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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/champ s. m. pièce de terre

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 887-888).

CHAMP s. m. (chan — du lat. campus, du même radical que le gr. kêpos, jardin, savoir la racine sanscrite kap, skap, creuser, fouir, d’où le grec skaptô, même sens ; le jardin et le champ sont ainsi désignés comme le lieu que l’on bêche, que l’on cultive. L’ancien allemand, anglo-saxon, Scandinave hof, cour ; puis par extension, demeure, maison, a été aussi rapproché par Pott du grec kêpos, jardin, et il faut ajouter l’albanais kopesht, dont la racine est probablement la même. Le mot germanique semble avoir désigné primitivement, comme le grec, un terrain cultivé près de la maison, un jardin ; mais il ne parait pas se retrouver chez les Aryas de l’Orient). Pièce de terre unie ou à peu près, qui est ou peut être mise en culture : Champ fertile. Champ stérile. Champ de blé, de vigne, de maïs. Champ en friche. Champ labouré. Le champ le plus fertile est souvent ravagé par une grêle fortuite. (Boss.). La culture des champs est plus dure que celle des lettres. (Volt.). Rien de plus délicieux eue ces champs d’or et de pourpre qui alternent avec de magnifiques bouquets de verdure. (J.-J. Rouss.). Les villes ne sont florissantes que par la fécondité des champs. (Kuvnal.) Les alouettes ne tombent toutes rôties qu’à ceux qui moissonnent le champ, non à ceux qui l’ont semé. (Cliateaub.) Les paysans ne songent qu’à ajouter un champ à leur champ. (Guizot.) .Le champ produit à peu près, d’année en année, la même quantité de moisson. (E. Pelletan.) Les emprunts quelconques sont la ruine des champs, (Laboulinière.) En Angleterre, un champ est une manufacture avec un fermier pour contre-maître. (H. Tuine.)

Mésiode h son tour, par d’utiles leçons,

Des champs trop paresseux vient hâter les moissons.

BOILEAU.

Heureux qui, loin du bruit, sans projet, sans affaires Cultive de ses mains ses champs héréditaires.

Andrieux.

Heureux qui peut, au sein du vallon solitaire, Natttv, vivre et mourir dans le champ paternel,

V. Uuqo.

CHAM

Remuez votre champ dès qu’on aura fait Tout : Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place Oit la main ne passe et repasse.

La Fontaine. Malheur & %’ous qui, par l’usure, Etendez sans an ni mesura La borne immense de vos champs !

Lamartine.

— Campagne, par opposition h ville ; en ce sens, le singulier est peu usité : Aller au champ ou aux CHAMPS. A imer les champs. Habiter les champs. Préférer les champs à la ville. Respirer l’air des champs. Maison des champs. Fleurs des champs. Somme des champs. Envoyez vos enfants reprendre au milieu des champs la vigueur qu’on perd dans l’air malsain des lieux trop peuplés. (J.-J. Rouss.) Le paisible habitant des champs n’a besoin, pour sentir son bonheur, que de te connaître. (J.-J. Rouss.) L’esprit s’aiguise à la ville, il s’attendrit aiurCHAMPS. (Mulesherbes.) Le rêve d’une existence douce, libre, poétique, laborieuse et simple pour l’homme des champs, n’est pas si difficile à concevoir qu’on doive le reléguer parmi les chimères. (G. Sand.) Au mois d’aoïlt, la bonne chère languit encore ; les riches sont aux champs, les tables de Paris renversées et tes parasites à la diète. (Grimod.) Les races des champs sont moins étiolées, moins affaiblies par toutes sortes de vices héréditaires gue les races des villes, (Cormon.) Pour se plaire à la vie des champs, quand on n’a pas une âme d’élite, il faut ne l’avoir jamais quittée. (J. Simon.)

La cigale enroula importune les cham]is.

Delillb. C’est la cour qu’on doit fuir, c’est aux champs qu’il faut vivre. Voltaire. Pourquoi demeurer à la ville Quand tout reverdît dans nos e/wtmiis ?

Dëmoustier.. Quand le vieil honneur fléchit sous la honte, Il n’est plus d’abri, ci ce n’est aux champs.

J. Autuan. Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs, D’une façon fort civile, A des reliefs d’ortolans.

La Fontaine. Il Territoire, contrée :

Jamais vaisseaux partis des rives du Scamandre Aux champs thessaliens oscrent-ils descendre ?

Racine. O fortuné séjour ! a champs aimés des cieux ! Que pour jamais foulant vos prés délicieux, Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde, Et, connu de vous seuls, ignorer tout le monde !

Bon. eau. Il Plaine, étendue do terrain, unie et découverte :

Ai-jc vaincu pour vous dans les champs de Plinrsaleî

Corneille. Quel clutmp couvert de morts me condamne au silence ?

Racine. Il Espace de terrain que la vue embrasse : Du liant du pic du Midi, un champ immense s’étend devant les yeux. (E. Littré,)

— Partie de l’espace que l’œil embrasse par une ouverture : Pour beaucoup de peintres, un tableau est le champ d’une fenêtre dont le cadre figure la baie, il Se dit particulièrement, en optique, de l’espace angulaire dans lequel sont compris tous les objets que l’on peut voir à la fois au moyen d’un instrument : Le champ d’une lunette, d’un télescope, d’un microscope. Lorsqu’on regarde avec une lunette achromatique à deux verres, on voit à la fois un grand nombre d’objets qui occupent un espace circulaire appelé le champ de la lunette. (Arago.)

— Le champ s’évalue, comme les angles, par le nombre de degrés, minutes et secondes qu’il contient sur le diamètre de son ouverture. En décrivant les divers appareils propres à multiplier la puissance de la vision, nous montrerons comment, par la construction des images, on détermine le champ de ces appareils.

— Poétiq. Vaste étendue, espace immense : Les vastes champs de l’onde. Qui peut deviner tout ce qui se passe dans ces mystérieux asiles, les intrigues d’amour, les liaisons secrètes, la police, les mœurs de cette république aérienne et nomade qui peuple les vantes champs de l’atmosphère ? (Dict. de la coaveis.)

Dans ces champs azurés combien d’astres épars Se partagent l’Olympe, attirent les regards !

Daru. Et toi, terrible mer, séjour impétueux, Déjà j’ai célébré tes champs majestueux.

Delille. Les nuages semés dans les champs de l’éther Viennent mettre au repos leurs légions flottantes.

A. Barbier.

— Par ext. Fond, espace uni sur lequel on distribue des figures ou des ornements : Le champ d’un tableau, d’une médaille, d’une tapisserie.

— Fig. Domaine, somme des attributions.Les champs de l’histoire. Le champ des sciences et des arts. Le champ de l’avenir. La science est un champ dont les limites reculent au fur et à mesure qu’on avance. (A. Fée.) Dieu est l’ombre de la conscience projetée sur le champ de l’imagination. (Proudh.) Ze* champ de l’initiative individuelle se resserre chaque four devant les envahissements de l’association. (Proudh.) •

CHAM

Dans le champ de la vie il faut semer des fleurs, Et c’est nous, trop souvent, qui faisons nos malheurs.

A. Chénier, Il Carrière, sujet, fonds, matière de développement ou d’activité : Ouvrir un beau champ d l’ambition de quelqu’un. Voilà un vaste champ ouvert aux hypothèses. Les choses inconnues sont le vrai champ de l’imposture. (Montaigne.) Cette vie est le champ fécond dans lequel nous devons semer pour l’immortalité. (Boss.) La Trinité ouvre un champ immense d’études philosophiques. (Chateaub.) Le champ de la nature ne peut s’épuiser, et l’on y trouve toujours des moissons nouvelles. (Chateaub.) La fable est un champ sans limite.

V. Huoo. Nous devons l’apologue à l’ancienne Grèce ; Mais ce champ ne se peut tellement moissonner Que les derniers venus n’y trouvent h glaner. La Fontaine. il Théâtre sur lequel on se dispute quelque chose :

Sans entrer dans !e eliamp, j’attends que l’on m’àssaille,

RÉGNIER.

Je laisse aux plus hardis l’honneur de la carrière, Et regarde le champ assis sur la barrière.

Boileau. En ce sens, le mot champ se dit par ellipse pour champ de bataille. V. plus loin cette locution.

Champ de foire, Place, terrain où se tient une foire : Elle avait un peu l’air d’une panthère encagée et tourmentée par des paysans sur un champ de foire. (Balz.)

Champ de course, Espace de terrain où se font les «ourses de chevaux : La piste, les tribunes d’un champ de couksë.

Champ clos, Lieu fermé de barrières, dans lequel deux ou plusieurs personnes vidaient autrefois leurs différends par les armes : Combattre en champ clos.

Les femmes en champ clos ne se hasardent guère.

C. DEI.AVICNE.

il Enceinte où Von combattait dans un tournoi : Le tournoi se fit en champ clos, il Se dit da toute espèce de lutte, de combat :

Viens combattre en champ clos aux joutes du barreau,

Boileau. Lu deux plaideurs manceaux, de colère animés. fermés. En champ clos pour leurs droits plaident à poings C. Délavions.

Champ libre, Liberté entière d’agir ou de parler ; absence de toute contrainte : Avoir le champ libre. Donner le champ libre à quelqu’un. Laisser le champ libre à ses passions, à ses rêveries, à sa colère, aux hypothèses, aux prétentions. L’indolence physique laisse le champ libre aux inclinations rêveuses. (B. Const.) Garder le célibat pour laisser le champ libre à toutes ses passions, c’est un crime. (Dufieux.)

Il faut, pour démasquer ce superbe hypocrite, Flatter de son amour les désirs effrontés, Et donner un champ libre à 6es témérités,

Molière.

Champ de batailla, Terrain sur lequel se livre une bataille : Un misérable champ de bataille, gui suffit à peine pour la sépulture de ceux qui l’ont disputé, devient le prix des ruisseaux de sang dont il demeure à jamais souillé. (Mass.) Washington a laissé les ÉtatsUnis pour trophée sur un champ de bataille. (Chateaub.)-Ê’m écrasant l’anarchie, Bonaparte étouffe la liberté et finit par perdre la sienne sur son dernier champ de bataillk. (Chateaub.) Tout le monde est brave sur le champ de bataillk, (S. de Sacy.) Il Terrain propre à des évolutions militaires et à l’enseignement do la tactique. Il Lieu où l’on se bat : Les cabarets sont des champs de bataille que le sang a souillés plus d’une fois. Il Lieu ou des intérêts, où des activités contraires sont en lutte : La terre est comme un vaste champ du bataille où l’on est tous les jours avec l’ennemi. (Mass.) La Bourse est devenue le champ de bataille de la chevalerie moderne. (Custine.) L’homme reste constamment et vit au champ de bataille des affaires et des intérêts. (Michelet.) Il Sujet de lutte, de discussion : La liberté est un champ r>E bataille qui a été cent fois pris, perdu et repris, il Terrain de la lutte, de la discussion : Bien prendre, bien choisir son champ de bataille, il Triomphe, position conquise par celui qui a vaincu : Le champ de bataille reste toujours au droit uni à la persévérance. Abandonner le champ de bataille à ses adversaires.

— Poétiq. Champ ou champs de Bellone, de Mars ; Champs du carnage, de la gloire, de l’honneur, etc., Se disent poétiquement pour champ de bataille :

..... Le prince au champ de Mars Choque jour, chaque instant, s’offre a mille hasards.

Corneille. Qu’il me tarde déjà d’être au champ de la gloire. D’aller aux ennemis arracher la victoire !

Bërancer. Sourds aux cris de l’humanité, Faudra-t-il, farouche et sauvage, Dans les champs fumants du carnage Courir a l’immortalité ?

Pezat.

il Les champs de Neptune, d’Amphitrite , expression poétique usitée Donr désigner la

CHAM

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nier. Il Champ du repos, Cimetière : Aller au champ dd repos. Ceux qui dorment aux

CHAMPS DU REPOS.

— Pop. Champ d’oignons, Cimetière, dans l’argot du peuple de Paris.

Clef des champs, Faculté ou action de sortir, de s’en aller, d’aller où l’on veut : Avoir la clef des champs. Prendre la clef des champs. Donner à quelqu’un la clef des champs. Femmes et poules qui prennent la clef des champs se perdent promplement. (Damas-Hinard.) il Rien peut-être n est plus piquant, dans notre langue, que cette métaphore gauloise par laquelle on suppose que les chamos sont fermés à clef pour ceux qui sont empêchés d’y aller.

Courir les champs, Errer a travers les champs, aller de ci et de là dans la campagne ; Aimer à courir Les champs. Il Être en fuite, s’être échappé : Notre prisonnier court les champs. Il Être perdu, tout a. fait compromis : Son honneur ? ah ! il y a longtemps qu’il court les champs 1 (Littré.)

Être fou à courir les, champs, Être complètement fou.

Ouvrir le champ, Y admettre les combattants, commencer le combat :

Faites ouvrir le c&amji, vous voyez l’assaillant.

Corneille.

Livrer champ, Ordonner le combat judiciaire : Les droits des barons consistaient à livrer champ, d être indépendants des tribunaux. {Gén. Bardin.)

Prendre du champ, Prendre de l’espacé pour mieux fournir sa carrière dans un combat ou champ clos à cheval, il Prendre de l’espace pour s’élancer avec plus de vigueur sur sou adversaire. Il Prendre de l’espace pour avoir plus de liberté dans ses mouvements : Le cocher, qui dormait aux trois quarts, au lieu de garder sa droite à l’embouchure de ta rue Dauphine, prit du champ pour tourner. (P. Féval.)

Être à bout de champ, N’avoir plus do ressources.

Être aux champs, S’égarer par une inquiétude excessive, un trouble exagéré : Vbi7<i sa petite tête aux champs ; au surplus, j’aime assez qu’on prenne les choses de travers, cela prouve de l’imagination. (Th. Leclercq.)

Être aux champs et à la ville, Loger à l’extrémité d^un faubourg, ou habiter dans la ville une maison avec jardin.

Avoir un œil aux champs et l’autre à ta ville, Veiller à tout avec soin.

Avoir encore du champ devant soi, Avoir des ressources, avoir le temps et le moyen do se tirer d’affaire.

— Prov. Il y a assez de champ pour faire glane, Il y a assez de besogne pour tout le monde ; il y a de quoi contenter tout le monde.

Champs d’armes, Sortes de carrousels que l’on célébrait au moyen âge.

— Écrit, sainte. Champ du sang, ’Noir) qui fut donné au champ acheté avec les deniers qui payèrent la trahison de Judas, et qu’il ne voulut pas garder.

— Bias. Fond même de l’écu, qui, selon quelques auteurs, représente la cotte d’armes du chevalier ou la bannière sur laquelle on posait les pièces ou meubles qui complétaient les armoiries : En blasonnant, la première chose que l’on doit nommer, c’est l’émail ou le métal du champ ; ainsi l’on dira : D’azur (le champ), à une barre d’or (la pièce). On trouue des écus qui n’ont d’autre blason que leur champ ; par exemple : Boquet : D’argent plein. De Barge : D’azur plein, Bordeaux-Puy-Paulin : D’or plein.Narbonne-Lara : De gueules plein.

Il Du champ, Se dit d’une pièce dont l’émail est le même que celui du champ pour éviter la répétition trop rapprochée d une couleur semblable.

— Philos. Champ des sciences et des arts, Dans le système de Bentham, Ensemble des connaissances humaines.

— Art milit. Champ d’exercice ou de manœuvre, Terrain appartenant à l’État ou à une ville et qui sert habituellement à l’exercice des troupes ; Les champs de maKœu vue rentrent dans la classe des terrains assimilés aux bâtiments militaires, par la loi du il juillet 1791.

Il Battre aux champs, Battre le pas ordinaire, soit pour rendre les honneurs, soit pour se mettre en marche : Les tambours battaient aux champs. Quand le duc d’Anjou sortait oh rentrait, ta garde battait aux champs. (St-Simon.)

— Artill. Champ de feu, Espace que parcourt ou peut parcourir un projectile lancé par une arme à feu. Il Champ de lumière, Excavation oblongue pratiquée sur une bouche à feu, autour du point où aboutit la lumière.

— Techn. Dans un peigne à deux rangées de dents, Partie centrale d’où naissent les dents : Au commencement de l’année 1866, on a fabriqué et vendu à Paris des morceaux de carton en forme de peigne, dans le champ desquels on écrivait son nom. Il Réseau do la dentelle. Il Fond sur lequel sont distribués les ornements d’une pièce d’orfèvrerie.

Sport. Ensemble des chevaux qui courent un prix. Il Reste du champ dont on a éliminé roi ou plusieurs favoris : Un bookman renseigné parie souvent pour un cheval contre le champ.

— Agric. A champ, À la volée : Semer k cha, MP. Fumer À champ.

— Hortic. Champ-riche, Variété de poire.

— Anat. Champ olfactif, Partie de La base du cerveau dans laquelle naissent les nerfs olfactifs.

— Loc. adv. En plein champ, En plein air, sans abri, au milieu des champs : Les Tartares, accoutumés à dormir en plein champ, doivent avoir l’avantage sur un peuple élevé dans une vie moins dure. (Volt.) || À travers champs, Dans la campagne et hors des chemins battus : Courir à travers champs. || Sans règles ou en dehors des lois communes, des chemins battus :

Il n’est pas de bonheur loin des routes communes ;
Qui vit à travers champs ne trouve qu’infortunes.
              E. AUGIER.

Se sauver à travers champs, Essayer d’échapper, par des détours, à une question pressante.

Sur-le-champ, Immédiatement, sans délai : Ne faites point attendre le bienfait ; c’est donner deux fois que de donner sur-le-champ. (Alciat.) Une résolution forte change sur-le-champ le plus extrême malheur en un état supportable. (H. Beyle.) Dans les premiers temps du mariage, la plupart des époux montrent tant d’ardeur, qu’ils semblent vouloir en finir sur-le-champ avec l’amour. (Laténa.) || Sans préparation : Prêcher, haranguer, parler sur le-champ.

À tout bout de champ, À chaque instant, à tout propos : Il retombe dans la même faute à tout bout de champ. || On disait autrefois À CHAQUE BOUT DE CHAMP :

À chaque bout de champ vous mentez comme un diable.
               Corneille.

Épithètes. Riche, fécond, fertile, inépuisable, nourricier, gras, engraissé, fertilisé, tranquille, paisible, fleuri, fortuné, délicieux, émaillé, cultivé, désaltéré, abreuvé, défriché, moissonné, pauvre, aride, nu, dépouillé, sec, desséché, altéré, stérile, inculte, pierreux, argileux, désolé, ravagé, défleuri, héréditaire, paternel, spacieux, vaste, immense, étroit, resserré, limité, borné, modeste, paresseux.

— Syn. Champs, campagne. V. CAMPAGNE,

— Homonyme. Chant.

— Prov. littér. : Et les champs où fut Troie, Mots qui servent à rendre l’émotion douloureuse que l’on éprouve en face de ruines, de débris rappelant une splendeur passée. V. Et campos ubi Troja fuit.

— Encycl. Hist. Champs d’armes. L’institution des champs d’armes remonte au temps de la féodalité. De même que la joute et le tournoi, ces exercices étaient en grande faveur parmi les grands feudataires de la couronne, et c’était ordinairement soit un titulaire d’un duché ou d’un comté, soit quelque personnage de haute lignée, qui le présidait. De nombreux champs d’armes furent tenus en Artois et en Flandre, pendant la domination de la maison de Bourgogne, et les chroniqueurs des temps passés se sont complaisamment étendus sur la magnificence de ces fêtes militaires qui constituaient un des divertissements les plus goûtés des gentilshommes ; car, faisant des combats leur principale occupation, ils ne négligeaient aucune occasion de prendre part à des jeux qui constituaient une sorte de guerre, factice, il est vrai, mais non complètement exempte de dangers.

L’un des champs d’armes les plus importants qui eurent lieu fut celui qui se tint à Arras en 1423, et dans lequel Pothon de Xaintrailles et Lionnel de Vandonne, ainsi que plusieurs autres chevaliers, coururent des lances et combattirent à la hache, en présence de Philippe le Bon. On avait dépavé dans la ville un espace de 120 pas de long sur 20 de large, pour former le parc ou champ de bataille, qui fut sablé et entouré de lices. On publia à Arras, la veille du champ, une défense à toutes personnes qui n’auraient aucune fonction à remplir d’entrer dans le parc, sous peine d’avoir la tête tranchée, et l’on menaça de la perte d’une oreille ceux qui entreraient dans les lices. Il avait été élevé, auprès de l’hôtellerie des Rosettes, un échafaud sur lequel se plaça le duc de Bourgogne, qui partit de son palais escorté d’environ 600 chevaliers et écuyers. Les lices étaient gardées par 80 bourgeois armés de toutes pièces, et par 40 arbalétriers.

Les champs d’armes étaient en tel honneur, dans l’Artois, que l’on vit le maïeur, deux échevins, le conseiller pensionnaire, l’argentier, le contrôleur de la ville et cent notables se rendre à Lille, pour assister à celui qui y fut tenu la même année. Tous ceux qui furent du voyage reçurent une casaque blanche et verte, sur laquelle était peint un rat, armes de la cité.

La bourgeoisie du moyen âge eut aussi ses champs d’armes, et les habitants de la Flandre et des Pays-Bas se distinguèrent par l’éclat de ceux qu’ils avaient institués. Chaque ville eut les siens, qu’on désignait tantôt sous le nom de champ, tantôt sous ceux de pas d’armes ou de tournois. À ces différentes fêtes accouraient non-seulement des curieux des villes voisines, mais encore beaucoup de personnes des pays éloignés. Vers la fin du xvie siècle, ce genre de divertissement fut abandonné.

— Art milit. Champ de bataille. Le lendemain de la victoire de Fontenoy, le maréchal de Saxe, parcourant le champ de bataille avec Louis XV, et le voyant ému au spectacle lugubre de cette plaine couverte de cadavres et de débris, lui dit : « Sire, que cette vue vous apprenne à ménager le sang de vos sujets. » Il n’est personne, même parmi les conquérants, qui n’ait été impressionné en présence d’un pareil spectacle. « Le lendemain de la bataille d’Eylau, raconte Thiers dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, Napoléon, parcourant le champ de bataille, fut ému au point de le laisser apercevoir dans le bulletin qu’il publia. » Sur cette plaine glacée, des milliers de morts, de mourants, de blessés cruellement mutilés ; une multitude de chevaux abattus ; une innombrable quantité de canons démontés, de voitures brisées, de projectiles épars ; des hameaux en flamme, le tout se détachant sur un fond de neige, présentait un spectacle saisissant et terrible. « Ce spectacle, s’écria le vainqueur, est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre. » Il n’y avait que Vitellius pour trouver que le corps d’un ennemi mort sentait toujours bon. Xerxès lui-même, l’égoïste despote, ne pouvait retenir ses larmes, en pensant que la plupart de ces beaux soldats qui défilaient sous ses yeux seraient bientôt couchés dans la poussière. Et pourtant, au point de vue de l’humanité, les champs de bataille antiques offraient au regard un aspect moins lamentable que ceux de nos jours. Sans doute les combats étaient plus meurtriers, plus de soldats périssaient dans cette lutte corps à corps ; mais il y avait moins de ces blessés, de ces mutilés surtout, qui restent étendus de longues heures sur le sol et qui périssent souvent faute de soins, après une longue et douloureuse agonie. Le chevalier de Feuquerolle, tombé sur le champ de bataille de Ramillies, nous a laissé la relation des souffrances de tout genre par lesquelles il dut passer, avant d’avoir pu être secouru ; son histoire est celle de bien d’autres, dont une majeure partie n’a pas eu tant de chance que lui. Voici quelques extraits de son récit : « J’étais hors de combat, dit-il, et, suivant toute apparence, je devais bientôt perdre tout sentiment ; j’étais étendu sur le champ de bataille et baigné dans le sang qui coulait de mes blessures ; je sentais mes forces s’affaiblir de moment en moment, et si je conservais encore un reste de connaissance, elle ne servait qu’à aigrir mes douleurs. J’entendais de tous côtés les plaintes et les cris des uns, les paroles que le désespoir et l’emportement mettaient dans la bouche des autres, les soupirs des mourants et les mouvements de ceux qui, surmontant leur mal, tâchaient de se sortir de ce cimetière animé. L’horreur de tant d’objets funèbres endormit pour ainsi dire mes maux ; j’étouffai mes douleurs, et, ranimant un reste de vigueur, je me levai pour aller chercher du secours ; mais chaque pas était une chute pour moi ; mes pieds heurtaient à chaque moment contre le corps de quelque mort ou de quelque mourant, qui me faisait trébucher. Je compris que je devais passer la nuit dans cette solitude funèbre ; car, sans les grenouilles qui commencèrent à crier dans un marais voisin, je ne me serais point encore aperçu qu’elle fût venue. Il vint je ne sais combien de paysans que je reconnus pour tels à leur langage ; je les appelai tous, je les priai, je les conjurai de me donner du secours ; mes prières furent longtemps inutiles. Il en vint cependant à la fin quelques-uns ; je leur exposai mon état, je les suppliai de m’en retirer ; je leur assurai qu’ils auraient tout lieu de se louer de ma reconnaissance, et que mes libéralités dépendraient absolument de leur choix. Ils m’écoutèrent assez tranquillement, et pour toute réponse ils achevèrent de me dépouiller, en me disant qu’ils étaient fort touchés de ma situation, mais qu’enfin je n’en reviendrais pas ; et ils eurent la cruauté de m’arracher jusqu’à ma chemise, toute trempée qu’elle était de mon sang. Après m’avoir ainsi dépouillé, ils allèrent exercer les mêmes cruautés sur d’autres, après quoi ils revinrent encore autour de moi, apparemment pour voir s’ils ne pourraient pas grossir leur butin. Quoiqu’ils eussent déjà si mal reçu mes prières, je leur en fis de nouvelles ; je les suppliai derechef de ne pas m’abandonner, d’avoir pitié de l’extrémité où j’étais, et de me donner du moins quelque chose pour me couvrir ; j’avais déjà fait quelque pas vers eux, en mettant mes mains à terre, pour m’épargner les chutes qui étaient inévitables, quand je sentis jeter sur moi un de ces sacs dont les cavaliers se servent pour porter l’avoine ; ce fut tout le secours qu’ils me donnèrent. Dès qu’ils furent contents des dépouilles qu’ils avaient amassées, ils revinrent vers moi, et me dirent que si j’étais en état de les suivre, ils me mèneraient à leur village, qui n’était qu’à une lieue de là. Cette offre ranima mon courage ; je me levai aussitôt, pris mon sac et me mis à les suivre ; il me semblait qu’ils étaient à demi attendris, mais ils ne se gênaient pas beaucoup pour cela dans leur marche. J’avais tant de peur de les perdre, que je me surmontai moi-même pour leur tenir pied, et marchai sans cesse sur leurs talons ou au milieu d’eux. Il est vrai qu’ils étaient obligés quelquefois de se reposer, et que je profitais de ce temps pour reprendre haleine ; mais ces poses me furent à la fin funestes ; à la dernière que nous fîmes, les forces me manquèrent tout à coup et me laissèrent sans mouvement, sans connaissance. Ils crurent que je venais de finir pour toujours mes peines, et, au lieu de me donner du secours, ils prirent le parti de me quitter et de continuer leur route. Je repris quelques instants après connaissance ; mais quelle fut ma surprise de me retrouver seul ! Je les appelai, mais en vain, et je passai le reste de la nuit en des douleurs et des faiblesses, qui seules auraient pu terminer ma vie. C’est ainsi que j’attendis l’arrivée du jour ; les oiseaux me l’annoncèrent par leurs chants ; j’entendis les cloches qui sonnaient le pardon, et la voix de quelques passants. Je me levai aussitôt, je les appelai de toutes mes forces, et je restai quelque temps debout pour me faire voir et pour tâcher de leur donner de la compassion. Ils s’avancèrent, et furent saisis d’une si grande frayeur en me voyant, qu’ils restèrent un moment sans parler, après quoi ils me dirent de songer à mon âme, que je n’en avais pas pour longtemps. J’eus beau vouloir leur persuader que je me sentais encore du courage et de la force, qu’ils feraient œuvre de charité en me menant aux premières maisons ; ils s’obstinèrent à me persuader le contraire, et s’en allèrent sans me donner d’autre secours. Je fus donc obligé d’attendre dans la même place d’autres passants plus tendres et plus charitables ; j’en attirai plusieurs successivement qui reçurent mes prières comme avaient fait les premiers. J’étais environné de marécages, sans quoi je me serais hasardé d’aller chercher moi-même du secours. Je passai encore cette nuit, n’ayant d’autre soulagement que celui que je pouvais me procurer avec mon sac, et dans des souffrances plus grandes que celles que j’avais encore endurées. » Ce ne fut que le lendemain, après deux jours de souffrances inouïes, que le malheureux chevalier trouva un passant moins inhumain que les autres, qui le conduisit dans un vieux château délabré, où était établie une sorte d’ambulance. Mais comme elle ne renfermait pour ainsi dire aucun secours, le comte de Saillant envoya de Namur un chariot pour transporter à l’hôpital ceux qui étaient capables de supporter le trajet. « Ceux qui purent se traîner allèrent d’abord s’en emparer, et il fut bientôt plein. J’y aurais été des premiers, si mes jambes seules avaient pu seconder mon impatience ; mais j’avais besoin d’un secours étranger, et chacun ne pensait qu’à soi. J’eus un chagrin mortel de ne pouvoir profiter d’une occasion si pressante. Un père capucin, qui avait accompagné le chariot, eut beau m’exhorter à prendre patience et me promettre qu’il en arriverait quelque autre dans peu de temps, je ne pus me résoudre à attendre, et je lui témoignai tant d’envie de partir sur-le-champ, qu’il alla voir s’il pourrait m’en procurer les moyens, mais il ne put gagner autre chose, sinon qu’on me mit sur le derrière de la charrette, les jambes pendantes. Il me témoigna qu’il était très-fâché que ses soins n’eussent pas mieux réussi, et me dit que, vu les chemins difficiles par lesquels il fallait passer, on me ferait une espèce de rempart avec des cordes et de la paille, pour m’empêcher de tomber. Dès que ceux qui étaient dans le chariot m’aperçurent, ils se mirent à crier, en jurant qu’ils n’étaient déjà que trop, que je n’avais qu’à m’en retourner, et qu’il n’y avait, ne pouvait y avoir de place pour moi. Mon conducteur les apaisa, et leur promit que la manière dont on m’arrangerait ne les incommoderait pas. On partit aussitôt. J’eus grand besoin, pendant la route, de mettre à profit les avis qu’il m’avait donnés ; je souffris excessivement des cahots dont les contre-coups portaient à ma tête et renouvelaient les douleurs de mes plaies. Malgré cela, je n’étais pas le plus à plaindre ; il mourait de temps en temps quelqu’un de mes compagnons, dont on jetait les corps à côté du chemin, et nous nous trouvâmes trois de moins à notre arrivée à Namur. »

Sans doute, les mœurs se sont bien adoucies depuis la bataille de Ramillies ; les peuples sont devenus moins hostiles les uns aux autres et plus secourables aux blessés, quoique les dernières campagnes aient vu encore bien des actes d’inhumanité ou de basse cupidité. Le service des ambulances, surtout, a reçu de nombreux perfectionnements, et une société internationale s’est formée à Genève pour secourir les victimes de la guerre. On a pu voir, à l’Exposition universelle de 1867, ces appareils ingénieux, ces fauteuils, ces cacolets, ces lits, ces voitures destinées à procurer quelque soulagement aux malheureux blessés. Mais ce spectacle lui-même avait quelque chose de navrant, et l’on se demandait s’il ne serait pas plus naturel de ne pas créer de semblables misères, que de chercher à leur porter secours. Et encore, que de douleurs échappent dans la pratique à tous ces perfectionnements ! Nul doute que, de nos jours encore, les cruelles angoisses du champ de bataille, dont le chevalier de Feuquerolle nous a laissé un si triste récit, ne se renouvellent bien des fois. Aussi, en pensant à tant de douleurs ignorées et courageusement supportées, par tant d’hommes qui vont chaque jour se battre pour des intérêts qui le plus souvent ne sont pas les leurs, comprend-on la mot de Mirabeau, qui disait que la plus belle mort est celle du soldat, parce qu’elle est la plus obscure et la plus héroïquement supportée.