Guerre aux hommes/04/07

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É. Dentu, Éditeur (p. 159-165).


VII

L’HOMME MOUSTIQUE

m. de lastico


Le moustique est bien l’insecte le plus irritant, le plus agaçant, le plus fâcheux, le plus insupportable de la création.

Cette maudite petite bête, que l’on nomme cousin ou moustique, ferait perdre patience au plus patient, ferait sortir de son apathie l’homme le plus apathique, et rendrait furieux l’homme le plus débonnaire.

Sans vous laisser ni trêve ni merci, elle vous pique, vous bourdonne à l’oreille : vous la chassez de votre nez, elle se pose sur votre oreille, vous écrivez, elle arrive piquer votre main, vous fait faire une vilaine tache d’encre. Vous en tuez une, dix autres s’acharnent après vous pour venger sa mort…

La nuit arrive, vous espérez être à l’abri de ses atteintes. Couché sous un épais moustiquaire, vous croyez pouvoir la défier : mais à peine avez-vous clos votre paupière, à peine les anges des rêves ont-ils commencé à vous bercer doucement de leurs charmantes chimères, crac, qu’une horrible et agaçante réalité vous réveille, qu’un moustique, que dix moustiques vous sifflent à l’oreille. Il semble qu’ils ont inventé ce bruit rien que pour vous tracasser, comme si ce n’était pas assez de vous sucer le sang !…

Vous vous réveillez furieux, vous allumez votre bougie, et leur faites la chasse pendant un quart d’heure, cherchant et recherchant dans tous les plis de votre moustiquaire. Puis vous éteignez votre lumière, et vous vous dites… enfin, je vais pouvoir dormir !…

Mais le sommeil ne s’est pas plus tôt rapproché de vos paupières, que, crac, voilà les moustiques qui recommencent leur infernale musique et leurs piqûres… D’où sortent-ils ?… Comment ont-ils pu pénétrer jusqu’à vous ?… Impossible de s’en rendre compte : c’est à croire qu’un génie hargneux et taquin les a créés tout exprès pour vous rendre la vie insupportable !…

Ceux qui ont vécu dans des pays où les moustiques sont innombrables, conviendront avec moi que cet insecte, tout inoffensif qu’il soit, excite cependant votre colère, bien que sa piqûre soit rarement venimeuse. Par moments, on se sent pris de haine contre lui, on se frappe soi-même pour arriver à le tuer, lui, et lorsqu’on le voit tomber mort, on éprouve une joie semblable à celle que l’on doit éprouver en se voyant débarrassé d’un mortel ennemi !…

Eh bien ! M. de Lastico est de la famille des moustiques. Un mauvais génie l’a créé pour vous irriter, vous agacer sans cesse.

Avez-vous besoin de calme, de repos, avez-vous la migraine, il vous assourdit par un flux et reflux de paroles, aussi vides de sens que sa tête est vide de cervelle.

Il devine, il pressent avec un instinct merveilleux, instinct qui tient à sa nature de moustique, tout ce qui peut vous irriter, vous choquer, vous être désagréable. Ses paroles sont autant de piqûres ; vous le chassez par la porte, il revient par la fenêtre ; vous n’allez pas à droite pour l’éviter, au premier pas que vous faites à gauche, vous êtes accosté par lui.

Pourtant, impossible de rompre en visière avec lui, car M. de Lastico est au fond inoffensif il ne blesse pas, il pique seulement… Là est sa science… L’homme le plus pointilleux ne peut trouver prétexte à se fâcher, il est obligé d’enrager en silence.

M. de Lastico n’est pas méchant, non, il est moustique, voilà tout.