Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/VILLÈLE (Jean-Baptiste-Séraphin-Joseph, comte DE), homme d’État français, cousin du précédent

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Administration du grand dictionnaire universel (15, part. 3p. 1054-1055).

VILLÈLE (Jean-Baptiste-Séraphin-Joseph, comte de), homme d’État français, cousin du précédent, né à Toulouse le 14 août 1773, mort dans la même ville le 13 mars 1854. Il entra de bonne heure dans le corps royal de la marine et fut embarqué sur une corvette d’instruction, à bord de laquelle il fit un premier voyage à Saint-Domingue, sous les ordres du contre-amiral de Saint-Félix, un de ses parents. De retour à Brest, il repartit presque aussitôt pour l’île de France. Les événements de 1793 le surprirent dans cette colonie, où il remplissait les fonctions d’aide-major de la division navale, et lorsque, à la suite du mouvement révolutionnaire, M. de Saint-Félix fut obligé de se réfugier à l’île Bourbon, M. de Villèle ne voulut pas se séparer de son protecteur. À peine arrivé à Bourbon, le jeune marin s’éprit d’une créole, aussi recherchée pour les qualités de son esprit que pour sa fortune ; il obtint sa main et s’établit dans l’île, où il se rendit acquéreur d’une vaste propriété, dont il ne tarda pas à doubler la valeur par une administration bien entendue. Ses intérêts personnels ne l’absorbèrent pas cependant tout entier. Par son intelligence et la fermeté de son caractère, il se montra utile à son pays d’adoption, et quand le choix de ses nouveaux compatriotes l'appela à l’Assemblée coloniale, il s’y fit remarquer par son activité et son entente des affaires. En 1807, M. de Villèle réalisa sa fortune, revint en France et se fixa dans son domaine de Marville, près de Toulouse, occupé exclusivement de travaux agricoles. Là, dit M. Boullée, « M. de Villèle n’entretint avec l’administration impériale d’autres rapports que ceux auxquels l’appelait la qualité de conseiller général de la Haute-Garonne, qui lui avait été conférée à son retour. L’énergie de son caractère se signala par la résistance qu’au commencement de 1813 il opposa à l’exaction de l’emprunt forcé dont le gouvernement avait entrepris de frapper illégalement les principaux propriétaires ; le préfet, déconcerté par cet acte inattendu d’opposition, n’osa passer outre. Villèle salua avec un vif empressement la restauration du régime royal ; mais défavorablement affecté, comme beaucoup d’autres esprits, du projet de constitution adopté provisoirement par Louis XVIII, sous le titre de déclaration de Saint-Ouen, et pénétré des lacunes et des insuffisances de ce projet, il en combattit les dispositions dans un écrit où il se prononça ouvertement pour un retour complet au régime antérieur à 1789. Cette opinion, que l’auteur devait bientôt réformer, grâce à une salutaire expérience, fut peu remarquée au milieu du déluge de pamphlets que fit éclore la récente émancipation de la presse ; mais c’est un fait digne d’observation qu’une thèse aussi chimérique ait servi de point de départ à un des esprits les plus sensés et les plus pratiques de l’époque contemporaine. » Quoi qu’en dise M. Boullée, ce travail ne passa pas inaperçu. Il appela sur M. de Villèle, qui depuis longtemps d’ailleurs entretenait des relations avec les émigrés, l’attention des Bourbons, et après la seconde Restauration le duc d’Angoulême le nomma maire de Toulouse. Il se fit remarquer dans l’exercice de ces fonctions, que la réaction rendait si difficiles, par un esprit de conciliation digne des plus grands éloges. Mais l’effervescence était grande ; les ressentiments d’une population longtemps comprimée se montrèrent impérieux et inexorables, et malgré tous ses efforts M. de Villèle ne put empêcher l’assassinat du général Ramel. Mais si le crime répugnait à son âme honnête, M. de Villèle n’était pas exempt de passions et de rancunes, et lorsqu’au mois de septembre 1815 il alla représenter sa ville natale dans cette Chambre, contre-partie exacte de celle qui l'avait précédée, il prit place au milieu de cette majorité exaspérée par les Cent-Jours, et il vota avec elle ces mesures fatales qui devaient jeter le gouvernement dans la réaction. Grâce à une argumentation pleine de précision et de lucidité, le député de la Haute-Garonne conquit bientôt un réel ascendant sur son parti et sur l’Assemblée entière. À l’occasion du projet de loi qui affectait aux rôles de 1815 le recouvrement des quatre premiers douzièmes des contributions, comme à propos de la reconstitution des compagnies départementales, M. de Villèle attira sur lui l’attention de tous les hommes politiques par l’habileté avec laquelle il développa les théories de décentralisation qui n’ont cesse de constituer le fond de son programme politique. Les débats de la loi électorale présentée par M. de Vaublanc vinrent augmenter son importance parlementaire. Membre de la commission, il s’éleva avec énergie contre le système des électeurs de droit, que soutenait le ministère, et il n’eut pas de peine à démontrer que livrer les élections aux fonctionnaires c’était les mettre à la merci, à la discrétion absolue du pouvoir. Le projet de M. de Vaublanc ayant été renvoyé à une commission, M. de Villèle en fut le rapporteur, et il développa devant la Chambre un contre-projet qui, tout en maintenant les deux degrés d’élection, composait les collèges cantonaux de tous les citoyens âgés de vingt-cinq ans et payant 50 francs de contributions directes, et limitait le taux de 300 francs aux électeurs des collèges départementaux, dont le nombre était fixé à trois cents. La pensée de M. de Villèle était de donner pour appui au parti royaliste les classes inférieures, où ce parti rencontrait moins d’hostilité que dans la bourgeoisie. Ce projet, au dire de M. Boullée, posant les vrais principes du régime parlementaire, ne fut admis ni sans réclamation ni sans mutilation par la Chambre des députés, et celle des pairs le rejeta comme entaché d’aristocratie, résultat fort inattendu et qui produisit une perturbation profonde au sein de la Chambre élective. Villèle s’étant rendu auprès du roi l’organe de cette alarmante situation, le ministère entra en négociation avec les chefs de la droite ; mais il ne sortit de ces conférences qu’une résolution par laquelle la Chambre réprouvait tout renouvellement partiel capable d’affaiblir ou de déplacer sa majorité. On sait ce qu’il en advint. Le 5 septembre, Louis XVIII prononça la dissolution de la Chambre, M. de Villèle fut réélu, et il retrouva dans la nouvelle Chambre une centaine des membres de l’ancienne majorité. « Alors, dit M. Artaud, il fit preuve d’une haute capacité par la manière dont il sut organiser son parti, le discipliner, harceler le ministère en adoptant le rôle des minorités et en prenant la défense des libertés publiques. Ainsi il attaqua avec force, en 1817, l’influence de l’administration en matière électorale, la censure et la liberté individuelle, le cumul et l’élévation des traitements, la centralisation, qu’il représenta comme la source de tous les maux, les emprunts, qu’il assimilait à des impôts, le recrutement, etc. Ce n’était pas seulement à la tribune qu’il attaquait le ministère ; dans la presse, le Conservateur était le principal organe de son opposition. Ses premières impressions au sujet de la charte de Louis XVIII étaient, on le voit, singulièrement modifiées. « Je ne puis dire, écrivait-il à cette époque, que mon parti aime beaucoup la charte, dont il connaît les imperfections et lacunes ; mais nous nous y attachons de plus en plus comme au seul titre qui nous autorise à nous occuper des intérêts de notre pays. » La mort du duc de Berry ayant poussé le roi aux mesures extrêmes, M. de Villèle ne refusa pas son appui au pouvoir ; il prêta même, en royaliste ultra qu’il était, le secours de sa parole aux lois qui suspendirent la liberté individuelle et mirent cinq journaux eu état de surveillance. Les deux lois furent votées. La majorité imposa alors au cabinet MM. de Villèle et de Corbière, comme ministres sans portefeuille ; mais bientôt, mécontente de la marche timide et incertaine de ce cabinet, elle le renversa pour en composer un formé des hommes qui avaient sa confiance. C’étaient, avec M. de Villèle, MM. de Peyronnet, Matthieu de Montmorency, le duc de Bellune, de Clermont-Tonnerre et le général Lauriston. Ici commence la longue administration de M. de Villèle, administration rendue difficile par les imprudences et les exagérations de ceux-là mêmes qui, tout en se disant les amis du gouvernement, le poussaient à sa perte. La soif de la liberté se faisait sentir, et de tous côtés l’agitation régnait dans les esprits. Des mouvements révolutionnaires se produisirent à Saumur, à La Rochelle et sur d’autres points. Cette fois encore la liberté eut ses martyrs. Aux embarras d’une situation intérieure profondément troublée vint s’ajouter la guerre d’Espagne, et il est juste de dire que M. de Villèle, soutenu dans sa résistance par l’opinion publique, par l’industrie et le commerce, fit tout ce qui était en lui pour l’éviter ou l’éloigner. Appelé à la présidence du conseil, il essaya plusieurs fois de ramener à un sentiment plus vrai des intérêts des deux pays soit les cortès, soit Ferdinand VII. Ses tentatives échouèrent des deux côtés. Les événements se pressaient en Espagne ; le discours de la couronne dut parler de guerre, et tout se prépara pour une expédition prochaine. Mais il fallait obtenir de la Chambre les crédits nécessaires pour se mettre en campagne. L’opposition fut vive, et nous avons fait ailleurs îe récit des débats auxquels cette situation donna lieu (v. Manuel). M. de Villèle présenta la question à un point de vue tel, que la droite, renforcée de tous les esprits timorés, et le nombre en était grand, vota l’emprunt avec enthousiasme. Le langage du président du conseil fut modéré, il faut en convenir ; mais M. da Villèle eut le tort impardonnable de ne pas intervenir de son influence et de son autorité dans l’incident qui amena l’expulsion du député Manuel. L’histoire le rendra responsable de ce coup d’État parlementaire. La guerre d’Espagne ne fut pour l’armée française qu’une marche triomphale, et ce succès marqua pour l’opinion royaliste une époque d’exaltation sans précédent. Les élections de 1824 amenèrent 410 députés dévoués quand même. L’opposition ne comptait que 19 membres. C’est alors que l’on vit se former ce bataillon des trois cents que M. de Villèle faisait facilement manœuvrer à la voix et au geste. Louis XVIII ouvrit, le 24 mars 1824, la dernière session législative de son règne. M. de Villèle résolut de profiter de l’heureuse issue de la guerre d’Espagne et du résultat des élections dernières pour faire voter un projet de conversion des rentes, lié dans sa pensée à l’indemnité des émigrés, que les chefs royalistes exigeaient impérieusement comme gage d’alliance avec le cabinet. Pour trouver le milliard de l’indemnité, le ministre offrait aux porteurs de rentes l’alternative du remboursement de leur capital ou de la conversion de leurs titres à un intérêt plus modéré. Le 5 pour 100 avait atteint le pair à la fin de 1823, et la tendance à la hausse était des plus prononcées. L’amortissement se trouvait obligé de racheter au-dessus du pair des rentes vendues au-dessous de 100 francs. La combinaison imaginée par M. de Villèle excita une très-grande sensation, non-seulement chez les rentiers, mais parmi les antagonistes personnels du ministre et dans le parti libéral, froissé par l’affectation impopulaire du produit éventuel de cette opération. L’opposition de gauche usa de toutes ses ressources pour attaquer le projet, et aucun des députés dévoués ne prit la parole pour le défendre. M. de Villèle dut déployer toute l’adresse de son argumentation pour venir à bout de la majorité ; encore n’obtint-il que 238 voix contre 145. À la Chambre des pairs, où il était loin d’exercer la même influence, son projet fut rejeté par 194 voix contre 128. Ce fut pour M. de Villèle un grave échec ; mais il était trop soutenu pour se retirer. Il aima mieux se séparer de M. de Chateaubriand, qui avait hautement désapprouvé le projet, et il obtint sans peine du roi l’éloignement de ce conseiller incommode. Le Journal des Débats et la Quotidienne prirent en main la cause du ministre tombé en défaveur, et alors commença contre M. de Villèle une guerre acharnée dont la royauté devait plus que lui supporter les conséquences. L’opposition de ces deux journaux fut si vive que le gouvernement s’empressa de rétablir la censure. Sur ces entrefaites, Louis XVIII mourut ; Charles X monta sur le trône, et M. de Villèle, qui depuis longtemps s’était attaché à gagner la confiance du comte d’Artois, fut plus que jamais l’homme indispensable. M. de Villèle ne fit rien du reste pour empêcher toutes les mesures antilibérales qui ont si tristement marqué le règne du dernier des Bourbons : entrée des évêques au conseil d’État, invasion des jésuites, loi du sacrilège, congrégations autorisées par simple ordonnance, projet sur le droit d'aînesse et les substitutions. On alla jusqu’à demander la remise des registres de l’état civil au clergé et la célébration du mariage religieux avant l’acte civil et comme condition indispensable de ce dernier. M. de Villèle sentait combien le ministère était compromis par toutes ces intrigues ; mais, au lieu de protester par une retraite honorable, il ajouta à tous ces actes odieux en profitant de la disposition d’une majorité plus royaliste que le roi pour demander de nouveau l’indemnité des émigrés. Oubliant que l’étranger n’était venu en France qu’à la prière de ceux qu’il servait, M. de Villèle osa prononcer ces paroles : « Sans l’émigration de nos princes, qu’aurions-nous eu en 1814 et après les Cent-Jours à opposer aux armées de l’Europe établies dans la capitale ? Nous aurions fini par rejeter l’étranger au dehors, je n’en fais aucun doute ; mais au prix de combien de sang, de combien de dévastations ? Notre affranchissement de l’étranger, sans convulsions et sans honte, nos libertés publiques, le retour de la paix générale, la prospérité et le bonheur dont nous jouissons, nous le devons à l’émigration qui nous a conservé nos princes. » Et le milliard fut voté ! Est-il surprenant après cela que l’opinion publique ait rejeté sur M. de Villèle la responsabilité des fautes commises sous son ministère et n’ait pas tenu toujours compte des quelques efforts tentés par lui pour faire adopter certaines mesures libérales, comme l’émancipation de Saint-Domingue, par exemple ? L’opinion publique n’a été que juste. Si M. de Villèle a cherché à soutenir le crédit de l’État, s’il a essayé de seconder le mouvement commercial et industriel, s’il a tenté d’amener l’Espagne à reconnaître l’indépendance de ses colonies d'Amérique, il s’est aussi montré peu scrupuleux sur les moyens de conserver son pouvoir, il a persécute la presse, il a laissé commettre les assassinats politiques dont le général Berton et les quatre sergents de La Rochelle ont été les victimes. Aussi, lorsque son ministère tomba, il fut permis d'oublier le peu de bien qu’il avait fait, et en présence des maux qu’il avait causés on put le flétrir du nom de ministère déplorable. Le 3 janvier 1828, quelques mois après celle revue où la garde nationale fit entendre ces cris : « À bas les ministres ! À bas les jésuites !  » M. de Villèle fut promu à la pairie. À dater de ce jour, sa carrière politique fut terminée. M. Artaud a porté sur M. de Villèle le jugement suivant, que nous croyons devoir reproduire : « M. de Villèle mit une capacité incontestable au service d’une cause impopulaire. Son administration ne présente qu’une série de concessions arrachées chaque année par la majorité royaliste. C'était pour satisfaire la faction ultra-monarchique, soutenue par la congrégation, qu’on élaborait successivement ces lois rétrogrades dont le souvenir pèse sur le triumvirat Villèle, Corbière et Peyronnet. Comme orateur, il avait la voix nasillarde et des formes disgracieuses, mais une puissance de raisonnement unie à un ton de simplicité qui allait à tous les esprits ; il plaisait à la majorité par le soin avec lequel il s’attachait à répondre à toutes les objections ; nul n’éludait une difficulté avec plus d’adresse, un argument avec plus de dextérité. Au pouvoir, il se distingua par le rare talent d’écouter, par l’esprit d’ordre et par une immense aptitude pour embrasser les détails des affaires. Administrateur habile, ii continua l’œuvre laborieusement commencée par ses prédécesseurs, MM. Roy et Corvetto ; il apporta de nombreuses améliorations dans les finances, perfectionna la comptabilité et établit l’ordre et l’économie dans la gestion du Trésor. Comme ministre dirigeant, il était supérieur à tous ses collègues ; mais ses vues n’embrassaient qu’un horizon borné ; ses idées, essentiellement pratiques, se mouvaient dans une sphère étroite ; sa politique, circonscrite aux intérêts du moment, était incapable de sacrifier à une pensée grande, généreuse, ou à une vue d’avenir. En un mot, M. de Villèle était un homme d’affaires, bien plus qu’un homme d’État. » Voilà le ministre. Veut-on maintenant connaître l’homme ? Lamartine l’a admirablement peint dans les lignes suivantes :

« M. de Villèle n’avait rien dans l’extérieur qui attirât sur sa personne la faveur ou même l’attention de la multitude. La nature n’avait doué que son intelligence. Petit de taille, étroit de forme, maigre de corps, courbé et vacillant d’attitude, inaperçu au premier aspect dans les foules, s’insinuant plutôt que se posant aux tribunes, c’était une de ces figures qu’on ne regarde pas avant de savoir qu’elles ont un nom. Son visage, où dominait comme trait principal une grande puissance d’attention, n’était remarquable que par la perspicacité. Ses yeux, pénétrants, ses traits aigus, son nez mince, sa bouche fine sans astuce, sa tête penchée en avant comme une tête d’étude, ses bras grêles, ses mains qui feuilletaient sans cesse les papiers, ses gestes rares, où le mouvement indicateur du doigt qui démontre prévalait presque toujours sur 1'ampleur du mouvement qui entraîne, tout, jusqu’au timbre nasal et guttural de la voix, semblait contrarier en lui la puissance oratoire nécessaire au premier ministre d’un gouvernement de parole. Mais l’intelligence se révélait en lui sans autre organe qu’elle-même. Sa pensée créait sa physionomie, son élocution suppléait sa voix, sa conviction illuminait son geste, sa lucidité intérieure s’insinuait entre toutes les parties de son discours et contraignait ses auditeurs à suivre malgré eux un esprit qui voyait si juste, qui marchait si droit et qui, sans éblouir jamais, éclairait toujours. On s’étonnait de tant de lueur dans une nature en apparence si terne ; on commençait par l’indifférence et par l’inattention, on passait à l’estime, on arrivait à l’admiration. Tel était M. de Villèle, homme de seconde impression, mais homme d’une seconde impression qui ne s’effaçait plus et qui s’approfondissait toujours. »

Villéliade (la), poème héroï-comique en six chants, dirigé contre le ministre Villèle, par MM. Barthélémy et Méry. Cette satire politique eut un succès immense (1826). Le titre complet est celui-ci : la Villéliade ou la Prise du château de Rivoli. L’allégorie du château de Rivoli représente le ministère Villèle, que M. La Bourdonnaye veut prendre d’assaut dans un combat homérique, imité du Lutrin de Boileau. D’abord, la Villéliade ne comprenait que quatre chants ; les deux derniers furent ajoutés postérieurement. Elle dut son immense retentissement au moins autant à son mérite littéraire qu’aux passions politiques du moment. C’était d’ailleurs un véritable acte de courage de la part de deux jeunes poètes d’oser tenter seuls le renversement du ministère que soutenait la Chambre introuvable.

Un article de six colonnes d’Étienne, dans le Constitutionnel, lança la Villéliade, qui arriva, en moins d’une année, à sa quinzième édition et valut aux auteurs, encore tout jeunes, à peu près inconnus, 25,000 francs comptant de leur libraire. Immédiatement traduit en plusieurs langues, ce poëme répandit dans toute l’Europe les noms de Barthélémy et Méry.

La Villéliade porta un rude coup au ministre Villèle, le héros du poème ; mais, ainsi que toutes les œuvres de circonstance improvisées pour servir une cause politique, elle a perdu aujourd’hui la plus grande partie de son intérêt. On ne la lit plus de nos jours, et elle n’est connue que comme tradition. Dans ce poëme, on remarque une forme pour ainsi dire accomplie et parfaite, beaucoup de vivacité et de mordant. C’est Méry qui en avait écrit les trois quarts ; on s’en aperçoit à l’extrême facilité du vers et au ton plus moqueur qu’énergique de cette satire. Quelques extraits feront apprécier au lecteur la valeur de cette œuvre spirituelle.

Sur les pas des Gascons, les troupes gastronomes
S’avancent gravement en braves gentilshommes.
Leur ventre, qui sur terre est un pesant fardeau,
Les soutient sur le fleuve et leur sert de radeau.

Qui n’a reconnu à ce spectacle les satisfaits, les ventrus de la Chambre ? S’agit-il de M. de Villèle lui-même, c’est autre chose ; on ne saurait s’armer trop sérieusement contre le chef des ennemis ; aussi les auteurs redoublent-ils de verve et de fine ironie. Quoi de plus spirituel que de faire énumérer à M. de Villèle lui-même toutes ses fautes comme autant de titres à la gloire et à la reconnaissance du peuple ? Nous terminerons par une citation empruntée à ce mordant résumé des hauts faits du ministère Villèle :

Depuis plus de douze ans quel autre ministère
Se montra plus que moi constamment populaire ?
Dois-je vous retracer tous les faits éclatants
Qui de mon règne heureux ont illustré le temps ?
J’ai pour donner le calme à l’Espagne alarmée
En cordon sanitaire allongé mon armée.
Et si les Castillans ont reconquis leur roi,
Leurs couvents, leur misère, ils le doivent à moi ;
C’est moi qui, pour sept ans signant vos privilèges,
Ai dressé mes préfets à former ces collèges
Où, pour être assuré de l’effet du scrutin,
Le nom du candidat est inscrit de ma main.
La Chambre a, par mes soins, accordé sans scandale
Un large milliard à la faim féodale.
Rothschild a fait jaillir de mon cerveau pensant.
Sur les débris du cinq, l’illustre trois pour cent.
L’État n’a plus besoin d’une armée aguerrie ;
Aussi n’ai-je songé qu’à ma gendarmerie ;
Ces braves cavaliers par nombreux régiments
Inondent tout Paris et les départements.
J’ai donné sans regret à ces soutiens du trône
Le cheval andalous et la culotte jaune.
Sous le feu roi Louis, comme sous Charles dix,
J’ai peuplé mes bureaux de maigres cadédis ;
Vous avez vu placer, grâce à mes apostilles,
Les plus bas rejetons de vos nobles familles.
Par l’organe pieux de mon garde des sceaux,
J’ai remis au clergé la hache et les faisceaux.
L’Église avant mon règne expirait de famine :
Quel prélat aujourd’hui n’a son chef de cuisine,
Et dans son diocèse, apôtre bien dodu,
Ne peut se promener en un char suspendu ?