sans exciter les récriminations des austères jacobins et des sans-culottes, et sans compromettre quelque peu la réputation du sévère Maximilien, moins sévère pour son jeune frère que pour lui-même et pour les autres.

On lit, dans les mémoires de Lucien Bonaparte, que les Robespierre offrirent à cette époque à Napoléon Bonaparte la place de commandant de Paris, en remplacement d’Hanriot. La chose n’est pas invraisemblable ; cependant, il n’y a pas d’autre preuve que le témoignage de Lucien. Ce qu’il y a de certain, c’est l’intimité entre Bonaparte et les Robespierre. Dans des lettres que nous avons eues sous les yeux, Augustin parle du futur empereur avec enthousiasme et comme d’un homme d’un mérite transcendant.

On trouve aussi dans les mémoires de Charlotte Robespierre ce fait curieux que Napoléon, à la nouvelle du 9 thermidor, aurait eu l’idée de marcher contre la Convention, et que même il en aurait fait la proposition formelle aux représentants envoyés près de l’armée d’Italie.

En résumé, le rôle politique de Robespierre jeune se borna à être l’un des missi domimei de son frère. Dans la Convention, il était noyé dans la foule. Parleur facile et vulgaire, il était écouté aux Jacobins, mais surtout à cause de son nom. Homme de plaisir, il ne sentit pas assez combien la haute et terrible renommée de son frère exigeait de ménagements, il se compromit fort dans des maisons suspectes, au Palais-Royal, où l’on jouait, où l’on retrouvait des débris de l’ancienne société, par exemple chez les dames Saint-Amaranthe, qui finirent par être exécutées comme suspectes.

Au 9 thermidor, cependant, il s’honora par son dévouement fraternel et civique. Son frère venait d’être décrété d’accusation ; il se lève tout à coup : « Je suis, dit-il, aussi coupable que mon frère ; j’ai partagé ses vertus, je veux partager son sort. Je demande aussi le décret d’accusation contre moi ! »

Il y eut un mouvement d’émotion dans l’Assemblée ; mais les passions étaient tellement surexcitées que les représentants parurent accepter ce sacrifice sans même l’honorer d’une discussion. Augustin suivit fidèlement la fortune de son aîné. Il siégea le soir à l’Hôtel de ville, parmi la commune insurrectionnelle, et dans la nuit, quand il vit que tout était perdu, pendant que les forces conventionnelles envahissaient l’Hôtel de ville, il franchit une des fenêtres donnant sur la place de Grève, marcha un instant sur le cordon de pierre qui fait saillie autour du monument, puis, voyant la place envahie par les troupes de la Convention, se précipita sur les marches du grand escalier. On le releva sanglant, mais respirant encore. La lendemain, il fut porté mourant à l’échafaud (10 thermidor an II, 28 juillet 1794). Il avait trente et un ans.