Guerre aux hommes/04/03

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É. Dentu, Éditeur (p. 135-140).


III

L’HOMME ALOUETTE

m. de calimac


L’alouette est un gentil oiseau qui a plus d’une qualité, entre autres celle d’être fort bon à croquer.

Mais cet oiseau a un défaut, dont, du reste, il supporte à lui tout seul les tristes conséquences.

Ce qui luit, ce qui brille, le charme, l’attire ; aussi le chasseur malin place dans la plaine un joli miroir, le soleil le fait étinceler de mille rayons éblouissants, et vite toutes les alouettes de la plaine viennent près de cet appeau perfide. Le chasseur diligent les prend dans son filet.

Les pauvres alouettes peuvent alors faire la réflexion tardive, que ce qui brille est souvent trompeur et perfide.

Monsieur de Calimac a beaucoup de l’instinct imprudent de l’alouette : ce qui brille l’attire, le charme, lui inspire une illimitée confiance. Qu’un homme mène grand train, qu’il ait chevaux, voitures, qu’il donne de grands dîners, M. de Calimac fait tout au monde pour se lier avec lui, lui prête de l’argent, se met avec lui de moitié dans des affaires fictives ou véreuses… il est volé, trompé. Que de plumes il a déjà laissées ainsi !

Pour être reçu chez lui, il faut avoir un nom ronflant.

Lorsqu’il parle d’un ami, c’est toujours un homme titré, ou, s’il ne l’est pas, il s’en excuse en disant : « Il est archimillionnaire ! »

Pour lui l’argent est aussi un titre de noblesse. Ah ! dame ! il est de son siècle, le veau d’or est le dieu devant qui il s’incline le plus bas !

Beaucoup de chasseurs ont tendu le miroir à M. de Calimac.

Une jeune veuve le lui a tendu aussi : elle s’est montrée à lui parée d’un brillant titre, d’un luxe factice : il a été ébloui, il a épousé ce bel oiseau au brillant plumage… Mais il s’est trouvé que les cent mille francs de rente qu’elle disait avoir se sont changés en cent mille francs de dettes qu’il a eu à payer ; que son beau nom d’emprunt cachait celui, très-démocratique, de Michel.

Ses amis au nom ronflant lui ont tourné le dos le jour où il les a priés de lui rendre l’argent qu’il leur avait prêté…

Ces riches emmancheurs d’affaires, remueurs de millions, dépensant cent mille francs en frais de représentation, se sont trouvés être d’habiles escrocs, qui lui ont emporté son argent.

Ce pauvre M. de Calimac est resté ruiné et l’infortuné mari d’une femme d’aventure ; il a pu se convaincre que tout ce qui brille n’est pas d’or.

Malgré son exemple bien connu, les hommes-alouettes sont encore nombreux, et ils se laissent toujours prendre au miroir que leur tendent d’habiles exploiteurs.