Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SAINT-SIMON (Claude-Henri, comte DE), l’un des penseurs les plus hardis, les plus profonds et les plus originaux du XIXe siècle

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Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 1p. 83-84).

SAINT-SIMON (Claude-Henri, comte de), l’un des penseurs les plus hardis, les plus profonds et les plus originaux du xixe siècle. Il naquit à Paris en 1760 et était le plus proche parent du duc de Saint-Simon, auteur des fameux Mémoires sur le règne de Louis XIV et la Régence. Sa famille faisait remonter son origine à Charlemagne par les comtes de Vermandois. Cette naissance élevée fut pour lui un puissant aiguillon ; il y vit une obligation de s’élever par ses travaux au-dessus des autres hommes, et sa passion pour les grandes entreprises fut toujours stimulée par un orgueil de race qui n’avait cependant rien de la vanité nobiliaire des esprits étroits. Il entra au service en 1777 et passa, deux ans après, en Amérique, où il servit pendant cinq campagnes dans la guerre de l’Indépendance, étudia l’organisation politique des États-Unis, et commença dès lors à diriger son esprit vers les spéculations philosophiques. De retour en France, il abandonna le service militaire, voyagea quelques années, étudiant les mœurs et les constitutions des différents peuples et se livrant à divers projets d’utilité publique. Il assista au début de la Révolution, sans se mêler toutefois à cette grande rénovation, absorbé qu’il était par ses rêves de réorganisation sociale. Lui-même a résumé l’objet de la mission qu’il se croyait dés lors appelé à remplir : « Étudier la marche de l’esprit humain pour travailler ensuite au perfectionnement de la civilisation. » Plein de sa conception ébauchée, il s’efforça d’abord de se créer les ressources pécuniaires nécessaires à sa réalisation, et se jeta, avec le comte de Redern, dans de lucratives spéculations sur la vente des biens nationaux (1790-1797). N’ayant pas trouvé dans son associe les idées et les tendances qui le dirigeaient lui-même, il se sépara de lui en n’exigeant dans la liquidation qu’une somme bien inférieure aux bénéfices réalisés, mais qui lui paraissait suffisante au but scientifique qu’il poursuivait. Comme étude préliminaire, il travailla ardemment à se mettre au courant de toutes les branches des connaissances humaines, prodiguant largement sa fortune aux savants qu’il interrogeait, recherchant l’amitié des plus célèbres professeurs, faisant de sa maison un vaste centre de réunion pour les hommes les plus distingués dans les sciences et dans les arts, ne reculant enfin devant aucun sacrifice pour dresser l’inventaire de toutes les richesses philosophiques et scientifiques de l’Europe et rassembler les matériaux, nécessaires à son entreprise. Cet homme extraordinaire épuisa entièrement sa fortune dans cette expérience et se trouva ruiné avant de commencer son œuvre. À son existence brillante, riche et honorée succéda cette vie de labeurs méconnus, de solitude et de misère dont l’amertume ne fut adoucie que bien tard par les soins de quelques disciples. Le premier ouvrage qu’il publia, Lettres d’un habitant de Genève (1802), contient déjà le germe de plusieurs des idées nouvelles qu’il développa postérieurement. Puis parut l’Introduction aux travaux scientifiques du XIXe siècle (1808), où les généralités de la science sont traitées d’une manière neuve et où, dans un chapitre consacré à la morale, l’oisiveté est formellement condamnée : « L’homme doit travailler ; le moraliste doit pousser l’opinion publique à punir le propriétaire oisif en le privant de toute considération. » Ces travaux passèrent tout à fait inaperçus, et la détresse de Saint-Simon devint si grande qu’il manqua de pain et vendit ses vêtements pour subvenir aux frais de copie de ses travaux. Il n’en continua pas moins ses recherches sur la réorganisation de la société, et jeta dans divers ouvrages les fondements de cette école industrialiste qui occupe un rang si élevé parmi les créations modernes. En 1814, il publia : De la réorganisation de la société européenne ou De la nécessité et des moyens de rassembler les peuples de l’Europe en un seul corps politique, en conservant à chacun son indépendance nationale. Il fut aidé dans ce travail par notre grand historien Augustin Thierry, jeune alors, et qui prenait le titre d’élève et fils adoptif de Henri de Saint-Simon. Il développa son système dans une suite d’écrits qui ne furent pas toujours compris de ceux à qui ils étaient adressés. En résumé, la doctrine de Saint-Simon peut être ramenée aux points suivants : améliorer par la science le sort de l’humanité, et surtout de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, sous le triple rapport moral, physique et intellectuel ; réorganiser la société en prenant le travail pour base de toute hiérarchie ; proscrire l’oisiveté et n’admettre que les producteurs dans la société nouvelle, dont les savants, les artistes et les industriels constituent la seule aristocratie ; associer tes travailleurs, afin que tous les efforts soient dirigés vers un but commun ; généraliser les ressources sociales ; organiser sur de nouvelles bases la religion, la famille et la propriété. En 1823, fatigué de lutter et de souffrir, Saint-Simon tenta de s’arracher la vie ; il se tira un coup de pistolet qui, heureusement, n’atteignit que l’os frontal. Il vit dans l’insuccès de sa tentative une preuve que son rôle n’était pas fini, que l’avenir réservait à ses idées un succès final, et il reprit ses travaux avec une nouvelle énergie, publia le Catéchisme des industriels (1824) et composa son Nouveau christianisme, complément et résumé de ses travaux antérieurs, lien religieux qui devait unir la philosophie des sciences et la philosophie de l’industrie, dont il était le créateur. Il mourut entre les bras de ses disciples en 1825. Les écrits de ce penseur n’ont jamais été réunis. En 1832, M. Olinde Rodrigues, à qui Saint-Simon avait légué ses manuscrits, entreprit cette publication, qui fut interrompue après deux livraisons. Depuis, Pierre Leroux avait annoncé également une édition des œuvres de Saint-Simon ; mais il ne l’a même pas commencée. M. Henri Fournel a donné la nomenclature méthodique et par ordre de dates de tous les écrits du maître et de ses disciples. V. saint-simonien.