Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abeille s. f.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 18-19).

ABEILLE s. f. (a-bè-lle ; ll mouillées. Notre alphabet n’a pas de signe pour rendre nettement ce son — du lat. apis ou apes, diminut. apicula, par la substitution de la labiale b à la labiale p, et par des transformations successives de la finale, dont notre langue ne donne pas d’exemple. On trouve cependant avette : Déjà la diligente avette boit la marjolaine et le thym). Mouche à miel : L’esprit se plaît à voltiger de cà et de là, sur les fleurs, comme les abeilles. (D’Ablancourt.) Les abeilles vont recueillir avec soin le suc des fleurs odoriférantes pour en composer leur miel. (Fén.) La première cellule d’une abeille ressemble à la dernière. (Buff.) Ils revenaient dans leur ville, comme un essaim d’ abeilles à la ruche après le butin. (Marmontel.) Avant-garde des laboureurs, les abeilles sont le symbole de l’industrie et de la civilisation, qu’elles annoncent. (Chateaub.) L’instinct physique éloigne l’ abeille de la fleur qui lui est mortelle. (E. Sue.)

L’hymen est inconnu de la pudique abeille.
Delille.
Tantôt, comme une abeille, ardente à son ouvrage,
Elle s’en va de fleurs dépouiller le rivage.
Boileau.
Comme on voit les frelons, troupe lâche et stérile,
Aller piller le miel que l’abeille distille.
Boileau.
Telle on voit au printemps la diligente abeille
De Flore en bourdonnant butiner la corbeille
***
Puis un léger soupir de ses lèvres coula
Aussi doux que le vol d’une abeille d’Hybla !
Lamartine.

— Fig. et par comparaison, se dit des personnes : Xénophon a été surnommé l’abeille attique. (Acad.) Rollin a, par ses ouvrages d’histoire, enchanté le public : c’est l’abeille de la France. (***) Quant à mon livre de l’Esprit des Lois, j’entends quelques frelons qui bourdonnent autour de moi ; mais si les abeilles y recueillent un peu de miel, cela me suffit. (Montesq.) C’est contre le bourdonnement de ces frelons que je vous demande votre secours, ma gentille abeille du Parnasse. (Volt.) Il récoltait la science en véritable et infatigable abeille politique. (Balz.) Les écrivains sont des abeilles dont les naturalistes ont oublié la classification. (Balz.) Un excessif bon marché, une cherté excessive, voilà Paris, où toute abeilletrouve son alvéole, où toute âme s’assimile ce qui lui est propre. (Balz.)

Sa bouche étroite est si vermeille !
Son visage a tant de fraîcheur !
Hélas ! qui ne serait abeille
Auprès d’une si belle fleur !
Cité par Salentin (de l’Oise).

— Se prend quelquefois par opposition à frelons, pour indiquer la peine sans le profit et le profit sans la peine : Les profits ont été pour les frelons de la ruche et non pas pour les industrieuses abeilles. || C’est dans ce sens que Virgile a dit :

Sic vos non vobis mellificatis, apes.
(Et le miel de l’abeille est formé pour autrui.)

Pas de l’abeille, En Égypte, Sorte de danse lascive.

Abeille d’or, Récompense accordée par quelques sociétés savantes.

— Le manteau impérial de Napoléon Ier était semé d’abeilles d’or. Aussi on a dit quelquefois figurém. les abeilles, pour l’Empire.

— Titre de plusieurs recueils périodiques et de plusieurs ouvrages : Abeille médicale. Abeille du Nord. Abeille poétique. Abeille du Parnasse.

— Astron. Constellation méridionale, appelée aussi Mouche indienne.

Encycl. Zool. Les abeilles appartiennent à l’ordre des hyménoptères, sous-ordre des aiguillonnés, famille des apiaires. Ces insectes ont six à huit lignes de longueur, le corps velu et d’un brun fauve, six pattes et quatre ailes membraneuses. Ils sont armés d’un aiguillon caché, mobile, très-acéré, qui se trouve à l’extrémité de l’abdomen, et qui est le conducteur d’un venin sécrété dans deux vésicules placées sur les côtes du canal intestinal. Leur bouche est munie d’une trompe avec laquelle ils puisent, dans les nectaires des fleurs, la liqueur sucrée dont ils font le miel. On distingue dans les abeilles trois sortes d’individus : des mâles, des femelles et des neutres ou ouvrières ; ces dernières ne sont, du reste, que des femelles dont les organes reproducteurs sont demeurés à l’état rudimentaire ; elles sont donc impropres à la reproduction, et leur mission spéciale est de donner des soins à la postérité des reines ou femelles fécondes. Les abeilles mâles, que l’on nomme faux bourdons ou improprement bourdons, frelons, sont un peu plus grosses que les travailleuses ; elles se distinguent par leur corps plus velu, leurs yeux très-gros et l’absence d’aiguillon. Les femelles ou reines sont plus grosses que les mâles ; elles ont la tête triangulaire et l’abdomen beaucoup plus allongé. Les sociétés que forment les abeilles sont fort nombreuses. Chacune d’elles se compose ordinairement d’environ quinze à vingt mille individus rassemblés dans une sorte d’habitation appelée ruche. Les mâles n’y comptent guère que pour un vingt-cinquième, et dans la même ruche on ne souffre qu’une seule reine ou femelle féconde. Parmi les abeilles ouvrières, les unes recueillent dans la corolle des fleurs les matériaux dont elles forment la cire et le miel, et construisent avec la cire les cellules destinées à recevoir et à loger les œufs : ce sont les cirières ; les autres, appelées nourrices, paraissent avoir pour fonction spéciale de nourrir le couvain, c’est-à-dire les larves issues de ces œufs. Les mâles sont destinés à féconder la reine, et, leur mission remplie, sont tués par les ouvrières. La reine est l’âme de la ruche ; sans elle pas de travail ; nourrir et élever la jeune famille d’une abeille féconde, est le mobile nécessaire de l’activité des travailleuses.

Une seule reine peut pondre jusqu’à 30,000 œufs ; ainsi son rôle est d’être littéralement la mère de son peuple. De ces œufs les uns doivent produire des femelles semblables à elle ; les autres des mâles ; les autres, en plus grand nombre, des ouvrières sans sexe. L’œuf déposé dans chaque cellule y éclôt par la seule chaleur de la ruche : c’est d’abord un petit ver blanc, auquel plusieurs fois par jour une ouvrière vient apporter à manger : puis ce ver file une coque soyeuse dans laquelle il subit la transformation en chrysalide ; enfin, parvenu à l’état d’abeille, il perce sa prison et apporte son concours à la communauté. Notons que la grandeur et la forme des cellules varient selon qu’elles doivent servir de berceaux à des neutres, à des mâles ou à des femelles. L’extrême fécondité de la reine ne tarde pas à amener, avec l’excès de population, la nécessité des émigrations. Lorsque l’espace manque à la communauté, une partie des habitants de la ruche va s’établir ailleurs. Cette colonie errante porte le nom d’essaim. S’il se trouve deux reines dans un même essaim, il y a entre ces rivales un combat à outrance, dont les ouvrières demeurent toujours simples spectatrices, et qui finit par la mort de l’une des combattantes. Parmi les nombreuses espèces d’abeilles que l’on connaît, les unes vivent en société, les autres sont solitaires. Chez les abeilles qui vivent réunies, on appelle villageoises celles qui ne sont pas sous la dépendance de l’homme, et domestiques celles qu’on élève pour en recueillir le miel et la cire.

— Hist. Si l’on en croit les Grecs, ce serait Aristée, roi d’Arcadie, qui aurait inventé l’art d’élever les abeilles ; selon d’autres auteurs, il faudrait rapporter à Gorgoris, roi d’un peuple d’Espagne, l’usage du miel comme aliment et comme médicament (1520 av. J.-C). Les anciens avaient sur les abeilles un grand nombre d’idées fausses. Ils croyaient que ces insectes venaient de la putréfaction. Dans le quatrième livre des Géorgiques, Virgile nous enseigne que, pour reproduire les abeilles, il faut tuer un jeune taureau, l’enfermer dans une cabane et l’y laisser se corrompre : « Au printemps suivant on voit, dit-il, naître de cette corruption des vers qui ne tardent pas à devenir des abeilles. »

Pour les anciens, la reine était un roi, et ce roi n’avait pas d’aiguillon. Plusieurs devises ont été faites sur ce roi sans aiguillon. Louis XII entrant dans Gênes parut en habit blanc semé d’abeilles d’or avec ces mots : Rex non utitur aculeo (le roi n’a pas d’aiguillon). Le pape Urbain VIII portait des abeilles dans ses armes ; on mit au-dessous ce vers latin : Gallis mella dabunt, Hispanis spicula figent (le miel pour la France, l’aiguillon pour l’Espagne). Un Espagnol répondit : Spicula si figent, emorientur apes (quand l’abeille pique, elle laisse dans la blessure et son dard et sa vie). Le pape fit répondre par ce distique :

Cunctis mella dabunt, nulli sua spicula figent,
Spicula nam princeps figere nescit apum.
(Elles auront du miel pour tous et des blessures

pour personne, car le roi des abeilles n’a pas d’aiguillon.)

— Méd. La piqûre des abeilles produit une assez vive douleur, ordinairement suivie d’une petite tumeur ronde, dure et circonscrite, et de rougeur érysipélateuse. Il faut d’abord extraire l’aiguillon, qui demeure souvent dans la plaie, puis faire sur celle-ci des fomentations avec de l’extrait de saturne ou de l’ammoniaque liquide. À défaut d’autre substance, on emploie l’eau salée.

— Jurispr. Les abeilles qui habitent les bois ou s’attachent aux arbres dans les champs sans avoir été recueillies par personne appartiennent au premier occupant. Placées dans des ruches, elles sont la propriété légitime de celui qui les a en son pouvoir. Le propriétaire d’un essaim a le droit de le réclamer et de s’en ressaisir tant qu’il n’a pas cessé de le suivre ; autrement l’essaim appartient au propriétaire du fond sur lequel il s’est fixé. L’autorité administrative permet ou défend le placement des ruches, notamment dans les villes.

Épithètes. Bourdonnante, légère, errante, vagabonde, diligente, active, empressée, industrieuse, laborieuse, sage, prudente, prévoyante, économe, ménagère, du mont Hybla, du mont Hymète.

Allus. hist. Les abeilles de l’Hymète, allusion aux abeilles qui butinaient sur cette montagne, et qui sont restées historiques, parce qu’elles produisaient le meilleur miel de toute l’Attique. Au rapport de Pausanias, les herbes du mont Hymète ont une telle douceur, que les reptiles qui l’habitent cessent d’avoir du venin. Les abeilles de l’Hymète ont donné naissance à de poétiques légendes, et se retrouvent souvent sous la plume des enfants d’Apollon :

« Je n’avais vu autour de la maison rustique et nue de mon père, ni les orangers à pommes d’or, ni les clairs ruisseaux, ni les abeilles de l’Hymète bourdonnant parmi les cytises jaunes et les lauriers-roses. » Lamartine.

Te souviens-tu du temps où tes Guêpes caustiques,
Abeilles bien plutôt des collines attiques,
De l’Hymète embaumé venaient chaque saison
Pétrir d’un suc d’esprit le miel de la raison ?
Lamartine, à Alph. Karr.
En vain faut-il qu’on me traduise Homère,
Oui, je fus Grec ; Pythagore a raison.
Sous Périclès, j’eus Athènes pour mère ;
Je visitai Socrate en sa prison.
De Phidias j’encensai les merveilles ;
De l’Ilissus j’ai vu les bords fleurir,
J’ai sur l’Hymète éveillé les abeilles :
C’est là, c’est là que je voudrais mourir.
Béranger.