Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/cloître s. m.

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 2p. 464-465).

CLOÎTRE s. m. (kloî-tre — du lat. claustrum, barrière ; de claudo, je ferme, verbe qui se rattache à la racine sanscrite klu, fermer, cacher, couvrir, d’où tout un groupe européen des noms de la serrure et de la clef. V. clef). Partie d’un monastère ou attenance d’une église, formée de galeries couvertes, entourant une cour ou un jardin : Se promener sous le cloître. Faire une procession autour du cloître. Les solitaires qui peuplèrent les déserts de la Thébaïde introduisirent dans les églises, dans les monastères et jusque dans les palais, ces portiques dégénérés appelés cloîtres, où respire le génie de l’Orient. (Chateaub.)

— Par ext. Monastère : S’enfermer dans un cloître. La perfection n’est pas de se jeter dans un cloître. (Boss.) Si j’avais à trouver le plus heureux ou le plus malheureux des hommes, j’irais le chercher dans un cloître. (L’abbé Trublet.) Trois causes générales peuplèrent les cloîtres : la religion, la philosophie et le malheur. (Chateaub.) Il y a peu de distractions au cloître. (Alex. Dum.) Le cloître est le dernier refuge des chrétiens. (Balz.) Il y a moins de courage à s’enfermer dans un cloître qu’à vivre dans la foule, quand on ne partage plus ni ses joies ni ses illusions. (Laboulaye.) Un cloître est fort bien situé auprès d’une église. (Th. Gaut.)

La piété cherche les déserts et les cloîtres.
                            Boileau.

Au cloître on souffre pour jouir.
                            V. Hugo.

Dans l’abîme d’un cloître à jamais descendue,
J’ai supplié le ciel d’abréger mes instants.
                            Millevoye.

Cloîtres silencieux, voûtes des monastères.
C’est vous, sombres caveaux, vous qui savez aimer !
                     A. de Musset.

Rebut du monde, errant, privé d’espoir,
Je me fais moine, ou blanc, ou gris, ou noir,
Rasé, barbu, chaussé, déchaux, n’importe.
De mes erreurs déchirant le bandeau,
J’abjure tout ; un cloître est mon tombeau.
                     Voltaire.

|| Vie, règle monastique : Dès les premiers temps de sa liaison avec le roi, Mme  de La Vallière avait déjà songé au cloître. (Ste-Beuve.)

Elle est par l’indigence au cloître condamnée.
                     M.-J. Chénier.

— Enceinte de maisons où logeaient les chanoines d’une cathédrale, d’une collégiale et même les prêtres d’une paroisse : Cloître Notre-Dame. Cloître Saint-Merri, Saint-Benoit. Cloître Saint-Nicolas-des-Champs.

— Archit. Voûte en arc de cloître, Celle qui est formée de plusieurs portions de voûtes qui se coupent de manière à former des angles rentrants. || Édifice en cloître, Celui dont les bâtiments entourent complètement une cour.

— Jardin. Carré entouré d’allées d’arbres taillés de façon à former des voûtes.

— Épithètes. Tranquille, calme, silencieux, muet, solitaire, morne, sombre, noir, long, affreux, redouté, détesté, pieux, sacré, religieux.

— Syn. Cloître, couvent, monastère. Cloître exprime proprement une idée de clôture : c’est un lieu où l’on est séparé du monde par une barrière infranchissable ; de plus, cloître signifie souvent l’état même de ceux qui renoncent au monde. Les filles des anciens nobles dont la fortune était peu considérable étaient presque toujours destinées au cloître. Couvent suppose la vie commune, la réunion d’un certain nombre de personnes vivant sous la même règle ; c’est aujourd’hui le mot qui sert le plus souvent à désigner les maisons religieuses, soit pour les hommes, soit pour les filles. Monastère présente l’idée de la solitude, c’est un grand établissement de moines, c’est-à-dire de solitaires qui renonçaient au monde et qui ne voulaient plus s’occuper que d’une seule chose, leur salut. Cependant les anciens moines travaillaient de leurs mains, et ce sont eux qui défrichèrent une partie de la France.

— Encycl. Archit. Les cloitres étaient établis à côté des églises cathédrales, collégiales et monastiques. La forme des cloîtres est généralement carrée. Dès les premiers temps du christianisme, des cloitres furent élevés dans le voisinage immédiat des églises. Les abbayes en possédaient deux, l’un près de l’entrée occidentale de l’église, l’autre à l’orient, derrière l’abside. Le premier donnait accès dans les réfectoires, les dortoirs, la salle capitulaire, la sacristie, le chauffoir et les prisons ; c’était comme le cloître public des religieux. Le second était particulièrement réservé à l’abbé, aux dignitaires et aux copistes ; plus retiré, plus petit que le premier, il était bâti dans le voisinage de la bibliothèque, de l’infirmerie et du cimetière. Les cathédrales avaient toutes un cloître accolé à l’un des flancs de la nef, soit au nord, soit au sud. Il était entouré des habitations des chanoines, qui vivaient sous une règle commune. Souvent les écoles étaient construites dans le voisinage des cloîtres des abbayes et des cathédrales. La disposition la plus habituelle du cloître d’abbaye est celle-ci : une galerie adossée à l’un des murs de la nef, avec une entrée sous le porche et une autre dans le voisinage de l’un des transsepts ; une galerie à l’ouest, à laquelle viennent s’accoler les bâtiments des étrangers, ou des magasins et celliers ayant des entrées au dehors ; une galerie à l’est donnant entrée dans la sacristie, dans la salle capitulaire et les services ecclésiastiques ; la dernière galerie, opposée à celle qui longe l’église, communique avec le dortoir et le réfectoire.

Les dispositions des cloîtres d’abbaye ne furent guère modifiées jusqu’au XVIe siècle ; les cloîtres des cathédrales, au contraire, subirent de notables changements, par suite des usages des chapitres, plus variables que ceux des religieux réguliers. On continuait à désigner sous la dénomination de cloîtres des amas de constructions qui n’avaient plus rien, dans leur ensemble ou dans leurs détails, des dispositions primitives des cloîtres. Les cloîtres des cathédrales avaient souvent la physionomie d’un quartier ayant son enceinte particulière, ses rues et ses places, et, comme ces quartiers étaient dotés de privilèges qui en faisaient comme une cité dans la cité, il en résulta souvent les plus graves désordres.

Aujourd’hui, on ne désigne plus guère sous le nom de cloîtres que les galeries couvertes bâties dans le voisinage des églises. Un des cloîtres les plus anciens en ce genre que nous possédions en France est celui de la cathédrale du Puy-en-Velay, dont la construction remonte en partie au Xe siècle. Un des plus beaux cloîtres du Midi est celui de Saint-Trophime d’Arles. Deux des galeries de ce cloître datent du commencement du XIIe siècle ; chacune d’elles se compose de trois travées principales, divisées en quatre arcades portées sur des colonnettes jumelles. Ce cloître est d’une grande richesse de sculpture ; les colonnettes, les chapiteaux, le revêtement des piles sont en marbre gris ; le long du mur, une riche arcature reçoit le berceau. On sent dans les sculptures, aussi bien que dans les profils du cloître de Saint-Trophime, l’influence de l’art antique. Les piliers, décorés de statues, sont d’une grande beauté.

Le cloître de l’abbaye de Moissac est aussi remarquable par la richesse des sculptures des chapiteaux et des piliers. Le cloître de l’abbaye de Thoronet (Var) est plus simple et presque complètement dépourvu de sculptures ; il se compose de quatre galeries bâties au nord de l’église. Le cloître de l’abbaye de Fontenay, non loin de Montbard, montre déjà la transition entre le système de construction du XIe siècle et celui du XIIIe siècle, transition qui s’accuse bien plus encore dans le cloître de la petite abbaye de Fontfroide, près de Narbonne. Le cloître de la cathédrale de Laon est orné de fenêtres carrées percées dans le mur, du côté de la rue. Le cloître de l’église Saint-Michel de Cuxa, près de Prades (Pyrénées-Orientales), se compose d’une longue claire-voie formée par deux rangées de colonnettes simples et non accouplées, interrompues seulement de distance en distance par des piles carrées. Le beau cloître de l’abbaye d’Elne, à quelques lieues de Perpignan, évidemment reconstruit au XIVe siècle, présente une grande quantité de colonnettes et de chapiteaux de marbre et de piles de cette époque, entremêlés de colonnettes et de chapiteaux du XIIe siècle. Comme sculpture, ce cloître est le plus riche de tous ceux qui existent encore de nos jours dans cette partie de la France. Le cloître de l’ancienne église de Saint-Papoul, près de Castelnaudary, également rebâti au XIVe siècle avec des fragments du commencement du XIIIe siècle, est moins riche en sculptures que celui de l’abbaye d’Elne. Le cloître de Saint-Lizier (Ariége) est plus simple encore ; il se compose de deux étages de galeries : l’une au rez-de-chaussée, en maçonnerie ; l’autre au premier étage, en charpente.

Les cloîtres que nous venons de passer en revue sont tous romans ; les cloîtres gothiques ne sont pas rares en France, mais ils tendent tous les jours à disparaître, tant à cause de leur légèreté qui amène leur destruction, que par le défaut d’entretien. Le cloître de l’église collégiale de Semur-en-Auxois est fort petit, puisque chacun de ses côtés ne contient que deux travées ; mais il est d’une disposition charmante, et il est orné de chapiteaux fort bien sculptés. Il doit remonter à 1230 ou 1240. Le cloître de la cathédrale de Noyon, d’une construction très-simple, était richement décoré de sculptures d’ornement et de statues d’évêques. Citons aussi les beaux cloîtres de Saint-Léger et de Saint-Jean-des-Vignes, à Soissons. Ce dernier est d’une richesse sculpturale extraordinaire. Le cloître de la cathédrale de Toul présente une jolie décoration, consistant en une suite d’arcatures trilobées, sous chacune desquelles était sculpté un petit bas-relief porté sur une sorte de tablette peu saillante. Le cloître de la cathédrale de Langres, en fort mauvais état aujourd’hui, était surmonté d’un étage. Le plus beau de tous les cloîtres qui offrent cette disposition, parmi ceux qui nous ont été conservés, est certainement celui de la cathédrale de Rouen, dont la construction date de 1240 environ. Le cloître de la cathédrale de Bordeaux, bien que gothique, rappelle les cloîtres romans, composés d’arcades continues. Le cloître de la cathédrale de Narbonne se compose.d’une série d’arcades sans meneaux, séparées par des contreforts épais. Enfin, l’un des plus curieux et des plus complets que nous possédions en France est le cloître de l’abbaye du Mont-Saint-Michel-en-Mer. Il s’ouvre d’un côté sur la mer par des fenêtres oblongues et très-étroites. Les galeries étaient primitivement couvertes par une charpente lambrissée. L’arcature se compose de deux rangées de colonnettes chevauchées. Ce cloître était complètement peint, du moins à l’intérieur, entre les deux rangs de colonnettes. Quant aux profils et à l’ornementation, ils rappellent la véritable architecture normande du XIIIe siècle. Les chapiteaux sont simplement tournés, sans feuillages ni crochets autour de la corbeille, sauf les chapiteaux de l’arcature adossée à la muraille qui sont décorés de crochets bâtards. Les galeries donnaient dans un préau, complètement couvert de lames de plomb destinées à recueillir les eaux pluviales dans une grande citerne située sous l’église. Sous le cloître est bâtie la salle des chevaliers, dont la voûte est portée par un quinconce de colonnes, et sous cette salle est un étage inférieur. Le cloître est donc situé au sommet d’un immense édifice, et galeries sont portées sur des voûtes ; aussi a-t-on cherché à donner à cette construction une extrême légèreté.

Hors de France, nous trouvons en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Angleterre des cloîtres fort vastes et fort riches. Nous citerons notamment, en Italie, les cloîtres en marbre couverts de sculptures et de mosaïques : de Saint-Paul-hors-les-murs, de Saint-Jean-de-Latran, à Rome ; en Sicile, l’admirable et immense cloître de Montreale, singulier mélange d’architecture normande et d’architecture mauresque.